Première Partie : Théorie de la faible
bancarisation
La démocratisation de l'accès aux services
bancaires et financiers est une vaste problématique abordée dans
plusieurs études économiques. La bancarisation qui en constitue
un des aspects est notre préoccupation dans ce travail.
Cette première partie permet de préciser le
cadre théorique général et certains concepts pour camper
l'étude. Elle est subdivisée en deux chapitres. Le premier
chapitre présente la problématique, le contexte, les objectifs,
les hypothèses et la méthodologie de l'étude. Le second
chapitre fait l'état des lieux de la littérature dans le domaine
de la limitation de l'accès aux services bancaires et financiers.
Chapitre 1: Problématique, contexte, objectifs
et
méthodologie de l'étude
I La problématique
Comme tous les pays en voie de développement, les Etats
membres de l'UEMOA font face à un problème de faible
bancarisation de leurs populations. La monnaie fiduciaire occupe une place de
choix dans les habitudes financières. L'épargne des
ménages n'est pas réellement mise à contribution pour le
financement des activités économiques, car en grande partie
thésaurisée.
Le système économique a un fonctionnement
à double vitesse. Il existe d'une part, une économie formelle
représentant une faible proportion du tissu économique, capable
de recourir aux sources classiques de financement que sont les banques et les
marchés financiers et d'autre part, une économie informelle
fortement implantée dans tous les secteurs qui n'a pas accès
à ce mode de financement et qui est contraint de recourir à
d'autres sources. Au nombre de ces sources, nous pouvons citer la microfinance,
les systèmes de tontine et tous les autres systèmes de
solidarité existants. Cette situation, qui prévaut dans l'Union
depuis des décennies pose un véritable problème pour la
définition d'une stratégie de développement
économique, notamment au niveau de la maîtrise du coût de
financement.
En général, ces sources parallèles de
financement ont un coût prohibitif qui plombe davantage la
rentabilité de l'activité économique dans le secteur
informel. Il est donc important, voire nécessaire de créer les
conditions favorables à une utilisation du financement bancaire ou du
financement direct (à travers les marchés financiers). La
première de ces conditions est la bancarisation de masse des
populations. Elle permettra, au delà de la sécurisation des
avoirs et des transactions, de créer un climat de confiance entre les
établissements de crédit et les populations qui pourront ainsi
recourir à leurs relations bancaires pour assurer le financement de
leurs activités économiques.
En effet, l'avantage premier de la bancarisation est la
sécurisation de l'épargne des populations. L'épargne
bancaire bénéficie d'un niveau élevé de
sécurité dans l'UEMOA depuis la crise bancaire des années
80 et les réformes structurelles qui s'en sont suivies. Un autre
avantage
est la possibilité pour les détenteurs d'un
compte chèque de recourir à des instruments scripturaux de
paiement pour assurer les transactions financières en toute
tranquillité. Un dernier avantage que nous soulignons ici est
l'accroissement des possibilités de financement bancaire de
l'économie. Ce dernier aspect nous paraît très important
dans le contexte de l'UEMOA où le financement constitue souvent le
principal frein à l'éclosion des initiatives malgré la
surliquidité bancaire3 de ces dernières années.
Cela est dû au fait que pour les établissements de crédit,
la disponibilité de l'épargne est une condition nécessaire
mais non suffisante pour le financement bancaire de l'économie. Il
faudrait en plus des garanties matérielles ou des relations de confiance
pour une gestion optimale du risque. La création d'un compte bancaire
est le premier pas vers l'établissement de ce climat de confiance entre
la banque et le client, potentiel bénéficiaire d'un
financement.
Le taux moyen de bancarisation dans l'UEMOA est estimé
à 3,02% à fin 2003 (BCEAO, 2005b). Comparé au 18% de
l'Algérie (CGAP, 2006), au 20% du Maroc (Fouad A. repris par (FNAM et
Planet Finance Maroc, 2004)), au 51% de l'Afrique du Sud post-apartheid (Napier
et Beghin, 2006a) ou au 99% de la France (Daniel et Simon, 2001), ce taux
apparaît très faible et reflète dans une certaine mesure le
niveau général de développement des pays de l'Union.
Mais quels sont les facteurs qui contribuent réellement
au faible taux de bancarisation dans les Etats membres de l'Union Economique et
Monétaire Ouest Africaine? Cette préoccupation est au coeur de la
présente étude.
II Contexte et intérêt de
l'étude
Ce travail intervient dans un contexte particulier de
l'histoire du secteur bancaire et financier de la sous-région
marqué par d'importants travaux de modernisation des systèmes et
moyens scripturaux de paiement. Une brève description de la
réforme est faite ici pour fixer l'enjeu. Le détail de la
présentation est en Annexe 7.
1 La réforme des systèmes et moyens de
paiement
La Banque Centrale a entrepris depuis mars 1999, une
modernisation des systèmes et moyens de paiement de l'Union. Cette
réforme a pour objectif de « mettre en place un ensemble
3 La surliquidité bancaire a été mise en
exergue dans le rapport de la Banque de France sur la zone Franc (Banque de
France, 2002)
de mécanismes de paiements nationaux et
régionaux tout en respectant les normes internationales, afin de
satisfaire les besoins croissants de tous les secteurs économiques de
l'UEMOA, à savoir les secteurs des consommateurs, du commerce, de
l'industrie, du gouvernement, des marchés financiers nationaux et
internationaux » (BCEAO, 2006b). Il s'agit de mettre à la
disposition des différents agents économiques des outils
sécurisés, performants et modernes pour un dénouement
rapide et sécurisé des ordres de paiement. La réforme est
axée autour de trois axes majeurs.
· Un Système de Transfert Automatisé et de
Règlement dans l'UEMOA (STAR-UEMOA) destiné aux transferts de
gros montants pour un règlement brut en temps réel ;
· Un Système Interbancaire de Compensation
Automatisée de l'UEMOA (SICA-UEMOA) destiné à la
compensation multilatérale des valeurs entre les établissements
bancaires ;
· La Monétique Interbancaire destinée aux
paiements électroniques et à l'interopérabilité des
cartes des différents établissements de crédit.
Ces trois axes sont sous-tendus par un cadre juridique
réformé, un nouveau dispositif de centralisation des incidents de
paiement et un système de télécommunication adapté.
Les deux premiers systèmes sont entièrement
déployés dans les Etats membres de l'UEMOA. Le troisième
est en phase de déploiement au niveau des pays pilotes que sont le
Burkina, le Mali et le Sénégal.
2 Intérêt de l'étude
Parallèlement à la réforme, la Banque
Centrale a initié des travaux de réflexion sur la promotion de la
bancarisation et l'utilisation des systèmes et moyens de paiement. Dans
ce cadre, elle a fait, entre autres, un état des lieux sur les
conditions bancaires en 2005 et organisé un séminaire à
Dakar avec les banques, du 06 au 08 août 2007, sur la bancarisation et
l'utilisation des moyens scripturaux de paiement dans l'UEMOA. Un objectif de
20% de taux moyen de bancarisation à l'horizon 2013 a été
fixé dans le document provisoire du plan d'actions issu des travaux du
dit séminaire.
Ainsi, en plus du chantier de la modernisation des
systèmes et moyens de paiement, la promotion de bancarisation et des
paiements scripturaux constitue un autre défi important que la Banque
Centrale se propose de relever avec le secteur bancaire et financier
sous-régional.
L'intérêt de la présente étude est
qu'elle s'insère dans cette dynamique pour une réflexion
approfondie sur la question, en vue de trouver les voies et moyens
nécessaires à l'amélioration du
taux de bancarisation dans les Etats membres.
III Objectifs et hypothèses de
l'étude
1 Les objectifs de l'étude
Cette étude a pour objectif principal la
détermination des principaux facteurs permettant d'expliquer la faible
bancarisation dans les pays de l'espace UEMOA. Nous en déduisons trois
objectifs spécifiques qui se présentent comme suit:
· O1 : identifier au niveau de
l'environnement global dans l'Union, les difficultés susceptibles
d'expliquer la faible bancarisation;
· O2 : déterminer au niveau
du secteur bancaire, les difficultés qui permettent d'expliquer la
faible bancarisation dans l'Union;
· O3 : analyser l'impact de la
microfinance sur la bancarisation.
2 Hypothèses
Des trois objectifs spécifiques découlent les
hypothèses suivantes:
· H1 : L'environnement global dans
l'Union ne contribue pas à l'amélioration de la bancarisation;
· H2 : Les caractéristiques
du secteur bancaire ne contribuent pas à l'amélioration de la
bancarisation;
· H3 : La microfinance contribue
à l'amélioration de la bancarisation.
IV Méthodologie
Pour la réalisation de ce travail, nous avons
procédé à une collecte de données issues de
différentes sources. Ces informations ont servi à étudier
le problème de la faible bancarisation suivant deux approches
différentes mais complémentaires. Nous décrivons
ci-dessous la méthode de collecte et les deux approches
utilisées.
1 Collecte et traitement des informations
Les informations utilisées dans cette étude sont
le fruit d'une recherche documentaire.
Aucune enquête, ni entretien, ni sondage n'a
été effectué. Les données sont issues de quatre
sources principales: les rapports annuels de la Banque Centrale (BCEAO, 2002,
2003, 2004, 2005a, 2006a), les rapports annuels de la Commission Bancaire
(CB-UMOA, 2002, 2003, 2004, 2005, 2006), les monographies des SFD4
disponibles sur le site internet de la Banque Centrale et le WDI 2005 (World
Developpement Indicator) produit par la Banque Mondiale.
Dans la plupart des cas, les informations collectées
n'ont fait l'objet d'aucun traitement particulier avant leur utilisation
à l'exception du taux d'alphabétisation et de la taille de la
population active. En effet, ces informations ne sont que partiellement
fournies par le WDI 2005. Le complément a été alors obtenu
par des méthodes d'estimation sur la base de données
antérieures couvrant une période relativement longue (annexe
2).
Des difficultés importantes ont jalonné la
collecte et l'exploitation des données. Elles ont parfois
déterminé l'orientation de l'étude. Ainsi, certaines
variables potentiellement explicatives du phénomène de la faible
bancarisation n'ont pas pu être prises en compte dans ce travail par
manque de données. Le détail des difficultés et des
retraitements figure en annexe 2.
2 Approches pour l'utilisation des informations et
données
Notre démarche a consisté à
réaliser dans un premier temps une analyse des fondements de la
limitation de l'accès aux services bancaires dans l'UEMOA. Les facteurs
explicatifs potentiels issus de cette analyse sont étudiés dans
un second temps par une investigation économétrique afin d'en
vérifier la causalité. Mais la qualité relative des
données statistiques disponibles et leur faible profondeur temporelle
n'ont pas permis la prise en compte de tous les facteurs potentiels.
L'interprétation des résultats et les
recommandations prennent en compte les facteurs potentiels confirmés par
l'étude économétrique et ceux qui n'ont pas pu être
testés mais dont la pertinence et le sens économique ont
été établis dans la première analyse.
2.1 Analyse contextuelle
Cette première approche est utilisée pour
rechercher les fondements de la faible bancarisation dans l'analyse de
l'environnement global, des insuffisances du secteur bancaire et
4 SFD: Systèmes Financiers Décentralisés.
Il s'agit d'un autre nom pour désigner les IMF. De façon
rigoureuse, il existe une différence entre ces deux termes
(Lhériau, 2003); IMF étant plus réducteur. Mais pour ce
travail, nous les considérons égaux et utiliserons le terme
IMF.
de l'évolution du secteur florissant de la
microfinance.
Au niveau de l'environnement global, les difficultés
liées à la faiblesse de la croissance économique, à
l'inefficacité de l'appareil judiciaire, à l'inadéquation
des infrastructures de base et aux insuffisances de l'alphabétisation
sont spécifiquement étudiés.
Au niveau du secteur bancaire, les obstacles nés de la
grave crise bancaire des années 1980 et des difficultés
liées au cadre réglementaire des systèmes et moyens de
paiement sont analysés.
Au niveau du secteur de la microfinance, l'adéquation
entre l'offre et la demande de services financiers non bancaires est mise en
exergue à travers la croissance du nombre d'IMF et la
pénétration démographique du microcrédit.
2.2 Etude économétrique
L'investigation économétrique est
destinée à tester les relations causales. Elle est construite sur
des données de panel constituées par un échantillon de 7
pays (Bénin, Burkina, Côte d'Ivoire, Mali, Niger,
Sénégal et Togo) sur une période de 5 années (2001
à 2005). L'écartement de la Guinée-Bissau et le choix de
la période de l'étude découlent d'une contrainte majeure
d'indisponibilité de données (annexe 2).
Ce modèle économétrique est
utilisé pour tester 5 différentes variables qui peuvent
être regroupées en trois différents types à savoir
une variable d'état (le PIB par habitant), une variable de microfinance
(le volume de microcrédit) et des variables bancaires (le taux de
progression du nombre de banques, la proportion de banque de petite taille et
le volume de crédit bancaire). Une description plus ample du type de
modèle et des variables utilisées figure en annexes 1 et 6.
3 Méthode de validation des
hypothèses
Les hypothèses sont validées sur la base des
facteurs explicatifs mis en exergue par l'analyse contextuelle et
l'étude économétrique. En effet, à chaque
hypothèse correspond un des trois types de variables utilisés
dans l'étude économétrique et plusieurs atouts ou
contraintes identifiés dans l'analyse contextuelle.
A l'hypothèse H1 sont associées la variable
d'état et les facteurs liés à l'environnement global dont
la contribution ou non à l'explication de la faible bancarisation permet
de répondre à la question posée.
A l'hypothèse H2 sont associées les variables
bancaires et les facteurs généraux liés à
l'environnement bancaire dont la contribution ou non à l'explication de
la faible bancarisation permet de répondre à la question
posée.
A l'hypothèse H3 sont associées la variable de
microfinance et les facteurs généraux liés au
marché des microcrédits dont la contribution ou non à
l'explication de la faible bancarisation permet de répondre à la
question posée.
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