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L'offre éducative primaire au Burkina Faso. Approche économique et anthropologique

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par Julie Rérolle
Université Aix - Marseille 1 - Master 2 Langues Etrangères Appliquées "Intelligence économique, culture et organisation" 2007
  

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Chapitre 3 - Approche anthropologique et étude de l'école bilingue vue à travers la presse burkinabé

I) L'anthropologie de l'éducation et du développement

Cette approche s'appuie sur des recherches d'anthropologues de l'éducation et du développement mais il ne s'agit pas vraiment d'une étude anthropologique proprement dite dans le sens où il n'y a pas eu de véritable enquête de terrain. Elle ne donne pas la parole aux acteurs directement concernés mais pour pallier à ce manque de données « de terrain », nous utiliserons le biais de la presse pour analyser, dans une seconde partie, le cas de l'étude bilingue.

Cette étude globale se veut multidimensionnelle parce qu'il nous a semblé que les deux visions sont complémentaires et aident à la compréhension générale de la problématique. L'analyse économique s'attache au lien éducation-croissance, aux facteurs de production et au rôle central de la théorie du capital humain dans un contexte de mondialisation supposé naturel, tandis que l'anthropologie s'intéresse aux cultures et aux relations et influences qu'elles jouent les unes sur les autres. Ainsi, l'éducation vue par le prisme anthropologique avec une approche culturelle du contexte permet de mettre en valeur les intérêts de l'école bilingue que nous étudierons plus loin.

I.1) Approche anthropologique de l'éducation

Les sciences sociales perçoivent l'éducation sous un angle différent des conceptions économiques, qui elles sont axées sur les analyses coût-avantages, les taux de rendement et la théorie du capital humain. Pour les sociologues, le fait scolaire est considéré comme un fait social au sens du Durkheim et, en tant que tel, il apparaît comme révélateur du fonctionnement des sociétés. L'ethnologie et l'anthropologie mettent d'autant plus l'accent sur le local que sur le général et ne voient pas l'individu seulement comme un consommateur ou un calculateur rationnel, mais influencé par une culture, des valeurs et des normes propres à son environnement. Une réflexion sur la véritable nature de l'éducation est utile. Elle est trop souvent perçue comme seule scolarisation alors que dans les sociétés coutumières, elle peut prendre plusieurs forme : éducation de toute la personne, autour du savoir-dire, du savoir-faire, du savoir-vivre et du savoir-être, éducation permanente tout au long de la vie, intégrée à toutes les circonstances de temps, et de lieu, éducation rituelle, etc.

La nécessité de prendre en compte les réalités locales et culturelles transparait dans les recherches anthropologiques, qui s'intéressent aux lieux d'éducation hors de l'institution scolaire (communauté, famille, écoles coraniques, médersa - Brenner), à la production, la circulation et la transmission des savoirs, et au lien entre savoirs et pouvoirs (Renaud Santerre). Elles offrent donc une vision plus « humaine » de l'éducation et donnent des réponses concrètes aux questions du dysfonctionnement des systèmes éducatifs africains.

I.1.1) La prise en compte du culturel

L'anthropologie, qui vient du grec anthropos, l'homme et logos, l'étude, est définie comme « l'étude des cultures des différentes collectivités humaines (institutions, structures familiales, croyances, technologies). »119(*) La démarche anthropologique place l'individu et la société dont il est membre, au centre de la recherche et se focalise sur le respect et la valorisation des traditions, cultures et valeurs d'une société donnée, tandis que l'économie de l'éducation s'efforce de partir de phénomènes généraux pour faire des interprétations à l'échelle individuelle.

I.1.1.1) Les mécanismes culturels

L'apport de l'anthropologie dans l'étude de l'éducation est donc très intéressant car elle apporte une vision plus « humaine ». Elle étudie le rapport entre l'unité de l'humanité et la diversité, entre le global et le multiple. C'est en ce sens qu'il est intéressant d'étudier l'école bilingue sous l'angle anthropologique.

Les institutions internationales considèrent que nous sommes entrés dans un « nouveau type de société dans lequel la connaissance détiendrait une fonction majeure »120(*). L'instruction serait un bien marchand et l'école aurait une nouvelle fonction de marchandisation basée sur des logiques commerciales.

Mais la connaissance s'élabore aussi et surtout dans une dimension collective, car il est aujourd'hui largement admis que la connaissance ne provient pas uniquement de processus d'apprentissage mais aussi d'échanges inter et intragénérationnels, surtout dans des sociétés africaines où la communauté est omniprésente, la hiérarchie est respectée et les traditions orales perdurent. Selon Sue Wright, l'anthropologie est liée à l'éducation parce que « l'éducation a une place centrale dans les processus de transformation »121(*). D'autres anthropologues étudient « la finalité de l'éducation et sa relation avec les changements des idées dominantes sur la modernité, le libéralisme (...) et la préparation à la citoyenneté. »122(*)

Sans pour autant faire preuve de « populisme idéologique »123(*), qui valoriserait et idéaliserait systématiquement les savoirs populaires, il s'agit, pour les anthropologues de faire acte librement de créativité pédagogique et de valorisation culturelle, pour « promouvoir de l'intérieur une conception plus dynamique de l'éducation, sans pour autant renoncer à tirer profit des techniques venues de l'extérieur »124(*). En effet, malgré les connotations habituelles que véhicule la discipline, elle se doit d'être « aussi attentive aux changements qu'elle ne l'est aux permanences »125(*).

En effet, « la non-prise en compte du paramètre culturel dans les domaines éducatifs par les planificateurs, décideurs, élites locales, entraine des dysfonctionnements dont ces populations [les plus déshéritées] font principalement les frais »126(*). Il faut considérer les valeurs universelles mais aussi le droit des cultures à la différence, qui entraîne un choc des valeurs. Il faut aussi opérer une distinction entre valeurs permanentes et valeurs nouvelles (démocratie, compétence professionnelle, progrès technologique, respect de la nature, l'innovation, etc.)

I.1.1.2) Différents axes d'études

En ce sens, les apports de la discipline sont multiples. L'anthropologie de l'éducation étudie, entre autre l'interculturalité comme construction de nouveau sens social issu du contact entre des cultures différentes. Elle étudie les interactions entre les cultures car « il est incontestable que l'indigène non contaminé n'existe nulle part »127(*), examinant les conditions du « vivre-ensemble », les processus de communication interculturelle, ou encore des stratégies identitaires développées par les individus en situation d'acculturation.

D'autre part, elle étudie la transmission des savoirs hors de la sphère de l'école traditionnelle. En Afrique, c'est par l'éducation donnée par la famille et au sein de la communauté que les modèles culturels se perpétuent. D'autre part, la transmission sociale et culturelle entre les générations s'effectue dans les deux sens, des parents ou enseignants vers les enfants et aussi selon un mouvement ascendant venant des jeunes vers les adultes. La question « est-ce que les valeurs traditionnelles peuvent-elles être mises au service du développement ? » subsiste.

Enfin, le lien entre savoir et pouvoir est analysé et les normes imposées par les institutions sont remises en questions. On s'intéresse ici aux stratégies familiales et à la demande sociale d'éducation, qui se détache de l'institution Ecole telle qu'elle existe au Burkina Faso notamment, calquée sur le système coloniale et qui n'est pas en phase avec les réalités socio-économiques et aux besoins locaux.

Ainsi, selon les anthropologues, il s'agit de promouvoir un développement alternatif, fondé sur une mise en valeur des compétences et des savoirs locaux, pour un développement endogène et impliquant les acteurs directement concernés. Ils préconisent que l'éducation et l'identité culturelle soient intégrées pour un développement endogène, ainsi qu'une rénovation du système éducatif et de ses contenus et une réappropriation de la finalité de l'éducation, correspondant au système de représentation propre à la société en question.

I.1.2) Considérer la pluralité

I.1.2.1) Des systèmes de sens et des savoirs différents

Pour Jean-Pierre Olivier de Sardan, ce sont deux « systèmes de sens » qui s'affrontent : celui des institutions et des agents de développement et celui des populations cibles (ou communautés paysanne). Dans les questions de développement, ces deux systèmes de valeurs (ou « configurations de représentations contrastées ») se confrontent et souvent ne se comprennent pas. La dimension du savoir, le système de transmission, la place du magico-religieux, tout les oppose et, l'auteur considère qu'une meilleure connaissance et compréhension de ces différences de sens peut sensiblement jouer sur la portée d'un projet de développement128(*).

D'un côté, les savoirs populaires, mêlés au symbolique et au magico-religieux, sont spécifiques et adaptés aux contraintes d'un milieu particulier. Ils se transmettent oralement, in situ, et sont en perpétuelle évolution, par l'échange. De l'autre, les savoirs technico-scientifiques, standardisés, plus généraux et déconnectés de toute considération ésotérique, « sont introduits de l'extérieur et ne subiront guère de rétroaction »129(*).

Si l'on admet l'hypothèse que les savoirs apportés par l'agent de développement sont "préférables" pour certains champs, comme l'alphabétisation par exemple (car efficaces, productifs et rentables), « il ne s'agit pas d'amener le savoir là où règne l'ignorance »130(*), car il existe déjà des compétences et des savoir-faire complexes dans les sociétés indigènes. Il est d'ailleurs intéressant de constater à quel point les savoirs populaires sont peu connus des « développeurs », qui, de façon souvent inconsciente, ont tendance à les considérer avec mépris car la vision occidentale valorise ses propres savoirs technico-scientifiques et associe de façon présupposée et stéréotypée savoirs populaires à tradition et à routine. Cependant, ils sont d'une part, multiples et hétérogènes, car « un savoir technique populaire standard partagé par tous est une fiction »131(*) et d'autre part ils sont innovants car s'adaptent au milieu.

I.1.2.2) Le rôle complexe des agents de développement

Les agents de développement sont donc comme « coincés » entre savoirs populaires et technico-scientifiques. Ils sont, consciemment ou non, les porte-parole des savoirs prônés par l'occident mais doivent aussi être médiateurs entre les deux systèmes de savoirs, prôner l'un et le marier avec l'autre. Ils doivent savoir écouter et se transformer en élève (les deux lois de l'enquête ethnologique pour J-P. Olivier de Sardan), puis être un bon communicateur et médiateur pour "négocier". Tout cela suppose avoir conscience de la richesse des savoirs dits « populaires » et que les modes d'organisation occidentaux ne sont pas forcément adaptés ou pertinents dans toutes les situations.

Ainsi, par le biais de la « réflexivité », l'anthropologue-chercheur doit chercher à contrôler les influences de sa personnalité et de ses représentations sociales sur sa façon d'observer, ainsi que sur certains comportements et réflexions. Il doit « se garder de projeter sur les choses les représentations qu'il porte en lui »132(*), c'est-à-dire faire abstraction de sa subjectivité, en développant sa conscience de soi, afin oublier qui il est et d'opérer un travail de compréhension, qui nécessite un esprit libre et ouvert. Le chercheur doit être aussi bien préparé que possible, connaître les coutumes, valeurs, normes et aussi des rudiments de la langue locale pour se faire accepter et pouvoir échanger.

L'affrontement entre les systèmes de sens qu'évoque J-P. Olivier de Sardan se traduit par une imposition d'un système éducatif souvent inadapté au contexte, aux réalités et aux besoins locaux, par l'intermédiaire des gouvernements locaux, souvent incités par des promesses de financement. Il est bon de rappeler que les activités principales au Burkina Faso sont l'agriculture et l'élevage, et l'éducation, qui forme les citoyens de demain, doit être organisée en conséquence, selon les activités dans lesquelles les burkinabés peuvent trouver un emploi. Elle ne peut pas se contenter de former des fonctionnaires qui seront au chômage. Mais face à cette imposition, se maintiennent et se transforment d'anciens modes de transmission des savoirs ou se créent de nouvelles écoles, comme nous le verrons par la suite.

* 119 Définition du Dictionnaire de notre temps Hachette (1992)

* 120 Delamotte Éric, (2004), « Anthropologie de l'éducation : pour un tour du monde » no 17 -2006/1 « Du partage au marché. Regards croisés sur la circulation des savoirs » Education et société De Boeck Université (coord.), http://www.cairn.info/revue-education-et-societes-2006-1-page-159.htm

* 121 Houtman Gustaaf, 2004, Why education matters to anthropology. An interview with Sue Wright. Anthropology today, special issue anthropology and education, vol 20 n° 6, dec. 2004, London: Royal Anthropological Institute Collection, page 16

* 122 Idem

* 123 Olivier De Sardan, J.P., 1991, « Savoir populaires et agents de développement » D'un savoir à l'autre. Les agents de développement comme médiateurs, Olivier de Sardan et Paquot (eds), Paris : GRET-Ministère de la Coopération et du Développement, page 27

* 124 Kellermann Luce, (1992) La dimension culturelle du développement. Bibliographie sélective et annotée 1985-1990, UNESCO. L'Harmattan, Paris, page 195

* 125 Olivier De Sardan, J.P., 1998, « Une anthropologie de l'innovation est-elle possible ? » Anthropologie et développement. Essai en socio-anthropologie du changement social, Edition APAD, Karthala, page 77

* 126 Kellermann Luce, (1992) La dimension culturelle du développement. Bibliographie sélective et annotée 1985-1990, UNESCO. L'Harmattan, Paris, page 195

* 127 Idem

* 128 Il prend l'exemple d'une campagne de vaccination qui ne prendrait pas en compte, au préalable des procédures thérapeutiques locales ou des « rapports entre hommes et génies ».

* 129 Olivier De Sardan, J.P., 1991, « Savoir populaires et agents de développement » D'un savoir à l'autre. Les agents de développement comme médiateurs, Olivier de Sardan et Paquot (eds), Paris : GRET-Ministère de la Coopération et du Développement, page 23

* 130 Idem, page 20

* 131 Idem, page 22

* 132 Sotiropoulos, L. (2003), « La recherche anthropologique en éducation : quelques adaptations possibles de la méthode », SPIRAL Revue de recherches en Éducation, 31, pp.88

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"En amour, en art, en politique, il faut nous arranger pour que notre légèreté pèse lourd dans la balance."   Sacha Guitry