La RDC et le processus d'intégration des pays des Grands Lacs comme voie de sortie de la crise sécuritaire régionale( Télécharger le fichier original )par Eric Ntumba Bukasa ENA (France) - Mastère en Administration Publique 2008 |
« Congolité » et ZaïrianisationLa première constitution congolaise de 1964 (dite de Luluabourg) accorde la nationalité congolaise à toute personne dont un ascendant est ou a été membre d'une tribu installée sur le territoire congolais en 1885. Bien que l'implantation des Banyamulenge soit antérieure à 1885, ils ne sont pas répertoriés par la colonisation belge comme une ethnie jusqu'à l'indépendance en 1960. De ce fait, le droit à la nationalité congolaise va leur être contesté. C'est sur ce fond que Barthélémy Bisengimana, zaïrois d'origine tutsi, directeur de cabinet du président Mobutu de 1969 à 1977, tentera de régler le problème en conférant de manière automatique et collective la nationalité zaïroise aux populations rwandophones installées dans le Kivu par une loi de 1972. Cette loi compliquera les choses, mettant les populations installées sur le territoire de la RDC avant 1885 (donc congolaises de droit) et celles provenant des flux migratoires plus récents dans la même situation créant la plus grande des confusions. Cette décision, que certains experts considèrent comme prise dans une optique électorale, va brouiller durablement la carte. La situation s'avère d'autant plus difficile vu qu'aucun enregistrement précis des flux migratoires ne pouvait, et ne peut à ce jour, prouver sans équivoque la période réelle de l'entrée en territoire congolais de ces populations. Cette acquisition « en masse » de la nationalité congolaise, couplée avec les effets pervers de la loi foncière promulguée dans le cadre de la « zaïrianisation »22(*)permet à des hommes d'affaires, des politiques et des notables tutsis de récupérer des terres, notamment d'anciennes plantations coloniales, redistribuées par l'Etat. Ces acquisitions de terre vont conférer un caractère légal aux implantations foncières des paysanneries tutsies dans le Kivu, et cela en totale opposition aux usages coutumiers locaux qui gèrent la terre en régime de propriété clanique ou villageoise. Cette situation provoque l'indignation des populations autochtones qui s'estiment expropriées pour la seconde fois (la première fois par les colons belges) d'une partie de leur territoire par des tutsis qui demeurent venus d'ailleurs dans l'inconscient collectif. Cette loi de 1972, a eu un impact politique déstabilisant, surtout dans la province du Nord Kivu, permettant en certains endroits `l'acquisition d'une majorité démographique donc politique à des groupements rwandophones'23(*), modifiant ainsi les équilibres électoraux locaux. Jouissant d'un nouveau statut politique, économique et foncier, ces populations, vont peu à peu réclamer plus d'autonomie au détriment des autorités coutumières autochtones. Un climat de tension perdure jusqu'à ce que en 1981, par un concours de circonstances facilité par la perte d'influence des politiciens tutsis sur le régime du président Mobutu (Bisengimana ayant dirigé le cabinet jusqu'en 1977), une autre loi revienne aux dispositions de 1964 et pose durablement la problématique de la « Congolité ». Cette loi tente de corriger les effets pervers de la loi « Bisengimana » par une application plus orthodoxe du principe d'une nationalité accordable à titre individuel par naturalisation. Mais en versant dans l'extrême inverse, elle plonge dans « l'illégalité » et la « clandestinité » une population qui était devenue par endroit démographiquement majoritaire, notamment des localités du Nord Kivu24(*). Ces tergiversations politiques et administratives vont offrir un cadre institutionnel à une compétition politico-foncière déjà bien engagée et exacerber les tensions entre rwandophones et autochtones, avec pour conséquence la pérennisation des difficultés d'administration de la région du Kivu et l'apparition plus ou moins ouverte d'une xénophobie locale. Celle-ci sera marquée par la consécration du vocable de `zaïrois à la nationalité douteuse' pour qualifier tout congolais rwandophones. Cette incapacité à administrer le Kivu empêchera la tenue des recensements de 1986 dans cette province alors qu'ils eurent lieu partout ailleurs au Zaïre cette même année. La crise identitaire entre rwandophones et autochtones est à l'époque d'autant plus visible que les bureaux d'état civil ne cesseront d'être incendiés dans le but de détruire les documents administratifs nécessaires à tout octroi de la nationalité. Entre 1991 et 1993, ces tensions vont resurgir de manière violente, notamment sur le fond du problème de représentation du Kivu à la Conférence Nationale Souveraine25(*) organisée à Kinshasa pour instaurer un régime démocratique au Zaïre. Elles vont conduire à la constitution de milices de jeunes initiant attaques et meurtres dans le Kivu. Cette situation nécessitera l'intervention de la Division Spéciale Présidentielle, corps militaire d'élites du régime du maréchal Mobutu, pour qu'un semblant d'ordre soit rétabli. Cette « pacification musclée des militaires de la Division Spéciale Présidentielle n'a fait que retarder la déflagration générale que l'onde de choc du génocide rwandais a précipitée. Celui-ci, avec l'afflux des fugitifs encadrés par les Forces Armées Rwandaises en fuite et les cortèges des réfugiés fuyant l'avancée de l'Armée Patriotique Rwandaise, a balayé comme un ouragan les tentatives de réconciliation et de résolution des conflits internes au Kivu »26(*). En effet, les conséquences du génocide Rwandais vont avoir un impact non négligeable, pour ne pas dire déterminant, sur la suite des événements et la régionalisation du conflit. Elles entraîneront la région dans les affres du cercle vicieux d'où elle peine toujours à sortir. * 22 La zaïrianisation initiée par Mobutu en 1974, dans la foulée de sa politique de « recours à l'authenticité » eu pour effets de déposséder les expatriés de leurs entreprises, fermes et domaines agricoles pour les confier à des zaïrois et de créer une bourgeoisie d'affaire typiquement zaïroise. * 23 Cyril Musila op. Cit. * 24 Idem * 25 La Conférence Nationale Souveraine (CNS) avait pour but de préparer la classe politique congolaise à la démocratie et au multipartisme et était sensée marqué la fin du régime dictatorial de Mobutu * 26Cyril Musila op. Cit. |
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