I. Présentation du modèle de l'innovation
ouverte
Dans cette partie nous allons présenter
l'émergence progressive du concept d'innovation ouverte. Avant de
définir ce nouveau paradigme et d'en décrire les principales
caractéristiques, nous exposerons le contexte historique et
théorique de son émergence.
1. Contexte historique de l'émergence du
modèle d'innovation ouverte
Plusieurs auteurs ont insisté sur le fait que
l'ouverture des processus d'innovation n'est pas un phénomène
nouveau mais est une tendance générale qui connaît des
phases d'accélération et de recul.
Les racines de l'ouverture des processus d'innovation
par les entreprises
Dans un article de la revue Mc Kinsey Quarterly, Brown et
Hagel (2006) rappellent que les premières démarches d'innovation
ouverte au sein des entreprises remontent aussi loin que la Renaissance
Italienne, quand des réseaux d'entreprises textiles dans le Piedmont et
en Toscane ont généré un cycle d'innovation rapide dans
la production de soie et de coton.
Dans un même ordre d'idée, William et Tapscot
(2005) soulignent que, dés la fin du 17ième siècle, le
mouvement des Lumières a amorcé une nouvelle approche de la
création, de l'accumulation et de l'utilisation du savoir qui ont
été bénéfiques à l'émergence de
l'activité industrielle : « Ingénieurs,
mécaniciens, chimistes, médecins, et philosophes de la nature
formaient des cercles dont l'objectif primordial était l'accès
aux connaissances. Ils échangeaient des courriers, se rencontraient dans
les loges maçonniques, assistaient à des conférences dans
les cafés et débattaient dans les académies scientifiques.
Certains échanges personnels se cantonnaient aux sciences, mais des
passerelles de plus en plus nombreuses étaient jetées entre
hommes de sciences et ingénieurs, d'une part, et ceux qui utilisaient le
savoir pour résoudre des problèmes pratiques et développer
des activités proto industrielles, d'autre part. Grâce à la
diffusion de la connaissance et du savoir, la science avait cessé
d'être la propriété exclusive de
privilégiés. »
La mise en place d'une législation des brevets à
la fin du 18ième siècle aux Etats-Unis a ensuite
permis un nouvel essor de l'ouverture des processus d'innovation dont le
paroxysme a eut lieu au début du 20ième (Lamoreaux, Raff et
Temin, 1999). Une analyse des archives des sessions des brevets aux Etats Unis
entre 1870 et 1910 montre en effet que ce marché était
très actifs et en forte croissance, passant de 794 brevets vendus en
1870 à 1869 brevets vendus en 1910. Ce phénomène a
été facilité par l'apparition de courtiers de brevets et
de journaux dédiés à la publication des brevets, parmi
lesquels American Scientific, American Artisan et American Inventor.
Coup de frein donné par le développement
d'organisations R&D verticalement intégrées
D'après Henry Chesbrough, la tendance à
l'ouverture des processus d'innovation a connu une phase de recul avec
l'émergence de services R&D au cours de la première
moitié du 20ième siècle. Durand cette
période, le rôle primordial de l'inventeur isolé et du
marché des brevets dans l'émergence des innovations a
laissé la place à l'influence croissante des activités
R&D des grandes entreprises (Schumpeter, 1942). Comment expliquer
l'émergence rapide d'organisations R&D et le coup de frein
donné à l'ouverture des processus d'innovation ?
Se basant sur les travaux de Chandler (1990) et Mowery (1983),
Chesbrough rappelle que les premières organisations R&D se sont
développées pour améliorer les activités de
production. Ces activités étant très spécifiques
à chaque entreprise, les investissements en recherche et
développement furent spécifiques à chaque entreprise et
intégrés au sein de services internes. A partir d'une
première base de technologie crée par l'organisation R&D, les
entreprises ont exploité cette connaissance pour développer de
nouveaux produits et accroître ainsi leurs économies
d'échelle. Dans beaucoup de secteurs, des fonctions R&D de grande
dimension sont ainsi apparues, créant une barrière à
l'entrée grâce aux économies d'échelle. Les
économies d'échelle de la R&D internes ont ainsi permis
l'émergence d'un modèle d'innovation intégré
verticalement où des entreprises de grande taille ont internalisé
les activités de recherche, de développement, de fabrication et
de distribution. L'approche managériale utilisée par ce
modèle propriétaire a été résumée par
le président de Harvard James Bryant Conant comme consistant à
« prendre un homme de génie, lui donner de l'argent et le
laisser travailler seul ». Le Menlo Park d'Edison, le Bell Labs de
AT&T et le PARC de Xerox sont des exemples emblématiques de ce type
de modèle d'innovation qui a été à l'origine de
nombreuses innovations au cours du 20ième siècle.
Démarrage d'une nouvelle phase dans l'ouverture
des processus d'innovation avec le développement d'Internet
Depuis la fin des années 90, le développement
d'Internet et l'arrivée d'une génération ayant grandi dans
la collaboration ont crée les conditions favorables au démarrage
d'une nouvelle phase d'ouverture des processus d'innovation (Tapscot et
Williams, 2005). Internet a vu naître de nombreuses initiatives
innovantes d'innovations ouvertes. Les sites qui fonctionnent sur le principe
de la collaboration sont aujourd'hui très nombreux : Wikipedia,
Flickr, Ohmynews, Myspace, Craiglist, Youtube en sont quelques exemples. En
parallèle, des initiatives d'innovation ouverte ont également vu
le jour dans d'autres secteurs. Ce sont par exemple celles qui ont
été décrites en introduction de ce mémoire (
méthode des utilisateurs pilotes chez 3M, site web de publication de
besoin R&D par Elli Lily et Procter & Gamble, concours d'innovation par
Lego etc.). Tapscot et Williams expliquent qu'Internet a donné
l'impulsion en terme de support technique mais qu'il a surtout permis de
développer une culture de la collaboration. Dans les pays
industrialisés, la nouvelle génération a grandi en ligne
et apporte une nouvelle culture d'ouverture, de participation et
d'interactivité au travail, dans les communautés et sur les
marchés. « Elle constitue une nouvelle espèce de
salariés, de consommateurs et de citoyens. Il faut les considérer
comme le moteur démographique de la collaboration et la raison pour
laquelle l'orage parfait n'est pas une tempête dans un verre d'eau mais
bien un ouragan qui va accumuler de la force à mesure que ces jeunes
gagneront en maturité ».
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