CHAPITRE 4. DISCUSSION
Fort ambitieux, le présent travail a décrit le
profil épidémiologique, clinique, thérapeutique et
pronostique de l'insuffisance cardiaque congestive en pratique libérale
dans la ville de Kinshasa. Elle vient compléter l'étude de
KAMBALE (12) ayant déterminé la place de l'hypertension
artérielle, du sexe, de l'âge, des composantes de la pression
artérielle et de l'anthropométrie dans l'insuffisance cardiaque
congestive.
4.1. CARACTERISTIQUES SOCIO- DEMOGRAPHIQUES
4.1.1. SEXE
Contrairement aux données antérieures de la
littérature rapportant la vulnérabilité des hommes dans
l'hospitalisation pour l'insuffisance cardiaque congestive (22,23), la
présente étude, celle de KAMBALE (12) et d'autres études
(24) démontrent la vulnérabilité des femmes. Ceci se
justifie par le fait que les femmes présentent des valeurs des pressions
pulsées et d'IMC plus élevées que celles des hommes.
4.1.2. AGE
Les âges moyen et médian de la population
étudiée et en insuffisance cardiaque congestive, respectivement
> 60 ans, reflètent le vieillissement. En effet, il s'agit d'une
population urbaine en cours de transition épidémiologique (25),
concomitante à la transition démographique (26,27). Du reste,
l'expérience de vie des Congolais est passée de 40 ans autour de
1950 à 53 ans en 1990 (28).
La tendance à l'augmentation de l'incidence de
l'insuffisance cardiaque congestive et de l'hospitalisation pour l'ICC aussi
bien dans les pays développés que dans les pays en voie de
développement, est influencée par le vieillissement (12, 23, 29,
30-33). L'amélioration du traitement de l'hypertension artérielle
et de cardiopathies ischémiques permet aussi aux individus de vivre plus
longtemps et de développer l'insuffisance cardiaque congestive (29,34).
4.1.3. ETAT CIVIL
La surreprésentation des mariés s'explique par
le fait que les congolais se marient de plus en plus à un âge
avancé (35). Ce qui peut aussi diminuer la mortalité maternelle
chez ces femmes congolaises qui jadis se mariaient autour de la puberté
et de l'adolescence.
4.1.4. PROFESSION
Les chômeurs sont les plus représentés
dans cette population avec insuffisance cardiaque congestive. Ils seraient
peut- être les plus enclins au stress, facteur de risque cardiovasculaire
important (36). L'absence de sécurité sociale (caisse maladie)
rend aléatoire l'observance et la prise en charge médicale de ces
chômeurs avec concentration de l'hypertension artérielle et de
l'obésité.
4.1.5. ETHNICITE
Comme il fallait s'y attendre, l'ethnicité KONGO tend
à représenter les deux tiers de cette population. C'est
l'ethnicité autochtone de l'ancienne province de Léopoldville
éclatée en provinces actuelles du Bas-Congo et de Bandundu.
L'absence d'un groupe témoin n'a pas permis de préciser le
rôle de l'ethnicité dans l'incidence de l'ICC.
Mais aux Etats -Unis, l'ethnicité (race) influence le
taux d'hospitalisations pour l'ICC : les Noirs sont plus
vulnérables que les blancs (37).
4.2. ANTHROPOMETRIE
La présente étude confirme l'association
existant entre le surpoids/obésité et la présence de
l'insuffisance cardiaque
( 38,39-42). En effet, dans la présente étude
43,2 % des patients présentent un excès de poids et de
graisse : 25,2% avec surpoids et 18 % avec obésité. Ces
taux de surpoids et d'obésité semblent épidémiques
en comparaison avec le taux antérieur de 2% en Afrique
sub-Saharienne (14, 15,38, 40). Le mode de vie sédentaire,
l'inactivité physique en milieu urbain de Kinshasa et la surconsommation
d'aliments riches en graisses expliqueraient ces taux épidémiques
de surpoids/obésité actuellement observés à
Kinshasa (39,40). En Afrique sub-Saharienne, et pour de raisons culturelles et
la crainte de systématisation liée à la pandémie
à VIH/SIDA, les gens refusent de perdre du poids ;
l'obésité est du reste considérée comme le reflet
de l'accomplissement social des Noirs africains (41).
La présence de 6,3 % des patients avec
dénutrition s'expliquerait par la prise de diurétiques, le
régime sans sel et la cachexie décrite dans l'ICC avancée
(42). En dehors de ces situations, les taux élevés et
concomitants de dénutrition et d'obésité traduisent la
présence de la transition nutritionnelle (42).
4.3. ETIOLOGIE
Dans ce travail, seules deux causes sous-jacentes de l'ICC
sont identifiées : il s'agit de l'HTA essentielle dans la
majorité des cas (78 %) contre 21,6% des cas de cardiomyopathie
dilatée ischémique. Ces résultats sont à mi-chemin
de ceux des pays développés et des pays Africains. L'HTA et la
cardiopathie ischémique de type infarctus du myocarde constituent les
deux principaux facteurs de risque d'IC dans les pays développés
(32, 35, 43-45) : les cardiopathies ischémiques occupant la
première place.
Par contre, En Afrique sub-Saharienne, l'HTA reste en
tête de l'ICC avec une proportion moindre estimée à 42,5%,
suivie de cardiomyopathie idiopathique à raison de 20,6% et de
cardiopathie rhumatismale de l'ordre de 14,4% (46).
Aucun cas de cardiopathie rhumatismale n'est rapporté
dans la présente étude. Ceci s'explique par le vieillissement de
la population encline à l'HTA (9) et par l'émergence des
cardiopathies ischémiques (maladie coronaire ) estimées dans des
proportions identiques à celles rapportées au NIGERIA (46). Dans
les pays développés, l'atteinte coronaire, incriminée dans
25 à 50 % des cas, est souvent associée à une HTA (1-5,
47-49). En effet, l'HTA entraîne l'hypertrophie du ventricule gauche
d'une part, et l'infarctus du myocarde d'autre part. L'hypertrophie
ventriculaire gauche détermine directement soit une dysfonction
diastolique, soit un infarctus du myocarde qui entraîne une dysfonction
systolique. Par la suite, la dysfonction diastolique, la dysfonction systolique
ou la combinaison de la dysfonction diastolique et de la dysfonction systolique
aboutissent à l'ICC (45). Si hier l'HTA était une affection rare
en Afrique noire, elle constitue aujourd'hui un réel problème de
santé publique (17) et les experts internationaux réunis
dernièrement à Bruxelles (18) signalent que d'ici l'an 2020,
plus de 25 millions des noirs africains souffriront de maladies
cardiovasculaires dont l'HTA, l'accident vasculaire cérébral et
les cardiopathies ischémiques. Depuis les observations initiales de
DONNISON en 1929 (50), un long chemin a réellement été
parcouru jusqu'à nos jours. Plusieurs travaux reflètent la
situation actuelle de la recherche dans l'HTA sur le continent africain en
général (51) et en RDC en particulier (52,53).
4.4. TABLEAU CLINIQUE ET DIAGNOSTIC DE
L'ICC
La toux et les palpitations cardiaques respectivement
rapportées comme motif de consultation par les patients à raison
de 51 % des cas, viennent avant l'orthopnée rapportée par 25 %
des patients. Ceci suggère que les symptômes fonctionnels ne sont
ni sensibles, ni spécifiques. Le faible taux d'orthopnée
s'expliquerait par le taux le plus bas des patients au stade IV de la NYHA. En
effet, la relation entre symptôme et gravité de l'IC reste
médiocre (54).
L'échocardiographie Doppler, test plus objectif, a
permis de confirmer la suspicion clinique d'ICC. Comme il fallait s'y attendre,
la majorité des patients (73 %) présentent une dysfonction
systolique.
Quoique instrument de routine pour le diagnostic optimal de
l'IC (55), l'interprétation des paramètres
échocardiographiques de la fonction ventriculaire diastolique reste
complexe (55). L'IC diastolique est de plus en plus fréquente avec des
symptômes trompeurs.
4.5. INFLUENCE DU SEXE SUR LES DETERMINANTS DE L'ICC
Il est difficile d'interpréter l'absence d'association
significative entre l'âge, le poids, la PAS, la PAD, la FC et le sexe.
La valeur moyenne de la taille de la femme inférieure
à celle de l'homme, confirme la réalité observée
dans la population Congolaise (56). Et comme notée dans la population
Congolaise (56), les femmes présentent un IMC plus élevé
que les hommes. La petite taille (57) et le surpoids (58), facteurs de risque
des maladies coronaires, expliqueraient la proportion plus élevée
des cas d'athérosclérose pré-clinique chez les femmes que
chez les hommes de cette étude. L'athérosclérose
pré-clinique, définie par la pression pulsée
supérieure ou égale à 60 mmHg, vient d'être
identifiée comme facteur de risque de cardiomyopathie diabétique
(59) et de rétinopathie diabétique (60). Cette pression
pulsée est aussi connue comme facteur de risque d'Insuffisance cardiaque
congestive dans l'étude de Chae et al. (61).
L'excès d'athérosclérose
pré-clinique précédent la maladie coronaire exclusivement
observée chez les femmes, expliquerait la prédominance de la
dysfonction diastolique chez ces femmes. Et comme l'HTA était
présente de manière identique chez les hommes et chez les femmes
de cette étude, l'HTA par le biais de l'hypertrophie du ventricule
gauche, contribuerait aussi plus à développer la dysfonction
diastolique chez la femme que chez l'homme. Comme dans l'étude de
Framingham (62), la présente étude démontre que la femme
est plus vulnérable devant la dysfonction systolique en comparaison
avec l'homme.
Le taux de la dysfonction diastolique de la présente
étude est difficile à comparer aux taux rapportés en
Afrique (63) et ailleurs (64). La présente étude n'a
évalué que le rapport
E/A < 1 ; le rapport E/A = 1 -2, le rapport E/A
> 2 et le temps de décélération seront analysés
ulterieurement.
4.6. TRAITEMENT MEDICAMENTEUX
Le traitement médicamenteux de l'ICC prescrit chez ces
patients va dans le sens de progrès réalisés au cours de
vingt dernières années. En effet, les IEC sont plus prescrits que
les digitalliques même si les vasodilatateurs et les diurétiques
de l'anse sont prescrits à la majorité des patients (65,66). Le
traitement classique de l'insuffisance cardiaque congestive a longtemps
reposé sur l'association digitalo-diurétique renforcée par
une restriction sodée. Certains auteurs ont remis en question
l'efficacité des digitaliques dans certaines formes d'ICC (67,68).
Le traitement de la dysfonction systolique par les IEC de
l'angiotensine est devenu incontournable à cause de la diminution de la
morbidité et de la mortalité (65). L'Enalapril, inhibiteur de
l'enzyme de conversion avec une action de longue durée prescrit dans la
présente étude, a démontré un meilleur
contrôle de la symptomatologie et de la mortalité au cours de
l'insuffisance cardiaque congestive (16,66,69-72). Les IEC du l'angiotensine
sont des vasodilatateurs mixtes. Les autres vasodilatateurs veineux dinitrate
d'isosorbide et artériels étaient respectivement prescrits dans
65,8% et dans 32,4% des cas. Les vasodilatateurs veineux (dérivés
nitrés) sont moins puissants que les IEC de l'angiotensine (73). Quant
aux anticalciques, vasodilatateurs artériels dotés de
réflexe tachycardisant, ils n'ont démontré aucune
efficacité sur la réduction de la morbidité et de la
mortalité liées à l'IC (74,75).
Les Bêtabloquants ne sont prescrits qu'à 35,1%
des patients ; ceci s'explique par l'existence de controverses sur leur
indication dans l'insuffisance cardiaque chronique (76,77).
L'intérêt du traitement diurétique de
l'anse est évident puisqu'il stimule la sécrétion de
renine et potentialise l'effet des IEC. Les diurétiques de l'anse et
les thiazidiques nécessitent un contrôle régulier
d'ionogramme. C'est pourquoi la spironolactone, diurétique epargneur de
potassium, a été prescrit à 52,3% des patients. Toutefois,
il faut être prudent lors de l'association d'un diurétique
epargneur de potassium à un IEC pourvu d'effet hypokalémiant.
L'administration de diurétique epargneur de potassium exige un
contrôle régulier de la fonction rénale. Les autres
médicaments comme les antagonistes de récepteurs à
l'angiotensine II ne sont pas encore de pratique très courante en
République Démocratique du Congo.
Les anticoagulants étaient plus administrés en
cas d'ICC liée à l'HTA. Ceci se justifie par le risque
emboligène très élevé chez les patients longtemps
alités.
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