La spécialisation fiscale, éléments de refondation de l'action publique locale: reflexion sur les concepts d'efficacité et de gouvernance territorialepar Bajer Joma Amada Université Aix-Marseille 3 - 2005 |
Section 2. Le rôle du budget localLorsqu'on parle de budget local, on a souvent l'impression qu'il s'agit seulement d'une procédure formelle sans incidence sur la vie des citoyens. Cet état de fait illustre bien le paradoxe dans lequel opère la réflexion sur la nécessité de réformer les finances locales. Alors même que l'on veut bien reconnaître l'importance du budget en termes de renforcement de la démocratie et de la gouvernance mais aussi de l'efficacité des politiques économiques locales, on ne pose pas suffisamment la question du rôle du budget local. Mais peut-être, une des raisons de ce paradoxe tient de l'impossibilité de reconnaître certaines réalités pourtant tangibles. Ainsi, bien que l'interventionnisme économique des collectivités locales se soit développé ces dernières années, on continue à vouloir ignorer la réalité même de la notion de politiques économiques locales. C'est cette non reconnaissance de la réalité actuelle des collectivités locales qui semble être à l'origine de la difficulté à apporter les réponses adaptées à la nouvelle action publique locale. §1. Finances locales et dépenses publiques locales : quelle cohérence ? En vingt années de processus de décentralisation et de transferts de compétences, le poids financier des collectivités locales s'est considérablement renforcé. Paradoxalement, au même moment, s'est posée la question du financement des nouvelles missions dévolues aux collectivités locales. Il nous semble que le véritable débat n'est pas tant le financement que le sens que l'on veut donner à la dépense publique locale. En d'autres termes, il faut rompre avec cette logique qui place les collectivités locales dans une position de simples financeurs de compétences. Il faut donner un sens au budget local au regard de la nouvelle configuration de l'action publique locale. Dans un contexte de fortes contraintes extérieures, les collectivités locales se doivent de coordonner leurs politiques financières, c'est-à-dire, les choix en matière de dépenses, et leurs prérogatives fiscales. En d'autres termes, il s'agit de définir des règles de bonne conduite pour que le financement des compétences et des missions locales obéisse à une certaine rationalité. D'ailleurs, on constate souvent que pour une plus grande efficacité de ces règles, les collectivités locales s'engagent dans une sorte de pacte financier qui définit les grandes lignes de conduite à observer mutuellement. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si ce genre de pacte s'observe le plus souvent entre les communes d'un même groupement partageant la même taxe professionnelle. On peut ainsi y voir la confirmation que la spécialisation fiscale, c'est-à-dire, le fait de lier un impôt précis à un niveau de collectivité donnée renforce non seulement la responsabilisation des institutions locales mais encourage la collaboration et la coordination des choix politiques. Ce qui est loin de l'idée d'une exacerbation de la concurrence. En fait, les chiffres parlent d'elles-mêmes. En trente ans, les dépenses des collectivités locales ont augmenté très fortement en passant de 5 à 10% du PIB avec une progression annuelle moyenne de 5%. En 1996, la part des budgets locaux dans le total des investissements publics représentait près de 70%. Par ailleurs, on constate que depuis le début de la décentralisation, la croissance en volume des dépenses de l'Etat ne cesse de diminuer par rapport à celle des dépenses des collectivités locales. Tenter de lier une réflexion sur l'autonomie fiscale locale à une autre réflexion sur le rôle des dépenses locales est presque impossible. Car, le plus souvent on observe une certaine répartition des dépenses locales qui ne tiennent pas compte des modalités de leur financement. Par conséquent, les dépenses locales ne reflètent pas suffisamment les problématiques de compétences fiscales locales. En effet, la décentralisation des sources de recettes se trouve généralement limitée du fait de la rareté des bases d'imposition et du fait que leur produit permet rarement de financer l'ensemble des dépenses locales. Ainsi, les impôts sur la propriété, sources de recettes particulièrement intéressante pour les collectivités territoriales, présentent des inconvénients majeurs (par exemple, la difficulté de tenir à jour l'évaluation des biens) qui contribuent à limiter leur place dans la fiscalité locale. §2. L'inadaptation des principes budgétaires locaux au nouveau cadre de l'action publique locale On assiste, avec l'émergence et le renforcement des politiques publiques locales, à « une crise des principes budgétaires locaux ».11(*) Comme nous l'avons déjà souligné ci haut, ces principes s'accommodent difficilement aux contraintes nouvelles de l'action publique locale. Il faut noter qu'au regard des principes du budget national, les principes budgétaires locaux revêtent un certain nombre de spécificités qui sont autant de justifications pour remettre en cause ces principes. Pendant longtemps, on a voulu considérer ces principes budgétaires locaux en dehors de la réflexion institutionnelle relative aux collectivités locales. Cela explique en partie que le processus de décentralisation et de transfert de compétence ne s'est pas accompagné d'un vrai débat sur la nature et le rôle des finances locales. Un véritable débat portant sur le nouveau rôle des finances locales dans le contexte nouveau de l'action publique locale ne peut faire l'économie d'une réflexion sur l'efficacité de la dépense publique locale. Au regard de cet objectif, la question de la reforme des finances locales est soumise à deux critères d'analyse. Le premier de ces critères est constitué par la prise en compte de l'interventionnisme des collectivités locales. Le deuxième critère, c'est l'impératif nouveau en matière d'évaluation et de contrôle de l'action publique. Ce dernier entre clairement dans l'objectif d'efficacité de l'action publique. La question que l'on pose souvent lorsqu'il s'agit de lier réforme du droit fiscal et financier local et refondation de l'action publique des collectivités territoriales concerne les grands principes issus de la période révolutionnaire et qui continuent à commander le cadre d'exercice des finances locales. Au nombre de ces principes, on peut ainsi citer l'équilibre, l'annualité, la spécialité et l'unité - universalité. Calqués sur le droit budgétaire et fiscal de l'Etat, ces principes connaissent une plus grande rigidité d'application lorsqu'ils concernent les collectivités territoriales. L'équilibre du budget local est un équilibre réel. Cela signifie que le déficit est interdit aussi bien dans le vote que dans l'exécution du budget. Quant à l'annualité, il s'agit d'un principe « pivot » autour duquel s'articule les autres principes budgétaires locaux. En effet, pour que ces principes soient opérationnels mais aussi pour que le contrôle de leur mise en oeuvre soit effective et efficace, le budget doit être doté d'un cadre temporel limité. A ce titre, l'année constitue une bonne référence. La spécialisation signifie que les dépenses seront classifiées selon des catégories spécifiques qui doivent, en principe, permettre une meilleure lisibilité de l'autorisation budgétaire. Et enfin, le principe de l'unité- universalité est le plus complexe par ce qu'il est lui-même soumis à d'autres sous- principes que sont la non- compensation et la non- affectation des dépenses. Le principe de l'université- unité veut que le budget soit présenté sur un seul document reprenant les dépenses et les recettes. Bien que ces principes budgétaires aient connu une certaine évolution dans le temps, ils semblent de plus en plus inadaptés au nouveau cadre de compétences des collectivités territoriales. Il en est ainsi de l'application stricto sensu du principe de l'équilibre. Pour certains observateurs, ce n'est pas le principe qui pose un problème mais les supports techniques qui le justifient et à travers lesquels il s'applique. Tout d'abords, on ne trouve aucune justification économique à la règle de l'équilibre réel. Certains y voient même une conception trop archaïque des finances publiques. Il s'agit plus d'un principe juridique et philosophique fort que d'un principe économique et opérationnel. D'ailleurs, c'est toute la problématique de notre travail que de tenter de répondre à cette question des principes juridiques rigides dans un environnement fortement influencés par de nouvelles règles plus économiques. De fait, le principe de l'équilibre budgétaire aboutit à une conception statique de la gestion des finances publiques locales. Quant au principe de l'annualité budgétaire, s'il pose, lui aussi, un certain nombre de problèmes à l'efficacité des politiques publiques locales, on peut reconnaître qu'il a connu des évolutions plus significatives que le principe de l'équilibre. Peut-être que les diverses contraintes issues de l'environnement institutionnel, économique et financier ont été tellement lourdes qu'il était inévitable d'amender quelque peu le principe de l'annualité. En effet, qu'il s'agisse des sources directes de financement des collectivités locales ou de l'environnement partenarial de mise en oeuvre et de conduite des projets locaux, de règles nouvelles ont apparu. Le plus souvent, ces règles entraient en conflit avec les principes budgétaires locaux et notamment avec le principe de l'annualité. Il en est ainsi de la contractualisation ou des nouveaux partenariats public- privé qui font des collectivités locales des acteurs au même titre que d'autres d'un jeu dont les règles présentent un caractère hybride, c'est-à-dire, soumises à des impératifs publics et privés. Dans ce contexte, on peut se demander si la refondation de l'action des collectivités territoriales ne doit pas passer, au préalable, par cette reconnaissance que le nouvel environnement local et mondial limite les institutions locales à un simple rôle d'acteur parmi d'autres, incapables d'influencer, par leurs propres règles, le jeu global. La présentation des problématiques actuelles de la fiscalité locale nous a permis de considérer la question de la réforme non pas comme un aspect isolé des autres problématiques de l'action publique locale mais comme le pendant de ces problématiques. Dans notre seconde partie, nous nous concentrerons plus sur la problématique de la spécialisation fiscale. En effet, celle-ci semble revêtir un double aspect : un aspect économique lié à l'efficacité de l'action publique et un aspect politique propre aux questionnements sur la gouvernance locale. * 11 D. LANDBECK (2001) |
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