L'existence d'une conception des droits de l'homme propre aux états musulmanspar Peggy Hermann Faculté de Droit de Montpellier 1 - DEA de Droit International 1999 |
§ 1 : L'évolution de l'attitude des Etats musulmansIl peut-être intéressant de montrer en quoi leur attitude " n'a été ni monolithique, ni uniforme ; d'autre part, qu'elle a évolué..." 71(*) et d'étudier leur degré d'adhésion aux Conventions protectrices des droits de l'Homme (A.), et leur attitude face à ces Conventions (B.)
Lors de la proclamation de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme, les Etats musulmans étaient peu nombreux à l'ONU. Ils étaient divisés en ce qui concerne les principes énoncés dans la Déclaration, car certains de ces principes étaient incompatibles avec les principes de l'Islam. On a constaté une certaine évolution dans leur attitude et l'on peut dès lors affirmer que la majorité d'entre eux a adhéré aux textes de la " Charte internationale des droits de l'Homme". Comme l'écrit Mohamed-Chérif Ferjani " Par delà les cultures, par delà les particularités constitutives de l'identité d'un peuple ou d'une communauté quelconque, et dont on peut être respectueux dans la mesure où elles ne mettent pas en cause la dignité humaine et les droits qui lui sont inhérents, il y a un principe universel qui nous permet d'intervenir pour le respect de cette dignité et de ces droits, et nous en fait même une obligation."72(*). Cela signifie que pris dans sa globalité, "le discours de proclamation des droits de l'Homme s'adresse à tous les hommes partout et a un champ planétaire" 73(*). Les Etats musulmans réagissent en adhérant formellement à la conception universelle des droits de l'Homme. Car même si les textes qui les ont proclamés ont vus le jour en Occident, l'objectif n'en reste pas moins le respect universel de ces droits. En 1948, les positions des Etats musulmans étaient contrastées. Même si une forte majorité s'est ralliée à la position dominante de l'Assemblée Générale, l'abstention de certains comme l'Arabie Saoudite et l'absence d'autres comme le Yémen, ont exprimé une opposition fondamentale au texte de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme. Il n'en reste pas moins que l'hommage rendu au texte est explicite. La Charte de la Ligue arabe de 1994, dans son préambule cite : " Réaffirmant les principes de la Charte des Nations-Unies, de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme..."74(*) Mais la Déclaration universelle n'est qu'un simple document ; une résolution de l'Assemblée générale des Nation-Unies, qui énonce des recommandations destinées aux Etats. C'est donc un texte sans valeur obligatoire, qui ne crée aucune obligation. Quel que soit le caractère obligatoire de ce texte, on constate qu'il n'y a plus d'hostilité de principe de la part des Etats musulmans à l'égard de ce texte, mais une acceptation progressive qui continue néanmoins à leur poser quelques problèmes pratiques. La Déclaration Universelle des Droits de l'Homme du 10 décembre 1948 est une déclaration de principe destinée à l'origine à être complétée par d'autres textes : ce furent les deux Pactes relatifs aux droits de l'Homme, adoptés par l'Assemblée générale des Nations-Unies le 16 décembre 1966. 2- Les Pactes de 1966 relatifs aux droits de l'Homme "Les Pactes de 1966 traduisent des préoccupations différentes de celles de la Déclaration universelle et un infléchissement de l'idéologie des droits de l'Homme, qui tient à deux chiffres : l'Assemblée générale des Nations-Unies compte 58 membres en 1948 et 122 membres en 1966 ; l'idéologie majoritaire n'est plus la même." 75(*). Les deux Pactes distinguent les droits civils et politiques dans un instrument, des droits sociaux, économiques et culturels dans un autre instrument. De plus les Pactes s'adressent aux Etats et non aux individus (" les Etats s'engagent à..") . Les Pactes ont éviter de soulever les questions délicates qui posaient problème aux Etats musulmans dans la Déclaration universelle. Alors que le vote de la Déclaration universelle en 1948 à montrer des positions contrastées, l'adoption à la majorité des deux Pactes tend à approuver le fait que les Etats musulmans aient accepté progressivement la conception universelle des droits de l'Homme. Pour ne citer que certains d'entre eux : l'Algérie, l'Egypte, l'Irak, la Jordanie, le Liban, la Libye, la Guinée, le Maroc, la République islamique d'Iran, la Somalie, la Syrie, le Tchad, la Tunisie, le Yémen ont adhéré aux Pactes. L'adhésion des Etats musulmans aux Pactes ne sert à rien si on ne s'assure pas au préalable qu'ils sont juridiquement liés par eux. Ces Pactes internationaux ne présentent de réel intérêt que si des organes de contrôle garantissent le respect effectif des droits de l'Homme énoncés. Le Comité des droits de l'Homme est l'organe des Nations-Unies chargé de contrôler et de superviser l'application du Pacte de 1966 relatif aux droits civils et politiques. Il fonctionne depuis 1977 et a déployé une activité fort intéressante. Le Protocole " habilite le Comité des droits de l'Homme... à recevoir et à examiner, des communication émanant de particuliers qui prétendent être victimes d'une violation d'un des droits énoncés dans le Pacte." ( Préambule). Les Etats Parties à ce Protocole doivent se prêter au contrôle du Comité, ce qui signifie une reconnaissance de sa compétence, et ils doivent donner suite à ce contrôle. Les Etats musulmans ont soit en majorité voté en faveur du Protocole (Irak, Jordanie, Liban, Libye, Soudan, Maroc, Tunisie,...), soit ont préféré s'abstenir ( Algérie, Arabie Saoudite, Iran, Mauritanie, Syrie, Oman, Bahreïn...). L'article 40 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques invite les " Etats Parties au présent Pacte à présenter des rapports sur les mesures prises qu'ils ont arrêtées et qui donnent effet aux droits reconnus dans le présent Pacte et sur les progrès réalisés dans la jouissance de ces droits...". On a observé une certaine méfiance de la part des Etats musulmans par rapport au contenu et à la portée de ce Protocole. En limitant cette étude aux textes des Pactes internationaux relatifs aux droits de l'Homme, on examinera l'attitude des Etats musulmans à l'égard de ces textes.
Si les deux Pactes ont eu un tel succès, c'est probablement parce qu'ils n'ont pas mentionner les quelques points litigieux qui figuraient dans la Déclaration universelle ; les passages contestés par les Etats musulmans dans la Déclaration universelle ont disparu. Ainsi, les Pactes ont supprimé les références à la religion qui posaient problème pour les musulmans, notamment dans l'article 16, relatif au droit de se marier et de fonder une famille, et de l'article 18 qui reconnaît le droit de changer de religion. Pourtant on décèle une certaine méfiance de la part des Etats musulmans à l'égard des procédures de mises en oeuvre de deux Pactes, notamment du Pacte relatif aux droits civils et politiques qui a le mérite d'avoir prévu la création du Comité des droits de l'Homme. Les deux Pactes sont muets concernant la pratique des réserves, mais ils ne les interdisent pas. Les hésitations ainsi que les méfiances de la part des Etats Parties aux Pactes peuvent disparaître par le jeu des réserves. Les Etats gardent un atout dans leur poche : ils peuvent apporter leur propre limitation aux dispositions qu'ils estiment contraires à leur pratique en matière de droits de l'Homme.
Près de la moitié des Etats Parties au Pacte ont formulé des réserves ou des déclarations, portant sur les dispositions précises d'articles. Il est pourtant frappant de remarquer que peu d'Etats musulmans qui ont ratifié les Pactes internationaux relatifs aux droits de l'Homme, ont émis des réserves. La Syrie ainsi que l'Irak ont émis des réserves ou des déclarations au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (sans compter les réserves relatives à la reconnaissance d'Israël). Paul Tavernier relève que " l'attitude de l'Algérie, qui il est vrai a ratifié plus récemment les deux Pactes (12 septembre 1989), a été beaucoup plus prudente. Elle a émis non pas des réserves mais des "déclarations interprétatives"."76(*). La déclaration interprétative la plus intéressante concerne les dispositions de l'alinéa 4 de l'article 23 du Pacte international sur les droits civils et politiques qui dispose que : "Les Etats Parties au présent Pacte prendront les mesures appropriées pour assurer l'égalité de droits et de responsabilités des époux au regard du mariage, durant le mariage et lors de sa dissolution. N cas de dissolution, des dispositions seront prises afin d'assurer aux enfants la protection nécessaire." Le gouvernement algérien interprète cette disposition comme ne portant en aucun cas atteinte aux fondements essentiels du système juridique algérien, mais cela laisse entrevoir que dans le domaine du droit de la famille, la Loi islamique est la source d'inspiration. Le droit de la famille sous-entend, les droits de la femme. Le statut de la femme dans les Etats musulmans reste en dessous de standard établi par les documents de Nations-Unies. Ces Pays n'ont pas hésité à faire des réserves chaque fois que les documents onusiens visant à améliorer les droits de la femme. L'article 23 du Pacte des droits civils et politiques engagent les Etats à "assurer l'égalité de droits et de responsabilités des époux au regard du mariage, durant le mariage et lors de sa dissolution." Mais nous ne pouvons nier que la condition de la femme musulmane a connu un certain progrès selon les pays. Elle a obtenu le droit de vote, le droit d'accéder aux fonctions politiques, judiciaires et autres fonctions publiques, le droit au travail, le droit à l'enseignement. Même si les Etats musulmans restent pour la plupart hostiles à l'égard de cette forme de progrès, il n'en est pas moins qu'ils l'acceptent progressivement. On entrevoit dans l'attitude des Etats musulmans une volonté plus grande d'adhérer à la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme et aux Pactes internationaux de 1966. On pourrait penser que l'on arrive vers une acceptation progressive de la conception universelle des droits de l'Homme. Mais cette universalisation est plus facile à réaliser dans la proclamation des droits que dans l'application concrète et effective de ces Conventions protectrices des droits de l'Homme. L'Arabie saoudite ainsi que les Emirats arabes, Oman, la Mauritanie, Djibouti, Bahreïn, Qatar n'ont adhéré à aucun des deux Pactes, ni aux Protocoles. Mme Khadija Chérif Ben Mahmoud, vice-présidente chargée des droits de la femme à la Ligue tunisienne des droits de l'Homme, Sidi Bou Said ( Tunisie), dit que "il s'agit là d'un indice qui mérite d'être relevé et qui constitue un obstacle à l'universalité et donc à l'universalisation des valeurs et normes en matière de droits de l'Homme."77(*). * 71 Paul Tavernier, "Les Etats arabes, l'ONU et les droits de l'Homme",», Cognac ( G.), Amor (A.), Islam et les droits de l'Homme, Paris, Economica 1994, p.59, * 72 Ferjani ( M-C), Islamisme, laïcité et droits de l'Homme, comprendre l'Orient, L'Harmattan, p.374: * 73 Sudre (F.), Droit intrenational et européen des droits de l'Homme, Puf 1997, p.89 * 74 Annexe 7, Charte de la Ligue arabe, 1993, Aldeeb Abu-Sayed (Sami A.), les musulmans face aux droits de l'Homme, religion § droit § politique. Etude et documents, Bochum, Winkler, 1994, p.505 * 75 Ibid, p.91 * 76 Tavernier (P.), professeur à l'Université de Rouen, Directeur du CREDHO (centre de recherche et d'études sur les droits de l'Homme et le droit humanitaire); les Etats arabes, l'ONU et les droits de l'Homme. La Déclaration Universelle des Droits de l'Homme et les Pactes de 1966, Conac (G.) (sous la dir), Islam et droits de l'Homme, Economica, 1994, p.67 * 77 Ben Mahmoud ( K.C), "Universalité des droits de l'Homme dans un monde pluraliste", Conseil de l'Europe, Edition N. P. Engel, p.143 |
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