R E G L E M E N T A T I O N P U B L I Q U E E T
B I E N - Ê T R E S O C I A L
INTRODUCTION DE LA DEUXIEME PARTIE
Dans la partie précédente l'on a constaté
que la réglementation s'avère être une
nécessité pour garantir le bien-être social qui peut
être affecté par des inefficiences observées dans un
secteur. Elle est impérative, surtout dans les entreprises de
services publics qui ont été privatisées comme la
SONEL, et dont l'objectif principal était d'améliorer son
efficacité.
La régulation du secteur de l'électricité au
Cameroun est assurée par l'Agence de régulation
du secteur de l'électricité (ARSEL). Ce
rôle est conservé par l'Etat et relève à titre
principal de l'Agence, selon les modalités prévues par la loi
N° 98-022 du 24 décembre 1998, régissant le secteur de
l'électricité. L'Agence est donc le garant du
bien-être social dans le secteur de l'électricité au
Cameroun.
Cette partie a pour objectif d'évaluer l'impact de la
réglementation du secteur de l'électricité
sur le bien-être social au Cameroun. Pour ce faire, il
convient de présenter l'objectif et les modes de régulation
(chapitre 3), et de mesurer la variation de bien-être social (chapitre
4).
Le premier chapitre de cette partie sera axé sur les
causes de la réglementation, à son objectif
et aux modes de régulation. On s'attardera sur l'impact
des inefficiences des marchés sur le bien-être social, et sur
la régulation du secteur de l'électricité au
Cameroun. Le deuxième chapitre de la partie aura pour but
d'évaluer la perte de bien-être, tout en ayant au
préalable
posé les bases théoriques de sa mesure.
CHAPITRE 3
O B J E C T I F E T M O D E S D E R E G U L A T I O
N
Introduction
L'économie de la réglementation se
définit comme l'étude des problèmes soulevés
par la présence d'externalités, de monopoles naturels et
de biens publics (LEVEQUE, 1998). Ces trois défauts de
marché qui sont les notions centrales de l'économie de
la réglementation seront abordées ainsi que le
problème d'asymétrie d'information qui est observé
lorsque le régulateur et l'entreprise régulée sont
liés par un contrat. L'objectif du présent chapitre est
donc de présenter ces quatre notions en les illustrant, ainsi
que les différents modes de régulation des entreprises. La
première section sera consacrée à la définition des
concepts et à l'objectif de la réglementation; et la
deuxième section permettra de comprendre les modes de régulation
des entreprises.
SECTION 1 : DEFINITIONS ET OBJECTIF DE LA
REGLEMENTATION
La réglementation consiste pour l'Etat à
contrôler l'activité économique, notamment lorsqu'il existe
des monopoles ou qu'une activité induit des effets externes,
ou lorsque certaines productions ont le caractère de biens publics
(LEVEQUE, 1998). Elle peut donc consister en
la fixation du prix, des taxes ou des subventions sur les
produits et les profits des entreprises appartenant aux secteurs
concernés. Pour la clarté de notre étude, il
convient d'aborder les bases théoriques de la réglementation et
l'objectif de la réglementation.
I. Les bases théoriques de la
réglementation
Il s'agira de présenter en premier lieu les causes de la
réglementation, et en second lieu les différents courants de
pensée de l'économie de la réglementation.
I-1. Les causes de la réglementation
La réglementation se justifie par la présence
d'externalités, de biens publics, d'asymétrie d'information
et de situations de monopole naturel. Ces défauts sont
à l'origine des
inefficiences observées dans les marchés.
On dit qu'il y a externalités, quand les actions
d'un agent influencent directement les
possibilités de choix (ensemble de production ou
de consommation) d'un autre agent (SALANIE, 1998). Ces actions
s'exercent en dehors du marché. Les externalités sont
positives (négatives) lorsque les actions d'un agent
conduisent à une amélioration (diminution) du
bien-être de l'autre agent.
La nécessité de réglementer s'impose
donc lorsque les externalités sont négatives. Dans le
secteur de l'électricité au Cameroun, l'importance du
régulateur s'est faite ressentir après la privatisation de la
SONEL du fait que la baisse de la production qui a été
à l'origine de multiples délestages aurait affecté
négativement le bien-être des consommateurs.
Les biens publics sont des biens qui, une fois
créés, sont accessibles à tous sans condition. Ils
possèdent la double propriété de non exclusion et
de non rivalité (VARIAN, 2000). La première renvoie
à l'impossibilité d'écarter qui que ce soit de
l'utilisation d'un service, y compris les individus qui ne contribueraient
pas à son financement. La deuxième traduit le
fait que ce bien puisse être consommé
simultanément par plusieurs agents, sans que la quantité
consommée par l'un diminue les quantités encore disponibles pour
les autres.
En tant que bien public, l'électricité devrait
être accessible à tous les individus, ce qui n'est malheureusement
pas le cas, surtout en zone rurale. Le rôle du régulateur de ce
secteur est de favoriser l'accès de tous à
l'électricité, de sorte que personne ne soit
écarté de la consommation de ce bien d'utilité
publique.
Le problème de l'asymétrie d'information est
souvent observé dans une relation qui oppose deux acteurs (le principal
et l'agent) liés par un contrat. Ce problème conduit à des
situations
de sélection adverse et de hasard moral (VARIAN, 2000).
Le hasard moral a trait à des situations où l'une
des parties d'un contrat ne se comporte pas de
la manière dont elle s'y est engagée, et sans
que l'autre partie ne puisse l'en empêcher. On parle dans ce cas d'un
problème de ``comportement caché''. La sélection adverse a
trait à des situations où un côté du marché
ne peut pas observer le ``type'' ou la qualité des biens
situés
de l'autre côté du marché. On parle dans ce
cas d'un problème de ``type caché''.
Le problème de comportement caché a
été observé après la privatisation de la SONEL. En
effet, le contrat de cession obligeait l'AES-SONEL à investir
dans le secteur dans le but
d'accroître l'offre d'électricité. Mais
l'absence d'investissement a causé une augmentation
moins rapide de la production par rapport à la
consommation; ce qui a donc conduit au rationnement.
Une entreprise est un monopole naturel lorsque
ses coûts moyens sont décroissants (rendements
d'échelles croissants) pour tout niveau de production
donné. Dans ces conditions, une seule firme, satisfaisant toute
la demande aura des coûts inférieurs à deux firmes
ou plus se partageant la demande. Formellement, soit q1,......,qk
la production de k entreprises, telles que q1+q2+...+qk =
Q si chacune des entreprises a pour fonction de coût C(qi),
alors, C(Q)<C(q1)+C(q2)+................+C(qk). Une telle fonction
de coût est dite sous- additive. Cette situation se rencontre dans les
activités industrielles, comme la distribution de
gaz et l'électricité, qui présentent des
coûts fixes élevés.
AES-SONEL jouit d'une telle position sur le
marché de l'électricité au Cameroun, ce qui devrait
l'inciter à fixer ses tarifs à l'égalité du
coût marginal et de la recette marginale. Pour éviter cette
situation, qui n'est profitable qu'à l'entreprise, le rôle
du régulateur est de la contraindre à fixer des tarifs qui
devront lui assurer la couverture de ses coûts.
I-2. Les différents courants de
pensée
Quatre écoles ont posé les bases de
la réglementation : l'économie publique de la
réglementation, l'économie industrielle de la
réglementation, la nouvelle économie publique
de la réglementation et l'économie institutionnelle
de la réglementation. L'idée que véhicule chaque courant
sera présentée à la suite.
L'économie publique de la
réglementation
L'autorité réglementaire a pour objectif
l'efficacité économique. Elle est soucieuse de
l'intérêt général. L'existence de
défaillances (biens publics, externalités, monopole naturel) du
marché, mises en évidence dans le cadre de l'économie du
bien-être, justifie l'intervention publique. L'État doit donc
par la réglementation, influer sur le comportement des firmes
et des consommateurs (PIGOU, 1932). Sa démarche est normative,
elle vise à atteindre une allocation des ressources optimales de
type paretien (optimum de premier rang). L'État n'est contraint ni par
des difficultés de collecte d'information, ni par des
capacités de calcul
limitées. Il est de ce fait considéré comme
infaillible.
L'économie institutionnelle de la
réglementation
Cette école laisse ouverte de nombreuses
solutions pour remédier aux problèmes
d'externalités, de monopole naturel ou de biens collectifs, y compris
l'option qui consiste à ne rien faire quand le remède est plus
coûteux pour la collectivité que le mal. Elle est issue des
travaux de COASE (1960). Selon lui, L'État doit intervenir une
seule fois pour assurer le fonctionnement de l'économie en
attribuant initialement les droits de propriété. La
réglementation ne peut donc s'imposer qu'à deux conditions: soit
que les coûts de transaction
et de réglementation sont inférieurs aux
coûts des autres solutions, soit que ces coûts soient
inférieurs aux bénéfices de l'action elle-même. En
effet, la réglementation n'a de sens que si elle permet une allocation
efficace de moindre coût.
L'économie industrielle de la
réglementation
L'autorité réglementaire est vénale et
soumise à l'influence des groupes de pression. Elle n'est plus le
garant de l'intérêt général. La
réglementation est ici analysée comme un service
échangé entre les décideurs politiques et
fonctionnaires (offreurs) et les dirigeants des entreprises (demandeurs).
Les offreurs cherchent à maximiser leur chance de
réélection ou à obtenir de futurs postes dans les
industries qu'ils ont sous leur tutelle. Les demandeurs souhaitent de
leur côté se protéger de la concurrence, surtout
étrangère. Cette approche est connue sous le nom de
théorie de la capture de la réglementation, parce que le
régulateur devient un agent entièrement au service des
intérêts des entreprises. Pour limiter l'action des groupes de
pression, STIGLER (1971), préconise une solution radicale qui consiste
à retirer à l'État le droit de réglementer.
La nouvelle économie publique de la
réglementation
Les tenants de cette théorie sont LAFFONT et
TIROLE (1993). L'idée est d'analyser les défaillances du
législateur et de les corriger, car le marché n'est pas
la seule source d'insuffisances. Les défaillances de la
réglementation doivent être réduites au minimum afin
d'aboutir à une allocation paretienne efficace de second rang. Cette
dernière est l'affectation
des ressources qui est la "meilleure possible" compte
tenu de l'existence de diverses contraintes qui empêchent de
parvenir à un optimum de Pareto. Ces défauts sont
principalement: l'asymétrie d'information entre le
régulateur et le réglementé;
l'intérêt personnel du régulateur; son insuffisante
crédibilité. La théorie des incitations et des contrats
permet de remédier de ces défauts.
II. L'objectif de la réglementation
L'objectif de la réglementation est de corriger les
défauts du marché énumérés ci-dessus.
Avant de présenter ces mesures de correction, il s'avère
important d'établir leurs impacts sur
le bien-être social.
II-1. L'impact des inefficiences des marchés sur
le bien-être social
Le rationnement des consommateurs, dû à la
présence d'asymétrie d'information (comportement caché),
la faible accessibilité de la population à
l'électricité (surtout en zone rurale) en tant que bien public,
et la situation de monopole naturel dont jouit l'AES-SONEL dans le secteur de
l'électricité au Cameroun sont les principaux facteurs qui
contribuent à la perte de bien-être des consommateurs. En
effet, le rationnement de la demande conduit généralement
à un ajustement par les prix ; or ces derniers étant fixés
pour une période d'au moins cinq ans, la perte de bien-être serait
plutôt due à l'absence d'investissements dans le secteur. Par
ailleurs la faible accessibilité de la population à
l'électricité limite le nombre de
personnes connectées au réseau ; ce qui ne
traduit pas l' ``effet de club1''
généralement
observé dans les industries de réseaux
La situation de monopole naturel peut s'expliquer par le fait que
la construction ou l'entretien
des centrales électriques et l'acheminement
de l'électricité jusqu'aux ménages et aux
entreprises implique généralement un coût fixe
très élevé. Cette situation pourrait donc conduire
l'AES-SONEL à fixer ses tarifs au-dessus du coût marginal,
entraînant par là une perte de bien-être au niveau des
consommateurs.
II-2. Les mesures de correction des inefficiences des
marchés
Les mesures proposées n'ont pas pour but d'éliminer
la perte de bien-être social, mais plutôt
de les réduire.
La correction des externalités négatives se fait
suivant quatre options (SALANIE, 1998) : la solution fiscale, qui consiste
à la mise en place d'une taxe visant à réduire
le bénéfice marginal de l'entreprise qui produit
l'externalité ; la solution par une subvention ; la solution
par fusion qui ne peut être appliquée que lorsqu'il
existe au moins deux entreprises dans un
secteur ; et la solution réglementaire, qui peut
être une solution optimale dans le secteur de
1 Cet effet indique que la satisfaction qu'un
consommateur tire de l'utilisation d'un bien réseau
(électricité, téléphone, Internet...) croît
avec le nombre de personnes connectées à ce réseau.
l'électricité au Cameroun. Elle consiste pour
l'Etat (Agence de Régulation) à imposer un
niveau de production minimal et des prix
d'équilibre pour l'entreprise et pour les consommateurs.
Lorsque l'information est incomplète, le
régulateur est contraint de mettre en place des mesures incitant
les entreprises réglementées à révéler leur
information privée et à atteindre le bon niveau d'investissement
et d'effort de gestion.
Pour résoudre le problème de sélection
adverse, le régulateur doit utiliser une procédure de
révélation. Celle-ci repose sur l'idée selon la
quelle, à chaque fois que l'agent à intérêt
à mentir, le principal lui propose un paiement qui correspond au moins
à ce qu'il aurait gagné
s'il avait menti. L'entreprise réglementée pourra
donc être amenée à déclarer son coût ou son
niveau de performance.
Pour résoudre le problème d'aléa
moral, le régulateur doit mettre au point un contrat qui
comporte une forme d'intéressement de l'agent au
bénéfice. Si le régulateur veut inciter le monopole
à réaliser l'effort le plus soutenu, il lui offrira un contrat
qui lui laisse une partie des gains de productivité.
C'est dans ce sens que le contrat de concession entre
l'Etat et l'AES-SONEL a prévu des augmentations successives des
tarifs dans le but d'accroître les recettes de l'entreprise et de
l'inciter à respecter ses engagements contractuels.
Pour pallier le défaut de rendements croissants,
dans la situation de monopole naturel, une autorité de
réglementation intervient sur le marché en fixant le prix de
vente du bien. Il s'agit
de la tarification administrée optimale qui connaît
deux grandes variantes :
La prescription la plus ancienne, proposée par
DUPUY (1849), HOTELLING (1938) et VICKREY (1948), stipule que
l'Etat subventionne le déficit du monopole et
établit automatiquement son prix au coût marginal
(solution de premier rang). Elle permet d'atteindre l'optimum de
Pareto. Cette solution était appliquée avant la
privatisation de la SONEL.
La seconde variante est celle qui maximise le surplus
collectif en respectant la contrainte d'équilibre budgétaire
de l'entreprise. Cette variante de tarification est dite de ``moindre mal''
ou optimum de second rang. Elle est prise en compte par
le régulateur du secteur de
l'électricité au Cameroun qui contraint l'AES-SONEL
à fixer des tarifs devant lui permettre
de couvrir ses coûts.
Cette section consistait à présenter et à
définir les concepts d'externalités, de biens publics,
d'asymétrie d'information et de monopole naturel ; leurs impacts sur le
bien-être social ainsi que les mesures de correction
adéquates. La section suivante sera axée sur les modes
de régulation des entreprises.
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