Les mécanismes internationaux de protection et l'effectivité des droits de l'hommepar Kiliya Dominique KAMWANGA Université D'ABOMEY-CALAVI (Bénin) - DEA Droit de la personne et de la démocratie 2005 |
B- Les pétitions ou communications individuelles : un ultime recoursLors des travaux préparatoires du Pacte, il fut beaucoup discuté sur la compétence du Comité à examiner des communications individuelles. Un délégué avait souligné que « l'individu étant la victime de toute violation des droits, il devait être habilité à déposer une plainte et à obtenir réparation »100(*). La raison même montre qu'une sauvegarde efficace des droits de l'homme a pour condition l'existence d'un recours individuel contre leur violation. Ainsi, finalement et à une courte majorité, il fut décidé d'y consacrer un traité séparé, le « Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques » ouvert à la ratification des Etats parties au Pacte. La reconnaissance du droit de pétition individuelle constitue le mécanisme d'application le plus avancé. Karel VASAK souligne que les communications individuelles reconnues en vertu du Protocole facultatif ne sont pas de véritables recours contentieux, du fait qu'elles permettent d'engager une « instance mixte » : ni administrative, ni judiciaire, ni diplomatique. Elles ne constituent pas de véritables « actes introductifs d'instance judiciaire »101(*). Les Etats qui en deviennent parties contractantes (ils sont au nombre de 53 au 31 juillet 2004) reconnaissent que le Comité des droits de l'homme a compétence pour recevoir et examiner des communications émanant des particuliers relevant de leur juridiction, qui prétendent être victimes, par cet Etat, de la violation de l'un quelconque des droits énoncés dans le Pacte, à condition d'avoir épuisé tous les recours internes102(*). On aura remarqué que seuls les « particuliers » peuvent saisir le Comité, ce qui exclut les groupements, à savoir notamment les associations, les ONG, ou les sociétés commerciales. Il faut, en outre, que le particulier établisse sa qualité de « victime » de la violation alléguée ce qui exclut l'actio popularis. La victime peut être un ressortissant ou un étranger, pourvu qu'elle se trouve, au moment de la violation, à un lieu sous le contrôle de l'Etat (sur ou en dehors de son territoire). Mais l'article 90 (1) du règlement intérieur du Comité autorise la présentation d'une communication commune à plusieurs, sous réserve que chacun des particuliers ait un intérêt personnel à agir (voir : n°196/1985, Ibrahima Gueye et 172 autres retraités sénégalais de l'année française c. France, déc. 3avril 1989). En vertu de l'article 5 du Protocole, le Comité « examine les communications en tenant compte de toutes les informations écrites qui lui sont soumises par le particulier ou l'Etat intéressé ». Il faut donc l'existence d'une violation ou d'un risque suffisant dépassant « le cadre des possibilités théoriques »103(*). Lorsqu'une communication a été déclarée recevable104(*), le Comité demande à l'Etat qui y est mis en cause de lui fournir des explications ou des éclaircissements sur le problème et d'indiquer s'il a pris une mesure pour y remédier. L'Etat dispose d'un délai de six mois pour faire connaître sa réponse qui peut être commentée par l'auteur de la plainte. Le Comité formule alors ses conclusions, qu'il communique à l'Etat en question et à l'auteur. Pendant toute la procédure, le particulier comme l'Etat bénéficient d'un traitement égal de la part du Comité : chacun formule des observations sur les arguments de l'autre105(*). La politique du Comité en matière de recevabilité est plus libérale. En effet, environ 40% des communications individuelles sont déclarées recevables106(*). L'examen du fond qui respecte la procédure contradictoire est confidentiel. Après avoir siégé à lui clos, la procédure d'examen du Comité se termine par des « constatations » dans lesquelles il « fait part à l'Etat partie intéressé et au particulier » de la décision finale. Les constatations, bien que n'ayant de contrainte juridique sur les Etats, jouissent d'une autorité morale indéniable ou, si l'on veut, d'une « autorité de la chose constatée », à défaut de pouvoir parler d'une « autorité de la chose jugée »107(*). L'article 2 du Pacte énonce, en effet, les obligations des Etats parties vis-à-vis des individus en tant que titulaires des droits garantis par celui-ci. Il définit la portée des obligations juridiques contractées par les Etats parties au Pacte et impose à ceux-ci l'obligation générale de respecter les droits y énoncés et de les garantir à tous les individus se trouvant sur le territoire et relevant de leur compétence. Et conformément au principe énoncé à l'article 26 de la Convention de Vienne sur le droit des traités (Cfr supra : note 34), les Etats parties sont tenus de s'acquitter de bonne foi des obligations découlant du Pacte. Le résultat st que les Etats parties doivent, en vertu de ces deux dispositions, prendre toutes les mesures d'ordre législatif, judiciaire, administratif, éducatif et autres appropriées pour s'acquitter de leurs obligations juridiques et donner effet immédiat et absolu aux droits reconnus dans le Pacte. A cet égard, aucune considération d'ordre politique, social, culturel ou économique interne ne saurait justifier le non respect de cette obligation.108(*) Comme le Comité est investi par le protocole de la mission d'examiner les communications relatives à la violation d'un droit protégé par le Pacte et de se prononcer contre cette violation ; il juge que « l'Etat partie est tenu de prendre des mesures appropriées pour donner un effet juridique aux constatations concernant l'interprétation et l'application du Pacte dans des cas particuliers soumis au titre du Protocole pour avoir accepté, pour sa part, l'obligation juridique de donner à leurs dispositions »109(*). La jurisprudence du comité dénote la volonté d'étendre la protection des individus et de leur conférer un caractère effectif. A sa façon, elle contribue à l'élaboration d'un Droit International des Droits de l'Homme et à la consolidation des règles coutumières dans ce domaine. De plus, le Comité s'efforce de surveiller l'exécution de ses « décisions ». A cette fin, à la suite des mesures adoptées à sa 39e session en 1990, il inclut dans sa constatation une invitation forte à l'Etat d'informer dans un délai de trois à six mois de toutes les mesures prises pour y donner suite (Yung c. Australie, A/58/40, N°941/2000 ; Adrien Mundyo Busyo, Thomas Utsudi Wongodi, René Sibu Matubuka et consort c. République Démocratique du Congo, N°933/2000, A/58/40). L'efficacité de la procédure de suivi a été renforcée en 1994 : les rapports annuels comportent désormais une section distincte sur les activités de suivi des constations au titre du Protocole facultatif, identifiant clairement les Etats parties qui n'ont pas coopéré avec le rapporteur (la Jamaïque, le Madagascar, le Surinam et le Zaïre pour 1994 et la Colombie, le Guyana, le Togo notamment pour 1998). Dans son rapport annuel portant sur la période allant du 1er août 2003 au 31 juillet 2004 et sur les 79e, 80e et 81e Sessions, le Comité des droits de l'homme s'est félicité du caractère étendu et approfondi de la coopération que cette procédure a permis d'instaurer avec les Etats. En effet, sur les 27 Etats parties qui ont fait l'objet de suivi, seulement un (la République de Moldova) n'avait toujours pas fourni des renseignements malgré les rappels lui adressés. Le Comité réaffirme donc que cette procédure constitue un mécanisme constructif qui permet de poursuivre le dialogue entamé à l'occasion de l'examen d'un rapport et de simplifier le processus d'établissement du prochain rapport périodique par l'Etat partie.110(*) Cependant, environ 30% seulement des réponses sont considérées comme satisfaisantes par le Comité en ce qu'elles montrent que l'Etat partie est prêt à donner suite aux constatations ou à accorder réparation aux plaignants111(*). Si certains Etats font la sourde oreille, manifestant un total désintérêt pour une procédure qu'ils ont volontairement acceptée, d'autres affirment qu'ils n'appliqueront pas les mesures demandées par le Comité. Pourtant, l'efficacité ou la qualité d'un mécanisme dépend de la mesure dans laquelle les droits de l'homme sont effectivement respectés à travers l'exécution des décisions prises par les organes internationaux de protection et de garantie dans le droit interne. D'où, il serait alors spécieux de conclure à l'effectivité absolue de la protection internationale universelle des droits de l'homme car il existe, malgré les avancées ci haut évoquées, un fossé entre l'oeuvre de codification, les mécanismes de contrôle mis en place et l'effectivité souhaitée de leur pouvoir de protection dans la pratique. Dans de nombreux cas, cependant, les suites données aux constatations sont parfaitement satisfaisantes. Ce qui démontre que même si ces carences sont de nature à porter atteinte à la crédibilité du Comité, il y a lieu de bien distinguer le caractère obligatoire de la constatation de son caractère exécutoire, ainsi que le souligne le professeur Jean DHOMMEAUX.112(*) L'analyse des limites et des insuffisances du système universel de protection dans le chapitre deux permet donc de comprendre les raisons de l'inexécution d'une grande partie des décisions et constatations rendues par les organes de protection qui viennent d'être étudiés. * 100 HUARAKA (Tunguru), Op.Cit., p 1149 * 101 VASAK (Karel) cité par COLARD (Daniel) et BECET (Jean-Marie), Les droits de l'homme. Dimensions nationales et internationales, Paris, Economica, 1982, p 247 * 102 Cfr Article 1er et 2 du protocole facultatif aux droits Civils et Politiques in DE SCHUTTER (Olivier) et Allii, Op.Cit., p 34 * 103 BOUKONGOU (Jean Didier), « Le droit international des droits de l'homme : mirage ou protection juridique ? » In Annales de la faculté des Sciences Juridiques et Politiques, Université de Dschang, Tome 1, Vol 1, Yaoundé, l'Africaine d'édition et de service, 1997,pp 111-112. * 104 Outre les conditions de recevabilités classiques mentionnées, le Comité ne peut pas examiner une affaire pendante devant une autre instance internationale d'enquête ou de règlement, si la plainte est incompatible avec les dispositions du texte, si la communication est anonyme ou constitutive d'un abus (Articles 2 à 5 du Pacte). * 105 Lire à ce sujet : Nations Unies, Fiche d'information N°7, Op.Cit., pp 10-11 ; Fiche d'information N°15, Op.Cit., pp 8-9 * 106 SUDRE (Frédéric), 5e édition, Op.Cit., pp 480-481 * 107 ERGEC (Rusen), Op.Cit., p 44 * 108 Observation Générale N°31 : La nature de l'obligation juridique imposée aux Etats parties (adoptée à la 2187e séance, le 29 mars 2004), Quatre-vingtième Session du Comité des droits de l'homme, § 2, 3, 10 et 14. * 109 Par exemple, dans certaines affaires, le Comité a recommandé aux autorités de prendre des mesures efficaces pour remédier aux violations en s'assurant que les victimes peuvent utilement contester ces violations devant les tribunaux et accorder une réparation aux auteurs des communications (les Affaires Wilson c. Philippines pour violation des articles 7,9 et 10, N°868/1999, 30 octobre 2004 ; Mulezi c. République Démocratique du Congo pour violation des articles 6, 7, 9 (1, 2 et 4), 10(1)et 23, N°962/2001, 6 juillet 2004 ; Khomidov c. Tadjikistan pour violation des articles 7, 9 et 14[1, 3 (a, b, e et g)] lus conjointement avec l'article 6, N°1011/2002, 29 juillet 2004 ; Ahani c. Canada pour violation des articles 9 (4) et 13 lu conjointement avec l'article 7, N°1051/2002, 29 mars 2004 ; Madafferi c. Australie pour violation des articles 10 (1), 17 (1) lu conjointement avec l'article 23 ainsi que l'article 24, N°1011/2001, 28 juillet 2004). * 110 Nations Unies, Rapport du Comité des droits de l'homme, Op. Cit., pp 173-176. * 111 SUDRE (Frédéric), Op.Cit., p489 * 112 DHOMMEAUX (Jean), « Le Comité des droits de l'homme : 25 ans d'expérience » In Liberté, justice, tolérance. Mélange en hommage au doyen Gérard Cohen-Jonathan, Vol. 1, Bruxelles, Bruylant, 2004, pp 664-665. |
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