La Cour internationale de justice et la problématique des droits de l'hommepar Parfait Oumba Université Catholique d'Afrique Centrale - Master en droits de l'homme et action humanitaire 2005 |
B- Une Pratique contraire en matière conventionnelleLa doctrine traditionnelle de la souveraineté absolue des Etats a toujours invoqué la notion de « domaine réservé des Etats » en vue d'empêcher l'élaboration de règles nouvelles ou même la discussion d'une question, d'un problème, d'une situation, par un organe international quelconque. Mais il faut dire que dans une large mesure, le consentement des Etats constitue la base initiale et ultime de toute règle de droit international. S'il n'y a pas de développement progressif du droit international. Dans l'affaire des décrets de nationalité en Tunisie et au Maroc, la Cour permanente de justice internationale a été saisie par le Conseil de la SDN afin de savoir si le différend entre la France et la Grande Bretagne au sujet des décrets de nationalités promulgués à Tunis et au Maroc (zone française) le 8 novembre 1921, et de leur application aux ressortissants britanniques, est ou n'est pas, d'après le droit international, une affaire exclusivement d'ordre intérieur ? (Article 15, paragraphe 8 du pacte). La Cour permanente a répondu déjà en 1923, que « la question de savoir si une certaine matière rentre ou ne rentre pas dans le domaine exclusif d'un Etat est une question essentiellement relative, elle dépend du développement des relations internationales »115(*). D'une part, elle a ajouté à juste titre que « écarter la compétence exclusive d'un Etat ne préjuge d'ailleurs aucunement la décision finale sur le droit que cet Etat aurait de prendre les mesures en question »116(*). C'est là le caractère essentiellement évolutif de la notion du domaine réservé. Ainsi, au moment où une question fait partie, même partiellement, d'une réglementation internationale, il est impossible pour l'Etat, ayant accepté cette réglementation, de la considérer comme encore faisant partie intégrante de son domaine réservé. D'une manière générale en ce qui concerne les décisions rendues par la Cour internationale de justice sur les aspects touchant aux droits de l'homme, il faut remarquer un certain volontarisme de la part des Etats en conflit, à la mise en oeuvre et à l'exécution de ces décisions117(*). Ce constat vaut au premier chef pour les affaires introduites par compromis. Logiquement, les Etats qui s'entendent pour soumettre en cause le résultat atteint pour la Cour. Cela se justifie même dans le chef de l'Etat pour lequel la décision serait entièrement défavorable118(*). L'utilisation croissante par les Etats de procédures incidentes devant la CIJ porte également témoignage du succès actuel de la Cour auprès des Etats. Ainsi, ces derniers ont fréquemment présenté ces dernières années des demandes en indication de mesures conservatoires, en dépit des incertitudes attachées à l'effet juridique de ces dernières119(*) En ce qui concerne la mise en oeuvre, il faut dire que la reconnaissance de l'obligation internationale de respecter les droits de l'homme est fondée sur un principe général de caractère coutumier, et son effet erga omnes la place sous la garantie collective des autres Etats et de la communauté internationale dans son ensemble. La Cour internationale de justice dans son arrêt du 27 juin 1986 relève que : « l'inexistence d'un engagement (en la matière) ne signifie pas qu'un Etat puisse violer impunément les droits de l'homme »120(*). De cette façon, la Cour tend à confirmer l'existence d'une obligation internationale générale de respecter les droits de l'homme dont le fondement est par conséquent coutumier. Cette conception a été systématisée par l'Institut de Droit international dans sa résolution du 13 septembre 1989, à Saint-Jacques de Compostelle121(*). Une telle obligation concerne l'ensemble des droits de l'homme d'origine coutumière ou conventionnelle, en prenant comme point de départ l'article 55 de la Charte des Nations Unies. S'appliquant aussi bien aux étrangers qu'aux nationaux, elle limite la souveraineté en écartant, de ce chef, en cas de violation, toute exception issue du sacro-saint principe de non-intervention dans les affaires intérieures, comme nous l'avons vu plus haut. Ainsi, l'Etat qui viole une obligation conventionnelle, engage sa responsabilité internationale à l'égard de tout Etat lésé et on ne peut plus prétendre que ce domaine relève essentiellement de sa compétence nationale. Pour reprendre la terminologie de la Commission du droit international, « tout fait internationalement illicite, attribuable à un Etat engage sa responsabilité internationale »122(*). Il existe des exemples patents de violation des obligations conventionnelles, c'est le cas des Etats-Unis qui ne cessent de violer l'article 36 §1, b, de la Convention de Vienne sur les relations consulaires du 24 avril 1993123(*), selon lequel en cas d'arrestation ou de placement en détention d'un ressortissant étranger, les autorités compétentes de l'Etat doivent informer sans retard la personne de son droit à bénéficier de l'assistance consulaire de son pays. De manière générale, et pour les violations graves et généralisées, la pratique internationale tend à admettre la possibilité de « contre mesure » en vue de faire respecter des normes essentielles. Un Etat ou un groupe d'Etats peut dès lors réagir face à une violation grave en prenant des mesures contraignantes appropriées sur le plan diplomatique ou économique. * 115L'affaire des décrets de nationalité en Tunisie et au Maroc, C.P.J.I., Serie B, n° 4, p.24. * 116 Ibidem. * 117Jean-Pierre COT et Alain PELLET : « Commentaire de l'article 94 » in la Charte des Nations Unies Commentaire article par article, 2° éd. Paris, Economica, 1991, §18. * 118Voir les suites des arrêts rendus par la Cour dans les affaires du Différend territorial (Libye/Tchad) (Recueil 1994, p.6) et de l'Ile de Kasikili/Sedudu (Namibie Botswana) (Recueil 1999). * 119Les ordonnances 2mars 1990 : Sentence arbitrale du 31 juillet 1989,Guinée-Bissau c. Sénégal, rec.1990,p.64 ; 29 juillet 1991 :Passage par le Grant Belt-Finlande c. Danemark,rec.1991, p.12 ; 14 avril1992 :Incident aérien de Lockerbie, rec.1992, p.3 ; 15 mars 1996 : Frontière terrestre et maritime entre le Cameroun et le Nigeria, rec.1996, p.13 ; 3mars 1999 : la Grand- Allemagne c.Etats-Unis, rec. 1999, p.9 ; 23 juin 2003 : République du Congo c. France, rec.2003 et autres. * 120Activités militaires et paramilitaires contre le Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. Etats-Unis), fond, arrêt du 27 juin CIJ Rec., 1986 § 267. * 121G. COHEN-JONATHAN, « La responsabilité pour atteinte aux droits de l'homme », la responsabilité dans le système international, Paris, A. PEDONE, 1991, p.120 et suivantes. * 122 Voir, Articles 1 et 3 du projet d'articles adopté par la CDI 1996, vol. II, 2° Partie, pp. 62-63. * 123 Nous pouvons citer ici plusieurs affaires que nous avons vu dans notre première partie à savoir : l'affaire Breard de 1998, l'affaire LaGrand de 1999 ou encore l'affaire Avena de 2003. |
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