UNIVERSITE DE NANTES
FACULTE DE DROIT ET DE SCIENCES POLITIQUES
LE TRAVAIL DES ENFANTS
Mémoire pour le diplôme d'Etudes
Approfondies de Droit Privé, mention sciences judiciaires et
criminelles.
Présenté et soutenu par Aude CADIOU, en
juin 2002.
Directeur de recherche : Mme Soizic
LORVELLEC.
PARTIE I : LA RELATIVE IMPUISSANCE DE LA
COMMUNAUTE INTERNATIONALE DEVANT L'AMPLEUR DU TRAVAIL DES
ENFANTS
CHAPITRE I : Le travail des enfants : une
situation
intolérable
Section I : L'ampleur du
phénomène du travail des enfants
Paragraphe I : Un phénomène
difficilement quantifiable
Paragraphe II : Un phénomène
ne se limitant pas aux pays pauvres
Section II : Un travail s'effectuant sous des
formes très
diverses
Paragraphe I : Le travail des enfants au
sein d'une sphère familiale
Paragraphe II : Le travail des enfants
dans le secteur formel
CHAPITRE II : La volonté internationale
d'interdiction du travail des enfants : un échec
Section I : Conventions de l'OIT relatives au
travail des enfants et impact
national
Paragraphe I : Une organisation très
prodigue en matière de réglementation du travail des enfants
Paragraphe II : Une application cependant
limitée dans les législations nationales
Section II : La Convention relative aux droits
de l'enfant et application
Paragraphe I : Genèse de la
Convention internationale des droits de l'enfant
Paragraphe II : Une convention ambitieuse
mais encore trop récente pour mesurer les progrès
réalisés
PARTIE II : LE CHANGEMENT DE POLITIQUE DE
LA COMMUNAUTE INTERNATIONALE
CHAPITRE I- Une communauté internationale
soucieuse de comprendre pour mieux lutter
Section I : Des Causes du travail des enfants
prises en compte dans leur ensemble
Paragraphe I : Les causes liées
à la pauvreté des familles
Paragraphe II : Les causes
extérieures au famille
Section II : La création de normes
contre les «pires formes de travail des enfants»
Paragraphe I : Pourquoi une nouvelle
convention plus restreinte ?
Paragraphe II : L'apport de la Convention
n°182
CHAPITRE II- La recherche de solutions plus
concrètes et d'alternatives au travail des enfants
Section I : Favoriser l'éducation : un
point de départ indispensable
Paragraphe I : Réussir à
amener les enfants à l'école
Paragraphe II : Offrir aux enfants une
éducation adaptée
Section II : L'importance de la mobilisation
sociale dans la lutte contre le travail des enfants
Paragraphe I : Le boycott des produits
issus du travail des enfants : une fausse solution
Paragraphe II : La nécessité
de créer un large consensus contre le travail des enfants
Depuis le début des années quatre-vingt, le
travail des enfants suscite une nouvelle mobilisation, notamment de la part des
institutions internationales et des médias. Néanmoins, il faut
s'entendre sur l'expression « travail des enfants ». En
effet, quand on utilise cette expression on imagine aussitôt un enfant
travaillant dans des conditions abominables, sur un métier à
tisser au Bangladesh, ou encore un enfant des rues de Rio ou des trottoirs de
Manille. Or, en réalité les enfants exercent des activités
très diverses qui peuvent aller d'activités
bénéfiques renforçant ou favorisant le
développement physique ou mental de l'enfant, jusqu'à une
activité manifestement destructrice ou synonyme d'exploitation. Entre
ces deux pôles, on trouve de vastes zones d'activité avec un
travail qui ne nuit pas forcément au développement de l'enfant.
« Considérer toute activité économique comme
également inacceptable, c'est jeter la confusion, banaliser la question
et rendre encore plus difficile l'élimination du travail des
enfants »1(*). Par
conséquent, il faut établir des critères distinctifs entre
un travail qui peut être bénéfique pour l'enfant qui
l'exerce et un travail dangereux pour lui ; pour cela l'UNICEF a
élaboré il y a environ dix ans une série de
critères pour désigner un travail qui relève de
l'exploitation. L'UNICEF se base alors sur neuf critères pour
déterminer si le travail exercé relève de
l'exploitation ; ces critères sont : un travail à temps
plein à un âge trop précoce, trop d'heures
consacrées au travail, des travaux qui exercent des contraintes
physiques, sociales et psychologiques excessives, une
rémunération insuffisante, l'imposition d'une
responsabilité excessive, un emploi qui entrave l'accès à
l'éducation, des atteintes à la dignité et au respect de
soi des enfants, un travail qui ne facilite pas l'épanouissement social
et psychologique complet de l'enfant. On voit donc à travers
l'étude de ces critères que le travail devient un problème
quand il entraîne des conséquences sur le développement de
l'enfant ; ces conséquences peuvent être physiques (notamment
par une dégradation de l'état général),
psychologiques (attachement à la famille, sentiments d'amour et
d'acceptation), sociales et morales ou encore cognitives (compétences de
base en lecture ou écriture).
Les atteintes physiques sont bien sûr les plus faciles
à constater mais les enfants sont également vulnérables du
point de vue psychologique : ils peuvent subir des dommages redoutables en
vivant dans un environnement qui les avilit ou les opprime. L'amour-propre est
aussi important pour les enfants que pour les adultes.
Avant de s'aventurer plus loin dans l'étude du travail
des enfants dans le monde, il faut tout d'abord éliminer l'idée
que le travail des enfants n'existe que dans les pays pauvres. Bien sûr,
ce sont actuellement les pays en développement, tels que les pays
d'Afrique, d'Asie ou d'Amérique latine, qui abritent le plus grand
nombre d'enfants au travail . Cependant, même encore de nos jours
certains pays industrialisés tels que l'Angleterre ou l'Italie voient
également beaucoup d'enfants jeunes au travail. En France, patrie des
droits de l'homme, même si aujourd'hui le phénomène a
quasiment disparu, sauf dans quelques ateliers clandestins de Paris ou du
sud-est, le travail des enfants fut très longtemps répandu et ce
jusqu'à des périodes assez récentes.
Le travail des enfants en famille remonte aux âges les
plus anciens : leur participation à la tenue du ménage et
aux travaux agricoles est attestée dans toutes les
sociétés rurales. Durant les siècles marqués par
une espérance de vie très courte, tels que pendant le Moyen Age,
l'enfance demeure une période brève et l'enfant est vite
considéré comme un jeune adulte. Les fillettes reçoivent
une formation précoce à la vie domestique et sont mariées
à quatorze ou quinze ans. En fait, dès que ses capacités
physiques le lui permettent, l'enfant cultive le jardin et entretient la maison
avec sa mère ou assure de menus travaux dans l'atelier de son
père artisan, apprenant peu à peu son métier. L'enfant
participe alors à l'économie familiale, chaque bouche à
nourrir devant se rendre utile. A une époque de mortalité
élevée, il est également essentiel que l'enfant soit
tôt capable de pallier la défaillance d'un adulte, du fait d'une
maladie ou d'un décès, mais aussi d'assurer son avenir. Ces
exigences continuent encore aujourd'hui de modeler le quotidien des familles du
tiers monde. Au Moyen Age, il existe déjà une main-d'oeuvre
enfantine, venant des familles pauvres qui peinent à nourrir leur
progéniture et qui cherchent pour leurs enfants une prise en charge et
un avenir à l'extérieur. La demande, elle, émane
d'employeurs désireux de disposer de travailleurs peu coûteux,
dociles et durs à la tâche. Les fillettes des campagnes sont
placées comme servantes, et les jeunes garçons comme travailleurs
agricoles ou valets de ferme. Le travail ne concerne que les enfants du peuple,
puisque ceux de la noblesse n'ont pas à se préoccuper de leur
subsistance ou de leur avenir. L'éducation, dispensée par le
clergé ou par quelques écoles de village, bénéficie
surtout aux catégories aisées, noblesse ou bourgeoisie, mais pas
aux fils de paysans. De plus, au Moyen Age, l'apprentissage dans les
corporations médiévales est très répandu (tanneurs,
drapiers, charpentiers, maçons, teinturiers, orfèvres) et le
placement en apprentissage dure deux à trois ans, à partir de
l'âge de douze ans. En réalité, la motivation des
employeurs est très simple : disposer d'une main-d'oeuvre qui, en
contrepartie du temps passé à sa formation, n'est pas
rémunérée ou beaucoup moins que ne le serait un adulte.
C'est la même motivation que l'on retrouve aujourd'hui chez les
employeurs des petits ouvriers des usines d'Asie qui sont moins payés
que les adultes.
On voit donc que le travail des enfants que l'on pense
réservé aujourd'hui aux pays en développement, fût
très longtemps pratiqué en France, où il s'est même
développé au XIXème siècle. En effet, après
la Révolution française, encore très peu d'enfants pauvres
vont à l'école mais leur salaire est indispensable à la
famille car il couvre au moins ce que l'enfant coûte en nourriture, et
sert de revenu d'appoint à une époque où tous les moyens
sont bons pour soulager la pauvreté. Pendant la Révolution
industrielle, les ouvriers ont des revenus dramatiquement bas et incitent donc
leurs enfants à rentrer dans l'usine ; les ouvrières du
textile amènent leurs enfants à la manufacture pour les
surveiller et en grandissant, ceux-ci sont peu à peu incorporés
aux travaux de l'atelier. Selon des enquêtes effectuées par des
historiens, les enfants auraient constitué un bon tiers de la
main-d'oeuvre attachée aux machines des filatures en France, et vers
1840 on estime que 12% des ouvriers de l'industrie sont des enfants. En 1847,
la Statistique générale de la France recense 130 000 enfants de
moins de treize ans dans les établissements de plus de dix
salariés et le recensement de 1896 livre le chiffre de 602 000 enfants
et adolescents dans l'industrie et le commerce2(*). Enfin, il ne faut pas oublier que les enfants sont
aussi embauchés en nombre dans les mines de charbon : en 1890, sur
116 000 salariés des bassins houillers de France, on compte 8300 enfants
de douze à seize ans . En surface, ils trient, ciblent et lavent le
minerai et au fond de la mine, ils sont chargés de manipuler les
chariots, toute la journée. A cette époque, la bourgeoisie
industrielle considère que l'emploi des jeunes est un facteur de paix
sociale, car il évite la délinquance, et une manière
d'aider les familles de pauvres ou d'indigents. Pour le justifier, le patronat
répand même l'idée que leur petite taille est indispensable
pour certaines phases de la fabrication, ce que personne ne songe à
l'époque à contester.
Cependant, peu à peu, et du fait que l'enfant va sortir
de sa quasi-invisibilité à l'intérieur du cercle familial,
pour travailler dans un cadre visible, l'opinion publique va commencer à
s'émouvoir. En France, à partir de 1830, inspecteurs,
médecins, préfets et élus locaux évoquent les
conditions de travail des enfants et les accidents dont ils sont
fréquemment victimes. En littérature, les oeuvres de Charles
Dickens, ancien enfant ouvrier dès l'âge de douze ans, et d'Emile
Zola forgent la vision d'un fléau social. La réglementation va
cependant être d'abord timide puisqu'un décret de 1813 n'interdit
la descente au fond des mines qu'aux enfants de moins de dix ans. Mais
dès 1837, le médecin et statisticien Louis-René
Villermé va saisir l'Etat de « la durée trop longue du
travail des enfants dans beaucoup de manufactures ». La
législation va alors avancer pas à pas, en interdisant l'embauche
d'enfants de moins de huit ans dans l'industrie, puis en 1874, l'embauche avant
douze ans et limite le travail à douze heures par jour jusqu'à
dix huit ans...En fait la réglementation ne va pouvoir être
efficace que grâce au lancement d'une politique d'instruction publique.
En 1881 et 1882, Jules Ferry impose l'école primaire obligatoire pour
les deux sexes, de six à treize ans et crée le certificat
d'études primaires. La scolarité est gratuite, et cette
gratuité est fondamentale car l'école parvient ainsi à
modifier la perception sociale de l'enfance pauvre : il sera de plus en
plus normal que les enfants des familles modestes fréquentent
l'école, et non l'usine. La scolarité obligatoire jusqu'à
seize ans depuis 1959 alliée à la généralisation
des allocations familiales va contribuer à retirer les enfants du
travail progressivement pour arriver à la disparition totale de ce
phénomène, du moins dans sa forme visible. En effet, le travail
en famille, tels que les travaux à la ferme ou le travail domestique des
fillettes, subsistera encore tardivement en France, mais cette fois en se
pliant aux horaires de l'école. Dans les campagnes, l'absentéisme
scolaire restera très important pendant les périodes de
récolte jusqu'à l'entre-deux-guerres, mais les progrès
technologiques vont faire disparaître cet absentéisme.
Aujourd'hui, le travail des enfants a très largement disparu en France,
mais comme nous le verrons ultérieurement, il subsiste encore dans des
pays industrialisés comme l'Angleterre, l'Italie, l'Espagne ou les Etats
Unis. On voit donc qu'en France la situation des enfants, et notamment
l'élaboration de normes concernant leurs droits, a évolué
très progressivement ; il nous faut donc voir si la situation a
évolué de la même façon au niveau de la
communauté internationale.
Depuis le milieu des années quatre-vingt, on assiste
à une forte demande de protection des enfants de la part de l'opinion
publique. Cependant la préoccupation de donner des droits aux enfants et
surtout d'obliger les Etats, qui ne le font pas encore, à les respecter,
date de la fin des années 1910.Les souffrances causées aux
enfants à la suite de la première guerre mondiale ont
poussé la société internationale à
s'intéresser de plus près au sort de ces êtres
vulnérables que sont les enfants et à créer par le biais
de la Société des Nations ( SDN ) un Comité de protection
de l'enfance en 1919. L'Union internationale de secours aux enfants
rédige en 1923 un texte appelé Déclaration de
Genève ou Déclaration des droits de l'enfant adopté par
l'Assemblée de la SDN en 1924. Ce texte représente en fait la
première tentative de codification des droits fondamentaux de
l'enfant ; on y trouve les idées qui seront plus tard reprises par
les Nations Unies pour la Convention internationale des droits de l'enfant, et
qui prônent le droit à un développement normal,
matériellement et spirituellement, ainsi que le droit d'être mis
en mesure de gagner sa vie et d'être protégé contre toute
exploitation. Du fait des conséquences néfastes que l'on
connaît aujourd'hui de la Seconde guerre mondiale sur les enfants,
l'idée est relancée en 1946 par le Conseil économique et
social des Nations Unies ( ECOSOC ) qui demande l'élaboration de
nouvelles normes allant dans le sens de la Déclaration de Genève.
Quand le 10 décembre 1948 l'Assemblée générale des
Nations Unies adopte la Déclaration universelle des droits de l'homme,
les droits de l'enfant y sont implicitement inclus puisqu'elle énonce
dans son article 25 alinéa 2 : « La
maternité et l'enfant ont droit à une aide et à une
assistance spéciales ». La communauté internationale
reconnaît donc le besoin d'une protection de l'enfance et c'est la
commission des questions sociales qui va présenter à la
Commission des droits de l'homme un projet de déclaration qui deviendra
après quelques altérations la Déclaration des droits de
l'enfant3(*). Cette
Déclaration énonce des principes essentiels qui peuvent
être résumés ainsi : l'enfant a droit à
l'éducation, à une protection spéciale, de recevoir
protection et secours, d'être protégé contre toute forme de
négligence, de cruauté ou d'exploitation...
Cependant, ces textes étaient insuffisants pour
protéger l'ensemble des enfants de la population mondiale et très
vite le besoin s'est fait sentir d'adopter un autre instrument international
plus complet, et plus large. Pour cela, l'Organisation du Travail a joué
un grand rôle en adoptant plusieurs conventions fondamentales notamment
en matière de travail des enfants, telle que la Convention n°138 en
1973 relative à l'âge minimum. Néanmoins, la situation des
enfants tardait beaucoup à s'améliorer et c'est donc pour cette
raison que les Nations Unies se sont ensuite attachées à
créer la Convention internationale relative aux droits de l'enfant, dont
nous étudierons la genèse et le contenu ultérieurement
mais dont nous pouvons déjà remarquer qu'il est aujourd'hui
l'instrument international le plus complet en matière de droits de
l'enfant existant à ce jour.
En matière de lutte contre le travail des enfants, une
organisation a eu un rôle prépondérant depuis sa
création : il s'agit de l'Organisation internationale du Travail (
OIT ).La création de l'OIT est l'aboutissement de tout un mouvement
d'idées en faveur d'une réglementation internationale du travail
qui a pris naissance dès la première moitié du
19ème siècle, mais qui ne s'est réellement
affirmée qu'au début du 20ème . L'argument
invoqué est celui de la concurrence internationale, parfaitement
résumé dans le préambule de la Constitution de
l'OIT : « Attendu que la non-adoption par une nation
quelconque d'un régime de travail réellement humain fait obstacle
aux efforts des autres nations désireuses d'améliorer le sort des
travailleurs dans leurs propres pays » ; mais à l'issue
de la première guerre mondiale, cette idée de justice sociale est
surtout envisagée du point de vue de sa contribution à la
préservation de la paix . Ainsi, le préambule de la Constitution
de l'OIT souligne-t-il dès sa première phrase,
qu' « une paix universelle et durable ne peut être
fondée que sur la base de la justice sociale. »
Les sacrifices consentis par les travailleurs à
l'effort de guerre et les craintes suscitées par la révolution
russe de 1917 ont renforcé l'influence des organisations
ouvrières. C'est donc sous leur pression que les gouvernements
participant à la Conférence de la paix en janvier 1919, deux mois
après l'armistice, décidèrent d'inclure dans le
traité de Versailles la partie XIII consacrée à la
création de l'OIT. Cette partie XIII définit les objectifs, la
structure et les moyens d'action de l'OIT.
Instituée en 1919 par le traité de Versailles,
l'Organisation internationale du travail (OIT) a donc pour objectif essentiel
de promouvoir la justice sociale, et par-là même, de contribuer
à la paix mondiale. Fondée sur le principe du tripartisme, elle
réunit des représentants des gouvernements, des travailleurs et
des employeurs. Son action s'inscrit dans la poursuite d'un idéal
humaniste fondé sur le respect des droits de l'homme et sur la
dignité des conditions de vie et de travail. Dans cette perspective,
elle élabore des normes internationales qui portent sur tous les aspects
du travail et qui ont vocation à guider les politiques sociales des
Etats membres. Contenues dans les conventions et recommandations, ces normes
constituent un ensemble qui est souvent désigné par le terme de
Code international du travail. Jusqu'à l'éclatement de la Seconde
Guerre mondiale, l'OIT était la seule organisation internationale active
dans le domaine social. Cependant, après la fin de celle-ci, ses
activités ont pratiquement cessé en matière
d'élaboration et de contrôle des normes, ainsi que d'action sur le
terrain. Mais un intense travail de réflexion, qui a été
poursuivi, a notamment abouti à l'adoption de la Déclaration de
Philadelphie, en 1944, concernant les buts et objectifs de l'OIT. Peu de temps
après la création des Nations Unies, en 1945, l'OIT devint la
première des institutions spécialisées, en 1946. Mais, peu
à peu, avec la création d'autres institutions
spécialisées et la chute du mur de Berlin en 1989 et le
rôle de plus en plus envahissant des Nations Unies, l'OIT a vu
s'affaiblir son rôle de « pilier social » des
organisations internationales.
L'OIT est d'abord caractérisée par son
tripartisme, puisque à la différence des autres organisations
internationales publiques, elle comprend, non seulement des
représentants des gouvernements, mais aussi des représentants des
travailleurs et des employeurs. Le tripartisme est le « titre de
gloire » de l'OIT, puisqu'il permet aux représentants des
travailleurs et des employeurs de participer, sur un pied
d'égalité avec ceux des gouvernements, aux discussions et aux
décisions de l'Organisation. La proportion retenue pour la plupart des
organes délibérants, et en particulier pour la Conférence
et pour le Conseil d'administration, est de deux représentants des
gouvernements pour un représentant des travailleurs et un
représentant des employeurs. Son fonctionnement repose sur trois organes
essentiels : la Conférence internationale du Travail, une
assemblée générale annuelle ; le Conseil
d'administration et le Bureau international du Travail.
La Conférence internationale du Travail est l'organe
suprême de l'OIT, l'assemblée générale des Etats
membres. Depuis 1949, elle se réunit toujours à Genève,
une fois par an, au mois de juin, pendant trois semaines. Elle a d'abord pour
mission de discuter et d'adopter les conventions et recommandations qui
définissent les normes internationales du travail et de contrôler
l'application des conventions ratifiées. Mais les débats qu'elle
consacre à la discussion du Rapport du directeur général
du Bureau international du Travail sont également essentiels.
Le Conseil d'administration est l'organe exécutif, le
pivot de toutes les activités de l'OIT ; c'est lui qui
établit l'ordre du jour de la Conférence et des autres
réunions et fixe les grandes lignes du programme de travail du Bureau
international du Travail.
Le Bureau international du Travail ( BIT ) est le
secrétariat permanent de l'OIT, il est à la fois l'organe
d'exécution des décisions de la Conférence et du Conseil
d'administration, un centre de documentation et un laboratoire d'idées
d'où émanent d'importantes publications et des projets qui sont
soumis aux diverses instances de l'OIT. C'est lui qui prépare les
conventions et recommandations soumises à la Conférence puis suit
l'application de celles qui ont été adoptées.
En matière de lutte contre le travail des enfants,
l'action de l'OIT s'est faite sous plusieurs formes : une action normative
que nous développerons ultérieurement, et qui fut de
première importance, une coopération technique avec les pays en
développement consistant à envoyer des missions consultatives
dans les pays qui souhaitent recevoir des conseils pour l'application de
certaines normes et afin de les aider à mesurer l'ampleur du
problème et de ses conséquences, à améliorer leur
législation sur le travail des enfants et son application, mais
également grâce à la création en 1991 du Programme
international pour l'abolition du travail des enfants ( IPEC ) qui repose
sur le renforcement de la capacité des pays de s'attaquer à ce
problème et sur la création d'un mouvement mondial pour le
combattre. Devant l'ampleur de sa mission, l'IPEC se concentre, dans un premier
temps, sur l'éradication des formes les plus abusives et
intolérables de travail des enfants. Toutefois, certaines actions
à entreprendre pour combattre les causes profondes de ce
phénomène étant du ressort d'autres organisations
internationales, l'OIT doit agir en concertation avec celles-ci, et en
particulier avec l'ONU, l'Organisation des Nations Unies pour
l'éducation, la science et la culture (UNESCO), la Banque mondiale et
l'Organisation mondiale du commerce.
En matière de lutte contre le travail des enfants,
l'Organisation internationale du Travail doit donc agir en concertation avec
d'autres organismes et notamment avec l'UNESCO et le Fonds des Nations Unies
pour l'enfance ( UNICEF ).
L'UNICEF fut crée à la fin de la seconde Guerre
Mondiale car la famine et la maladie menaçaient les enfants
d'Europe : cette organisation fut instituée par l'Assemblée
générale des Nations Unies le 11 décembre 19464(*) en faveur de la cause des
enfants de par le monde. Dans les années cinquante, l'Europe se
remettant de la guerre, certains pays ont estimé que l'UNICEF avait fait
son temps mais l'Assemblée générale a élargi le
rôle de l'organisation qui oeuvrera désormais pour les enfants et
les familles des pays en développement. En 1953, l'UNICEF devient un
organe permanent des Nations Unies dont la mission est de s'occuper des
questions telles que l'aide alimentaire, l'éducation et la formation et
depuis 1989 de veiller à l'application de la Convention Internationale
des droits de l'enfant.
L'UNESCO fut crée par une convention adoptée par
la Conférence de Londres en novembre 19455(*) et compte aujourd'hui 188 Etats membres. Son objectif
principal est de contribuer au maintien de la paix et de la
sécurité dans le monde en resserrant par l'éducation, la
science, la culture et la communication, la coopération entre nations,
afin d'assurer le respect naturel de la justice, de la loi, des droits de
l'homme et des libertés fondamentales pour tous.
Ce sont essentiellement ces deux organisations qui ont
contribué à créer l'élan mondial en faveur des
enfants qui mobilise aujourd'hui fortement l'opinion internationale sur le
problème du travail des enfants. On ne peut que se réjouir de ce
formidable élan puisque comme le disait fort justement, Philip Alston,
avocat célèbre spécialisé dans les droits des
enfants : « En dernière analyse, seule l'expression large
et répétée de l'indignation populaire imposera l'adoption
de politiques justes. » On voit en effet se développer depuis
quelques années, les manifestations contre le travail des enfants comme
la marche contre le travail des enfants. Cette marche fut crée à
l'initiative d'une Organisation non gouvernementale indienne travaillant au
quotidien à la lutte contre le travail des enfants ; elle a pour
but de « mobiliser des forces dans le monde entier pour
protéger et promouvoir les droits des tous les enfants, en particulier
à une éducation gratuite et de qualité, de ne pas
être exploité économiquement, de ne pas être
contraint à effectuer un travail qui soit néfaste pour son
développement physique, mental, spirituel, moral ou
social »6(*). Une
session extraordinaire des Nations Unies en faveur des enfants devait se tenir
en septembre 2001 mais elle fût décalée en raison des
attaques subies par l'Amérique quelques jours avant son ouverture. Cette
session extraordinaire s'est donc tenue les 9 et 10 mai 2002 à New York.
Elle a rassemblée des chefs d'Etat et de gouvernement, des Organisations
non gouvernementales, des défenseurs des droits de l'enfant et des
enfants eux-mêmes. A la fin de ces deux journées de débats,
parfois houleux, l'Assemblée générale des Nations Unies a
adopté un plan d'action mondial en 21 points pour la prochaine
décennie. Le document intitulé « Un monde digne des
enfants » dégage quatre priorités : la
santé, l'éducation, la protection contre les abus, l'exploitation
et la violence; et la lutte contre le sida. A l'issue de cette session
extraordinaire, plusieurs organisations non gouvernementales, se sont
déclarées déçues par le projet final, jugé
trop timide. On peut remarquer que ces engagements avaient déjà
été pris, il y a dix ans au Sommet mondial pour les enfants, et
que la situation des enfants travailleurs, n'a guère
évolué depuis. Cependant, il faut espérer que cette fois
les pays riches tiendront leurs engagements d'aider les pays en
développement.
Dans cette étude, nous verrons en détail les
différents types de travail que les enfants sont amenés à
faire aujourd'hui ; cependant, deux types de travaux ne seront pas
envisagés, non parce qu'ils ne sont pas dangereux pour les enfants qui
les exercent, au contraire même, ou qu'ils ne concernent pas assez
d'enfants pour être exposés en détail, mais au contraire
parce que l'étude de ces travaux pourrait faire l'étude de deux
études supplémentaires. Il s'agit de la prostitution enfantine et
des enfants soldats. L'exploitation sexuelle des enfants à des fins
commerciales est devenue, ces dernières années, un
problème mondial qui tend à s'amplifier. De plus en plus, des
enfants sont vendus et font l'objet d'une traite internationale. Selon un
rapport de 1996 du Rapporteur spécial des Nations Unies chargé
d'examiner les questions se rapportant à la vente d'enfants, à la
prostitution des enfants et à la pornographie impliquant des enfants,
environ un million d'enfants d'Asie sont victimes du commerce du sexe7(*). On estime aujourd'hui que
trente millions d'enfants sont victimes de violences sexuelles aux mains de
trafiquants de part le monde. L'exploitation sexuelle mercantile est une des
formes les plus brutales de la violence qui s'exerce contre les enfants. Les
victimes subissent des traumatismes physiques, psychiques et émotionnels
irréversibles et parfois mortels. Les filles risquent des grossesses
précoces, connaissent un taux élevé de mortalité
maternelle et de maladies sexuellement transmissibles ( notamment dues au HIV
). Les traumatismes sont si profonds que dans bien des cas, le retour à
une vie normale est impossible et que beaucoup de victimes meurent avant
l'âge adulte. Il m'est donc apparu impossible de traiter cette forme
d'exploitation, particulièrement odieuse, dans cet exposé du fait
de la complexité et de l'ampleur du phénomène aujourd'hui.
La même réflexion conduit à exclure également du
champ de cette étude le cas des enfants soldats. En effet, le nombre
d'enfants participant à des conflits armés en tant que soldat,
serviteurs, espions ou boucliers humains est estimé à 300 000
dans le monde. Recrutés ou enlevés, ces enfants qui ont parfois
moins de dix ans assistent ou prennent part à des actes de violence,
souvent perpétrés contre leur propre famille ou leur
communauté. Les chefs militaires se servent de ces enfants très
jeunes car ils sont plus dociles, plus faciles à exploiter ou à
tromper.
Face à ces deux formes d'exploitation,
l'Assemblée générale des Nations Unies a adopté
deux textes appelés « Protocoles facultatifs »
à la Convention relative aux droits de l'enfant le 25 mai 2000. Le
Protocole facultatif sur la participation des enfants aux conflits armés
fixe à 18 ans l'âge minimum de la participation directe d'un
enfant à des hostilités ou de l'enrôlement obligatoire dans
les forces armées. Le Protocole facultatif sur la vente d'enfants, la
prostitution des enfants et la pornographie impliquant des enfants demande aux
Etats de prendre des mesures juridiques et administratives pour prévenir
la vente, le trafic et l'exploitation sexuelle des enfants et de rendre ces
délits passibles de poursuites. Il préconise en outre une
coopération internationale pour lutter contre cette criminalité
sans frontières.
A l'exclusion de l'exploitation sexuelle des enfants et de
leur participation aux conflits armés, nous envisagerons donc dans cette
étude toutes les autres formes d'exploitation dont les enfants sont
victimes quotidiennement aux quatre coins du monde. Malgré des efforts
importants pour remédier à la situation insupportable que
constitue l'ampleur du travail des enfants, la communauté internationale
n'a toujours pas réussi à endiguer ce fléau. Il faut donc
reconnaître la relative impuissance de la communauté
internationale devant l'ampleur du travail des enfants ( Partie I ). Cependant,
les institutions internationales ont décidé de réagir pour
améliorer la situation des enfants dans le monde, situation qui empirait
inéluctablement au fil des décennies. La communauté
internationale a donc décidé de changer de politique, en 1999
pour tenter de répondre concrètement au problème
posé par l'exploitation économique des enfants ( Partie II ).
PARTIE I : LA RELATIVE IMPUISSANCE
DE LA COMMUNAUTE INTERNATIONALE DEVANT L'AMPLEUR DU TRAVAIL DES ENFANTS
Pendant longtemps, le travail des enfants fut totalement
ignoré par la communauté internationale, car ce
phénomène avait cours au vu et au su de tout le monde, même
dans les pays industrialisés. Néanmoins, les conditions de vie se
sont sensiblement améliorées pour les populations des pays riches
au sortir de la Seconde guerre mondiale, ce qui permit à une large
population d'avoir accès à l'information, et de découvrir
les conditions des enfants dans les pays en développement. Cette
connaissance du dénuement extrême dans lequel vivaient les enfants
pauvres, forcés de travailler pour pouvoir survivre, a ému les
opinions publiques, et a ainsi forcé les responsables politiques
à s'ériger contre ces conditions de vie déplorables.
Aujourd'hui consciente de l'ampleur du problème que constitue le travail
des enfants à travers le monde, la communauté internationale
essaie de mettre en place, en coopération avec les pays
concernés, des politiques destinées à lutter contre le
travail des enfants. En effet, malgré une prise de conscience assez
tardive à l'échelon international, tout le monde s'accorde
aujourd'hui à dire que la lutte contre le travail des enfants doit
être une priorité de la communauté internationale.
Cependant, malgré l'adoption de nombreuses conventions internationales
condamnant l'emploi de main-d'oeuvre enfantine, la situation des enfants
travaillant aux quatre coins du monde ne s'améliore pas. Avant de voir
en détail les principes fondamentaux en matière de travail des
enfants édictés par les conventions internationales ( Chapitre II
), nous étudierons l'ampleur et la nature du travail des enfants (
Chapitre I ) .
CHAPITRE I : LE TRAVAIL DES
ENFANTS : UNE RÉALITÉ INTOLÉRABLE
Le travail des enfants est, malgré de nombreuses
études réalisées sur le sujet, une réalité
peu ou mal connue. Tout le monde s'accorde à dire que beaucoup d'enfants
sont obligés de travailler et que cette situation est
intolérable, mais on connaît peu la nature et les conditions de
travail de ces enfants ; de la même façon, personne ne peut
dire avec précision quel est le nombre d'enfants qui travaillent dans le
monde. Or avant d'envisager des politiques de lutte efficaces, il faut
très bien connaître le phénomène contre lequel on
entend lutter.
Il m'est donc apparu essentiel de commencer cette étude
par un exposé détaillé de l'ampleur du travail des enfants
dans le monde ( Section I ), avant de voir dans quels secteurs
d'activités et dans quelles conditions les enfants travaillent (
Section II ).
SECTION I : L'ampleur du
phénomène du travail des enfants
Tout le monde est conscient aujourd'hui qu'un grand nombre
d'enfants travaillent, mais du fait de la combinaison de plusieurs facteurs
rendant difficile l'accès aux enfants qui travaillent, l'ampleur exacte
de ce phénomène est très difficilement quantifiable (
Paragraphe I), d'autant que, contrairement aux idées reçues le
travail des enfants ne se rencontre malheureusement pas que dans les pays
pauvres mais également dans les pays dits riches, dont nos voisins
européens ( Paragraphe II )
Paragraphe I : Un
phénomène dont l'ampleur est difficilement quantifiable
Personne ne sait actuellement avec certitude combien d'enfants
travaillent aujourd'hui dans le monde. Le Bureau International du Travail (BIT)
, qui fait autorité en la matière, considère quant
à lui que les statistiques disponibles sont très
inadéquates et peu fiables, et que le processus de collecte des
données comporte beaucoup de complications. En effet, en vertu du
principe selon lequel ce qui n'est pas censé exister au regard de la
loi, ne saurait figurer dans les statistiques officielles, le travail des
enfants n'est pas recensé dans de nombreux pays. De plus, les
enquêtes lancées pour dénombrer la population d'enfants au
travail sont limitées car beaucoup de gouvernements nationaux n'y
répondent pas, et que parfois, celles-ci n'incluent pas les enfants des
pays industrialisés ou ceux qui ont moins de 10 ans ou encore ceux qui
sont scolarisés tout en ayant une activité. De plus, une grande
partie des enfants au travail n'est pas accessible, voir même invisible,
car occupée à des travaux ménagers, que ce soit pour leur
famille ou comme domestiques. Enfin, l'activité des enfants ne peut
être répertoriée avec précision parce qu'elle peut
être intermittente et irrégulière, et qu'elle est partout
mêlée à celle des adultes ; leur activité peut
aussi être géographiquement très éclatée,
dans d'immenses régions agricoles ou des milliers d'ateliers urbains. Le
recueil de données solides et fiables sur le travail des enfants est
également entravé par le fait que certaines autorités
préfèrent ignorer l'existence de cette main-d'oeuvre enfantine
qui n'est donc pas comptabilisée par les statistiques officielles :
rien qu'en Inde cela rajouterait près de 90 millions d'enfants, en
majorité des filles.
On peut alors se demander pourquoi citer des chiffres ?
La réponse à cette question est simple : ces chiffres
permettent d'attester le phénomène dans sa dimension et d'ouvrir
les yeux de l'opinion et des dirigeants. Ce sont aussi des
éléments de compréhension, qui permettent de situer le
travail des enfants au regard d'autres réalités sociales. La
plupart des estimations, car il s'agit que d'estimations, proviennent de l'ONU,
et au premier chef de son agence spécialisée dans la
réglementation du travail, l'OIT. L'UNICEF constitue également
une autre organisation de premier plan ; ces deux organisations disposent
d'implantations locales qui leur permettent de travailler avec les acteurs des
pays concernés ( gouvernements, associations, sociologues,
syndicats...) et de disposer ainsi d'une vue directe sur la situation dans ces
pays. Par ailleurs, la Confédération internationale des syndicats
libres ( CISL ), implantée dans 141 pays, fournit
régulièrement des études locales réalisées
par ses affiliées, sur toutes les formes de travail des enfants. Un
certain nombre de données émanent également
d'enquêtes d'organisations non gouvernementales ( ONG ) telles que Anti
Slavery International ou Amnesty International.
Les évaluations existantes ont souvent
été établies à partir d'enquêtes par
entreprise, secteurs d'activité, régions ou villes. Le
recoupement des résultats avec des données
socio-économiques plus larges, telles que le nombre d'enfants dans la
tranche d'âge concernée, la population active ou les seuils de
pauvreté ; permet des extrapolations, au niveau national ou
international. Le seul organisme à avoir établi une
méthodologie dans ce domaine est le BIT, qui a lancé une
première série de questionnaires au début des
années quatre-vingt-dix dans 200 pays ou territoires. Afin de mieux
quantifier le problème , le BIT a lancé en 1992 des
enquêtes expérimentales au Ghana, en Inde, en Indonésie et
au Sénégal, en vue d'étudier un échantillon
d'environ 4000 ménages et 200 entreprises par pays. Selon les
résultats de cette enquête, la proportion d'enfants
économiquement actifs entre 5 et 14 ans était de 25% sur
l'ensemble de ces 4 pays, et atteignait le chiffre étonnamment
élevé de 40% au Sénégal8(*). A l'échelle mondiale, il
est possible de dépeindre la situation des enfants ainsi : la
grande majorité des enfants qui travaillent vivent en Asie, en Afrique
et en Amérique latine. L'Asie à elle seule en regroupe la
moitié, bien que leur proportion semble diminuer en Asie du Sud-Est du
fait de l'augmentation du revenu par habitant, de la
généralisation de l'éducation de base et de la diminution
de la taille des familles. En Afrique, un enfant sur trois en moyenne exerce
une activité économique, proportion qui passe à un enfant
sur cinq en Amérique latine. En Afrique et en Amérique latine,
seul un très faible pourcentage de la main-d'oeuvre enfantine est
employé dans le secteur structuré : la grande
majorité travaille dans sa propre famille, à domicile, dans les
champs ou dans la rue.
Le BIT estime aujourd'hui que rien que dans les pays en
développement, il y a au moins 120 millions d'enfants de 5 à 14
ans astreints au travail et qu'ils sont deux fois plus nombreux ( soit environ
250 millions) si l'on inclut ceux pour qui le travail est une activité
secondaire. Michel Bonnet, qui a longtemps travaillé au BIT estime que
ce chiffre de 250 millions représente un ordre de grandeur
minimal9(*) puisque ce
chiffre ne comprend pas les enfants qui sont seulement actifs à la
maison car il s'agit d'une activité dite « non
économique ».
Une des questions primordiales aujourd'hui est de savoir si le
travail des enfants augmente encore. La plupart des données sont en
effet encore trop récentes pour dessiner une évolution dans le
temps, mais plusieurs facteurs pourraient concourir à une augmentation,
notamment la croissance démographique qui augmente
mathématiquement le nombre d'enfants actifs et l'épidémie
de sida qui sévit dans les pays pauvres, rendant tous les jours des
milliers d'enfants orphelins et donc beaucoup plus vulnérables à
l'exploitation économique. Un début de développement
social dans certains pays d'Amérique latine et d'Asie avait fait
diminuer le nombre d'enfants actifs, mais la crise financière de 1998 en
Asie n'a malheureusement pas été sans conséquences sur le
niveau de pauvreté, et donc sur les stratégies de survie des
familles. Les améliorations perçues non donc été
que de courte durée. En Afrique, le BIT a au contraire perçu une
nette tendance à l'augmentation, durant les années quatre vingt
dix, du recours à la main d'oeuvre enfantine, en raison de la
persistance de la pauvreté.
En évoquant ces chiffres faramineux nous voyons la
situation mondiale, où l'immense majorité des enfants qui
travaillent habitent des pays en développement. Cependant, il serait
totalement faux et utopique de penser que les pays industrialisés, dits
pays riches, ne connaissent pas le travail des enfants.
Paragraphe II : Un phénomène ne se limitant pas aux
pays pauvres
Même si la grande majorité des enfants qui
travaillent se trouve en Asie, en Afrique ou en Amérique latine, le
travail des enfants ne se limite pas aux pays en développement. En
effet, les pays industrialisés utilisent également cette main
d'oeuvre mais c'est alors la nature du travail des enfants qui détermine
s'il leur est préjudiciable et non le simple fait d'avoir un emploi. Peu
d'habitants des régions industrialisées pensent qu'employer un
jeune à livrer des journaux pendant une heure ou deux avant
l'école soit une forme d'exploitation, bien qu'il soit certainement
moins payé qu'un adulte pour un travail similaire. Souvent, l'enfant
sera même encouragé à prendre ce genre d'emploi afin de se
frotter au monde du travail. Toutes les formes de travail confondues, le
pourcentage de main-d'oeuvre enfantine peut être étonnamment
élevé : au Royaume-Uni il apparaît que le
phénomène concerne de 15 à 26% des enfants
âgés de 11 ans et de 36 à 66% des jeunes de 15 ans10(*). Une enquête
réalisée au niveau local en Grande-Bretagne a constaté que
40% des enfants interrogés avaient, sous une forme ou une autre,
« un métier ou une occupation exercée à des fins
lucratives », c'est à dire un travail autre que le
baby-sitting ou les courses. D'autres études montraient l'existence d'un
lien entre le chômage des parents et le travail des enfants et que,
à Londres, quatre enfants sur cinq qui travaillent le font
illégalement, soit parce qu'ils n'ont pas l'âge, soit parce que
leur travail ne convenait pas pour un enfant. Le nombre de familles à
faibles revenus ne cessant d'augmenter, de plus en plus d'enfants vont se
mettre à la recherche d'un emploi, souvent clandestin et illégal.
Il ne faut pas croire que ces enfants travaillent dans des conditions plus
sécurisées que dans les pays en développement puisque l'on
relève malheureusement parfois des accidents très graves :
un enfant de 14 ans qui travaillait pour un salaire d'une livre à
l'heure dans une usine de literie s'est fait happer le bras dans une machine
dépourvue de protection. En Angleterre deux grandes firmes ont
été récemment poursuivies en justice pour avoir
employé des enfants en dessous de l'âge minimum !
En Italie, le problème du travail des enfants est
également grandissant, et on estime à plusieurs centaines de
milliers le nombre d'enfants qui travaillent d'une manière ou d'une
autre dans ce pays, principalement dans les grandes villes. Beaucoup d'enfants
font l'école buissonnière pour aller travailler. Le travail
à domicile est une forme très répandue d'exploitation des
enfants et l'industrie de la chaussure est un grand secteur de
l'économie clandestine qui fonctionne avec des milliers de petits
ateliers dispersés un peu partout, ce qui rend l'intervention des
pouvoirs publics quasiment impossible.
Le travail des enfants gagne du terrain également au
Portugal où de plus en plus d'enfants sont employés dans de
petites entreprises qui veulent s'assurer des gains de
compétitivité sur le marché européen. Les enfants
sont exploités dans la métallurgie, le commerce, le tourisme, le
textile, la construction, la poterie mais aussi la chaussure, les services
domestiques et la confection. 11(*)
Cependant, dans les pays industrialisés comme le
Royaume-Uni, la plupart des jeunes travailleurs fréquentent
également l'école. Mais, il serait complètement naïf
de croire que dans les pays occidentaux, le travail des enfants est toujours du
type « argent de poche ». Les nations
industrialisées auraient tendance selon l'UNICEF à
« penser qu'elles ont complètement aboli les formes les plus
dures de travail des enfants et poussent donc les pays pauvres à suivre
leur exemple »12(*). On trouve encore fréquemment des formes
dangereuses de travail des enfants dans la plupart des pays riches.
Habituellement, les enfants exploités seraient issus de minorités
ethniques ou de groupes d'immigrants, comme les communautés tsiganes et
albanaises en Grèce. C'est aussi le cas aux Etats-Unis, pour la
majorité des enfants travailleurs employés dans l'agriculture.
Une étude réalisée en 1990 par l'Agence
générale comptable a montré une augmentation de 250% des
infractions à la législation sur le travail des enfants entre
1983 et 1990. En 1990, une opération menée par le
ministère du Travail pendant trois jours a révélé
que 11 000 enfants travaillaient clandestinement13(*). La même année,
une enquête sur les enfants mexico-américains occupés dans
les exploitations agricoles de l'Etat de New York a révélé
que près de la moitié avaient travaillé dans des champs
encore humides de pesticides et que plus d'un tiers avaient été
touchés par des pulvérisations directes ou indirectes.
On voit donc que le travail des enfants n'est pas le triste
privilège des pays en développement, mais qu'il existe
également à nos portes. Néanmoins, cela ne doit pas nous
empêcher de vouloir à tout prix que celui-ci cesse rapidement dans
les pays pauvres, car c'est tout de même dans ces régions qu'il
est le plus généralisé et que les conditions de travail
sont les plus déplorables.
SECTION II : Un travail s'effectuant
sous des formes très diverses
Le travail des enfants revêt aujourd'hui des formes
très diverses qu'on peut classer en sept grands types, dont aucun n'est
propre à une région particulière du monde : le
travail domestique, le travail forcé, le travail en servitude,
l'exploitation sexuelle à des fins commerciales que nous
n'étudierons pas ici, le travail dans l'industrie et les plantations,
les métiers des rues, le travail familial et le travail des filles. On
voit donc qu'il existe deux grands pôles d'activité
enfantine : les enfants travaillent soit à la maison, au sein
d'une sphère familiale ( Paragraphe I ), soit dans des usines ou des
entreprises, c'est à dire dans le secteur formel ( Paragraphe II ).
Paragraphe I : Le travail des enfants
au sein d'une sphère familiale
De tous les emplois occupés par les enfants, les plus
fréquents sont les travaux agricoles ou ménagers au domicile de
leurs parents. La plupart des familles, et ce partout dans le monde,
s'attendent à ce que leurs enfants aident à la maison, que ce
soit en préparant les repas, en allant chercher de l'eau au puits, en
gardant les troupeaux, ou encore en accomplissant des tâches plus dures
dans les champs. Ce type de travail peut être enrichissant, car les
enfants apprennent en participant de manière raisonnable aux
corvées ménagères, à la culture du potager, et ils
en tirent également un sentiment de fierté. Malheureusement, le
travail familial n'est pas toujours aussi bénéfique, il peut
être trop prenant, exigeant des enfants qu'on lui consacre de longues
heures qui les éloignent de l'école et demandant trop d'efforts
à des corps d'enfants en pleine croissance. Dans les zones rurales
d'Afrique et d'Asie du Sud, les enfants commencent à participer aux
corvées ménagères bien avant d'avoir l'âge scolaire.
Les filles doivent aller chercher l'eau et le bois du ménage. Les
enfants des deux sexes doivent aider aux travaux des champs, s'occuper des
animaux et de tout ce qui concerne l'eau, travaux souvent extrêmement
fatigants. Des modèles similaires sont observés dans de nombreux
pays d'Amérique latine tels que la Colombie. Au niveau mondial,
l'agriculture constitue le premier secteur d'activité des enfants, mais
ce secteur a malheureusement été peu étudié. La
synthèse des données relevées par le Bureau International
du Travail jusqu'à aujourd'hui dans 26 pays en développement
livre un pourcentage moyen de 70% de travailleurs agricoles parmi les enfants
actifs14(*). La Banque
mondiale relève a juste titre que plus la part de l'agriculture est
élevée dans le produit intérieur brut d'un pays, plus la
fréquence du travail des enfants est élevée : c'est
avant tout un phénomène rural. Dans certains pays d'Afrique, on
estime qu' un tiers de la main d'oeuvre agricole est constituée
d'enfants. Ce type de travail, surtout celui des filles qui sont le plus
souvent chargées de s'occuper des nourrissons, de puiser l'eau, de
ramasser le bois et de préparer les repas, est largement invisible aux
statisticiens chargés de mesurer l'ampleur du travail des enfants. Il
est également en dehors du champ d'action de la législation,
notamment à cause de la difficulté de réglementer le
travail des enfants dans leur famille. Pourtant, accepter que cette forme
d'activité ne puisse pas être contrôlée revient
à accepter que des centaines de millions d'enfants ne
bénéficient d'aucune protection juridique, alors qu'il s'agit de
la forme la plus répandue de travail des enfants.
Le travail domestique d'enfants placés dans une autre
famille que la leur est un phénomène très courant dans les
pays pauvres or ces enfants placés en servitude domestique sont sans
doute les plus vulnérables et les plus exploités. La nature
privée et souvent non déclarée de l'embauche de
domestiques rend impossible toute mesure, mais les petits domestiques se
comptent probablement par millions dans le monde. Ce métier est le
prolongement de l'activité ménagère exercée
à la maison et par conséquent, il emploie une majorité de
filles, mais on peut également trouver des petits garçons
domestiques, notamment en Asie.
Les enfants sont souvent très mal payés voir
pas du tout rémunérés ; le plus souvent, leurs
conditions de travail dépendent entièrement de l'employeur, au
mépris de leurs droits : ils sont privés d'école, de
jeu et d'activité sociale, ainsi que du soutien psychologique de leur
famille. Qui plus est, ils sont régulièrement confrontés
à la violence physique et aux abus sexuels. Voici, un exemple parmi tant
d'autres d'une journée de travail de Marie, haïtienne de 7 ans,
placée par sa famille pauvre habitant dans une zone rurale, dans une
famille urbaine et aisée : elle se lève à cinq heures
du matin, va chercher de l'eau au puits en portant au retour la lourde jarre
sur la tête, puis prépare le petit déjeuner et le sert aux
membres de la famille, ensuite, elle accompagne les enfants à
l'école, doit acheter les provisions, s'occuper du feu, balayer, laver
le linge et la vaisselle, nettoyer la maison...Elle se nourrit des restes de la
famille ou de bouillie de maïs, est vêtue de haillons et dort
à l'extérieur de la maison, par terre. Elle est
régulièrement battue si elle tarde à remplir toutes ses
obligations ou si ses maîtres jugent qu'elle manque de respect. Il
paraît bien évident que Marie ne va pas à l'école.
Très souvent, ces employés de maison, le plus souvent des filles,
sont des parents de l'employeur, une nièce ou la fille de cousins vivant
à la campagne ; la famille rurale n'est que trop heureuse d'avoir
une bouche en moins à nourrir et habituellement, le parent qui prend
l'enfant en charge s'engage à l'éduquer. Malheureusement, une
fois en ville, personne n'est là pour s'assurer que cette promesse est
tenue, ni pour noter les longues heures de travail infligées à la
fillette. De par la nature même de ce travail, ceux qui le subissent sont
cachés aux yeux du monde, sans protection. D'après les
résultats d'une enquête sur les ménages à revenus
moyens à Colombo, au Srï Lanka, un ménage sur trois emploie
un enfant de moins de 14 ans comme serviteur. Les enfants sont souvent choisis
plutôt que les adultes parce qu'ils peuvent être dominés
plus facilement et bien sûr moins payés. Les conséquences
de ce type de travail sur un enfant sont évidentes : tout d'abord
la malnutrition car malgré le dur travail qu'ils fournissent, ils n'ont
droit qu'à des rations ridicules ; ensuite les abus sexuels qui
sont souvent considérées par l'employeur comme faisant partie du
travail ; de graves problèmes sur le plan de leur
développement psychologique et social car ils sont très
isolés de la communauté, privés de toute occupation de
repos et de jeu. Des enfants travaillent comme domestiques en Afrique, en
Amérique latine, en Asie, au Moyen-Orient et dans des régions
d'Europe du Sud.
A côté de ces enfants qui travaillent dans la
sphère familiale, que ce soit la leur ou celle de leurs employeurs,
certains enfants travaillent en dehors de chez eux mais ne travaillent ni dans
une usine ni dans une plantation : ce sont les enfants des rues.
Contrairement aux enfants placés comme domestiques, ces enfants
travaillent dans les endroits les plus en vue, c'est à dire dans les
rues des villes et des agglomérations des pays en développement.
Toute personne, ayant été amenée à se rendre dans
ces villes, peut en témoigner : ils sont partout, vantant leur
marchandise sur les marchés ou se faufilant entre les voitures pour
proposer leurs services. Des centaines de milliers d'enfants travaillent au
jour le jour dans les rues des villes, des rues qui leur servent aussi parfois
de domicile. Ces enfants qui travaillent dans les rues sont le produit de
certains phénomènes sociaux les plus inquiétants
aujourd'hui, l'urbanisation rapide, l'emballement de la croissance
démographique et l'aggravation des disparités entre les revenus.
Souvent, ces enfants travaillaient auparavant comme domestiques ou dans les
champs, mais ils ont fui les mauvais traitements et se retrouvent dans la rue.
Bien souvent dépourvus d'identité légale, ils sont
manipulés par le crime organisé, les employeurs peu scrupuleux et
les souteneurs pour vendre de la drogue ou se livrer à la prostitution.
Ce que peu de personnes savent c'est que beaucoup d'enfants travaillant dans
les rues fournissent un appui financier vital à leur famille tout en
prenant à leur charge quand ils le peuvent, les frais de leur
éducation. En effet, un enfant qui passe six heures dans une
décharge de Manille peut gagner plus qu'un adulte en une journée
de dix heures dans une fabrique voisine. Dans la rue, ils cirent les
chaussures, lavent les voitures, portent les colis et trouvent une multitude
d'autres manières de gagner de l'argent. Tout en étant modestes,
les sommes qu'ils obtiennent n'en sont pas moins supérieures à
celles qu'ils recevraient avec un travail dans le secteur formel.
Néanmoins, quel que soit le bénéfice qu'ils peuvent en
retirer, le triage des déchets est un travail dangereux que les enfants
eux-mêmes estiment si dégradant que beaucoup le quittent lui
préférant même la prostitution. La nature de leur travail
est particulièrement insalubre, dangereuse et dégradante. Ils
contractent diverses maladies de la peau ( ulcères, gale, etc...) et en
ramassant des morceaux de fer rouillé ou en marchant sur les
débris de verre, il n'est pas rare qu'ils se blessent au risque
d'attraper le tétanos, sans oublier qu'ils mangent souvent les restes
qu'ils trouvent.
Paragraphe II : Le travail des enfants
dans le secteur formel
Le secteur formel regroupe toutes les activités
dotées des attributs de l'activité économique classique,
à savoir le lien salarial et l'encadrement légal. En
matière de travail des enfants, la main-d'oeuvre enfantine est alors
employée soit dans des usines, comme n'importe quel salarié
adulte, soit les enfants sont réduits à l'état d'esclaves
par des gérants de fabriques peu scrupuleux, par le biais de la
servitude pour dettes. La servitude pour dettes est sans aucun doute une
des formes d'exploitation des enfants les plus intolérables. Ce qui
caractérise cette forme d'exploitation, ce sont non seulement les
conditions de travail déplorables, mais surtout que la personne humaine
est réduite à l'état de marchandise : l'enfant
esclave appartient à un propriétaire. On apprend aux jeunes
victimes à accepter les conditions dans lesquelles elles vivent et
surtout à ne jamais se rebeller. En Asie du Sud, notamment en Inde, ce
phénomène d'esclavage a pris une forme quasiment traditionnelle
connue sous le nom de travail en servitude des enfants. Le principe de ce
système est très simple, les enfants qui n'ont souvent que huit
ou neuf ans, sont remis en gage par leurs parents à des
propriétaires de fabriques en échange de prêts. Les enfants
travaillent donc pour acquitter une dette ou toute autre obligation
contractée par leur famille, cependant la servitude de toute une vie
n'arrive la plupart du temps même pas à réduire la dette
des parents. En effet, les créanciers, qui sont le plus souvent les
propriétaires, manipulent les parents de telle sorte qu'il est
très difficile, voir même impossible à la famille de
régler sa dette ; ils s'assurent ainsi une main-d'oeuvre
pratiquement gratuite à perpétuité. Les familles peuvent
ainsi rester en servitude pendant des générations, les enfants
prenant la relève des parents âgés ou infirmes. On
rappellera une fois de plus que les systèmes de servitude sont
illégaux dans presque tous les pays et notamment dans ceux où ils
sont les plus répandus ; ils sont contraires non seulement aux lois
sur le travail des enfants mais également à toutes les
conventions internationales ratifiées par ces pays.
En Inde, ce type de transaction est très
fréquent dans l'agriculture, ainsi que dans les industries comme la
fabrication de cigarettes, le tissage des tapis, la production d'allumettes,
les carrières d'ardoise et l'industrie de la soie. En Asie, on estime
à plusieurs dizaines de millions le nombre d'enfants employés
dans ces conditions. Bien sût, la plupart des enfants ainsi
exploités appartiennent aux secteurs les plus marginalisés de la
société. Ces minorités ethniques ou ces groupes
défavorisés sont souvent considérés comme n'ayant
aucun droit, et eux-mêmes sont souvent arrivés à le croire.
A propos de cette véritable forme d'esclavage des enfants, on ne pense
généralement la rencontrer qu'en Inde, au Népal et au
Pakistan, mais elle existe également en Afrique sub-saharienne, au
Brésil ou encore en Mauritanie où chaque année des
milliers de bébés naissent encore dans un esclavage de fait.
Traditionnel pendant des générations, l'esclavage a
été officiellement aboli en 1980, mais 400 000 Africains noirs
servent toujours en esclaves, officiellement ou non leurs maîtres
berbères15(*).
Le travail de ces enfants n'est pas toujours
rémunéré, mais quand il l'est, les gages sont la plupart
du temps si maigres qu'ils ne suffiront jamais à rembourser la dette.
D'autant, que les propriétaires de ces enfants, ne sont jamais à
court d'idées pour prolonger la dépendance
financière : l'employeur prélève le prix de la
nourriture et des outils, si l'enfant commet une faute une somme
supplémentaire est prélevée sur ses gages et si il est
malade, une nouvelle dette vient alourdir la première pour payer les
soins. A ce rythme, il n'est donc pas étonnant qu'une famille soit
asservie sur plusieurs générations et ce qui est bien sûr
le but poursuivi par le créancier-propriétaire. Cette forme
d'exploitation, qualifiée d'intolérable par l'UNICEF, fait partie
des objectifs prioritaires de l'Organisation Internationale du Travail, mais
son éradication se révèle difficile du fait du
caractère traditionnel de ce système et de la grande
pauvreté des familles, qui estiment souvent préférable
d'envoyer leur enfant travailler, dans des conditions qu'ils ignorent souvent,
plutôt que de le garder dans une famille qui ne peut le nourrir faute de
moyens.
Le salariat des enfants dans le secteur économique
structuré est certainement la forme la plus étudiée et la
plus médiatisée du travail des enfants, alors qu'en fait elle ne
concerne qu'une minorité d'enfants au travail ; le Bureau
International du Travail ne recense en effet que 8% des enfants actifs dans les
industries manufacturières et autant dans le commerce et
l'hôtellerie, un peu moins de 4% dans les transports et la manutention,
2% dans la construction et à peine 1% dans les mines et les
carrières. Michel Bonnet affirme que le travail en sous-traitance pour
les multinationales ( articles de sport, vêtements) n'occuperait sans
doute pas 10% des travailleurs16(*). Il en est vraisemblablement de même pour
l'agriculture industrielle ( grandes plantations de café, bananes, canne
à sucre, thé...) où 5% des enfants seraient actifs.
Néanmoins, même si ces enfants représentent une
minorité des enfants au travail, leurs conditions de travail
méritent à elles seules qu'on s'arrête sur cette forme
d'exploitation. En effet, ils travaillent dans des conditions
particulièrement dangereuses ; citons simplement comme exemple les
conditions de travail dans une fabrique de verre en Inde où «
les enfants transportent des masses de verre fondu au bout de cannes de fer,
à 60 centimètres à peine de leurs corps ; ils
retirent du verre fondu de fours où la température atteint de
1500 à 1800°C, leurs bras courts d'enfants touchant presque le
four ; ils assemblent et modèlent les bracelets de verre sur la
petite flamme d'un réchaud à kérosène dans une
pièce peu ou pas aérée, puisqu'il suffirait d'un courant
d'air pour éteindre la flamme. Tout le sol de la fabrique est couvert de
débris de verre et les enfants vont et viennent, portant ce verre
brûlant, sans chaussures pour protéger leurs pieds. Des fils
électriques nus pendant un peu partout parce que les
propriétaires de la fabrique ne se sont pas souciés d'installer
un réseau électrique interne isolé. »17(*) On voit donc les conditions
déplorables dans lesquelles des enfants de moins de 14 ans sont
amenés à travailler jusqu'à 14 heures par jour. Les jeunes
mineurs connaissent de graves problèmes respiratoires, tels que
tuberculose, bronchite et asthme...Les enfants travaillant dans les
exploitations courent également de grands risques physiques, notamment
de mutilations, dans les plantations de canne à sucre, où encore
des risques de morsures de serpents ou de piqûres d'insectes.
Si la plupart de ces activités industrielles et
agricoles sont le fait de sous-traitants nationaux, une partie est
néanmoins contrôlée par des sociétés
transnationales dont les produits sont destinés aux magasins et aux
foyers de l'Occident. De grandes entreprises ayant leur siège social
dans les pays riches délocalisent leurs installations d'assemblage dans
les pays pauvres pour profiter des coûts inférieurs de personnel
et des prestations sociales réduites. Ces cas ont amené des
militants humanitaires dans les pays d'origine et d'accueil à faire
pression sur ces compagnies pour qu'elles établissent des codes de
conduite applicables tant à leurs propres opérations, qu'à
celles de leurs sous-traitants. Nous verrons ultérieurement, les
problèmes que peut poser ce type d'action et notamment leur influence
perverse sur le travail des enfants.
CHAPITRE II : LA VOLONTÉ
INTERNATIONALE D'INTERDICTION DU TRAVAIL DES ENFANTS: UN ECHEC
Dans ce domaine comme dans tant d'autres, un solide cadre
juridique a un rôle essentiel à jouer pour favoriser les
changements. Il doit définir ce qui est acceptable et ce qui ne l'est
pas dans le monde du travail et fixer les cadres dans lesquels une relation
d'emploi juste et équitable peut s'établir. Il est en effet
particulièrement important de fournir aux enfants, un cadre juridique
strict et la protection qui l'accompagne, car ils ne disposent d'aucun pouvoir
de négociation sur le marché du travail et sont donc par
conséquent, les moins aptes à se protéger de
l'exploitation. Cependant, pour être efficace, et offrir une
véritable protection aux millions d'enfants susceptibles d'en
bénéficier, ces normes nationales et surtout internationales,
doivent être applicables et appliquées. En effet, rien ne peut
porter plus atteinte à la crédibilité d'une règle
juridique que l'absence ou l'insuffisance des mécanismes
d'application.
Un grand nombre de conventions de l'Organisation
Internationale du Travail ainsi que d'autres traités internationaux
concernent le travail des enfants et la protection de ceux-ci contre
l'exploitation. Nous rappellerons donc brièvement le contenu de ceux-ci
(Section I ), avant de voir le texte fondamental en matière de droits de
l'enfant qu'est la Convention internationale relative aux droits de l'enfant
adoptée par l'Assemblée générale de l'Organisation
des Nations Unies ( Section II).
SECTION I : Conventions de l'OIT relatives au travail des
enfants et impact national
L'Organisation Internationale crée en 1919, au sortir
de la Première guerre mondiale, avait pour mission principale
d'édicter des normes de travail internationales afin d'assurer la paix
dans le monde. A ce titre, cette organisation s'est très rapidement
intéressée au travail des enfants, et en a fait une de ses
priorités. De 1919 jusqu'à aujourd'hui, l'OIT a
régulièrement attiré l'attention de la communauté
internationale sur la gravité de la situation des enfants, en adoptant
régulièrement des conventions internationales destinées
à lutter contre le travail des enfants. Cependant malgré une
activité normative soutenue afin d'éliminer le travail des
enfants ( Paragraphe I ), l'impact sur les législations nationales de
ces conventions ne fut pas à la hauteur des espérances de l'OIT (
Paragraphe II ).
Paragraphe I : Une organisation
prodigue en matière de réglementation du travail des
enfants
Depuis sa création, l'OIT a adopté plusieurs
conventions relatives spécifiquement au travail des enfants. Cette
organisation a principalement fixé un âge minimum d'admission
à l'emploi ou au travail, soit pour un secteur particulier de
l'économie soit pour l'ensemble des secteurs économiques, tout en
permettant certaines exceptions. L'OIT a adopté sa première
convention sur le travail des enfants en 1919, l'année de sa fondation.
Il s'agit de la convention n°5 sur l'âge minimum dans l'industrie
adoptée par la Conférence internationale du Travail à sa
première session et ratifiée par 72 pays, elle interdit le
travail des enfants de moins de 14 ans dans les établissements
industriels. Ce fut le premier effort international pour réglementer la
participation des enfants au travail. Par la suite, l'Organisation adoptera
neuf conventions sectorielles sur l'âge minimum d'admission à
l'emploi dans les branches ou professions suivantes : l'industrie,
l'agriculture, les soutiers et chauffeurs, le travail maritime, les travaux non
industriels, la pêche et les travaux souterrains.
Les instruments de l'OIT les plus récents et les plus
complets sur le travail des enfants sont la convention n° 13818(*) et la recommandation
n°146 sur l'âge minimum, datant de 1973 . Cette convention se
substitue à tous les instruments antérieurs applicables à
des secteurs économiques limités. Elle fait obligation aux Etats
parties de spécifier un âge minimum d'admission à l'emploi
et au travail et de poursuivre une politique nationale visant à assurer
l'abolition effective du travail des enfants19(*). La recommandation n°146 qui l'accompagne fixe
le cadre d'action et les mesures essentielles à mettre en oeuvre pour
prévenir et éliminer le travail des enfants. Cette convention et
la recommandation qui l'accompagne constituent d'importantes avancées
dans le domaine des normes internationales sur le travail des enfants. Elles
sont en effet les premières à avoir reconnu la
nécessité d'intégrer la législation fixant un
âge minimum à une politique nationale globale ayant pour but
d'abolir totalement le travail des enfants. Il est toutefois plus exact de
parler d'âges minimums, au pluriel, car l'âge fixé varie
selon la nature de l'emploi ou du travail.
La convention établit un principe fondamental selon
lequel, l'âge minimum d'admission à l'emploi ou au travail ne
devrait pas être inférieur à celui auquel cesse la
scolarité obligatoire, ni en tout cas à 15 ans. Elle
prévoit également que l'âge minimum devrait être
progressivement élevé à un niveau permettant aux
adolescents d'atteindre le plus complet développement physique et
mental. Elle permet, toutefois, l'emploi des adolescents de 13 à 15 ans
à des travaux légers, c'est à dire à des travaux
qui ne risquent ni de porter préjudice à leur santé ou
à leur développement, ni de nuire à leur assiduité
scolaire, à leur participation à des programmes d'orientation ou
de formation professionnelle, à leur aptitude à
bénéficier de l'instruction reçue. La convention
prescrit de fixer cet âge à 18 ans pour tout travail dangereux,
c'est à dire, « tout type de travail qui, par sa nature
ou les conditions d'exercice, est susceptible de compromettre la santé,
la sécurité ou la moralité des
adolescents »20(*). La convention dispose aussi que les types d'emploi
ou de travail visés seront déterminés par la
législation nationale ou l'autorité compétente, laissant
ainsi à chaque pays le soin de cette décision. La recommandation
accompagnant cette convention propose des critères de
détermination indiquant, qu'il convient de prendre en compte des normes
internationales du travail pertinentes, par exemple, celles concernant les
substances ou agents toxiques ou les procédés dangereux, le
transport de charges lourdes et les travaux souterrains. Elle dispose en outre
que la liste des types d'emploi ou de travail dont il s'agit devrait être
réexaminée périodiquement à la lumière
notamment des progrès de la science et de la technique, en consultation
avec les organisations d'employeurs et de travailleurs. L'âge minimum,
pour les types de travail visés, devrait être de 18 ans. La
recommandation renforce ce principe en indiquant que, lorsque l'âge
minimum est encore inférieur à 18 ans, des mesures devraient
être prises, sans délai, pour le porter à ce niveau.
Toutefois, la convention dispose, que cet âge peut être
abaissé à 16 ans à condition que la santé, la
sécurité et la moralité des enfants soient pleinement
garanties et qu'ils aient reçu dans la branche d'activité
correspondante, une instruction spécifique et adéquate ou une
formation professionnelle.
Il convient également de mentionner un autre instrument
de l'Organisation Internationale du Travail, la convention n° 29 sur le
travail forcé, 1930, adoptée par la Conférence
générale de l'Organisation le 28 juin 1930 . Son rôle est
essentiellement de protéger les enfants contre les pires formes
d'exploitation. Elle vise à supprimer le recours au travail forcé
ou obligatoire, c'est-à-dire au « travail ou service
exigé d'un individu sous la menace d'une peine quelconque et pour lequel
ledit individu ne s'est pas offert de plein gré ».21(*)Etant applicable à toute
personne, quel que soit son âge, elle protège les enfants contre
le travail forcé ou obligatoire et est appliquée à
certaines formes les plus inacceptables de travail des enfants, telles que la
servitude et l'exploitation de ces derniers notamment à des fins de
prostitution ou de pornographie. Cette convention est l'un des instruments
fondamentaux de l'OIT et fut l'un des plus largement ratifiés : 149
Etats pour la convention n°29 et 130 Etats ont ratifié la
convention n°105 sur l'abolition du travail forcé en 1957 qui
complète la convention n°29.
Aujourd'hui seuls 49 pays ont ratifié la convention
n°138, dont seulement 21 pays en développement mais aucun pays
d'Asie, continent où se trouvent pourtant plus de la moitié de
tous les enfants qui travaillent . En effet, certains Etats membres de
l'OIT, jugent cette convention trop complexe et trop difficile à
appliquer en détail ; l'organisation s'efforce donc d'offrir des
conseils techniques et de faire jouer les clauses de souplesse contenues dans
la Convention n°138.
L'arsenal juridique est donc étendu, mais sa
portée demeure limitée. En effet, les sanctions prévues
par les conventions ne sont pas suffisamment contraignantes. Les Etats parties
doivent périodiquement faire état des progrès mis en
oeuvre soit aux commissions du BIT soit aux comités de l'ONU qui
confrontent alors les rapports avec ceux des ONG. Cependant, les violations des
règles font l'objet de très longues procédures d'examen
suivies de recommandations, mais sur le terrain, ces procédures
demeurent souvent sans effet. Même dans les pays industrialisés,
les moyens de contrôle restent insuffisants. Dans les pays en
développement, le travail des enfants est d'une telle ampleur que le
respect des lois passe par une condition préalable : la
modification du contexte socio-économique. Les plans nationaux d'action
lancés dans plusieurs pays n'ont donc que peu de résultats. Les
instruments de contrôle et de sanctions ( inspection du travail, police),
existent parfois. Certains pays comme le Pakistan, les Philippines ou la
Turquie ont mis en place des unités spéciales, et des campagnes
d'inspection ciblées, mais partout effectifs et moyens demeurent
dramatiquement insuffisants au regard des millions d'exploitations agricoles et
d'établissements qu'il faudrait inspecter. Beaucoup de pays se
retranchent donc derrière ce manque de moyens pour affirmer que la
convention n°138 est trop difficile à appliquer.
Le respect de la loi se heurte aussi à l'absence de
volonté politique et à la résignation
générale. La South Asian Coalition on Child Servitude met en
cause l'absence de volonté politique réelle et honnête et
note que les députés eux-mêmes ont des enfants domestiques.
La plus grande partie de la société juge normal qu'un enfant
pauvre travaille et les ONG indiennes accusent les gouvernements successifs
d'avoir baissé les bras.
La mise en oeuvre effective de l'arsenal juridique
s'avère donc très difficile dans les pays en
développement, notamment du fait de l'inefficacité des
sanctions ; l'application des conventions internationales dans les
législations nationales est donc très limitée.
Paragraphe II
: Une application
cependant limitée dans les législations nationales
La Convention n°138 sur l'âge minimum faisait
espérer la fin du travail des enfants. Cependant, il n'en fut rien car
les pays en développement ne pouvant ou ne voulant pas intégrer
cette convention dans leurs législations nationales, ont eu recours aux
souplesses d'application contenues dans cette convention. En effet, tout en
fixant un âge minimum applicable en principe à tous les secteurs
d'activité, que des enfants y travaillent ou non comme salariés,
la convention n°138 contient des dispositions qui lui donnent une certaine
souplesse destinée à en permettre l'application progressive.
Ainsi, les pays dont l'économie et les institutions scolaires ne sont
pas suffisamment développées peuvent spécifier, en
première étape, un âge minimum de 14 ans au lieu de
1522(*), ce qui a pour
effet d'abaisser l'âge minimum pour les travaux légers de 13
à 12 ans. Toutefois, il n'existe pas d'exception correspondante pour les
activités dangereuses, en application du principe selon lequel le niveau
de développement ne peut servir d'excuse pour permettre que des enfants
soient affectés à des tâches susceptibles de compromettre
leur santé, leur sécurité ou leur moralité.
La convention n°138 présente aussi une certaine
souplesse en ce qui concerne les secteurs ou activités visés
puisqu'elle autorise les Etats à exclure des catégories
limitées d'emploi ou de travail, lorsque son application à ses
catégories soulèverait des difficultés d'exécution
spéciales et importantes23(*). Elle ne précise pas ces catégories,
mais il a été fait mention, au cours des travaux
préparatoires, de l'emploi dans les entreprises familiales, des services
domestiques chez les particuliers et de certains types de travaux
effectués en dehors du contrôle de l'employeur, par exemple le
travail à domicile. Ces exclusions tiennent essentiellement aux
difficultés pratiques que soulève l'application de la loi aux
catégories visées, et non bien sûr à l'absence de
risques d'exploitation ou d'abus.
Par ailleurs, la convention donne aux pays en
développement la possibilité de limiter initialement son champ
d'application en précisant les branches d'activité
économique ou les types d'entreprises auxquelles elle s'applique :
l'article 5 stipule que « tout membre dont l'économie et les
services administratifs n'ont pas atteint un développement suffisant
pourra, après consultation des organisations d'employeurs et de
travailleurs intéressées, s'il en existe, limiter, en une
première étape, le champ d'application de la présente
convention. » Cependant dans ce même article il est
précisé que le champ d'application de la convention devra au
moins comprendre les sept secteurs suivants : les industries
extractives ; les industries manufacturières ; le
bâtiment et travaux publics ; l'électricité, gaz et
eau ;les services sanitaires ; les transports, entrepôts et
communications ; les plantations et autres entreprises agricoles
exploitées principalement à des fins commerciales ( à
l'exclusion des entreprises familiales ou de petite dimension )24(*) . Différentes autres
dispositions prévoient des exceptions ou des dérogations, par
exemple celle qui exclut les travaux effectués dans le cadre de certains
types d'enseignement ou de formation ou celle qui permet d'autoriser la
participation des enfants à des spectacles artistiques ainsi que la
possibilité de fixer l'âge minimum de l'apprentissage à 14
ans. S'il s'agit d'activités dangereuses, l'application de ces
dispositions exige les plus grandes précautions. Ainsi, la participation
à des spectacles artistiques peut présenter de graves risques
pour la santé ou la moralité des jeunes. C'est pourquoi certains
pays interdisent de les faire travailler dans les établissements tels
que boîtes des nuit, cabarets et cirques, où il existe en outre un
risque d'exploitation sexuelle. D'autres pays au contraire, comme la
Thaïlande, permettent le travail des enfants dans les night-clubs et les
bars à partir de 15 ans25(*). Quant à la formation, elle peut être un
subterfuge permettant aux employeurs d'imposer de façon continue un
travail pénible à des enfants n'ayant pas atteint l'âge
minimum. Il est donc essentiel de procéder à des contrôles
et à des inspections pour s'assurer que les jeunes reçoivent une
véritable formation dans des conditions convenables et ne sont pas
contraints à cette occasion d'effectuer des tâches dangereuses. La
convention fait obligation à l'autorité compétente de
prendre toutes les mesures nécessaires y compris des sanctions
appropriées, en vue d'assurer l'application effective de ses
dispositions. Les sanctions visées ici sont celles qui seront
prévues par la législation nationale pour les infractions aux
dispositions donnant effet à la convention.
La quasi-totalité des pays se sont aujourd'hui
dotés d'une législation visant à interdire l'emploi des
enfants n'ayant pas atteint un certain âge et à réglementer
les conditions de travail pour ceux qui ont atteint l'âge minimum. La
plupart ont fixé un âge plus élevé pour les travaux
dangereux, interdisant certaines activités aux jeunes de moins de 18
ans. Néanmoins, de nombreuses lacunes demeurent surtout en ce qui
concerne le champ d'application de ces lois et leur mise en application
concrète, parfois faute de ressources nécessaires pour en assurer
le contrôle et l'application, parfois faute de volonté politique,
mais souvent simplement parce que les autorités sont
désarmées face à un phénomène largement
invisible et qui prospère sur des fléaux sociaux aussi
profondément enracinés que la pauvreté, la discrimination
et les préjugés culturels.
L'examen des différentes législations des 155
Etats membres de l'OIT26(*) a permis de constater que, si la plupart des pays ont
adopté une législation prévoyant un âge minimum de
base pour l'admission des enfants à l'emploi ou au travail, nombre
d'entre eux ne se conforment pas à la convention n°138 qui prescrit
de fixer un âge minimum unique pour l'admission à tous les types
d'emploi : seuls 33 pays l'ont fait, et cela n'est pratique courante qu'en
Europe. La formule habituelle consiste à fixer un âge minimum qui
ne s'applique qu'à certains secteurs ou activités. Une autre
formule, pour laquelle un quart des pays membres a opté, consiste
à fixer des âges différents pour divers secteurs
économiques, tout en excluant totalement certains secteurs ou
activités. Environ 45 pays se conforment à l'esprit de la
convention puisqu'ils fixent l'âge minimum d'admission à l'emploi
à 15 ans et 37 pays le fixe à 14 ans. La limite de 15 ans a
surtout cours en Europe et celle de 14 ans dans le reste du monde. L'âge
minimum est de 16 ans dans 23 pays et de 15 à 16 ans dans quatre autres.
Par conséquent, 122 pays au minimum disposent d'une législation
interdisant le travail des enfants de moins de 14 ans, au moins dans certains
secteurs. En revanche, dans 30 pays, les enfants de moins de 14 ans ont le
droit de travailler et dans 6 l'âge minimum n'est que de 12 ans. C'est en
Afrique et en Asie, les plus gros fournisseurs de main d'oeuvre enfantine que
la fourchette minimum est la plus large : l'âge minimum y varie de
12 à 16 ans. De plus, du fait de la relative souplesse de la convention
n°138, l'agriculture est exclue de son champ d'application dans 38 pays
situés pour la plupart en Asie. Par contre, les activités
industrielles rentrent toujours dans le champ d'application de la convention,
et ce dans tous les pays. L'une des exclusions les plus courantes,
prévue par une soixantaine de pays, porte sur les entreprises
familiales, définies de manière plus ou moins large, ainsi que
les services domestiques.
La moitié environ des pays autorisent les enfants d'un
âge inférieur au minimum général à effectuer
certains types de travaux légers : 13 pays soustraient certains
types de travaux à toute restriction, mais la majorité fixe pour
ces travaux un âge minimum de 12,13 ou 14 ans.
Ces exclusions mettent parfaitement en évidence les
graves lacunes juridiques ou tout au moins les importantes limites quant au
rôle que la législation est censée jouer dans la lutte
contre le travail des enfants. En effet, comme nous l'avons vu
précédemment ce sont dans ces secteurs d'activités exclus,
c'est-à-dire dans le secteur agricole et les services domestiques, ainsi
que dans les petits ateliers et les entreprises familiales opérant dans
le secteur non structuré, que l'on trouve la plupart des enfants qui
travaillent. Pour remédier à ces lacunes, la communauté
internationale a décidé d'adopter une grande convention reprenant
tous les principes devant régir les droits des enfants, par le biais de
l'Organisation des Nations Unies.
SECTION II La
Convention internationale relative aux droits de l'enfant et son
application
La Convention internationale relative aux droits de l'enfant
est actuellement l'instrument juridique le plus complet en matière de
droits de l'enfant. Adoptée en 1989, cette convention intervient donc
après l'adoption des conventions de l'Organisation internationale du
Travail que nous avons étudiées précédemment. On
peut alors s'interroger sur l'intérêt d'adopter une nouvelle
convention relative aux droits de l'enfant. Pour bien comprendre les
motivations des Nations Unies, il faut étudier la genèse de ce
texte ( Paragraphe I ) avant de voir son contenu et son application dans les
lois nationales ( Paragraphe II ).
Paragraphe I : Genèse de la
Convention internationale des droits de l'enfant
La communauté internationale s'est engagée avec
lenteur et relativement récemment, dans la voie ayant
débouché sur la Convention internationale des droits de l'enfant.
A l'idée que les enfants avaient des besoins spéciaux a
succédé la conviction que les enfants avaient des droits, et le
même éventail de droits que les adultes à savoir des
droits, civils et politiques, sociaux, culturels et économiques. La
première étape juridique a été franchie en 1924
lorsque la Société des Nations a entériné la
première déclaration, dite Déclaration de Genève,
sur les droits de l'enfant. La charte des Nations Unies en 1945 a, de son
côté préparé le terrain pour la convention en
exhortant les pays à promouvoir et à encourager le respect des
droits de l'homme et des libertés fondamentales « pour
tous » . La Déclaration universelle des droits de l'homme
adoptée en 1948, faisait clairement apparaître une volonté
de reconnaître et de protéger les droits des enfants. Elle
proclame que « tous les être humains naissent libres et
égaux en dignité et en droits... » , souligne que
« la maternité et l'enfance ont droit à une aide et
à une assistance spéciale » et voit dans la famille
« l'élément naturel et fondamental de la
société ». Toujours en 1948, l'Assemblée
générale a également adopté une deuxième
Déclaration sur les droits de l'enfant ; c'est un texte succinct
qui prend le relais de la Déclaration de Genève :
« Par la présente déclaration sur les droits de
l'enfant...les hommes et les femmes de tous les pays, considérant que
l'humanité se doit de donner à l'enfant le meilleur
d'elle-même, déclarent se faire un devoir de satisfaire à
cette obligation à tous égards... » Presque
immédiatement après cette deuxième déclaration, il
fut pris la décision d'élaborer une troisième
déclaration encore plus détaillée qui a abouti à la
rédaction d'une troisième Déclaration des droits de
l'enfant adoptée par l'Assemblée générale en 1959.
Cependant, ces déclarations énoncent une intention de
caractère moral : ce ne sont pas des instruments juridiques
contraignants, comme les deux pactes internationaux qui vont être
adoptés en 1961. Ces deux Pactes internationaux relatifs,
respectivement, aux droits civils et politiques27(*) et aux droits économiques sociaux et
culturels28(*) ont force
obligatoire pour les Etats parties et constituent donc pour les pays une
obligation juridique aussi bien que morale de respecter les droits de l'homme
de chaque individu. Le Pacte relatif aux droits civils et politiques, visait
à interdire l'esclavage, le servage et le travail obligatoire, ainsi
qu'à protéger les mineurs et prévoyait la création
d'un Comité des droits de l'homme composé de 18 experts
indépendants qui pouvaient être saisis par un Etat partie ou par
un particulier prétendant être victime d'une violation des droits
énoncés par un Etat partie. Le Pacte international relatif aux
droits économiques, sociaux et culturels contenait des dispositions
concernant l'enseignement primaire obligatoire et gratuit. Ces deux pactes
furent ratifiés par 135 Etats sur les 185 Etats membres de l'ONU.
Pour que les droits de l'enfant portent le sceau du droit
international, il fallait donc une convention ou un pacte. Aussi, en 1978, au
seuil de l'Année internationale de l'enfant parrainée par
l'Organisation des Nations unies, la Pologne a-t-elle proposé
officiellement un projet de texte concernant une Convention relative aux droits
de l'enfant. L'année suivante, la commission des droits de l'homme des
Nations Unies a créé un groupe de travail chargé de
remanier et d'étoffer le texte polonais d'origine. Le groupe de travail
s'est largement inspiré de la Déclaration universelle des droits
de l'homme, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et
du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et
culturels pour élaborer ce qui est devenu les 41 articles de fond de la
Convention internationale des droits de l'enfant. L'Assemblée
générale des Nations Unies a adopté à
l'unanimité la Convention relative aux droits de l'enfant le 20 novembre
1989 . A ce jour, la Convention internationale des droits de l'enfant est
l'instrument relatif aux droits de l'homme le plus largement et rapidement
ratifié de l'histoire. Tous les pays l'ont aujourd'hui ratifiée,
sauf les Emirats arabes unis, les Etats-Unis d'Amérique, les Iles Cook,
Oman, la Somalie et la Suisse29(*).
Paragraphe II
: Une convention
ambitieuse mais encore trop récente pour mesurer les progrès
réalisés
La convention des Nations Unies de 1989 relative aux droits de
l'enfant30(*) est
l'instrument international le plus complet à l'heure actuelle en
matière de travail des enfants. Cette convention définit l'enfant
comme tout « être humain âgé de moins de 18 ans,
sauf si la majorité a été atteinte plus tôt en vertu
de la législation qui lui est applicable » . Elle vise
à défendre toute une série de droits de l'enfant, parmi
lesquels celui « d'être protégé contre
l'exploitation économique et de n'être astreint à aucun
travail comportant des risques ou susceptible de compromettre son
éducation ou de nuire à sa santé ou à son
développement physique, mental, spirituel, moral ou
social »31(*).
Tout en faisant indirectement référence aux normes
internationales du travail, cette convention impose aux Etats parties de fixer
un âge minimum ou des âges minimums d'accès à
l'emploi, de réglementer la durée ainsi que les conditions du
travail et d'appliquer des peines et sanctions appropriées pour assurer
l'application effective de ces dispositions. 32(*)
Le Bureau International du Travail communique
régulièrement des informations sur l'application des dispositions
pertinentes de cet instrument au Groupe de travail de présentation du
Comité des droits de l'enfant, qui examine les rapports des Etats
parties relatifs à son application. Certains articles de la
convention concernent d'autres formes extrêmes de travail des enfants,
par exemple, l'exploitation et la violence sexuelles33(*), l'enlèvement, la vente
et la traite d'enfants à quelque fin que ce soit et toutes autres formes
d'exploitation préjudiciables à tout aspect de leur
bien-être. Cette convention invite les Etats parties à prendre
toutes les mesures possibles et appropriées pour faciliter la
réadaptation physique, psychologique et sociale de tout enfant victime
de toute forme de négligence, d'exploitation ou de
sévices34(*). Le
droit de l'enfant à l'éducation est aussi reconnu par la
Convention relative aux droits de l'enfant qui dispose que l'enseignement
primaire devrait être obligatoire et gratuit pour tous35(*).
La Convention a suscité un changement profond qui
commence déjà à avoir des effets notables sur les
attitudes de la communauté internationale à l'égard de ses
enfants. Dès lors qu'un Etat a ratifié la Convention, il est
juridiquement tenu de prendre toutes les mesures adéquates pour aider
les parents et autres parties responsables à tenir les obligations
qu'elle impose envers les enfants. A l'heure actuelle, 96% des enfants du monde
vivent dans des pays obligés juridiquement de protéger les droits
des enfants. Pour remplir leurs obligations, les Etats se trouvent parfois
obligés d'apporter des modifications fondamentales aux lois,
institutions, plans, politiques et usages nationaux afin des les aligner sur
les principes de la Convention. La première priorité doit
être de susciter la volonté politique de le faire. Comme l'avaient
reconnu les rédacteurs de la Convention, il n'y aura de changement
réel dans la vie des enfants que lorsque l'éthique et les
attitudes sociales auront progressivement évolué pour devenir
conformes aux lois et aux principes, et, lorsque les enfants, devenus acteurs
de ce processus, connaîtront suffisamment leurs droits pour s'en
réclamer. Le Comité des droits de l'enfant est l'organe
officiellement chargé de surveiller le processus. Les Etats s'engagent
à soumettre dans les deux ans suivant la ratification et par la suite
tous les cinq ans, un rapport sur les mesures qu'ils auront adoptées
pour modifier leurs législations nationales ainsi que pour formuler des
politiques et des plans d'action. Le Comité composé de dix
experts, rassemble des informations vérifiées auprès
d'organisations non gouvernementales ( ONG ) et intergouvernementales, y
compris l'UNICEF, et ces groupes peuvent préparer des rapports
indépendants de ceux des gouvernements. Le Comité et le
gouvernement concerné se rencontrent ensuite pour discuter des efforts
déployés dans le pays en faveur des droits de l'enfant et des
mesures à prendre pour surmonter les difficultés. Ce
système de rapport s'est avéré dynamique et constructif,
ouvrant un dialogue qui aide à faire progresser les droits de l'enfant.
Malheureusement, beaucoup de pays ont négligé de faire parvenir
leurs rapports dans les délais.
Le processus d'application de la Convention n'en est encore
qu'à ses balbutiements mais ce traité international en faveur des
enfants commence déjà à faire sentir ses effets. Comme
l'indiquait l'UNICEF en 1996 dans sa publication « Le progrès
des nations », 14 des 43 pays dont les rapports avaient pu être
examinés à cette époque avaient intégré les
principes de la Convention dans leur Constitution, et 35 avaient adopté
de nouvelles lois ou amendé les textes existants pour s'y conformer.
Enfin, 13 pays avaient incorporé la Convention dans leurs programmes
scolaires, démarche capitale pour commencer à informer les
enfants de leurs droits.
L'élaboration d'une volonté internationale de
combattre le travail des enfants est désormais chose faite mais qu'en
est-il au niveau national ? En effet, même s'il paraît simple
d'édicter de grands idéaux au sein d'une Convention
internationale, la tâche est souvent beaucoup plus ardue lorsqu'il s'agit
de traduire ces belles paroles au sein des lois nationales de pays souvent
pauvres et peu stables politiquement . La Convention énonce
l'obligation faite aux Etats de prévoir une réglementation en
matière de travaux dangereux, mais il nous faut voir maintenant si cette
volonté édictée a été suivie par les Etats
parties. Malheureusement, peu de pays définissent actuellement la notion
de travail dangereux dans leur législation générale.
Habituellement ces travaux dangereux sont définis en termes
généraux comme ceux qui menacent la santé, la
sécurité ou la moralité des enfants, reprenant ainsi le
vocabulaire utilisé par la convention n°138. De plus, peu de
législations prévoient des interdictions générales.
La plupart du temps, sont énumérées les industries les
professions et activités dangereuses interdites aux enfants, comme, par
exemple, les industries extractives, le travail maritime, le travail sur des
machines en mouvement, la manipulation de substances explosives ou nocives, la
construction ou démolition, les transports et les spectacles. Souvent
aussi, la législation nationale se réfère à des
travaux physiquement pénibles pour les jeunes ou disproportionnés
avec leurs forces. Dans certains cas, la notion de travail dangereux est
étendue à des situations où le manque d'expérience
ou de maturité risque de menacer la sécurité d'autrui. Une
autre approche consiste à définir les risques liés au
milieu physique ou les risques ergonomiques particulièrement nocifs
auxquels les enfants ne doivent pas être exposés. On voit donc que
les notions d'aptitude de l'enfant au travail ou de pénibilité du
travail restent soumises à des interprétations fort variables
selon les pays, et ce d'autant plus suivant le type d'activité le plus
représenté dans le pays. Les mesures prises en matière de
travaux dangereux seront axées sur les activités extractives dans
un pays à production minière comme la Colombie, sur les services
domestiques dans les pays très pauvres comme le Bangladesh ou le Sri
Lanka ou sur l'industrie du spectacle dans des pays comme la Thaïlande.
Les conditions déplorables de travail, et donc de vie,
de millions d'enfants sont donc désormais prises en compte, et fortement
combattues au niveau mondial. Cependant, devant l'étendue de la
tâche à accomplir, et la relative efficacité des normes
internationales, la communauté internationale a décidé en
1999 de changer de stratégie, afin d'être efficace plus
rapidement.
PARTIE II : LE CHANGEMENT DE
POLITIQUE DE LA COMMUNAUTE INTERNATIONALE
La communauté internationale a pris conscience à
la fin des années quatre vingt dix du relatif échec des
politiques de lutte contre le travail des enfants qu'elles avaient mises en
place au cours des décennies précédentes. Malgré
les efforts qu'elle avait fournis, notamment en édictant des conventions
internationales interdisant le recours à la main-d'oeuvre enfantine, la
situation des enfants dans le monde ne s'améliorait pas. Il est donc
apparu évident que l'on ne pouvait attendre plus longtemps pour
protéger ces enfants soumis à l'exploitation
économique ; ils ne peuvent attendre que la situation
économique de leurs pays s'améliore suffisamment pour leur
permettre de retrouver un semblant d'enfance normale. Tout le monde s'accorde
pour dire que le développement économique de ces pays pauvres
prendra beaucoup de temps, d'autant que les engagements des pays riches
à les soutenir financièrement dans leur démarche de
développement et de progrès social, ne sont pas tenues.
Lors du Sommet mondial pour les enfants, les pays
industrialisés s'étaient engagés à verser 0,7% de
leur produit intérieur brut pour aider ces pays pauvres ; en
réalité, il n'en fût rien et ces pays se débattent
toujours dans une pauvreté absolue. Il a donc fallu élaborer une
politique d'urgence permettant aux enfants les plus exposés au danger
d'être retirés du travail. Pour cela, il est apparu indispensable
d'étudier avec précision les causes profondes du travail des
enfants, afin de pouvoir lutter efficacement et le plus rapidement possible
contre celui-ci ( Chapitre I ). Cependant, en parallèle des moyens
d'urgence proposés par la communauté internationale, des
solutions d'éradication du travail des enfants, à plus long
terme, sont également proposées car l'abolition totale du travail
des enfants reste l'objectif principal ( Chapitre II ).
CHAPITRE I : UNE COMMUNAUTE INTERNATIONALE SOUCIEUSE
DE COMPRENDRE POUR MIEUX LUTTER
Le travail des enfants, on l'a vu n'est pas l'apanage des pays
pauvres, mais c'est toujours la pauvreté qui est la cause principale de
ce travail. Néanmoins, le travail de ces enfants résulte de
multiples facteurs variant suivant les régions du monde et qu'il est
essentiel de cerner parfaitement afin de comprendre, non seulement pourquoi les
enfants travaillent, mais surtout comment faire pour remédier à
cette situation ( Section I ). C'est cette démarche qu'a entreprise la
communauté internationale, et qui a abouti à une nouvelle
convention internationale, qui ne concerne que les « pires formes de
travail des enfants » ( Section II ).
SECTION I : Les
causes du travail des enfants prises en compte dans leur ensemble
Les causes du travail des enfants sont multiples et diverses,
néanmoins nous tenterons dans ces développements d'exposer les
principales, c'est à dire celles qui poussent la plupart des enfants au
travail. Si l'on entend s'opposer efficacement au travail des enfants, il
importe d'en avoir compris les causes profondes. Il faut se garder des
globalisations simplificatrices. Le travail des enfants pose un problème
complexe intimement liées au milieu social et économique
où il se situe. Nous analyserons tout d'abord les causes directement
liées à la pauvreté des familles ( Paragraphe I ), avant
de voir les causes extérieures à cet environnement familial (
Paragraphe II ).
Paragraphe I : Les causes liées
à la pauvreté des familles
L'ampleur actuelle du travail des enfants dans le monde ne
peut s'expliquer que par celle de la pauvreté : aujourd'hui 250
millions d'enfants sont amenés à travailler pour survivre, car
1,3 milliard de personnes dans le monde ( sur 6 milliards d'habitants) vivent
dans un dénuement total, avec moins de l'équivalent d'un dollar
par jour36(*) c'est
à dire moins que le seuil de pauvreté défini sur le plan
international. Toujours selon le même rapport, 4,3 milliards de personnes
ne disposent que d'environ deux dollars par jour, en parité de pouvoir
d'achat selon chaque pays. On sait bien que l'immense majorité de cette
population pauvre vit dans les pays en développement, pays où le
travail des enfants est le plus important. L'UNICEF estime que les enfants
représentent 50% des pauvres vivant dans le monde. On évalue
à 650 millions le nombre d'enfants qui vivent dans un extrême
dénuement, et leur nombre ne cesse d'augmenter. Entre 1988 et 1993, le
nombre des enfants pauvres s'est accru d'au moins 20% en Afrique au sud du
Sahara et en Amérique latine.
Les liens sociologiques entre pauvreté et travail des
enfants sont aujourd'hui clairement établis : être pauvre,
c'est lutter sans cesse pour disposer du minimum vital, chercher chaque jour de
quoi nourrir sa famille, et sur le long terme être privé de tout
pouvoir de décision sur sa propre vie. « La
pauvreté revient à vivre l'insécurité permanente et
à tenter simplement d'éviter le pire »37(*). Le travail des enfants fait
alors complètement partie de ces stratégies de survie, car plus
une famille est pauvre plus chacun de ses membres doit contribuer à
gagner ce qu'il coûte, en argent ou en production alimentaire. Cette
question essentielle de l'alimentation se pose encore avec plus d'acuité
quand il y a de nombreux enfants à nourrir, ce qui est le cas de
beaucoup de familles rurales dans les pays en développement où le
taux de fertilité est très élevé.
Le dénuement peut alors pousser les familles à
l'extrême à accepter n'importe quelle proposition, y compris celle
d'un intermédiaire plus que douteux ou d'un usurier, et se retrouver
ensuite dans le cercle vicieux de la servitude pour dettes que nous avons vu
précédemment. Cependant, en aucun cas cette explication ne peut
ni ne doit conduire à faire le procès des parents. Les familles
démunies prennent toute activité qui se présente comme un
léger soulagement dans leur quête du pain quotidien. Les parents
n'ont qu'un espoir qui est que le travail permette à leur enfant de
mener une existence meilleure que la leur. Les enfants qui travaillent comme
domestiques dans des conditions abominables, sont envoyés par leurs
parents dans les villes pour travailler et non pour se faire exploiter et
maltraiter. En aucun cas, les parents pauvres ne laisseraient leurs enfants
travailler dans ces conditions s'ils étaient au courant de celles-ci.
Le lien entre pauvreté et travail des enfants est
également visible dans les pays industrialisés, puisqu'il ne faut
pas oublier que près de 100 millions de personnes vivent dans la
pauvreté dans les pays riches, auxquels se sont ajoutés dans les
années 90, 120 millions d'individus tombés dans la
pauvreté dans les pays de l'Est. Aux Etats-Unis, comme au Royaume Uni,
8% des enfants vivent dans des familles pauvres et c'est parmi eux que l'on
trouve actuellement la plupart des enfants actifs.
Si l'on en croit les théoriciens de l'économie,
lorsqu'elles incitent leurs enfants à se lancer sur le marché du
travail, les familles pauvres peuvent sembler adopter une attitude
irrationnelle, mais en fait, elles n'ont guère d'alternatives. Pour
elles, la survie à court terme est plus importante que le
développement à long terme. Ainsi, la misère engendre le
travail des enfants, lequel perpétue la misère, les
inégalités et la discrimination. D'après certaines
sources, la part des enfants va parfois jusqu'à atteindre le quart du
revenu des familles pauvres. Néanmoins, il serait faux d'affirmer que la
pauvreté entraîne automatiquement le travail des enfants,
même s'il est vrai que la grande majorité des enfants qui
travaillent appartiennent à des familles pauvres, tous les enfants
pauvres ne sont pas pour autant au travail.
En effet, et c'est là un deuxième facteur du
travail des enfants, les parents ont souvent du mal à avoir un emploi et
surtout à en tirer des revenus suffisants pour faire vivre correctement
leurs enfants et ils ont donc tendance à faire travailler leurs enfants,
qui eux paradoxalement n'ont pas de mal à trouver du travail.
En Egypte, une étude a montré qu'une hausse de
seulement 10% des salaires des femmes ferait reculer de 15% le travail des
enfants de douze à quatorze ans, et de 27% celui des enfants de six
à onze ans. Les pays concernés par le travail des enfants
connaissent un taux très élevé d'adultes sans emploi ou en
situation de sous-emploi, c'est à dire des adultes qui désirent
travailler davantage et qui ne gagnent pas le minimum vital. Au Pérou,
par exemple, 75% de la population active était en 1992, en situation de
sous-emploi, et subsistait à l'aide d'activités marginales ou
précaires. Selon l'ONU, un tiers des trois milliards d'individus
d'âge actif de la planète sont sans emploi ou
sous-employés, pour l'essentiel dans les pays en développement.
Sans même vouloir absorber cette population, la création de 40
millions d'emplois nouveaux chaque année serait nécessaire au
niveau mondial, or partout dans le monde, l'emploi public a été
réduit, et l'évolution de l'emploi privé ne suffit pas
à occuper l'ensemble de ces actifs. Par conséquent, la population
adulte en quête d'argent pour survivre est en partie absorbée par
le secteur informel, comme les métiers de rue, secteur qui évolue
plus rapidement que l'emploi formel dans les pays en développement. Mais
sa capacité d'absorption n'est pas illimitée et surtout, il ne
donne pas de revenus stables à ces parents, leur permettant d'enlever
définitivement leurs enfants du travail. Ces familles qui vivent d'une
activité informelle sollicitent souvent les enfants pour
compléter le revenu familial. Trouver un revenu stable et suffisant aux
parents est primordial si l'on veut que leurs enfants ne soient plus
amenés à travailler. En effet aujourd'hui pour une famille
pauvre, la petite contribution du revenu d'un enfant ou l'aide qu'il apporte
à la maison et qui permet alors aux parents d'occuper un emploi
précaire de temps à autre, peut faire toute la différence
entre la faim et la satisfaction des besoins élémentaires de la
famille. Néanmoins, ce problème du sous-emploi des adultes dans
les pays en développement fait partie d'un cercle vicieux qu'il est
difficile de briser : les parents ne trouvent pas d'emploi ou ne
perçoivent pas des revenus suffisants donc ils envoient leurs enfants
travailler, contribuant ainsi à la situation de chômage des
adultes, et donc entraînant le travail des enfants. De plus, elle
contribue à un autre cercle vicieux qui est que ces jeunes enfants qui
travaillent ne bénéficient d'aucune éducation, et donc
constitueront une population adulte illettrée et non qualifiée
qui sera alors plongée dans la pauvreté. Ils revivront donc la
même situation que celle vécue par leurs parents et devront faire
travailler leurs enfants pour survivre. Le comble réside tout de
même dans le fait que les employeurs d'enfants se justifient souvent en
expliquant qu'ils rendent ainsi service aux parents chômeurs !
Autre facteur favorisant le travail des enfants dans les pays
en développement essentiellement : l'aspect traditionnel du travail
des enfants. Les forces économiques qui poussent les enfants vers le
travail et notamment les travaux dangereux sont sans doute les plus puissantes,
mais les traditions et les conventions sociales rigides jouent également
un grand rôle à cet égard. Dans les pays
industrialisés, comme le nôtre, tout le monde reconnaît
aujourd'hui que pour qu'un enfant se développe normalement et sainement,
il ne doit pas accomplir de travail trop dur. En théorie,
l'éducation, le jeu et les loisirs et un repos suffisant doivent avoir
une place importante dans la vie des enfants. Mais cette idée est assez
récente, puisque au début de l'industrialisation, le travail
était considéré comme l'un des moyens les plus efficaces
pour apprendre la vie et le monde aux enfants. On retrouve encore aujourd'hui
cette idée dans l'opinion de beaucoup de gens pour lesquels il est
toujours bon qu'un adolescent fasse des « petits boulots »,
afin de se rendre compte de la valeur de l'argent et de s'occuper notamment
pendant les vacances.
Néanmoins, dans les pays en développement, le
problème se pose différemment : les enfants doivent
travailler pour gagner leur pain, car leurs parents l'ont fait avant eux et ils
n'en sont pas morts, donc leurs enfants doivent faire de même. Il arrive
que les enfants soient censés jouer leur rôle social en prenant la
suite de leurs parents dans une branche particulière, comme les
activités agricoles. Par conséquent, cet enfant n'a pas besoin
d'apprendre autre chose que la culture de ces champs et de plus il est de son
devoir d'aider ses parents. Comme le dit très bien Mme Catherine Boidin,
consultante auprès du bureau international du travail, les parents n'ont
même pas l'impression que leurs enfants travaillent :
« cet enfant ne travaille pas, il aide sa famille, c'est normal, il y
a chez nous un système d'entraide, un devoir de reconnaissance, une
contrepartie de l'assistance qu'il reçoit », ou encore
« c'est pour permettre la transmission du savoir d'une
génération à l'autre »38(*). Pour ces populations pauvres
et non informées, les enfants ne travaillent pas quand ils aident leur
famille. Parce que l'on n'a pas une connaissance suffisante de ses
conséquences, le travail des enfants peut se trouver si
profondément enraciné dans les coutumes et les habitudes locales
que les parents des enfants n'ont pas eux-mêmes conscience de ce que ce
travail est illégal ou préjudiciable à leurs enfants.
Ce phénomène est important dans les zones
rurales de ces pays en développement et surtout envers les filles. En
effet, leur culture impliquent qu'une fillette doit savoir s'occuper de la
maison et des enfants car c'est ce qu'elle sera amenée à faire
toute sa vie, même quand elle aura quitté la maison familiale en
se mariant. Les filles sont donc victimes de préjugés
socioculturels défavorables, qui sont omniprésents dans les zones
rurales d'Asie et d'Afrique ; leur éducation est
considérée comme une perte de temps et d'argent, car elles
consacreront leur vie à la tenue de leur ménage. Une idée
répandue veut d'ailleurs qu'une fille éduquée serait moins
encline à se marier et à bien remplir son rôle
traditionnel. Il paraît en effet vraisemblable qu'une fillette
éduquée supporte moins facilement sa condition de femme
mariée n'ayant aucun droit de direction sur sa propre vie. Une fille est
aussi destinée à appartenir à une autre famille à
court terme par le mariage, tandis qu'un garçon ,lui, soutiendra ses
parents dans la vieillesse et prendra soin du patrimoine, notamment agricole.
Les familles réservent donc en priorité la nourriture, les soins
et l'éducation aux fils. Même si aujourd'hui certaines estimations
font apparaître qu'il y aurait plus de jeunes garçons au travail
que des fillettes, il n'en est rien dans la réalité ; cela
résulte tout simplement que l'activité de ces dernières
sont cantonnées la plupart du temps soit au foyer familial ou
travaillent comme domestiques, et sont donc « invisibles ».
A côté de ces causes dues aux besoins des familles ou tout du
moins à leur tradition, des causes tout à fait extérieures
à la sphère familiale jouent également un rôle
important dans la pérennité du travail des enfants.
Paragraphe II : Les causes
extérieures aux besoins des familles
Un des facteurs du travail des enfants, et sans doute l'un des
principaux, est l'échec de la scolarisation universelle. L'UNICEF estime
qu'aujourd'hui plus de 130 millions d'enfants ne sont pas scolarisés,
chiffre qui atteindrait même les 404 millions si l'on inclut tous les
enfants de moins de 18 ans. Il est très aisé de faire le lien
entre ce chiffre et celui des enfants au travail. Parmi les 250 millions
d'enfants actifs dans le monde, le Bureau International du Travail
évalue à 120 millions le nombre de ceux qui travaillent à
temps plein et donc ayant des horaires de travail incompatibles avec une
quelconque possibilité d'études : 38% travaillent plus de 40
heures par semaine et 13% au moins 56 heures. De plus, pour les enfants qui ne
travaillent pas encore, les déficiences quantitatives et qualitatives
des infrastructures éducatives, les empêchent d'avoir une
éducation digne de ce nom. Par conséquent, les parents
préfèrent envoyer leurs enfants dans les champs, par exemple,
plutôt qu'à l'école où ce qu'on leur apprendra ne
leur sera d'aucune utilité. Cependant, il ne faut pas accuser ces
parents de ne pas vouloir envoyer leurs enfants à l'école, mais
comprendre que deux raisons essentielles les poussent à agir
ainsi : tout d'abord, les frais scolaires sont très
élevés pour une famille pauvre et enfin, pendant qu'il est
à l'école, l'enfant ne travaille pas et donc ne contribue pas aux
revenus du ménage. En effet, l'enseignement public, soi-disant gratuit,
représente en général un très lourd investissement
pour une famille pauvre qui doit prendre à sa charge les livres,
uniformes et autres fournitures scolaires, frais de transport, voire parfois
verser de l'argent aux enseignants. Cela explique également que beaucoup
d'enfants soient obligés de travailler pour payer leurs frais de
scolarité, or tout le monde s'accorde à dire qu'après une
journée de travail, un enfant n'est pas dans les meilleures conditions,
pour tirer tous les bénéfices de l'enseignement qu'il
reçoit.
De plus, beaucoup d'enfants n'ont pas accès à
l'éducation, tout simplement car ils ne disposent pas d'une école
à proximité de leur habitation. Nous verrons
ultérieurement que la lutte contre le travail des enfants doit
impérativement passer d'abord par un effort considérable en
matière d'éducation dans les pays en développement. Ce
n'est qu'en proposant une éducation accessible à tous,
géographiquement et financièrement, et permettant aux enfants
d'envisager une amélioration de leur situation, que le travail des
enfants reculera.
Pour bien comprendre l'ampleur du travail des enfants, il faut
également avoir à l'esprit que la main-d'oeuvre enfantine est
très demandée et recherchée par les employeurs. Les
raisons en sont très simples, ce sont des raisons économiques. On
considère en effet que les employeurs recourent à cette
main-d'oeuvre, malgré les interdictions, parce qu'elle leur coûte
moins cher que la main d'oeuvre adulte. En effet, dans beaucoup de cas, les
travailleurs enfants ne coûtent absolument rien ou presque, et ce
notamment dans les entreprises de petite taille, qui sont, rappelons-le les
plus grands employeurs de main-d'oeuvre enfantine. Or, la viabilité
économique de ce type d'entreprise dépend souvent de cette
main-d'oeuvre non rémunérée. Des considérations de
coût entrent également en jeu dans le cas des petits
établissements non déclarés et financièrement
précaires que l'on rencontre en masse dans le secteur informel des pays
en développement. Sous le prétexte, que les employeurs leur
donnent la possibilité d'apprendre les rudiments d'un métier, la
paie des enfants se réduit souvent à un peu d'argent de poche
consenti de temps à autre par l'employeur. Dans les services
domestiques, le toit et le couvert sont fréquemment la seule
rétribution du travail effectué par les enfants, et cela quand
les employeurs ne sont pas trop sévères, car souvent les enfants
ont à peine à manger et dorment dehors. Il en va de même
pour les enfants qui travaillent pour rembourser la dette des parents, dans le
cadre de la servitude pour dettes, et qui ne sont donc pas payés car
leur salaire est censé rembourser la dette, ce qui est rarement le cas.
Que les enfants soient moins bien payés que les adultes est vrai dans la
plupart des cas, mais souvent cela sert d'excuse aux employeurs qui invoquent
que le surcoût occasionné par l'emploi d'adultes à la place
des enfants empêcherait leur entreprise d'être compétitive.
On prétend souvent que les enfants sont irremplaçables dans
certaines industries d'exportation qui cesseraient d'être
compétitives si elles se voyaient privées de la
possibilité de la main-d'oeuvre enfantine ; ce fut notamment
l'argument invoqué par les fabricants de tapis tissés à la
main en Inde. Cependant, une étude menée par le Bureau
International du Travail a montré que pour ces industries, le travail
des enfants n'était pas indispensable à la survie
économique de cette industrie, car le surcoût de l'emploi
d'adultes était étonnamment modeste en proportion du prix auquel
les tapis sont vendus dans les pays importateurs : entre 5 et 10% du
prix39(*). Dans ces
conditions, on peut se demander pourquoi les employeurs continuent à
employer cette main-d'oeuvre enfantine, d'autant que les campagnes de
boycottage des produits fabriqués par des enfants se multiplient et font
baisser les ventes de ces employeurs. La raison en est simple, dans l'industrie
du tapis, les bénéficiaires directs sont les propriétaires
de métiers, qui sont eux-mêmes pauvres et travaillent avec des
marges bénéficiaires très faibles, donc en employant des
enfants, ils peuvent doubler leurs revenus. Enfin, au delà du versant
économique du travail, il existe un versant psychologique important,
expliquant le recours à cette main-d'oeuvre : les enfants sont
moins conscients que les adultes de leurs droits, ils font moins d'histoires,
sont plus disciplinés, s'absentent moins et surtout ils acceptent plus
facilement un emploi dur sans se plaindre. Leur activité étant le
plus souvent illégale, ils ne risquent pas en plus d'aller se plaindre
aux autorités ou de s'affilier à un syndicat. La main-d'oeuvre
enfantine est donc très malléable et on peut donc l'exploiter
plus facilement, car elle ne se plaint pas. Un autre argument utilisé
par les employeurs serait que les enfants seraient irremplaçables du
fait de leurs « doigts de fée » : par exemple,
on dit souvent que seuls les enfants, qui ont les doigts très fins,
seraient capables de nouer des tapis avec une forte densité de points.
Or , et cela n'est plus à démontrer désormais, certains
des plus beaux tapis sont fabriqués par des adultes, donc si on peut se
passer de la dextérité des enfants pour tisser les tapis, on voit
mal dans quelles activités leurs doigts de fées seraient
indispensables ! De plus, la plupart du temps, les enfants sont
employés à des tâches telles que la manutention ou
l'emballage dans l'industrie, tâches qu'un adulte peu tout à fait
accomplir aussi bien. Cet argument de la dextérité enfantine
n'est donc plus désormais un argument valable, pour pouvoir excuser le
comportement d'employeurs peu scrupuleux, désireux tout simplement de
faire un maximum de profits sur le dos des enfants, sans se soucier des
conséquences sur la santé de ceux-ci.
Enfin, la dernière cause majeure de travail des
enfants, est l'épidémie de sida qui sévit depuis plusieurs
années en Afrique et en Asie. Avec près de 30 millions d'adultes
et d'enfants infectés par le VIH en 2000, l'Afrique sub-saharienne
constitue en effet la région la plus durement touchée. Cette
région enregistre à elle seule 50% des 8 500 infections nouvelles
qui surviennent chaque jour dans le monde. Le VIH ne se limite plus aux villes
mais se répand maintenant à une vitesse alarmante dans les zones
rurales et elle touche la population paysanne, en particulier les personnes les
plus productives c'est à dire celles âgées de 15 à
45 ans. Par conséquent un grand nombre de chefs de familles sont morts
du sida, et les familles s'enfoncent de plus en plus dans la pauvreté et
les responsabilités sont de plus en plus lourdes pour les survivants,
particulièrement les enfants. Interrogé sur le travail des
enfants dans les plantations de thé de Tanzanie, M. Norman Kelly,
Directeur général de la plantation Brooke Bond, répond :
"La main-d'oeuvre adulte diminue rapidement en raison de la forte incidence du
VIH/sida parmi les travailleurs."40(*) Une étude réalisée par l'UNICEF
dans six pays de l'Afrique de l'Est et d'Afrique australe constate que "le
VIH/sida démantèle les familles et augmente les
possibilités d'exploitation des enfants par le travail... Juste à
l'âge où les enfants devraient aller à l'école,
leurs lourdes et nouvelles responsabilités de chefs de familles les
forcent à abandonner leur scolarité". Cette cause de travail des
enfants, ne peut malheureusement pas être combattue par les conventions
internationales, mais par un immense travail de prévention des risques
du sida en Afrique et en Asie, travail colossal difficilement
réalisable.
Conscients de ces causes multiples et de son impuissance
à les combattre rapidement, la communauté internationale a alors
décidé d'édicter une convention destinée à
lutter prioritairement contre les pires formes de travail des enfants.
SECTION II :
LA CREATION DE NORMES CONTRE LES « PIRES FORMES DE TRAVAIL
DES ENFANTS »
Adoptée en 1999, la Convention n°182 sur les pires
formes de travail des enfants, intervient après l'adoption d'autres
normes internationales plus complètes et plus générales.
On peut donc s'interroger sur l'intérêt de cette nouvelle
convention ( Paragraphe I ), avant de voir précisément son
apport au système juridique déjà existant ( Paragraphe II
).
Paragraphe I : Pourquoi une nouvelle
convention plus restreinte ?
Les normes internationales déjà existantes,
telles que les conventions sur le travail forcé ou sur l'âge
minimum, ainsi que la convention internationale relative aux droits de
l'enfant, n'ont pas pu empêcher la mise au travail de millions d'enfants
depuis leurs entrées en vigueur. En effet, ces conventions ne sont pas
concrètement applicables en raison des causes que nous venons
d'énoncer, car elles ne prennent pas réellement celles-ci en
considération. Pour indispensables qu'elles sont, les lois n'ont pas
réussi à éliminer le travail des enfants. Partout dans le
monde, non seulement les interdictions sont violées, mais même les
lois qui n'ont pour ambition que de réglementer certains travaux, sans
les interdire, ne sont pas respectées. L'élimination du travail
des enfants passe-t-elle donc par une interdiction en bloc, ou par une approche
plus pragmatique ? La communauté internationale, semble avoir
opté pour la deuxième possibilité, en décidant de
s'attaquer, pour commencer, aux « pires formes du travail des
enfants » . Pour ce faire, elle a adopté une nouvelle norme,
ayant un champ d'application moins large que les conventions que nous avons
vues précédemment. Le but est tout simplement de commencer par
éradiquer les formes les plus intolérables de travail des
enfants, et ensuite seulement quand toutes les conditions pour le faire seront
réunies, d'éliminer le plus complètement possible le
travail des enfants, c'est à dire dans ses formes
« tolérables ».
Il a donc fallu, avant même d'édicter une
convention visant à éradiquer les formes les plus
intolérables de travail des enfants, se mettre d'accord sur cette notion
de formes intolérables. Un débat essentiel vit alors le
jour : comment définir la frontière entre
l'« intolérable » et le
« tolérable » ? Ce débat vit s'opposer
d'un côté, les abolitionnistes du travail des enfants, notamment
les syndicats de la Confédération internationale des syndicats
libres , qui affirment que la place de l'enfant est à l'école et
non au travail, quel que soit le travail, et de l'autre côté les
non-abolitionnistes, constitués essentiellement d'Organisations non
gouverne-mentales agissant sur le terrain et qui se voulaient réalistes,
en estimant impossible de proposer une alternative à court terme
à tous les enfants travailleurs du monde. On a donc retrouvé
à cette occasion, le débat qui existait en France à la fin
du XIXème siècle entre la nécessité de supprimer ou
d'encadrer le travail des enfants pauvres. Or, à cette époque, la
vision abolitionniste a fini par triompher, grâce à la
scolarisation de tous les enfants et à une protection des plus pauvres.
Cependant, aujourd'hui, le débat est inévitable pour les pays en
développement car il est en effet difficile de supprimer du jour au
lendemain le travail des enfants si les besoins primaires de ceux-ci ne sont
pas couverts, ou si des infrastructures essentielles manquent, telles que des
écoles. Mais cela ne doit cependant pas empêcher de
développer une vision à long terme : sur cette question, les
abolitionnistes et les anti-abolitionnistes se rejoignent au moins sur le
diagnostic, à savoir que pour mettre fin à l'activité des
enfants, il ne suffira pas d'une réglementation du travail, mais qu'il
faudra engager de vraies réformes pour éliminer la
pauvreté absolue.
Néanmoins, on peut se demander s'il ne s'agit pas
là d'une renonciation de la communauté internationale, qui devant
l'ampleur du travail des enfants, baisse en quelque sorte les bras, et se
contente de s'attaquer au plus grave et donc au plus choquant pour l'opinion
publique. En effet, il est difficilement imaginable qu'on laisse
délibérément des enfants au travail, alors que l'on en
sauve certains autres, sous prétexte que leur travail serait plus
tolérable. Cependant, ce n'est pas dans ces termes qu'il faut envisager
la situation du travail des enfants : il est évident que tous les
enfants travailleurs doivent être arrachés à leur travail
pour accéder à une éducation de qualité, mais
malheureusement, en l'état actuel du développement de certains
pays, cet objectif est inaccessible. Par conséquent, et cela me semble
être la meilleure approche possible, la communauté internationale
et notamment l'Organisation internationale du travail a décidé
de faire en quelque sorte « avec les moyens du bord » et de
s'attaquer d'abord aux atteintes les plus graves envers les enfants. Une fois
cet objectif accompli, et ces enfants sauvés de l'exploitation, la
communauté internationale se devra d'apporter toute l'aide
nécessaire aux pays en développement, pour que ceux-ci puissent
proposer des alternatives solides aux enfants et aux parents pauvres, afin
d'empêcher ceux-ci de devoir recourir au travail de leurs enfants.
Dans son rapport sur la situation des enfants dans le monde
en 1997, l'UNICEF tenait déjà ce discours : l'UNICEF voulait
combattre le mythe selon lequel le travail des enfants ne serait jamais
éliminé tant que la pauvreté subsisterait. Pour cette
organisation, même s'il est tentant de conclure que le travail des
enfants et la pauvreté sont inséparables, et que les appels en
faveur de l'élimination immédiate des formes les plus dangereuses
du travail des enfants sont utopiques, il ne faut surtout pas oublier que
l'exploitation de ces enfants bénéficie aux employeurs pour qui
elle est une source de profit supplémentaire. C'est pourquoi, l'emploi
des enfants à des travaux dangereux pouvait et devait être
éliminé indépendamment de mesures plus vastes visant
à limiter la pauvreté. De toute façon, si aujourd'hui la
communauté internationale veut être crédible dans son
discours, elle ne peut exiger de ces pays qu'ils mettent effectivement en
oeuvre, les lois interdisant le travail des enfants. En effet, la situation
engendrée par cette exigence serait alors pire que la situation
actuelle : les familles ne peuvent souvent pas se passer du revenu
généré par le travail de leurs enfants, donc les enfants
continueront à travailler mais encore plus clandestinement encore
qu'aujourd'hui et donc dans des conditions encore plus précaires, et
seront encore plus difficilement protégeables car inaccessibles.
De plus, on ne peut pas imposer à ces populations
pauvres de ne pas faire travailler leurs enfants car ils n'ont aucune autre
alternative pour eux : ces enfants n'ont pas accès à
l'école, soit car elle est trop chère, soit tout simplement car
il n'existe pas d'école à proximité de leur habitation.
Par conséquent, non seulement ces enfants ne seront pas
éduqués, mais en plus ils ne seront pas formés à
travailler la terre qu'ils devront plus tard cultiver, et les filles ne sauront
pas tenir le foyer, comme elles devront le faire quand elles seront
mariées. De plus, des expériences ont déjà
été faites, de fermeture pure et simple d'usines employant des
enfants illégalement, et les résultats furent plus que
décevants : les enfants qui travaillaient dans ces usines ont bien
évidemment cessés d'y travailler, mais ayant été
jetés à la rue sans reclassement, ils ont tous trouvé un
autre emploi encore plus dur et moins bien payé. Il est donc totalement
inutile, de vouloir appliquer strictement les conventions internationales, sous
peine de voir la situation de ces enfants devenir encore plus difficile,
malgré toutes les bonnes intentions dont font preuve ces conventions.
Il paraît donc préférable aujourd'hui de s'attaquer aux
formes les plus graves de travail des enfants en priorité, et de mettre
parallèlement en place dans ces pays en développement, des
structures capables d'accueillir et de former ces enfants.
Cependant, on peut également s'interroger sur la
nécessité d'adopter une nouvelle convention, alors que les
conventions internationales en vigueur en matière d'interdiction de
travail des enfants, ne sont pas appliquées par les pays signataires. En
effet, la convention n° 138 que nous avons étudiée
précédemment est la norme internationale en ce qui concerne le
travail des enfants, mais elle est peu ratifiée par les pays en
développement, et surtout elle n'est pas appliquée. Donc,
pourquoi, édicter une nouvelle norme internationale, alors qu'il
suffirait de faire appliquer celle déjà existante ? La
raison est pourtant simple : le but ultime de la convention n° 138
est l'abolition complète du travail des enfants, mais il est aujourd'hui
largement admis que ce processus prendra du temps et que les enfants
travaillant dans des conditions extrêmes ne peuvent attendre, que soient
résolus les problèmes de développement à long
terme. Cette nécessité a incité l'adoption de normes
nouvelles concernant les pires formes de travail des enfants, afin d'assurer
que ces formes soient la priorité de toute action nationale et
internationale. De plus, une mobilisation en faveur de normes nouvelles
permettra par ailleurs de maintenir l'élan nécessaire à
l'action. Le fait de se concentrer sur les pires formes de travail des enfants
a comme avantage supplémentaire que les politiques conçues pour
traiter la question des enfants les plus démunis, sont susceptibles de
profiter aux autres enfants qui travaillent, et que l'attention portée
aux exemples les plus répugnants sous l'angle social peut contribuer
à maintenir l'engagement et le consensus social nécessaire
à l'abolition totale du travail des enfants. En même temps, la
convention n°138 reste la base de toute action nationale et internationale
en faveur de l'abolition complète du travail des enfants, et la
recommandation n° 146 qui l'accompagne, fournit les lignes directrices
complètes pour l'élimination de ce travail et pour l'adoption de
politiques nationales qui répondent aux besoins des enfants et de leurs
familles.
Paragraphe II
: L'apport de la
Convention n°182
Vingt ans après avoir adopté la convention
n°138, de portée générale, le Bureau international du
travail change donc de stratégie, en estimant qu'il serait
irréaliste de vouloir agir sur tous les fronts à fois. Il lui a
donc semblé préférable d'offrir une certaine marge de
manoeuvre aux Etats, en leur proposant de ne traiter dans l'immédiat
qu'une partie du travail des enfants ; néanmoins, le pari du Bureau
international du travail est d'ouvrir ainsi la voie à un processus
d'élimination touchant à terme toutes les formes du travail.
Cette convention fut discutée pendant la
Conférence internationale du Travail en juin 199841(*), et les grandes questions qui
y furent débattues concernaient essentiellement l'obligation de
l'élimination « immédiate » des pires formes
de travail des enfants, la définition de ces formes, et le rôle
des organisations non gouvernementales et des autres groupes concernés
par la convention. Le texte du projet de cette convention examinée
pendant la conférence utilisait l'expression « formes
extrêmes de travail des enfants », mais les membres
travailleurs ont suggéré de remplacer le terme
« extrêmes » par le terme
« pires » estimant que celui ci serait plus
compréhensible pour le grand public et traduirait l'idée que
certaines formes de travail des enfants sont pires que d'autres. D'autres
délégués estimaient quant à eux que le terme
« pires » était trop vague et que la mention
« extrêmes » offrirait une base plus solide pour
opérer des jugements et veiller à ce que tous les travaux
revêtant un caractère extrême soit repris. La
Conférence a convenu finalement de retenir l'expression « des
pires formes de travail des enfants », et de définir sa
signification et son contexte dans la Convention. Les membres de la
Conférence, durent ensuite se mettre d'accord sur la forme que devait
revêtir ce projet ; ils ont décidé qu'il y aurait une
convention assortie d'une recommandation qui compléteraient les
instruments de base de l'OIT en matière de travail des enfants, à
savoir la convention et la recommandation sur l'âge minimum de 1973. De
nombreuses interventions ont mis l'accent sur la nécessité
d'adopter une convention brève, précise et comportant des
principes de base susceptibles d'être ratifiés et effectivement
appliqués dans les pays tant développés qu'en
développement. Compte tenu de la gravité du problème, et
de l'urgence à intervenir, une préférence marquée a
été exprimée pour une convention juridiquement
contraignante et une recommandation complémentaire qui pourrait
faciliter la mise en oeuvre de la convention et offrir des lignes directrices
plus détaillées quant aux mesures pratiques.
La Conférence a pris également des
décisions importantes en ce qui concerne la définition des pires
formes de travail, formulée de manière à inclure toutes
les formes d'esclavage des enfants, d'utilisation des enfants aux fins de
prostitution ou d'activités illicites, et les travaux dangereux qui
mettent en péril la santé, la sécurité et la
moralité des enfants. La mention d'activités illicites a
été préférée à celle
d'activités illégales, afin de s'aligner sur les traités
des Nations Unies sur les stupéfiants42(*). De plus, malgré la volonté de
centaines d'organisations de travailleurs et de certains gouvernements, la
convention ne cite pas de types spécifiques de travail dangereux et
n'intègre pas dans la convention de critères spécifiques
permettant de déterminer les travaux dangereux. En effet, si la liste de
la convention était trop précise, elle pourrait être
limitative et rapidement dépassée, ou ne pas tenir compte de
manière suffisante des niveaux différents de technologie et de
pratiques en matière de sécurité dans les divers pays. Par
là même, son efficacité pourrait alors être
menacée, du fait d'un excès de zèle de ses
rédacteurs.
La Conférence de 1998 a conclu que des consultations
devraient avoir lieu avec les organisations d'employeurs et de travailleurs en
vue de mieux spécifier les travaux dangereux au niveau national et de
définir et mettre en oeuvre les programmes d'action que la convention
réclame.
La Conférence générale de l'Organisation
internationale du Travail a donc adopté le 17 juin 1999 la convention
n°182 sur les pires formes de travail des enfants. Elle y rappelle en
préambule, « la nécessité d'adopter de nouveaux
instruments visant l'interdiction et l'élimination des pires formes de
travail des enfants », et que l'élimination effective des
pires formes du travail des enfants exige une action d'ensemble
immédiate. On voit dès le préambule, que cette convention
ne prétend pas être une solution miracle au problème du
travail des enfants, car celui-ci est « pour une large part
provoqué par la pauvreté et que la solution à long terme
réside dans la croissance économique soutenue menant au
progrès social, et en particulier à l'atténuation de la
pauvreté et à l'éducation universelle » mais
néanmoins, elle servira à définir les formes
intolérables du travail des enfants qui devront être interdites
immédiatement43(*).
Comme pour les autres conventions internationales, le terme d'enfant
s'appliquera à toute personne âgée de moins de 18 ans et la
convention doit leur être appliquée même si la
législation nationale prévoit que l'enfance se termine plus
tôt. L'article 3 énumère les différentes formes
intolérables de travail des enfants, à savoir :
« toutes les formes d'esclavage(...), telles que la servitude pour
dettes et le travail forcé ; l'utilisation, le recrutement ou
l'offre d'un enfant à des fins de prostitution (...)ou
d'activités illicites, notamment la production ou le trafic de
stupéfiants ( ...) ; et enfin les travaux qui par leur nature,
ou les conditions dans lesquelles ils s'exercent, sont susceptibles de nuire
à la santé, à la sécurité ou à la
moralité de l'enfant ». Cette dernière forme
intolérable de travail, étant une notion assez vague, devra
être définie précisément par la législation
nationale. La Convention énumère donc certaines des pires formes
du travail des enfants en laissant au niveau national une certaine latitude
pour déterminer quels sont les dangers qui font qu'un travail
relève de la catégorie des pires formes.
Cette convention fut adoptée à
l'unanimité des 174 Etats membres de l'Organisation internationale du
Travail et est entrée en vigueur le 19 novembre 2000. La Recommandation
sur les pires formes du travail des enfants qui accompagne la Convention
exhorte les Etats membres à faire des pires formes de travail des
enfants énumérées dans la convention, des infractions
pénales et à prendre des sanctions pénales. Cette
recommandation définit les travaux dangereux comme « les
travaux qui exposent les enfants à des sévices physiques,
psychologiques ou sexuels ; les travaux qui s'effectuent sous terre, sous
l'eau, à des hauteurs dangereuses ou dans des espaces
confinés ; les travaux qui s'effectuent avec des machines, du
matériel ou des outils dangereux ou qui impliquent de manipuler ou
porter de lourdes charges ; les travaux qui s'effectuent dans un milieu
malsain pouvant, par exemple, exposer des enfants à des substances, des
agents ou des procédés dangereux, ou à des conditions de
température, de bruit ou de vibrations préjudiciables à
leur santé ; les travaux qui s'effectuent dans des conditions
particulièrement difficiles, par exemple pendant de longues heures, ou
la nuit, ou pour lesquels l'enfant est retenu de manière
injustifiée dans les locaux de l'employeur ».
Monsieur Somavia, Directeur général du Bureau
international du Travail, en se réjouissant de l'adoption de cette
convention, estimait qu'avec celle-ci, le Bureau « avait
désormais les moyens de faire de l'éradication urgente des pires
formes de travail des enfants une nouvelle cause mondiale » et que
« cette cause devrait désormais se traduire, non par des mots
mais par des actes, non par des discours mais par des politiques et des
lois ». En effet, cette convention n°182 sur les pires formes de
travail des enfants, est de force contraignante pour les Etats signataires,
mais pas la recommandation qui la complète. Or, on peut remarquer que
l'injonction faite aux Etats d'ériger les pires formes de travail des
enfants en infractions pénales et de prendre des sanctions
pénales à l'encontre de ceux qui s'en rendent coupables, ne se
trouve pas à l'intérieur de la convention qui elle laisse le
libre choix entre des sanctions pénales ou « le cas
échéant, d'autres sanctions »44(*), mais dans la recommandation.
Par conséquent, cette obligation très importante, et même
essentielle pour la mise en oeuvre effective d'une politique efficace de lutte
contre le travail des enfants, n'a pas vocation à être obligatoire
pour les Etats signataires ce que l'on peut déplorer.
Cette convention n° 182 vient donc compléter
l'arsenal juridique dont dispose la communauté internationale pour
lutter contre le travail des enfants, et notamment la convention n° 138
sur l'âge minimum. La convention n° 182 est axée sur une
partie du travail des enfants dont traitent la convention n° 138 et aussi,
dans une moindre mesure, la convention n° 29 sur le travail forcé,
ainsi que d'autres instruments internationaux visant l'abolition de l'esclavage
et des pratiques analogues, et sur la Convention des Nations Unies relative aux
droits de l'enfant. Cependant, elle va plus loin et est plus précise que
la convention n° 138 sur certains aspects : par exemple, elle est
plus spécifique quant aux types de travail des enfants qui sont
interdits pour les moins de 18 ans, en ce qu'elle énumère
explicitement, comme pires formes de travail des enfants, l'esclavage et le
recrutement ou l'offre d'enfants à des fins d'activités
illicites. De plus, contrairement à la convention n°138, le
convention n° 182 ne comporte pas d'exception pour certains secteurs de
l'activité économique. Par conséquent, les pires formes de
travail des enfants doivent être interdites et éliminées
dans tous les secteurs d'activité, ce qui est conforme au souhait de
traiter des types de travail qui sont intolérables pour tous les pays,
quel que soit leur niveau de développement et leur
spécificité de production. Enfin, cette nouvelle convention
diffère également de la convention n° 138 en ce qu'elle
exige l'élimination immédiate des pires formes de travail des
enfants dans des dispositions explicites axées sur des mesures
concrètes, notamment celles qui imposent la définition et la mise
en oeuvre de programmes d'action, de mesures de prévention, de retrait
des enfants aux pire formes de travail, de réadaptation et de
réintégration sociale, et en ce qu'elle demande que des mesures
soient prises pour instaurer une coopération et une aide internationale
dans le cadre de l'élimination des pires formes de travail des
enfants45(*).
Cependant, même si cette convention est beaucoup trop
récente, pour que l'on ait une idée de son application
concrète, il semble difficile de croire et d'espérer que ces
termes seront respectés à la lettre par des Etats qui ont
déjà signé des conventions internationales, mais qui n'ont
toujours pas les moyens de les appliquer. Il faut parallèlement à
cette convention, continuer à agir sur le terrain pour améliorer
la situation des enfants.
CHAPITRE II : LA RECHERCHE DE SOLUTIONS
PLUS CONCRETES ET D'ALTERNATIVES AU TRAVAIL DES ENFANTS
La communauté internationale s'est engagée
à éliminer rapidement le travail des enfants dans des conditions
dangereuses et, à plus long terme à éradiquer totalement
le fléau que constitue le travail des enfants. Cependant, il serait
totalement utopique, de penser pouvoir retirer les enfants purement et
simplement du travail qu'ils effectuent sans leur proposer des solutions de
remplacement. Le résultat serait alors complètement à
l'opposé de celui escompté et agrandirait considérablement
la misère de ces enfants.
Parmi ces solutions de remplacement tous les Etats se doivent
de fournir aux enfants ne travaillant pas une éducation de
qualité et accessible à tous ; c'est dans cet exigence
primordiale que réside sans doute la principale solution au
problème du travail des enfants, et c'est pour cela que favoriser
l'éducation est un point de départ indispensable à
l'éradication du travail des enfants ( Section I ). Cependant, la lutte
contre le travail des enfants doit se mener sur plusieurs fronts à la
fois pour être efficace. Il est indispensable d'obtenir un large
consensus au sein de l'opinion publique et de la communauté
concernée, pour que la situation de ces enfants évolue (
Section II ).
SECTION I : Favoriser
l'éducation : un point de départ indispensable
Pour que l'éducation soit une véritable solution
au problème du travail des enfants, il faut qu'elle soit offerte
à tous les enfants, y compris ceux qui sont actuellement au travail mais
ceux-ci sont la plupart du temps peu enclins à quitter leur travail
( Paragraphe I ), car ils estiment sans doute à juste titre que
l'éducation n'est pas appropriée à leurs attentes (
Paragraphe II ).
Paragraphe I : Réussir
à amener les enfants à l'école
Le bilan de « l'éducation pour
tous » réalisé en 2000 par l'UNICEF, évaluation
la plus complète jamais réalisée en matière de
développement de l'éducation, montre que le taux net
d'inscription à l'école primaire a augmenté dans les
années 90 dans toutes les régions du monde. Cependant, l'objectif
énoncé dans les conventions internationales, telles que la
Convention internationale relative aux droits de l'enfant, de l'accès
universel à l'éducation de base n'a pas été
atteint. Il subsiste en effet, près de 130 millions d'enfants qui ne
sont pas scolarisés ; ce chiffre serait même de 404 millions
si l'on considère l'ensemble des moins de dix huit ans. Grâce
à ces chiffres, il est assez facile de faire le lien entre le travail
des enfants et le non accès à l'éducation, puisque parmi
les 250 millions d'enfants qui travaillent, le BIT estime à 120 millions
le nombre de ceux qui travaillent à temps plein, et ne peuvent donc pas
bénéficier d'une scolarisation.
La mise en place d'une éducation de qualité dans
des pays où le travail des enfants est très
développé se heurte à un problème difficilement
compréhensible : les enfants ne souhaitent pas toujours aller
à l'école mais préfèrent au contraire continuer
à travailler. En effet, les enfants travailleurs eux-mêmes ne
montrent pas un grand enthousiasme à l'idée d'entrer dans un
système d'éducation qui, la plupart du temps, a
déjà déçu la majorité de ceux qui l'ont
fréquenté pendant une courte période. Ils dénoncent
les traitement inhumains et dégradants dont sont victimes beaucoup
d'enfants travailleurs pendant les heures d'école, et surtout
l'inadaptation de l'école. Ils veulent bien apprendre à lire et
à écrire mais ils ne demandent pas pour autant que l'école
soit l'activité principale de l'enfance. Dans une étude
menée auprès des enfants des rues au Brésil et au Paraguay
une partie non négligeable des enfants interrogés ont dit
préférer continuer à travailler plutôt que de
retourner à l'école. Ayant connu la dangereuse liberté de
la rue, ces enfants sont en effet les moins susceptibles de se couler à
nouveau dans le cadre d'une école traditionnelle. Il devient alors
d'autant plus difficile de répondre à leurs besoins
éducatifs. De toute façon, que ce soit par choix ou par
obligation financière, des millions d'enfants ne peuvent pas quitter
leur travail : il faut donc que ce soit l'école qui vienne à
eux pour qu'ils puissent profiter de ses bienfaits.
Presque toutes les tentatives faites pour apporter
l'éducation aux enfants qui travaillent ont été
menées dans le cadre de programmes indépendants du système
éducatif. L'un des programmes les plus connus est sans doute le
programme du Comité rural pour le développement rural du
Bangladesh ( BRAC )qui s'occupe d'enfants de 8 à 14 ans. Ce programme
reconnaît que la majorité des enfants qui le fréquente
consacrent une grande partie de leur journée à travailler dans
leur foyer ou dans les champs : par conséquent la journée
scolaire ne dépasse pas deux heures et demi. De plus, il est
impératif que ce type de structure tienne compte des rythmes journaliers
et saisonniers de la vie, tels que les périodes de récoltes. Ces
établissements sont installés près des habitations des
élèves leur évitant des trajets trop loin après des
journées de travail parfois bien fatigantes. L'éloignement des
écoles voir leur absence dans de larges zones géographiques est
aussi une des causes de leur non fréquentation par les populations
rurales. Enfin, et c'est là un point essentiel, car c'est le reproche le
plus courant fait à l'école dans les pays en
développement, l'enseignement insiste sur les compétences
pratiques correspondant à l'environnement de l'enfant. Les
résultats de ce programme sont excellents puisque plus de 95% des
élèves achèvent le cycle de trois ans et la plupart du
temps continuent à l'école primaire classique. Il existe environ
3 000 écoles du BRAC offrant un accès à l'éducation
de base à près d'un million d'enfants bangladais, dans les
campagnes ou dans les villes.
Une autre solution pour faciliter l'accès à
l'éducation des enfants au travail est d'amener directement
l'éducation aux enfants. L'idée des « éducateurs
de rue » est aujourd'hui développée partout dans le
monde. Elle a vu le jour en Amérique latine où des
éducateurs ont pris contact avec les enfants des rues afin de les aider
à retourner à l'école. Ces programmes se sont ensuite
développés à travers le monde sous le nom d'
« écoles des rues » ou d'
« écoles mobiles » ou de « retour à
l'école », et ont touché plus de 60 000 enfants aux
Philippines. Les éducateurs utilisent la pédagogie du souhait
pour permettre aux enfants de dresser des plans d'avenir. Les enfants
apprennent donc à lire et à écrire mais ils peuvent
travailler en même temps ou faire une formation professionnelle. De plus,
un aspect non négligeable de ces écoles des rues est qu'elles
permettent un certain encadrement de ces enfants, leur évitant parfois
de tomber dans les pièges qu'ils peuvent rencontrer tous les jours dans
la rue. Les éducateurs permettent également à ces enfants
d'accéder à certains soins médicaux, et fournissent des
abris et des repas réguliers, améliorant ainsi leur situation
sanitaire.
Le but suprême de l'éducation pour tous est
d'éradiquer à long terme le travail des enfants. En effet, la
démarche s'inscrit sur plusieurs générations : les
enfants retirés du travail et recevant une qualification, auraient un
travail moins pénible et mieux rétribué et ne seront donc
pas obligés, une fois adulte, d'envoyer leurs enfants travailler. Le
cercle vicieux de la pauvreté entraînant la pauvreté serait
alors brisé, au profit du cercle de l'instruction : les parents
ayant bénéficié des bienfaits d'une éducation de
base seront plus enclins à vouloir instruire leurs enfants. Cependant,
pour pouvoir mettre en oeuvre ces principes, très louables, on ne peut
pas se contenter de mettre en place ponctuellement des écoles des rues.
L'éducation non formelle, c'est à dire en dehors de structures
institutionnelles, même si elle a beaucoup d'avantages et d'excellents
résultats, ne doit pas faire oublier que c'est un système
institutionnel d'éducation de base très important que les pays en
développement doivent mettre en place le plus rapidement possible.
Une fois ce système mis en place, il faudra modifier
l'enseignement qui ne peut rester tel quel car il n'est pas en
adéquation avec les attentes des familles et des enfants. Il faut en
effet réussir à faire rester les enfants à l'école
grâce à des programmes attractifs et une facilité
d'accès accrue.
Paragraphe II
: Offrir aux enfants une éducation adaptée
Une des caractéristiques actuelles de
l'éducation dans les pays en développement est le temps
très court que passe les enfants à l'école. En effet,
même lorsque l'inscription à l'école primaire atteint des
niveaux honorables, on constate que de nombreux enfants abandonnent leurs
études : 150 millions d'enfants ont quitté l'école
avant d'avoir fini leur cinquième année d'études
primaires46(*). On peut
avancer deux causes à ce phénomène. Tout d'abord la
scolarité n'est pas gratuite et payer les livres et les repas de midi
représentent parfois un lourd sacrifice pour une famille pauvre,
d'autant que pendant qu'il est à l'école, l'enfant ne gagne pas
d'argent en travaillant. Une éducation de base visant à
éliminer le travail des enfants doit épargner ces dépenses
aux familles démunies. Il faut donc que les ressources
financières permettent de couvrir bien plus que le traitement des
enseignants, l'installation et l'entretien des bâtiments scolaires.
L'insuffisance chronique du financement de l'éducation de base dans les
pays en développement est un problème qui exige une solution, et
celle-ci est de la responsabilité du monde entier, notamment du fait du
lourd fardeau de la dette qui écrase tant de pays en
développement.
La dette du tiers-monde atteint aujourd'hui des sommets :
selon la Banque mondiale, la dette de l'Afrique subsaharienne était en
1996 de 227 milliards de dollars, celle de l'Asie du Sud de 152 milliards de
dollars. La dette de nombreux pays d'Afrique est deux à trois fois plus
élevée que leur produit national brut, et le remboursement de
celle-ci engloutit une grande partie de leur ressources. De plus, pendant ce
temps, l'aide publique au développement fournie par les pays riches a
considérablement réduit. L'ONU avait fixé pour objectif
que cette aide atteindrait 0.7% du produit national brut des pays
industrialisés du G7, mais en 1998, elle représentait 0.19%
seulement. Avec une dette énorme à rembourser et des ressources
qui n'augmentent pas, sans compter une population en constante augmentation,
les pays en développement ont de grandes difficultés à
faire de l'éducation une priorité nationale. En plus, de ces
difficultés financières, le Fonds monétaire international
a imposé à ces pays en développement des plans
d'assainissement financier qui imposent de comprimer fortement les
dépenses publiques . Il apparaît évident que si les pays
riches veulent tenir leurs engagements de lutte contre le travail des enfants,
ils vont devoir consentir des efforts d'ordre financier à l'encontre des
pays pauvres. En effet, ceux-ci ne pourront pas mettre en place un
système d'éducation de base gratuit et accessible à tous
sans cette aide.
Ensuite, beaucoup de zones rurales n'ont aucun système
scolaire et il faut alors un courage certain pour parcourir tous les jours des
kilomètres à pieds pour aller à l'école. Afin de
remédier à cette situation d'abandon scolaire, il faudrait qu'en
zone rurale l'école aille au-devant de l'enfant, par exemple en
créant de petites classes de plusieurs niveaux, pour scolariser les
enfants à des distances raisonnables de chez eux. Une école
accessible à tous les enfants d'une petite zone rurale inciterait, sans
aucun doute, les parents à envoyer leurs enfants en classe, notamment du
fait que l'enseignant pourrait faire pression sur eux et leur expliquer la
nécessité d'éduquer leurs enfants. Si beaucoup d'enfants
d'une même zone se retrouvent en classe, les enfants
délaissés pourront aussi demander à leurs parents de les
rejoindre.
Cependant, si l'on veut véritablement inciter les
enfants, et leurs parents, à profiter de l'école, il faut surtout
améliorer les programmes enseignés. En effet, pour que les
écoles attirent et retiennent les enfants, il faut que l' enseignement
soit jugé pertinent par les élèves et par leurs parents.
L'une des premières conditions de succès sera donc de lier les
leçons à la vie communautaire. Dans les endroits où la
plupart des enfants sont au travail, on ne saurait logiquement continuer
à enseigner comme s'ils ne travaillaient pas. Il faut faire savoir, par
la même occasion, quels types d'activités sont
particulièrement dangereux, favorisant ainsi une meilleure connaissance
de leurs droits en leur expliquant notamment les lois sur le travail des
enfants. On doit aussi leur donner les compétences pratiques pour la vie
courante. En effet, les programmes ne doivent surtout pas être rigides,
mais au contraire être centrés sur les attentes des enfants.
L'enseignement dispensé doit pouvoir être souple et s'adapter
à la catégorie de population à laquelle il s'adresse.
Néanmoins, quelque soit la région où il
est dispensé, l'enseignement doit permettre au minimum à tous les
enfants de savoir lire, écrire et compter. Les enfants des zones rurales
ne doivent pas être avoir des programmes privilégiant la
récitation, mais plutôt ceux donnant des solutions pratiques
à leurs problèmes quotidiens. Enfin et surtout, l'école
doit pouvoir s'adapter au rythme de vie communautaire. Les familles pauvres ont
besoin de toute la main-d'oeuvre disponible en temps de récoltes par
exemple, et il est impératif qu'elles puissent si elles le souhaitent
pouvoir compter sur l'aide de leurs enfants pendant ces périodes. Il
faut donc que l'emploi du temps scolaire puisse être modulé, en
fonction des régions et des périodes. En effet, une famille qui
ne peut demander à ses enfants une aide pendant les récoltes,
sera très réticente à les envoyer l'année
d'après à l'école.
Les écoles présentes en Afrique voient un taux
d'absentéisme scolaire très élevé en période
de récolte, mais il faut que cet absentéisme soit rendu possible
par l'école elle-même. C'est la stratégie adoptée
par l'Etat indien du Kerala où le travail des enfants est quasiment
inexistant et le taux d'alphabétisation de 91%.L'inscription à
l'école y est gratuite et un repas est offert à tous les
écoliers qui peuvent s'absenter facilement pendant les périodes
où les parents ont besoin d'aide47(*). Cependant, le succès de cette province n'est
pas du uniquement à ces souplesses, mais également à une
réelle volonté politique de favoriser l'enseignement.
En plus, de la gratuité, de la facilité
d'accès et de la souplesse, l'enseignement devra aussi, pour pouvoir se
développer convenablement, être pratiqué par des personnes
compétentes. En effet, la crise financière qui a frappé
l'éducation des pays en développement, a contribué
à dégrader la rémunération et la situation des
enseignants, surtout au niveau primaire qui est pourtant le plus important. De
ce fait, la qualité des professeurs qui rentrent dans le système
a baissé elle aussi : beaucoup d'enseignants ont dû
abandonner l'enseignement ou prendre un deuxième, voir un
troisième emploi. Il est évident que dans ces circonstances, de
nombreux enfants ne peuvent pas considérer l'école comme un lieu
qui élargira leur horizon et leur offrira de nouvelles
possibilités. Si même les professeurs sont obligés
d'exercer plusieurs professions, comment l'école pourrait-elle leur
offrir une éducation leur permettant d'obtenir un emploi stable ?
Il faut donc privilégier la formation et le salaire de ces enseignants
afin qu'ils puissent faire leur travail dans les meilleures conditions
possibles. De plus, il faudra remplacer des enseignants qui ont des
idées négatives envers les enfants pauvres, de basse caste ou qui
travaillent. En effet, ces enfants sont souvent victimes de
préjugés importants et peuvent subir de mauvais traitements
pendant l'école, ce qui ne peut que les inciter à la quitter. Il
faudrait donc favoriser l'emploi d'enseignants de la même
communauté que leurs élèves et les sensibiliser à
la situation des enfants. L'emploi d'enseignants jeunes, faisant partie de la
même communauté que celle de leurs élèves, ne
pourrait que prouver aux enfants que l'éducation permet une vie sociale
et économique plus prospère, et les inciter à profiter de
l'école.
Les ressources attribuées à l'éducation
doivent impérativement être trouvées rapidement, pour que
les objectifs de scolarisation universelle soient atteints. Les pays
industrialisés devront bien évidemment faire un effort
conséquent dans ce sens. Les institutions internationales et les banques
de développement doivent soutenir du mieux possible les efforts
nationaux visant à redonner la priorité absolue à
l'enseignement primaire. L'éducation de base pour tous est
réalisable, si on lui accorde la priorité exigée par la
Convention relative aux droits de l'enfant. Ce n'est pas seulement une question
de ressources, mais aussi de choix politiques. On estimait que la
dépense supplémentaire nécessaire pour que tous les
enfants puissent être scolarisés d'ici l'an 2000 était de
six milliards de dollars par an, soit moins de 1% de ce que le monde
dépense chaque année en armements.
Cependant, la clé de l'élimination du travail
des enfants ne réside pas uniquement dans le développement d'un
système d'éducation.
SECTION II
: L'importance de la mobilisation sociale dans la lutte contre le
travail des enfants
La mobilisation sociale a assurément un rôle
clé à jouer dans la lutte contre le travail des enfants dans le
monde. En effet, l'abolition de l'exploitation économique ne pourra se
faire sans un large consensus dans l'opinion mondiale. Néanmoins, cette
mobilisation, aussi sincère que soient ses motifs, peut parfois avoir
des effets pervers, notamment en matière de boycotts de produits
fabriqués par les produits ( Paragraphe I ). Elle demeure cependant, un
facteur essentiel pour faire évoluer la situation de ces enfants (
Paragraphe II ).
Paragraphe I : Le boycott des
produits issus du travail des enfants : une fausse solution
Le boycott des produits fabriqués par les enfants est
un indéniable outil de pression. L'engagement international et les
pressions qui l'accompagnent sont sans nul doute utiles. Cependant, les
sanctions ne touchent que les industries exportatrices qui n'exploitent,
contrairement à certaines idées reçues, qu'un pourcentage
relativement faible d'enfants. Les industries exportatrices sont le secteur le
plus visible dans lequel les enfants travaillent. Les ballons de football
fabriqués par les enfants au Pakistan pour être utilisés
par les enfants dans les pays industrialisés sont sans nul doute
emblématiques. Néanmoins, on ne doit pas oublier les dizaines de
millions d'enfants qui travaillent dans les secteurs non axés sur
l'exportation. En fait, seul un très petit pourcentage des enfants
travailleurs sont employés dans les industries d'exportation,
probablement moins de 5%. Néanmoins, le témoignage du petit Iqbal
Masih, ancien esclave pakistanais assassiné en 1995, avait
dévoilé le vrai visage de la fabrication de tapis au Pakistan. Le
résultat avait été immédiat : le chiffre
d'affaire de l'exportation des tapis au Pakistan a chuté
vertigineusement. Pour ce cas, l'effet du boycott avait été
très intéressant, puisque sous la pression internationale, et
surtout de la chute du chiffre d'affaire, l'Association des fabricants et
exportateurs de tapis du pays a consenti à signer en 1998 un accord avec
le BIT, concernant le retrait de 8 000 enfants du travail.
Bien sûr, il ne s'agit pas de dire « achetons
français » ou « surtout n'achetons pas dès
que l'on voit made in China ou made in Bangladesh ». Il ne s'agit pas
de boycotter des produits chinois pour sanctionner une deuxième fois des
ouvriers chinois qui, non seulement n'ont pas de liberté sur le lieu de
travail, mais qui en plus perdraient leur emploi parce qu'ils n'auraient plus
de débouchés.
Le boycott est en effet une arme à double tranchant
qu'il faut utiliser avec beaucoup de prudence. Les conséquences à
long terme de ces sanctions ne sont pas toujours prévisibles et on
risque alors de faire plus de mal que de bien aux enfants. L'histoire du projet
de loi Harkin est tout à fait révélatrice des dangers du
boycott. Ce projet, présenté au Congrès américain
en 1992, dont le but était d'interdire l'importation de produits
fabriqués par les enfants de moins de 15 ans, avait provoqué une
véritable panique dans l'industrie du vêtement au Bangladesh qui
exporte 60% de sa production vers les Etats Unis. Avant même l'adoption
de ce texte, les usines ont renvoyé du jour au lendemain les 500 000
enfants travailleurs, qui étaient pour la plupart de jeunes filles. Une
étude parrainée par des organisations internationales a
recherché certains de ces enfants pour apprendre ce qui leur
était arrivé après leur licenciement : une grande
partie d'entre eux se livraient à d'autres activités souvent plus
dangereuses et moins bien payées, voire à la prostitution. Ce
projet est l'illustration parfaite des bonnes intentions de la
communauté internationale qui peuvent faire beaucoup plus de mal aux
enfants que de bien. Il faut comprendre de cet exemple qu'en raison du danger
potentiel que contient toute sanction, il convient à chaque fois d'en
évaluer les effets à court terme et à long terme sur la
vie des enfants.
Il semble plus approprié, et moins dangereux, de
conclure avec les entreprises des chartes de bonne conduite. Des campagnes,
allant dans ce sens ont vu le jour au milieu des années quatre vingt dix
en Europe, à l'initiative d'organisations de consommateurs, de syndicats
et d'organisations non gouvernementales (ONG). Ces campagnes,
dénommées « De l'éthique sur
l'étiquette » en France, préfèrent au boycott,
l'interpellation publique des marques pour qu'elles adoptent un code de
conduite, assorti de contrôles indépendants, ce qui implique
nécessairement la fin des relations avec les sous-traitants qui violent
les droits sociaux. En rapport avec ces campagnes, des sondages ont
montré que les consommateurs étaient prêts à payer
un éventuel surcoût pour éviter le travail des enfants.
Cependant, ce n'est pas obligatoirement aux consommateurs de payer plus cher,
mais aux intermédiaires de gagner un peu moins. Si on étudie la
composition du prix de revient d'une chaussure de sport Nike par exemple vendue
53 euros, le prix de la main-d'oeuvre s'établit à 1.72% soit 1
euro. Par contre les frais de publicité représente 4.58% soit 2.5
euros et la part du détaillant à 39.88% soit 21 euros48(*). On voit donc qu'en
réduisant ne serait-ce que du tiers la part publicité, et en
reversant ce tiers sous forme de salaires, on doublerait le salaire
versé.
Cependant, même si beaucoup d'entreprises ont compris
l'intérêt d'une telle charte pour leur image, elles n'ont pas
toutes accepté les mêmes règles. Certaines ont
adopté un code rédigé par les ONG, mais d'autres ont
opté pour des chartes internes soupçonnés par les ONG de
partialité et dont les contrôles comportent parfois d'importantes
lacunes. Le BIT a analysé 215 codes de conduite et seulement la
moitié abordait le travail des enfants, et un quart le travail
forcé. De plus l'adoption d'un code de conduite ne garantit aucunement
son application effective. L'engagement public des entreprises est donc encore
lacunaire et c'est pour cette raison que les ONG ont crée les labels
sociaux.
Les labels sociaux constituent des circuits alternatifs de
consommation : les ONG sélectionnent des produits fabriqués
dans des conditions respectueuses de droits sociaux et achetés à
des petits producteurs du tiers monde à un prix raisonnable, qui leur
permet de sortir de la pauvreté. Le but est d'inverser le commerce
actuel fondé sur l'exploitation du tiers monde, pour établir des
relations de commerce équitable visant à soutenir son
développement. Ces produits sont ensuite commercialisés dans les
pays riches sous des labels spécifiques. Ce type de politique est en
train de se répandre à travers le monde. La fondation Abrinq,
groupe de près de 2 000 homes d'affaires et fabricants de jouets qui
s'est constituée en 1990 pour défendre les droits de l'enfant,
décerne un label spécial « ami des enfants »
aux sociétés qui prouvent qu'à aucune étape de la
production n'ont eu recours au travail des enfants. Au cours des dix premiers
mois du programme, 150 sociétés ont mérité
l'approbation de l'Abrinq. Mr Magri, coordonnateur du programme d'octroi du
label s'étonne lui-même du succès de ce label :
« Nous n'espérions pas qu'en si peu de temps, les
sociétés non seulement accepteraient de ne pas employer de
main-d'oeuvre enfantine, mais exerceraient également des pressions sur
leurs fournisseurs pour qu'ils en fassent de même ».
Désormais certaines multinationales ont mis au point
des stratégies pour améliorer les pratiques d'emploi au niveau
local, revendiquant dans certains cas le droit d'annuler, sans
indemnité, des commandes réalisées avec de la
main-d'oeuvre enfantine. La question du travail des enfants devient donc
incontournable pour les industries faisant commerce avec les pays en
développement.
C'est au plan international qu'on a le plus de chances
d'influencer le comportement de ces entreprises. Un débat fait
actuellement rage sur l'opportunité d'intégrer dans les
règles de l'Organisation mondiale du commerce une clause sociale fixant
les normes minimales de comportement pour ouvrir aux entreprises le droit de
faire des affaires à l'échelle mondiale. Au nombre des conditions
figurerait l'interdiction d'employer des enfants. Cependant, il ne faut pas que
cette clause sociale engendre les mêmes effets pervers que le boycott.
Les enfants ne doivent pas avoir à pâtir des bonnes
volontés des pays riches. Il faut donc que ces clauses sociales soient
généralisées, mais que de véritables alternatives
soient proposées aux familles et aux enfants pour que le travail des
enfants puisse disparaître un jour. Néanmoins, ces sanctions ou
ces incitations, même si elles ne s'attaquent pas à la cause
essentielle du travail des enfants qu'est la pauvreté, sont
dirigées contre les entrepreneurs bénéficiant de
l'exploitation économique des enfants. Elles ont donc l'avantage de
s'attaquer à une des causes principales du travail des enfants : la
recherche de profits toujours plus grands de la part d'entrepreneurs peu
scrupuleux.
Cependant, la mobilisation sociale nécessaire à
toute action contre le travail des enfants ne se limite pas à des
sanctions financières ou commerciales.
Paragraphe II
: La nécessité de créer un large consensus social
contre le travail des enfants
La mobilisation sociale est une démarche
décisive qui garantit un engagement favorable au changement. Au cours du
vingtième siècle, la mobilisation sociale a été
utilisée de bien des manières pour atteindre des objectifs aussi
différents que l'application des lois concernant l'égalité
raciale et sexuelle, ou qu'un changement librement consenti en faveur de la
protection de l'environnement. Actuellement, le terme de mobilisation sociale
désigne une telle variété d'actions de groupes que le
terrain d'entente sur sa signification exacte est très réduit.
Néanmoins, tout le monde s'accorde pour affirmer que toute mobilisation
sociale visant un changement durable et permanent exige : une
détermination et un engagement à changer ; une action
consécutive à une prise de conscience ; un dialogue et une
négociation qui favorisent le respect des différences et la
coordination des efforts.
Les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix ont
été marquées par l'éveil de la
société civile au travail des enfants, à une époque
où le monde prenait plus largement conscience que l'exploitation
économique de la main-d'oeuvre du tiers monde était une des
conditions de la globalisation de l'économie. Les grands réseaux
se sont alors consacrés à la sensibilisation de l'opinion. Au
cours des dix dernières années, la question du travail des
enfants est devenue un thème dominant sur la scène
internationale. Simultanément, les associations de consommateurs
engagées sur le plan social, l'action syndicale, la création du
Programme international pour l'abolition du travail des enfants( IPEC) et
l'établissement de partenariats stratégiques avec des ONG ont
contribué à soulever l'indignation du public contre
l'exploitation des enfants. L'augmentation du nombre d'organisations militant
en faveur de l'abolition du travail des enfants, le débat public et
l'attention des médias, les initiatives prises par les industries telles
que les « codes de conduite » sont autant de
réponses à une prise de conscience plus profonde :
l'exploitation des enfants est une violation de leurs droits les plus
fondamentaux. La mobilisation sociale vaut par l'impact de son action, qui
dépasse la somme des diverses initiatives prises, et par l'engagement de
tous les échelons de la société en vue d'un objectif
commun. Les initiatives diverses et spontanées prises pour restreindre
le travail des enfants sont riches d'enseignement pour la préparation
d'une mobilisation sociale planifiée. Pour pouvoir concourir au
mouvement contre le travail des enfants, les efforts actuellement entrepris
doivent s'intégrer dans un processus plus vaste, volontairement
dirigé qui s'appuie sur des alliances sociales. Cependant, sans la
collaboration et la volonté des gouvernements, il n'y a guère de
chances que les initiatives de la mobilisation sociale soient couronnées
de succès ou produisent des changements durables. En effet, la
mobilisation sociale ne doit pas servir qu'à émouvoir l'opinion
publique de la situation de ces enfants, mais surtout à améliorer
cette situation concrètement. De plus, l'action du consommateur
occidental ne peut concerner qu'une minorité d'enfants actifs, ceux qui
relèvent du commerce international. C'est pourquoi, il faut agir en
priorité sur place, sur les autres formes de travail.
C'est dans les pays concernés que la mobilisation
sociale doit se faire. Sur place, il faut bien comprendre quels types de
changements sont nécessaires aux divers niveaux, qui sont les principaux
acteurs sociaux, leurs atouts et leurs points de vue. Ce n'est qu'en faisant
cette démarche que l'on pourra faire reculer le travail des
enfants ; il est essentiel quand on prépare une campagne contre
l'exploitation domestique des enfants, que les principaux partenaires soient
associés à cette campagne. Les ONG locales, les associations
d'employés de maison, les organisations féminines locales, les
enfants qui travaillent comme employés de maison, les médias et
les hommes d'affaires locaux doivent être intégrés à
cette action. En effet, le dialogue se trouve au coeur de la mobilisation
sociale, les échanges d'informations et d'expériences sont les
pierres angulaires de toute communication digne de ce nom. Il est en effet
très rare qu'une intervention imposée de l'extérieur, sans
discussion ni débat, soit comprise et acceptée par les personnes
qu'elle est censée aider. Cependant, engager un dialogue et introduire
un changement avec ceux qui, intentionnellement ou par ignorance,
perpétuent le travail des enfants, constitue un défi de taille.
Néanmoins, on ne peut véritablement s'engager à amener un
changement sans tenir compte du point de vue des employeurs qui, souvent, se
considèrent comme les bienfaiteurs des enfants des familles pauvres
qu'ils emploient. Ceux qui s'en tiennent fermement à des positions de
principe contre le travail des enfants doivent accepter de dialoguer et de
négocier avec ceux qui sont moins convaincus. Le secteur privé
joue en effet aujourd'hui un rôle de plus en plus crucial dans le domaine
du développement et notamment dans l'abolition du travail des enfants.
En raison de leur contribution au développement économique de
leur pays et des communautés dans lesquelles ils sont installés,
les employeurs doivent être sensibilisés aux effets de leurs
actions sur le développement des ressources humaines. Selon les
pratiques qu'ils suivent en matière de travail, ils peuvent retarder ou
accélérer le développement des politiques de lutte contre
le travail des enfants.
Il faut donc faire comprendre aux employeurs, notamment aux
patrons de petites entreprises, qu'en mettant fin à leur
dépendance vis-à-vis du travail des enfants et en apportant un
soin particulier au développement des enfants qui travaillent, les
employeurs rendent service à leur société et à la
santé à long terme des affaires et des industries. Les
organisations d'employeurs ont en cette matière un grand rôle
à jouer pour éduquer les employeurs des secteurs formel et
informel des bénéfices à long terme de pratiques de
gestion excluant tout exploitation de main-d'oeuvre enfantine.
Les syndicats d'enfants travailleurs, qui commencent à
se développer grâce au soutien d'ONG et de travailleurs sociaux,
ont également un rôle important à jouer dans les programmes
qui leur sont destinés. Ces groupes d'enfants, organisés autour
d'un même quartier ou d'un même métier, sont clairement
anti-abolitionnistes : ils analysent leur travail comme une
nécessité économique, mais demandent des conditions
décentes de travail. Ces représentations des premiers
concernés proposent souvent des solutions très
intéressantes susceptibles d'éclairer l'action des ONG et des
institutions, telles que les formes d'éducation souples.
Que ce soit de la part des représentations des
employeurs ou des enfants travailleurs, ces formes d'expressions sont toujours
à privilégier car elles améliorent les conditions de
travail des ONG. En effet, l'essentiel de la solution au problème du
travail des enfants viendra sans doute du travail effectué
quotidiennement par ces ONG sur le terrain. Ces groupes peuvent en effet, du
fait de leur proximité, investiguer avec détermination et
agressivité les abus commis contre des enfants sur les lieux de travail
ainsi que les manquements des autorités officielles. Ils sont en quelque
sorte, les défenseurs et les porte-parole des lois et exercent sur les
gouvernements une pression non négligeable.
Grâce à leur expérience dans le domaine
des activités de plaidoyer et en émettant des critiques
constructives, les ONG jettent également un pont entre la population et
ses représentants à tous les niveaux. Ce sont en fait les ONG qui
ont pris la tête du mouvement de lutte contre le travail des enfants et
qui se sont efforcées de promouvoir le principe des droits de l'enfant
au cours des dernières décennies. Malheureusement, beaucoup de
pays affligés par de graves problèmes de travail des enfants
n'ont pas la chance d'avoir des groupes suffisamment forts et organisés
pour défendre les droits des enfants en matière de travail. Pour
cette raison, il apparaît urgent et nécessaire d'appuyer
techniquement et financièrement de tels groupes et d'en créer si
besoin de nouveaux. Grâce à l'expérience qu'elles ont
acquises et aux ressources humaines dont elles disposent dans le monde entier,
les ONG internationales pourraient être particulièrement utiles
pour promouvoir, former et appuyer au niveau national les droits des enfants.
C'est notamment grâce à ces ONG que la réadaptation des
enfants travailleurs pourra se faire. Ce sont elles en effet qui peuvent
proposer des alternatives aux familles qui retirent leurs enfants du travail.
Il faut également promouvoir les initiatives visant
à réduire la pauvreté de ces familles telles que les
banques de développement dont le but est d'accorder des crédits
aux familles pauvres qui en ont un besoin urgent. En effet, libérer ces
familles de leurs dettes et des intérêts exorbitants à
verser aux prêteurs sera une contribution vitale à la
prévention du travail forcé des enfants. Ces banques n'avancent
que de petites sommes, mais le plus souvent une petite somme suffit à
rompre le cycle de la pauvreté et permet soit de retirer ses enfants du
travail, soit de ne pas les y envoyer.
Toutes ces initiatives doivent être soutenues fortement
et encouragées par les pays riches. Là encore, les contributions
financières sont indispensables, mais une réelle volonté
politique d'agir est primordiale. Cependant, ce sont ces voies que devra
emprunter la lutte contre le travail des enfants dans les années
à venir. Il convient maintenant de voir si les engagements
renouvelés de la communauté internationale lors de la Session
extraordinaire des Nations Unies en mai 2002, seront suivis de progrès
concrets contrairement aux engagements pris au Sommet mondial pour les enfants
en 1990.
ANNEXE 1 : EXTRAITS DES PRINCIPALES CONVENTIONS
RELATIVES AU TRAVAIL DES ENFANTS.
Extraits de la Convention n°29 concernant le
travail forcé, adoptée le 28 juin 1930.
Article 1
1. Tout Membre de l'Organisation internationale du Travail qui
ratifie la présente Convention s'engage à supprimer l'emploi du
travail forcé ou obligatoire sous toutes ses formes dans le plus bref
délai possible.
Article 2
1. Aux fins de la présente Convention, le terme
"travail forcé ou obligatoire" désignera tout travail ou service
exigé d'un individu sous la menace d'une peine quelconque et pour lequel
ledit individu ne s'est pas offert de plein gré.
Extrait du Pacte international relatif aux droits
civils et politiques, ONU,New York 16 décembre 1966.
Article 8
1. Nul ne sera tenu en esclavage; l'esclavage et la traite des
esclaves, sous toutes leurs
formes,
sont interdits.
2. Nul ne sera tenu en servitude. a
/ Nul ne sera astreint à accomplir un travail forcé ou
obligatoire; b / L'alinéa a du
présent paragraphe ne saurait être interprété comme
interdisant, dans les pays où certains crimes peuvent être punis
de détention accompagnée de travaux forcés,
l'accomplissement d'une peine de travaux forcés, infligée par un
tribunal compétent; c / N'est pas
considéré comme "travail forcé ou obligatoire" au sens du
présent paragraphe: I) Tout travail ou service, non
visé à l'alinéa b, normalement requis d'un individu qui
est détenu en vertu d'une décision de justice
régulière ou qui, ayant fait l'objet d'une telle décision,
est libéré conditionnellement; II) Tout
service de caractère militaire et, dans les pays où l'objection
de conscience est admise, tout service national exigé des objecteurs de
conscience en vertu de la loi; III) Tout service
exigé dans les cas de force majeure ou de sinistres qui menacent la vie
ou le bien-être de la communauté; IV) Tout travail ou tout
service formant partie des obligations civiques normales.
Extraits de la Convention n°138 sur l'âge
minimum, adoptée le 26 juin 1973
Article 1
Tout Membre pour lequel la présente convention est en
vigueur s'engage à poursuivre une politique nationale visant à
assurer l'abolition effective du travail des enfants et à élever
progressivement l'âge minimum d'admission à l'emploi ou au travail
à un niveau permettant aux adolescents d'atteindre le plus complet
développement physique et mental.
Article 2
1. Tout Membre qui ratifie la présente convention devra
spécifier, dans une déclaration annexée à sa
ratification, un âge minimum d'admission à l'emploi ou au travail
sur son territoire et dans les moyens de transport immatriculés sur son
territoire; sous réserve des dispositions des articles 4 à 8 de
la présente convention, aucune personne d'un âge inférieur
à ce minimum ne devra être admise à l'emploi ou au travail
dans une profession quelconque.
2. Tout Membre ayant ratifié la présente
convention pourra, par la suite, informer le Directeur général du
Bureau international du Travail, par de nouvelles déclarations, qu'il
relève l'âge minimum spécifié
précédemment.
3. L'âge minimum spécifié
conformément au paragraphe 1 du présent article ne devra pas
être inférieur à l'âge auquel cesse la
scolarité obligatoire, ni en tout cas à quinze ans.
4. Nonobstant les dispositions du paragraphe 3 du
présent article, tout Membre dont l'économie et les institutions
scolaires ne sont pas suffisamment développées pourra,
après consultation des organisations d'employeurs et de travailleurs
intéressées, s'il en existe, spécifier, en une
première étape, un âge minimum de quatorze ans.
5. Tout Membre qui aura spécifié un âge
minimum de quatorze ans en vertu du paragraphe précédent devra,
dans les rapports qu'il est tenu de présenter au titre de l'article 22
de la Constitution de l'Organisation internationale du Travail,
déclarer:
a) soit que le motif de sa décision persiste;
b) soit qu'il renonce à se prévaloir du
paragraphe 4 ci-dessus à partir d'une date déterminée.
Article 3
1. L'âge minimum d'admission à tout type d'emploi
ou de travail qui, par sa nature ou les conditions dans lesquelles il s'exerce,
est susceptible de compromettre la santé, la sécurité ou
la moralité des adolescents ne devra pas être inférieur
à dix-huit ans.
2. Les types d'emploi ou de travail visés au paragraphe
1 ci-dessus seront déterminés par la législation nationale
ou l'autorité compétente, après consultation des
organisations d'employeurs et de travailleurs intéressées, s'il
en existe.
3. Nonobstant les dispositions du paragraphe 1 ci-dessus, la
législation nationale ou l'autorité compétente pourra,
après consultation des organisations d'employeurs et de travailleurs
intéressées, s'il en existe, autoriser l'emploi ou le travail
d'adolescents dès l'âge de seize ans à condition que leur
santé, leur sécurité et leur moralité soient
pleinement garanties et qu'ils aient reçu, dans la branche
d'activité correspondante, une instruction spécifique et
adéquate ou une formation professionnelle.
Article 4
1. Pour autant que cela soit nécessaire et après
avoir consulté les organisations d'employeurs et de travailleurs
intéressées, s'il en existe, l'autorité compétente
pourra ne pas appliquer la présente convention à des
catégories limitées d'emploi ou de travail lorsque l'application
de la présente convention à ces catégories
soulèverait des difficultés d'exécution spéciales
et importantes.
2. Tout Membre qui ratifie la présente convention
devra, dans le premier rapport sur l'application de celle-ci qu'il est tenu de
présenter au titre de l'article 22 de la Constitution de l'Organisation
internationale du Travail, indiquer, avec motifs à l'appui, les
catégories d'emploi qui auraient été l'objet d'une
exclusion au titre du paragraphe 1 du présent article, et exposer, dans
ses rapports ultérieurs, l'état de sa législation et de sa
pratique quant à ces catégories, en précisant dans quelle
mesure il a été donné effet ou il est proposé de
donner effet à la présente convention à l'égard
desdites catégories.
3. Le présent article n'autorise pas à exclure
du champ d'application de la présente convention les emplois ou travaux
visés à l'article 3.
Article 5
1. Tout Membre dont l'économie et les services
administratifs n'ont pas atteint un développement suffisant pourra,
après consultation des organisations d'employeurs et de travailleurs
intéressées, s'il en existe, limiter, en une première
étape, le champ d'application de la présente convention.
2. Tout Membre qui se prévaut du paragraphe 1 du
présent article devra spécifier, dans une déclaration
annexée à sa ratification, les branches d'activité
économique ou les types d'entreprises auxquels s'appliqueront les
dispositions de la présente convention.
3. Le champ d'application de la présente convention
devra comprendre au moins: les industries extractives; les industries
manufacturières; le bâtiment et les travaux publics;
l'électricité, le gaz et l'eau; les services sanitaires; les
transports, entrepôts et communications; les plantations et autres
entreprises agricoles exploitées principalement à des fins
commerciales, à l'exclusion des entreprises familiales ou de petites
dimensions produisant pour le marché local et n'employant pas
régulièrement des travailleurs salariés.
4. Tout Membre ayant limité le champ d'application de
la convention en vertu du présent article:
a) devra indiquer, dans les rapports qu'il est tenu de
présenter au titre de l'article 22 de la Constitution de l'Organisation
internationale du Travail, la situation générale de l'emploi ou
du travail des adolescents et des enfants dans les branches d'activité
qui sont exclues du champ d'application de la présente convention ainsi
que tout progrès réalisé en vue d'une plus large
application des dispositions de la convention;
b) pourra, en tout temps, étendre le champ
d'application de la convention par une déclaration adressée au
Directeur général du Bureau international du Travail.
Article 7
1. La législation nationale pourra autoriser l'emploi
à des travaux légers des personnes de treize à quinze ans
ou l'exécution, par ces personnes, de tels travaux, à condition
que ceux-ci:
a) ne soient pas susceptibles de porter préjudice
à leur santé ou à leur développement;
b) ne soient pas de nature à porter préjudice
à leur assiduité scolaire, à leur participation à
des programmes d'orientation ou de formation professionnelles approuvés
par l'autorité compétente ou à leur aptitude à
bénéficier de l'instruction reçue.
2. La législation nationale pourra aussi, sous
réserve des conditions prévues aux alinéas a) et b) du
paragraphe 1 ci-dessus, autoriser l'emploi ou le travail des personnes d'au
moins quinze ans qui n'ont pas encore terminé leur scolarité
obligatoire.
3. L'autorité compétente déterminera les
activités dans lesquelles l'emploi ou le travail pourra être
autorisé conformément aux paragraphes 1 et 2 du présent
article et prescrira la durée, en heures, et les conditions de l'emploi
ou du travail dont il s'agit.
4. Nonobstant les dispositions des paragraphes 1 et 2 du
présent article, un Membre qui a fait usage des dispositions du
paragraphe 4 de l'article 2 peut, tant qu'il s'en prévaut, substituer
les âges de douze et quatorze ans aux âges de treize et quinze ans
indiqués au paragraphe 1 et l'âge de quatorze ans à
l'âge de quinze ans indiqué au paragraphe 2 du présent
article.
Extraits de la Convention internationale
relative aux Droits de l'Enfant, adoptée le 20 novembre
1989
Article premier
Au sens de la présente Convention, un enfant s'entend
de tout être humain âgé de moins de dix-huit ans, sauf si la
majorité est atteinte plus tôt en vertu de la législation
qui lui est applicable.
Article 19
1. Les Etats parties prennent toutes les
mesures législatives, administratives, sociales et éducatives
appropriées pour protéger l'enfant contre toute forme de
violence, d'atteinte ou de brutalités physiques ou mentales, d'abandon
ou de négligence, de mauvais traitements ou d'exploitation, y compris la
violence sexuelle, pendant qu'il est sous la garde de ses parents ou de l'un
d'eux, de son ou ses représentants légaux ou de toute autre
personne à qui il est confié
Article 28
1. Les Etats parties reconnaissent le droit
de l'enfant à l'éducation, et en particulier, en vue d'assurer
l'exercice de ce droit progressivement et sur la base de
l'égalité des chances :
a) Ils rendent l'enseignement primaire obligatoire et gratuit
pour tous ;
b) Ils encouragent l'organisation de différentes formes
d'enseignement secondaire, tant général que professionnel, les
rendent ouvertes et accessibles à tout enfant, et prennent des mesures
appropriées, telles que l'instauration de la gratuité de
l'enseignement et l'offre d'une aide financière en cas de besoin ;
c) Ils assurent à tous l'accès à
l'enseignement supérieur, en fonction des capacités de chacun,
par tous les moyens appropriés ;
d) Ils rendent ouvertes et accessibles à tout enfant
l'information et l'orientation scolaires et professionnelles ;
e) Ils prennent des mesures pour encourager la
régularité de la fréquentation scolaire et la
réduction des taux d'abandon scolaire.
2. Les Etats parties prennent toutes les
mesures appropriées pour veiller à ce que la discipline scolaire
soit appliquée d'une manière compatible avec la dignité de
l'enfant en tant qu'être humain et conformément à la
présente Convention.
3. Les Etats parties favorisent et
encouragent la coopération internationale dans le domaine de
l'éducation, en vue notamment de contribuer à éliminer
l'ignorance et l'analphabétisme dans le monde et de faciliter
l'accès aux connaissances scientifiques et techniques et aux
méthodes d'enseignement modernes. A cet égard, il est tenu
particulièrement compte des besoins des pays en développement.
Article 29
1. Les États parties conviennent que
l'éducation de l'enfant doit viser à :
a) Favoriser l'épanouissement de la personnalité
de l'enfant et le développement de ses dons et de ses aptitudes mentales
et physiques, dans toute la mesure de leurs potentialités ;
b) Inculquer à l'enfant le respect des droits de
l'homme et des libertés fondamentales, et des principes consacrés
dans la Charte des Nations Unies ;
c) Inculquer à l'enfant le respect de ses parents, de
son identité, de sa langue et de ses valeurs culturelles, ainsi que le
respect des valeurs nationales du pays dans lequel il vit, du pays duquel il
peut être originaire et des civilisations différentes de la
sienne ;
d) Préparer l'enfant à assumer les
responsabilités de la vie dans une société libre, dans un
esprit de compréhension, de paix, de tolérance,
d'égalité entre les sexes et d'amitié entre tous les
peuples et groupes ethniques, nationaux et religieux, et avec les personnes
d'origine autochtone ;
e) Inculquer à l'enfant le respect du milieu naturel.
2. Aucune disposition du présent
article ou de l'article 28 ne sera interprétée d'une
manière qui porte atteinte à la liberté des personnes
physiques ou morales de créer et de diriger des établissements
d'enseignement, à condition que les principes énoncés au
paragraphe 1 du présent article soient respectés et que
l'éducation dispensée dans ces établissements soit
conforme aux normes minimales que l'Etat aura prescrites.
Article 31
1. Les Etats parties reconnaissent à
l'enfant le droit au repos et aux loisirs, de se livrer au jeu et à des
activités récréatives propres à son âge et de
participer librement à la vie culturelle et artistique.
2. Les Etats parties respectent et favorisent
le droit de l'enfant de participer pleinement à la vie culturelle et
artistique et encouragent l'organisation à son intention de moyens
appropriés de loisirs et d'activités récréatives,
artistiques et culturelles, dans des conditions d'égalité.
Article 32
1. Les Etats parties reconnaissent le droit
de l'enfant d'être protégé contre l'exploitation
économique et de n'être astreint à aucun travail comportant
des risques ou susceptible de compromettre son éducation ou de nuire
à sa santé ou à son développement physique, mental,
spirituel, moral ou social.
2. Les Etats parties prennent des mesures
législatives, administratives, sociales et éducatives pour
assurer l'application du présent article. A cette fin, et compte tenu
des dispositions pertinentes des autres instruments internationaux, les Etats
parties, en particulier :
a) Fixent un âge minimum ou des âges minimums
d'admission à l'emploi ;
b) Prévoient une réglementation
appropriée des horaires de travail et des conditions d'emploi ;
c) Prévoient des peines ou autres sanctions
appropriées pour assurer l'application effective du présent
article.
Article 34
Les Etats parties s'engagent à protéger l'enfant
contre toutes les formes d'exploitation sexuelle et de violence sexuelle. A
cette fin, les Etats prennent en particulier toutes les mesures
appropriées sur les plans national, bilatéral et
multilatéral pour empêcher :
a) Que des enfants ne soient incités ou contraints
à se livrer à une activité sexuelle illégale ;
b) Que des enfants ne soient exploités à des
fins de prostitution ou autres pratiques sexuelles illégales ;
c) Que des enfants ne soient exploités aux fins de la
production de spectacles ou de matériel de caractère
pornographique.
Article 35
Les Etats parties prennent toutes les mesures
appropriées sur les plans national, bilatéral et
multilatéral pour empêcher l'enlèvement, la vente ou la
traite d'enfants à quelque fin que ce soit et sous quelque forme que ce
soit.
Article 36
Les Etats parties protègent l'enfant contre toutes
autres formes d'exploitation préjudiciables à tout aspect de son
bien-être.
Extraits de la Convention n°182 concernant
les « pires formes de travail des
enfants », adoptée le 17 juin 1999.
Considérant la nécessité d'adopter de
nouveaux instruments visant l'interdiction et l'élimination des pires
formes de travail des enfants en tant que priorité majeure de l'action
nationale et internationale, notamment de la coopération et de
l'assistance internationales, pour compléter la convention et la
recommandation concernant l'âge minimum d'admission à l'emploi,
1973, qui demeurent des instruments fondamentaux en ce qui concerne le travail
des enfants;
Considérant que l'élimination effective des
pires formes de travail des enfants exige une action d'ensemble
immédiate, qui tienne compte de l'importance d'une éducation de
base gratuite et de la nécessité de soustraire de toutes ces
formes de travail les enfants concernés et d'assurer leur
réadaptation et leur intégration sociale, tout en prenant en
considération les besoins de leurs familles
Reconnaissant que le travail des enfants est pour une large
part provoqué par la pauvreté et que la solution à long
terme réside dans la croissance économique soutenue menant au
progrès social, et en particulier à l'atténuation de la
pauvreté et à l'éducation universelle;
Article 1
Tout Membre qui ratifie la présente convention doit
prendre des mesures immédiates et efficaces pour assurer l'interdiction
et l'élimination des pires formes de travail des enfants et ce, de toute
urgence.
Article 2
Aux fins de la présente convention, le terme enfant
s'applique à l'ensemble des personnes de moins de 18 ans
Article 3
Aux fins de la présente convention, l'expression les
pires formes de travail des enfants comprend:
a) toutes les formes d'esclavage ou pratiques analogues,
telles que la vente et la traite des enfants, la servitude pour dettes et le
servage ainsi que le travail forcé ou obligatoire, y compris le
recrutement forcé ou obligatoire des enfants en vue de leur utilisation
dans des conflits armés;
b) l'utilisation, le recrutement ou l'offre d'un enfant
à des fins de prostitution, de production de matériel
pornographique ou de spectacles pornographiques;
c) l'utilisation, le recrutement ou l'offre d'un enfant aux
fins d'activités illicites, notamment pour la production et le trafic de
stupéfiants, tels que les définissent les conventions
internationales pertinentes;
d) les travaux qui, par leur nature ou les conditions dans
lesquelles ils s'exercent, sont susceptibles de nuire à la santé,
à la sécurité ou à la moralité de l'enfant.
Article 4
1. Les types de travail visés à l'article 3 d)
doivent être déterminés par la législation nationale
ou l'autorité compétente, après consultation des
organisations d'employeurs et de travailleurs intéressées, en
prenant en considération les normes internationales pertinentes, et en
particulier les paragraphes 3 et 4 de la recommandation sur les pires formes de
travail des enfants, 1999.
2. L'autorité compétente, après
consultation des organisations d'employeurs et de travailleurs
intéressées, doit localiser les types de travail ainsi
déterminés.
3. La liste des types de travail déterminés
conformément au paragraphe 1 du présent article doit être
périodiquement examinée et, au besoin, révisée en
consultation avec les organisations d'employeurs et de travailleurs
intéressées.
Article 5
Tout Membre doit, après consultation des organisations
d'employeurs et de travailleurs, établir ou désigner des
mécanismes appropriés pour surveiller l'application des
dispositions donnant effet à la présente convention.
Article 6
1.Tout Membre doit élaborer et mettre en oeuvre des
programmes d'action en vue d'éliminer en priorité les pires
formes de travail des enfants
2. Ces programmes d'action doivent être
élaborés et mis en oeuvre en consultation avec les institutions
publiques compétentes et les organisations d'employeurs et de
travailleurs, le cas échéant en prenant en considération
les vues d'autres groupes intéressés.
Article 7
1. Tout Membre doit prendre toutes les mesures
nécessaires pour assurer la mise en oeuvre effective et le respect des
dispositions donnant effet à la présente convention, y compris
par l'établissement et l'application de sanctions pénales ou, le
cas échéant, d'autres sanctions.
2. Tout Membre doit, en tenant compte de l'importance de
l'éducation en vue de l'élimination du travail des enfants,
prendre des mesures efficaces dans un délai déterminé
pour:
a) Empêcher que des enfants ne soient engagés
dans les pires formes de travail des enfants;
b) prévoir l'aide directe nécessaire et
appropriée pour soustraire les enfants des pires formes de travail des
enfants et assurer leur réadaptation et leur intégration
sociale;
c) assurer l'accès à l'éducation de base
gratuite et, lorsque cela est possible et approprié, à la
formation professionnelle pour tous les enfants qui auront été
soustraits des pires formes de travail des enfants;
d) identifier les enfants particulièrement
exposés à des risques et entrer en contact direct avec eux;
e) tenir compte de la situation particulière des
filles.
3. Tout Membre doit désigner l'autorité
compétente chargée de la mise en oeuvre des dispositions donnant
effet à la présente convention.
BIBLIOGRAPHIE.
I - Ouvrages :
Ø Bartolomei de la Cruz Hector et
Euzéby Alain : « L'organisation
Internationale du Travail ( OIT ) », Presses Universitaires
de France, collection Que sais-je ? 1997.
Ø Braun Hélène et Valentin
Michel : « Villermé et le travail des
enfants », Economica ( Histoire), 1991.
Ø Manier
Bénédicte : « Le travail des
enfants dans le monde », La Découverte, collection
Repères, 1999.
Ø Mathieu Jean-Luc :
« La défense internationale des droits de
l'homme », Presses Universitaires de France, collection Que
sais-je ? 1993.
Ø Zani Mamoud :
« La Convention internationale des droits de
l'enfant : portée et limites », Publisud,
1996.
III- Publications de l'UNICEF.
Site Internet de l'UNICEF :
http://www.unicef.org/french
Ø « La situation des enfants dans le
monde, 1997 : les enfants au travail ».
Ø « Mobilisation sociale et travail
des enfants » document d'information de la Conférence
d'Oslo 27-30 octobre 1997.
Ø « Education et travail des
enfants » document d'information, Conférence d'Oslo,
27-30 octobre 1997
Ø « Eliminer le travail des enfants en
affirmant leurs droits ». Mars 2001
II- Publications de l'Organisation internationale du
Travail.
Site Internet de l'OIT :
http://www.ilo.org/french
Ø « Eradiquer les pires formes de
travail des enfants-Guide pour la mise en oeuvre de la Convention n°182 de
l'OIT ».
Ø « Droit international et travail des
enfants : aperçu des projets d'instruments de
l'OIT », Jankanish Michèle, 1999.
Ø « Le travail des
enfants », Quatrième question
à l'ordre du jour du Bureau international du travail,
87ème session, Genève, juin 1999.
Ø « Le travail des
enfants : l'intolérable en point de mire. »
Rapport soumis à la 86ème session ( 1998 ) de la
Conférence internationale du travail.
Ø Conférence internationale sur le
travail des enfants, Oslo, Norway, 27-3 octobre 1997.
« Mesures d'action pratiques visant à abolir le travail des
enfants » ; « La législation et son
application » ; « Stratégies visant à
l'abolition du travail des enfants : prévention, libération
et réadaptation ( document de synthèse) ».
Ø « Combattre les formes les plus
intolérables du travail des enfants : un défi
universel », Document de base pour la
Conférence d'Amsterdam sur le travail des enfants ( 26-27 février
1997)
Ø « Le travail des
enfants : que faire ? » Document soumis aux fins
de discussion à la réunion tripartite informelle au niveau
ministériel, Bureau International du Travail, Genève, 12 juin
1996.
Ø « Halte ! au travail des
enfants », Dossier de presse, BIT, Genève, 10 juin
1996
Ø « Rapport sur l'emploi dans le monde
1998-1999. Tendances de l'emploi au niveau mondial : de sombres
perspectives.
IV- Publications de la CISL.
Site Internet de la CISL :
http://www.icftu.org
Ø « Pas le temps de jouer. Le travail
des enfants dans l'économie mondiale. » Juin 1996.
Ø « Les multinationales sous la loupe
du mouvement syndical international » 5 avril 2001.
Ø « Les alternatives
existent » 1er juin 1999.
Ø « L'Union européenne
-nombreuses pratiques de travail inférieures aux normes acceptées
à l'échelon international » 14 juillet 2000
Ø « La recette du Kerala »
, Samuel Grumiau,1er juin 1999.
Ø « Les petites mains du Made in
Bangladesh » , Samuel Grumiau, 2 mars 2001.
V- ARTICLES
DIVERS.
Ø « Ces enfants qui travaillent.
Manuel sur le travail des enfants destiné aux travailleurs des services
publics. », Internationale des services publics, ( site
Internet :
http://www.world-psi.org)
Ø « Une convention internationale sur
les droits de l'enfant », JP Rosenczveig, ( Site
Internet :
http://www.rosenczveig.com)
Ø « La politique par le
menu », Le monde interactif, web citoyen, 29 octobre 2001 (
Site Internet :
http://www.lemonde.fr)
Ø « Quand les enfants prennent
à parti les dirigeants de la planète » Le
Monde, 08 mai 2002
Ø « Enfance : la difficile
adoption d'un plan d'action mondial » Le Monde, 11 mai
2002.
Ø « Ces enfants soumis aux pires
corvées » Libération, 7 mai 2002.
Ø « L'ONU fait le bilan des promesses
non tenues pour l'enfance » Libération, 8 mai 2002
Ø « Le travail des enfants au
Bangladesh : une expérience originale », Adrien
Bron, 8 novembre 1996. ( Site Internet :
http://www.citinv.it)
Ø « Trois réflexions des
associations de consommateurs » ( Site Internet :
http://www;crc.conso.com )
Ø « Le travail des enfants : un
point de vue économique »Grootaert Christiaan et
Kanbur Ravi, Revue Internationale du Travail, vol.134,1995, n°2.
TABLE DES MATIERES.
PARTIE I : LA RELATIVE IMPUISSANCE DE LA COMMUNAUTE
INTERNATIONALE DEVANT L'AMPLEUR DU TRAVAIL DES ENFANTS
p.12
CHAPITRE I : Le travail des enfants : une
situation
intolérable p.13
Section I : L'ampleur du phénomène
du travail des
enfants. p.13
Paragraphe I : Un
phénomène difficilement quantifiable p.14
Paragraphe II : Un phénomène
ne se limitant pas aux pays pauvres p.17
Section II : Un travail s'effectuant sous des
formes très
diverses. p.20
Paragraphe I : Le travail des enfants au
sein d'une sphère familiale. p.20
Paragraphe II : Le travail des enfants
dans le secteur formel. p.24
CHAPITRE II : La volonté internationale
d'interdiction du travail des enfants : un
échec. p.27
Section I : Conventions de l'OIT relatives au
travail des enfants et impact
national. p.28
Paragraphe I : Une organisation très
prodigue en matière de réglementation du travail des enfants.
p.28
Paragraphe II : Une application cependant
limitée dans les législations nationales. p.32
Section II : La Convention relative aux droits
de l'enfant et
application. p.36
Paragraphe I : Genèse de la
Convention internationale des droits de l'enfant p.36
Paragraphe II : Une convention ambitieuse
mais encore trop récente pour mesurer les progrès
réalisés. p.39
PARTIE II :LE CHANGEMENT DE POLITIQUE DE LA
COMMUNAUTE INTERNATIONALE. p.43
CHAPITRE I- Une communauté internationale
soucieuse de comprendre pour mieux lutter.
p.44
Section I : Des Causes du travail des enfants
prises en compte dans leur
ensemble. p.44
Paragraphe I : Les causes liées
à la pauvreté des familles p.45
Paragraphe II : Les causes
extérieures au famille. p.50
Section II : La création de normes
contre les «pires formes de
travail des enfants» p.54
Paragraphe I : Pourquoi une nouvelle
convention plus restreinte ?. p.54
Paragraphe II : L'apport de la Convention
n°182 p.58
CHAPITRE II-La recherche de solutions plus
concrètes et d'alternatives au travail
des enfants. p.63
Section I : Favoriser l'éducation :
un point de départ
indispensable. p.64
Paragraphe I : Réussir à
amener les enfants à l'école. p.64
Paragraphe II : Offrir aux enfants une
éducation adaptée. p.67
Section II : L'importance de la mobilisation
sociale dans la lutte contre le
travail des enfants. p.71
Paragraphe I : Le boycott des produits
issus du travail des enfants : une fausse
solution. p.71
Paragraphe II : La nécessité
de créer un large consensus contre le
travail des enfants p.75
ANNEXE I : Extraits des principales
conventions relatives au travail des
enfants p.79
ANNEXE II : Le travail des enfants en
chiffres p.89
ANNEXE III : L'impact du VIH/Sida sur la
situation des enfants p.93
BIBLIOGRAPHIE :
p.95
* 1 Rapport UNICEF
« La situation des enfants dans le monde 1997 »
* 2 PIERRARD P., Enfants et
jeunes ouvriers de France, XIXe et XXe siècles, Editions
Ouvrières, Paris, 1987.
* 3 Déclaration des
droits de l'enfant adoptée et proclamée par la résolution
1386(XIV) le 20 novembre 1959.
* 4 En 1946, cette organisation
avait pour nom « Fonds international de secours à
l'enfance » (FISE).
* 5 Convention entrée en
vigueur le 4 novembre 1949 après ratification de 20 Etats.
* 6 Site Internet :
http://www.globalmarch.ch/marche/marche.html
* 7 Nations Unies, Commission
des droits de l'homme : Droits de l'enfant (Genève, doc.
n°E/CN.4/ 1996/100,17 janvier 1996) p.8
* 8Child Labour
Surveys : Results of methodological experiments in four countries
1992-1993,ILO,Geneva 1996, communiqué de presse du 4 avril 1996.
* 9 Bénédicte
Manier: «Le travail des enfants dans le monde» éd. La
Découverte 1999, p.23
* 10 «Child Labour in
Britain», Report to the International Working Group on Child Labour,
September 1995, p.34.
* 11 Tous ces exemples sont
tirés du rapport « Pas le temps de jouer. Le travail
des enfants dans l'économie mondiale. »rapport
de la CISL Juin 1996.
* 12 UNICEF 1997
* 13 « Le travail
dans le monde » 1992, BIT, Genève, 1992,P.14
* 14 BIT, L'abolition des
formes extrêmes de travail des enfants, dossier d'information,
Genève, 1998
* 15 Charles Jacobs and
Mohammed Athie, « Bought and Sold », The New York
Times, 13 juillet 1994
* 16 BONNET M. Regards sur
les enfants travailleurs. La mise au travail des enfants dans le monde
contemporain. Analyse et études de cas, « Cahiers
libres », Editions Page Deux, Lausanne,1998.
* 17 Rapport
Unicef : « La situation des enfants dans le
monde » 1997
* 18 Convention n°138
adoptée le 26.06.1973 ; date d'entrée en vigueur le
19.06.1976
* 19 Article 1 et 2 de la
Convention n°138.
* 20 Article 3 alinéa 1
de la Convention n°138
* 21 Article 2 alinéa 1
Convention n°29 concernant le travail forcé entrée en
vigueur le 1er mai 1932.
* 22 Article 2 alinéa 4
Convention n°138
* 23 Article 4 alinéa 1
Convention n°138
* 24 Article 5 alinéa 4
Convention n°138
* 25 UNICEF, La situation des
enfants dans le monde, rapport 1997, New York
( Site web :
www.unicef.org/french/sowc97/sowc97f3.pdf
)
* 26 BIT :
« Travail des Enfants : l'intolérable en point de
mire » Rapport VI(1), Conférence internationale du Travail,
89ème session, 1998, Genève,1996.
* 27 Pacte relatif aux droits
civils et politiques adopté le 16 décembre 1966 et entrée
en vigueur ( après 35 ratifications) le 23 mars 1976.
* 28 Pacte relatif aux droits
économiques, sociaux et culturels adopté le 16 décembre
1966 et entré en vigueur le 3 janvier 1975
* 29 Rapport UNICEF :
« la situation des enfants dans le monde 1997 »
précité p.4
* 30 Convention relative aux
droits de l'enfant ; entrée en vigueur le 2 septembre 1990.
* 31 Article 32 alinéa 1
Convention relative aux droits de l'enfant 1989
* 32 Article 32 alinéa 2
Convention relative aux droits de l'enfant 1989
* 33 Article 34 Convention
internationale relative aux droits de l'enfant.
* 34 Article 39 Convention
internationale relative aux droits de l'enfant.
* 35 Article 28 Convention
internationale relative aux droits de l'enfant.
* 36 PNUD, Rapport mondial
sur le développement humain, 1998, Economica, Paris
( site Web : www.undp.org)
* 37 Bénédicte
Manier : Le travail des enfants dans le monde, 1999,
éditions la Découverte,p.33.
* 38 Catherine Boidin
« A l'écoute des enfants travailleurs dans les pays en
développement », Cahier du Comité d'histoire,
supplément avril 2001, Les enfants et les jeunes au travail, p.159.
* 39 BIT : «Is
child labour really necessary in India's carpet industry»
Genève, 1996.
* 40 Revue Afrique Relance,
vol.15#3 (octobre 2001), p.14 (Dossier spécial : la protection des
enfants africains). Site web :
http://www.un.org/french/ecosocdev/geninfo/afrec/vol.15n°3/153kidf4.htm
* 41 BIT, l'Abolition des
formes extrêmes de travail des enfants, dossier d'information,
Genève, 1998.
* 42 Convention unique sur les
stupéfiants, 1961 ; Convention des Nations Unies contre le trafic
illicite de stupéfiants et de substances psychotropes, 1988.
* 43 Article 1 convention
n°182 sur les pires formes de travail des enfants, 1999.
* 44 Article 7 alinéa 1
Convention n° 182 sur les pires formes de travail des enfants.
* 45 Article 7 Convention
n° 182 sur les pires formes de travail des enfants.
* 46 Rapport Unicef :
« La situation des enfants dans le monde » 1997
préc.
* 47 « La recette
du Kerala » par Samuel Grumiau, le 1er janvier 1999 (
http://www.icftu.org )
* 48 source CFIE, cité
dans la brochure, « Jouez le jeu, faites gagner les droits de
l'homme », publié par le Collectif « De
l'éthique sur l'étiquette », janvier 1998.
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