CONCLUSION GENERALE
Nous voici au terme de notre lecture philosophique sur le
problème de l'application dans Vérité et
Méthode de Gadamer.
En trois chapitres, nous avons essayé de comprendre la
signification exemplaire de l'herméneutique juridique et son extension
à la compréhension dans les sciences humaines
Dans le premier chapitre, en partant de l'idée du bien
chez Platon, nous avons relevé que ce qui fascine Gadamer dans la
sagesse éthique d'Aristote, c'est le fait qu'Aristote montre que le
savoir moral échappe à l'objectivation. Se refusant à
l'objectivation, le savoir pratique ne peut être appris comme on apprend
à appliquer le savoir de l'artisan. Dans le savoir moral, il ne s'agit
pas de se mettre soi-même entre parenthèse si l'on veut comprendre
ce qui est juste. C'est justement le modèle de savoir moral qui pousse
Gadamer à l'étendre à une interprétation du droit
naturel chez Aristote et l'interpréter afin de l'appliquer à la
problématique herméneutique du comprendre dans
Vérité et Méthode.
Dans le second chapitre, dans une première section,
nous avons essayé d'étayer la thèse de la signification
exemplaire de l'herméneutique juridique en confrontant
l'herméneutique juridique à celle historique dans la
manière dont le juriste et l'historien du droit interprètent une
loi en vigueur. De cette confrontation, nous sommes arrivés à une
conclusion selon laquelle le juriste et l'historien du droit en
interprétant une même loi en vigueur n'ont pas la même
perspective même s'ils nécessitent la même obligation de
s'appliquer le sens compris dans la tradition juridique et historique. Nous
avons montré par le fait même que l'application de la loi par le
juge a des conséquences immédiates : il institue le droit.
L'application historique n'institue pas le droit.
Néanmoins, et c'est ici que la thèse de
l'unité de l'herméneutique juridique et historique commence
à s'éclairer, la compréhension juridique et celle
historique sont partagées entre deux caps, celui de la loi du
passé et celui du cas présent. Cette bipolarité vaut pour
toute compréhension et c'est aussi en ce sens que l'herméneutique
juridique jouit d'une première signification exemplaire.
Une deuxième signification exemplaire de
l'herméneutique juridique se rattache au fait qu'à la
lumière de l'herméneutique juridique on peut réviser les
faux modèles d'objectivité qui ignorent la situation
herméneutique de l'interprète. Le cas de l'herméneutique
juridique n'est pas en réalité un cas à part ; mais
il est propre, au contraire, à restituer à l'herméneutique
historique son extension intégrale et à rétablir ainsi
l'unité ancienne du problème herméneutique, dans laquelle
le juriste et le théologien rencontrent le philologue.
La seconde section visait à clarifier en quoi,
l'herméneutique juridique à une signification exemplaire pour
l'unité des sciences humaines dans l'application. Nous avons relever le
rôle central joué par la langue / le langage humain. Celle-ci/
celui-ci permet que dans tout comprendre dans les sciences humaines, il y ait
la compréhension de soi de celui qui comprend. La réflexion sur
les sciences humaines a pour tâche de mettre en lumière la
réalité de l'histoire au sein de la compréhension. C'est
ce que Gadamer nomme le « principe de l'histoire de
l'action ».
A ce titre, le concept de méthode est inadéquat
pour décider de la légitimité des sciences humaines.
L'idéal de la connaissance objective dans les sciences humaines devrait
davantage se compléter par l'idéal de participation dans la
mesure où une élucidation complète de nos propres
motivations dans les recherches en sciences humaines laisse un excédent
des questions et des réponses. Dans les sciences humaines, on ne
retrouve pas l'idéal de maîtrise du monde qui caractérise
les sciences de la nature. Les sciences humaines se rencontrent dans leur forme
de participation à la tradition. Elles introduisent dans la vie du
scientifique et de sa communauté un savoir - produit par l'imagination
herméneutique par delà les méthodes - qui n'est pas
dominateur mais qui est important comme savoir de la culture.
Le chapitre troisième s'est penché sur deux
auteurs qui développent des réflexions qui se placent aux
antipodes de la thèse de Gadamer et le critique, lui et son maître
Heidegger.
Le premier, Emilio Betti, part du modèle cognitif de
l'interprétation philologique. Au lieu de partir du même
modèle de l'interprétation philologique et historique visant une
compréhension d'un sens objectivé, Gadamer se réclame du
modèle pratique des herméneutiques juridique et
théologique afin de repenser à nouveaux frais
l'interprétation philologique et historique, et partant, ce que sont les
sciences de l'esprit.
La distinction entre les interprétations cognitive,
normative et reproductive n'a aucune validité fondamentale pour Gadamer,
mais ne fait que transcrire un phénomène unitaire. Distinguer une
fonction normative et une fonction cognitive ou encore reproductive serait
démembrer ce qui, de toute évidence, n'est qu'un. De même,
application, explication, compréhension doivent être saisies dans
un processus unitaire.
Des critiques de Pascal Michon, nous avons relevé
qu'elles tiennent essentiellement sur le langage qui aurait été
mal compris par Heidegger et Gadamer. Ceux-ci ont réduit le langage
à la langue. Tout en se réclamant de la tradition, Gadamer
principalement n'a pas rendu justice aux auteurs tels (Schopenhauer, Nietzsche,
Saussure, Durkheim, Freud, Marx, etc.). Et plus particulièrement aux
linguistes dont Saussure vient en tête pour sa révolution par le
structuralisme en linguistique.
Nous avons également relevé la confusion
courante qui se glisse chez les critiques de Gadamer et dans laquelle tombe
Pascal Michon, à savoir opposer vérité à
méthode, alors que Gadamer estime que les méthodes sont
nécessaires mais il faut les remettre à leur place quand il
s'agit de l'interprétation dans les sciences humaines.
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