La liberté du sujet éthique chez Kant et Fichte( Télécharger le fichier original )par Christophe Premat Université Paris I - DEA d'Histoire de la Philosophie 2000 |
2) Définition d'une éthique du projet chez Fichte ayant pour objet une infinie connexion des intersubjectivités."Nous n'agissons pas parce que nous connaissons ; nous connaissons au contraire parce que nous sommes destinés à agir ; la raison pratique est la racine de toute raison. Les lois qui régissent les actes des êtres raisonnables sont d'une certitude immédiate : leur monde n'est certain que parce que ces lois sont certaines."55(*) Le monde se présente comme l'objet d'une transformation à réaliser ; ce ne sont pas les lois naturelles qui déterminent passivement notre raison ; au contraire, notre liberté remodèle le monde grâce à une éthique du projet définie selon les fins de l'homme libre. Cette éthique est au coeur de l'idéalisme car comme l'écrit Jean-Marie Vaysse, "Face à l'idéalisme, qui est une philosophie de la liberté et de l'agir, le dogmatisme est une philosophie de la nature et un réalisme de l'être, une ontologie."56(*) Alors que la philosophie dogmatique hypostasie le sensible pour en faire un intelligible en soi, l'idéalisme transcendantal définit une véritable ontologie de la praxis. "Le fondement de l'affection du Moi étant situé dans le Moi lui-même, celui-ci n'a rien à saisir au-delà de lui."57(*) L'essence de la liberté, qui est antérieure à la liberté, est présente dans le Moi et c'est le pouvoir pratique qui révèle cette dernière, ce pouvoir impliquant une confrontation avec le monde sous la forme d'une résistance. "Une chose ne possède une réalité indépendante que dans la mesure où elle est mise en relation avec le pouvoir pratique du moi."58(*) Sans cette relation, elle n'est rien puisqu'elle ne peut être reconnue comme chose. Fondé par la liberté pratique du sujet, le monde n'est pas un pur spectacle, il est objet d'action et sollicite toutes les libertés. Le sujet doit se dépasser constamment dans l'effort de son action morale, il s'ouvre ainsi à la communauté grâce à l'infinité de son effort et de sa tâche (Aufgabe). La catégorie de communauté est une catégorie pratico-politique qui articule la substantialité égologique à la liberté d'agir, elle est emblématique de l'ontologie de la praxis en tant qu'elle est l'horizon indépassable de notre effort. Il reste à accorder la loi morale à la spéculation qui avait mis en évidence l'absoluité du Moi fini : or, pour concilier le Moi et la communauté, il faut concevoir le concept d'une totalité qui n'est rien d'autre que l'objectivation de la loi morale. Cette totalité est Dieu, elle fonde la nécessité d'une action pratique infinie. La catégorie de communauté permet d'articuler les rapports entre individus par l'action réciproque. L'éthique fichtéenne repose à la fois sur une morale de la conviction individuelle et une morale sociale, chaque membre trouvant en lui-même le principe de la moralité, mais ce dernier n'étant effectuable que dans une communauté. L'Absolu est toujours à réaliser, il laisse un espace libre pour l'imagination : la communauté prend son sens dans la manière dont les sujets éthiques envisagent et imaginent son avenir. Ici, on a un exemple de l'effectivité pratique de l'imagination, dont le pouvoir "flottant" (Schweben) avait été affirmé sur le plan théorique. L'acquisition d'une mentalité éthique est nécessaire pour la formation d'un caractère libre et intelligible, où l'homme choisit son être et ce qu'il veut devenir. Seul ce caractère intériorise les exigences communautaires et rend possible un effort incessant d'ouverture aux autres. L'homme est donc pleinement responsable, il s'agit maintenant de coordonner l'espace réel de ces libertés au sein d'un ordre juridico-politique qui soit le plus adéquat à leur expression, c'est-à-dire qui les garantisse. * 55 J.G. FICHTE, Destination de l'homme, Trad. J-C GODDARD, éditions GF, Paris, 1995, p.167-168. * 56 Jean-Marie VAYSSE, Totalité et subjectivité, Spinoza dans l'idéalisme allemand, éditions VRIN, Paris, 1994, p.71. * 57 J.G. FICHTE, Principes de la Doctrine de la Science, in OEuvres choisies de philosophie première, Trad. Alexis PHILONENKO, éditions VRIN, Paris, 1964, p.80. * 58 Ibid., p.146. |
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