UN RENOUVEAU DE LA PARTICIPATION ASSOCIATIVE ? L'engagement et le militantisme au sein du comité Attac Isèrepar Eric Farges Université Pierre Mendès France - IEP Grenoble - 2002 |
2.2 Un militantisme « par le bas » ?« Informer, former, agir, construire avec Attac »449(*) : ce slogan traduit la volonté des dirigeants de situer l'action de l'association à plusieurs niveaux. Tout d'abord, il s'agit de faciliter l'information des non adhérents et de permettre la formation intellectuelle des militants. C'est ce qu'Attac désigne par le terme de « travail d'éducation populaire »450(*). D'autre part, le second aspect est l'action militante proprement dite, c'est-à-dire l'ensemble des mobilisations collectives. Les dirigeants établissent entre ces deux pôles, la réflexion et l'action, un fil directeur logique en définissant Attac comme un « mouvement d'éducation populaire tourné vers l'action ». La figure du militant et celle de l'intellectuel seraient ainsi réconciliées. Mieux, la distinction entre la tête et les bras aurait cessé d'être. Le militantisme s'effectuerait désormais « par le bas ». 2.2.1 Le travail d'éducation populaire2.2.1.1 Informer et comprendre2.2.1.1.1 L'information économiqueL'éducation populaire consiste tout d'abord à informer le public sur les revendications portées par l'association. Cette diffusion a été facilitée par la publication de nombreux ouvrages de vulgarisation économiques. Ces livres sont édités dans une collection petit format (Mille et une nuits) et leur nombre de page reste faible (entre 100 et 150 pages). Chaque livre est consacré à un thème ce qui permet la multiplication des ouvrages (présentation de l'association, Taxe Tobin, paradis fiscaux, l'OMC, la place des multinationales, le plein emploi). Les ventes de ces ouvrages sont considérables ce qui porte certains à percevoir la contestation anti-mondialiste comme un marché potentiel451(*). L'information est également relayée dans chaque ville par les comités locaux. Par exemple, le comité isérois organise parfois des diffusions de tracts dans le centre ville de Grenoble ou à l'occasion de divers événements452(*). Les distributions de tracts sont toutefois assez rares453(*). François précise d'ailleurs que le nombre d'interventions lui semble insuffisant. Le C.A a d'ailleurs décidé d'organiser, sur la proposition de François, une diffusion chaque mois à partir de la rentrée 2001. La distribution de tracts représente avant tout pour l'association un moyen d'attirer de nouveaux adhérents. Ce rôle de publicisation détermine le choix des thèmes d'information. Tandis que les premiers tracts portaient essentiellement sur la taxe Tobin, qui représentait l'étendard de l'association, les dirigeants accordent désormais une place prépondérante aux sujets d' « actualité ». Par exemple, les OGM ou le boycott de Danone ont représenté autant d'opportunités afin de promouvoir l'association. C'est ainsi que les gens associent, selon Thomas, de moins en moins Attac à la taxe Tobin. En revanche, le comité effectue assez peu d'informations sur l'annulation de la dette. Thomas explique qu'il s'agit d'un sujet délicat car les gens y sont peu réceptifs. Cette information n'a bien sûr pas seulement pour but d'informer mais d' « éduquer » le public, c'est-à-dire « élever, former quelqu'un »454(*). L'association aurait à jouer un rôle de « conscientisation citoyenne » qui vise à faire prendre conscience de l'emprise de la finance. Certains militants estiment toutefois que cette conception est dangereuse car elle aboutit à reproduire une distinction entre le « haut » (les adhérents)et le « bas » (les non adhérents)455(*). Thomas : Les plus grosses diffusions qu'on fait c'est rue Félix Poulat parce que j'ai toujours dit qu'il fallait qu'on intervienne au moins une fois par mois là-bas. Qu'on y soit en permanence et qu'on ait l'habitude qu'on nous voit, d'être présent. J'aimerais bien que ça se passe dans d'autres villes comme ça, comme à Voiron ou Bourgoin parce qu'il y a des comités locaux là-bas. Gresivaudan, ils le font régulièrement. J'aimerais qu'on puisse intervenir plus régulièrement parce que je pense que c'est un travail de fond sur l'éducation populaire qu'on ne fait pas. Hélas, c'est pas la priorité dans Attac Isère. Elle se situe plutôt à suivre les événements internationaux, ce qui est bien ! Mais on pourrait en profiter pour transformer ça par une intervention autour de ces thèmes. La rue Félix Poulat parce que c'est un lieu très passant, en une heure tu distribues plus de 1000 tracts le mercredi après-midi s'il fait beau et puis il y a beaucoup de jeunesse et beaucoup d'étudiants. Lionel : En fait les gens qui viennent, viennent très peu, voire pas du tout, pour les idées d'Attac. En principe les gens pensent déjà être informés, c'est beaucoup plus par rapport au groupe de l'Isère. En revanche, ils connaissent très peu la taxe Tobin, quand ils la connaissent c'est déjà qu'ils sont bien renseignés sur Attac. C'est beaucoup plus par rapport à d'autres problèmes comme par rapport aux Organismes génétiquement modifiés, on a eu beaucoup de monde qui est venu après la conférence organisée avec José Bové et la confédération paysanne. Ils entendent parler d'Attac dans la presse, les journaux, la télévision et très peu dans les tracts diffusés sur l'Isère. Thomas : Non plus maintenant, ce n'est plus la taxe Tobin. Parce qu'on est intervenu sur des tas de terrain, notamment les OGM et donc plus maintenant. Avant oui pendant la première année c'était la taxe Tobin. On leur disait Attac vous connaissez ? Il disait « Ah oui ! C'est la taxe Tobin ». Pendant un an, un an et demi ça a été ça et maintenant ça a changé, depuis Seattle, depuis Davos c'est vraiment une association anti-mondialisation. Thomas : Les thèmes qu'on essaie d'informer le plus c'est bien entendu la taxe Tobin, les paradis fiscaux et la finance internationale, le problème des retraites aussi et de la capitalisation et les fonds de pension parce que ça touche beaucoup de gens et le problème de l'AGCS et de l'OMC et aussi le problème des OGM en liaison avec la Confédération paysanne. Voilà en gros les quatre thèmes, la dette c'est un problème qui est plus difficile et qu'on peut moins mettre en avant pour des histoires de mentalités, c'est toujours le même problème. C'est moins compris le fait que... Il y a un préjugé par rapport au tiers-monde [...] Les gens ils comprennent plus facilement, ils prennent plus facilement un dossier qui va leur expliquer que la remise en cause des retraites par répartition, ça veut dire que demain il y a des gens qui vont pouvoir financer leur retraite et d'autres qui ne pourront pas, plutôt que de dire, il faut annuler la dette des pays du tiers-monde parce que leur premier réflexe c'est de dire «Attendez, moi quand j'ai une dette je la paye ! ». Le fait de dire dette ils répondent « Moi je rembourse ma dette » et puis ils nous disent c'est tous des feignants... Tu vois ce que je veux dire...Ils veulent vivre au-dessus de leurs moyens et ainsi de suite. * 449 Chantal Aumeran, Pierre Tartakowsky, Rapport d'activité, Assemblée générale d'Attac La Ciotat, 23 octobre 1999. * 450 Cassen (Bernard), « Nous sommes tous des apprenants » in Une économie au service de l'homme, Paris, Mille et une nuits, 2001, pp. 9-16 * 451 L'ouvrage Tout sur Attac avait été vendu à 35 000 exemplaires six mois après son lancement. Les retombées commerciales des ventes ne sont pas négligeables malgré le faible coût d'un ouvrage (dix francs, mais dix-sept francs depuis peu) puisque la maison d'édition Fayard (très critiquée au sein de l'association en raison de son affiliation avec Lagardère Groupe) offre 10% de droits d'auteurs à l'association. Cf., Ferrand (Christine), « La contestation : un marché de poche », Livre Hebdo, 01/12/2000. * 452 Les militants du comité local ont par exemple, durant l'année 2000, tenu un stand à l'occasion de la journée de la Femme (8/03/2000), de la journée du 1er mai, de la fête interculturelles de la Villeneuve (24/06, Isère), de la foire « L'avenir au naturel » de l'Albenc (2-3/09, Isère), de la marche mondiale des femmes (14/10), des journées « Marché Solidaire et commerce équitable » qui ont eu lieu à Vizille (24-25/11, Isère), du salon Naturissima « La vie au naturel » (2-5/12). * 453 Durant l'année 2000, en sus des stands déjà cités, une distribution de tracts a eu lieu sur la place Felix Poulat sur l'AGCS (2/12) et un stand a été tenu sur la campus (13/11). Ibid., pp. 4-5. On peut noter que ce manque d'investissement des militants dans la distribution de tracts est confirmé par l'enquête de Thomas Marty selon laquelle 12,5% des enquêtés seraient prêts à participer à la distribution de tracts. Marty (Thomas), op.cit, annexes, p. 11. * 454 Berthelot (Jacques), Le dictionnaire de notre temps, Paris, Hachette, 1988, p. 476. * 455Un militant d'Attac a écrit dans ce sens sur internet : « J'en profite également pour souhaiter que nous autres à Attac sachions nous déprendre d'un certain complexe de supériorités de « militants de gauche ». Je m'explique : nous sommes tellement persuadés que nous avons un message important à délivrer aux « masses » (la taxe Tobin, la dénonciation critique de l'économie financiarisée, etc.), que nous avons parfois tendance à sous estimer l'état réel de conscientisation et d'éducation de la société civile dans ces domaines [...] La société civile n'est pas si ignorante et inerte qu'on le croit en ce qui concerne la taxe Tobin [...] ». Douillard (Luc), « Cher Bernard Cassen », Attac talk, 26/03/2001. |
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