b) La réappropriation du programme apriste par le
gouvernement militaire
Ironiquement, le coup d'Etat de 1968 mena au pouvoir des
militaires qui utilisèrent largement les idées de l'APRA, et la
théorie économique développée par Haya de la Torre
dans son ouvrage, El antiimperialismo y el Apra de 1936. La junte
militaire bénéficia à cet égard, de l'apport et de
l'assistance de renégats de l'aprisme, qui déçus de la
politique de collaboration parlementaire menée par le parti, estimaient
que le temps était venu d'appliquer, le programme apriste des
années 1930. Cette scission débilita d'autant plus le parti, que
certains de ses cadres, voir le secrétaire personnel de Haya de la
Torre, Carlos Olivera, reçurent comme mission des militaires de
définir les plans structuraux de la Révolution péruvienne.
Menés par la conviction que l'attitude de Haya de la Torre durant les
années 1960 avait fait perdre au parti sa dimension
révolutionnaire et réformiste, les transfuges
transformèrent le système économique péruvien en un
modèle socialiste avec une réforme agraire radicale, la
nationalisation de tous les secteurs économiques (banque, pêche,
assurances, mines, assurances), ainsi que le développement du
coopérativisme rural. Reprenant la thématique de la lutte
anti-impérialiste chère à Haya de la Torre, le
gouvernement militaire cultiva la rhétorique anti-impérialiste,
continuant à instrumentaliser la menace qui faisait peser sur le
Pérou l'impérialisme américain. Comme illustration de ce
positionnement, Velasco protesta au sein de l'Organisation des Etats
Américains (OEA) contre l'ostracisme à l'égard de Cuba, et
appuya les revendications de Panamá sur le canal. Or, cette mesure
était l'un des cinq piliers du programme apriste des années 1930.
Plus encore, reprenant la vision universaliste que l'APRA cultivait dans la
revue Amauta, les militaires proclamèrent que leur choix du
tiers-mondisme et leur refus de l'alignement sur Moscou, résidait dans
une vaste stratégie de solidarité contre
l'anti-impérialisme, ce qu'ils firent lors des sommets du groupe des 77,
dont l'une des sessions eût d'ailleurs lieu à Lima en 1970.
Cette réappropriation des valeurs de justice sociale et
de progrès social, par les militaires réformistes,
débilita le parti apriste. Il perdait en effet son identité, en
voyant d'autres appliquer des réformes qu'il avait lui-même
conçues. D'autre part, le parti comprit vite que son choix de la
convivencia (vie commune) qu'il fit entre 1956 et 1968, lui avait fait
perdre son image de victime isolé et revendicative. Ses collaborations,
d'abord Pardo, puis avec Odria, représentant militaire de l'oligarchie,
avaient non seulement produit une scission interne, mais pis, faussé les
repères identitaires qu'il avait forgé durant les années
vingt. En pleine quête identitaire, l'APRA décida de réagir
en posant le problème de la définition de sa singularité
et de son unicité. Afin de montrer la vraie nature de l'aprisme, il prit
un tournant décisif dans son autodénomination, choisissant de
tourner définitivement le dos à son passé marxiste et
à ses liens plus qu'étroits avec le mariatéguisme. Luis
Alberto Sanchez s'y attacha dans ses Mémoires, jouant la carte de
l'anecdote et de l'objectivité historique, que lui offrait son dualisme
de témoin et historien.
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