Chapitre IV : l'utilité ne se limite pas
à un rapport à la chose, elle n'est pas ustensilité en son
fond mais plutôt la structuration d'un rapport social chez Hegel
elle est d'abord un rapport à la nature
L'utilité est l'exploration d'un rapport vivant de
l'homme à la nature. Or, ce qui agit dans l'homme, c'est l'Esprit comme
manifestation d'un être déjà-là face à la
nature comme simple manifestation. Dans la Première philosophie de
l'Esprit qu'il a rédigée à Iéna vers
1803-1804, Hegel étudie et tente de saisir la relation de l'Esprit
à son extériorité naturelle. L'Esprit est d'abord saisi
comme conscience qui détermine ses objets et qui les travaille de
manière active. Dans cette Première philosophie de
l'Esprit, Hegel introduit trois catégories fondamentales qui
désignent trois modèles de relations interactives ayant une
valeur comparable : le langage, l'outil et la famille. En effet, le langage qui
est une représentation symbolique, l'outil qui se manifeste dans le
travail et la famille qui montre une interaction et une
réciprocité, médiatisent le rapport entre le sujet et
l'objet. Ce que se propose Hegel, c'est de résorber l'opposition
sujet-objet et de penser les premières déterminations de la
conscience à la nature, c'est-à-dire ses premières
incarnations. L'esprit n'est pas conçu comme le passage de la conscience
à la conscience de soi comme il le sera dans la
Phénoménologie de l'Esprit, mais comme le milieu de la
conscience par lequel toutes les consciences communiquent. La conscience est le
milieu où les sujets agissent ensemble, où ils se posent comme
sujets dans une unité. Or, pour transformer la nature, l'homme utilise
des moyens-termes (die Mitte). Le moyen-terme est ce
par quoi l'homme agit sur un autre, il n'est pas encore la
médiation (die Vermittlung) qui en tant que
telle, ne se suffit pas et a besoin d'autres médiations. Le moyen-terme
constitue le degré le plus pauvre de la médiation : il n'existe
que dans une réciprocité première et pas encore dans une
relation dialectique véritable. D'une certaine façon, le
moyen-terme est protodialectique. Les catégories de langage, de l'outil
et de la famille ne sont pas exactement des relations dialectiques mais
protodialectiques qui animent une réciprocité humaine et une
première négation de la naturalité environnante. Ce sont
des media ontologiques qui sont en même temps des
synthèses de l'aspect subjectif et de l'aspect objectif de la
conscience. Hegel ne pense pas ici à une dialectique mais à une
interaction entre les différentes consciences, les différentes
synthèses de ces consciences. La conscience est pure
négativité, elle nie de manière libre son environnement.
C'est d'abord par le langage que la conscience nie son environnement naturel :
"Dans la première puissance (le langage), la conscience s'est
prouvé sa maîtrise idéale sur la nature"67(*). L'homme utilise des signes
linguistiques non naturels pour s'exprimer. Il a besoin de se fabriquer une
structure linguistique pour dire ce qui est déjà-là, pour
dire la nature et pour se dire dans la nature. Il utilise alors la langue comme
instrument détaché de la conscience qui est au service du langage
en tant qu'activité signifiante. Ce langage est utilisé pour
transmettre quelque chose à autrui. La conscience nie d'abord la nature
de manière idéale et sa "maîtrise idéale" passe par
une rupture avec l'être naturel. Nous sommes plongés dans une
conscience théorique qui conçoit la nature mais ne la transforme
pas encore. La conscience veut exister face à la nature, elle veut
être d'abord mémoire et langage, bref entendement. Mais c'est dans
la philosophie pratique, dans la praxis, que cette conscience va
exister réellement et en particulier à travers le travail.
* 67 G.W.F HEGEL, Prem.
phil. de l'Esprit, Trad. Franç. Guy PLANTY-BONJOUR, éditions
PUF, coll. Épiméthée, Paris, 1969, p.58.
|