L'existence d'une conception des droits de l'homme propre aux états musulmanspar Peggy Hermann Faculté de Droit de Montpellier 1 - DEA de Droit International 1999 |
§ 2 : la pratique des violations des droits de l'HommeL'expérience nous montre que la répression reste l'arme principale pour se maintenir au pouvoir et soumettre son peuple. "L'Algérie est certes une démocratie imparfaite, mais dans laquelle l'opposition islamiste fait partie du gouvernement : c'est le seul pays du monde arabe qui possède une presse libre." Cette phrase est sans cesse répétée par les diplomates et ministres algériens chaque fois que les organisations non gouvernementales ( ONG) expriment des critiques contre le manque de libertés et de démocratie dans ce pays. Marc Margenis explique que par-là, le gouvernement d'Alger tente de convaincre, non sans succès, que la " démocratisation suit son cours et que les ONG les plus virulentes ( Reporters sans frontières, Amnesty International...) interdites depuis plusieurs mois, ne font nullement preuve d'objectivité." 104(*) Alors comment expliquer qu'un journaliste algérien qui veut garder l'anonymat, écrive, " Il n'y a plu de presse libre dans ce pays ; à peine quelques concessions qui permettent au gouvernement, pour améliorer son image de marque, de se vanter, à l'étranger, d'autoriser la liberté de la presse. Par ailleurs, les généraux savent parfaitement que, sans une petite bouffée de liberté, le pays serait une bouilloire sous pression et la situation deviendrait explosive".105(*). Selon un des derniers rapports de Reporters sans frontières, depuis l'assassinat de Tahar Djaout, le premier journaliste tué le 26 mai 1993, " cinquante-sept journalistes ont été tués. La plupart de ces meurtres ont été revendiqués par les différents groupes armés se réclamant de l'islamisme."106(*). L'association précise que les circonstances qui entourent certains des assassinats demeurent obscures et suscitent des interrogations. De nombreux journalistes admettent, en privé, que le pouvoir est à l'origine de certains de ces meurtres, mais tous déclarent craindre pour leur vie s'ils rendent publiques ces informations. En octobre 1995, Omar Belhouchet, directeur du quotidien El Watan confie dans une interview à la chaîne française Canal + : " Il y a des journalistes qui gênent le pouvoir. Et je ne serais pas étonné si j'apprenais demain que certains de mes collègues ont été assassinés par des hommes du pouvoir. "107(*). Ces propos vaudront pour le journaliste d'être condamné à un an de prison pour " outrage à corps constitué". Rassemblés devant le palais du gouvernement, les journalistes algériens ont manifesté pour la liberté d'expression, le mercredi 11 novembre 1998, portant des pancartes hostiles aux autorités ; ils ont demandé que la liberté d'expression ne soit plus bafouée. Le conflit entre les autorités et les journalistes a éclaté après les sociétés publiques ont sommé quatre quotidiens ( El Wanta, Le Matin, La Tribune, le Soir d'Algérie) de régler dans les quarante-huit heures leur dette sous peine de suspension. Cet ultimatum intervenait après une série d'articles mettant en cause le ministre-conseiller à la présidence, et le ministre de la justice. Pour bâillonner la presse, le pouvoir dispose du monopole de l'imprimerie comme de l'importation du papier, mais aussi 85 % de la publicité. Il peut à la fois suspendre la parution des journaux, réduire leur tirage ou les étrangler financièrement. Mais son atout maître, c'est un dispositif législatif particulièrement répressif doublé d'une sécurité policière omniprésente. D'après un des derniers rapports de Reporters sans frontières, au moins dix journalistes seraient détenus actuellement dans les prisons syriennes pour " activités non violentes telles que l'appartenance présumée à des groupes politiques ou de défense des droits de l'Homme non autorisées."108(*). Des conditions d'hygiène lamentables prévalent dans ces prisons et les détenus y sont soumis à des tortures. L'expérience de Salman Rushdie, auteur des Versets sataniques, a sûrement été la plus médiatisée. Pourquoi? Parce que l'Occident n'a cessé de défendre Salman Rushdie au nom de la liberté d'expression. Le 14 février 1989 est la date noire dans l'histoire de la liberté d'expression. Ce jour-là, un édit religieux de l'Ayatollah Khomeini informe tous les musulmans du monde que l'auteur et toutes les personnes impliquées dans la publication ou ayant eu connaissance du contenu des Versets sataniques, un livre contre l'Islam, le Prophète et le Coran, sont condamnés à mort. Pendant près de dix ans, Salman Rushdie va devenir le symbole de la liberté d'expression bafouée. Le Monde du 26 septembre 1998, publia un article s'intitulant, " l'Iran veut refermer le dossier Salman Rushdie" , par Afsané Bassir Pour. Il explique qu'en se désolidarisant de la fatwa qui pèse sur l'écrivain, le gouvernement de Téhéran espère lever une lourde hypothèque dans les relations avec l'Occident. Le ministre iranien des affaires étrangères, Kamal Kharazi a annoncé que " le gouvernement de la république islamique d'Iran n'a pas l'intention de mener quelque action que ce soit pour attenter à la vie de l'auteur des Versets sataniques ou des personnes associées à son travail, et n'encourage ou n'aidera personne à le faire. En conséquence le gouvernement se démarque de toute récompense qui a été offerte et se dissocie de cette initiative."109(*). Son homologue britannique a exprimé à son tour sa " satisfaction" devant "la clarification" par l'Iran de cette affaire qui constituait le principal obstacle pour son pays, et bien d'autres, à une normalisation complète des relations avec l'Iran. Cette prise de position du gouvernement iranien confirme une volonté d'ouverture de Téhéran vers l'Occident. Deux ans après son élection à la présidence, M. Mohamed Khatami a confirmé à plusieurs reprises sa volonté d'imprimer un cours nouveau à la politique extérieure de son pays. Récemment, le rédacteur en chef du journal réformiste Salam, Abbas Abdi, poursuivi pour diffamation, a été acquitté selon la presse iranienne du 23 août 1999. Il comparaissait pour avoir publiquement accusé l'an dernier les conservateurs de jouer un double jeu avec les Etats-Unies. Son quotidien Salam, a joué un rôle clé dans la victoire du modéré président de la République d'Iran. Même si ce président réformateur n'a pas pu rééquilibrer les institutions, relancer l'économie, améliorer les conditions sociales de son pays, l'opinion nationale et internationale ne lui en tient pas rigueur pour autant. En effet, cet homme semble faire preuve d'une fidélité tatillonne à ses promesses électorales, modestes en apparence mais fondamentale pour l'avenir démocratique de la République. A travers cette illustration, l'Iran ne comprend-t-il pas qu'aucune raison n'est supérieure à la liberté, et que rien de valable ne peut-être entrepris sans le respect des droits de l'Homme ? Il reste que dans le domaine des droits de l'Homme, les Etats musulmans recommencent sans cesse le même combat idéologique. Ils continuent à lutter pour faire accepter leur conception des droits de l'Homme par la Communauté internationale. * 104 Marc Margenis, " L'information asservie en Algérie ", Le Monde Diplomatique, septembre 1998, p.9 * 105 Ibid * 106 Reporters sans frontières, " Algérie, les violations de la liberté de la presse, de 1992 à 1998", www.rsf.fr * 107 Ibid * 108" Des journalistes torturés en Syrie d'après Reporters sans frontières", Le Monde, lundi 21 décembre 1998, p.4 * 109 Bassir Pour ( A.), " L'Iran veut refermer le dossier Salman Rushdie", Le Monde du 28 septembre 1998, p. 1 et 12 |
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