Accès à la microfinance, inégalité et pauvreté en Cote d'Ivoire( Télécharger le fichier original )par Ambroise ABANDA Ecole Nationale Supérieure de Statistique (ENSEA) d'Abidjan-Côte-d'Ivoire en collaboration avec l'Université de Versailles - DESS en Analyses Statistique Appliquées au Développement 2004 |
CHAPITRE I : PROBLEMATIQUE1.1 Justification du thème et questions de rechercheLes niveaux élevés de pauvreté liés à une croissance économique dans le secteur informel ont obligé une partie importante de la population des pays d'Afrique subsaharienne à vivre en travailleurs indépendants et à chercher des activités dans le secteur informel (Banque Mondiale, 1996). Face à l'incapacité des ajustements structurels à faire bénéficier les pauvres des avantages économiques générés par la croissance, le gouvernement ivoirien avec l'appui des experts en développement a réagi en adoptant en 1990 des mesures visant à créer les micro-entreprises, afin d'absorber une partie de la main d'oeuvre qui devrait résulter de la croissance démographique élevée du pays (Banque Mondiale, 1998). Selon l'Institut National de la Statistique (INS)2(*), la crise économique que connaît la Côte-d'Ivoire depuis le début des années 80 a considérablement érodé le niveau de vie des ménages. Les études réalisées ont montré qu'au niveau national, le ratio de pauvreté (P0) à été multiplié par 3,3 entre 1985 et 1998. De 10% en 1985, il est passé à 32,3% en 1993, puis à 36,8% en 1995 et à 33,6% en 1998. Tableau 1 : Évolution du taux de pauvreté en Côte d'Ivoire par strate de 1985 à 1998
Source : PNUD/INS, 20003(*) Cette source révèle aussi qu'en 1998, le ratio de pauvreté était plus élevé chez les ménages dont le chef est agriculteur avec une incidence relativement supérieure chez les producteurs de vivriers (50,6%) par rapport à ceux qui cultivent des produits d'exportation (45%). En ce qui concerne le milieu urbain, le ratio de pauvreté était estimé à 23,4% en 1998. Par ailleurs, il a été démontré que le développement d'un pays passe par le développement d'un secteur privé prospère et dynamique. En outre, une approche contemporaine considère le développement des micro-entreprises comme un outil important dans la lutte contre la pauvreté. Selon cette approche, les très petites entreprises sont considérées comme étant un moyen pour les pauvres d'accroître leurs revenus (Banque Mondiale, 1996). Ce développement est facilité par l'existence d'institutions financières désireuses de prêter dans les conditions de risque raisonnables. Néanmoins, ces dernières années et dans le cadre de la lutte contre la pauvreté, plusieurs instruments sont proposés et l'un des plus utilisés est la microfinance qui a prouvé son utilité sur tous les continents. On estime que la microfinance touche aujourd'hui quelques 8 millions de personnes pauvres dans les pays en développement4(*). Sur le plan empirique, c'est en 1974 que M. Muhammad Yunus5(*) réalisa que quelques dollars de plus ou de moins faisaient toute la différence entre la vie et la mort et il créa la Grameen Bank6(*) au Bangladesh qui constitue une référence en matière de microcrédit7(*). Avec son action, Muhammad Yunus arracha de nombreuses familles pauvres des mains des usuriers au Bangladesh. Une analyse de l'impact sur les emprunteurs des programmes de microfinancement a confirmé que les bénéficiaires des microcrédits ont été capables d'augmenter et de stabiliser leurs revenus. Les études de Che (1992), Schuler et Hashemi (1993), Wahid (1993), Kandakar et al. (1994), Khalily (1994) ont expliqué l'impact de la Grameen Bank au Bangladesh sur la croissance des revenus des ménages, sur les dépenses des ménages pour satisfaire les besoins essentiels, les opportunités d'embauche et le régime alimentaire. Ces études identifient également les bénéfices sociaux retirés par les femmes qui ont participé aux programmes de microfinancement : elles se sentent moins marginalisées; ont des aspirations plus élevées pour l'éducation et à l'avenir de leurs enfants ; utilisent des sources d'eau potable plus fiables; sont plus susceptibles d'utiliser des latrines et des moyens de contraception et ont moins tendance à se marier précocement. Illustrant l'impact du microcrédit sur la démarginalisation de la femme, la Ministre des affaires étrangères d'El Salvador, Mme Maria Eugenia Brizuela de Avila, a défini le microcrédit comme un moyen de briser le cycle de la féminisation de la pauvreté8(*). Il paraît alors évident qu'un service financier diversifié, capable de répondre à l'ensemble des besoins du secteur privé en matière de services financiers, en particulier lorsqu'ils émanent de petites entreprises du secteur informel, est essentiel pour faciliter l'accès des travailleurs indépendants et des pauvres du monde rural aux activités économiques essentielles à leur survie. Au niveau international, le Comité consultatif pour l'aide aux plus pauvres (CGAP) a été créé par les bailleurs de fonds suite à la Conférence internationale sur les mesures propres à réduire la faim dans le monde. Le but de ce Comité était de renforcer les institutions de microfinancement, d'identifier les pratiques optimales dans ce domaine et de fournir des financements aux populations les plus défavorisées par le biais d'institutions de microfinancement saines. Compte tenu de cette importance reconnue aux institutions de microfinance et eu égards à tant d'années de fonctionnement déjà enregistrées, il s'avère nécessaire de s'interroger sur le rôle effectivement joué par les institutions de microcrédit dans le financement de l'activité économique en Côte d'Ivoire dans un contexte marqué par le souci de consolidation de la croissance et de réduction de la pauvreté. On peut donc légitimement se poser la question suivante : Quelle réponse la microfinance peut-elle apporter à l'exclusion des pauvres et à l'inégalité de l'accès aux institutions de financement en Côte-d'Ivoire ? Autour de cette question principale l'on peut se poser les questions ci-après : Quelle est la place de la microfinance dans le système financier ivoirien ? Quel est le profil des bénéficiaires de cet instrument financier ? Quelle relation existe-t-il entre inégalité et accès à la microfinance ? Quelle relation existe-t-il entre pauvreté et accès à la microfinance ? La réponse à ces questions permettra d'approfondir la réflexion sur les mesures pouvant aider à mettre en place des politiques de crédit plus favorables et qui puissent intégrer les préoccupations des couches les moins nanties et dont l'accès au crédit bancaire reste difficile. L'intérêt de cette étude se justifie donc par la nécessité de renforcer les capacités des populations vulnérables au lendemain d'une crise qui, pensons-nous, aura intensifié les inégalités et la vulnérabilité des populations les moins nanties. Dans une perspective de durabilité sociale, une bonne politique de microfinance peut par ailleurs permettre de mutualiser le risque et d'éviter le développement des trappes à pauvreté, lesquelles peuvent être à l'origine de l'instabilité et des situations imprévisibles. Un clin d'oeil sur les rapports de genre se justifie en particulier par l'impact que présente l'accès des femmes au microcrédit en termes de diminution de certains risque dont celui de se prostituer (surtout chez les filles ayant fait des études supérieures). * 2 Institut National de la Statistique de la Côte d'Ivoire * 3 Profil et déterminants de la pauvreté en Côte d'Ivoire en 1998 (Rapport définitif) - INS/PNUD * 4 Extraits de la Déclaration du Sommet sur le Microcrédit de 1997 * 5 Professeur d'économie à l'université de Chittagong, au Bangladesh - Directeur de la Grameen Bank * 6 Créée en 1976 dans le but de réduire la pauvreté et la faim, elle compte aujourd'hui plus de 2,3 millions d'emprunteurs au Bangladesh * 7 Article de Jean Loup Motchane, professeur à l'université de Paris VII intitulé le micro-crédit alibi de la privatisation de l'aide au développement - Avril 1999 * 8 A l'occasion de la table ronde intitulée «Microcrédit, élimination de la pauvreté et démarginalisation des femmes». |
|