Notion et régulation de l'abus de puissance économique( Télécharger le fichier original )par Azeddine LAMNINI Université Sidi Mohammed Ben Abdellah Fès - DESA 2008 |
LE DIRE JURIDIQUE REGULATEUR DE L'ABUS DE PUISSANCE ECONOMIQUE150. Le dire juridique à une place centrale dans la lutte contre les abus de puissance juridique. C'est le lieu privilégié de rencontre de deux grandes catégories de juristes dont l'action commune et multiséculaire consiste à dire le droit. Figure en tête de la première catégorie le juge348(*). La seconde catégorie est composée de ceux, traditionnellement dénommés les docteurs de la loi349(*). Ceux de la première catégorie ont ceci en commun que leur dire se manifeste ordinairement à l'occasion de litiges au règlement desquels ils interviennent. Adapté à l'action sur le réel, leur dire est pragmatique et se différencie du dire doctrinal des docteurs de la loi.350(*). S'il intervient généralement en vue de régler un litige, ce dire n'a pas pour autant la même nature. Tantôt, il entraîne la décision dans un procès ; c'est le dire décisoire351(*) ; tantôt, il incite les adversaires à se réconcilier ; c'est le dire incitatif352(*). Ainsi, c'est ce dernier qu'on estime le plus apte et le plus efficace à appréhender le pouvoir économique dans la mesure où, le juge, d'une part, a pour obligation d'appliquer la loi ; d'autre part, il doit rendre un jugement pour répondre à la prétention articulée par les parties. Si la loi est défectueuse, alors le juge a l'obligation de la compléter en créant une règle de droit. Le syllogisme est imparable353(*). Ainsi, pour se refuser à exercer son office, le juge ne peut tirer prétexte du silence, de l'obscurité ou de l'insuffisance de la loi. 151. Cela dit, le juge, à travers ses prérogatives et ses obligations, doit accompagner les mutations de la collectivité, notamment pour la protection de la partie faible étant le déséquilibre flagrant des rapports de force dans certains rapports contractuels, ainsi, que par l'adaptation de sa fonction aux réalités économiques. Dans le premier cas, en l'absence de texte spécial, le dire juridique recourt à la revivification de certains instruments juridiques classiques (Section I). Dans le deuxième cas, et en présence de la loi sur la concurrence, c'est par la juridictionnalisation des autorités de marché et l'amélioration des techniques jurisprudentielles du juge que le dire juridique essai de s'adapter aux réalités économiques pou lutter contre les abus de puissance économique (Section II). Section I - La revivification de certains instruments juridiques pour la protection de la partie faible152. Un dire juridique français pragmatique et audacieux. La revivification des instruments juridiques classiques est l'un des méthodes utilisées par une jurisprudence française, dite pré-consumériste. Cette dernière a éprouvé un grand pragmatisme dans l'application des textes juridiques en vigueur. Ainsi en l'absence de textes spécialisés dans la protection de la partie faible dans la relation contractuelle, elle a puisé dans le droit commun des instruments par lesquels elle a essayé de lutter contre les abus de puissance économique. A cet effet, elle s'est confiée deux missions principales. La première consiste à la préservation du consentement de la partie faible au cours de la formation du contrat ; La deuxième, à la restauration d'un équilibre contractuel rompu par le déséquilibre de force des parties contractantes. * 348 « Ce qui ne doit pas étonner quand on sait que l'étymologie du mot judex (jus/decere) signifie « dire le droit ». J.-Louis SOURIOUX, Droit, op. cit., n° 33 * 349 « Qui ont scientia legum (la science des lois) et constituent doctrina (la doctrine), terme dérivé de docere , art d'enseigner, d'où le primat de la parole ». loc. cit. * 350 loc. cit.. * 351 « C'est d'abord celui du juge étatique lorsqu'il prononce le jugement. Il fait alors oeuvre juridictionnelle (juris-dictio), diction du droit, et sa décision tranche le litige ; elle a autorité de la chose jugée. L'art de la diction du droit, ainsi entendue, participe de la vertu de prudence (prudentia) appliquée au droit (juris). D'où le nom de jurisprudence ». P. MORVAN, En droit, la jurisprudence est une source de droit, RRJ, 2001-1, PUAM, p. 77 et s * 352 J.-Louis Sourioux, Droit, op. cit., n° 34 * 353 « En effet, si le juge, dans une conception servile de son rôle par rapport à la loi, se refusait à exercer ce pouvoir créateur, il violerait sa seconde obligation - rendre un jugement - « sous prétexte » d'honorer la loi ». 354 J.-Louis SOURIOUX, Droit, op. cit., n° 39. |
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