L'utilisation des nouvelles technologies dans le procès civil : Vers une procédure civile intégralement informatisée ?par Sophia BINET Université LUMIERE LYON 2 - Master Droit Processuel 2005 |
Section 2 - Les enjeux de la dématérialisation des échangesLa certification, technique sécurisée permettant l'échange de données dématérialisées, est utilisée comme signature électronique comme le décrit les décrets d'applications de la loi du 13 mars 2000. La signature électronique ne présente pas de spécificité par rapport à un modèle de signature qui ne le serait pas dans la mesure où un seul texte, l'article 1316-4 du Code civil régit la signature de façon générale65(*). La fiabilité du procédé de signature électronique étant présumée, il est nécessaire que ces techniques de vérification existent, telles que précisées par le décret n°2001-272 du 30 mars 2001 qui transpose la directive n°1999/93/CE du 13 décembre 1999. En effet, le décret met en place des « dispositifs sécurisés de création de signature électronique » (Article 3 et 4) qui supposent eux-mêmes une fiabilité et une confidentialité particulière, des « dispositifs de vérification de signature électronique » (Article 5), des « certificats électroniques qualifiés et des prestataires de service de certification électronique » (Article 6 et suivant). D'un point de vue pragmatique, la certification présente alors l'intérêt d'adapter le droit de la preuve aux écrits papiers étant donné que l'écrit électronique est admissible comme preuve au même titre que l'écrit papier s'il garanti l'intégrité de son contenu et l'imputabilité de son auteur(I). Il semble dès lors que la création de ce mécanisme de certification permettant l'utilisation de nouvelles technologies dans la procédure n'a pas ignoré le grand principe du droit de la preuve selon lequel nul ne peut se constituer soi-même sa preuve. Néanmoins, l'adoption de normes ou la création d'outils techniques oeuvrant pour le maniement de nouvelles technologies semblent aller dans une simple logique d'adaptation du droit et de la justice à l'ère du temps. Ainsi, l'exigence de respect de la sécurité juridique n'est-elle pas la motivation principale ? Il convient donc de se demander si la sauvegarde de la sécurité est une telle exigence qu'elle passe au-delà de l'adoption d'un écrit électronique. I. La portée de l'admission d'une preuve électronique.En adoptant la loi du 13 mars 2000, le législateur a eu pour ambition d'adapter les règles actuelles du droit de la preuve, s'agissant des actes sous seing-privé notamment, mais également des actes authentiques, aux exigences de la société de l'information, en cours de généralisation. Ainsi, en énonçant que cet écrit a la même valeur probatoire que l'écrit papier, la loi du 13 mars 2000, il aurait pu, à cet égard, ajouter une nouvelle catégorie d'acte, l'acte électronique, que l'on s'accorde à appeler l'écrit électronique ou la preuve électronique. En admettant que la preuve informatique soit sur le même pied d'égalité que le support papier, le législateur a créé une nouvelle organisation probatoire (A) réglant en même temps les conflits de preuve (B). A. La force probante de l'écrit électronique par la certification Tous les actes ne valent pas preuves en eux-mêmes En effet, dans un premier temps, avant 1980, la jurisprudence avait refusé de conférer aux photocopies la valeur de preuve aux motifs que seul l'original d'un écrit ou une copie au sens légal du terme peuvent être produits 66(*). Ces obstacles à l'admission des photocopies comme copies et comme commencement de preuve par écrit peuvent s'expliquer par la piètre confiance que l'on peut accorder à ce mode de reproduction, eut égard au risque de montage qu'il permet. Cependant, dans certaines conditions, la jurisprudence a admit qu'une photocopie puisse servir de commencement de preuve par écrit, dès lors que sa conformité avec l'original n'est pas contestée67(*). Dans un second temps, les télécopies ne sont jamais qu'une forme de photocopie, mais celui qui la reçoit n'a, en principe, jamais eu l'original entre les mains, à la différence d'une photocopie. Dès lors, cela permet d'admettre plus aisément la production d'une télécopie par le récepteur, comme commencement de preuve par écrit, mais non par l'émetteur. Or, la loi du 13 mars 2000 a eu pour principal objectif de transformer les preuves informatiques en preuves de premier rang en admettant que l'écrit sous forme électronique est admis en preuve au même titre que l'écrit sur support papier. La certification, mécanisme légal de dématérialisation des actes a donc un intérêt pour les utilisateurs. En effet, les garanties du papier sont connues : intégrité, durabilité, possibilité d'apposer une signature sur le même support matériel que le texte de l'engagement, et la certification semble offrir ces exigences. D'une part, par l'attribution des clés, le fichier dématérialisé ne peut être accessible à un seul partenaire indépendamment de l'autre et n'est qu'à l'aide des deux clés combinées que le document pourra être vérifié ou contesté. Ainsi, le fichier est placé dans un coffre fort virtuel qui ne peut être ouvert qu'avec ces clés. D'autre part, grâce à la cryptographie, l'acte dématérialisé est insusceptible d'altération autre que destructive. Enfin, le recours à la tierce certification semble diminuer encore un peu plus les risques d'une fausse attribution et de fraudes. En effet, ce tiers est seul en mesure de disposer des mémoires de masse incorporant l'instrumentum crypté. Ainsi, en dehors de ce système, il subsisterait toujours une suspicion que la preuve, détenue matériellement par un seul partenaire, ne respecte pas totalement le principe selon lequel on ne peut se préconstituer sa preuve soi-même. De manière pragmatique, la certification règle les craintes légitimes d'authentification de l'auteur et d'intégrité du contenu en proposant une dématérialisation des actes de procédure sécurisée et légale. L'enjeu paraît donc fondamental puisqu'il semble être un outil conforme au droit de la preuve : les actes dématérialisés ont force probante dès lors que d'un côté l'intégrité de l'écrit est garanti, et que, d'un autre côté, l'imputabilité à son auteur est établie. Néanmoins, le décret en Conseil d'Etat devra définir les bases de cette fiabilité. Reste le point capital, celui des conflits de preuves. B. La gestion des conflits de preuve L'objectif du conflit entre les procédés traditionnels de preuve est en effet d'assurer la primauté de l'écrit. Cependant, dès lors que deux types d'écrits sont reconnus comme ayant une valeur probante identique, il reste à régler la coexistence entre ces deux moyens de preuve. En premier lieu, aucune forme d'écrit ne l'emporte sur l'autre68(*). En second lieu, le conflit ne paraît guère aisé à résoudre par avance, de sorte qu'il vaut mieux s'en tenir à l'écrit le plus vraisemblable, ce que l'article 1316-2 du Code civile prévoit de la façon suivante « lorsque la loi n'a pas fixé d'autres principes, et à défaut de convention valable entre les parties, le juge règle les conflits de preuve littérale en déterminant par tous moyens le titre le plus vraisemblable, quel qu'en soit le support ». Les parties peuvent donc régler par avance cette question, par convention, pour faire privilégier l'un ou l'autre, par exemple pour privilégier la signature électronique sur la signature manuscrite ou plus ordinairement, pour préférer dans les relations d'affaires, le contenu de courriers électroniques sur les écrits papiers, ou inversement. L'intérêt majeur de l'assimilation de la preuve informatique à la preuve papier est donc de faire entrer la preuve informatique dans le système probatoire traditionnel sans lui attribuer une place particulière, plus ou moins forte que les autres modes de preuve, en sorte que l'informatique permette de passer les actes les plus simples. Rien n'aurait été plus néfaste à l'unité des règles de la preuve que de dresser l'un contre l'autre deux systèmes probatoires, l'un réputé antique et l'autre moderne. Ce principe d'assimilation entraîne deux corollaires : il faut d'un côté que la preuve informatique donne au moins les mêmes garanties que le papier et que, d'un autre côté, les règles actuelles afférentes à la preuve papier puissent s'appliquer dans leurs moindres prescriptions à la preuve informatique. Et c'est chose faite avec la méthode de la certification qui semble réunir toutes les conditions nécessaires fournissant les mêmes garanties que le papier. * 65 Supra p. 21 et suiv. * 66 Cass. Com. 20 déc. 1976, n°75-12.19, Bull.civ.IV, n°330 * 67 Cass. 1ère Civ., 14 février 1995, n°92-17.61, D. 1995, jur., p. 340, note S. PIEDELIEVRE * 68 Contrairement à l'avant projet de loi qui faisait prévaloir l'écrit traditionnel |
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