IV- Le pays balante ou Balantacounda : une
société profondément transformé par les
migrants
La structure actuelle de la population du Balantacounda est le
fruit de son histoire fondée sur
de vagues successives de migrants affluant dans la
zone. Ces nouveaux venus ont largement contribué a la
transformation de la société balante traditionnelle et a la mise
en place d'une société hybride où une réelle osmose
s'est produite entre les différentes ethnies
en présence.
En effet, depuis un demi- siècle et surtout
depuis la dernière guerre, le Balantacounda a subit des
transformations d'autant plus profondes qu'il était démuni
de toute infrastructure politique et de tout système d'organisation
sociale, capables d'assurer la solidarité de l'ethnie et le
contrôle de l'espace en dehors des périmètres
effectivement occupés et cultivés. La fin de
l'isolement, l'ouverture de voies de communications,
l'établissement de réseaux administratifs et
commerciaux, l'apparition de nouvelles conception de la vie sociale et
personnelle, sur le plan religieux notamment, ont été l'oeuvre
d'«étrangers» dont la région a connu et
continue a connaître une véritable invasion (PELISSIER,
1966)
Nul autre secteur de la Casamance n'a connu une arrivée
aussi massive d'immigrants. Mandingues et originaires de la Guinée
Bissau (Mandjaques et Mancagnes), ont créé des villages- centres
(Goudomp, Akintou 1 et 2, Bindaba 1 et 2, Diouniki), répandu la culture
de l'arachide, introduit l'islam. Ils ont en quelque sorte juxtaposé une
géographie nouvelle aux formes d'occupation du sol traditionnelles des
Balantes. Les grands traits de l'aménagement actuel du Balantacounda et
les techniques qu'il met en oeuvre reflètent ce brassage de la
société.
Mais, en dépit de la diversité des ethnies en
présence (Mandingues, Balantes, Diolas, Peuls, Mancagnes,
Mandjaques....), il existe une certaine uniformisation aussi bien du
système de production que de l'organisation sociale du travail.
IV-1 Crise et mutation du système
foncier
Le code foncier, uniforme malgré la multiplicité
ethnique, distingue les terres de plateau des terres de bas- fonds.
Les terres de plateau, destinées aux cultures pluviales,
sont le domaine d'intervention des hommes. Le droit d'usage sur ces terres est
obtenu sur autorisation du chef de village
ou de famille. Leur exploitation se fait dans le cadre d'une
organisation familiale. Quant aux terres de bas- fonds (rizières)
l'appropriation est souvent maritale mais l'exploitation en est
réservée a la femme.
La question des prêts ou location des
rizières reste très fréquente ces dernières
années a cause du flux croissant des migrants qui entraîne la
rareté des terres cultivables. Deux modalités sont
rencontrées : le prêt gratuit et la location
monétarisée.
En ce qui concerne le régime foncier, notons que la
terre est un patrimoine familial. Par conséquent chaque membre de la
famille a la responsabilité du bien qui lui est confié. Il jouit
de sa production et peut même prêter
bénévolement des parcelles a un ami ou un étranger
a la famille.
IV-2 Systèmes de production et techniques
aratoires
Il convient de distinguer les rizières, les champs de
brousse et les petits champs familiaux.
Le mode de labour le plus fréquent reste le manuel a
billon qui mobilise prés de 70 % des paysans.
L'agriculture est itinérante sur brûlis dans
les champs et intensive traditionnelle dans les rizières.
Sur un champ précédemment cultivé, sur
une jachère ancienne ou dans une brousse inculte, le paysan coupe
les broussailles et les tiges de mil qui sont restées, abat
éventuellement les arbustes puis y met le feu. Cette pratique
permet aux sols de se régénérer et de retrouver leur
fertilité. Sur le terrain ainsi préparé, dés les
premières pluies, il billonne le champ avec le donkotong, le
kobadour ou dans une moindre mesure la charrue, avant de
procéder au semis le long des billons. Avec les grandes
tornades, les herbes poussent et gênent la croissance du mil ou
de l'arachide, un sarclage est nécessaire. La petite binette entre
alors en jeu pour désherber. Un deuxième sarclage est
exécuté un mois
et demi plus tard, mais la rareté de l'herbe n'oblige
jamais a un troisième sarclage.
. Les champs de tapades ou
«kankan» : entourant les habitations, de
superficies réduites, bénéficiant d'une protection contre
les animaux, d'apport de matière organique et plus ou moins
complantés d'arbres fruitiers (manguiers, agrumes et papayers
surtout), ils sont consacrés aux cultures de tubercules, de
légumineuses et de maïs. Ce sont des cultures d'hivernages
répétées chaque année sans rotation
précise. Le kankan joue un rôle important dans
l'économie domestique car il est essentiellement consacré
a la céréale de soudure, le maïs.
Le labour du kankan-- opéré en
général en billons très réguliers comme sur
les champs de plateau -- et le semis du maïs, sont l'affaire commune des
hommes de chaque concession ; ils représentent même leur apport
le plus régulier et le plus systématique a la nourriture de
leur famille. Le maïs semé en juin est
récolté en septembre. Pendant toute cette dernière
période, le paysan a biné deux fois son champ pour
éliminer les mauvaises
herbes.
. Les champs de brousse : c'est
le domaine de culture du mil, de l'arachide, du sorgho, du
niébé et parfois du coton. Les semis se font sur un terrain
nettoyé et billonné ou labouré. Le sol est
travaillé sommairement a l'aide d'outils rudimentaires. En effet,
les différentes ethnies présentes dans la zone utilisent
le donkotong, le kadjandou ou le kobadour qui
permettent de retourner manuellement la terre et de confectionner des
billons.
La traction animale (bovine), fréquente a Birkama permet
d'obtenir le même type de labour. Il est évident qu'a chacune des
cultures correspond une technique particulière et un outillage
différent. En fait, un groupe de cultivateurs dispose de
plusieurs instruments aratoires qui sont utilisés pour des
fonctions déterminées, mais chaque groupe ethnique en
utilise
préférentiellement un qui peut servir a le
caractériser.
Ainsi, le donkotong, sorte de houe a angle très
fermé composé d'un manche court et d'une grande palette de bois
ferrée a son extrémité utilisé pour le billonnage,
constitue- t- il
l'instrument caractéristique des Mandingues. C'est
l'instrument aratoire le plus couramment utilisé dans le bassin. L'usage
du donkotong pour le labour permet une économie de l'eau en
ce sens qu'il met a la disposition du cultivateur une
terre meuble et profonde ayant une grande capacité d'absorption
de l'eau tout en étant aisément drainée lorsque le
sol est saturé. Il procure le moyen non seulement d'enfouir
profondément toute la végétation herbacée mais
aussi de rassembler dans les billons la totalité de l'engrais
vert disponible dans le champ.
Le kadjandou, fierté des Diolas, comporte un
grand manche de bois pouvant avoir 2,5
a 3 m de long ; ensuite vient une palette de bois dur de forme
oblongue qui se prolonge par
un petit manche de 15 a 20 cm qui se dessine progressivement
sous la face inférieure de la palette et se relie a la perche
grâce a une corde de rônier. Il est utilisé pour le
même service que le donkotong.
Le labour avec ces instruments traditionnels constitue ainsi
un moyen de lutte efficace contre l'herbe, en même temps qu'une technique
satisfaisante d'entretien du niveau de la matière organique dans le
sol.
Une petite binette, utilisée pour le
désherbage, fait partie de la large gamme d'instruments
employés pour les opérations d'entretien des cultures.
La pratique de la rotation de culture et de la
jachère y est effective. Mais depuis quelques années, faute
de terres proches cultivables, la durée de la jachère tend a
diminuer.
La fertilisation est peu pratiquée sauf sur les champs de
mil où on utilise l'engrais chimique.
. Les rizières : le principal
mode traditionnel de mise en valeur est la construction de petits polders
endigués. Cette digue est faite de matériau rencontré dans
le polder lui-même (boue et fibres) Deux procédés
caractérisent le travail des rizières inondées : une
forme extensive dans laquelle les semis se font a la volée,
une forme intensive qui utilise le repiquage des plants
préparés en pépinière. Le travail se fait le plus
souvent manuellement a l'aide du « baro », instrument
constitué par une lame de daba adaptée a un manche
coudé
de 1,5 a 2 m que les paysannes manient debout et avec
lequel elles ne peuvent que débarrasser leur rizière de la
végétation herbacée et en retourner superficiellement le
sol.
Les rizières sont cultivées dès que
les toutes premières pluies ont suffisamment détrempé
le sol. Elles subissent d'abord un nettoyage sommaire assorti d'un
brûlis qui permet de les saupoudrer de cendres, puis sont houées
de manière systématique. A cette occasion, les débris
qui ne peuvent être enfouis (les rhizomes, repousses arbustives), sont
rejetés sur les limites de chaque parcelle et viennent renforcer les
balanghon; ces diguettes qui dessinent a la surface des
rizières un cadrage régulier, ont un double
rôle : emmagasiner l'eau de pluie et marquer les limites
foncières du parcellaire. Aux premières pluies également,
des pépinières ont été semés. Le repiquage
du riz est effectué dans le courant de juillet, lorsque les pluies
assurent a la terre une humidité suffisante ou une
submersion permanente.
La récolte se fait a la main a l'aide d'un couteau
spécialement conçu a cet effet. Le rendement reste encore
faible malgré divers efforts déployés ; les
facteurs- limitant étant entre autre la salinité, la
pauvreté des sols, le repiquage long (20 a 50 jours/an) les
pépinières et les rizières étant dispersées,
les temps de repiquage en sont d'autant allongés.
La pratique de gestion de ressources y est effective avec comme
fertilisants le fumier, les ordures ménagères et les engrais
chimiques.
La principale contrainte de la riziculture dans le
bassin de Goudomp reste cependant l'absentéisme total des hommes
qui a pour effet que les rizières se limitent aux zones
rendues favorables au riz par les conditions naturelles, c'est- a- dire la
qualité de leur sol et
la submersion ou l'humidité dont elles
bénéficient spontanément.
. L'Association agriculture- élevage
: c'est une pratique traditionnelle en Casamance ; si chaque
village dans le bassin de Goudomp possède un troupeau, beaucoup
de chefs de famille n'ont pas de bovins ou n'en ont que quelques
têtes. Durant l'hivernage, l'occupation
du sol par les cultures contraint les bergers a conduire leurs
troupeaux pâturer en brousse et même, assez souvent, a y
séjourner. Mais, dès la fin des récoltes, ils se
rapprochent du village où ils paissent durant la journée sur les
champs et les rizières et chaque soir, ils sont regroupés dans un
parc commun dont la surveillance et l'entretien sont souvent confiés a
un Peul. Les bêtes ne sont jamais envoyés en transhumance, mais
laissées généralement en divagation dans les environs
après les cultures.
C'est un élevage prospère mais
marginal. En effet, la possession d'un cheptel est
la marque d'une position sociale solide, voire
privilégiée. Les bêtes sont rarement
commercialisées et leur énergie largement sous- employée.
La fonction essentielle dévolue
a ce troupeau est d'être un instrument de
fumure. Ce rôle du troupeau comme agent d'entretien du sol est
complété par celui du petit bétail (caprins,
volaille, ovins...) souvent élevé en grand nombre.
Et pourtant, les terres du bassin de Goudomp, suffisamment
profondes et cohérentes offrent un cadre propice a la culture
attelée. Convenablement conduit, le labour a la charrue doit être
susceptible d'assurer des façons culturales aussi efficaces et pas plus
dangereuses pour la structure du sol que le travail au donkotong.
L'énergie animale devrait permettre de multiplier les travaux
d'entretien, d'améliorer les rendements, d'accroître la surface
cultivée par travailleur et surtout d'abréger la dure labeur
d'une population féminine harassée tout au long de
l'année par des travaux agricoles et des tâches
ménagères qui dépassent ses
forces.
IV-3 Une organisation sociale de la production
hiérarchisée
Le fait saillant de l'organisation sociale du travail dans le
bassin de Goudomp et ceci pour l'ensemble des ethnies en présence, est
la division sexuelle du travail qui affecte aux travaux
de rizières les femmes tandis que les hommes sont
tournés vers les cultures de plateaux. Ce trait fondamental de la
culture mandingue semble avoir été adopté
relativement aisément par les autres ethnies présentes dans la
zone.
IV-3 -1 Division sexuelle du travail et formes
d'entraide
a) Division sexuelle du travail
Sur un même champ les travaux agricoles sont
répartis selon le sexe.
Dans les rizières, le labour la préparation du
sol, le semis, le repiquage et la récolte sont entièrement
assurés par la femme. Cette ségrégation absolue
dans l'exploitation agricole, plutôt défavorable a la femme,
est lourde de conséquences ; les techniques d'aménagement
en portent très fortement la marque. En outre, elle se traduit par un
déficit
de main d'oeuvre dans la vallée avec comme cortège
un étalement excessif des opérations culturales limitant les
rendements et la productivité.
Dans un champ d'arachide chez les Mancagnes et les
Mandjaques, le labour et la préparation du sol sont
réalisés et par les hommes et par les femmes, le
décorticage des semences et le semis par la femme, le désherbage
et la récolte par l'homme.
La désintégration progressive des structures
familiales, liée aux changements sociaux intervenus dans le
bassin, a entraîné des changements dans la division du
travail qui s'opèrent souvent au détriment des femmes.
Outre les tâches domestiques qui leur incombent traditionnellement,
les femmes sont de plus en plus souvent mises a contribution dans des domaines
qui relevaient autrefois de la responsabilité des hommes.
b) L'entraide traditionnelle : un acquis à
revaloriser
Les différentes formes d'entraide rencontrées sont
sans lien avec l'appartenance ethnique ;
une réelle osmose s'étant produite entre les
groupes ethniques en contact.
-Association de culture : ce
sont des groupes de jeunes ou de femmes de 7 a 20 personnes
s'organisant pour des prestations de travail rémunérées.
Les tarifs varient selon l'âge et le sexe.
Une famille peut avoir recours a l'association de culture en cas
d'insuffisance de force
de travail ou pour faire face a un surcroît de travail
occasionné par la simultanéité de travaux concernant les
différentes cultures.
-Invitation de culture : des amies
se regroupent pour travailler ensemble dans la rizière de chacune
d'entre elles. Aucune somme n'est versée, le travail étant
effectué chez chacune des participantes a tour de rôle.
On rencontre aussi, notamment a Bindaba, la pratique du
salariat agricole ou
utilisation de navétanes (ouvriers agricoles)
Ces pratiques traditionnelles, qui ont fait leur preuve,
doivent être pérennisé pour faire face aux exigences
d'un calendrier agricole chargé.
IV-3- 2 Un calendrier des travaux agricoles
défavorable
Les cultures traditionnelles, très variées, ont
la particularité de commencer toutes a la même période (en
début d'hivernage : voir schéma ci-dessous) ; ce qui
explique les surfaces relativement petites consacrées a chacune
d'entre elles.
figure 3: Schéma du calendrier agricole
dans le bassin
Les paysans du bassin de Goudomp n'ont pas l'habitude de compter
leurs jours de travail.
Néanmoins l'année peut grossièrement se
répartir ainsi :
juin- juillet : semis sous pluies toutes cultures, mise en
place des pépinières a riz.
aoUt : repiquage du riz, entretien par sarclage des
différentes cultures de plateaux.
septembre- octobre - novembre : entretien des cultures,
gardiennage des champs et premières récoltes (mil, maïs,
arachide, riz).
décembre - janvier: récoltes (riz, mil, arachide,
fruits).
février - mars: cultures maraIchères (piment,
oseille, aubergine...).
avril - mai: préparation du sol (brUlis et labours)
Cette simultanéité des travaux concernant les
différentes cultures, dictée par les conditions climatiques
(distribution uni modale des précipitations), restreint la
production.
Conclusion
La diversité ethnique dans notre zone d'étude
est très importante. Cependant les structures sociales et les
systèmes fonciers présentent une relative
homogénéité. Les systèmes agraires du bassin de
Goudomp ne présentent pas de situation de crise. Bien au contraire,
l'apparente solidarité, la pérennité des systèmes
de production et des rapports sociaux de production restent
consolidées. Ceci conduit a penser a priori que tout
projet de développement non négocié avec le pouvoir
local ou contredisant fondamentalement les
structures sociales et économique existantes sera
voué a l'échec.
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