4.6. DISCUSSION
Durant les douze dernières années,
l'intérêt de la prise en charge du dysfonctionnement diastolique a
été très marqué. Brutsaert d'Anvers a
étudié 31 index de la fonction diastolique du VG évaluant
la relaxation diastolique, la rigidité et la compliance (BRUTSAERT et
al., 1985).
L'altération de la composante diastolique du VG est un
substratum physiopathologique important de la symptomatologie de l'insuffisance
cardiaque congestive induite par l'hypertension, de la cardiopathie
ischémique et des cardiomyopathies (INOUYE I. et al., 1984 ; BONOW R.O.
et al., 1981 ; TOPOL E.J. et al., 1985).
Réalisable et non-invasive, l'écho-Doppler
cardiaque est un outil utile dans l'étude de la fonction diastolique
(SPIRITO P. et al., 1986 ; ROCKEY R. et al., 1985 ; IMASE M. et al., 1987).
La fonction systolique du VG pourrait être normale chez
des sujets présentant des signes fonctionnels et physiques d'une
insuffisance cardiaque congestive ayant comme cause une dysfonction diastolique
(DOUGHERTY A.H. et al., 1984 ; SOUFER R. et al., 1985 ; SIMONS M. et al., 1986
; AGUIRRE F.V. et al., 1981 ; AROESTY J.M. et al., 1985).
L'analyse des index de la fonction diastolique est fort
complexe puisque le remplissage du VG dépend de la relaxation
myocardique, de la suction diastolique, des forces visco-élastiques du
myocarde, de la contractilité ventriculaire et auriculaire, de la
restriction péricardique, de l'interaction interventriculaire et de la
fréquence cardiaque (WILBUR Y.W., 1989).
La présente étude a été
réalisée pour comparer les vitesses transmitrales au repos des
patients infectés par le VIH asymptomatiques ou plan cardiovasculaire
à celles des sujets normaux. Par une méthode atraumatique, nous
avons mis en évidence les perturbations de la fonction diastolique chez
des patients à différents stades de l'infection VIH et sans
signes cliniques d'insuffisance cardiaque.
1. SIDA et dysfonctionnement diastolique du VG
La présente étude démontre une diminution
de VE et de VE/VA mais aussi une augmentation des variables VA et DHT plus
marquées au stade A qu'au stade C de l'infection VIH. Chez ces patients
infectés par le VIH, nous notons une corrélation négative
entre VE/VA et l'index de masse du VG, mais une corrélation positive
entre DHT et l'index de masse du VG (Figure 5). L'atteinte du remplissage
précoce du VG a aussi été retrouvée en France
auprès des porteurs VIH positifs asymptomatiques et symptomatiques, la
performance systolique restant globalement intacte (COUDRAY N. et al.,
1995).
L'altération de la relaxation myocardique est
appuyée par l'allongement pathologique du temps de relaxation
isovolumique aux stades précoces de l'infection VIH (IVRT Groupe II =
103,9 #177; 19,3). Au stade SIDA, le temps de relaxation isovolumique (IVRT
Groupe I = 87,2 #177; 12,4) est dans les limites normales mais reste plus long
que celui de sujets séronégatifs (IVRT Groupe III = 79,4 #177;
12,9, p < 0,001) et plus court que celui des patients au stade A de
l'infection VIH sans différence statistique significative (p < NS).
Coudray N. et al. ont aussi observé un allongement du temps de
relaxation isovolumique chez des patients asymptomatiques au stade
précoce de l'infection VIH.
La gradation des troubles de remplissage à partir du
flux transmitral a été décrite en trois stades (APPLETON
et al., 1988) : ces stades traduisent la progression habituelle d'un trouble de
remplissage. C'est le stade I de Appleton qui caractérise chez ces
noirs infectés par le VIH la réduction en protodiastole du
remplissage ventriculaire gauche.
Le dysfonctionnement diastolique noté chez ces patients
noirs avec infection VIH est le témoin de l'étape initiale de
l'atteinte myocardique associée à l'infection VIH. Ce
dysfonctionnement diastolique s'installe progressivement avec les stades de
l'infection VIH : les complications cardiaques observées comprennent
l'incidence d'une cardiomégalie chez 26,6% des patients, une
augmentation de l'index de masse du VG (147 + 28g/M2), un
allongement de la relaxation du VG (DHT 106 + 20 m/s) et une
accentuation de l'atteinte de la phase de remplissage diastolique
précoce (diminution de VE : 0,44 + 0,1 m/s).
2. Etiologies de la dysfonction diastolique du VG au cours
du SIDA
Le mécanisme étiopathogénique de
l'atteinte myocardique associée à l'infection VIH n'est pas
encore élucidé. Cependant, plusieurs études ont
rapporté une fréquence élevée des cas de
myocardites et de cardiomyopathies (AUTRAN et al., 1983 ; SILVER Metal, 1984 ;
FRIEDMAN K. et al., 1982 ; COHEN I.S. et al., 1986 ; CALABRESE L.H. et al.,
1991 ; JOSHI V.V. et al., 1988 ; KAMINSKY H.J. et al., 1988 ; LEIDIG G.A.,
1991 ; REILLY G.M. et al., 1988 ; FINK L. et al., 1984 ; CAMAROSANO C. et
al., 1985 ; LEVY W.S. et al., 1989 ; STEINHERZ L.J. et al., 1986 ; ALTIERI
P.I. et al., 1994 ; KERSKOWITZ A.H., 1993 ; LASSAIGNE D. et al., 1990 ;
ANDERSON D.W. et al., 1988).
Il est bien établi aujourd'hui que la fonction
diastolique du VG est altérée par les cardiopathies
ischémiques, l'hypertension artérielle et la cardiomyopathie
hypertrophique (HARIZI R.C. et al., 1988). Les facteurs physiologiques
influencent aussi les changements de la fonction diastolique du VG (BRUTSAERT
et al., 1985).
Plusieurs étiologies possibles sont à l'origine
de la dysfonction cardiaque associée à l'infection VIH :
l'invasion néoplasique du myocarde, des carences nutritionnelles, la
cardiotoxicité liée aux médicaments ou à la drogue
et des myocardites (REILLY G.M. et al., 1988 ; BAROLDI G. et al., 1988 ; LEWIS
W. et al., 1985 ; CALABRESE L.H. et al., 1987 ; LEWIS W. et al., 1992 ;
HERSKOWITZ A. et al., 1992).
Aucun des patients de la présente étude ne
signale une histoire médicale d'hypertension artérielle, de
péricardite liquidienne, d'insuffisance coronaire, de
bronchopneumopathies chroniques, d'alcoolisme et de traitement anti-retroviral.
Si ces dernières conditions physiopathologiques susceptibles de
perturber la fonction diastolique du VG sont absentes chez ces patients VIH
positifs du Zaïre, il faut signaler la découverte de l'hypertrophie
concentrique du VG, (index de masse du VG 147 + 28g/M2). La
corrélation entre l'index de masse du VG et VE/VA et DHT (Figure 5)
confirme l'action de l'hypertrophie du VG sur le remplissage diastolique : la
diminution du VE/VA et l'allongement du temps de décelération
avec l'augmentation de la masse du VG décrivent un flux mitral de
type I d'Appelton (APPELTON et al., 1988).
L'échographie du coeur a montré l'existence
d'une hypertrophie concentrique prépondérante au stade
précoce ( A VIH + : 22/30 patients) et quelques cas d'hypertrophie
excentrique au stade SIDA (3/19 patients). Il n'existe pas de dilatation du
VG. A la question de savoir s'il y a des liens pathogéniques entre
l'infection VIH et les cardiomyopathies hypertrophiques,
l'épidémiologie des cardiomyopathies idiopathiques en Afrique y
répondrait par l'affirmative. En effet, les cardiomyopathies
hypertrophiques idiopathiques y sont rares. Mais il est aussi possible que
cette association soit fortuite. Le VIH pourrait stimuler les
proto-oncogènes des cellules infectées et augmenter la masse
cardiaque : un accroissement significatif de la masse cardiaque a
été observé au cours d'une étude prospective sur 5
ans chez 46 enfants sur 56 infectés par le virus VIH (LIPCHULTZ S. et
al., 1989). La cardiomyopathie hypertrophique est souvent associée
à une dysfonction du remplissage diastolique : l'onde VE diminue s'il
n'y a pas de régurgitation mitrale surajoutée (TAKENAKA et al.,
1986).
Cette hypertrophie du VG a été plus
retrouvée chez l'homme que chez la femme à tous les stades de
l'infection VIH, la différence statistique étant hautement
significative au seuil de p < 0,001.
Tous les sujets admis dans la présente étude
sont jeunes (VIH+ 28 #177; 4 ans, SIDA 27 #177; 4 ans, contrôles 29 #177;
4 ans) sans différence de plus de 30 ans entre les plus jeunes et les
plus âgés (un seul âgé de 50 ans dans le groupe
témoin), ce qui exclut l'effet de l'âge sur la courbe de
remplissage du VG. En effet la morphologie de la courbe du flux mitral se
modifie avec l'âge du sujet normal : à 20 ans, le rapport VE/VA
est proche de 2 pour chuter à 1,5 à 40 ans et atteindre 1 vers 60
ans. La contribution auriculaire augmente donc avec l'âge. De
même, le temps de décélération (DHT) a tendance
à s'allonger avec l'âge (PEARSON A.C. et al., 1987).
Pour éviter les effets de la tachycardie sur le flux
diastolique, seuls les patients avec une fréquence cardiaque
inférieure à 96/min ont été inclus dans la
présente étude. Concernant la fréquence cardiaque, aucune
différence significative n'est notée entre les patients
infectés par le VIH et les sujets normaux. Les modifications de VE, VA,
DHT et d'IVRT présentées dans ce travail ont été
réalisées chez des sujets en rythme sinusal normal.
Néanmoins au cours de l'évolution de l'infection VIH, 16 patients
sur 19 au stade SIDA (84,2%) et 12 sur 30 séropositifs au stade A (40%)
ont présenté une tachycardie respectivement de l'ordre de 128
#177; 4 battements/min et de 129 #177; 4,1/min (p = NS). Malgré la
tachycardie il n'a pas été montré une corrélation
(r = 0,001) entre la fréquence cardiaque et les paramètres VE,
VA, DHT, IVRT chez ces patients infectés par le virus. Habituellement
la tachycardie raccourcit l'IVRT et détermine la fusion de VE et de VA
suite à la diastasis écourtée. Une cardiomyopathie
(myocardite) avec tachycardie permanente se présente comme une
complication évolutive de l'infection VIH en Afrique tropicale (KAPITA
B., 1989). La tachycardie notée ici serait une stigmate de
l'évolution vers une CMD associée au VIH.
Notre étude montre une relation directe probable entre
l'atteinte de la fonction diastolique et l'infection VIH chez des patients
noirs du Zaïre.
Les insuffisances de cette étude sont dues à
l'absence de l'enregistrement des pressions auriculaires gauches et du temps de
mouvement du VG, à l'impossibilité d'obtenir des biopsies
endomyocardiques et à l'enregistrement des tracés
échocardiographiques par les deux observateurs à des intervalles
du temps fort longs.
L'amplitude de VE dépend de la qualité de la
relaxation du VG, du débit transvalvulaire mitral, des pressions de
remplissage, de la surface valvulaire. En télédiastole, la
systole auriculaire est responsable d'une majoration du gradient oreillette
gauche - VG, ce qui correspond à VA qui disparaît avec la
fibrillation auriculaire. L'amplitude de VA dépend d'une part de la
qualité de la contraction auriculaire mais aussi du niveau des pressions
de remplissage et de la compliance du VG.
Les biopsies endomyocardiques nous auraient apporté la
preuve de l'existence des processus infiltratifs, des nécroses ou des
fibroses du myocarde avec une hypertrophie des segments intacts qui
entraînent une augmentation de la rigidité du myocarde et de la
chambre du VG. L'augmentation de la rigidité entraîne une
diminution dans la vitesse et l'extension du remplissage précoce
diastolique (VE). Le ventricule gauche va compenser ces anomalies en
déplaçant le remplissage vers la diastole tardive, augmentant
ainsi de façon considérable le remplissage dû à la
contraction auriculaire (VA).
Nos résultats suggèrent que l'anomalie de la
relaxation est le signe précoce du dysfonctionnement du VG au cours de
l'infection VIH.
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