CONCLUSION
La construction d'une politique publique est toujours
organiquement lié au rapport qu'elle entretient avec son environnement.
Le cas de la politique scolaire catalane en est une illustration parfaite. La
nécessité de fonder définitivement sur un plan politique
une communauté dont l'attribut identitaire est la langue pousse à
la définition et la redéfinition permanente d'un programme de
nationalisation linguistique visant à déterminer et à
clôturer un espace de communication proprement catalan. Cette politique
tient compte, socialement (par l'adhésion des parents) et politiquement
(par respect des droits linguistiques individuels) de la réalité
linguistique du pays. Le bilinguisme qui prévaut en Catalogne est tout
autant le produit de l'histoire que la résultante des
représentations sociales actuelles qui animent le jeu des acteurs. La
pluralité des processus d'identification et des pratiques sociales,
notamment dans l'analyse des flux de communications langagiers,
débouchent sur l'édification de structures légitimes
comprenant l'utilisation de deux standards, le catalan et le castillan.
La réussite de la politique scolaire catalane repose
donc sur un compromis social implicite, respectant ainsi les
préférences, attitudes ou visées identitaires de chacun.
La démocratisation de l'usage du catalan attriste ou suscite bien des
analyses et des commentaires de la part des intellectuels et politiques
catalans (les deux genres n'étant pas exclusif l'un de l'autre,
là-bas du moins). Cela a le mérite d'entretenir leur
carrière et de faire perdurer (ou de participer à) une entreprise
collective dont les fondements, voire les hommes, sont à rechercher dans
les années 1950-1970.
Cette culture de la défense d'une identité, si
durable après tant d'années d'un autoritarisme paternaliste et
hypocrite, a forgé une conscience collective articulée
socialement sur des réseaux d'individus qui ont fait de la langue une
référence indépassable. Il leur semble aujourd'hui
difficilement concevable d'assister à une instrumentalisation du catalan
qui, pourtant, est la condition sine qua non du renouvellement linguistique.
Jordi Pujol l'indique, la société catalane doit
rester une société "ouverte et conviviale" dans lequel chacun
doit trouver sa place. L'opposition linguistique constitue aujourd'hui un
moteur d'autant plus important qu'elle génère directement ou
indirectement des emplois, des revenus et des ressources. Un narcissisme des
petites différences qui permet de produire économiquement de
l'identité et de satisfaire aux exigences d'un libéralisme
culturel que la société espagnole, par une alchimie
particulière, a su si bien sécréter.
Aussi, les repères familiers que constituent pour nous
les constructions sociologiques des Etats-nations traditionnels doivent-ils
affronter la concurrence de l'expérience catalane. Points de
disqualification par une autorité centralisée des
minorités, mais un processus de construction des revendications ou des
expressions identitaires basés sur la démultiplication
infra-territoriale des légitimités culturelles de chaque groupe.
Un processus dans lequel chacun y trouve son compte. Pour l'instant.
|