L'aménagement des droits des actionnaires après l'ordonnance du 24 juin 2004par Julien Carsantier Université Paris Dauphine - DEA 122 2005 |
(1) La suppression de la règle des « dix parmi les vingt »81. - La règle des « dix parmi les vingt » était un dispositif anti-manipulations de cours et de protection des actionnaires minoritaires. Jusqu'à l'ordonnance du 24 juin 2004 et depuis 1983, l'article L. 225-136, 2°, du Code de commerce exigeait, lors d'une émission par appel public à l'épargne sans droit préférentiel de souscription d'actions nouvelles conférant les mêmes droits que les actions anciennes, que les sociétés cotées retiennent un prix d'émission « au moins égal à la moyenne des cours constatés pour ces actions pendant dix jours consécutifs choisis parmi les vingt derniers jours de bourse précédent le début de l'émission ». Cette règle de protection des actionnaires en place, destinée à éviter les interventions de dernière minute sur le marché et la dilution excessive des actionnaires, était devenue un handicap en période de volatilité des marchés203(*). En d'autres termes, elle constituait un obstacle aux augmentations de capital classiques en périodes de fortes fluctuations boursières. Aussi, la pratique, plus ou moins suivie par la Commission des opérations de bourse, avait-elle imaginé des palliatifs : sélection du cours de bourse le plus bas de chaque séance, recours aux valeurs mobilières composées et aux lignes d'actions204(*). La règle des « dix parmi les vingt » a été le point focal des critiques portées au régime antérieur. Pourtant, l'histoire de cette règle montre les étonnants atermoiements du législateur sur ce point205(*). 82. - L'ordonnance du 24 juin 2004 supprime finalement la règle des « dix parmi les vingt » au profit d'un nouveau mécanisme qui a été établi par le décret du 10 février 2005. L'article L. 225-136 du Code de commerce dispose désormais que : « L'émission par appel public à l'épargne, sans droit préférentiel de souscription, de titres de capital est soumise aux conditions suivantes : pour les sociétés dont les titres de capital sont admis aux négociations sur un marché réglementé et dans la mesure où les valeurs mobilières à émettre de manière immédiate ou différée leur sont assimilables, le prix d'émission doit être fixé, selon des modalités prévues par décret en Conseil d'Etat pris après consultation de l'Autorité des marchés financiers [...] ». Le nouvel article 155-5 du décret du 23 mars 1967, introduit par le décret du 10 février 2005, plus libéral que le régime antérieur, prévoit que le prix de l'émission est au moins égal à la moyenne pondérée des cours des trois dernières séances de bourse précédent le jour de la fixation de ce prix, éventuellement diminuée d'une décote maximale de 5 %. Cette solution réduit l'incertitude sur le produit de l'émission : elle évite en effet une forte volatilité et une influence sur le dernier cours de bourse non souhaitée206(*). 83. - Toutefois, comme pour la modification du régime applicable au droit préférentiel de souscription, cette réforme de la règle des « 10 parmi les 20 » traduit une volonté de prendre en compte les contraintes de marché mais sans l'assumer pleinement. Il est à craindre que les entreprises et les banques faisant partie des syndicats de placement, en fonction des circonstances de marché, considèrent qu'il existe un risque que, sur la période de placement et de construction du livre d'ordres, un marché baissier puisse rendre impossible la fixation du prix dans le respect de la nouvelle règle. Un élément de plus qui devrait pousser les praticiens à continuer à privilégier l'utilisation des bons de souscription d'actions. 84. - Grâce à la nouvelle technique de l'émission dite « au fil de l'eau », l'assemblée générale des actionnaires disposent toutefois d'une marge de manoeuvre supplémentaire. * 203 Les critiques de la règle des « dix parmi les vingt » portaient principalement sur les points suivants : elle limite considérablement la liberté d'émission des émetteurs dans des contextes de marché baissier et peut rendre impossible certaines émissions ; elle protège mal les actionnaires existants contre des opérations dilutives dans le contexte d'un marché haussier ; elle constitue une désavantage compétitif pour les entreprises françaises par rapport à leurs homologues des pays voisins dont les réglementations permettent certaines décotes par rapport aux cours de bourse précédent le lancement de l'opération. * 204 D. BOMPOINT, « La réforme des procédures d'appel public à l'épargne. La règle des «dix parmi les vingt« », Actes pratiques et ingénierie financière, janvier-février 2004, n° 73, p. 20 et s. ; A. COURET et H. LE NABASQUE, Valeurs mobilières - Augmentations de capital - Nouveau régime - Ordonnance des 25 mars et 24 juin 2004, op. préc., n° 272 et s. * 205 Le premier texte fut le décret n° 83-363 du 2 mai 1983, qui édicta la règle des « vingt parmi les quarante » et fut inséré dans la loi du 24 juillet 1966 (art. 339-1) par la loi du 2 mai 1983 ; puis la loi du 8 août 1994 vint réduire la période de calcul de la moyenne et retint la règle des dix jours de bourse pris parmi les vingt précédent le début de l'émission (art. 339-1 L. 24 juillet 1966, devenu art. L. 225-136 C. com. - V. P.-Y. CHABERT, « Les augmentations de capital après l'ordonnance n° 2004-604 du 24 juin 2004 portant réforme des valeurs mobilières émises par les sociétés commerciales », art. préc., n° 57. * 206 La référence au cours moyen pondéré traduit le sentiment que cette référence est moins susceptible d'être manipulée qu'un cours spot. |
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