3.3 Face à
la gratuité
Il était grand temps que la PQN se décrispe en
matière de stratégies commerciales et promotionnelles. Cependant,
le marketing de presse se trouve fortement embarrassé devant l'essor des
modèles économiques jouant sur la gratuité. La PQN devait
déjà affronter la concurrence des autres médias ressentis
comme gratuits ou quasi gratuits, et en particulier Internet et les quotidiens
gratuits d'information, elle doit désormais faire face à une
culture de la gratuité qui a conquis les entreprises et envahi les
sociétés de consommation de masse.
3.3.1 Un fléau venu de la grande
consommation
Les entre prises présentes dans la grande consommation
ont toujours utilisé des promotions associant le volume acheté
avec des réductions sur le prix de vente. Pour deux barils de lessive
achetés, le troisième vous est offert, pour une paire de
chaussure achetée, la seconde est à moitié prix, ou encore
plus 20 % gratuits à l'intérieur de ce paquet géant de
céréales. Rien de nouveau donc, les offres promotionnelles de
gratuité font vendre mais étaient à l'origine
utilisées lors de la fin du cycle de vie d'un produit. Lorsque celui-ci
a connu une phase de lancement à grands renforts de campagnes
publicitaires, qu'il décolle pour atteindre son rythme de
croisière en dégageant une forte rentabilité, s'il n'est
pas retravaillé, il entre dans une phase de déclin progressif
après une phase de maturité. C'est à ce moment là
qu'intervient la gratuité. Le produit n'a pas besoin de gagner en
notoriété, son utilité est connue des consommateurs, donc
l'entreprise utilise la gratuité car elle compte sur les volumes
écoulés pour compenser la perte induite par la diminution du prix
de vente. On retrouve ici la stratégie des économies
d'échelle.
3.3.2 Extension du domaine de la
gratuité
La nouveauté réside dans l'extension de la
gratuité ou de la quasi gratuité comme base de nouveaux
modèles économiques. Initialement chasse gardée de la
grande distribution, la gratuité s'est infiltrée dans le reste de
l'économie et notamment dans les services et dans le secteur des biens
à fort contenu technologique, domaines qui concernent les jeunes au
premier plan. Mais avant de parler des jeunes, voyons des cas de
gratuité à l'égard du grand public, et les effets
engendrés.
L'exemple trivial de la pizza à emporter est à
cet égard éloquent. La pizza est une activité
particulièrement lucrative au sein de l'univers de la restauration et a
donc attiré bon nombre de petits acteurs sur le marché. Pour se
démarquer de la concurrence qui continue de s'intensifier et capter une
clientèle jeune et fidèle, certains restaurateurs ont introduit
de la gratuité dans leur menu. En substance, pour une grande pizza
achetée, une petite offerte (voir conditions) et comme en
général on ne déguste pas une pizza seul mais entre amis,
l'offre arrange tout le monde : le restaurateur qui va fidéliser
une clientèle donc vendre beaucoup de pizzas donc acheter des
quantités au meilleur prix donc améliorer sa rentabilité,
et le consommateur qui va s'en tirer pour moins cher. Quand la pratique se
répand et que le consommateur y est habitué, il devient hors de
question pour ce dernier de souscrire à une offre substituable en termes
de qualité gustative qui ne fonctionne pas avec de la gratuité.
De même, plus aucun consommateur de plats livrés à domicile
n'accepterait de payer la livraison si celle-ci était clairement
facturée. Ce que la gratuité fait, il est impossible de
défaire. Autre exemple, celui de la commercialisation de carburants par
les enseignes de la grande distribution. En proposant des carburants de moindre
qualité avec une faible marge commerciale voire une marge nulle, les
enseignes n'escomptent pas un bénéfice sur le produit vendu mais
plutôt appâter les automobilistes qui feront leurs courses dans la
foulée. Ce n'est pas stricto sensu de la gratuité, mais les
économies réalisées sur un plein font
réfléchir, surtout dans un contexte de hausse chronique du baril
de pétrole.
En ce qui concerne les nouvelles technologies, la
gratuité déborde de séduisants atouts pour les jeunes
générations. On trouve aujourd'hui des imprimantes à moins
de 100 euros, mais les constructeurs se rattrapent sur le prix exorbitant des
cartouches d'encre. Lors d'une souscription à un abonnement de
téléphonie mobile, le modèle de téléphone
portable (donné ou presque) et le nombre de SMS offerts importent plus
que les conditions générales de vente, peut importe si
l'utilisateur est captif pendant 12 ou 24 mois, les opérateurs
encaissent les abonnements mensuels et proposent d'autres services payants.
Avec la libéralisation du marché des
télécommunications, il devient de moins en moins acceptable de
payer un abonnement de téléphonie fixe, voire de payer ses
communications en France sur des postes fixes. Voilà pourquoi les
opérateurs conçoivent des offres incluant la
téléphonie fixe illimitée, un bouquet de chaînes
thématiques et l'accès Internet en haut débit. Le
transport de la voix ne peut plus être facturée seul, puisque des
logiciels tels que Skype l'acheminent gratuitement via Internet. La
téléphonie est donc liée à la
télévision et à la connexion Internet, le modem
étant bien entendu offert. De même, les compagnies
aériennes « low cost » proposent des vols pour
quelques euros (auxquels il faut rajouter les taxes d'aéroport) mais se
rattrapent sur les taux de remplissage des appareils et la commercialisation du
moindre service à bord (restauration, shopping, alcools, tabacs,
etc.).
La gratuité n'est pas un modèle
économique déloyal. Elle reflète plutôt une
évolution des pratiques socio culturelles des nouvelles
générations. L'analyse des dépenses culturelles,
grâce à l'enquête permanente sur les conditions de vie des
ménages menée par l'Insee, révèle que ces derniers
ne consomment pas moins, mais différemment. En 1990, les ménages
consacraient 1,9 % de leur budget loisirs à l'informatique contre 7,3 %
en 2005. Dans le même temps, le poste Presse, livre et papeterie chute de
20,2 à 14,1 % des dépenses culturelles. Il apparaît
normal d'investir dans un ordinateur et une connexion Internet haut
débit, mais contraignant de débourser de l'argent pour des flux
d'informations (presse, musiques, films) qu'on peut se procurer gratuitement
d'une manière ou d'une autre. La gratuité est ainsi devenu une
donnée socio générationnelle avec laquelle il est
difficile, mais pas impossible de composer.
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