L'exception de copie privée face aux dispositifs techniques de protection des oeuvres( Télécharger le fichier original )par Marjorie PONTOISE Université Lille II - Master 2 pro Droit du cyberespace (NTIC) 2005 |
c) La création d'une autorité indépendanteUn vote mouvementé du Sénat a débouché sur la création d'une nouvelle autorité indépendante chargée, selon les termes de R. Donnedieu de Vabres, ministre de la Culture, d'être « la gardienne de l'interopérabilité », ou de garantir que les oeuvres puissent être lues sur tous les supports (platine CD, autoradio, lecteur MP3). Sous l'impulsion de la commission des affaires culturelles du Sénat, le texte adopté par les sénateurs a installé cette Autorité de régulation des mesures techniques pour «veiller à l'interopérabilité des mesures techniques de protection»120(*). A ce sujet, M. Caron n'a pas hésité à dire : « le collège des médiateurs est mort (ou plutôt mort-né) ; vive l'autorité de régulation des mesures techniques ! » 121(*). L'article L. 331-7 assigne à l'autorité de régulation une mission générale de veille dans le domaine des mesures techniques de protection et d'identification des oeuvres et des objets protégés par un droit de propriété littéraire et artistique122(*). Elle en rend compte chaque année au Gouvernement et au Parlement dans un rapport annuel, et peut être consultée par les commissions parlementaires sur les adaptations de la législation que les évolutions techniques rendraient nécessaires. Elle rend compte également des orientations qu'elle a fixées sur le fondement de l'article L. 331-6 en matière de périmètre de la copie privée ainsi que des décisions qu'elle a rendues en matière d'interopérabilité et de copie privée. Cette autorité sera composée de six membres, trois magistrats et trois personnalités qualifiées de la société civile, qui auront un mandat de six ans renouvelable par moitié tous les trois ans123(*). Elle vient remplacer le « collège de médiateurs » instauré par les députés dans le texte voté par l'Assemblée Nationale. La principale différence à relever est que le collège, lui, pouvait être saisi par tout un chacun, alors que le droit de saisine de l'Autorité est limité par le Sénat « aux éditeurs de logiciels, aux fabricants de systèmes techniques et aux exploitants de services. » Pour l'UMP124(*), cette autorité est « un dispositif souple, capable de s'adapter à l'évolution des nouvelles technologies ». M. Assouline125(*)y voit « une énième autorité administrative, qui sera une véritable usine à gaz », quant à M. Retailleau126(*), il stigmatise un « machin supplémentaire qui devra s'appuyer sur deux autres autorités indépendantes ». « À vouloir réguler la régulation des autorités de régulation, il faudra bientôt y consacrer un poste de secrétaire d'État à plein temps ! » a enfin ironisé M. Gaillard, sénateur UMP. Malgré les critiques, sa création a été approuvée, de justesse, par 164 sénateurs contre 159. M. Donnedieu de Vabres a salué ce vote, selon lui : « Internet est une chance mais qu'il faut garantir. Vive l'offre nouvelle que ce texte rend possible ! Le bateau est arrivé à bon port ». Cependant la création de cette nouvelle entité ne règle pas le problème de l'existence de l'exception de copie privée pour le public. Selon l'article L. 331-8 : « l'autorité détermine les modalités d'exercice des exceptions précitées et fixe notamment le nombre minimal de copies autorisées dans le cadre de l'exception pour copie privée, en fonction du type d'oeuvre ou d'objet protégé, des divers modes de communication au public et des possibilités offertes par les techniques de protection disponibles ». Il n'est question que de nombre minimal en l'espèce mais pas de chiffre précis, on se souvient des mêmes termes laconiques concernant le nombre de copie autorisée par le collège des médiateurs qui aurait pu être égal à zéro (notamment pour les supports DVD). Qu'en est-il alors en pratique ? Le développement des moyens de reproduction et de diffusion numériques domestiques entraîne une multiplication de copies de qualité comparable à celles des supports du commerce et la possibilité de les diffuser sur Internet. Le phénomène de la démultiplication des moyens de copie domestique met en danger l'activité des titulaires de droit et réduit les profits tirés du droit de reproduction - un seul support, voire même une simple télédiffusion suffisant à engendrer potentiellement d'innombrables copies domestiques, notamment à travers les « échanges » « peer to peer ». L'importance du phénomène, qui érode la place du droit de reproduction dans l'économie de la création, avait déjà entraîné une réaction en 1985, avec l'institution du droit à rémunération pour copie privée sonore ou audiovisuelle : ne pouvant empêcher la pratique domestique, le législateur institua un système de licence légale assorti d'un droit à rémunération équitable (art. L. 311-1 CPI) qui fonctionne de façon satisfaisante. Mais la copie numérique paraît avoir aggravé la situation, au point que, pour lutter contre la piraterie « traditionnelle » et contre les excès auxquels prête la numérisation privée, les titulaires de droits se sont tournés depuis une dizaine d'années vers des dispositifs techniques non seulement de protection, mais aussi d'information sur les droits et de suivi du parcours des oeuvres numérisés. * 120 Nous verrons dans une deuxième partie que ces mesures techniques de protection sont des verrous informatiques destinés à empêcher ou limiter les copies d'oeuvres protégées. Mais ils ont parfois pour conséquence de rendre illisible un CD sur des équipements différents de ceux prévus par le producteur. * 121 C. Caron, « Le Sénat a dit », Communication Commerce électronique, juin 2006, n°6, repère 6. * 122 Voir texte en annexe n°7 * 123 L'article L. 331-7-1 précise que le mandat des membres est de six ans non renouvelables, et que le président est élu par les membres parmi les magistrats ou fonctionnaires désignés. L'article L. 331-7-2 reprend la formulation classique relative à la prévention des conflits d'intérêts. L'article L. 331-7-3 prévoit que l'autorité dispose de services placés sous l'autorité d'un secrétaire général, et qu'elle peut faire appel à des experts. * 124 http://www.u-m-p.org/site/index.php * 125 Sénateur socialiste et secrétaire de la commission des affaires : http://www.david-assouline.net/ * 126 Sénateur non inscrit de la Vendée : http://www.senat.fr/senfic/retailleau_bruno04033b.html |
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