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Il s'agit de voir dans ces lignes qui suivront quels ont été les objectifs de cette politique (A) et la gestion par les autorités de Ziguinchor de cette politique (B).C'est en somme le comment et le pourquoi de cette politique.
A- Les objectifs de la politique d'exportation de la main d'oeuvre sénégalaise
Les objectifs sont à analyser des deux côtes : du point de vue des partenaires espagnols et du point de vue de l'Etat du Sénégal.
-Pour l'Etat du Sénégal
D'abord en optant pour la migration légale circulaire l'Etat du Sénégal se démarque de la politique de migration choisie telle que prônée par certains pays européens et qui à terme aurait comme conséquence une fuite massive de cerveaux et corrélativement un déficit de ressources humaines dans certains secteurs d'activités.
En effet avec cet accord les personnes sélectionnées auront des contrats saisonniers de 3à4 mois soumis au droit espagnol suivant les conventions collectives du secteur de l'agriculture dans la région où ces personnes seront acheminées. Cette politique est destinée à favoriser le développement local dans le cadre du concept de la migration circulaire et concertée.
Ensuite elle permet à l'Etat du Sénégal de redorer son blason ternie par cette image de pays pourvoyeurs de clandestins avec notamment les embarcations de fortunes prenant départ le long de la côte, mais aussi par ces rapatriement massifs via des charters sources de problèmes psycho-sociaux.Il s'agit aussi pour le Sénégal de bénéficier de sa large contribution au retour des clandestins et à l'installation du FRONTEX en charge de surveillance des côtes.
Enfin cette politique permet de répondre en partie à la question lancinante et persistante de l'emploi.
-Pour les partenaires espagnols
Cet accord concerté permet une meilleure gestion des flux migratoires avec la préférence faite à la migration de travail et la détermination des quotas des travailleurs pour un temps déterminé.
Par ce moyen aussi l'Etat espagnol s'assure de la collaboration des Etats pourvoyeurs de clandestins aux fins d'un meilleur contrôle des points de départ et une pénalisation renforcée de la migration clandestine.
Avec cette main d'oeuvre légale, l'Etat espagnol réussit à enrichir ses caisses avec les retenues sociales. Ce qui n'aurait été difficile avec les clandestins très souvent employés au noir.
Enfin dernier objectif et non des moindre résorber le déficit de main d'oeuvre dans des secteurs délaissés par les nationaux tout en ayant la liberté de choix des travailleurs.
Cette liberté de choix est à l'origine de la sélection féminine demandée par les partenaires espagnols.
Pourquoi seulement les femmes ?
Les partenaires espagnols ont invoqué le même choix vis à vis de leurs autres partenaires. Certains ont estime que le choix porté sur les femmes se justifie au regard de la délicatesse nécessaire à la cueillette de fraises mais il est permis de penser que la bravoure et la docilité des femmes n'y sont pas étrangères. Et après des négociations serrées (dixit le ministre de la jeunesse et de l'emploi voir annexes) la féminisation de sélection de main d'oeuvre a été effective.
Une fois les objectifs déclinés reste à voir comment la gestion s'est effectuée.
B- Mise en oeuvre de la politique d'exportation
Au niveau de la mise en oeuvre, il s'agit de voir d'une part comment s'est faite la gestion de cette politique d'exportation ensuite de voir stricto sensu l'exécution du contrat objet de l'accord à savoir la cueillette de fraises.
-la gestion de politique d'exportation de main d'oeuvre à Ziguinchor
Apres la signature de l'accord entre les autorités espagnoles représentées par leur ministre du travail et des affaires sociales Mr Jésus Caldera et les ministres de l'intérieur et de l'emploi du Sénégal Messieurs Ousmane Ngom et Mamadou L. Keita il a été mis en place une commission nationale de gestion et de suivi des offres d'emploi dans le cadre de la migration légale (voir annexe).
Il s'est agit ensuite pour le gouverneur de la région de Ziguinchor de porter à la connaissance des administrés par voie de presse qu'il serait procédé à un recrutement de travailleurs pour la cueillette de fraise en Espagne avant d'en faire affichage au CDEPS. Les intéressés devraient constituer un dossier comprenant une photocopie de carte nationale d'identité (CNI), d'un curriculum vitae(CV) et d'une demande manuscrite adresse au gouverneur de région ou au ministre de la jeunesse.
Par arrêté du gouverneur un comite régional a été crée avec des comites restreints au niveau des départements .Cees derniers devaient centraliser au niveau du comite régional tous les dossiers reçus alors que le comite régional avait en charge la présélection des candidates. Cette présélection s'est effectue par tirage au sort en présence de tous les membre du comite régional au fins d'une meilleure transparence.
Ce dossier était à compléter avec un casier judiciaire deux photos et un certificat médical en cas de présélection. La dernière étape de ce processus était l'entretien avec les recruteurs espagnols. Il faut dire sur ce point que les recruteurs se sont faits assister d'un interprète et les questions ont essentiellement tournées autour des capacités des demandeuses à effectuer un travail agricole. Sur un quota de 744 travailleurs demandés au Sénégal la région de Ziguinchor bénéficiait de 45.
Aussi 90 éléments ont été présélectionnés et après entretien le nombre fixe a été retenu avec cependant une liste d'attente en vue de pallier à d'éventuelle défections.
Apres le recrutement définitif, les sélectionnées ont signées les contrats rédigés en espagnol dans les locaux de la gouvernance.
Pour les besoins du passeport et du visa les sélectionnées munies de 20000(quittance du passeport) et de leur CNI ont été acheminée à Dakar à l'école de police. L'ordre de passage pour les sélectionnées de Ziguinchor était le mardi 19 février à 09h et le jeudi 21 pour les dépôts respectifs du passeport et du visa.
Par ailleurs la formation des sélectionnées a eu lieu le même mardi à 15h à l'école de police.
- L'exécution de la cueillette de fraise objet du contrat
Andalousie au sud de l'Espagne. C'est dans cette région à l'est dans la province de Huelva que la campagne de cueillette de fraise a eu lieu.
En effet Huelva, bastion de la fraise en Espagne a vu ses dernières années la main d'oeuvre nationale se détourner de la cueillette de fraise jugée pénible.
La cueillette de fraises nécessite une position courbée en permanence. Aussi désaffecté par les nationaux les exploitants n'avaient d'autre choix que de se retourner vers la main d'oeuvre étrangère.
Et pour une meilleure visibilité des travailleurs saisonniers et une régulation de ce milieu l'Etat espagnol promeut la signature d'accords avec ses partenaires sociaux afin de pallier légalement à ce déficit de main d'oeuvre.
Conformément à la convention collective agricole, l'employeur a l'obligation de prise en charge du billet aller du travailleur et la fourniture d'un logement équipé dont il a la libre détermination du lieu .Pour certaines des cueilleuses interviewées leur logement était sis dans l'exploitation alors que pour d'autres c'était hors de l'exploitation.
Cependant les travailleuses ont du cotiser à hauteur de 10 à 15 euros pour le chauffage .La nourriture faisait aussi l'objet de cotisation. On comprend dés lors la consigne qui leur était faite de se munir d'au moins de 50000francs en guise d'argent de poche car à défaut il fallait pour cotiser demander un acompte à l'employeur.
L'horaire de travail était de 07h 30 à 14h 30 sans pause pour certaines, pour d'autre de 08h à 15h avec une pause de 30mns soit 6h30mns de travail journalier.
Pour la cueillette si certaines étaient astreintes à 30caisses par jour les femmes interrogées ont juste fait état de caisses de 2 à 5 kgs à remplir sans relâche durant le temps de travail.
En ce qui concerne la période de rémunération elle était hebdomadaire ou à la quinzaine.
La rémunération journalière était fixée à 36,17 euros brut (23726 frs) et à 32,77 net (21496 frs) après les retenues au titre des cotisations sociales. D'autres retenues ont étaient effectuées qui pour le billet de retour qui pour les chaussures de travail.
Au dire des cueilleuses la rémunération n'était pas due pour toute journée non travaillée même en cas de maladie de la travailleuse.
Quant à la période de repos tous les soirs étaient libres ainsi que les jours où il a plu et en cas de fraises non mûres. Donc à contrario les dimanches étaient travaillés et il n'y avait pas de jour de repos clairement établi.
II-APPRECIATION CRITIQUE DE LA GESTION DE LA POLITIQUE D'EXPORTATION DE MAIN D'OEUVRE FEMININE DE ZIGUINCHOR
Comme toute oeuvre humaine, cette politique de mobilité de la main d'oeuvre ziguinchoroise ne s'est pas déroulée sans heurts. Des insuffisances ont été notées .Aussi est-il nécessaire au lendemain de cette expérience de corriger les fausses notes, d'encourager les bonnes démarches afin de mieux gérer cette politique pour la plus grande satisfaction de tous les partenaires.
A- Les insuffisances notées dans la gestion de cette politique d'exportation de main d'oeuvre
Apres des discussions avec les cueilleuses rencontrées et entretien avec l'inspecteur régional de la jeunesse de Ziguinchor, nous avons pu établir bon nombre d'insuffisances liées l'une à la formation et à la sensibilisation des candidats (A), l'autre au contrat de travail et à la protection sociale des travailleurs (B).
- Quant à la formation et l'information des candidates
En ce qui concerne la formation, bien que Mr Frederico Barroeta le coordonnateur régional de projet de gestion des flux migratoires du bureau sous-régional de l'OIT pour le sahel ait eu à affirmer dans un entretien accorde à l'agence de presse sénégalaise (APS) le 06 février 2008 que les travailleuses auront à bénéficier d'une formation préalable avant le départ, la projection d'images ayant eu cours à l'école de police répond difficilement à cette notion. Certes objection pourrait m'être faite au motif que la cueillette de fraise ne nécessite pas de formation préalable. Mais nous persistons à penser qu'il fallait davantage leur expliquer ce qu'on attendait d'elles, les conditions de travail vu la pénibilité de la cueillette et leur accorder le temps d'asseoir leur compréhension de la migration circulaire.
Car sans nul doute cette incompréhension ajoutée à la pénibilité du travail est à l'origine de la désertion de beaucoup d'entre elles. En effet sur 45 femmes ziguinchoroises sélectionnées seules 16 ont été recensées à leur retour par le CDEPS et par l'inspecteur régional de la jeunesse. Et d'après les interviewées certaines filles se sont évaporées dans la nature après quelques jours de labeur, même si les employeurs ont pris la précaution de confisquer tous les passeports des travailleuses, d'autre ont honoré leur contrat avant de disparaître dans le pays d'accueil.
Dans la phase des formalités, les femmes de Ziguinchor ont dû se déplacer du sud à dakar. Ce qui n'a pas été du tout repos pour elles.
Or l'Etat du Sénégal a depuis 1996 entrepris un vaste mouvement de décentralisation et nous pensons à ce titre que cela devrait mieux se ressentir dans la gestion de ce processus.
-Quant au contrat et à la protection sociale des travailleuses
En voyant les contrats, les bulletins de paies et les certificats de fin de contrat la première chose qui frappe est leur rédaction en espagnol. Or même si le taux d'alphabétisation dans la région de Ziguinchor est très acceptable ce n'est sûrement pas en espagnol. De sorte que ces femmes ont signé des contrats sans savoir ce à quoi elles s'engageaient.
Et encore pourraient-elles lire en espagnol que cela serait impossible puisqu'on ne leur a laissé le temps que pour soulever les feuilles et y apposer la signature (dixit une des cueilleuses).
En ce qui concerne la protection sociale, des retenues étant opérées au titre de la « cotization securidad social » au taux de 11,50% du salaire brut, l'effectivité des prestations devait être de mise concernant les soins médicaux et la maladie. Ce qui ne semble pas être le cas. Les cueilleuses soulignent avoir puisé dans leur fonds pour leurs soins médicaux. Est ce dû à une ignorance de leur part de ce à quoi leur donne droit leurs cotisations sociales ou une négligence de leurs employeurs ?
En outre autant que l'on sache le Sénégal n'a pas signe des accords avec l'Espagne concernant la sécurité sociale. Aussi nous interrogeons nous de savoir si les travailleurs bénéficieront de la contrepartie des retenues faites au titre de l'IRPF (pension vieillesse) à hauteur de 2% du salaire brut.
B- Pour une meilleure gestion de la politique d'exportation de la main d'oeuvre
Apres une analyse certes pas trop approfondie de cette politique et après avoir relevé ce qui a semblé être à nos yeux des lacunes dans la gestion de ce processus de migration légale nous allons proposer des pistes que nous jugeons intéressantes d'explorer aux fins d'une satisfaction optimale des partenaires à cette politique. Les propositions vont vers la protection sociale des travailleuses et des candidates à une meilleure organisation et suivi du projet.
-Prévoir des accords pour une meilleure protection sociale des saisonniers
Durant les négociations l'Etat espagnol a bien pris soin d'y associer son ministre du travail et des affaires sociales Jésus Caldera, nous pensons que l'Etat du Sénégal devrait faire de même et mieux y ajouter les organisations agricoles. Car qui mieux q'un inspecteur du travail ou un acteur du monde rural peut négocier pour les travailleurs agricoles.
Il fallait aussi à notre avis prévoir et préciser les modalités de versement des pensions de retraites que les cueilleuses ont eu à cotiser. Et pour cela à l'instar de la convention sénégalo- française en matière sociale les autorités sénégalaises devraient en conclure avec l'Etat espagnol aux fins d'assurer l'effectivité des prestations sociales en faveur des cueilleuses.
Ensuite comme en Espagne chaque province a sa convention collective agricole, il aurait été plus judicieux de fournir aux femmes une brochure des textes les concernant afin qu'elles soient plus édifiées sur leurs devoirs et droits et à l'abri de tout éventuel exploitation de l employeur.
-Une meilleure organisation et assurer un bon suivi
L'organisation est au coeur de toute entreprise. Et pour une entreprise de cette envergure que la politique d'exportation de la main d'oeuvre elle est indispensable.
Au niveau des formalités il est préférable de pourvoir aux comités régionaux établis des compétences et l'assistance technique en vue et de la formation des cueilleuses et de la confection des passeports de la même façon que les entretiens ont pu être décentralisés au niveau régional.
Ensuite en ce qui concerne les sélections des femmes nos pensons que la préférence devait être donnée à celles ayant une charge de famille dans le pays d'origine soit des enfants et/ou un mari afin de s'assurer dans une plus grande mesure de leur retour au bercail après exécution du contrat.
Encore à leur arrivée les autorités représentatives de l'Etat du Sénégal aurait du y être mieux associées pour veiller sur le sort de leurs compatriotes afin qu'elles ne se sentent pas livrées à elles même face à leurs employeurs.
Enfin il est à souligner le suivi totalement omis dans ce processus. Avant les cueilleuses ont eu à effectuer une visite médicale pour juger de leur état de santé aussi pensons nous qu'à leur retour la même chose devrait être effectuée car il ne fait aucun doute que la culture de la fraise nécessite l'utilisation massive de produits chimiques pour lutter contre l'araignée rouge.
Il faudrait aussi prévoir des séances de restitution après chaque saison afin d'en faire le bilan au fin d'une meilleure gestion et d'une amélioration de la politique d'exportation de main d'oeuvre.
Dernière remarque, dans l'annexe VII des contrats intitulé « compromiso de retorno » les déclarations que le travailleur s'engage à respecter en signant ont été difficile à suivre puisque étant rédigé en espagnol peu très peu de cueilleuses se sont présentées au niveau des autorités consulaires espagnoles pour signaler leur retour.
Encore un croc-en-jambe dans le suivi de ce programme !!!!!!!!
Cependant il faut souligner que les cueilleuses rencontrées ont admis avoir occupées des logements décents et n'avoir fait l'objet d'aucune discrimination de quelque quel soit, et que leurs employeurs se sont montrés très corrects. On n'est donc loin des horreurs décrites ça et là par certains observateurs. D'ailleurs l'une des femmes rencontrées souhaite ardemment retourner à la prochaine saison. Ce qui aurait été difficilement le cas si des traitements inhumains leur avaient été infligés.
CONCLUSION
Au terme de cette étude assez sommaire, il nous est permis de mieux comprendre et d'expliquer ce processus d'exportation de main d'oeuvre féminine de Ziguinchor vers l'Espagne.
Et même si des inquiétudes ont fusé -comment vont-elles se comporter ?vont-elles revenir ?sauront-elles remplir honorablement leurs engagements ?-il est bon de pouvoir dire que ces inquiétudes n'étaient pas trop fondées même si certaines des cueilleuses ne sont point revenues au Sénégal.
Cependant dans l'ensemble pour une première le Sénégal ne s'en est pas mal tiré. Il reste simplement à peaufiner l'organisation, la gestion et le suivi de ce programme. Il s'agira notamment : -de tenir compte du registre d'inscription des demandeurs d'emplois ouvert dans les locaux de l'inspection du travail pour la base de données de la main d'oeuvre car peu sont au fait que cette structure n'a plus en charge la question de l'emploi dévolu au ministère de la jeunesse. -de mettre davantage l'accent sur la protection sociale des cueilleuses, de mieux les former sur les normes de santé et de sécurité notamment avec les accidents du travail car l'agriculture est le secteur le plus dangereux en Europe après la construction. -d'éviter que d'une exportation temporaire de main d'oeuvre ce programme ne devienne une voie d'immigration permanente.
Il est certes à déplorer que l'accord conclu entre le Sénégal et ses partenaires ne soit pas disponible au public. Cela aurait permis une étude plus poussée et plus complète afin de mieux informer le monsieur tout- le- monde de la politique d'exportation ainsi entreprise.
Et cette analyse n'a été rendu possible qu'avec la parfaite collaboration de l'inspecteur régional de la jeunesse, la disponibilité des cueilleuses interviewées qui par leurs récits détaillés et les documents détenus par elles m'ont fourni de la matière.
D'après les quelques informations reçues l'Espagne aura besoin d'immigres qualifies en grand nombre d'ici 2012(les analystes l'estiment à 250 ou 300 milles d'après le journal Rfi du 23 .10.2008) nous espérons que l'Etat du Sénégal mûri de cette première expérience saura en tirer des leçons afin de mieux négocier en cas d'éventuelle sollicitation des ses partenaires.