L'assistance médicale au décès en Suisse( Télécharger le fichier original )par Garin Gbedegbegnon Université de Fribourg - MA Politique sociale, analyse du social 2006 |
2.3.2. La traduction« J'ai eu deux ou trois fois des téléphones des médecins de district. Je comprends pas au fond votre décision. J'ai dit, vous savez, je ne peux pas écrire un roman, il y avait ça et ça et ça, oui c'est en ordre. Sil n'avait pas été content, il serait allé plus haut. Voyez j'ai fait aujourd'hui ce rapport pour cette vieille dame, c'est quatre pages. J'essaie de faire comprendre au médecin qui doit juger si c'est juste ou non, qu'il comprenne. Dernièrement on avait une vieille femme de quatre-vingt-dix ans et quelque chose où la police et le médecin ont dit c'est un petit peu pauvre comme diagnostic du médecin traitant. (...). L'accompagnant a donné mon rapport, ah, maintenant on comprend le pourquoi. Parce que justement elle voyait presque plus rien, entendait mal, elle avait un trouble de la parole parce qu'elle avait une hémiplégie. Elle avait toujours des querelles avec son mari. Elle disait quelque chose et lui ne comprenait pas. Ça il faut essayer de le faire comprendre.159(*) » Dans le cadre de l'assistance au suicide telle qu'elle est pratiquée dans le cadre d'associations comme Exit Zurich, le médecin ne participe pas tant de la construction du sens initial du projet thanatologique. Ce rôle qui incombe désormais à l'accompagnant. Le rôle de médecin conseil consiste plutôt à la constitution du dossier médical qui sera utilisé lors de l'établissement du constat de décès et de police, ainsi que pour le contrôle effectué par le médecin de district ou cantonal, selon que l'acte a lieu en campagne, respectivement ville, en ce qui concerne du moins le canton de Zurich. Le dossier du médecin conseil remplit la fonction d'outil de contrôle. Il s'agit de pouvoir s'assurer de la capacité de discernement du mourant et du caractère incurable de sa maladie. Ne participant pas activement à la signification et à l'élaboration du projet thanatologique, le rôle du médecin-conseil n'est plus primaire, mais secondaire. Il exerce un certain contrôle du point de vue de l'accès du mourant au produit létal, le pentobarbital. La traduction consiste donc à favoriser l'accès à l'assistance au suicide au patient, de manière à ce qu'il jouisse de conditions optimales éloignant les risques de bavure, de manière à ce que les autorités judiciaires et médicales ne s'y opposent pas. La différence essentielle entre la traduction et l'intercession est que le but final est connu de tous les acteurs. Il est par conséquent inutile que l'acte soit masqué, par contre il est primordial qu'il satisfasse aux principes des différents mondes en présence, que ce soit la famille ou le corps médical en tant que relais de l'État, organe de la santé publique. Juridiquement, médicalement, socialement, la trajectoire du mourant doit être rendue compréhensible pour tous les acteurs en présence, afin que la volonté du mourant de mourir selon sa propre décision soit acceptée. Il s'agit pour le médecin-conseil d'Exit d'objectiver la trajectoire et la situation du mourant de telle façon que les conditions de légitimation du suicide assisté soient assurées. Dans la traduction et dans l'intercession, c'est le sens que la personne donne à son expérience morbide qui est au centre du projet. Le médecin a un rôle secondaire d'exécutant ou de facilitateur vis-à-vis des tiers.Il est en quelque sorte au service de la personne. Le premier rôle est tenu par le mourant qui décide des conditions de sa décès. La différence cependant entre l'intercession et la traduction est que cette dernière suppose une entente entre le mourant, le médecin, la société civile et le monde médical, alors que la première ne poursuit pas l'entente explicite, un compromis, mais simplement une silence tacite. L'intercession vise l'évitement de la mise à l'épreuve du projet thanatologique par les interlocuteurs du médecin ; alors que la traduction ne peut pas s'en passer. En effet, la mise à l'épreuve de la trajectoire du mourant et la vérification que le projet de suicide s'inscrive dans le contexte légal, sont un passage obligé. La loi est ici la forme juridique du compromis social qui entoure la pratique de l'assistance au suicide. Ce contrôle social établi par le biais juridique, les médecins semblent l'admettre et s'y soumettre sans peine, étant donné que cela leur offre une certaine sécurité face aux poursuites pénales et qu'au final le souhait de la personne mourante est exaucé. « Les choses sont faites au vu et au su, il y a un certain contrôle et je comprends ce contrôle de la société. Je n'ai pas peur d'annoncer les choses à la justice, voilà les tenants et les aboutissants (...). Un garde-fou, je n'ai pas peur de ce garde de fou, il ne me gêne pas, bien au contraire. Je comprends que la société ait besoin d'un garde-fou. Et ce garde fou c'est le contrôle externe de la justice160(*) » * 159P6 947129 (912 : 925) * 160 P3 192573 (469 : 482) |
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