CONCLUSION
Les Unions monétaires en Afrique qui existent entre les
pays de la zone Franc sont représentées par les deux banques
centrales dont nous venons d'étudier le régime juridique,
à savoir la BCEAO et la BCEAC. Dans les deux zones, l'intégration
monétaire prend la forme d'une monnaie unique (le Franc CFA) et une
convertibilité totale c'est-à-dire l'absence des contrôles
de change, soit sur la monnaie, soit sur les transactions de capitaux.
Dans d'autres régions d'Afrique, la coopération
monétaire a été réalisée grâce
à des accords de compensation et de paiements bilatéraux ou
multilatéraux pour parvenir à une convertibilité
limitée de la monnaie.
Au niveau des Communautés économiques
régionales, telles que la Communauté économique des Etats
de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) et le Marché commun de l'Afrique
orientale et australe (COMESA), la coopération monétaire est
programmée pour aboutir à des zones monétaires uniques
bien que les progrès aient été jusqu'ici lents. Au niveau
continental, l'Article 44 du Traité instituant la Communauté
économique africaine (AEC) et l'Article 19 de l'Acte constitutif de
l'Union africaine ont respectivement demandé la création de
l'Union monétaire africaine par l'harmonisation des zones
monétaires régionales et la création de la Banque centrale
africaine.
Avec l'avènement de la monnaie unique en Europe, les
vertus de l'intégration économique et monétaire semblent
plus que jamais admises : accroissement des investissements, meilleure
répartition des ressources, augmentation de l'épargne
intérieure et une intermédiation financière
renforcée ainsi qu'une croissance des échanges internationaux.
Sur le plan strictement financier, elle permet une plus grande
stabilité de la monnaie, des réserves en devises importantes et
une plus grande liberté de choix entre les biens, services et
créances extérieures et intérieures.
Tirant les leçons de cette expérience
européenne et pour mieux faire face aux enjeux et défis de la
mondialisation, les chefs d'Etats et de gouvernements de la CEDEAO,
réunis en décembre 1999 lors 22ème sommet de
l'organisation à Lomé, au Togo, ont réaffirmé leur
volonté politique de renforcer l'intégration économique
à travers la mise en place d'une union économique et
monétaire au sein de la CEDEAO. C'est dans ce cadre qu'ils ont mis en
place une nouvelle approche consistant à créer dans un premier
temps une «seconde zone
monétaire» pour les Etats non membres de la zone
CFA puis dans un second temps fusionner cette zone avec la zone CFA.
Le principe de la création de cette zone a pour
objectif à terme la mise en place de la zone monétaire unique de
la CEDEAO, ce qui devrait permettre aux pays non membres de l'UEMOA,
essentiellement anglophones, exception faite de la Guinée, de
créer ensemble une deuxième zone monétaire qui devrait
fusionner avec la zone CFA.
Pour atteindre ce but, des critères de convergence ont
été définis, dont les objectifs sont de réduire au
maximum les différences entre certaines variables
macro-économiques, plus précisément les taux d'inflations
et les déficits budgétaires, et de renforcer les performances des
Etats en matière de politiques économiques et financières,
notamment, en terme de croissance économique.
Sur le plan institutionnel, les Etats membres de la seconde
zone monétaire qui utilisent différentes monnaies, à
savoir : le Cédi au Ghana, le Dalasi en Gambie, le Dollar au
Libéria, le Leone en Sierra Leone, le Franc guinéen en
Guinée (Conakry), et le Naira au Nigeria, ont créé
l'Institut monétaire de l'Afrique de l'Ouest (IMAO) dont les membres
sont les Banques centrales des Etats membres (Banques centrales nationales).
L'IMAO doit assurer en collaboration avec le comité
technique, la gestion des phases de mise en oeuvre de la ZMAO jusqu'à la
réalisation des conditions nécessaires au passage à la
phase de lancement de la Banque Centrale de l'Afrique de l'Ouest (BCAO).
La mise en place d'une monnaie unique en Afrique de l'ouest
est censée faciliter la libre circulation des capitaux et une plus
grande intégration des économies de la région en un
marché unique de près 250 millions d'habitants. Nombre de pays de
cette sous région étant des petits pays en terme de population et
de PIB, l'union monétaire est perçue comme un moyen de
réaliser l'intégration économique des pays de la CEDEAO et
de promouvoir la coopération et le développement dans tous les
domaines.
Si la création d'une monnaie unique et la mise en place
d'une zone monétaire commune sont aujourd'hui largement
souhaitées en Afrique de l'Ouest en raison des avantages attendus, il
convient cependant de souligner que la mise en place au sein de la CEDEAO d'une
future monnaie unique ne va pas sans soulever la problématique de la
continuité des accords de coopérations monétaires avec la
France.
En effet, le fonctionnement de la zone CFA à travers le
compte d'opération du Trésor français sera d'autant plus
difficile à garantir par la France que la future zone monétaire
de la
CEDEAO intégrera des pays comme le Nigeria, géant
économique de la sous région tant par sa population que par son
poids économique.
Par ailleurs il faut préciser que toute extension de la
Zone CFA devra être avalisée par les autres pays européens
et la Banque centrale européenne.
En outre, la perspective de la création d'une monnaie
unique indépendante soulève pour les pays membres de la CEDEAO la
question de savoir à quelle monnaie forte et stable s'arrimera la future
politique monétaire des pays africains de la CEDEAO. Mais la
réponse à cette question dépend d'un préalable.
Dans l'optique de la création d'une zone monétaire unique en
Afrique de l'ouest, il faudra d'abord savoir pour quel type de régime
monétaire opteront les pays de cette future zone économique, vu
que le régime de parité fixe est actuellement très
critiqué.
Cette croissante aversion des intellectuels africains pour ce
type de régime monétaire découle entre autres du fait que
depuis les attentats du 11 Septembre 2001, les autorités
américaines pratiquent délibérément une politique
du dollar faible. Ce qui, pour l'heure, conduit à un enrichissement du
Franc CFA, de par sa parité fixe à l'Euro. Cette situation,
accentue la perte de compétitivité des pays africains de la zone
Franc dans le commerce mondial. En effet, la parité fixe du Franc CFA,
à un moment où l'Euro est fortement apprécié sur
les marchés, nuit aux revenus des exportations de la zone Franc,
notamment pour les pays non producteurs de pétrole. Leur
compétitivité en prend un sacré coup. Ce qui fait dire
à certains observateurs qu'en pratiquant une politique de taux flottant,
ces pays vendraient probablement plus de produits qu'ils ne le font
maintenant.
Il sera donc primordial que les pays africains fassent un
choix intelligent du système monétaire dont découlera
toute leur politique monétaire qui comme on le sait est une arme qui
leur permettra de réguler la vie économique et sociale de leurs
pays (pour preuve, les autorités américaines s'en servent
aujourd'hui pour régler leur déficit commercial ; de même,
la Chine est très critiquée pour la manière astucieuse
qu'elle a de mettre sa monnaie au service de son économie).
Mais, le tout est de trouver la bonne solution ; non pas pour
faire plaisir à la France et à l'Europe ou par simple
réflexe nationaliste, mais la solution qui donnerait une
véritable impulsion aux économies des pays d'Afrique de
l'ouest.
Nous pensons que plusieurs cas de figures sont envisageables
avec deux tendances principales.
Dans une première approche, on pourrait
considérer que la souveraineté monétaire n'est pas une
urgence et que les solutions d'arrimage de la future monnaie unique
régionale à une monnaie forte sont à privilégier.
Dans cette optique, il faudrait, en vue de prendre en compte l'ensemble des
pays de l'Afrique de l'ouest et notamment ceux de l'ECOWAS :
- renégocier tous les accords qui sont la base
juridique de la zone Franc afin de mettre en place un véritable
système de «currency board» dans lequel la France
abandonnerait toutes ses prérogatives (à la BCE, si l'Euro est la
monnaie d'ancrage choisie par les Etats de cette future union
monétaire).
- dans le cadre d'une politique à taux fixe une
réévaluation de la monnaie serait fort probable compte tenu des
efforts d'harmonisation et de convergence qu'il faudra engager ; la
réévaluation de la monnaie reste la seule possibilité
d'adapter son taux de change à un contexte difficile pour la croissance
économique. Les arguments utilisés pour la dévaluation de
1994 sont tout aussi vrais aujourd'hui, sur un plan purement
économique.
Dans une seconde approche, on opterait pour une totale
indépendance monétaire ce qui signifierait la fin de tous les
accords signés avec la France et dans cette hypothèse, il
faudrait songer à mettre en place une Politique de taux flexible.
L'avantage de cette solution est que la valeur de monnaie dépend
exclusivement des performances et donc de la vigueur des économies des
pays qui y sont soumis. De plus, le fait d'avoir une monnaie à taux
flexible contraint les pays membres à une discipline économique
qui ne pourrait qu'être bénéfique. L'exemple de la zone
Euro est encore suffisamment parlant. Cela donnerait plus de force aux banques
centrales qui se concentreraient plus sur la politique monétaire et
laisseraient le terrain du développement aux structures
spécialisées.
Notons que dans cette hypothèse également (et
même encore plus que dans la première) il sera nécessaire
de passer par une période transitoire et d'harmonisation des zones
monétaires régionales.
En tout état de cause, l'exemple de l'UE nous prouve
bien que le processus menant à cette intégration monétaire
risque d'être long et laborieux car elle suppose des efforts
titanesques
tant sur le plan de l'harmonisation que de la
décentralisation des prérogatives des autorités nationales
vers des autorités sous-régionales voir continentales.
L'arrimage du Franc CFA à la monnaie européenne,
suite à la disparition du Franc français doit être
considéré comme une période de transition. La monnaie dans
laquelle les principales transactions africaines (vente de matières
premières) sont payées est le dollar américain. L'Euro
s'apprécie par rapport au dollar ce qui a pour conséquence
automatique une appréciation du Franc CFA en fonction de l'Euro. Cette
situation où la quasi-totalité des échanges se fait avec
l'Union européenne aux dépens du commerce intra régional
ne peut s'inverser que si le Franc CFA se fond dans une nouvelle monnaie de
l'Afrique de l'Ouest. Encore faut-il que les critères de convergence
soient effectivement respectés, créant une situation de
stabilité, propice à une mutation monétaire.
Mais en fin de compte, on en revient touj ours à la
problématique de savoir si en restant dans la zone euro, le Franc CFA
permet la croissance économique des pays africains ou constitue un
mécanisme d'appauvrissement desdits pays.
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