Quel avenir pour la presse quotidienne nationale française ?( Télécharger le fichier original )par Marc LEIBA Ecole Supérieure de commerce de Reims - Master in Management 2006 |
AnnexesCircuit de distribution de la PQN française (Le Monde du 01/09/06) Chiffre d'affaires de la PQN et évolution (Xerfi et DDM)
Questionnaire et entretiensQuel avenir pour la PQN en France ? Notez sur une échelle de 1 à 4 les affirmations suivantes en fonction de votre degré d'adhésion ; notez 1 si vous n'êtes pas du tout d'accord et 4 si vous êtes entièrement d'accord. NB : la PQN est ici entendue au sens de presse payante d'information politique et générale ; le Parisien-Aujourd'hui en France en fait partie. La PQN vue sous l'angle économique La presse doit être considérée comme n'importe quelle industrie et à ce titre elle doit adopter une logique économique La PQN subit trop l'influence de l'Etat La PQN est trop assistée par l'Etat La PQN a besoin de l'aide de l'Etat mais celle-ci est mal employée Le syndicat du Livre abuse de ses prérogatives La PQN est trop chère La PQN devrait chercher à augmenter ses recettes publicitaires et diminuer son prix de vente La PQN est diffusée de manière optimale Le marketing doit aider la PQN à augmenter ses ventes La concentration est une menace pour la PQN La PQN est trop dépendante de certains de ses actionnaires, les contenus éditoriaux en sont influencés La concurrence des autres médias La PQN ne peut agir sur la chute chronique de son lectorat L'information n'a pas de prix La PQN n'intéresse pas les nouvelles générations de lecteurs Les gratuits (20 minutes, Métro, Direct Soir) sont une concurrence déloyale pour la PQN payante Les gratuits sont une source d'information comme une autre La presse magazine est en train d'éclipser la PQN La PQN version papier va s'effacer au profit de la PQN sur Internet La PQN face à son lectorat La PQN est ennuyeuse à lire. Les maquettes de la PQN ne donnent pas envie d'acheter La PQN est incapable de percevoir les changements qui traversent son lectorat La PQN doit aborder l'actualité en fonction des centres d'intérêt de son lectorat. Les journalistes ont leur part de responsabilités dans la crise de la PQN Le pluralisme démocratique de la PQN est menacé La PQN doit être politiquement neutre Entretien avec Emilie Coudert, responsable de la diffusion pour 20 minutes. 1. Emilie Coudert, quelle est votre mission au sein du journal ? Je suis chargée de la diffusion de 20 minutes sur 4 villes. Mon travail consiste à répartir optimalement les exemplaires entre nos différents canaux de diffusion que sont le colportage par des camelots, les présentoirs dans les gares SNCF, la diffusion sur sites (universités, mairies, quartier d'affaires). 2. Quel est l'accord commercial entre 20 minutes et les sociétés de transport en commun (SNCF et RATP) ? Nous ne sommes absolument pas distribués dans le réseau RATP. C'est tout ce que je peux dire. 3. Le journal n'est-il pas trop dépendant des fluctuations du marché publicitaire ? No comment. 4. La formule du journal est-elle figée ou peut-elle évoluer vers un traitement des sujets plus développé ? Et la pagination, est-elle toujours variable ? Tout dépend de l'actualité, la pagination oscille entre un journal à 32 ou à 48 pages. 5. 20 minutes cherche-t-il à augmenter à tout prix sa diffusion ? Non, il cherche le qualitatif sur le quantitatif, c'est-à-dire un ciblage encore plus fin de son lectorat, ce qu'il fait valoir auprès des annonceurs. 6. Existe-t-il un effet de saisonnalité de la diffusion (week-ends, vacances, jours fériés) ? Oui. Nous réduisons la diffusion en période de congés scolaires et nous ne paraissons pas les week-ends et jour fériés. 7. Le développement du titre sur Internet est-il une priorité stratégique ? Absolument. Nous avons commencé avec la simple possibilité de télécharger le journal du jour au format PDF tandis qu'aujourd'hui le site Internet est actualisé au gré de l'actualité, et est plus riche en contenu avec un accès aux archives. 8. Peut-on imaginer un portage à domicile gratuit ou quasi gratuit dans les villes où le titre est déjà implanté ? Nous avons proposé cette solution à notre lancement sur Paris. Mais nous avons été dépassés par le succès du journal et très vite nous avons abandonné. A présent nous nous contentons de la livraison des sites importants qui en font la demande (quartier d'affaires, universités etc.) 9. Existe-t-il des actions de promotion du titre ? No comment. 10. Comment valorisez-vous l'espace publicitaire auprès des annonceurs ? Grâce au ciblage fin de notre lectorat qui ne pouvait être touché par voie de presse avant notre arrivée sur le marché français. 11. Comment percevez-vous l'arrivée de Direct Soir ? Direct Soir n'est pas à proprement parler un concurrent. C'est un gratuit du soir, plus orienté sur les news people et les programmes télévisés. Il n'a pas la même dimension actualité que 20 minutes ou Métro. 12. Le marché des gratuits est-il assez vaste pour tous les titres ? Sinon, qu'est ce qui fait la différence avec Métro ? Il est assez vaste pour encore un ou deux gratuits maximum. La différence se fait sur le format et la maquette, qui diffèrent d'un titre à l'autre. 13. La concurrence avec Métro ne se fait-elle pas essentiellement sur les coûts de fabrication du journal ? No comment. 14. Comment avez-vous organisé l'impression de 20 minutes (imprimerie de labeur, du Livre...) ? Nous imprimons dans une imprimerie de labeur dans chaque grande ville où nous sommes implantés. 15. Peut-on supposer qu'avec le développement des transports en commun, et l'augmentation du prix de l'essence, la diffusion de 20 minutes va progresser régulièrement et donc accroître les recettes publicitaires ? Pas nécessairement. L'arrivée du tramway est une bonne nouvelle pour nous mais elle ne signifie pas que nous allons augmenter nos tirages. 16. 20 minutes envisage-t-il à terme de couvrir l'ensemble du territoire français ? Non. Nous nous concentrons sur les 8 villes dans lesquelles nous sommes distribués. 17. Empiétez-vous sur le lectorat des payants ? Et sur leurs recettes publicitaires ? Non. La chute du lectorat de la PQN est antérieure à l'arrivée des gratuits et de surcroît, 70 % de nos lecteurs ne lisaient pas la PQN avant 20 minutes. La lecture des gratuits peut même chez les jeunes jouer un rôle d'éducation à la presse quotidienne payante. Entretien avec Philippe Robinet, cofondateur d'Info Matin. 1. Etant donné l'atonie de la PQN de l'époque et le nombre décroissant de lecteurs, y avait-il une place pour Info Matin ? Oui. Dans les années 1990 la presse quotidienne était en noir et blanc, il y avait très peu de place pour le hors actualité (fringues, sorties etc.) et elle était chère, aux alentours de 7 francs. De plus elle demandait un temps de lecture très long. Il existait une vraie demande émanant des 18-30 ans, demande que nous avions mesurée et étudiée. Infomatin est né de nos propres envies par rapport à la PQN de l'époque. Nous étions quatre et nous avons voulu créer le quotidien que nous aurions eu envie de lire. 2. Quelle était la mission d'Info Matin ? La mission était de donner au plus grand nombre les moyens de mieux comprendre l'actualité. A l'époque, la PQN mélangeait le factuel et l'opinion. Il n'était donc pas aisé pour tout le monde de séparer l'actualité de l'analyse, et surtout il n'était pas possible de n'avoir que l'actualité. 3. Comment a été accueilli le titre par le reste de la presse ? Au départ, personne ne nous a pris réellement au sérieux. Les professionnels du secteur avançaient un ticket d'entrée ubuesque à 600 millions de francs pour lancer un quotidien national, alors que nous avions 30 millions comme mise de départ. Finalement, peu avant la sortie du premier numéro d'Info Matin, Le Parisien nous a adressé la plus belle reconnaissance possible en diminuant significativement son prix de vente et en lançant une édition nationale : Aujourd'hui en France. Après la sortie du premier numéro, un vent de panique a soufflé chez Libération à qui nous avons pris pas mal de lecteurs.
4. Etait-ce le fruit d'une réflexion de marketing éditorial ou bien une véritable contribution au pluralisme démocratique ? Ni l'un ni l'autre, c'était comme je vous l'ai dit essentiellement et initialement l'envie de quatre personnes qui ne se retrouvaient pas dans la PQN de l'époque. 5. Quel était le business model prévu initialement ? Nous comptions uniquement sur les ventes car à l'époque le marché publicitaire était au plus bas. InfoMatin devait être un journal de lectorat : un prix de vente bon marché mais beaucoup d'exemplaires écoulés chaque jour. 6. Comment aviez-vous préparé la sortie du 1er numéro ? Autrement dit, quel était le plan de communication ? Nous avions orchestré une campagne publicitaire sans précédent à l'époque. Nous avions lancé une vaste campagne d'affichage en France la semaine précédent la sortie du premier numéro sur le thème de « Attention, votre quotidien va changer ». Parallèlement, nous avions misé sur une lourde campagne de relations publiques avec beaucoup d'apparitions médiatiques dans lesquels nous nous mettions en avant pour expliquer le projet. Et le jour du lancement, nous avions engagé des gens costumés pour aller crier les nouvelles devant les centres de décisions. 7. Quels ont été vos investissements de départ ? Achat de rotatives ou partage ? Nous avions un contrat de prestation de service avec le Monde imprimerie, nous n'aurions pas pu nous permettre un si lourd investissement. 8. Quels étaient en % vos postes de dépenses les plus conséquents ? Le premier était classiquement le poste distribution et fabrication. 9. Aviez-vous eu des heurts avec le syndicat du Livre ? Non car nous nous sommes montrés plutôt conciliants avec eux. Nous avions accepté pas mal de choses, notamment d'imprimer dans une imprimerie du Livre et non pas dans une imprimerie de labeur. 10. Que vous fallait-il pour atteindre la rentabilité et en combien de temps comptiez-vous l'atteindre ? Il nous fallait un plancher de 120.000 ventes par jour, mais pour le reste, ce ne sont que des hypothèses pour satisfaire les banquiers, qui peut dire en combien de temps un pur produit de création va être rentable ? 11. Considérez-vous que InfoMatin soit l'ancêtre des quotidiens gratuits apparus en France en 2002 avec 20 minutes et Métro, et aujourd'hui Direct Soir ? Je ne sais pas vraiment. Nous n'avons jamais voulu sacrifier le prix de vente en comptant sur les recettes publicitaires. Mais c'est vrai que nous étions environ deux fois moins chers que les autres journaux, il y avait là un début d'idée. Entretien avec Brigitte Billiard, direction commerciale du Monde. 1. Madame Billiard, quelle est précisément votre fonction ? Je suis responsable du développement et de la promotion et je sui rattachée à la direction commerciale. Je m'occupe des abonnements, de la diffusion, de la logistique et des ventes à l'internationale. Le Monde Diplomatique se vend par exemple à 45.000 exemplaires hors de nos frontières. 2. Quelles actions promotionnelles sont entreprises pour doper les ventes ? Notre maillage est important puisqu'en semaine nous sommes présents dans plus de 28.000 points de vente. Notre but est non pas d'augmenter les points de vente mais plutôt d'accroître le linéaire disponible pour mieux mettre en valeur nos publications. C'est ce qui en train de se passer avec la prise en main des kiosques parisiens par l'AAP (administration d'affichage et de publicité) détenue à 49% par Hachette et 51 % par les NMPP. L'objectif étant d'améliorer la rémunération des diffuseurs et d'aménager la loi Bichet datant de 1947 afin de désengorger les kiosques d'un trop plein de publications. 3. Pouvons-nous aborder les politiques de « plus produit » (CD, DVD, Encyclopédies etc.) ? Le but des plus produits est d'augmenter le panier moyen de nos lecteurs habituels. En effet, les deux tiers des acheteurs de plus produits sont des lecteurs habituels du Monde, le tiers restant sont des lecteurs nouveaux mais du jour où sortent les plus produits, ce qui signifie qu'ils sont peut être lecteurs du Monde les autres jours. Les plus produit n'apportent pas de nouveaux lecteurs mais permet d'augmenter nos ventes du jour. Ces jours là on augmente à dessein notre tirage. Je nuance mon propos concernant Le Monde 2, qui est une vente imposée, pour laquelle on voit des gens acheter Le Monde pour le magazine alors qu'ils ne sont pas des lecteurs du quotidien par ailleurs. 4. Le marketing est-il en train de s'imposer comme un élément indispensable à la viabilité d'un quotidien ? Historiquement, la presse est en retard sur l'utilisation du marketing. Toutefois, au Monde c'est l'approche éditoriale qui prime incontestablement. Des études de lectorat sont réalisées, transmises à la rédaction mais c'est elle qu tranche en dernier ressort. Bien sûr elle a des contraintes et le management peut donner son avis mais ça ne va pas plus loin. 5. Un quotidien comme Le Monde est-il sous capitalisé pour mener à bien son projet éditorial / industriel ? Non, l'arrivée de gros actionnaires que sont Prisa et Hachette a permis de réinjecter des fonds afin de mener à bien les projets de la rédaction. Le Monde par exemple a moins de problème de trésorerie que Libération, c'est certain. 6. Dans quel contexte s'est faite la nouvelle formule ? Qui en a décidé et quel fut le résultat ? La nouvelle formule est le fruit du travail d'une équipe de journalistes du Monde. Ils ont consulté le management, pris note des suggestions mais ont pu travaillé en toute autonomie. Le résultat est un succès total, le quotidien a réussi a casser une tendance baissière en cours depuis milieu 2003 et enregistre même depuis novembre 2005 un gain régulier de parts de marché à Paris sur les ventes au numéro. 7. Que pensez-vous du rapport Spitz qui met en évidence le problème du renouvellement du lectorat et qui préconise d'habituer les jeunes de 18 ans à lire la PQN ? Quels efforts êtes vous prêts à consentir pour créer une habitude de lecture chez les jeunes (abonnement gratuit de 2 mois, classes de terminale etc.) ? Le Monde soutien totalement ce genre d'initiatives et est chaque année très présent lors de la semaine de la presse dans les écoles. En outre, Le Monde est le quotidien payant ayant le plus fort nombre de jeunes lecteurs, c'est le journal étudiant par excellence. 8. Quelle a été votre réaction après l'arrivée des gratuits ? Plutôt bien nous ne sommes pas sur le même segment et eux visent une population essentiellement de non lecteurs. De plus, si cela permet de familiariser les français avec la presse, alors c'est encore mieux. 9. LeMonde.fr est le site d'information français qui recueille le plus de connexions par mois, risque-t-il de cannibaliser la version papier ? D'autant plus que le public à qui s'adresse Le Monde est en général connecté sur Internet toute la journée au travail. L'offre rédactionnelle du Monde c'est du papier et de l'Internet, et c'est une offre tout à fait complémentaire. Le papier fait des renvois sur le net qui permet de développer les sujets avec des contenus multimédia tels que du son, des images et de la vidéo. D'un autre côté, le site Internet du Monde s'avère être une source majeure de recrutement pour les abonnements papier et permet en outre de promouvoir les plus produits ou nos autres publications. L'audience générée par le site nous est au final profitable. 10. Le rapport de force penche-t-il ostensiblement en faveur du syndicat du Livre ? Indéniablement. On pourra faire tous les efforts marketing et éditoriaux que l'on voudra, ils peuvent à tout moment bloquer la chaîne de fabrication du journal. 11. Avez-vous adopté une logique de groupe, c'est-à-dire renoncer à dégager du profit avec le quotidien et se concentrer sur des publications plus rentables (Le Monde Diplomatique, Courrier International etc.) ? Il est juste de souligner que dans un groupe, la consolidation des comptes permet une certaine optimisation fiscale et que les pertes du Monde sont déduites du profit de l'ensemble du groupe. Cependant, la rédaction n'a absolument pas renoncé à faire que le quotidien redevienne bénéficiaire. J'en veux pour preuve les différentes restructurations qu'a connu le journal ces dernières années avec des plans de départs volontaires. Pas de licenciements secs mais une masse salariale dégraissée. 12. Comment recrutez-vous de nouveaux abonnés ? Nos sources principales de recrutement sont le Net, les offres dans les pages du quotidien, les mailings et via des collecteurs que sont l'Ofup ou France Abonnement qui eux ont une force de vente dédiée. 13. Comment fidélisez-vous les abonnés ? Le sont-ils d'eux même ? L'infidélité est généralement observée sur les abonnements de courte durée (3 à 6 mois). A partir de deux années d'abonnement, le taux de reconduction devient très élevé. Pour fidéliser les abonnés on travaille beaucoup sur nos bases de données. On sait que le lectorat de nos publications, encore un avantage du groupe, est plutôt élitiste avec un fort pouvoir d'achat. Nous sommes donc assis sur un tas d'or, à nous d'en profiter. 14. La PQN payante, dans sa version papier du moins, a-t-elle encore un avenir ? Il y encore de la place pendant encore de nombreuses années pour une presse de qualité. Il existe par exemple une formule où on achète le journal sous format PDF et on l'imprime soi même. Au Monde nous avons également développé l'application « newspaper direct » qui permet de transmettre partout sur la planète le contenu rédactionnel du journal en laissant des encarts libres pour la publicité ; celle-ci étant réalisée avec des annonceurs locaux. Enfin je citerai l'innovation des Echos qui tentent de lancer une feuille amovible et transparente sur laquelle le lecteur télécharge quotidiennement son édition. Je crois que la PQN version papier n'est pas menacée, à moyen terme, par une disparition inéluctable pour des raisons pratiques. En effet, ni Internet ni une autre solution ne proposent encore un confort de lecture identique à la version papier. En cela, je diverge légèrement de Bruno Patino (responsable du Monde Interactif et coauteur avec Jean-François Fogel de l'essai Une presse sans Gutenberg, Grasset) qui prédit la domination future de la presse sur Internet. Entretien avec Joachim Mizigar, responsable communication, Le Monde Interactif. 1. Quel est le business model de la version Internet du Monde ? Est-il définitivement fixé ? Nous sommes une filiale autonome du quotidien, nous employons 55 personnes. Nous avons trois sources de revenus : la publicité qui compte pour 40 % de nos recettes, les abonnements 40 % également et enfin l'agrégation c'est-à-dire la vente de contenus spécifiques aux entreprises, 20 %. Notre business model vise à ne pas être trop dépendant du marché publicitaire, l'éclatement de la bulle Internet nous a montré pourquoi, et à obtenir deux sources des recettes à peu près équivalentes. 2. Le Monde Interactif est-il un centre de profit pour le journal ? Dans le cas contraire, espère-t-il dégager une rentabilité à plus ou moins long terme ? Je le répète, nous sommes une filiale séparée du journal à la différence de Libération dont le site Internet fait corps avec le journal, les journalistes de Libération écrivent tantôt pour le papier tantôt pour le net. Au Monde Interactif nous avons une équipe de 35 journalistes dédiés uniquement pour le net ; cela n'empêche pas que ponctuellement des journalistes de la version papier écrivent pour le journal en ligne et vice versa en fonction des compétences. Sinon Le Monde Interactif a atteint l'équilibre en 2004 et en 2005 il dégageait un bénéfice net de 200.000 €. A ma connaissance, le site Nytimes.com fonctionne sur le même modèle que nous et dégage lui aussi du profit. 3. Quel est le rapport de grandeur entre les abonnements en ligne et ceux sur papier ? Quelle est la tendance pour ces deux types d'abonnements ? Le papier enregistre aujourd'hui environ 140.000 abonnements contre 78.000 pour le net, sachant que certains abonnés papier sont également abonnés du net. Uniquement pour la version Internet, on dénombre 40.000 abonnés soit une croissance de 20 % par an, chiffre à sous évaluer si on s'intéresse uniquement aux abonnés du net n'étant pas abonné papier. 4. N'y a -t-il pas risque de cannibalisation de la version en ligne par rapport au papier ? Non car nos lectorats respectifs ne sont pas les mêmes. Par expérience on s'est aperçu qu'une grève empêchant la sortie du quotidien papier n'induit pas mécaniquement une hausse de la fréquentation du site. Schématiquement, l'audience du papier est âgée de 45 ans et plus tandis que l'audience du site est plus jeune, plus rompue à l'utilisation du net. Les moments de lecture varient également d'un support à l'autre : le site enregistre ses pics d'affluence entre 09H00 et 12H00 tandis que le quotidien papier se lit plutôt le soir à Paris et le lendemain matin en province. 5. Est-ce la même régie publicitaire qui s'occupe des deux versions ? La Société i-régie, filiale du Monde à 95%, gère aussi telerama.fr, courrierinternational.com et le-monde-diplomatique.fr. Cela permet des offres couplées donc une plus grande surface pour les annonceurs qui peuvent ainsi toucher plus largement une même cible, les cadres urbains par exemple. 6. Sont-ce les mêmes annonceurs sur le Net et sur le papier ? Sur le net on assiste à l'apparition de nouveaux annonceurs, logiquement orientés I.T (Internet technologies). 7. Quelles synergies sont apparues avec Le Monde Interactif ? En espérez-vous d'autres ? Ce sont deux supports complémentaires. Nous avons trois journalistes au Monde Interactif chargés d'assurer la liaison entre le papier et le site pour coordonner les deux rédactions. Priorité est donné à l'intelligence de situation : si un correspondant habituellement sur papier, à l'autre bout de la planète veut sortir un article rapidement, il pourra le publier via le site ; à l'inverse si un journaliste du site est compétent sur un sujet il pourra écrire pour le journal papier. 8. L'expression « bimédia » a-t-elle un sens ? Il faudrait s'entendre sur la définition du mot, il ne s'agit pas simplement d'inventer une expression. 9. Quelles sont les différences de contenu pour un internaute abonné et pour un internaute non abonné ? Les abonnés se voient tout d'abord signalés très clairement sur le site les contenus spécifiques auxquels ils ont droit. Leurs sont réservés, les fils vidéo, la personnalisation des dépêches, l'accès aux dépêches des grandes agences d'information en temps réel et la possibilité de réagir à certains articles comme on peut le faire sur un blog. Ils peuvent imprimer Le Monde du jour en PDF, et consulter l'édition du jour du quotidien espagnol El País. Des pages de cyberadresses, des guides complets du Web, compilent la liste des meilleurs sites dans plusieurs domaines liés à l'actualité. Ils ont en outre un accès aux archives, à des dossiers thématiques et interactifs élaborés à leur attention et reçoivent s'ils le souhaitent différentes newsletters avec les titres du jour ou bien des alertes sur une actualité chaude. 10. Pensez-vous avoir créé une identité LeMonde.fr, un sentiment d'appartenance, grâce à tous les services que vous offrez aux abonnés ? Absolument. Le Monde voulait être présent sur ce nouveau support en produisant des contenus à forte Valeur ajoutée. Le résultat pour les abonnées est une offre à géométrie variable mais cohérente, en phase avec l'actualité, proposant environ 20 produits différents. 11. La version Internet du journal autorise-t-elle une plus grande liberté éditoriale ? Non, elle reste dans l'exigence implicite de qualité éditoriale du Monde papier. Comme je vous l'ai dit, il y a beaucoup d'échanges avec les deux rédactions pour assurer la cohérence. 12. Quelle est la part de contenus non produits par les journalistes du Monde ? Je ne peux pas vous dire mais sachez que 70 % des internautes consultent des contenus non produits par Le Monde. 13. Quels sont les moyens utilisés pour attirer l'audience sur Lemonde.fr ? LeMonde.fr est le premier site d'information français, l'audience vient en grande partie d'elle-même. Ceci dit, en dépit de notre petit budget marketing, on essaye tout de même de capter une plus large audience en travaillant sur le référencement, en échangeant des bannières avec d'autres sites ou encore en montant des partenariats ponctuels comme c'est le cas avec le site sportif foot365.fr pendant le mondial de la FIFA. 14. La version Internet du Monde permet-elle de toucher un public étranger francophone ? Est-ce un lectorat marginal ou au contraire stratégique ? Beaucoup d'internautes se connectent depuis l'étranger, mais on ne leur adresse pas pour l'instant de services particuliers, cela changera en septembre mais le projet est confidentiel. 38 % consultent le site depuis l'étranger, 62 % depuis la France. 15. Quels sont les avantages d'un site appartenant à un quotidien vis-à-vis d'un grand portail tels que Google, Yahoo, MSN ? Nous avons une équipe de journalistes qui proposent des contenus sérieux, dédiés et déchiffrés comme il se doit. Les algorithmes se contentent de rassembler pèle mêle tout un tas d'articles hétéroclites. 16. A quelles difficultés sociales (syndicats du Livre) et de l'ordre des ressources humaines (journalistes) Le Monde interactif est-il confronté ? Rien de particulier à signaler. Nous avons des syndicats mais pas de problèmes avec les journalistes car ceux-ci sont embauchés pour travailler sur le net et rien d'autre. 17. Quels sont les contenus qui ont le plus de succès ? Pour les abonnés : les archives, les PDF et de plus en plus les contenus collaboratifs tels que les blogs, les chats et les réactions aux articles. Pour les autres, c'est essentiellement les articles d'actualité. Entretien avec Patrick Eveno, maître de conférence à l'université Paris I Panthéon Sorbonne, agrégé d'histoire, spécialiste de l'histoire de la presse. 1. JM Charon date la crise au début des années 80, êtes vous d'accord ? Pour moi, la véritable rupture dans l'industrie de la presse intervient en 1914. Avant cette date, la presse française est la première mondiale à tous les niveaux (tirage, chiffre d'affaires, recettes publicitaires...). La PQN française stagne entre les deux guerres et n'est pas le moins du monde concurrencée par d'autres médias tels que la radio, et la télévision après guerre. C'est la presse elle-même qui n'a pas senti l'évolution de son marché. Aujourd'hui la presse anglaise vend deux fois plus d'exemplaires que son homologue français alors que les deux pays ont connu sensiblement la même évolution historique. C'est tout simplement parce que la presse française ne s'est pas occupée ou préoccupée de son marché. La véritable catastrophe intervient après guerre. 90 % de la presse quotidienne est interdite et les nouveaux propriétaires des quotidiens sont totalement inexpérimentés en matière de gestion d'entreprise. Ils ne sont intéressés que par la démocratie et la politique, et nourrissent une haute idée de la presse. Or, la presse est une industrie et à ce titre, elle doit atteindre un équilibre d'exploitation. Un journal doit être rentable sauf à penser qu'il doit être entre les mains de l'Etat pour assurer le pluralisme démocratique et que c'est la seule manière d'arriver à ce noble but. Les ordonnances de 44 ont accouché d'entreprises de presse très fragile, écrasées par le syndicat du Livre. Dans les années 1950 et 1060, la presse quotidienne n'est pas encore concurrencée par la radio ou la télévision et les évènements politiques de l'époque (décolonisation, guerre froide, retour de De Gaulle au pouvoir...) provoquent une forte demande d'information. A la fin des années 60, la PQN demeure encore très politique, dépend fortement des aides de l'Etat et est incapable d'affronter le Livre. Le syndicat quant à lui, retarde toute évolution technique, il adopte en ce sens une attitude très malthusienne. Il avait à l'époque le monopole de l'embauche, qui se dégrade de plus en plus. Aujourd'hui, le salaire moyen d'un ouvrier du Livre avoisine les 3 000€ par mois pour 32 heures de travail théoriques. Progressivement, l'ensemble des pays européens acceptent le marché et la démocratie avec pour conséquence une disparition des grands enjeux. La presse quotidienne des autres pays se détourne donc légitimement des affaires politiques et des journaux dits « populaires » trouvent une audience, c'est le cas de Bild en Allemagne ou du Sun en Angleterre. Ils ne sont pas totalement dépolitisés mais traite de beaucoup d'autres sujets : le sport, la culture, les people. Presse populaire ne veut pas dire comme on le croit en France « presse de caniveau » et ces journaux permettent de vendre du papier, d'attirer les recettes publicitaires et de donner du travail à des journalistes. La France refuse totalement la presse populaire et rate ce virage fondamental. Le France Soir de Lazareff dont le tirage record est atteint en 1957 refuse de s'engager dans cette voie. Son tirage déclinera progressivement jusqu'à en arriver où l'on sait aujourd'hui. La presse d'opinion est morte, L'Humanité est au bord de la faillite, et les autres titres n'ont pas vu le grand virage sociétal, ce qui a ouvert un boulevard à la presse magazine dont les français sont les premiers consommateurs mondiaux. Là où en Europe on proposait aux lecteurs des suppléments week-end, la PQN française délaissait ce segment. Il faut attendre 1978 pour que Le Figaro propose des suppléments (Figaro Madame, Figaro Télé, Figaro Magazine) et 2004 pour Le Monde 2. Mieux vaut tard que jamais mais le mal est fait. Aujourd'hui il est clair que les quotidiens ne peuvent plus vivre seul : ou bien ils sont rachetés par un grand groupe de presse ou bien ils en constituent eux même un en rachetant des titres et en se diversifiant dans d'autres médias. Le Sun absorbé par l'empire Murdoch dans le premier cas, El País qui se constitue un groupe dans le second. En France, on tient à tout prix à rester indépendant. Résultat, fin 2005 Le Figaro est déficitaire même s'il est un formidable piège à publicité et qu'il peut compter sur la fortune de son propriétaire, Serge Dassault. Les années 1980 ont vu en France et plus ou moins simultanément en Europe, l'explosion du système médiatique avec la multiplication des chaînes de télé et radio ainsi que des vagues de privatisations de médias. Le marché publicitaire fortement stimulé explose de 1985 à 1990. La PQN française va ici sentir les effets de la concurrence des autres médias qui drainent à leur tour des recettes publicitaires. La France est donc un pays sans presse populaire car pour être populaire il faut un très fort tirage. France Soir a une diffusion trop confidentielle et Le Parisien n'est pas tout à fait un national, même s'il tire à 500 000 exemplaires jour. Il y a trois titres qui s'en sortent bien actuellement et avec trois stratégies différentes. Les Echos parce qu'ils sont achetés par les entreprises, Le Parisien avec son portage aux commerçants et L'Equipe qui vend presque exclusivement au numéro. L'Equipe est l'exemple du journal qui a su s'adapter à son lectorat. Il avait l'habitude de relater des évènements sportifs que le public n'avait pas vus. A présent les téléspectateurs assistent aux rencontres sportives, alors le journal produit des commentaires et est passé à la couleur à toutes les pages.
2. Le lectorat des quotidiens nationaux est-il fortement sensible à la variation du prix de vente des journaux ? Une augmentation du PV est-elle néfaste sur le LT ? Patrick Le Floch vient de publier une étude économétrique qui prouve que l'élasticité prix est faible. Excepté Le Parisien, les quotidiens peuvent se permettre d'augmenter leur prix de vente sans craindre pour leur lectorat. D'ailleurs Le Monde va bientôt augmenter son prix de vente. Toutefois, c'est une barrière à l'entrée de nouveaux lecteurs. 3. En ce qui concerne le ratio PV et publicité, en est-on bien à 60/40 % ? Si seulement ! Grosso modo, en 2005 Le Figaro engrangeait 60 M€ de recettes publicitaires pour un chiffre d'affaires d'environ 200 M€. Ce n'est même pas un tiers. Le Monde enregistrait pour 60 M€ de publicité et 7 M€ pour Libération. En moyenne, la publicité représente entre 25 et 30 % du chiffre d'affaires des quotidiens avec des exceptions pour Le Figaro (70 % publicité et 30 % prix de vente) ou L'Humanité (très peu de publicité). 4. Où en l'état de la distribution de la PQN depuis votre colloque de 2001 qui lui été consacré sur fond de bras de fer entre Le Parisien et les NMPP ? Les problématiques sont toujours les mêmes. Les différents corporatismes ont conduit à la création de points de vente spécifiques à la presse, et il faut faire un effort pour se procurer un quotidien. Les gratuits ont l'avantage de mettre le journal dans la main du lecteur, sur son chemin quotidien pour aller au travail ou à l'école. En France, on crée les kiosques qui s'engagent à ne vendre rien d'autre pour ne pas faire de concurrence à d'autres commerces. A l'étranger, ils vendent de tout y compris de l'alimentaire. En Angleterre, on trouve les journaux dans les supermarchés. Certes les marchands de journaux ne récupèrent au final que 17 % du prix de vente facial mais les journaux sont un formidable produit d'appel qui fait revenir les clients chaque jour. La ville de Paris fait un effort pour redynamiser les kiosques mais on arrive trop tard, aujourd'hui ils vivent plus des DVD et des collections en tout genre qu'autre chose. Le Parisien a finalement développé à côté des NMPP qu'il utilise, sa propre société de messagerie. Le journal a mis au point un très bon modèle économique semi gratuit, très astucieux. Le Parisien est vendu aux petits commerçants tels les coiffeurs, bistrots et autres boulangers, si bien que la circulation du journal est très importante. Au final, 2/3 des lecteurs du Parisien ne l'achètent pas. En contrepartie, le journal engrange de fortes recettes publicitaires. Sinon, on constate effectivement un problème de points de vente. En France on dit « aller chercher le journal », non content de payer un bien, il faut faire un effort pour se le procurer et particulièrement dans les petites agglomérations. S'ajoute à cela un problème bien français, celui de l'absence du sens du service. S'il faut aller chez un kiosquier ou marchand de journaux aimable comme une porte de prison, cela ne donne pas envie. 5. Quel est l'impact du phénomène de concentration sur les entreprises de presse puisque selon vous, rien de dangereux pour le pluralisme démocratique ? La presse française n'est à mon goût pas assez concentrée. Il est utopique de vouloir rester indépendant. Construire son groupe ou être racheté voila la seule alternative possible. Le Monde par exemple s'apprête à lancer un gratuit avec Vincent Bolloré et à racheter La Provence et Nice Matin. Le grand groupe permet ici de gérer le déclin. Il faut affecter les gains de productivité à rendre moins cher le produit et à l'améliorer. 6. Les politiques de plus produits peuvent-elles conquérir de nouveaux lecteurs ou augmentent-elles uniquement le panier moyen ? En général, elles n'attirent que très peu d nouveaux lecteurs, elles ne font donc qu'augmenter le panier moyen. Le Monde et Le Figaro proposent à leurs lecteurs des DVD, des CD ou encore des encyclopédies. Le Figaro a lui gagné des lecteurs grâce à son partenariat avec l'encyclopédie Universalis mais il a échoué avec son Histoire de France en plusieurs volumes. 7. Quelles stratégies à mettre en place vis-à-vis de l'impression ? On peut tenter de mutualiser les équipements mais cela suppose une harmonisation des formats. Ensuite, le partenariat doit être passé entre bons professionnels. Le Parisien et L'Equipe s'étaient retirés d'un réseau de transmission de fac-similer, L'Equipe passait systématiquement en dernier et ne pouvait pas obtenir de la couleur à chaque page.
8. Le papier coûte-t-il cher ? Le papier ne pèse plus autant qu'avant dans le coût total du quotidien, cela représente entre 6 et 9%. Auparavant, il comptait pour 20 à 30% du total. Même sur fond de hausse des matières premières, si le papier prend 50 %, alors il passe de 6 à 9 % du coût total. 9. Quel poids possède encore le syndicat du Livre aujourd'hui ? Quelles sont ses responsabilités historiques dans la situation actuelle ? Des accords passés en 2005 ont scellé la disparition des ouvriers du Livre dans le pré-presse113(*), mais ceux-ci ont vendu chèrement leur peau. Les plus de 50 ans sont partis en pré retraite tandis que les autres seront recasés avec des salaires d'ouvriers du Livre dans les rédactions en tant que correcteurs ou secrétaires de rédaction. Les ouvriers du Livre qui perdent petit à petit de l'influence demeurent dans l'imprimerie. 10. Les aides de l'Etat font elles plus de mal que de bien ? Objectivement, sans elles, certains quotidiens ne pourraient pas survivre. Elles représentent entre 10 et 15 % du budget des quotidiens, parfois plus. Toutefois, elles contribuent à déconnecter les entreprises de presse de la réalité du marché. 11. Les gratuits ont-ils drastiquement réduit les ressources publicitaires de payants ? Dans les années 2000, les gratuits font leur apparition dans le paysage médiatique français mais ne s'adressent pas au même public que les payants. Leur influence sur ces derniers est marginale. 12. Quelle peut être l'influence des nouvelles technologies sur la PQN (feuille de papier amovible...) Pour l'instant c'est encore un gadget, il faut attendre pour juger. 13. L'expression bimédia a-t-elle un sens ? Les anglo-saxons ont pris le parti de fusionner les rédactions Web et papier. C'est donc un mono média sur deux supports. Libération parle de bimédia et veut lancer une Web radio, et après ? Qu'est ce que ça va lui rapporter ? 14. Que pensez-vous des propositions du rapport Spitz ? Il va dans le bon sens c'est certain. Il faut encourager les jeunes à ouvrir les journaux et créer des ateliers de lecture de la presse an classe d'éducation civique et en classe de langues étrangères. Seulement voilà, c'est en contradiction avec la neutralité politique de l'école à la française. 15. Quelles sont les responsabilités des journalistes dans la désaffection du lectorat ? Les journalistes portent eux aussi une lourde part de responsabilité dans la crise car ils ont toujours dénigré la presse populaire, se sont opposés à la concentration, à la concurrence et aux politiques de « plus produit ». 16. Quel est l'impact des changements de maquettes sur le lectorat potentiel ? Il faut savoir en faire à bon escient. Le Figaro n'a retiré aucun bénéfice de son dernier changement de maquette. Le Monde lui a bien fait, il fallait marquer la rupture avec l'ère Plenel. Quant au Parisien, le journal adopte une stratégie d'évolution permanente des maquettes. Les changements s'opèrent en douceur. Il manque aux journaux français de l'autopromotion. Pendant longtemps, la télévision était interdite aux quotidiens sous prétexte que certains titres ne pouvaient se le permettre. Or, la publicité pour la PQN a des effets dynamisants sur l'ensemble de l'offre. Entretien avec Serge Guérin, inventeur de l'expression « cyberpresse », auteur de l'ouvrage éponyme paru en 1995. 1. A quoi pensiez-vous lorsque en 1995 vous parliez de cyberpresse ? Internet commençait tout juste à être connu et laissait poindre des possibilités médiatiques. C'est alors que se produisit un phénomène qui était déjà arrivé en 1895 avec la T.S.F de Marconi et 50 ans plus tard en 1945 avec la télévision, on vit se propager la crainte que le nouveau média chasse les autres. Or, après enquête pour mon livre, je m'aperçois du contraire, ce qui n'était pour plaire à mon éditeur. Lui aurait souhaité que je prophétise la mort du papier et que je trouve un titre accrocheur. Il s'est alors montré tellement réticent au sujet de mon étude que j'ai dû changer de maison d'édition. Les questions qui m'animaient à l'époque étaient : -que fait la presse face à Internet ? Est-ce qu'elle se jette à corps perdu dans la bataille quitte à scier sa propre branche ou est-ce qu'elle cloisonne son activité et laisse le net se développer sans elle ? -quels sont les risques ? Faut-il segmenter au maximum les sujets et sombrer dans « l'autisme en ligne » ? - et surtout, comment s'accommoder de la problématique de la gratuité ? La question du modèle économique était et demeure toujours épineuse. En France, nous avions connu la presse ou plutôt des services fournis par elle via le minitel. A la différence du net, la connexion était payante et s'avérait très rentable pour les entreprises de presse. Celles-ci éditaient des contenus très prisés comme les offres d'emploi, les cours de bourse ou encore des annonces pour des rencontres et empochaient les cinq huitième des recettes, le reste allant à France Télécom, propriétaire du contenant. Certes, la connexion Internet ne coûte plus grand-chose, mais on a pu voir le Web comme le moyen de revaloriser l'écrit et de récupérer l'image et le son, bref de gagner en rapidité. Economiquement, c'était le moyen de supprimer la chaîne de la diffusion et se passer de la matière première papier. Et l'aboutissement de la logique de gratuité donne le journal gratuit 20 Minutes. Peut être même que dans cette logique de suppression des intermédiaires on comptait se débarrasser des journalistes eux-mêmes, mais la technique ne le permet tout de même pas. Il faut une intervention humaine pour produire, vérifier et diffuser les contenus. 2. Pour un quotidien, un site Internet représente-t-il une extension incontournable ou est-ce un prolongement stratégique ? Ca dépend des quotidiens. Pour France Soir, cela ne représente aucun intérêt. En revanche pour les quotidiens moyen ou haut de gamme, c'est une stratégie de diversification logique et indispensable. Deux stratégies sont possibles : -tenter de récupérer l'audience perdue à la manière des radios qui ont ouvert d'autres stations dans les années 80 (Europe 1 Europe 2, RTL RTL 2) -Capter des recettes publicitaires en proposant un plus grand espace aux annonceurs. 3. La presse en ligne peut-elle tuer la presse papier ? Non. C'est la presse papier qui a tué la presse papier, la crise de la presse est un problème d'offre qui a débouché sur un problème générationnel. Il ne sert à rien de les opposer l'une à l'autre. La preuve, 85 % des lecteurs du Monde en ligne n'ouvrent pas le journal et 85 % des lecteurs de l'édition imprimée ne vont pas sur LeMonde.fr. 4. Ne va-t-elle pas détourner définitivement les jeunes générations de la presse écrite ? Ici on pose le problème de la culture du gratuit qui infiltre très sûrement notre société. Effectivement, les jeunes générations lisent moins et peu mais ce n'est pas une volonté consciente, c'est le résultat d'une offre défaillante. Il faut pour les reconquérir leur proposer une presse qui aborde leurs préoccupations donc plus segmenter le marché. On peut se mentir à soi même mais on ne ment pas à ses lecteurs. Libération entendait répondre aux aspirations d'une « génération », indépendamment de tout jugement de valeur sur le contenu, c'est une bonne idée, mais le journal n'a rencontré qu'un maximum de 200 000 lecteurs dans les quelques bonnes années. Aujourd'hui, Libération n'est pas aussi novateur qu'il le faudrait et se range aux côtés du Monde et du Figaro. 5. Internet est-il le média chaud par excellence ? Internet est un média chaud et froid. Certes on a de l'information en temps réel avec tout de même des risques de saturation en cas d'actualité mondiale forte comme le 11 septembre. Par ailleurs, on peut grâce au net retrouver des textes, articles et thèses ultra spécialisés, datant de plusieurs années voire siècles. Internet peut être aussi froid qu'une bibliothèque. 6. Les frontières entre journalisme et expression citoyenne sont-elles menacées ? N'oublions pas que les journalistes sont aussi des citoyens, donc à ce titre nécessairement subjectifs. Mais ce n'est pas parce que je suis un citoyen lambda que j'ai forcément plus de légitimité à m'exprimer. Les idées individuelles n'intéressent que leurs émetteurs, c'est une fausse démocratie. Chacun peut être librement pourvoyeur d'informations mais c'est au journaliste d'organiser le débat et de donner du sens à l'expression. N'importe qui ne devient pas journaliste sous prétexte qu'il prend la parole. Au contraire, et par contraste entre ces deux réalités, les frontières entre journalisme et expression citoyenne ne sont pas menacées. 7. Les blogs et sites personnels peuvent-ils concurrencer le travail journalistique ? Les blogs, cinq millions en France sont un phénomène de société indéniable. Mais combien sont actifs et quelle est leur audience ? De plus, la multitude des opinions ne produit pas nécessairement une bonne opinion. 8. Peut-on accorder la même valeur à l'information sur Internet que celle imprimée ? Ce qui compte c'est la source. Une information lue sur Lemonde.fr a la même valeur que celle lue dans la version papier. 9. L'information sur Internet a-t-elle un prix ? Oui car toute valeur ajoutée mérite rémunération. Ce n'est pas normal de se procurer gratuitement les fruits d'un travail intellectuel. Les ménages dépenses des sommes astronomiques dans l'équipement microinformatique et ne veulent plus débourser un centime pour acheter un quotidien. C'est la victoire du hardware sur le software, de la logique de flux sur la logique de stock.
10. La presse en ligne séduit-elle les annonceurs autant que sur papier ? Ne risquent-elle pas d'amoindrir encore les recettes pub des quotidiens ? Elle a provoqué une répartition différente d'un même gâteau. Mais globalement, tous les médias y perdent. 11. Les modèles économiques sont ils définitifs ? Sont-ils rentables ou limitent-ils la casse ? 3 secteurs ont toujours marché : -Le sport avec Paul Allen, le cofondateur d'Apple qui avait monté un site de résultats sportifs de toutes les équipes locales, donc qui intéressent micro localement l'utilisateur du service. -Le business, comme le montre l'exemple du Wall Street Journal, et des Echos qui font payer la consultation des articles. -La pornographie, qui représente 85 % des images téléchargées en France. En ce qui concerne les modèles économiques, on se cherche encore. Sur le net, la rentabilité est un objectif qui ne sera peut être jamais atteint. Tout ça profite aux grands portails comme Google ou Yahoo. 12. Observe-t-on des synergies entre les quotidiens et leur site Internet ? Oui, essentiellement sur la complémentarité des publics. 13. L'expression bimédia a-t-elle un sens ? Au moins économique, en ce qui concerne les annonceurs. Pour le reste, je n'en suis pas sûr. Entretien avec Bernard Spitz, auteur du rapport éponyme concernant la lecture de la PQN par les jeunes. 1. Quelles ont été les conséquences de votre rapport remis au ministre de la culture de l'époque Jean-Jacques Aillagon ? Mon rapport avait été très bien accueilli par le ministre de la culture Jean-Jacques Aillagon et mes propositions devaient être suivies d'effets. Dans le budget d'aide à la presse de 2005, une portion devait être consacrée à la réalisation de mes idées. J'ajoute que les principaux titres étaient également enthousiastes et que mon texte a fait, via Internet, le tour du monde ; car d'autres pays connaissent le même genre de difficultés que nous avec leur PQN. Un signe qui ne trompe pas, le changement d'attitude de l'Humanité. Au début, le titre était farouchement opposé à la logique capitaliste sous-tendue par mon rapport, préférant de loin le système de subventions que l'Etat français accorde généreusement. Pourtant, ils se sont aperçus après avoir offert des abonnements à des jeunes lors de la fête de l'Huma que l'idée était bonne. Ils avaient intéressé de nouveaux et jeunes lecteurs qui auraient à peine franchi le stade de l'achat ponctuel, et encore, en temps normal. Ils en avaient même tenu compte en tentant de rajeunir leur ligne éditoriale. 2. Qu'est ce qui n'a pas marché dans ce cas ? A la suite d'un remaniement ministériel en avril 2004, J.J. Aillagon cède sa place à Renaud Donnedieu de Vabres et le projet tombe dans les limbes. Il n'intéresse plus autant voire pas du tout la nouvelle équipe ministérielle qui a d'autres priorités ; c'est une banale histoire de cuisine politique sur fond de rivalités entre le ministère de la culture et celui de l'éducation nationale. Ce projet était tributaire de la volonté d'Aillagon. 3. De toute façon, n'étiez-vous pas confronté à une levée de boucliers des syndicats (Livre et parents d'élèves) ? 1. Effectivement, j'ai été confronté à une levée de bouclier de deux ordres : la première était économique et concernait les NMMP. Mais je vous prie de croire que j'avais anticipé ces problèmes et que j'avais toujours opté pour la concertation ; le but n'est pas d'imposer mais d'inciter et faire comprendre aux différents acteurs où se situent leurs intérêts. Nous aurions de toute façon veillé à respecter les diffuseurs proches des établissements, sachant que théoriquement on ne souhaite pas vraiment voir les jeunes fréquenter des débits de boisson le cas échéant. Le second obstacle était d'ordre psychologico idéologique. En effet, cela choquait certaines personnes qu'on puisse vendre aux lycéens des quotidiens mais à y bien réfléchir on trouve souvent dans les lycées des préservatifs, des sucreries et des sodas, donc la logique marchande a déjà pénétré l'enceinte du lycée. Bien entendu, au cas par cas, il convient de consulter et de suivre l'avis du chef d'établissement. * 113 Etape située entre la rédaction et l'impression (saisie et montage des textes, correction, traitement des images et des illustrations, maintenance du système informatique...) |
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