Quel avenir pour la presse quotidienne nationale française ?( Télécharger le fichier original )par Marc LEIBA Ecole Supérieure de commerce de Reims - Master in Management 2006 |
3 Les grandes mutations de la PQNSi les mentalités n'évoluent pas, d'ici 2014 nous pourrons déplorer le triste anniversaire de la crise de la PQN, car les difficultés ont véritablement débuté à cette date. Après la première guerre mondiale, l'histoire de la PQN française est fluctuante mais tendanciellement sur le déclin avec la baisse du nombre de titres, la chute des recettes publicitaires et la réduction drastique de la diffusion. De nos jours, tous les protagonistes du secteur s'accordent à pronostiquer un état d'urgence, sur fonds d'actualité brûlante : France Soir qui vient de prolonger son existence après avoir fait faillite, Libération qui fait le ménage dans l'équipe de direction et cherche un nouveau souffle éditorial, L'Humanité qui réclame une recapitalisation, etc. Dans le même temps, les éditoriaux se multiplient sur le sujet, tout comme les dossiers, les études et les rapports. En France par exemple, l'Institut Montaigne, cercle de réflexion fondé par Claude Bébéar se demande Comment sauver la presse quotidienne tandis que le newsmagazine britannique The Economist82(*) s'interrogeait récemment en ces termes : Who killed the newspaper ? Mais si les avis divergent peu sur les causes, les solutions proposées par les uns et les autres vont du tout au tout. Avec l'arrivée en France des quotidiens gratuits, les caprices du marché publicitaire et la révolution Internet qui s'accomplit silencieusement, la PQN traverse une dangereuse zone de turbulences. Toutefois, le crash n'est pas inévitable pourvu qu'il y ait un pilote dans l'avion. Les marges de manoeuvre sont étroites, les (vieux) problèmes connus, mais il paraît encore possible de mettre un coup d'arrêt au déclin. Reste à savoir sur quels leviers appuyer. 3.1 La nouvelle donne actionnarialeAvec le recul, on comprend l'intention des rédacteurs des ordonnances de 1944 à la Libération. Après avoir connu une presse inféodée aux « puissances de l'argent » et l'avoir vu se compromettre pendant l'occupation allemande, ils aspiraient légitimement à bâtir une presse indépendante. Pourtant, l'équation n'avait pas d'inconnue et si on veut émanciper la presse de la tutelle étatique alors il faut que celle-ci jouisse d'une bonne santé financière. Mais, comme les journaux se méfient d'un argent qui ne viendrait pas de l'effort consenti par les lecteurs, alors ils se retrouvent dans une situation de sous capitalisation historique qui pénalise leur développement. D'après la direction des médias (DDM)83(*), « les fonds propres des entreprises de presse n'excédaient pas, en 1995, 31 % du total du bilan, alors que ce ratio dépassait 40 % en moyenne pour les entreprises de biens de consommation courante. » 3.1.1 Logique de la concentrationFrancis Balle et Pierre Albert84(*) analysent la concentration dans le secteur de la presse comme la marque de la tendance naturelle de tout développement industriel et capitaliste. Or, la presse quotidienne est bel et bien une industrie, caractérisée par un actif colossal pouvant dépasser le chiffre d'affaires et des coûts fixes qui représentent environ 60 % de la structure des coûts. Il s'agit, pour la presse comme pour toute industrie de réaliser des économies d'échelle et d'atteindre une taille critique. · Les économies d'échelle permettent une meilleure répartition des coûts grâce à l'augmentation des volumes produits. Pour la PQN, on les retrouve tout d'abord au niveau de la collecte de l'information. En effet, c'est une activité onéreuse que d'entretenir un réseau de correspondants en France et à l'étranger. La manoeuvre consiste donc à mieux amortir ce coût en mutualisant l'information récoltée sur plusieurs titres du même groupe. Ensuite, de telles économies peuvent se réaliser sur la recherche d'annonceurs si la régie publicitaire est internalisée. Les titres cherchent également à augmenter leur taux d'utilisation de leur centre d'impression lorsqu'ils en possèdent un. Ils recherchent alors des complémentarités avec d'autres entreprises de presse, pas nécessairement avec d'autres quotidiens. Enfin, des économies d'échelle sont possibles lors de la distribution par portage à domicile. Livrer des abonnés dans certaines zones reculées peut s'avérer onéreux, sauf à regrouper les abonnés de plusieurs titres dans la même tournée de livraison. · La taille critique, variable selon le type de publication, permet quant à elle de modifier avantageusement les conditions d'exploitation, de productivité et de rentabilité. Une fois atteinte, elle permet tout d'abord de gagner en crédibilité vis-à-vis des fournisseurs de papier ou de machines d'impression en termes de délais de livraison ou facilités de paiement ; mais aussi par rapport aux investisseurs, lorsque les entreprises de presse éprouvent le besoin de lever des fonds. Notion subjective, la taille critique exerce également une plus forte attraction en direction des annonceurs, séduits par la simplification et l'homogénéisation des campagnes le cas échéant. Par exemple, un annonceur qui cherche à toucher les cadres urbains à fort pouvoir d'achat peut acheter de l'espace publicitaire au Monde, au Monde Diplomatique, à Télérama et à Courrier international qui appartiennent au même groupe et qui offrent l'avantage d'un lectorat au profil similaire. La campagne est alors plus massive, l'annonceur touche plus largement sa cible tandis que les recettes publicitaires du groupe augmentent. Enfin, la taille critique permettra à un groupe de se donner les moyens de l'innovation rédactionnelle comme sortir un supplément ou même éditer une nouvelle publication. Contre exemple, Libération qui avait investi un million d'euros dans son supplément hebdomadaire Ecrans vient de suspendre le projet. * 82 N° 8492, semaine du 26 août au 1er septembre. * 83 Citée dans l'édition du Monde du 01/09/06. * 84 Cités par JM.Charon, 1991, opus cité, p.228. |
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