La règlementation des contenus illicites circulant sur le reseau internet en droit comparépar Caroline Vallet Université Laval de Québec - 2005 |
ANNEXELA LOI N°2004-575 POUR LA CONFIANCE DANS L'ÉCONOMIE NUMÉRIQUE (LEN) La LEN593(*), publiée au Journal Officiel n°143 du 22 juin 2004, a connu une élaboration laborieuse. D'ailleurs, elle a été soumise au Conseil constitutionnel le 18 mai 2004, lequel a procédé à l'annulation et à la modification de certaines dispositions. C'est ainsi que nous analysons les principales nouveautés concernant le régime de responsabilité des prestataires de services Internet (PSI) (I) et la qualification du réseau Internet (II). I. Les prestataires de services Internet L'article 6 de la LEN est le nouveau texte traitant des PSI. Le régime des fournisseurs d'hébergement a subi certaines modifications ainsi que la procédure en référé ou sur requête, la notification et l'obligation de surveillance. 1. Le fournisseur d'hébergement Le nouvel article traitant du fournisseur d'hébergement dispose désormais que : « 2. Les personnes physiques ou morales qui assurent, même à titre gratuit, pour mise à disposition du public par des services de communication au public en ligne, le stockage de signaux, d'écrits, d'images, de sons ou de messages de toute nature fournis par des destinataires de ces services ne peuvent pas voir leur responsabilité civile engagée du fait des activités ou des informations stockées à la demande d'un destinataire de ces services si elles n'avaient pas effectivement connaissance de leur caractère illicite ou de faits et circonstances faisant apparaître ce caractère ou si, dès le moment où elles en ont eu cette connaissance, elles ont agi promptement pour retirer ces données ou en rendre l'accès impossible. L'alinéa précédent ne s'applique pas lorsque le destinataire du service agit sous l'autorité ou le contrôle de la personne visée audit alinéa ». Certaines modifications ont donc été faites. La loi définitive a choisi d'utiliser la formulation « faisant apparaître ce caractère illicite ». Par conséquent, un caractère seulement apparent suffit à retirer une information circulant sur Internet ce qui amène une certaine insécurité. Il est clair que cela porte atteinte au principe de la liberté d'expression et aux droits de la personne. Toutefois, il faut apporter une précision importante. En effet, le Conseil constitutionnel a émis certaines réserves concernant le régime de responsabilité des PSI et a ajouté une condition supplémentaire. C'est pour cette raison qu'il stipule que pour engager la responsabilité de ces prestataires, « il faudrait de plus que le caractère illicite de l'information dénoncée soit manifeste ou qu'un juge en ait ordonné le retrait ». Une autre modification est intervenue. En effet, la LEN rajoute une nouvelle disposition à l'article 6. Elle dispose que la responsabilité civile de l'hébergeur n'est pas engagée du fait « des activités ou des informations stockées à la demande d'un destinataire de ces services ». Et un autre alinéa qui dispose que « l'alinéa précédent ne s'applique pas lorsque le destinataire du service agit sous l'autorité ou le contrôle de la personne visée audit alinéa ». Il s'agit de nouvelles dispositions jusque là pas abordées par les autres projets de loi excepté le dernier projet du Sénat en deuxième lecture. La LEN transpose l'alinéa 2 de l'article 14 de la Directive européenne sur le commerce électronique594(*) qui précise le régime de responsabilité dérogatoire des hébergeurs qui ne s'applique pas lorsque le destinataire du service agit sous le contrôle ou l'autorité de l'hébergeur595(*). En effet, la LEN semble vouloir insérer l'idée que l'hébergeur ne peut agir que si son client lui en fait la demande. Elle veut encadrer l'action de ce prestataire qui se voit octroyer un pouvoir de censure. Cette précision permet de limiter les retraits et les blocages des informations puisque désormais, c'est l'internaute qui devient l'élément déclencheur de l'exercice de la censure596(*). Dans tout les cas, cette pratique peut entraîner d'importants abus et elle réduit le juge à un simple rôle de contrôle a posteriori si l'affaire est portée devant les tribunaux. Ces nouvelles dispositions sont également reprises pour la responsabilité pénale des hébergeurs597(*). 2. La procédure en référé ou sur requête L'autorité judiciaire peut prescrire en référé ou sur requête soit au fournisseur d'hébergement soit à défaut, et il s'agit d'une nouveauté, au FAI pour prévenir ou faire cesser un dommage598(*). Le juge peut donc prendre toutes mesures qui convient pour cesser la diffusion d'un contenu jugé illicite. Il peut maintenant soit cesser un dommage soit le prévenir. Cette nouvelle formulation transpose fidèlement la directive puisque l'article 13 alinéa 3 et l'article 14 alinéa 3 précise qu'une autorité judiciaire peut exiger du prestataire « qu'il mette un terme à une violation ou qu'il prévienne une violation ». Le rôle du juge est respecté et correspond à ses compétences définies aux articles 808 et 809 du nouveau code de procédure civile599(*). 3. La notification Par rapport aux projets précédents, la formulation « procédure facultative de notification » a disparu et une substitution de « réputée acquise » par « présumer » a été effectuée ce qui permet d'alléger le fardeau de la preuve. En effet, lorsque la connaissance est présumée, le défendeur se retrouve seulement face à une présomption simple, donc la preuve est plus légère que la précédente. Cet article crée donc « une présomption d'acquisition, par l'hébergeur, de la connaissance des faits litigieux »600(*) qui aurait force probatoire devant le juge. En outre, la loi définitive comporte une procédure pour lutter contre les allégations mensongères. Certains projets de lois l'avaient supprimé. Désormais, la rédaction de l'article est la suivante : « le fait, pour toute personne, de présenter aux personnes mentionnées au 2 un contenu ou une activité comme étant illicite dans le but d'en obtenir le retrait ou d'en faire cesser la diffusion, alors qu'elle sait cette information inexacte, est puni d'une peine d'un an d'emprisonnement et de 15000 € d'amende »601(*). Cette disposition permet de dissuader les internautes qui profiteraient de cette nouvelle législation pour retirer ou faire bloquer des informations licites. 4. L'obligation de surveillance Une fois encore le Parlement a montré un certain manque de consensus sur ce point. En effet, selon que le projet de loi soit devant l'Assemblée Nationale ou le Sénat, cette obligation de surveillance diffère. La loi définitive a tranché en introduisant de nouveaux alinéas qui disposent : « Le précédent alinéa est sans préjudice de toute activité de surveillance ciblée et temporaire demandée par l'autorité judiciaire. Compte tenu de l'intérêt général attaché à la répression de l'apologie des crimes contre l'humanité, de l'incitation à la haine raciale ainsi que de la pornographie enfantine, les personnes mentionnées ci-dessus doivent concourir à la lutte contre la diffusion des infractions visées aux cinquième et huitième alinéas de l'article 24 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse et à l'article 227-23 du code pénal. À ce titre, elles doivent mettre en place un dispositif facilement accessible et visible permettant à toute personne de porter à leur connaissance ce type de données. Elles ont également l'obligation, d'une part, d'informer promptement les autorités publiques compétentes de toutes activités illicites mentionnées à l'alinéa précédent qui leur seraient signalées et qu'exerceraient les destinataires de leurs services, et, d'autre part, de rendre publics les moyens qu'elles consacrent à la lutte contre ces activités illicites. Tout manquement aux obligations définies à l'alinéa précédent est puni des peines prévues au 1 du VI ». Désormais, les PSI devront effectuer une certaine surveillance au moyen d'un repérage préventif de données relatives à l'apologie des crimes de guerre, au racisme et à la pédophilie. La Directive sur le commerce électronique prévoit cette possibilité d'exiger des PSI qu'ils préviennent une violation. Ils pourraient être amenés à surveiller les contenus mais seulement dans un cas spécifique602(*). De plus, les PSI doivent mettre en place un dispositif pour faciliter la lutte contre ces infractions. II. La qualification du réseau Internet La loi définitive a enfin tranché sur la qualification d'Internet. C'est ainsi que nous verrons en premier lieu, la distinction entre le droit de l'audiovisuel et le droit applicable sur le réseau Internet et en deuxième lieu, la création d'une nouvelle catégorie. 1. Distinction entre le droit de l'audiovisuel et le droit applicable sur le réseau Internet Le Parlement a enfin décidé à ne pas attribuer toute la réglementation à un seul organisme, le Conseil Supérieur de l'Audiovisuelle (CSA). Les nouvelles dispositions créent un droit spécifique du réseau Internet qui ne relève pas du droit de l'audiovisuelle en ce qui concerne les services autres que ceux de la télévision et de la radio. C'est ainsi que la LEN fait sortir définitivement Internet des services de communication audiovisuelle. 2. Création d'une nouvelle catégorie La LEN crée et insère dans l'article 1 une nouvelle notion « la communication au public par voie électronique ». Ce terme est définit comme « toute mise à disposition du public ou de catégories de public, par un procédé de communication électronique, de signes, de signaux, d'écrits, d'images, de sons ou de messages de toute nature qui n'ont pas le caractère d'une correspondance privée »603(*). Cette définition possède un champ d'application large qui permet d'englober le plus grand nombre possible de médias tels qu'Internet. Cette nouvelle catégorie générique se subdivise en deux : d'une part, la « communication audiovisuelle »604(*) qui comprend la télévision et la radio sur tout support tel qu'Internet et d'autre part, la « communication au public en ligne » qui se définit comme toute transmission, sur demande individuelle, de données numériques par un procédé de communication électronique605(*). L'ajout de la définition de ces notions permet d'éluder le droit applicable sur le réseau Internet et les rendre plus cohérentes faces aux inquiétudes des PSI qui sont les premiers visés dans cette loi. En outre, cela permet également d'éviter ainsi les amalgames avec le droit audiovisuel et le droit de la presse dans certains cas. Conclusion Le droit français possède dorénavant sa loi Internet. Elle n'est pas parfaite et son application risque d'amener certaines difficultés mais il est encore tôt pour se prononcer. Il faudra donc attendre son application judiciaire pour savoir si elle correspond véritablement aux réalités du réseau. * 593 Voir également le site de l'Assemblée Nationale sur l'Économie numérique, en ligne sur : < http://www.assemblee-nat.fr/12/dossiers/economie_numerique.asp#modifAN2> et celui de Légifrance, en ligne sur : < http://www.legifrance.gouv.fr/>. * 594 Directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2000 relative à certains aspects juridiques des services de la société de l'information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur («directive sur le commerce électronique»), J.O.C.E n° L 178 du 17/07/2000, p. 0001 - 0016 ; et en ligne sur : < http://europa.eu.int/smartapi/cgi/sga_doc?smartapi!celexapi!prod!CELEXnumdoc&lg=fr&numdoc=32000L0031&model=guichett>. * 595 Rapport du Sénat n°232 de MM. Pierre HÉRISSON et Bruno SIDO, déposé le 3 mars 2004, en ligne sur : site du Sénat < http://www.senat.fr/rap/l03-232/l03-2320.html#toc0> (site visité le 13 avril 2004). * 596 Id. : Le rapport précise que « demander aux prestataires techniques d'effacer toute trace d'actes manifestement illicites interfère avec les investigations policières et peut aboutir à la dissimulation des réseaux criminels. Or il ne saurait y avoir de lutte efficace contre les contenus illégaux en ligne que grâce à la poursuite des auteurs de ces contenus ». Il est vrai qu'il ne faut pas oublier que le premier responsable est l'auteur du message litigieux et qu'en retirant ce message, les preuves ou mêmes les investigations policières seront plus difficiles à effectuer même s'il ne faut pas oublier que de toute façon, l'hébergeur doit conserver les données permettant l'identification du fournisseur de contenu qui sera donc plus facile à poursuivre. * 597 LEN, art. 6. * 598 Id. : art. 8. * 599 Art. 808 du nouveau code de procédure civile : « dans tous les cas d'urgence, le président du tribunal de grande instance peut ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l'existence d'un différend » ; Art. 809 du même code : « Le président peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite. Dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, il peut accorder une provision au créancier, ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire ». * 600 Rapport du Sénat n°232 de MM. Pierre HÉRISSON et Bruno SIDO, op. cit., note 3. * 601 LEN, art. 6. * 602 Directive sur le commerce électronique, précitée, note 2, art. 15 et considérant 47. * 603 LEN, art. 1er. * 604 Id. * 605 Id. |
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