Le rôle des investisseurs institutionnels dans la gouvernance des sociétés cotées( Télécharger le fichier original )par Koussay AMMAR Université Bordeaux IX - DEA en Science de Gestion 2003 |
INTRODUCTION GENERALELes investisseurs institutionnels sont devenus des acteurs prédominants dans l'économie mondiale. Ils jouent un rôle moteur dans l'internationalisation des marchés financiers (Plihon, 1999) ; ils ont acquis la première place en tant qu'actionnaires dans de nombreuses entreprises (Morin, 1998) ; ils sont en mesure d'influencer la gestion de ces entreprises d'une manière parfois décisive, même s'ils demeurent pour chacun d'entre eux des actionnaires minoritaires (Jeffers et Plihon, 2002). De plus, les investisseurs institutionnels sont les acteurs qui détiennent aujourd'hui la fraction la plus élevée des titres cotés sur le marché financier international. En 1998, selon les statistiques de l'OCDE (organisation of co-operation and development economic), les actifs financiers détenus par les investisseurs institutionnels sont près de 30 000 milliards de dollar, ce qui dépasse le PIB global des pays industriels (l'Europe de quinze, le Japon et les Etats-Unis ) (Jeffers et Plihon, 2001). D'après Ponssard (2001), même si les investisseurs institutionnels détiennent individuellement une part réduite dans le capital des sociétés, ils ont des exigences communes auprès les firmes dont ils sont les actionnaires. Agissant pour le compte de tiers, les zinzins présentent un certain nombre de traits fondamentaux similaires qui se traduisent par une exigence précise, celle de favoriser la valeur actionnaire. Ainsi, les investisseurs institutionnels sont chargés à contrôler les mécanismes de gouvernance d'entreprise qui permettent d'aligner l'intérêt des dirigeants sur ceux des actionnaires. Selon la littérature académique, ces investisseurs regroupent quatre types principaux d'institutions : les banques, les fonds d'investissement (les organisations de placement collectif), les compagnies d'assurances et les fonds de pension (Capy et Hirigoyen, 2001). Le poids de ces différentes institutions financières est très variable selon les pays. Les fonds de pension dominent aux Etats-Unis, tandis que les assurances ont le plus gros portefeuille au Japon ; en France la première place revient aux OPCVM1(*) (Jeffers et Plihon, 2002). . Les gestionnaires des fonds de pension sont confrontés à l'alternative suivante lorsqu'ils détiennent des actions d'entreprises peu performantes : soit ils vendent ces actions (exit), soit ils encouragent ces firmes à modifier leurs stratégies par l'intermédiaire de l'exercice des droits de vote que leur confèrent ces actions (voice) (Wahal, 1996) et (Hervé, 2001).La manifestation de ce dernier comportement est appelé à travers la littérature de l'activisme2(*) des investisseurs institutionnels La plupart des études concernant le rôle des investisseurs institutionnels soulignent que depuis le milieu des années 80 ces investisseurs ont commencé à utiliser leur force. Le rôle que jouent les institutionnels sur la gouvernance des entreprises repose sur leur capacité à faire prévaloir leurs propres critères de ce qui doit être une bonne gouvernance d'entreprise (Dietsch, 2003). La littérature concernant la gouvernance d'entreprise indique qu'il y a cinq critères retenus par les investisseurs institutionnels pour évaluer la gouvernance (Jeffers et Plihon, 2001) : Ø la composition du conseil d'administration (l'indépendance des administrateurs) Ø la protection des droits des actionnaires : le respect du principe une action- une vote Ø la transparence et la qualité de l'information transmise aux actionnaires. Ø l'absence de mesure anti-OPA. Ø la publication des rémunération des dirigeants et la conformité des incitations financières des ces derniers à l'objectif de maximisation de la valeur actionnariale. Selon Jeffers et Plihon (2002), les programmes de privatisation en Europe ont joué un rôle fondamental dans la montée en puissance des investisseurs institutionnels anglo-saxons (et surtout les américains) dans le capital de grandes entreprises européennes, notamment françaises. Donc c'est la montée en puissance des investisseurs institutionnels anglo-saxons dans les circuits d'intermédiation et sur toutes les places boursières européennes qui valorise la liquidité des marchés et la protection des minoritaires (Boutillier et al, 2002). En effet, la vision de Berle et Means (1932) concernant la dispersion de l'actionnariat a été supposée d'être applicable universellement. Mais, plusieurs études et recherches (par exemple, l'étude de M. Becht, C. Mayer, 2002) ont récemment montré que cette vision est limitée aux pays anglo-saxons. Ces études constatent que le degré de la concentration de propriété est particulièrement élevé en Europe continentale, où le principal blockholder détient en moyenne presque la moitié du capital. De plus, Becht et Mayer (2002) montrent que la concentration ne s'explique pas seulement par la présence d'un grand actionnaire, mais aussi par l'absence d'un autre actionnaire majoritaire. En revanche, aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne, le deuxième (et troisième) actionnaire ne est pas différent du premier. Les entreprises européennes présentent une autre déviation majeure de la structure de propriété et de contrôle proposée par Berle et Means (1932). Les structures de contrôle de ces entreprises ne coïncident pas nécessairement avec les structures de propriété. Et ceci s'explique par le recours plus ou moins important à une gamme étendue d'outils et mécanismes juridico-financiers permettant de dissocier la propriété du contrôle, tels que les actions sans droits de vote, L'émission de plusieurs classes d'actions avec droits de vote différenciés, la constructions pyramidales....etc. Ces outils, dont la finalité majeure concerne précisément l'encadrement du pouvoir actionnariale, protègent les dirigeants et les blockholders contre les OPA hostiles et l'influence des actionnaires. Avec la thèse de la séparation entre la propriété et le contrôle (Berle et Means, 1932), les petits actionnaires n'ont pas d'incitations suffisantes pour s'engager dans une activité de monitoring des dirigeants .Ainsi, un peu de concentration de propriété va peut-être résoudre le problème d'agence managérial (Berle, 1958)3(*). Mais, la concentration de propriété en Europe déplace le problème d'agence managérial au sein du groupe des actionnaires entre les détenteurs de blocs et les minoritaires. Le modèle européen de gouvernance d'entreprise empire ce problème d'agence à cause de l'utilisation des mécanismes de séparation entre la propriété et le contrôle En réalité, le groupe d'intérêt qui exerce un contrôle sur la société possède le pouvoir de disposer des flux de richesse créés dans son unique intérêt, au détriment des autres actionnaires. Les moyens disponibles sont relativement nombreux et c'est la raison pour laquelle la littérature académique s'est penchée sur la question de ces transferts, qualifiés de bénéfices privés ` private benefits of control', notion à opposer à celle des « bénéfices publiques » dont profite l'ensemble des actionnaires (Le Maux, 2003, p.64). Selon Dyck et Zingales (2003), la littérature concernant la protection des actionnaires minoritaires ne repose pas sur le problème d'agence managérial mais plutôt sur la taille des bénéfices privés que un grand actionnaire peut attirer.
Ainsi, lorsque les investisseurs institutionnels anglo-saxons investissent dans une entreprise européenne, leur principal objectif sera la protection des droits des actionnaires minoritaires. Donc, ils vont essayer de freiner le phénomène des bénéfices privés. Or, c'est à ce niveau que notre problématique prend véritablement corps, avec un certain nombre de questions fondamentales dont les réponses restent à trouver. Parmi les questions qui nous ont interpellées : Ø Est-ce que l'existence d'un actionnariat institutionnel peut empêcher les détenteurs de blocs d'attirer les bénéfices privés ? Ø Si oui, quelles sont les méthodes poursuivies par les investisseurs institutionnels pour atteindre cet objective ? Ø Quelles sont les implications des investisseurs institutionnels anglo-saxons pour les pratiques du modèle européen de la gouvernance ? Ø Jusqu'à quel point le modèle européen de la gouvernance résiste-t-il aux changements proposés par des investisseurs institutionnels anglo-saxons ? En d'autres termes, jusqu'à quel point peut-on considérer les bénéfices privés comme un obstacle auquel les zinzins doivent faire face ? Ø Est-ce que les investisseurs institutionnels anglo-saxons favorisent leur perspective de court terme (la rentabilité boursière) ou la perspective de long terme de la gouvernance européenne ? Notre travail se subdivise en deux parties. La première partie est consacrée à la mise en évidence d'un modèle européen de la gouvernance d'entreprise. Donc, le premier chapitre de cette partie va présenter une vision globale de « corporate governance », et puis, le deuxième chapitre sera consacré à une analyse approfondie des spécificités de la gouvernance européenne. La deuxième partie nous permet d'approfondir l'analyse du rôle des investisseurs institutionnels anglo-saxons dans les modèles européens de la gouvernance des sociétés cotés. Nous développerons cette deuxième partie en deux grands chapitres. Dans le premier, nous analyserons la montée en puissance des investisseurs institutionnels anglo-saxons comme un nouvel acteur actif sur le marché financier international (dont le marché européen). Ensuite, dans le deuxième chapitre, nous étudierons, premièrement, le rôle joué par les investisseurs institutionnels anglo-saxons dans le processus de la convergence du modèle européen de la gouvernance vers le modèle anglo-saxon. Deuxièmement, nous allons voir comment les bénéfices privés (private benefits of control) peuvent être considérés comme un obstacle auquel les zinzins doivent faire face par l'utilisation de plusieurs méthodes. * 1 OPCVM : Organisation de Placement Collectif en Valeurs Molières. * 2 Notons d'abord que l'on ne peut parler d'activisme que pour certaines catégories d'investisseurs institutionnels, les fonds de pension en particulier. L'activisme est plutôt rare chez les banques et les fonds d'investissement ou les assurances (Dietsch, 2003). * 3 Cité par Becht et Mayer (2002). |
|