2.3.3 L'INSERTION PROFESSIONNELLE
La question de la définition de l'insertion
professionnelle fait l'objet d'un débat qui oppose aussi bien les
sociologues que les économistes. C'est là un concept qui exige
d'être manipulé avec soin. D'abord, il ne fait aucun doute que
l'insertion se définit d'abord comme un processus. Le processus, par
définition renvoie à une notion qui n'a rien d'un
caractère définitif. Même si plusieurs critères
objectifs permettent de le cerner selon ce qui apparaît comme souhaitable
(emploi permanent par exemple), il n'en reste pas moins qu'au niveau subjectif
les positions varient au gré des personnes et des situations.
D'après le dictionnaire encyclopédique de
l'éducation et de la formation (1994), l'insertion professionnelle est
définie comme "le processus d'accès à l'emploi, qui
renvoie donc à la capacité d'effectuer avec succès la
transition entre l'école et le marché de travail" Selon Dominique
(1995), l'insertion consiste à aboutir à une certaine
stabilisation professionnelle. Le Conseil supérieur de
l'éducation du Québec (1997), définit l'insertion comme
<<le processus d'accès à l'emploi>>, qui renvoie donc
à la capacité d'effectuer avec succès la transition entre
l'école et le marché du travail, pour aboutir à une
certaine stabilisation professionnelle.
Quoique le concept d'insertion soit utilisé de
façon courante, il faut reconnaître que les chercheurs ne
s'entendent pas sur sa définition. Pour certains (Fournier et Monette
2000), elle suppose que les individus ont trouvé un travail
salarié. Pour d'autres (Peletier et Pauline, 2000), l'autonomie
financière ainsi que la possibilité de maintenir
l'employabilité sont des critères dont on doit tenir compte dans
la définition de l'insertion socioprofessionnelle. Certains encore
(Vincens, 1996) estiment que, pour considérer l'individu vraiment
inséré, il importe d'abord et avant tout que l'emploi
occupé corresponde à la formation reçue.
D'autres (Trottier et al., 1995) accordent peu d'importance à
cette relation ou une importance toute relative. Il existe en fait plusieurs
perspectives différentes pour aborder la question de l'insertion
socioprofessionnelle. A la suite d'un relevé de la documentation
scientifique, Trottier (1995) propose une nomenclature des principales
perspectives à partir desquelles l'insertion professionnelle est
conceptualisée.
Selon Trottier, Laforce et Cloutier (1997), plusieurs
indicateurs sont utilisés pour décrire l'insertion
professionnelle des diplômés : durée d'accès au
premier emploi, statut d'emploi (contrat à durée
déterminée ou indéterminée), catégories
socioprofessionnelles de l'emploi, durée du chômage,
correspondance formation/emploi. Paradoxalement, on ne s'entend pas sur une
définition de l'insertion professionnelle. Certes, on accepte
aisément de la définir de façon générale
comme la période d'entrée dans la vie active et de l'aborder sous
l'angle d'un processus. Mais il s'avère difficile de cerner les
caractéristiques du processus, d'en délimiter les
frontières, de le distinguer de la mobilité professionnelle, et
surtout d'en proposer une interprétation qui fasse consensus.
Selon Dupaquier (1986 : 65), l'insertion est la période
qui suit la sortie du système de formation et qui correspond au moment
où l'individu va chercher à utiliser les savoirs acquis pour
accéder à un emploi. Pour Vincens (1981, 1986), la période
d'insertion commence lorsqu'un individu cesse de partager son temps entre le
loisir, les études et le temps non rémunéré pour
consacrer du temps à un emploi rémunéré ou à
la recherche de l'emploi. Elle se termine lorsque :
a) l'individu cesse de consacrer du temps à la
recherche d'un emploi ;
b) l'individu a un emploi durable;
c) cet emploi correspond à son emploi
préféré.
Dans un contexte régi par la flexibilité et
l'économie, il apparaît que le passage de la scolarité
à l'emploi est un processus à long terme plutôt qu'un
événement ponctuel (Fournier et al., 1999). Le point de
départ de ce processus est imprécis et son aboutissement n'est
pas clair. Pour beaucoup de jeunes, ce processus prend la forme
d'un emploi à temps partiel ou d'études
prolongées, de fréquents changements d'emplois, de retours
à la formation, de périodes répétées de
chômage (Laflamme, 1996 ; Tremblay, 1994 ; Trottier, Perron et Diambomba,
1995). Il est dorénavant plus évident de savoir où se
termine la transition, ni ce que sont les critères de la «
réussite » d'une transition vers la vie active (Fournier, 1999 ;
Vincens, 1996).
Traditionnellement, l'insertion socioprofessionnelle est
considérée comme étant le passage réussi entre la
formation scolaire et la vie active. Cette conception suppose que, dans un
temps court, les personnes munies d'un diplôme accèdent à
un emploi permanent, à temps plein, en relation avec leur domaine
d'études. L'idée est donc de considérer l'insertion comme
un processus rationnel de recherche d'emploi. Dans ce cas, l'insertion
débute lorsque les personnes consacrent leur temps à la recherche
d'un emploi et se termine lorsqu'elles détiennent un emploi qui convient
à leur formation et à leur projet de vie personnelle (Trottier,
1995).
D'un autre point de vue, l'insertion professionnelle rend
compte d'un champ professionnel où interagissent trois lieux distincts
d'investissement, soit la préparation professionnelle (connaissances
acquises et expériences), la transition professionnelle (recherche
d'emploi) et l'intégration professionnelle (relative stabilité
d'emploi, attente d'un emploi, marginalisation du marché du travail)
(Fournier et al. 2000). Par ailleurs, l'insertion professionnelle est
vue comme étant un processus de socialisation au monde du travail qui
s'étire sur toute la vie professionnelle. Cette approche
considère à la fois les contenus de formation, les orientations,
les comportements des divers agents de socialisation avant l'entrée sur
le marché du travail et une fois celle-ci réalisée, la
culture des occupations et des organisations dans lesquelles se produit
l'insertion (Trottier, 1995).
Dans une autre perspective, Doray (1995) examine le processus
d'insertion du point de vue de la demande des entreprises. Il part du postulat
que le marché du travail n'est pas qu'un aboutissement ou qu'une
destination pour les diplômés, mais un agent régulateur de
l'accès aux emplois. Son objectif était de montrer en quoi les
pratiques de mobilisation de la main-d'oeuvre des entreprises contribuent
à structurer le champ de l'insertion professionnelle. Ce processus n'est
pas d'abord analysé sous l'angle des
trajectoires individuelles mais d'un processus
structuré en aval et en amont par des pratiques pédagogiques,
l'intervention de l'État et des politiques d'embauche des entreprises.
Selon Doray, les entreprises interviennent tout d'abord en vue de structurer
l'offre de formation, d'influencer les orientations et les objectifs de
formation de même que le processus de socialisation professionnelle. De
plus, les pratiques de recrutement ont un impact direct sur les
capacités d'insertion et les trajectoires professionnelles des
diplômés.
Quant à Paquet (1995), c'est sous l'angle des «
produits » du système d'enseignement universitaire et des savoirs
qui y sont privilégiés qu'il aborde l'analyse des
problèmes relatifs à l'insertion des diplômés
universitaires et de la relation formation/emploi. Cette perspective lui permet
de poser un regard critique sur la formation universitaire, le type de
qualification qu'elle génère en regard des compétences
réclamées par les employeurs. L'auteur montre que le type de
savoirs privilégiés par le système universitaire peut
être source de problèmes dans l'insertion professionnelle. Il
remet en question le postulat selon lequel les connaissances coulent des
disciplines de base vers l'application, et propose un recadrage des formations
universitaires qui suppose des changements dans la gestion du système
éducatif.
Du point de vue de l'analyse de l'insertion professionnelle,
cette perspective implique que l'on redéfinisse la notion d'insertion
professionnelle et qu'on repense la relation formation/emploi. Une analyse
basée strictement sur la demande ou l'offre de diplômés
serait insuffisante si elle ne prenait pas en considération les produits
du système universitaire et les types de savoirs que les
diplômés maîtrisent. Pour y parvenir, il faudra aussi
repenser le partage des responsabilités entre les universités et
les entreprises en matière de formation.
Pour élaborer une typologie d'insertion, nous nous
inscrivons dans le courant de pensée selon lequel l'insertion
professionnelle est définie comme un processus qui se déroule sur
une période où s'enchevêtrent des situations de recherche
d'emploi, de chômage, de formation et d'inactivité (Vincens, 1981,
1986 ; Paul, 1984 ; Dupaquier et al., 1986 ; Trottier, Cloutier et
Laforce, 1994, 1997). Cette perspective tient compte à la fois des
trajectoires professionnelles des individus et de leurs cheminements scolaires.
Elle nous
paraît particulièrement adéquate pour
analyser les divers modes d'insertion professionnelle dans le contexte
guinéen où après la formation principale, les
diplômés, pour s'insérer sont obligés de passer par
des formations supplémentaires, des stages ou d'emploi précaires
ou non adaptés à leur domaine d'étude (Barry, 2001).
Pour cerner les caractéristiques de ce processus, nous
nous inspirons plus particulièrement de l'approche de Vincens, 1981 ;
Trottier, Cloutier et Laforce, 1997. Ils ont centré leur «
exploration » du concept sur le modèle de la quête d'emploi
(job search). Leur approche est basée sur deux idées. La
première renvoie à la période d'entrée dans la vie
active, période marquée par un changement dans l'utilisation du
temps : la personne cesse de partager son temps entre le loisir, les
études et le travail non rémunéré pour consacrer du
temps à un emploi rémunéré ou à la recherche
d'emploi. La seconde s'appuie sur le postulat selon lequel une personne a un
comportement rationnel dans sa recherche d'emploi et essaie de trouver un
emploi en relation avec son projet de vie. Elle est amenée, dans sa
quête d'emploi, à poser un ensemble de gestes et d'actes
rationnels, finalisés, ordonnés en fonction d'un
échéancier. Selon cette perspective, l'objectif de l'analyse de
l'insertion ne consiste pas seulement à décrire la période
qui sépare la décision d'entrer dans la vie active et le premier
emploi, mais aussi celle qui s'étend jusqu'à la
réalisation du projet. Ce dernier n'est cependant pas
arrêté définitivement au début de la recherche
d'emploi. Il peut se préciser ou être modifié à
partir des informations que les personnes diplômées
acquièrent en occupant un emploi ou des contraintes qu'elles
découvrent dans la concurrence qu'elles affrontent pour y
accéder.
Selon cette lecture, l'insertion commence lorsqu'un individu
cesse de partager son temps entre le loisir, les études et le travail
non rémunéré pour consacrer du temps à un emploi
rémunéré ou à la recherche d'emploi. Elle se
termine lorsque : a) l'individu cesse de consacrer du temps à la
recherche d'un emploi ou à des études poursuivies en vue
d'accéder à un emploi, b) l'individu a un emploi durable
c'est-à-dire qu'il ne possède pas d'informations lui permettant
de penser qu'il devra changer d'emploi dans un avenir plus ou moins proche, c)
cet emploi correspond à celui qu'il considère devoir garder ou
accepter compte tenu à la fois de son projet initial, des informations
qu'il a acquises, de
la perception qu'il a des contraintes et de la concurrence sur
le marché du travail (Trottier et al., 1997 : 74).
La notion d'insertion professionnelle sur laquelle va
s'appuyer notre recherche renvoie à la période d'entrée
dans la vie active. Il importe cependant de préciser le début et
la fin de cette période. Il ne s'agit pas de la réduire à
la période où une personne commence à chercher un emploi
et qui se termine au moment où elle le trouve. Ce premier emploi peut
être provisoire, et se combiner avec la poursuite de la formation. Si tel
est le cas, on pourrait penser qu'un étudiant qui travaille pendant ses
études est inséré en emploi.
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