INTRODUCTION
« En France je suis considéré comme un
auteur, en Allemagne comme un metteur en scène, en Angleterre comme un
réalisateur de films d'horreur, et aux Etats-Unis comme un
fainéant »
John Carpenter.
Difficile de cerner John Carpenter : cinéaste
à l'oeuvre riche (déjà dix-sept longs métrages)
mais mésestimée, cinéphile passionné et
passionnant, capitaliste convaincu et critique acerbe du système
américain, explorateur d'un cinéma de genre populaire et symbole
du cinéma indépendant, artiste instinctif et bourreau de travail
perfectionniste... Autant de facettes du personnage liées par la
cohérence formelle et thématique absolue de son oeuvre. J'ai
décidé d'aborder cette oeuvre sous l'angle de la peur, ou
plutôt celui de la menace, c'est-à-dire le sentiment, l'indice que
quelque chose de fâcheux va arriver, sentiment qui
traverse la filmographie carpentérienne. Comment s'y
prend-il pour jouer avec nos mécanismes d'anticipation et nous
communiquer cette angoisse du moment à venir ? Surtout que nous
révèle-t-il de notre vraie nature à travers ce
sentiment ?
Carpenter construit en effet son oeuvre filmique sur un
sentiment de tension constante ; très vite posée (dès
la situation de départ en fait), cette tension ne fait que se
développer jusqu'au climax final (l'affrontement) qui viendra clore le
récit tout en laissant ouvert un champ des possibles que chacun sera
libre d'interpréter. Car c'est là une des clefs de la puissance
du cinéma carpentérien : s'il utilise toutes les ressources
dont il dispose en tant que metteur en scène pour faire naître la
peur, Carpenter n'hésite pas à laisser la porte de son espace
filmique entr'ouverte pour le spectateur. Le hors-champ et la suggestion sont
bien évidemment les premières armes d'un cinéaste exigeant
formé à l'art subtile de la série B et habitué aux
budgets démesurément inférieurs à ses
ambitions : travailler dans de telles conditions de production, c'est
accepter le défi permanent de viser, sous couvert d'une
simplicité apparente, une efficacité absolue de la narration.
Mais chez Carpenter, épurer le film (scénario qui va droit
à l'essentiel, découpage sans artifice : tout doit
être efficace !) c'est également laisser d'autant plus de
place au spectateur pour l'investir de ses propres affects et de ses propres
angoisses, en bref c'est rendre son propos d'autant plus effrayant en
même temps qu'universel... Universel car au travers de personnages
confrontés à des situations de crise, nous verrons que c'est bien
l'Humanité entière, sa place, sa nature, ses valeurs même
que Carpenter entend étudier. D'ailleurs, il sait mieux que quiconque
que le cinéma fantastique, avec ses vampires, ses
« choses » et autres croquemitaines, peut se
révéler le vecteur (idéal ?) d'un discours d'auteur
audacieux et subversif qui parle de lui, de vous, de nous, de
l'Amérique, de l'Homme et qui n'hésite pas à questionner
le statut même du spectateur.
Pour mener cette étude j'ai choisi d'utiliser
l'ensemble de la filmographie de Carpenter à quelques exceptions
près : j'ai écarté de sa filmographie les
expérimentations (Dark Star, Jack Burton dans les griffes du
Madarin) et les films de commande (Starman, Christine, Les
Aventures d'un Homme Invisible,), ne conservant que le noyau dur son
oeuvre, à savoir, par ordre chronologique de sortie :
Assaut, Halloween, Fog, New York 1997, The
Thing, Prince des Ténèbres, Invasion
Los-Angeles, Le Village des Damnés, L'Antre de la
Folie, Los-Angeles 2013, Vampires et Ghosts of
Mars.
Nous mènerons cette étude en trois grande
parties :
· Dans la première, intitulée
L'espace cinématographique : une déclinaison
du huis-clos, nous verrons comment Carpenter délimite
précisément son espace filmique (lieux, temporalité...)
afin de resserrer sur ses personnages un étau révélateur
de leur nature profonde.
· Dans la seconde, Une montée
progressive de la tension, nous étudierons la
mécanique scénaristique de Carpenter qui parvient à
maintenir le spectateur tout autant que le personnage dans une situation de
tension permanente.
· Dans la troisième enfin, Une
mythologie de l'Amérique menacée, nous
découvrirons comment la notion de menace, qui traverse et structure
toute l'oeuvre carpentérienne, peut se faire le vecteur d'un discours
à la fois politique et philosophique bien plus large.
PLAN
I- l'espace cinématographique: une
déclinaison du huis-clos.
1- un espace / temps par définition
clos et hostile.
1.1- un espace clos réel ou
métaphorique.
1.2- une hostilité progressive: l'espace
déréglé et
contaminé.
2- un espace qui oblige à la confrontation avec
l'ennemi.
2.1- une logique d'affrontements et de domination avec
un seul enjeu: la survie.
2.2- masse indistincte contre agglomérat
d'identités.
3- un espace qui oblige à la confrontation avec
l'autre, donc avec soi-même.
3.1- du huis-clos sartrien à la construction
d'une unité dans la différence.
3.2- trouver sa voie et choisir d'être humain.
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