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L'assistance médicale au décès en Suisse

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par Garin Gbedegbegnon
Université de Fribourg - MA Politique sociale, analyse du social 2006
  

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3.2. L'absence de sens alternatif au rôle thérapeutique

Ayant pour objet les états pathologiques du corps et le contrôle des manifestations de la douleur, l'expertise médicale est partie prenante du rapport que le mourant établit avec son propre corps. La corporéité étant l'un des support de l'identité narrative76(*), il est envisageable que l'assistance médicale au décès participe du processus de subjectivation inhérent à la construction du statut de défunt. Il s'agit dès lors de saisir les tenants et les aboutissants de la contribution médicale à ce processus de justification et ce que ce dernier implique pour le médecin traitant.

C'est ce qu'explique un médecin pratiquant l'euthanasie, qui considère que le praticien ne peut échapper à une remise en question de son propre rôle, celui-ci étant relatif à la position du mourant. « Dès lors que l'on remet le patient au centre de sa propre histoire, et qu'on lui accorde le droit de dire, je, d'être donc le sujet, un partenaire, un sujet de santé et non un objet de soins dont les soignants disposent et bien alors le médecin doit se repositionner en face de ce patient-là, qui dans sa propre conception des choses demande ou non d'être accompagné par un médecin.77(*) »

Il est intéressant que le praticien interviewé, au-delà de la réflexivité du patient, n'omette pas celle du médecin confronté à la demande euthanasique, en effet il poursuit : « alors le médecin est effectivement en position de se poser la deuxième question, est-ce que moi aujourd'hui, ou demain ou cette semaine, suis-je capable d'accéder à une demande d'un patient, fut-elle une demande d'euthanasie78(*) ».

3.2.1. La réflexivité médicale

L'épuisement thérapeutique requiert du praticien un travail de recomposition identitaire vis-à-vis du patient et du contexte social de leur relation thérapeutique, car il n'a plus de raisons particulières d'être à son chevet à partir du moment où il ne peut plus le guérir. Les soins de proximité et de confort ne relèvent pas directement de sa responsabilité, si l'on tient compte de la répartition des tâches en clinique, en hôpital, voire même en établissement médico-social. Les raisons susceptibles de fonder une présence médicale sont alors plus relationnelles que médicales. Cependant, l'accompagnement du mourant ne s'improvise pas et ne peut se fonder uniquement sur le caractère « humanitaire » de l'activité médicale.

Un médecin relate une expérience marquante d'un patient ayant rejeté toute présente médicale dans sa chambre, parce que les médecins selon lui ne lui étaient plus d'aucune utilité, ne pouvant même pas l'aider à mourir dans de meilleures conditions : « Un moment donné, ce monsieur nous a dit à mon chef de clinique et à moi - écoutez vous êtes très gentils, mais je ne veux plus vous voir. Vous viendrez dans ma chambre si vous m'apportez ce qu'il faut pour que je puisse mourir, sinon je préfère voir les infirmières, elles sont bien plus jolies que vous et pour moi c'est bien plus sympathique et il nous a interdit sa chambre, et ce monsieur est mort un mois plus tard des suites de son cancer. Une demande claire.79(*) ».

Le renouvellement du rôle médical auprès du patient ne va pas de soi. Il suppose que le médecin réalise l'obsolescence de son rôle initial au chevet du patient. Qu'il se défasse de son sentiment d'échec et d'inutilité, tout en ayant admis la situation de rupture. Ce sentiment d'inutilité peut être récurrent, car il réapparaît avec chaque patient mourant. S'il veut maintenir sa présence auprès du patient, garder un rôle signifiant et significatif, le médecin est contraint de se construire une identité alternative donnant un sens à sa présence auprès de l'agonisant. Ce processus identitaire ne se déroule pas sans heurts, comme l'illustre le témoignage susmentionné.

La confrontation répétée du médecin à la mort suppose donc une seconde rupture identitaire80(*) pour qu'il puisse adopter une identité alternative qui fasse sens auprès du mourant et de ses proches, au-delà de la seule réalité thérapeutique. Cette rupture suppose un rééquilibrage non plus seulement entre l'identité profane et professionnelle, mais également entre l'identité professionnelle initialement apprise et le rôle tel que le médecin l'incarne au quotidien, en fonction de sa propre perception de la réalité. Comme évoqué auparavant, en fin de vie, le patient, mais aussi le médecin, recourent à leur propre réflexivité pour signifier une expérience dans laquelle ils sont tous les deux impliqués, sans pour autant disposer d'un cadre symbolique et rituel préétabli leur offrant des modèles de conduite clairs, en somme des supports pour légitimer les actions qu'ils vont entreprendre. Ainsi, ils sont soumis à la contrainte de devoir juger par eux-mêmes de la nature de la situation où ils se trouvent, pour convenir non seulement d'une stratégie adéquate, mais aussi d'une manière convenable d'agir.

* 76 Présentant la notion de « chaîne biographique », Danièle Carricaburu et Marie Ménoret montrent que l'identité narrative consiste en l'articulation de trois supports essentiels : le « temps biographique », en somme la définition d'une temporalité personnelle, les « conceptions de soi », en tant que perceptions de soi objectivées, et les « conceptions du corps », autrement dit la définition individuelle d'une corporéité. Cf. CARRICABURU D. & MENORET M., Sociologie de la santé. Institutions, professions et maladies, Paris, Armand Colin/SEJER, 2004, p. 118.

* 77 P4 249192 (111 :116)

* 78 Ibid. (116 :119)

* 79 P3 193573 (86 :93)

* 80 Selon Fred Davis, une rupture identitaire se produit dans le passage d'une identité profane à une identité professionnelle. Dans un travail consacré à la formation infirmière, cet auteur aborde la question de la stabilisation de l'identité professionnelle intériorisée par l'ajustement successif des actions aux dépens de l'identité profane initiale. Selon lui, cette stabilisation nécessite l'appropriation du discours professionnel et l'adhésion à des modèles professionnels par le biais des stages, d'où la notion de « conversion doctrinale » qu'il utilise. Cf. DAVIS F., cité in Carricaburu D. & Ménoret M., op. cit. , p. 62.

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