CHAPITRE III : LES FACTEURS EXPLICATIFS DES
CONTRE-PERFORMANCES POST- OPÉRATIONS DE DÉVELOPPEMENT
Introduction
En examinant les différents projets de
développement agricole dans le bassin de Goudomp,
on constate la récurrence de deux thèmes
techniques : la lutte contre la remontée des biseaux salés
et l'intensification de la production par le biais de l'irrigation. Ces deux
thèmes centraux ont occulté un autre non moins important
qui est la création des organisations paysannes et le
renforcement de leurs capacités pour une auto- prise en charge.
Cette négligence coupable (omission de promouvoir des structures
paysannes autonomes et efficaces) conjuguée a d'autres facteurs
sociologiques sont pour une large part a l'origine des insuffisances dans
le suivi des opérations de développement.
I- Une politique de développement agricole
marquée par l'omniprésence du riz
Toutes les interventions des projets
intégrés de développement dans le bassin avaient
comme priorité l'augmentation de la production en riz. Ce choix
est aisément concevable quand on sait les opportunités
offertes par les bas- fonds pour une riziculture intensive, mais aussi la
place du riz dans les habitudes alimentaires des populations. En effet, le riz
constitue la première denrée consommée par les populations
et occupe la première place dans les importations en
céréales du Sénégal. Et dans le contexte de la
crise, l'objectif de l'autosuffisance alimentaire passe nécessairement
par l'accroissement ou le doublement de
la production locale.
La lutte contre la salinisation et pour la
récupération des terres trouve la toute son importance.
Initié par la MAC, ce thème fut relayé a tour de
rôle par le PRS et plus tard, le PROGES. Des résultats parfois
flatteurs furent acquis. Toutefois, ces progrès obtenus, citons
notamment en exemple les résultats remarquables de la MAC qui
a su développé avec succès la double culture par
irrigation et initié la culture attelée et la motoculture,
n'ont
pu être maintenus du fait des contraintes d'ordre
technique: le transfert de technologie et de connaissances souvent sans rapport
avec les niveaux de ressources tirées de l'exploitation agricole.
Par ailleurs, on peut regretter l'action trop
centrée des différents projets de développement
qui ont tous pour cible la riziculture. Les deux autres mamelles de
l'économie locale en l'occurrence la pêche et les
ressources naturelles ont été souvent oubliées.
L'opération devrait tendre aussi vers l'autosuffisance alimentaire
par l'intensification des cultures du mil et du maïs ; par
l'accroissement de la production des cultures dites de diversification
(niébé, légumes) tout comme elle devrait viser la
sécurisation des revenus du
producteur rural par la valorisation des produits a
travers l'établissement d'un système de
prix rémunérateur et l'organisation des
marchés. A noter aussi la promotion de la participation du
monde rural a la gestion de ses affaires.
II- Mise en place des organisations paysannes : une
négligence coupable
La priorité absolue donnée a la lutte contre la
salinisation des terres et au développement de
la riziculture a conduit les techniciens en charge du
développement du bassin, a négliger la mise en place de
structures paysannes autonomes capables d'assurer la relève. Certes, ils
savaient que la préservation des rizières contre toute intrusion
des biseaux salés était une action globale dans le cadre
d'une intensification de la production et que sans un suivi judicieux
des aménagements de la part des principaux acteurs (les
producteurs), l'effort consenti était vain ; il n'empêche que
tous les projets jusque- la, ont priorisé la réalisation d'une
digue anti-sel et ne se sont intéressés que
subsidiairement aux organisations paysannes. Or les producteurs, acteurs-
clés du développement de leur terroir, doivent constituer
le ciment de toute action intégrée qui vise a moyen ou long terme
l'amélioration de leurs conditions de vie.
Le défi de la pérennité des acquis
passe nécessairement par la formation des paysans, leur
encadrement et le renforcement de leurs capacités d'auto- prise en
charge. L'exemple du PROGES, qui a mis en place dans sa phase de
réalisation, des structures paysannes (CVGE, CIVGE)
chargées du pilotage des aménagements, mérite
d'être soulignée. Cependant, la pertinence de ces structures
au vue de leur impact réel dans la gestion de l'eau, leur
crédibilité aux yeux des masses paysannes suscitent
des interrogations. Mais a y voir de prés, les CVGE et CIVGE
font face a la difficulté la plus courante dans le monde de
la formation continue non publique: le financement du fonctionnement
dans un environnement économique précaire au sein duquel
la prise en charge des coUts de formation n'est pas encore établie.
Dans ce contexte, la prise en main
et la solution des contraintes de financement de la formation
par les pouvoirs publics et leurs partenaires au développement
seraient d'un apport considérable a la réalisation des
ambitions affichées.
III- Facteurs sociologiques : le poids de
l'histoire
Le fait social qui handicape le plus le développement
agricole du bassin de Goudomp est, sans nul doute, l'absentéisme
total des hommes dans les travaux des rizières. Ce trait
fondamental de la société traditionnelle mandingue est
aujourd'hui adopté par l'ensemble des ethnies en présence.
L'entretien du domaine rizicole incombe de manière absolument exclusive
aux femmes. La MAC a réussi a convaincre certains hommes a descendre
dans
les rizières en instaurant notamment la culture
attelée, la motoculture et la récolte du riz a la fourche ; des
travaux qui somme toute se font par des hommes. Mais, quelques
années après le départ «brutal'' des techniciens
chinois, l'exploitation du sol est conduite selon le
système traditionnel, fort simple comportant partout le
même diptyque : les rizières domaine
des femmes, et les cultures sèches, domaine des hommes.
Les femmes ont ainsi conservé
la charge du secteur essentiel de la production vivrière,
la culture des rizières. Ce mode de
vie a largement contribué a fragiliser et a
paupériser les ménages. En effet, la baisse des productions des
cultures sèches pour cause de pauvreté des sols,
amène la femme a assurer seule les besoins alimentaires du
ménage.
Cette attitude des hommes a l'égard des tâches
productives et l'utilisation qu'ils font
de la main d'oeuvre féminine ne sont pas des
phénomènes récents. En effet, de leur passé
de commerçant et leur vocation militaire ancienne, la
société mandingue a conservée une structure très
différenciée et une répartition très
précise des tâches entre les catégories sociales et
surtout entre les sexes, mais aussi un héritage lourd : une
allergie tenace a l'égard du travail manuel, en particulier du travail
de la terre. Ce comportement des hommes mandingues, aujourd'hui largement
adopté par toutes les autres ethnies, constitue un
véritable frein au développement de la riziculture dans le
bassin.
Conclusion
Cette analyse rétrospective de principaux projets de
développement local permet de dégager
un certain nombre d'observation de valeur
générale.
La première remarque concerne le danger d'un
développement agricole réduit a une collection de projets
sectoriels conçus et réalisés par des bailleurs de
fonds en l'absence d'un programme de développement a long terme,
sans que les populations concernées soient consultées et
associées aux choix des décisions, a la réalisation des
projets et a leur prise en charge. Le cas du PROGES a
révélé un certain gaspillage dans la mesure
où l'essentiel des moyens financiers est mobilisé pour la
rémunération des cadres ou consacrés aux moyens de
fonctionnement.
La deuxième, c'est que l'aménagement
hydroagricole d'un bas-fond reste une aventure humaine dont le
succès dépend certes du soin accordé a sa
préparation et a sa réalisation, mais aussi des efforts
quotidiens des paysans qui doivent pouvoir tirer profit de leur travail.
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