L'interprétation de la Loi par l'historien du droit et le Juge( Télécharger le fichier original )par Jean-Luc Malango Kitungano Université Grégorienne/ Faculté de philosophie saint Pierre Canisius - Bachelier en philosophie 2006 |
II .1.2. L'interprétation de la loi par l'historien du droit.Avant d'aborder la question de l'interprétation de la loi par l'historien du droit, il faut saisir le sens de l'histoire : L'histoire est la science qui veut reconstruire en l'expliquant un aspect du passé de l'humanité56(*). Comme science, l'histoire ne peut pas être réduite à la conception de la méthode des sciences de la nature. Les sciences de la nature, telles la chimie, la biologie, etc., proposent d'établir, à partir des phénomènes qui peuvent être reproduits, des lois générales et qui se formulent le plus souvent sous forme d'équations mathématiques. L'historien a sa manière propre d'aborder les textes en général, dans la mesure où, à travers les textes, il s'efforce de connaître une tranche du passé à partir de plusieurs sources. Qu'en est-t-il dans le cas d'une loi ? Quelle est la règle fondamentale de l'historien dans l'interprétation de la loi selon Gadamer? Tout d'abord, l'historien du droit se doit d'examiner la cohérence interne d'une loi et de celle-ci par rapport au système juridique ; ensuite, la mesure dans laquelle le législateur est parvenu à réaliser le but du bien commun et satisfaire ainsi aux exigences que la loi s'est fixée. Enfin, l'historien du droit ne peut avancer des jugements critiques si ce n'est qu'à partir d'un point de vue historique déterminé. Ainsi, plusieurs interprétations historiques peuvent être données sur l'évolution historique d'une même loi57(*). La thèse de Gadamer en ce qui concerne l'herméneutique historique est que celle-ci a à accomplir un travail d'application, car elle est, elle aussi, au service de la mise en valeur du sens, en comblant expressément et consciemment la distance temporelle qui sépare l'interprète du texte, de même qu'en surmontant l'aliénation de sens survenue au texte58(*). La règle fondamentale de l'historien est qu'il faut interpréter la tradition autrement que les textes le demandent59(*). Dans l'interprétation des textes, l'historien considère donc le texte de loi comme un vestige qui parle du passé. A travers le texte de loi, ce sont les données de la tradition à interpréter qui expriment leur sens et en même temps s'y dissimulent. L'historien oriente à ce titre son interprétation vers ce qui n'est pas déclaré dans le texte lui-même et ne se trouve pas nécessairement dans la direction du sens proposé par le texte. L'historien cherche à remonter le plus souvent au-delà des textes pour leur arracher une information qu'ils ne donnent pas spontanément : le contexte d'élaboration, l'humeur de l'assemblée législative, la réaction des destinataires à la promulgation, etc. Ce qui est en jeu dans l'herméneutique historique, c'est la question de la conscience historique et l'historicisme comme perversion de l'herméneutique historique. Gadamer estime qu'une herméneutique historique qui ne se donne pas pour centre l'essence du problème historique et ne recherche pas les raisons pour lesquelles un historien se tourne vers la tradition, s'ampute de ce qui en est le coeur60(*) dans la mesure où l'historien qui veut comprendre la loi à partir de sa situation d'origine ne peut absolument pas faire abstraction de l'influence juridique qu'elle a continué à exercer. C'est justement celle-ci qui lui inspire les questions qu'il pose à la tradition historique61(*). Le problème de l'application demeure déterminant dans la situation de la compréhension en histoire. La compréhension historique semble apparemment se refuser à satisfaire à l'exigence d'application formulée par la tradition. Or, de toute évidence, l'historien ne fait pas valoir l'intention propre à son texte, mais voit en lui une source pour l'histoire ; ce qui signifie qu'il en tire la compréhension de quelque chose que le texte ne voulait nullement dire mais qui au contraire ne s'y exprime que pour nous62(*). Pour élucider le sens d'une herméneutique authentiquement historique, Gadamer part dans la partie intitulée « préparation historique » de Vérité et Méthode de l'échec de l'historicisme donc les apories persistèrent chez Dilthey et il propose les nouvelles dimensions ontologiques qu'offrent les analyses de Husserl et de Heidegger63(*). La connaissance historique ne peut pas être décrite d'après le modèle de la connaissance de la nature car elle est elle-même un processus qui a tous les caractères d'un événement historique. La compréhension est l'acte de l'existence et l'objectivisme en histoire n'est qu'une illusion. Voilà pourquoi il est impérieux pour l'herméneutique historique de commencer par abolir l'opposition abstraite entre tradition et science historique, entre l'histoire et savoir de l'histoire. L'action d'une tradition historique exprimée dans une loi qu'analyse l'historien du droit et celle de l'investigation historique du contexte d'émergence de cette loi forment une action unique dans laquelle l'analyse ne saurait jamais trouver des coupures radicales ; ces éléments sont en actions réciproques. Il sied de rappeler que l'herméneutique historique est souvent tendue entre l'idéalisme et l'historicisme. Autrement, l'herméneutique était pour Dilthey l'élément universel de la « conscience historique »64(*) pour laquelle il n'y a pas d'autres connaissances de la vérité que celle qui consiste à comprendre les expressions et en celle-ci, la vie. C'est la vie qui saisit la vie et comme conséquence, « l'ensemble de la tradition deviendra pour la conscience historique une rencontre de l'esprit avec lui-même »65(*) . Du point de vue de la compréhension, Dilthey voulait fonder la théorie historique dans une psychologie de la compréhension. Les limites qu'impose la finitude historique de notre être à l'universalité de la compréhension ne sont pour lui que de nature subjective. Seule, assure-t-il, la sympathie66(*) rend possible une réelle compréhension. L'aporie est ici qu'il ne voit dans la sympathie qu'une condition de la connaissance. Or, la sympathie est tout de même beaucoup plus qu'une simple condition de la connaissance. Par elle, soutient Gadamer, le toi se trouve en même temps métamorphosé. L'autoréflexion de la conscience historique ne peut mener qu'à des relativisations successives. Si la recherche du passé historique est déchiffrement, il est clair que ce passé ne peut être saisi prioritairement comme une expérience historique de la vie. Gadamer critique dans la conscience historique l'influence que cette conscience tend à étendre aux sciences humaines modernes, dans la mesure où s'allient en elle la reconnaissance de l'historicité de son objet et l'aveuglement à l'égard de l'implication de l'historien dans la même histoire. « C'est là l'objectivisme historique, la naïveté de la croyance en la méthode, à laquelle succombe celui qui croit pouvoir faire abstraction de lui-même dans le comprendre »67(*). Une pensée historique doit penser sa propre historicité. Et ici Gadamer précise que la tâche de la philosophie herméneutique authentique consiste en une prise en compte du « principe de l'histoire de l'action » dans la mesure où la compréhension est par essence un phénomène qui relève de cette histoire68(*). * 56 L'histoire se donne pour tâche de reconstruire le passé humain. Dans le cas de la loi, il s'agira d'analyser le contexte d'émergence de cette loi, l'environnement économique et social, le conditionnement des législateurs, l'impact de la loi dans son évolution historique, ou la tension sociale qui est à l'origine de son émergence. Cette reconstruction s'effectue à partir de l'explication. Il est du ressort de l'histoire de montrer comment une loi déterminée est issue d'une situation sociale précédente. L'historien du droit a pour première tâche de comprendre exactement ce qu'une loi dit, telle qu'elle se présente à lui, d'une part et d'autre part, de montrer à partir de l'interprétation du contexte d'émergence de la loi, les dimensions que la loi ne dit pas expressément. * 57 Notre point de vue soutient que les historiens prennent positions pour ou contre une loi selon les présupposés idéologiques, méthodologiques, politiques, économiques et sociales qui les prédéterminent de manière implicite ou explicite. * 58 Vérité et Méthode, p. 332. * 59 Idem, p. 359. * 60 Ibidem. * 61 Idem, p. 351. * 62 Idem. p. 362. * 63 Idem, pp. 275-285. * 64 La prétention de la conscience historique était justement d'adopter un point de vue authentiquement historique en regard de tout. Elle était donc soucieuse de former le « sens historique » afin d'apprendre à s'élever au-dessus des préjugés de son propre temps. * 65 Vérité et Méthode, p. 249. * 66 Dilthey, dans sa théorie de la sympathie, pense un lien intuitif de co-génialité qui permet à l'historien d'avoir une compréhension spontanée qu'il lui serait autrement très difficile d'atteindre. Il estime fondamentalement qu'une telle compréhension qui réussit dans les cas d'exception grâce au génie, peut toujours être atteinte grâce à la méthode de la science. Il justifie ainsi l'emploi que font les sciences de l'esprit des méthodes comparatives en soulignant que leur tâche est de surmonter les frontières contingentes que représente notre propre cercle d'expérience pour accéder à des vérités d'une généralité toujours plus grande. C'est justement ici, selon Gadamer, que se trouve le point problématique de la théorie. « L'essence de la comparaison présuppose déjà le détachement de la subjectivité connaissante qui peut disposer d'un point de vue comme de l'autre ». Idem, p.254. * 67 Carsten Dutt, Herméneutique. Esthétique. Philosophie pratique. Dialogue avec Hans-Georg Gadamer, Québec, Fides, 1998. p. 23. * 68 Gadamer, Idem, p. 323. |
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