UN RENOUVEAU DE LA PARTICIPATION ASSOCIATIVE ? L'engagement et le militantisme au sein du comité Attac Isèrepar Eric Farges Université Pierre Mendès France - IEP Grenoble - 2002 |
1.3.2 L'influence des syndicats dans Attac1.3.2.1 La recomposition syndicaleLes syndicats qui ont participé à la fondation d'Attac se positionnent comme « critiques » et « radicaux » vis-à-vis des centrales syndicales les plus anciennes. La coupure, bien qu'elle ne soit pas nette, entre les syndicats « radicaux » et « modérés » est apparue au début des années quatre-vingt-dix. C'est à l'occasion des événements de décembre 1995 qu'elle s'est révélée le plus saillant. Les principales centrales syndicales furent divisées sur la position à prendre vis-à-vis des grèves. La secrétaire de la CFDT, Nicole Notat, accepta le plan proposé par Juppé et n'appela pas à la grève mais elle fut contredite par une large partie de sa base syndicale. Marc Blondel, secrétaire de FO (Force ouvrière), et Bernard Thibault, secrétaire de la CGT (Confédération générale du travail) appelèrent à la grève. Toutefois, comme le note Daniel Bensaïd, « si les Confédérations (en particulier CGT et FO) se sont retrouvées ensemble dans la rue, il n'y a pas eu de front syndical capable de proposer unitairement un calendrier de mobilisation et de présenter une plate-forme de revendications communes »327(*). Les syndicats traditionnels ressortirent affaiblis de ces événements. Leur incapacité à agir en concert avec le secteur associatif mît en évidence la « fracture profonde entre syndicats et la couche sociale des chômeurs et des exclus »328(*). Suite à 1995, le paysage syndical fut profondément modifié. Les clivages qui étaient apparus entre les syndicats s'accentuèrent. La CFDT se désolidarisa des mouvements associatifs émergents et continua à soutenir des organisations plus traditionnelles telles que les Restos du coeur329(*). Louis Vianet, secrétaire de la CGT, occupa le rôle de coordinateur des mouvements sociaux. En revanche, il refusa d'accorder son soutien aux mouvements de chômeurs de 1997 et 1998, ce qui lui valu de nombreuses critiques330(*). Aucune confédération syndicale n'a pris part à la constitution d'Attac. L'absence de position de Nicole Notat, n'a pas empêché les syndicats dissidents de la CFDT (Fédération des banques CFDT, FGTE-CFDT331(*)) de participer à la constitution de l'association. En revanche, Bernard Thibault, après une rencontre avec les fondateurs, a incité à se mobiliser en faveur de l'association. C'est pourquoi, parmi les membres fondateurs figurent plusieurs sections de la CGT : Fédération des finances CGT, SNPTAS Equipement CGT, UGICT-CGT (Union générale des ingénieurs, cadres et techniciens CGT332(*)). Les liens qu'entretient l'association avec la CGT sont d'autant plus importants que Pierre Tartakowsky, membre du C.A au titre de la UGICT-CGT est secrétaire général d'Attac; il a eu la charge, en tant que responsable cégétiste, de structurer l'association en la dotant d'un appareil333(*). En revanche, les syndicats les plus récents participèrent activement à la fondation d'Attac. Ce sont les mêmes qui occupèrent le devant de la scène pendant les conflits sociaux de 1995. Ils tentèrent de tisser des liens avec les associations défendant le droit des femmes, les travailleurs immigrés ou les sans logis. A l'issue des mouvements sociaux de 95, une union syndicale a d'ailleurs eu lieu entre Sud, le Groupe des « Dix », la CGT, la FSU et le courant « Tous ensemble » de la CFDT. Il s'agissait pour ceux qui ont participé à 1995 de constituer une forme d'organisation interprofessionnelle pouvant redonner une dynamique au militantisme syndical334(*). Parmi les syndicats membres fondateurs, figurent le Groupe des « Dix » ou encore Sud (Solidarité, Unité, Démocratie). Pierre Khalfa est membre du C.A au titre de l'Union syndicale Groupe des Dix, il est également membre du bureau. Les syndicats enseignants disposent d'une représentation très forte dans Attac, puisque la FSU (Fédération syndicale unitaire), Le SNES (Syndicat national de l'enseignement secondaire) et le SNESup (Syndicat national de l'enseignement supérieur font partie des membres fondateurs. Daniel Monteux, qui est membre du C.A et du bureau, représente d'ailleurs le SNESup. Le syndicat le plus médiatisé dans Attac est la Confédération Paysanne (CP). La Confédération et Attac sont très proches malgré leurs domaines d'intervention très distincts. La Confédération est, d'ailleurs, membre fondateur de l'association. François Dufour est membre du C.A et vice-président d'Attac, au titre de la Confédération. L'association a apporté à plusieurs reprises son soutien au syndicat agricole : lors de l'arrestation de José Bové, après le démontage du McDonald's, Attac a participé au collectif de soutien qui s'était mis en place335(*). De même, lors de son procès, le bureau national avait appeler les adhérents à se joindre « à toutes les initiatives [...] de soutien aux militants mis en examen »336(*). Outre les mobilisations internationales, Attac et la Confédération ont mené plusieurs actions ensemble sur le thème des OGM. Par exemple, des militants d'Attac ont participé à plusieurs occasions au fauchage de champs plantés de maïs transgénique337(*). A priori, on pourrait penser que l'engagement syndical des militants grenoblois s'oriente, avant tout, sur les syndicats les plus radicaux qui ont participé au lancement de l'association. Il n'en est rien. Parmi les enquêtés, cinq ont eu un engagement syndical : Lionel a milité au sein de F.O, Laurent, Julie et Raymond ont milité à la CFDT et Thomas milite à la CGT. Aucun des interviewés n'a déjà adhéré à Sud, à la FSU ou au Groupe des Dix. Le syndicat le plus représenté (la CFDT), est d'ailleurs, celui qui semble le plus loin des prises de position d'Attac338(*). Comment expliquer ce paradoxe ? Tout d'abord, on peut remarquer que pour les enquêtés le choix de la centrale syndicale ne semble pas primordial. Il semblerait qu'ils privilégient davantage, dans leur engagement, le fait que les syndicats soient des moyens de lutte dans l'entreprise. Par exemple, l'adhésion de Lionel à F.O, bien qu'elle s'étale sur une longue période (1988-1998), n'apparaît pas comme représentative de ses préférences syndicales. Lionel affirme qu'il ne s'agit pas d'un engagement « de conviction mais plutôt par opportunité et facilité » (F.O était le syndicat le mieux représenté sur son lieu de travail). Il ajoute d'ailleurs que « ça aurait pu être la CFDT ». On peut noter que Lionel a été manifester en 1995 en compagnie des militants CFDT. De même, Luc explique que ce qui est important pour lui c'est avant tout « l'organisation collective des travailleurs ». Il a choisit d'adhérer à la CFDT suite aux conflits de mai 68 dans lesquels Luc « était partie prenante ». Lorsque l'élection a eu lieu dans son entreprise pour déterminer le choix d'une centrale syndicale, ce fut la CFDT qui fut élue. Luc estime qu'il en était « plus proche au début que maintenant ». La plupart des enquêtés engagés syndicalement semblent donc davantage concevoir leur adhésion comme étant liée à l'entreprise qu'au syndicat en tant que tel. Cette préférence pour un militantisme syndical qui soit indépendant des confédérations s'expliquerait par un refus de la politisation des enjeux syndicaux. Cela s'accorde d'ailleurs avec la volonté qu'affiche Attac de « réinventer la politique du mouvement syndical : « Repolitiser, dans la situation actuelle, ne peut en aucun cas signifier le retour à des allégeances ou même à des dépendances face à des partis politiques, ni le contrôle des syndicats sur un parti politique [...] Il s'agit donc de réinventer la politique du syndicalisme, en prenant comme point de départ la défense de l'intérêt de ses membres à partir de l'entreprise »339(*). Luc : Il n'y avait que la CFDT dans la boîte, c'est une petite boîte, on était 50. Moi en 1968, j'ai fait des piquets de grève, sans être syndiqué. La CFDT m'a plus ou moins demandé, dans la mesure où ils sentaient que j'étais partie prenante d'un certain nombre de choses, j'ai été très bien vu à la CFDT mais je n'ai pas adhéré, je travaillais à Paris chez Marcel Dassault. Il devait y avoir la CFDT et la CGT [...] Pour moi la centrale syndicale ce n'est pas important, ce qui important c'est l'organisation collective des travailleurs. Je fais partie de la CFDT à l'origine, peut-être que j'en étais plus proche au début que maintenant, mais j'ai adhéré CFDT à l'époque parce qu'on a décidé de faire une première section et au cours des votes pour savoir quel syndicat retenir la CFDT est passée parce qu'elle était beaucoup plus proche de ce qu'on pensait à l'époque. Lionel : Puis, je suis rentré à la « Sauvegarde » au début des années 80. L'association a connu une bureaucratisation très forte. Elle fonctionne moins sur un mode démocratique et sur l'autogestion et beaucoup plus sur un mode personnel, surtout celle qui se situe en Savoie. Face à ces problèmes j'ai décidé de d'adhérer à Force Ouvrière. Ce n'était pas par conviction mais plutôt par opportunité et par facilité. C'était vraiment par rapport à mon travail car il y avait des problèmes dans l'association. Ça aurait pu être la CFDT mais aujourd'hui non. On a organisé plusieurs manifestations et plusieurs réunions et mais je n'ai jamais eu de participation nationale, d'ailleurs en 1995 je suis allé manifester à Lyon avec la CFDT. C'était par hasard car je connaissais des gens, les syndicats sont représentés dans l'association en fonction des bureaux en fait. Mais je ne me suis pas du tout senti en décalage j'ai quitté mon syndicat en 1998 peu de temps après mon adhésion à Attac parce que je n'avais pas envie de m'engager plus mais je suis parti en très bons termes. Parmi ceux qui ont milité à la CFDT, un seul est encore actuellement adhérent (Laurent). Julie et Raymond ont quitté leur centrale syndicale après s'être engagés dans Attac340(*). Julie a quitté son syndicat en 2000, après quinze années de syndicalisme. Elle regrette qu'il y ait une coupure entre la base syndicale et la direction nationale. Selon elle, le « fonctionnement [...] ne va plus du bas vers le haut mais [il] part du haut et les autres n'ont pas grand-chose à dire ». Julie considère d'ailleurs que la section locale CFDT « fait du bon boulot ». En revanche, elle désapprouve les prises de position du secrétaire national, Nicole Notat, qui se situe en « collaboration avec le pouvoir en place » et qui représente « la courroie de transmission du patronat ». Sa démission est en lien direct avec son militantisme puisqu'elle explique que son appartenance syndicale lui semblait « contradictoire » avec son adhésion à Attac. Raymond, qui était délégué syndical de son entreprise, a quitté la CFDT en avril 2001. Sa démission est liée, en partie, au fonctionnement local du syndicat puisqu'il considère qu'il rencontrait trop de difficultés sur son travail syndical. De plus, il désapprouve les négociations qui ont eu lieu entre Notat et le Medef. Il estime, également, que la CFDT « rentre trop dans le jeu du patronat ». Laurent est le seul enquêté qui approuve la ligne syndicale nationale de la CFDT. Il déclare que son appartenance syndicale est «complètement bien assumée », et il ajoute qu'il « apprécie » les positions de Nicole Notat. En revanche, il considère qu'il existe localement une radicalisation à gauche qui est gênante. Parmi les enquêtés figurent plusieurs « déçus » du syndicalisme. Il semblerait qu'ils regrettent un centralisme trop excessif. Leur adhésion à Attac peut être donc être perçue comme la recherche d'un nouveau mode d'engagement dans lequel la direction nationale et la base seraient plus en accord. F.E : Sinon vous avez fait partie d'un syndicat... Julie : C'était la CFDT mais j'ai rendu ma carte. Je l'ai rendue, il y a un an car je trouvais qu'effectivement la CFDT... Je regrette que le porte-parole d'un groupe de mobilisation que ce soit par rapport à l'épargne salariale, par rapport à la modification du régime des retraites je trouve qu'elle est trop, pour l'instant, la courroie de transmission du patronat et ça ne me plaît pas du tout, donc je me suis dé-syndiquée. Ça faisait quinze ans, c'est-à-dire depuis que je suis ici [...] Certaines prises de position de Nicole Notat m'ont fortement déplu. Par rapport à l'épargne salariale, par rapport à la remise en cause des retraites, elle est pour les fonds de pension et la je me suis dit mais... C'est essentiellement ça. Pour moi elle est en collaboration avec le pouvoir en place et je trouve qu'il y a aujourd'hui un fonctionnement qui ne va plus du bas vers le haut mais qui part du haut et les autres n'ont pas grand-chose à dire. Et je trouve que son objectif à Notat c'est de se faire élire et de devenir ministre de quelque chose, dans la manière dont elle fonctionne ça n'est pas possible autrement. C'est très épidermique. Sinon la section CFDT fait du bon boulot [...] Pour moi ça me semble contradictoire d'être la CFDT et à Attac, là je me retrouve-moi dans un certain nombre de positions d'Attac, même si je me trouve pas forcément en adéquation avec le national, je ne retrouve plus du tout haut niveau de la CFDT et je pense que c'est contradictoire. La CFDT est d'accord avec l'épargne salariale, Attac ne l'est pas et moi je ne le suis pas. Luc : J'étais délégué syndical de la boîte. C'était le syndicat des services CFDT [...] F.E : Par contre je ne me rappelle plus quand vous avez arrêté adhérer à la CFDT ? Luc: C'était il y a deux mois. Parce que j'ai essayé jusqu'au dernier moment de travail avec la base et on arrive pas à travailler avec la base [...] Et j'avais prévu quand je me suis présenté et que j'ai été élu secrétaire du syndicat, c'était uniquement si l'on arrivait à former l'équipe de travail, sinon je laissais tomber. Je pense que ce sont aux gens qui sont syndiqués à se prendre en main et ce ne sont pas aux gens qui sont retraités de faire le travail pour les autres. J'accepte de passer du temps parce qu'il y a des gens qui sont là, mais je m'en irais un jour ou l'autre. J'ai à mon avis attendu beaucoup trop longtemps [...] Il y aurait pas eu tous les problèmes de la CFDT avec le MEDEF qui a fait du chantage et moi je ne sais pas d'accord pour que la CFDT négocie dans ce cadre là avec le MEDEF, cela n'a pas arrangé les choses. Je trouve que la CFDT rentre trop dans le jeu du patronat Laurent : En fait je t'avais dit que c'est la première fois que j'ai adhérée un mouvement mais ça n'est pas vrai car j'ai adhéré un CFDT et je me suis fait élire représentant syndical dans le cadre de mon métier quand j'étais à l'IUFM. C'était il y a trois ans. J'ai 32 ans. Et là à la CFDT j'ai eu le même problème qu'à Attac, j'étais confronté à des gens pas uniquement de la CFDT, il y avait deux syndicats qui étaient représentés la CFDT avec le SGEN qui est la branche de l'éducation nationale et le SIPP, c'est le syndicat enseignant qui est proche du parti communiste et de la CGT. Et avec eux c'était le même problème, ils sont radicaux et moi je ne suis pas radical [...] Moi je suis syndiqué à la CFDT, complètement bien assumé avec Nicole Notat alors que elle est pas mal remise en cause mais moi j'apprécie [...] C'est le même syndrome [dans Attac] que pour la CFDT. Entre le sommet et la base c'est clair que la base est beaucoup plus de gauche. Pour le parti socialiste je n'en sais rien mais pour la CFDT c'est sûr qu'il est une énorme différence. F.E : Pourquoi avoir choisit cet engagement syndical à la CFDT ? Laurent : Parce que c'est celui qui me correspond le mieux. La CFDT et, le parti socialiste, tout ça s'est cohérent. D'ailleurs je crois que la CFDT est adhérente à Attac. 1.3.2.2 Un réseau syndical isérois peu denseSur l'Isère, les militants d'Attac ont déjà organisé des actions unitaires avec l'aide des syndicats qui figurent parmi les membres fondateurs. Par exemple, à l'occasion du Forum social de Genève, en juin 2000, des transports avaient été organisés par Attac en lien avec la CGT et la FSU. Thomas, qui milite à la CGT depuis 1978, considère que cette action unitaire avec les syndicats n'aurait pas été possible, il y a quelques années. C'est parce qu'Attac, « demande aux syndicats de se positionner », que la CGT a été amenée à « se poser des questions [...] et ensuite [à] se positionner ». Toutefois, c'est avec la Confédération paysanne, que le comité local entretient le plus de rapports. Des actions communes ont été menées à plusieurs reprises. Par exemple, le 28/03/2000, une conférence de José Bové avait été organisée de façon conjointe341(*). Une conférence sur les OGM s'est déroulée en 2001. Attac a également manifesté son soutien envers les militants isérois de la Confédération. Ainsi, le comité Attac a souhaité « manifester [sa] solidarité » vis-à-vis de trois militants de la Confédération paysanne de l'Isère qui avaient été mis en examen pour le fauchage d'un champ de colza OGM342(*). De plus, le comité avait lancé un appel de soutien pour subventionner la location de bus afin que les militants de la Confédération puissent se rendre à Millau343(*). Avant l'apparition des mouvements anti-mondialiste, le comité isérois de la Confédération avait très peu de liens avec les associations et les syndicats grenoblois. On peut supposer, que c'est par le biais, entre autres, d'Attac que des liens se sont progressivement formés. D'ailleurs, Thomas, qui affirme connaître beaucoup d'organisations grenobloises, avoue qu'avant son adhésion à Attac, il n'avait pas de liens avec la Confédération. Thomas : Par exemple les syndicats qui sont membres fondateurs d'Attac, donc justement ils sont dans les membres fondateurs d'Attac et c'est qu'on puisse avec eux travailler sur ces questions de la mondialisation. Parce que je ne suis pas sûr par exemple que l'année dernière à Genève, contre l'OMC, il y a quelques années on aurait pu amener des gens à part peut-être la FSU qui sont bien au fait du problème de la marchandisation de l'éducation, on aurait peut-être pas pu amener une trentaine de personnes de la CGT pour manifester contre l'OMC. Je ne dis pas que c'est nous qui l'avons fait... Je dis que le fait qu'Attac pose ces questions-là et demande aux syndicats de se positionner et qu'il y ait des membres fondateurs d'Attac qui y soient, notamment le syndicat CGT des finances, ça a permis que la CGT se pose des questions sur cela et ensuite se positionne par rapport à l'OMC est donc ensuite participe avec nous à tout ça. C'est pas sûr qu'ils l'auraient fait il y a quelques années même si bien sûr ils avaient des positions sur l'OMC. F.E : Tu les connaissais avant les militants de la Confédération paysanne ? Comment vous avez été amené à vous rencontrez ? Thomas : Non. Moi j'ai rencontré les militants de la Confédération paysanne dans Attac, j'avais des copains qui les connaissaient avant mais qui les connaissaient comme ça pour s'être rencontré au cours de manifestations, mais... En revanche, mis à part avec la Confédération, aucune action locale n'a pu avoir lieu avec le soutien des syndicats, notamment des centrales les plus anciennes comme la CGT ou la CFDT. Thomas, qui souhaitait organiser des diffusions de tracts dans l'usine où il travaille, n'a pas reçu l'appui de la CGT, bien qu'il soit adhérent de la CGT. En revanche, il a reçu l'aide de la CFDT, du fait que la section syndicale de l'entreprise ait adhéré à Attac Isère. François reproche aux militants du comité isérois de n'avoir rien tenté pour organiser un « travail concret » avec la CFDT et la CGT. Il met en comparaison sa précédente expérience associative à Ras l'Front avec la situation au sein d'Attac. Il estime que les militants de Ras l'Front avaient réussi à « tisser un lien fort avec les syndicats à la base, localement ». Des actions étaient menées régulièrement avec les syndicats, au sein des entreprises, et un « lien social » avait été établi. Dans le comité Attac, malgré la présence de syndicalistes dans le C.A, François considère qu'il n'existe pas un véritable lien. Il explique ce paradoxe par deux raisons. Tout d'abord, les syndicalistes qui sont adhérents à Attac, sont présents dans l'association uniquement à titre individuel. Il n'existe donc pas une véritable représentation des syndicats en tant que tels. De plus, il n'y a pas, selon lui, une volonté de la part des militants du comité Attac de travailler en lien avec les syndicats. François regrette que les membres du comité isérois « pense avoir le monopole sur ces questions-là » (qui sont liées à la mondialisation) et en fait son « pré-carré » sans que « les autres [n'aient] vraiment leur mot à dire ». Il semblerait, qu'il existe une tentative de la part du comité local de représenter de façon exclusive le réseau anti-mondialiste. Thomas : D'un côté, sur les syndicats, il y a des membres fondateurs comme à la CGT ou Sud ou certaines sections de la CFDT... A Nerpick par contre on a essayé car il y a des tracts d'Attac qui sont distribués parce que CFDT Nerpick est rentrée à Attac et on distribue des tracts. Moi je suis à la CGT et je distribue des tracts d'Attac. Mais on comptait... Et moi je compte encore sur les sections d'entreprise et de syndicats pour que la CGT fasse des diffusions de temps en temps mais la CGT rien du tout... Rien ! Rien ! Toutes les manifestations qu'on a faites depuis février 1999, la CGT en tant que syndicat n'a participé à aucune initiative avec Attac. Il y a des adhérents de la CGT qui viennent avec nous mais à titre individuel [...] La plupart du temps les responsables locaux n'ont pas de lien et ne veulent pas entendre parler d'Attac. Alors qu'avec la CFDT on a des liens et on commence à être invité et reconnu. François : On avait quand même réussi une chose qu'Attac n'a toujours pas engagé, on avait réussi à tisser un lien fort avec les syndicats à la base, localement. Attac a des syndicalistes dans sa direction et il y a très peu de liens avec les Confédérations. Il y a des liens avec Sud et avec la FSU, Sud parce que c'est un syndicat moderne et radical dans lequel tu trouves des libertaires, des gens d'extrême gauche ou simplement des déçus de la CGT. Il y a très peu de lien entre Attac et la CGT ou la CFDT, sinon aucun. Moi je pense que ça vient d'Attac, je pense que les Confédérations sont assez sclérosées et pour qu'elles bougent, il leur faut du temps. Nous, on a fait pression sur les syndicats et on leur a dit que par rapport aux problèmes de racisme dans les entreprises on peut travailler ensemble. Donc on a fait un travail concret avec ces gens-là. On avait des échanges sur le matériel qu'on pouvait produire ensemble et puis il y avait un lien social, on était présent régulièrement et comme ça les gens n'étaient pas cantonnés dans leur milieu. Dans Ras l'Front il y avait des syndicalistes et il y en a aussi à Attac et on avait une autre démarche et ils étaient là avec la bénédiction de l'union départementale du syndicat, ils étaient là pour faire le lien. Attac n'a pas cette démarche aujourd'hui et c'est dommage. Peut-être qu'au niveau des dirigeants ils l'ont, entre Thibault et Bernard Cassen ils doivent se rencontrer mais c'est pas dans la culture d'Attac de dire qu'au niveau local on va faire un pôle anti-mondialisation avec tous ceux qui se battent sur des thèmes différents, par exemple la CGT sur le thème des licenciements boursiers. Il n'y a pas de démarche offensive dans cette direction-là. Attac pense avoir le monopole sur ces questions-là, c'est son pré carré et c'est à Attac de gérer ses revendications et les autres n'ont pas vraiment leur mot à dire. En tous cas on a pas établi des passerelles pour travailler ensemble. Ce manque de liens avec le réseau syndical se retrouve également dans les relations qu'entretient le groupe « campus » avec les syndicats étudiants. Cécile, la responsable de ce groupe, explique qu'elle n'entretient aucun rapport avec les trois principaux syndicats étudiants, l'Unef-Id, Solidarité étudiante (SE) et Sud. Elle se positionne en retrait vis-à-vis de ces trois syndicats. Elle considère que l'Unef-Id souhaite avant tout récupérer les associations du campus344(*). Elle est en désaccord avec SE sur le sujet de l'allocation universelle d'étude. Enfin elle définit les militants de Sud comme étant des « aristocrates [...] dans le sens où ils sont très méprisants vis-à-vis des étudiants ». En revanche, Cécile estime que des actions sont possibles avec ces syndicats à condition que cela se fasse de façon unitaire. Par exemple, elle pense qu'une action conjointe aurait été possible à l'occasion du boycott des produits Danone. Cela aurait permis, selon elle, d'être « complémentaire » sans pour autant se situer sur « le même terrain ». F.E : Par contre, avec les syndicats, ils sont présents avec les syndicats étudiants ? Vous avez des rapports ? Cécile : Aucun rapport ! C'est assez bizarre d'ailleurs. Moi j'aurais imaginé que des gens, comme ceux de l'Unef-Id, viendraient un peu à Attac campus. Par exemple à l'Unef-Id, ils sont très en lien avec SOS racisme il y a beaucoup de gens Unef Id qui sont à SOS racisme [...] Pour l'instant, les gens de Unef Id ne viennent pas à Attac [...] Et puis, Sud, sur le campus, trouve des réformistes un peu traîtres. Enfin, j'exagère un peu... [Rires]. Non c'est vrai, Sud sont vraiment très radicaux [...] Et donc, on n'a pas de liens avec eux parce que c'est un positionnement politique ; pour eux, revendiquer la taxe Tobin c'est utiliser le système et ça, ils n'en veulent pas. Je simplifie, c'est plus compliqué que ça. Du coup, on n'a pas de lien avec les syndicats étudiants [...] J'ai été voir les syndicats étudiants car je pensais que c'était important de militer et j'avais été voir Solidarité Etudiante et Sud et j'avais halluciné sur leurs pratiques. Je trouvais qu'ils ne faisaient pas de syndicalisme étudiant comme les chaînes d'inscription, faire de la défense au cas par cas des étudiants, plancher sur les réformes de l'université et moi ça me gênait. Moi j'ai toujours trouvé que Sud était très intello et ils se sont à côté de la plaque sur des choses. Ils sont limite aristocrates pour moi dans le sens où ils sont très méprisants vis-à-vis des étudiants. F.E : Mais vous leur faites de l'ombre, un peu, aux syndicats ? Cécile : Non, car on n'agit pas sur le même terrain ! [...] Le syndicalisme étudiant, c'est la défense des droits des étudiants en premier lieu puis après c'est des positionnements politiques. Mais ce n'est pas du tout la même vocation qu'une association comme Attac. Moi je pense qu'il y a une complémentarité. Cela aurait été bien, par exemple, que l'on travaille avec les syndicats étudiants sur le sujet du Crous ou Danone. C'est un sujet qui est à la limite de ce que peut faire un syndicat étudiant; parce que c'est sur le campus et que cela concerne les étudiants seuls. Si on avait été sollicité par un syndicat étudiant ou que l'on ait eu des liens avec un syndicat étudiant sur ce sujet, on aurait très bien pu faire une action en commun. Comme on n'a pas ces liens là et que Sud n'intervient pas sur le campus et l'Unef Id intervient mais pas sur ce terrain-là ! [...] Mais moi, je pense que ce n'est pas faire de l'ombre, on pourrait être très bien complémentaire sur une action [...] Non ! Une action avec un seul syndicat étudiant, c'est toujours un peu difficile. C'est un truc en binôme, tu vois, juste avec un syndicat, c'est faisable, mais moi je pense que c'est toujours mieux, par exemple dans le domaine unitaire, quand il y a plusieurs associations ou syndicats ou partis. C'est mieux car tu n'as pas une association qui se fait directement, moi ça me saoulerait que l'on soit associé à l'Unef id, tu vois, qu'on n'aurait à faire qu'à eux ; par contre on pourrait faire une action unitaire avec eux. Les Attacants grenoblois mènent peu d'actions communes avec les associations, mais surtout les syndicats, locaux. Les organisations qui ont fondé l'association de façon nationale et locale, semblent avoir très peu d'influence dans la vie du comité. POurquoi les dirigeants nationaux accordent tant d'importance à l'adhésion d'autres associations et les membres du comité grenoblois si peu? Il faut chercher, selon nous , les raisons de cette divergence dans les différentes représentations de l'engagement associatif. * 327 Bensaïd (Daniel), « Contre-réforme libérale et rébellion populaire », in New left review, n°215, 01/02/1996. Cité dans Aguiton (Christophe), Bensaïd (Daniel), Le retour de la question sociale, op.cit, pp. 104-122. * 328 Aguiton (Christophe), op.cit, p. 131. * 329 Michel Caron, secrétaire national de la CFDT, dévalorisa les associations protestataires telles que le DAL ou Droits Devant ! : « Sans rien proposer d'alternatif, les nouvelles associations ne construisent rien. La CFDT coopère avec des associations d'invention comme les Restos du Coeur à l'intervention concrète et efficace sur le terrain ». Caron (Michel), « Nouveaux Mouvements Sociaux, les hussards du ici et maintenant », in CFDT Magazine, n°216, juin 1996. * 330 Cf., Béroud (Sophie), Mouriaux (René), Vakaloulis (Michel), op.cit, p. 146. * 331 Hervé Alexandre est membre du C.A au titre de la FGTE-CFD * 332 Jean-Christophe Chaumeron, le représentant de la Fédération des finances CGT, est membre du C.A d'Attac. * 333 Tartakowsky a été élevé dans une culture militante communiste. Son père, journaliste à L'humanité, était un des animateurs de la MOI, l'organisation du PCF pour l'immigration. Sa mère, responsable CGT, a participé à la reconstruction de la centrale à la libération. Il se fit connaître, comme homme d'appareils, au début des années 80, par sa participation à la reprise en main brutale d'Antoinette, le mensuel féminin de la CGT, pour une partie de l'équipe avait été licencié pour avoir a voulu appliquer la ligne d'ouverture, décidée par Georges Séguy lors du 40e congrès. Puis prenant ses distances avec l'orthodoxie sous Louis Viannet, il a été considéré comme un contestataire prônant la rénovation. Entretenant de meilleures relations avec Bernard Thibault, il s'est rapproché de sa centrale syndicale. De plus, il a quitté le PCF en août 1991, après le putsch manqué contre Gorbatchev. Cf., Monnot (Caroline), « Un homme d'appareil », Le Monde, 5/06/2000, p. 6. * 334 « Notre idée est que la dimension interprofessionnelle doit prendre une plus grande place : le mouvement était interprofessionnel et de ce renouveau syndical devait sortir des formes de rénovation. L'idée est de constituer une forme d'organisation confédérale où se retrouveraient les grandes fédérations ou les syndicats nationaux ». Aguiton (Christophe), « Le point d'inflexion de novembre-décembre 1995 » in Futur Antérieur, n°33-34, 01/1996.In Aguiton (Christophe), Bensaïd (Daniel), Le retour de la question sociale, p. 122. * 335 Monnot (Caroline), « La gauche « mouvementiste » soutient la Confédération paysanne », Le Monde, 23/08/1999, p. 5. * 336« Attac solidaire de José Bové et des militants de la Confédération paysanne », Lignes d'Attac, n°8, 09/2000, p.3. * 337 Des destructions ont eu lieu fin août dans le département de la Drôme, les militants d'Attac réunis à Arles pour l'université d'été de l'association sont venus leur « prêter main-forte ». Serafini (Tonino), « Dans la Drôme les OGM s'arrachent à la pelle », Libération, 27/08/2001, p. 1. * 338 On peut noter que la situation des interviewés correspond aux résultats de l'enquête quantitative menée par Thomas Marty. En effet, parmi les militants toulousains de l'échantillon, le syndicat le mieux représenté est la CFDT (64% des syndicalistes qui ont été enquêtés sont adhérents à la CFDT), suivi de la CGT et de Sud avec respectivement 21,4% et 14, 3%. Cf. Marty (Thomas), op.cit, p. 100. * 339 Gallin (Dan), « Réinventer la politique du mouvement syndical » in Attac, Contre la dictature des marchés, La dispute-Syllepses-Vo éditions , 1999, pp. 103-121. * 340 C'est également le cas de Lionel qui a quitté F.O « en très bon termes » quelques mois après son adhésion à Attac. * 341 Cf., Rapport d'activité 2000 * 342 Cf., Attac Isère, Lettre aux adhérents, 05/2000. * 343 Attac Isère a ainsi pu rassembler la somme de 8843 F. Cf., Attac Isère, « Résultat prévisionnel 2000 », « Rapport d'activité 2000 ». * 344 Cécile estime que l'Unef-Id a récupéré « politiquement » la section du campus de SOS-Racisme. |
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