CONCLUSION
Cette étude exploratoire avait pour but de comprendre
l'insertion professionnelle d'un petit échantillon de
diplômés du système universitaire guinéen
formés à l'Université de Conakry. Ce mémoire a mis
en relief quelques uns des procédés ayant le plus d'influence sur
le passage entre les études et le marché du travail chez les
diplômés universitaires guinéens. De plus, quelques
archétypes d'insertion des diplômés ont été
décrits en fonction de diverses variables objectives et subjectives.
Sur le plan de la problématique, l'analyse qui cible la
sortie du système universitaire et l'insertion dans le marché du
travail a été privilégiée. En fait, elle conduit
à cesser de considérer l'insertion professionnelle comme un
simple passage sans interruption du système universitaire au
marché du travail. Elle signifie une conjugaison de situations allant de
la formation principale, aux formations complémentaires et aux stages,
à la recherche de l'emploi, à l'emploi, au chômage ou
à l'exclusion (inactivité). L'analyse vient remettre en question
le lien entre la formation reçue et l'emploi chez les
diplômés universitaires guinéens. D'où
l'éternelle question de l'inadéquation de la formation et de
l'emploi.
Quand on considère le rôle de l'origine sociale,
les résultats de l'analyse de nos données montrent qu'elle ne
joue pas beaucoup sur le processus d'insertion des diplômés. Par
exemple dans notre échantillon, force est de constater que sur les 22
diplômés (55% de l'échantillon total) issus d'une origine
sociale aisée, la moitié est au chômage. L'origine sociale
a probablement peu d'effet, passé l'entrée à
l'Université. Même si pendant longtemps certains auteurs ont
souvent affirmé que l'origine sociale est déterminante dans
l'accès à l'emploi (Bourdieu et Passeron, 1970 ; Kelley, 1976).
Dans notre étude, cette influence est loin de se manifester
clairement.
Du point de vue des réseaux sociaux, nous avons
souligné la pertinence des réseaux relationnels pour comprendre
le processus d'insertion professionnelle des diplômés du
système universitaire guinéen et particulièrement ceux de
l'Université de Conakry. La quasi totalité des interviewés
confirment dans leur discours le rôle des réseaux relationnels
dans le contexte guinéen afin de décrocher un emploi. Les
répondants sont aussi unanimes sur le fait que ces pratiques se font
régulièrement sur le marché de
l'emploi guinéen et 56 % des interviewés
soutiennent que les réseaux constituent un moyen efficace d'insertion
professionnelle. Ce phénomène est accentué par la
corruption et le "pistonnage". Ce qui permet d'arriver à la conclusion
qu'en Guinée, les réseaux constituent l'une des ressources
importantes pour accéder à un emploi. Ainsi, de façon
générale en Guinée et de l'Université de Conakry en
particulier, les diplômés ont des chances différentes de
réussir l'insertion. Pour réussir, les réseaux jouent
effectivement un rôle capital.
Du point de vue des formations complémentaires et des
stages, comme on l'a montré plus haut, ce sont les diplômés
de la Faculté des Lettres et Sciences Humaines qui présentent la
meilleure situation d'emploi après la sortie de l'Université.
Contrairement à ce qu'on est porté croire habituellement que les
diplômés de la Faculté des Sciences auraient dû avoir
une meilleure insertion professionnelle par rapport à ceux qui ont fait
Lettres, ils sont les plus touchés par le chômage. C'est pourquoi,
la crainte du chômage après les études conduit souvent les
diplômés à multiplier les formations et à
acquérir des compétences afin d'élargir leurs chances
d'insertion sur le marché du travail. Ainsi, l'analyse sur les besoins
de formations complémentaires montre que contrairement à la
logique habituelle, dans un marché de travail déprimé, le
diplôme universitaire dans sa forme traditionnelle ne semble plus suffire
pour permettre aux diplômés de décrocher un emploi en
Guinée.
En ce qui concerne les formations complémentaires, les
répondants font de la maîtrise des logiciels et de l'outil
informatique, de l'anglais et de la comptabilité-gestion une de leurs
priorités. Ainsi, avec cet intérêt des
diplômés, on peut dire que l'intégration des formations
complémentaires dans les programmes universitaires serait une avenue
intéressante pour les institutions d'enseignement supérieur de
Guinée en raison de la demande et des revenus que de telles formations
pourraient générer.
Une autre tendance est apparue de façon évidente
et corroborée par d'autres études. En fait, il appert qu'en
Guinée, l'ensemble des diplômés ayant connu simplement une
formation principale connais sent après la sortie de l'Université
de Conakry une situation de chômage ou d'emploi précaire. Cela
explique pourquoi une grande proportion d'entre eux choisissent de faire une
formation complémentaire dans le but évidemment
d'augmenter leurs chances d'occuper un emploi même si ce
dernier n'est pas relié à leur formation universitaire.
Selon PADES, la participation à un stage semble (60%
des répondants), pour les auteurs de cette étude, la voie royale
pour obtenir un emploi en Guinée. A ce niveau, notre étude
recoupe celle de PADES et confirme en même temps notre hypothèse 3
de recherche que les formations complémentaires et les stages sont
incontournables pour décrocher un emploi sur le marché de travail
guinéen. Toutefois, contrairement à l'étude menée
par le PADES qui révélait que les diplômés des
Institutions d'enseignement supérieur jugent assez positivement la
formation universitaire, notre recherche montre que les diplômés
de l'Université de Conakry ne jugent pas assez positivement la formation
reçue. Cette appréciation de la formation, nos répondants
la confirment en portant un regard négatif sur les programmes
enseignés par rapport aux besoins du marché de l'emploi
guinéen.
A propos de l'emploi, la comparaison montre que ce sont les
diplômés ayant fait au moins une formation complémentaire
(soit en informatique, soit en anglais ou encore en compabilité-gestion)
qui tirent le mieux leur épingle du jeu, le fait est qu'aujourd'hui en
Guinée, sans une formation supplémentaire, ou sans stage, il est
difficile voire impossible de décrocher un emploi.
Les résultats de cette recherche amènent
à poser la question de la valeur de la formation universitaire
principale. Est-ce que tous les diplômes obtenus sont en
adéquation avec les besoins du marché de l'emploi guinéen
? A notre avis les diplômes sanctionnés par une formation
complémentaire ou un savoir pratique, professionnel et technique, ont
une longueur d'avance sur les autres. Ajoutons qu'il existe souvent un certain
décalage entre les programmes que l'Université de Conakry offre
à ses étudiants et la réalité du marché de
l'emploi guinéen.
A notre avis, l'intérêt de cette étude
réside dans le fait qu'elle contribue à faire avancer les
connaissances dans le champ de la sociologie de l'insertion et porte de
manière précise sur l'insertion professionnelle des
diplômés sur le marché du travail dans le contexte
africain.
Dans l'ensemble, les données suggèrent que les
jeunes diplômés (hommes et femmes) auraient plus de
difficultés que leurs aînés sur le marché du travail
de Conakry, difficultés caractérisées par un accès
moins rapide à un premier emploi, une plus grande implication dans le
secteur informel, mais davantage dans des statuts "dépendants" et un
accès moins élevé à un premier emploi dans le
secteur public. Ainsi, les données permettent de suggérer
également que le passage d'un régime centralisé (où
la garantie de l'emploi pour tous était assurée par
l'État) à un régime de libéralisme
économique, accompagné de l'application des programmes
d'ajustements structurels du Fonds Monétaire International et de la
Banque Mondiale auraient effectivement affecté les diplômés
en rendant encore plus problématique leur insertion sur le marché
du travail guinéen.
Dans notre étude, il ressort par exemple, que cette
situation conduit plusieurs diplômés de l'enseignement
supérieur à accepter des emplois non reliés à leur
domaine d'étude. En outre, de manière générale, les
diplômés de ces dernières années, lorsqu'ils
trouvent un emploi, restent dans une situation précaire et
reçoivent une rémunération nettement inférieure
à celle des employés plus anciens ayant un niveau de
qualification inférieur dans l'entreprise. L'analyse des
résultats sur le rôle des stages dans l'obtention de l'emploi
permet de comprendre que la valorisation des stages par les répondants
va en conformité avec les points de vue des employeurs qui
privilégient ces stages. On note aussi une forte adéquation entre
les perceptions des répondants et celles des employeurs sur la
nécessité de commencer par un stage avant l'embauche. La
valorisation du stage qui se manifeste tant chez le diplômé que
chez l'employeur potentiel s'explique en partie par le fait que cette force de
main-d'oeuvre participe à la bonne marche des entreprises mais aussi
contribue à faciliter l'insertion du diplômé.
Par ailleurs, en ce qui concerne les causes du chômage
des diplômés, nos résultats concordent avec ceux du PADES
(1998). Les auteurs de cette étude soulignent que de façon
générale les causes du chômage sont intra et extra
universitaire. Les causes les plus citées, au niveau intra, sont les
lacunes dans des disciplines comme le français, la communication
écrite (exposée des idées), l'anglais, l'informatique,
ensuite l'insuffisance de la diversification des compétences et la sous
information des diplômés sur les réalités
du marché du travail. Au niveau extra, les contraintes
sont l'interruption du recrutement dans la fonction publique et le faible
nombre d'entreprises privées ou publiques offrant des emplois aux
diplômés universitaires.
Maintenant il importe de signaler les limites de notre
étude. Notre recherche présente des limites à cause de son
caractère exploratoire, notre population est réduite à
deux Facultés de l'Université de Conakry alors que cette
dernière compte en son sein cinq Facultés et deux centres
d'études. Ainsi, nos résultats ne sont pas
généralisables à tout le système universitaire
guinéen ou même de l'Université de Conakry. Si nous avions
à faire une étude ultérieure, elle devrait utiliser un
échantillon représentatif des diplômés de
l'Université de Conakry incluant toutes les Facultés.
Plusieurs possibilités s'offrent, notamment de comparer
les différentes Facultés de l'Université de Conakry et
établir un rapport entre les diplômés qui ont fait,
sciences économiques ou informatique ou encore anglais par rapport
à ceux qui ont choisi des disciplines différentes. Car, dans
notre étude il apparaît que les connaissances de la
comptabilité-gestion, de l'informatique et de l'anglais constitue un
atout d'insertion professionnelle importante.
Après avoir tracé un bilan général
de notre étude, prenons un peu de recul dans le but d'élargir
notre réflexion. Quelles sont les perspectives de devenir professionnel
qui attendent les diplômés guinéens à la sortie de
l'université ? D'entrée de jeu, quelques faits nouveaux sont
inscrits au centre de la réflexion sur l'insertion professionnelle :
« diminution des possibilités d'emploi dans le secteur public,
modification de la relation formation-emploi, "délinéarisation"
du processus d'insertion professionnelle et diversification des modes
d'insertions » (Trottier, Perron et Diambomba, 1995 : 7). Si la
présente recherche a pour mérite de rappeler aux yeux des
premiers concernés, les diplômés, qui seront susceptibles
d'y trouver des informations de première utilité. Alors, cette
étude n'aura pas été vaine.
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