Le régime juridique des étrangers au Camerounpar Martine AHANDA TANA Chaire UNESCO des droits de la personne et de la démocratie de l'université d'Abomey-Calavi de Cotonou au Bénin - DEA droits de la personne et de la démocratie 2004 |
2) Les atteintes liées au comportement des autorités politico-administrativesLes résultats d'enquête nous permettent d'étudier les violations subies par les étrangers selon qu'elles sont récurrentes ou ponctuelles. Les violations récurrentes consistent en des atteintes très souvent répétées. Nous tenons à préciser que les nationaux en souffrent également. Il s'agit de la torture et autres traitements inhumains ou dégradants de la personne humaine, pourtant réprimés par les articles 5 de la DUDH, 7 du PIDCP et 5 de la Charte Africaine des droits de l'homme et des peuples. En effet, 26 % d'étrangers réguliers interrogés se plaignent de la violation de ces droits intangibles. A titre illustratif, nous nous pencherons sur le cas des détenus étrangers car partout dans le monde, ces derniers éprouvent des difficultés particulières en raison des facteurs tels que la différence de langue et de culture. Aussi l'incarcération dans un milieu étranger pose-t-elle des problèmes supplémentaires. Nous observons une aliénation et un isolement accrus puisque les détenus étrangers ont des difficultés à maintenir le contact avec leur famille et les visites sont très rares ou inexistantes109(*). L'administration pénitentiaire ne devrait donc pas profiter de cette situation pour multiplier des abus sur les expatriés détenus car, comme le dit HEINKE J110(*), « la protection des droits de l'homme ne s'arrête pas aux murs de la prison ». Or, Amnesty International111(*) révèle que les individus, parmi lesquels de nombreux étrangers, prisonniers et détenus dans les postes de gendarmerie, les commissariats de police et les prisons, subissent la torture, les traitements inhumains et les traitements dégradants. En effet, il ressort que les conditions de détention sont caractérisées par un taux de surpopulation élevée, une insuffisance et même une absence d'équipements sanitaires et de soins médicaux. Tout cela, ajouté aux sévices que l'administration pénitentiaire inflige aux détenus, s'inscrit dans le champ de la torture112(*). Cette attitude de l'administration pénitentiaire est imputable à l'Etat conformément à l'article 5 du projet CDI. ANZILOTTI D113(*) disait, d'ailleurs, que l'acte illicite au point de vue du droit international n'est pas l'action positive des individus, mais plutôt l'omission de l'Etat de prohiber ces mauvais traitements ou de prendre des mesures nécessaires pour les empêcher. Pour ce qui est des violations ponctuelles, elles consistent en des atteintes qui surviennent occasionnellement. Les étrangers tout comme les nationaux, souffrent du premier cas. 30 % des expatriés interrogés se plaignent, en effet, de violations des autres droits civils ; il s'agit plus précisément des abus des forces de l'ordre qui consistent en des restrictions arbitraires à la libre circulation interne. Or, si le principe de la liberté d'aller et de venir à l'intérieur du territoire national est assorti de limites, celles-ci doivent être prévues par la loi. En décembre 2003, le Délégué général à la sûreté nationale a d'ailleurs reconnu officiellement qu' « on ne saurait évaluer le nombre de rackets quasi systématiques des étrangers »114(*). Deux ans après ces aveux, le rapport mondial 2005 de Transparency International sur la corruption remet en exergue les méfaits de la police camerounaise. Pour ce qui du second cas, seuls les étrangers connaissent de telles difficultés. 15 % d'entre eux affirment que les autorités nationales, très conscientes des discriminations dont ils font l'objet, les soumettent à une autre forme d'exploitation. En effet, à l'approche des élections présidentielles, de nombreuses personnalités issues du parti au pouvoir distribuent frauduleusement des cartes nationales d'identité aux non-nationaux, aux fins de grossir le nombre de militants. La plupart des victimes de ces magouilles politiques sont les Tchadiens115(*). Il s'agit donc, à proprement parler de l'instrumentalisation des étrangers par le Cameroun. De plus, le lundi 18 avril 2005, le « service de l'émi-immigration » de la Délégation générale à la sûreté nationale (DGSN) annonçait soudainement l'augmentation du coût de la carte de résident et de séjour. Il est passé de soixante mille à six cent mille116(*) francs CFA. Interrogés dans le cadre de nos enquêtes, de nombreux immigrés se sont plaints de l'excessivité de son coût. Ils ont donc décidé, pour protester contre l'Etat, de ne plus régulariser leur situation. C'est ainsi qu'ils séjournent désormais clandestinement sur le territoire national. * 109 Conseil de l'Europe-affaires juridiques, Détenus étrangers : Recommandation n° R (84) 12 adoptée par le comité des ministres du Conseil de l'Europe le 21 juin 1984 et exposé des motifs, Strasbourg, Conseil de l'Europe, 1984, p. 14. * 110 HEINKE (J.), « Droits de l'homme et sanctions pénales », IN Revue trimestrielle des droits de l'homme (RTDH), 1994, p. 173. * 111 Amnesty international, Rapport 98, Londres, Editions francophones d'Amnesty international (EFAI), 1998, p. 121-125. * 112 La donne n'a guère changé depuis le rapport d'Amnesty International car au mois de février 2005, RFI donnait des informations sur les rebellions des prisonniers au Cameroun. Ces derniers voulaient attirer l'attention de l'opinion publique nationale et internationale sur les difficultés qu'ils connaissent au quotidien. * 113 ANZILOTTI (D.), « La responsabilité internationale des Etats à raison des dommages soufferts par les étrangers », IN Revue générale de droit international public, TomeXII, N° 1 et 3, 1906. * 114 Rapport 2003 de la représentation de Transparency International au Cameroun, IN Revue de presse nationale Cameroon Tribune, 26 décembre 2003. * 115 Revue de presse tchadienne Laltchad Presse, Op Cit. * 116 RFI, lundi 18 avril 2005. ( www.rfi.fr). |
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