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Les Etats face aux Drogues


par Eric Farges
Université Pierre Mendès France - IEP Grenoble 2002
  

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1.3.1.2 Drogues douces/dures : une distinction empirique

Le législateur a introduit à la fin des années quatre-vingt une distinction entre les drogues considérées comme « douces » et les drogues dites « dures »165(*). Cette différenciation est née tout d'abord en Hollande pour répondre de façon pragmatique au problème de l'élargissement des consommateurs de cannabis qui étaient toujours plus nombreux et qui rendait inadéquate la distinction entre les substances licites et illicites. Cette distinction s'est progressivement élargie au cours des années quatre-vingt-dix à l'ensemble de l'Europe. Il s'agissait d'opérer une distinction au sein même des drogues illicites, afin d'éviter un amalgame entre le cannabis et l'héroïne. Cette distinction a amené les législations nationales à opérer une classification graduelle du niveau de dangerosité attribué. Le classement des substances illégales se fait en Italie en fonction d'un chiffre représentant cette dangerosité comprise entre 1 (le plus faible) et 6 (le plus fort). Le cannabis est ainsi considéré dans les substances de la seconde classe juste après l'opium et la cocaïne. Certains estiment que ce jugement est exagéré et soutiennent qu'il ne s'agit pas plus d'une drogue que le tabac ou l'alcool

Cette distinction a ouvert la voie à de nombreuses polémiques. Elle constitue le principal argument des partisans de la légalisation du cannabis. L'usage social qui est fait du cannabis c'est à dire la possibilité de consommer cette substance de façon occasionnelle constitue, selon les anti-prohibitionnistes, la meilleure preuve afin de légaliser le cannabis. De plus, on observe fréquemment une distinction entre les fumeurs de marijuana ou haschich et les consommateurs d'héroïne. Cette observation contredit l'idée d'un continuum progressif allant des drogues douces aux drogues légères. Il semble que les logiques qui sous-tendent leur consommation soient diverses. Ce second argument pourrait toutefois être contredit par le fait que la quasi-totalité des toxicomanes ont commencé leur rapport aux substances par le biais de la marijuana166(*).

Certains pays ont utilisé cette distinction comme point de départ pour la légalisation du cannabis. C'est le cas par exemple de la Hollande, où comme le rappelle Grazia Zuffa la distinction entre les drogues douces et les drogues dures a rendu possible la vente de modestes quantités de cannabis dans les coffee shops sans pour autant renoncer à la persécution pénale des autres substances jugées plus dangereuses167(*). D'autres pays toutefois, comme la France ou l'Italie, ont utilisé cette distinction afin d'adapter les mesures judiciaires en fonction de la dangerosité de la substance et afin de réorienter les politiques publiques (notamment en matière de traitement) en direction des drogues caractérisées comme étant « dures ». 

Le terme de drogue douce a également permis de rapprocher les drogues légales (alcool, tabac, etc.) avec les substances comme le cannabis qui tout en présentant des caractères similaires sont prohibées. La frontière entre le légal et l'illégal, mais aussi entre celle qui distingue les drogues douces illicites et les drogues légales, semblent ainsi de moins en moins pertinentes au regard des modes de consommation. Le rapport Roques réalisé à la demande de Bernard Kouchner a remis en cause le classement des stupéfiants en relativisant les risques du cannabis (relativement au tabac) et en classant l'alcool parmi les drogues les plus dangereuses168(*).

La distinction entre le licite et l'illicite constitue une première ligne de démarcation entre toxicomane et non-toxicomane. La catégorisation des substances opérée par le législateur est cependant le fait de considérations sociales. Le clivage drogues dures/drogues douces a profondément remis en cause les législations nationales. L'observation clinique a toutefois limité la portée de cette dernière distinction. Il existe par exemple certains consommateurs qui réalisent un usage toxicomaniaque du cannabis. Piccone Stella remarque dès lors que « l'adjectif doux ou dur connote de façon plus adéquate les consommateurs que les substances elles-mêmes »169(*). Le point de référence et de distinction entre toxicomanie et non toxicomanie ne semble plus être la substance elle-même mais l'usage qu'il en est fait.

* 165 Piccone Stella S., Droghe e tossicodipendenza, op.cit., pp.98-99.

* 166 Près de 98% des consommateurs d'héroïne selon une étude citée par Simonetta Piccone Stella. Cet antécédent de consommation explique par ailleurs les fortes réticences des professionnels de la toxicomanie à légaliser le cannabis. Cf. Piccone Stella S., Droghe e tossicodipendenza, op.cit., p.100.

* 167 Zuffa G., I drogati e gli altri. Le politiche di riduzione del danno, p.40

* .

168 Cf., Roques (Pr. Bernard), Problèmes posés par la dangerosité des « drogues ». Rapport du Professeur Bernard Roques au Secrétaire d'Etat à la Santé, op.cit. Simon Théo, Drogues. Contre la criminalisation de l'usage ?, Paris, Editions du Monde Libertaire, 2002, p.134

* .

169 Piccone Stella S., Droghe e tossicodipendenza, op.cit., p 47

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