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Naissance médiatique de l'intellectuel musulman en France (1989-2005)

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par Tristan WALECKX
Université Montpellier 3 - Master Histoire 2005
  

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C) Musulmans en politique : caution religieuse ou égalité républicaine ?

En 2003, Nicolas Sarkozy remarque qu' « il y a 5 à 6 millions de musulmans en France, dont 2 millions sont susceptibles de voter254(*) ». Là encore, le ministre de l'Intérieur fait un amalgame en faisant de l'adjectif musulman une identité englobante, puisque tous les immigrés issus du monde musulman ne sont pas de foi musulmane255(*). Mais ceci est révélateur d'un véritable changement de perception et de traitement de la problématique de l'intégration, y compris au plus haut niveau de la République. Alors que l'on tenait il y a peu à s'attacher les faveurs d'un vote beur, c'est bien maintenant une communauté musulmane, voire arabo-musulmane, qui est politiquement courtisée. Depuis le tournant islamique de la question sociale de l'intégration, certains hommes politiques sont présumés musulmans, servant ainsi de caution. En effet, les figures que nous venons d'étudier ne sont pas simplement des leaders de terrain. Leur charisme étant politiquement intéressant, un certain nombre ont rejoint les rangs des partis. A côté de cela, quelques hauts-fonctionnaires récemment nommés ont été présentés comme musulmans. Nous interrogerons alors la légitimité de ce qualificatif.

1) L'instrumentalisation politique des leaders associatifs

L'instrumentalisation des leaders associatifs ne peut être qualifiée à proprement parler de « récupération politique » puisque la plupart de ces mouvements sont intrinsèquement de pures créations politiques (SOS Racisme a toujours été proche du Parti socialiste, tandis que France Plus a été créé par la droite pour servir de contrepoids). Mais les partis politiques profitent en tout cas de l'aura acquise par les leaders de ces mouvements. Dès 1989, alors que le tournant islamique des débats sur l'immigration commence à peine, de nombreux jeunes Français d'origine maghrébine s'engagent en politique lors des élections municipales : « pour la première fois, un nombre important d'entre eux (plus de six cents, semble-t-il) s'étaient présentés sur des listes électorales256(*)». Mais désormais, pour des raisons déjà évoquée, c'est davantage un vote musulman qu'un vote beur qui est sollicité. Ainsi, le FCCM (Forum des citoyens de culture musulmane), créé par Hakim El-Ghissassi, est l'illustration de la volonté de créer une sorte de lobby musulman257(*). Mais qu'en est-il des musulmans engagés à l'intérieur même de partis ?

Le mouvement beur des années 1980 ayant été essentiellement soutenu par la gauche, la plupart des figures politiques maghrébines de cette époque se trouvent de ce côté de l'échiquier politique. Il n'est donc pas étonnant de retrouver un certain nombre de musulmans laïques au sein du Parti socialiste la décennie suivante (Fadela Amara, Loubna Méliane). Mais comme le tournant islamique des luttes sociales se fonde sur un échec présumé de la politique d'intégration des années 1980, la tradition « gauche-beur » des années Mitterrand est en partie rompue chez certains de ces leaders associatifs reconvertis en musulmans laïques. Ainsi, la présence de Rachid Kaci, Abderrahmane Dahmane, Tokya Saïfi, ou encore Amo Ferhati, au sein de l'UMP témoigne d'une certaine « droitisation idéologique touchant certaines élites françaises d'origine maghrébine déçues par le `grand projet' multiculturel de la gauche socialiste258(*) ».

Si une partie de la « beurgeoisie » reconvertie musulmane s'est donc retrouvée dans les partis traditionnels de l'échiquier politique, nous pouvons également déceler qu'il existe bien à ses côtés une alliance « rouge-vert » de la part de certaines figures charismatiques musulmanes. C'est le cas de Tariq Ramadan, dont les relations avec les milieux altermondialistes démarrent assez tôt. Il avait lancé dès les années 1980 une association d'aide au tiers-monde, « Coopération coup de main ». Ce qui n'empêche pas les médias de présenter ses liens avec l'extrême gauche comme le fruit d'une tactique « islamo-gauchiste» nouvelle259(*). Ainsi, les journaux semblent s'étonner de la présence - logique au vu de son parcours - de Tariq Ramadan au Forum social européen en 2003 : «Entrisme ou alliance stratégique ?260(*) » , se demande alors Claude Askolovitch dans Le Nouvel Observateur. Hamida Ben Sadia affirme en tout cas que « ces associations musulmanes, c'est la JOC - Jeunesse ouvrière chrétienne - de demain ! La gauche devra compter avec elles261(*) ». 

Enfin, seul Mohamed Latrèche brise le tabou de la création d'un parti politique confessionnel, en fondant le Parti des Musulmans de France (PMF) en 1997, afin de « libérer les musulmans de l'influence du PS », qu'il qualifie de « parti sionisé262(*) ». Mais son discours est tellement outrancier qu'il reste très marginal. Même Tariq Ramadan fait figure de modéré à ses côtés. Et il tient clairement à se distinguer de cette mouvance avec qui il partage certains points d'accords, notamment sur le voile :

«On voit aujourd'hui des groupes radicaux et sectaires essayer de tirer profit du mécontentement des musulmans. Des associations ou partis musulmans qui n'ont pas hésité à s'associer à des mouvements d'extrême droite, à soutenir le tyran Saddam Hussein, à développer des thèses radicales, revendiquent une mainmise en capitalisant l'émotion blessée des musulmans. Ils en font une affaire strictement musulmane et se contentent d'alimenter le sentiment victimaire. Il ne peut s'agir de faire cause commune avec ce type d'opportunisme263(*)

De l'extrême gauche à l'extrême droite, l'échiquier politique dans son ensemble récupère implicitement au cours des années 1990 la caution de ces récentes figures de l'intelligentsia musulmane. Cette visibilité politique nouvelle de la part de figures charismatiques musulmanes contribue sans aucun doute à la naissance de l'intellectuel musulman. Mais qu'une partie des hommes politiques s'affichent ou se voient désignés comme musulmans est-il en accord avec les idéaux républicains que tous - ces politiques - prétendent défendre ?

2) La question des haut-fonctionnaires musulmans

Depuis les années 1990, on a pu remarquer qu'un certain nombre de haut-fonctionnaires désignés étaient originaires du Maghreb. On y trouve pour illustration le préfet Aïssa Dermouche, le recteur d'académie Ali Bencheneb, et même la ministre Tokya Saïfi. Mais avec la nouvelle problématique religieuse devenue incontournable dans tout traitement de la question de l'intégration, le débat sur la discrimination positive s'est lui aussi transformé en une discussion sur le communautarisme religieux.

Pour Ali Bencheneb, les choses sont claires. Interrogé par Le Monde, il explique : « Moi, je suis recteur ; oui, musulman, peut-être. Recteur musulman, certainement pas264(*) ». Il y aurait donc une séparation entre la fonction politique - publique - et la conviction religieuse d'ordre privé. Mais lorsque Nicolas Sarkozy annonce le 20 novembre 2003 sur France 2 la nomination d'un « préfet musulman », il fait voler en éclat ce fragile équilibre. Le ministre a alors vite été repris par une large majorité de la classe médiatique ainsi que par le chef de l'Etat, qui préfère parler de « préfet issu de l'immigration265(*) ».

Il y a deux raisons à une telle dérive qui, bien que vite étouffée, est appelée à ressurgir. D'une part, certaines personnes ont tendance à faire de l'islam une identité ethnique. Pour Nicolas Sarkozy en effet, « musulman n'est pas un critère religieux. Pour moi, le terme désigne toutes les personnes issues de l'immigration maghrébine, turque ou d'Afrique noire, même si elles sont athées. Car on est musulman comme on est juif : dans le regard de l'autre266(*). » D'autre part, il y a une tendance chez les élus locaux à déléguer les questions d'ordre public, autrefois remplies par des mouvements beurs laïques, à des associations musulmanes. En instrumentalisant la religion comme facteur de paix sociale, on la politise et on rend crédible une islamisation de la vie politique française.

Néanmoins, de droite comme de gauche, la plupart des intellectuels, responsables associatifs et élus, hormis quelques exceptions comme Yazid Sabeg267(*), jugent pour l'instant que la nomination d'un haut-fonctionnaire en fonction de sa religion est incompatible avec les valeurs républicaines d'égalité entre tous les citoyens. En l'état actuel des choses, Aïssa Dermouche est donc un « préfet » et non pas un « préfet musulman ». Cependant la question de la discrimination positive n'est pas définitivement tranchée. Et si une conception semblable à l'affirmative action à l'américaine triomphe en même tant que continue la tendance à définir le qualificatif de musulman comme une identité englobant religion, culture, et origine ethnique, il ne sera plus totalement saugrenu de parler de « hauts-fonctionnaires musulmans ».

Il y a donc bien eu ces dernières années la création d'une nouvelle posture de l'intellectuel musulman politiquement engagé. Même si cette évolution est condamnée et refusée par certains, d'autres s'engagent politiquement en affichant désormais leur islamité publiquement.

* 254 Gilbert Charles & Besma Lahouri, « Les vrais chiffres de l'islam en France », L'Express, 4/12/2003.

* 255 Cf. encore une fois l'étude de Sylvain Brouard et Vincent Tiberj, Rapport au politique des Français issus de l'immigration, op. cit., qui montre qu'il existe bien, contrairement aux idées reçues, un processus de « sortie de la religion » chez les musulmans français, phénomène comparable à celui observé dans d'autres communautés religieuses de l'Hexagone.

* 256 Robert Solé, « Les élus beurs soufflent leur première bougie », Le Monde, 21/3/1990.

* 257 Cf. Daniel Licht, « Le Coran et la carte d'électeur », Libération, 22/12/2001.

* 258 Vincent Geisser, La Nouvelle Islamophobie, La Découverte, 2003, p101.

* 259 Cf. Claude Askolovitch, « les gauchistes. d'Allah », Le Nouvel Observateur, 22/10/2004.

* 260 Claude Askolovitch, « L'encombrant M. Ramadan », Le Nouvel Observateur, 9/10/2003.

* 261 Xavier Ternisien, « L'alliance historique des foulards islamiques avec les drapeaux rouges », Le Monde, 6/2/2004.

* 262 Ugo Rankl, « Porte-parole des musulmans », Le Point, 24/5/2002.

* 263 Tariq Ramadan, « Le piège du communautarisme », Libération, 14/1/2004.

* 264 Luc Bronner, « Un recteur comme les autres », Le Monde, 29/1/2004.

* 265 Josette Alia, « La fierté du préfet Dermouche », Le Nouvel Observateur, 22/1/2004.

* 266 Eric Aeschimann, « Discrimination positive, une alternative ? », Libération, 4/12/2003.

* 267 Cf. Entretien de Etienne Gernelle et Patrick Bonazza avec Yazid Sabeg, Le Point, 14/10/2004.

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"L'ignorant affirme, le savant doute, le sage réfléchit"   Aristote