La RDC et le processus d'intégration des pays des Grands Lacs comme voie de sortie de la crise sécuritaire régionale( Télécharger le fichier original )par Eric Ntumba Bukasa ENA (France) - Mastère en Administration Publique 2008 |
II. 3 De la chute d'Idi Amin Dada en Ouganda au génocide rwandais: naissance d'une armée sans frontière.Le génocide rwandais de 1994, de part ses causes et surtout ses conséquences, va produire un impact déstructurant sur toute la région des Grands Lacs. Le nombre de réfugiés que ce génocide laisse déferler sur tous les pays frontaliers du Rwanda et principalement en République Démocratique du Congo va avoir un impact lisible sur les systèmes sociopolitiques et les écosystèmes de la région. La fuite des soldats hutus de l'armée rwandaise (FAR) en République Démocratique du Congo face à l'avancée du Front Patriotique Rwandais, constituée majoritairement de tutsis, est en lien direct avec les conflits les plus récents qu'a connu la région. Cette fuite en territoire congolais va fournir pour longtemps au Rwanda et à ses alliés l'alibi d'un droit de poursuite, en justifiant par des raisons sécuritaires leur ingérence au Congo et leur rôle dans le conflit. L'aspect régional de la crise est à rechercher aussi bien dans l'avant que dans l'après génocide rwandais. La volatilité de la situation sécuritaire dans la région des Grands Lacs a favorisé l'occurrence du génocide de 1994.Depuis bien longtemps un climat de tension est établi dans la région. On observe des mouvements rebelles dans un grand nombre de pays. La plupart d'entre eux trouvent des bases arrière et un soutien au Zaïre de Mobutu avec ou sans le parrainage tacite du dictateur. Des chefs rebelles comme John Garang du Soudan, Museveni de l'Ouganda ou encore Savimbi de l'Angola se serviront longtemps du Zaïre comme terrain d'entraînement et de retraite. L'arrivée au pouvoir de Yoweri Museveni en Ouganda, appuyé par les tutsis en exil de la région et par l'armée tanzanienne de Julius Nyerere, va changer la donne régionale pour longtemps. Le soutien des tutsis à Museveni émane de la proximité naturelle qu'ils éprouvent à l'endroit d'un Hima (un cousin d'Ouganda) et de l'espoir que soit enfin pris en compte le sort des populations tutsies que ses prédécesseurs ont parqué dans des camps de réfugiés en Ouganda. C'est à l'intérieur d'un de ces camps qu'a grandi Paul Kagame, l'actuel président du Rwanda. Cette prise de pouvoir en Ouganda va offrir aux tutsis un espace serein d'organisation et de préparation à un retour et une éventuelle prise du pouvoir par les armes au Rwanda voisin. L'option d'un retour armé est pour ces populations la seule envisageable compte tenu du fait que pour des raisons de surpopulation le Régime hutu du Rwanda a acté le principe du non retour des réfugiés tutsis. Colette Braeckmaen27(*) met en évidence le rôle et la responsabilité de l'Ouganda de Museveni dans la vague d'instabilité qui déferlera par la suite dans la région des Grands lacs: « Yoweri Museveni , président de l'Ouganda est à l'origine des réactions qui se sont succédées en Afrique centrale : lorsqu'il arrive au pouvoir, en 1986, sa victoire constitue la première application du droit d'ingérence, dans la mesure ou c'est l'armée tanzanienne qui ...l'a aidé à chasser Idi Amin Dada, et c'est avec le soutien des réfugiés rwandais que Museveni est parvenu à détrôner son rival Milton Obote ». L'élan de solidarité Hima-tutsi observé pendant la campagne militaire de la National Resistance Army de Museveni pour la prise du pouvoir à Kampala, s'étend à toute la région. Des tutsis venants du Rwanda, du Burundi, de la RDC ou de la Tanzanie vont constituer autour de lui un noyau dur. Dans le cas précis de la RDC, des jeunes tutsis congolais sont recrutés pour contribuer à ce début d'embryon d'une « armée sans frontières » pour reprendre le terme que les populations du Kivu donneront à ces troupes bigarrées qui sèmeront la désolation pour longtemps sur leur territoire. Le terme est bien choisi, certains de ces miliciens ont même combattu avec le Frelimo au Mozambique pendant la guerre de libération28(*). Fort de ce noyau tutsi et de sa nouvelle base arrière en Ouganda, Fred Rwigyema (tuteur militaire de Paul Kagame) se lancera en 1990 dans la reconquête du Rwanda. Campagne au cours de laquelle il perd la vie et qui ne doit son échec qu'à l'intervention des éléments de la Division Spéciale Présidentielle du Maréchal Mobutu et au soutien de l'armée française au régime hutu d'Habyarimana. Le coup d'Etat d'octobre 1993 au Burundi et la guerre larvée qui s'en suit, marquée par des explosions et des dérives génocidaires traumatisantes, vont aiguiser et renforcer les radicalismes et les intégrismes ethniques dans la région29(*). En 1994, aidés par des instructeurs américains, le FPR prend le contrôle du Rwanda sur fond de génocide, occasionnant le départ massif de réfugiés hutus vers le Zaïre et de façon inverse le retour d'un grand nombre de réfugiés tutsis de la région (même des tutsis jusqu'à lors congolais comme certains Banyamulenge et Banyarwanda) vers le Rwanda. Ce climat sécuritaire volatile, qui favorise la création de bases arrière et de milices rebelles dans la région, couplé aux antagonismes interactifs entre certains groupes ethniques produit des conséquences allant de l'occurrence même du génocide rwandais à l'escalade de la violence et à l'installation d'une instabilité pérenne dans la région. La guerre qui porte Kagamé au pouvoir au Rwanda marque aussi un tournant géopolitique, celui de la fin de la domination française sur le Rwanda. Pour Colette Braeckman30(*) « la guerre menée depuis 1990 par le Front Patriotique Rwandais à partir de l'Ouganda a fait sauter le tabou de l'inviolabilité des frontières et le dogme de la non-ingérence dans les affaires des voisins, tandis que la victoire du FPR, sur fond de génocide, a brisé l'un des maillons de la famille Francafricaine31(*) ». La rupture de ce maillon laisse dès lors se préfigurer un basculement de la région vers une zone d'influence américaine et anglophone (cf. supra). Il faut voir, « au-delà de la question des réfugiés et du Kivu... », une «... régionalisation des conflits internes connectés... » qui « ...profite des recompositions géopolitiques en cours (contexte de fin de guerre froide et de remise en cause des leaderships régionaux tenus par le Zaïre et le Kenya, pression islamique représentée dans la région par le Soudan) qui redistribue des cartes et autorise une concurrence accrue entre pôles régionaux établis et émergents, » révélant « ...au-delà des rivalités africaines des bipolarisations géopolitiques, de possibles parrainages internationaux et de possibles interventions ou soutiens... de grandes puissances (Attitudes de la France pendant le génocide au Rwanda et des Etats-Unis au lendemain de celui-ci, débat sur la francophonie, etc.) »32(*) Ce qu'il importe de retenir de cet amalgame d'événements et qui constitue un postulat de la régionalisation permanente des conflits dans la région c'est d'abord la tendance régionale à faire recours pour des raisons idéologiques, politiques, économico stratégiques voire ethniques au droit d'ingérence. Il faut aussi relevé la présence d'une solidarité tutsie qui dépasse largement les cadres nationaux faisant de ce groupement un groupement régional solidaire, prêt à défendre ses intérêts sans considération de frontières. La présence d'un antagonisme fort Hutu / Tutsi qui débouche au final à une mise en opposition des Bantous (les Hutus étant Bantous) et des non Bantous (les tutsis étant nilotiques) prête le flanc à des alliances régionales souvent basées sur des pseudos proximités ethno-claniques. * 27 Colette Braeckman, « l'Enjeu Congolais »op. cit. * 28 Idem * 29 C Thibon op. cit. * 30 Colette Braeckman, « l'Enjeux Congolais » op. cit. * 31 Cette phrase qu'elle écrit en 1999 s'est avérée prémonitoire, le Rwanda a aujourd'hui quitté la francophonie et se revendique plutôt d'obédience anglophone. * 32 C Thibon op. cit. |
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