L'existence d'une conception des droits de l'homme propre aux états musulmanspar Peggy Hermann Faculté de Droit de Montpellier 1 - DEA de Droit International 1999 |
B- Le débat sur le fondement du pouvoir et du droitL'Etat musulman se présente comme un tout, où se confondent la religion, la société et l'Etat ; dès lors que l'Etat musulman est proclamé islamique, il dispose de pouvoirs absolus pour l'application de la Loi islamique contre laquelle aucune autre norme ne peut être invoquée, notamment celles qui se fondent sur les droits de l'Homme. On a cherché à justifier des phénomènes historiques comme l'exaltation de la soumission au chef puisqu'il est censé être le meilleur guide de la communauté en tant qu'homme le plus pieux, le mieux inspiré, à l'image des quatre premiers Califes (les Califes justes, Abubakr, Omar, Othman et Ali) qui constituent le modèle de référence. En somme la seule piété suffirait pour garantir le bon exercice du pouvoir puisque la conformité aux préceptes religieux introduit des limites et permet de trouver une solution satisfaisante à tout problème de relation entre le croyant et le détenteur de l'autorité. Logiquement aucune revendication, contestation ou révolte n'est légitime dans un Etat musulman, puisque celui-ci est supposé répondre à tous les besoins individuels et collectifs des membres de la communauté des croyants ; toute opposition ne peut être qu'un danger que l'Etat doit réprimer avec la plus grande vigueur. C'est pourtant l'inverse que l'on constate en Iran, où les étudiants manifestent et se révoltent avec pour leitmotiv, non pas comme en 1979 «Indépendance, Liberté et République islamique », mais « République iranienne ». Le mouvement qui a été entamé de façon spontanée le 8 juillet 1999, ne semblait pas structuré. Les revendications des étudiants ressemblent au programme du président modéré Khatami, qui reste leur héros : pas de censure pour la presse, libertés individuelles, civiles et politiques, détente culturelle. De tels événements vont en totale contradiction avec la logique imposée dans les Etats musulmans. Il est inquiétant de constater qu'en cette fin de siècle- qui connaît un regain et une expansion de l'idée démocratique, de la valeur des droits de l'Homme et de la notion d'Etat de droit- que des hommes sont soumis aux menaces, humiliations et mises à mort pour simplement avoir voulu engager un vrai débat sur le fondement du pouvoir en Islam. Beaucoup de penseurs musulmans, qui ont discuter de la nature du pouvoir islamique pour suggérer de nouvelles pistes de réflexion, ont encouru des risques en cherchant à concilier l'Islam et la démocratie. Deux penseurs méritent un réexamen de leurs conceptions ; ils se sont heurtés à l'opprobre de l'establishment religieux dans le monde musulman, parce qu'ils ont eu le courage de mettre en doute les interdits pour montrer que l'on ne peut pas faire l'économie d'un débat sur le pouvoir et le droit en Islam. Le premier penseur est l'Egyptien Ali Abderraziq qui a écrit un ouvrage en 1925 sur "l'Islam et les fondements du pouvoir"15(*) à un moment névralgique puisque la Turquie kémaliste venait d'abolir le califat en 1922 et d'instaurer la République. Jusqu'à cet ouvrage, il y avait une vulgate islamique, recueillant le consensus des ulémas sur la nature et l'organisation du pouvoir. L'accord s'était fait sur une sorte de Constitution implicite découlant du Coran ou de la Sunnah, définissant les conditions d'exercice du pouvoir dans un Etat islamique, établissant un lien direct et étroit entre les règles religieuses et les règles de gouvernement, sacralisant ainsi ces dernières et obligeant tout croyant à se rallier aux détenteurs du pouvoir. C'est toute la théorie de l'institution califale dont la justification s'appuie, à défaut de bases claires dans le Coran lui-même, sur la pratique des quatre premiers Califes. Or c'est cette théorie que va ébranler Ali Abderrazik par une réfutation argumentée qui parvient à la conclusion suivante : « Rien n'empêche les musulmans d'édifier leur Etat ou leur système de gouvernement sur la base des dernières créations de la raison humaine et sur la base des systèmes dont la solidité a été prouvée, ceux que l'expérience des nations à désignés comme étant parmi les meilleures »16(*). Il a posé l'idée que le califat ne peut se fonder que sur l'argument de l'autorité. Le deuxième penseur est Mahmud Muhamad Taha d'origine soudanaise dont la réflexion et l'apport ont consisté en une relecture du Coran dont il oppose deux moments et deux messages pour aboutir à des conclusions forts surprenantes17(*). Il estime, en effet, que les quelques règles de droit coranique, avec leurs aspects discriminatoires, coercitif ou violent, datent de la période médinoise du prophète (l'Hégire, exile du prophète rejeté de La Mecque) et correspondent à l'état manifestement déficient la société islamique de cette époque. Or, il convient de revenir au message de la période mecquoise qui serait celle du vrai message divin pour redécouvrir toute la signification spirituelle de l'Islam authentique occulté par un Islam historique que les musulmans ont été contraints de vivre depuis le VIIème siècle. Cet Islam authentique humaniste, qui repose sur la réconciliation de l'individu avec lui-même, avec la société et avec l'Etat, est en mesure de féconder non seulement la civilisation musulmane mais aussi la civilisation occidentale. Pour avoir soutenu ces thèses Taha s'est retrouvé au banc de l'Infamie : poursuivi une première fois en 1968 sous l'accusation d'apostasie, d'athéisme et de subversion, il fût condamné à la peine de mort en 1985 et exécuté. Ces deux exemples montrent que toute réflexion sur le fondement du pouvoir en Islam qui refuse de s'insérer dans une logique dogmatique et qui recherche de nouvelles voies pour explorer les relations entre la religion, le droit et l'Etat, a peu de chance de prospérer dans le monde musulman actuel. L'Islam reconnaît un droit musulman et le contenu juridique fait partie intégrante d'un système de règles religieuses et morales. * 15 Abderraziq (Ali), Islam et le fondement du pouvoir, (1925), La Découverte, 1994 * 16 Ibid, p.156 * 17 Khayati (M.), Introduction à la pensée de M.M Taha, réformiste martyr, in BLEUCHOT (H.) et Hopwood (D.), (eds.) : Soudan , histoire, identités, idéologies, Ithaca Press, 1991, p. 297 |
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