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Les Etats face aux Drogues


par Eric Farges
Université Pierre Mendès France - IEP Grenoble 2002
  

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1.1.2 Un paradigme de nature sanitaire ou socioculturelle ?

1.1.2.1 Prévenir les risques sanitaires et sociaux

La première finalité de la réduction des risques telle qu'elle a été initiée à Liverpool était de prévenir les risques d'infection encourus par les consommateurs d'héroïne. Il est ainsi possible de définir de façon préliminaire la réduction des risques comme une « politique privilégiant, avant toute autre considération, des stratégies de soin et de prévention visant à limiter au maximum les risques sanitaires (infections, etc.) liés à l'usage de psychotropes et, particulièrement, des drogues illicites »290(*).

La mesure la plus symbolique de la réduction des risques a été, et reste, l'accès garantit à un matériel d'injection stérile, essentiellement par l'échange de seringues. La distribution de ce matériel a rendu nécessaire un travail de terrain et une présence des travailleurs sociaux au plus près des lieux de vie des toxicomanes. Ces contacts répétés ont rapidement permis l'établissement d'un rapport privilégié avec certaines franges des populations les plus marginalisées. Ce système a eu pour avantage de créer « un contact direct avec le toxicomane, un moment privilégié où une éducation sanitaire peut lui être délivrée, de façon individualisée et régulière »291(*). Le rapport sanitaire devient un rapport social du moment qu'il se manifeste par un rapport humain. La réduction des risques s'est dotée d'une double dimension de politiques de santé et de politique sociale par le soutien d'un lien social fondé sur des interventions de proximité292(*)292(*).

Un autre outil de la réduction des risques fut également la mise en place de structures d'accueil et d'informations proches des lieux de vie des toxicomanes ayant des horaires souples et disponibles. Ces lieux ont offert l'occasion d'établir un contact durable avec les populations toxicomanes. Le rapport qui s'instaure entre l'opérateur social permet d'établir une prise en charge globale qui implique un service d'aide social et un programme thérapeutique. Pascal Courty résume cet objectif au sein du Centre de soins pour toxicomanes qu'il dirige à Clermont-Ferrand :

« La réduction des risques, c'est toujours une occasion de dialoguer, d'informer et d'échanger sur des pratiques. L'avantage que nous avons au Centre de Soins Spécialisés pour Toxicomanes est de pouvoir proposer autre chose que l'échange de seringues. Notre démarche s'inscrit dans une prise en charge globale de l'usager, qui peut, s'il le désire, être orienté vers les différents services sociaux, intégrer un programme de substitution ou tant de choses encore »293(*)

La réduction des risques partait d'une nécessité de protéger le toxicomane de ses pratiques addictives mais également des risques qu'il représente pour le reste de la société (en terme sanitaire mais aussi social ou criminel)294(*). La réduction des risques implique par conséquent tout un ensemble de questions : « Comment est-il possible de réduire les risques que les consommateurs de drogue encourent par les infections comme le VIH, l'hépatite B ou C, la tuberculose ? De quelle façon pouvons-nous réduire la probabilité que les toxicomanes aient recours à des activités criminelles ? Mais, plus généralement, comment garantir que les mesures répressives adoptées en faveur du contrôle de la drogue ne provoquent pas au consommateur et à la société plus de dommages que la consommation de drogue elle-même ? »295(*)295(*). Il s'agit donc en premier lieu d'éviter un risque sanitaire pour le toxicomane et pour la communauté mais également de limiter le risque social pour celui qui se drogue (marginalité, inadaptation sociale, déviance) et pour l'ensemble de la société (criminalité).

Le rapport d'aide social nécessite de prendre en compte tout un ensemble de « besoins » que requiert le toxicomane. Diverses conceptions de ce terme peuvent être adoptées. La notion la plus restrictive implique le maintient de l'état sanitaire et social du toxicomane296(*). D'autres définitions incluent en revanche de nombreuses prestations. Stöver et Herving Lempp ont par exemple identifié une série très ample de besoins que doivent satisfaire les toxicomanes afin de pouvoir réguler et contrôler leurs choix297(*). Le premier type de besoins est constitué d'un ensemble de fonctions primaires nécessaires à la survie de l'individu : la santé, l'habitation et l'alimentation. Une seconde catégorie de besoins correspond à des fonctions sociales nécessaires à l'intégration : le travail, le revenu, les relations sociales. Enfin les dernières fonctions, de nature psychique, permettent l'accès à l'autonomie et à la responsabilité : la valorisation de soi, l'équilibre psychique. Toute intervention doit, selon Stöver et Lempp, se donner comme objectif de ne pas aggraver la situation des toxicomanes au regard de ces trois critères. Mieux encore, chaque intervention se légitime en ce qu'elle permet l'amélioration des conditions d'existence des toxicomanes.

Le principe sur lequel repose l'intervention de la réduction des risques serait l'amélioration des conditions d'existence des toxicomanes. Cela implique de prendre en compte le bien être physique, mais aussi le bien être psychique et le bien être relationnel et économique des toxicomanes. Il ne s'agit plus seulement de limiter les risques que le toxicomane fait encourir à lui même et au reste de la population mais de permettre une amélioration de ses conditions de vie et de santé afin qu'il puisse bénéficier d'une meilleure intégration sociale. Ainsi, selon Simonetta Piccone Stella, « réduire les risques dans le domaine de la toxicomanie signifie améliorer directement les conditions de vie et de santé d'une personne qui fait un usage régulier de substances et intervenir sur les dégâts les plus visibles afin d'empêcher leur détérioration »298(*)298(*). L'un des objectifs de la réduction des risques est de promouvoir la réalisation du toxicomane en tant que personne. Une nouvelle définition dès lors peut être :

« Par réduction des risques on entend la protection, le maintient et l'amélioration de la qualité de vie (QDV) de la personne toxicomane -indépendamment de la capacité et de l'intention de celle ci à interrompre l'usage de substances - ainsi que la reconnaissance, le maintient et le renforcement des ressources, des compétences et des habilités de la personne elle-même, finalisées à la promotion et à l'expression de comportements de protection envers soi et envers les autres. La réduction des risques concerne tous les comportements liés à l'usage de substances et à la condition de la toxicomanie »299(*)

La seconde implication de la réduction des risques, outre l'accompagnement social de la toxicomanie, est un renouvellement des traitements. L'aide apportée au toxicomane n'est plus conditionnée, comme elle l'était auparavant, à l'arrêt immédiat de l'usage de substances psychoactives. La réduction des risques inaugure et rend nécessaire un soutien direct et inconditionné au toxicomane. Thamm évoque à ce sujet la fin du « tabou » des politiques de toxicomanie300(*). Il entend par là qu'aucune action thérapeutique ne pouvait précédemment être exercée sans qu'il y ait auparavant une interruption de la consommation. L'abstinence était une condition nécessaire de tout programme thérapeutique. La guérison était alors un processus linéaire partant de l'abstinence pour arriver jusqu'à la réinsertion sociale du toxicomane. La principale critique adressée à ce modèle était sa trop grande simplification du phénomène de la toxicomanie en refusant de considérer qu'il puisse exister plusieurs types distincts de toxicomanies301(*). Il n'existerait dès lors pas un seul mode de désintoxication mais une pluralité. De nouvelles formes d'intervention ont ainsi pu apparaître au début des années quatre-vingt-dix au sein desquelles l'abstinence n'est plus une condition indispensable.

D'autre part, la conception selon laquelle la motivation à la désintoxication est fonction des effets négatifs que subit le toxicomane dans sa vie quotidienne (il s'agit en peu de mots de l'idée que celui qui souhaite « sortir » ou « remonter » de la toxicomanie doive auparavant en « toucher le fonds ») est remplacée par l'idée que c'est seulement si le sujet est en bonnes conditions psychologiques et physiques qu'il pourra réaliser l'interruption de sa consommation. L'objectif n'est pas la thérapie en elle-même mais l'accompagnement du toxicomane jusqu'au moment propice où il choisira d'entreprendre un parcours thérapeutique302(*)302(*). C'est dans ce sens que Vittorio Agnoletto décrit la réduction des risques comme une « propédeutique » à la thérapie303(*). Le soin du toxicomane n'est plus conditionné au soin de sa toxicomanie. Comme le résume Leopoldo Grosso, les interventions de réduction des risques partent de l'idée que :

 « qui ne réussit pas encore à rejoindre l'émancipation de la dépendance ne doit pas être abandonné, que qui ne veut pas se désintoxiquer, ou ne réussit pas encore à accepter la rigueur d'un chemin thérapeutique, ne doit pas être laissé à son problème, sans protections [...] Entre les interventions d'aide (réduction des risques) et les interventions de changement (sortie de la dépendance) il est difficile de regrouper les oppositions et les discontinuités, de même qu'entre intégration et discontinuité. La première stratégie sert de retenue à la seconde : là où elle n'est pas praticable et où échoue un projet drug-free, est présent, au moins en partie, une attention à la réduction des risques. C'est, pour les Anglo-saxons, une intégration entre  « to cure » et «  to care », entre « soigner » et « prendre soin de », avoir attention pour quelque chose »304(*)

Une dernière conséquence directe de ce changement de paradigme est le renouvellement des pratiques thérapeutiques qui ne sont plus uniquement centrées sur une approche psychologique. La réduction des risques ouvre la voie à une médicalisation de la prise en charge de la toxicomanie notamment par le biais des traitements substitutifs sous méthadone, Subutex ou autres produits305(*)305(*).

La réduction des risques se fonde par conséquent sur deux principes : une approche du toxicomane sur son milieu de vie et une aide médicale directe. Mais la réduction des risques ne constitue pas uniquement une réponse médicale au problème de la drogue, elle est à l'inverse avant tout sociale. Le toxicomane bénéficie ainsi de tout un ensemble de prestations sociales qui s'ajoutent à l'aide sanitaire. Cette préoccupation, d'un genre nouveau, ne traduirait-elle pas un changement socioculturel ? La toxicomanie, mais également la drogue, ne serait-elle pas en train d'acquérir une représentation sociale diverse ? La réduction des risques présente le défi, comme l'affirme Monika Steffen, d'accepter l'usage de drogue comme « un fait social » dont la politique aurait pour charge de limiter les conséquences sanitaires. Mieux encore ne s'agit-il pas d'une « reconnaissance publique du problème [qui] passe par la restauration de la parole sociale pour les toxicomanes »306(*). L'usage de drogues n'est-il pas dès lors en voie de « normalisation » ?

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290 Bertrand Lebeau, in Dictionnaire des drogues, des toxicomanies et des dépendances, Denis Richard, Jean-Louis Senon, op.cit., p.352

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291 Steffen M., Les Etats face au Sida en Europe, op.cit., p.103

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* 292 France Lert, « La mise en oeuvre des nouvelles modalités de prise en charge et de prévention dans le contexte d'une stratégie de réduction des risques », in Les drogues en France. Politiques, marchés, usages, Claude Faugeron, Genève, Georg éditeur, 1999, pp.234-248

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293 Courty P., Le travail avec les usagers des drogues, op.cit., p.62

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294 Cette conception implique une autre définition de la réduction des risques qui pourrait être résumée ainsi « Si un usager de drogues ne peut ou ne veut pas renoncer à l'usage de drogue, on doit l'aider à réduire les risques qu'il cause à lui-même et aux autres ». E.Buning, G Van Brussel, « The effects of harm reduction in Amsterdam », Europ.Addict.Res., n°1, 1995, pp.92-98, cité in Nathalie Frydman, Hélène Martineau, La drogue : où en sommes-nous ? Bilan des connaissances en France en matières de drogue et de toxicomanie, Paris, IHESI, coll. « La sécurité aujourd'hui », La documentation française, 1998, p.19.

* 0

* 295 Zuffa G., I drogati e gli altri. Le politiche di riduzione del danno, op.cit., p.40

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296 C'est par exemple l'acception qu'adopte Grazia Zuffa lorsqu'elle définit la réduction des risques comme étant « la politique sanitaire et sociale qui privilégie comme but la réduction des effets négatifs de la consommation de drogues ». Zuffa G., I drogati e gli altri. Le politiche di riduzione del danno, op.cit., p.39

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297 Cf. Fazzi L., « Les politiques de réduction des risques » , art.cit, p.23

* 5.

* 298 Piccone Stella S., Droghe e tossicodipendenza, op.cit., p.104

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299 Bellini Marco L., «Valutazione e qualità degli interventi di prevenzione delle tossicodipendenze: un esperienza con le Unità di strada», in Lai Guaita Maria Pia (dir.), La prevenzione delle tossicodipendenze, op.cit, p.5

* 8

300 Thamm, « Drogenpolitik darf kein Tabuthema sein », in U. Adams (hg.), Drogenpolitik, Lambertus, Freiburg, 1989

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301 Glatt propose par exemple trois paradigmes d'explication de la toxicomanie qui doivent être pris en compte lors de la thérapie : l'hôte, selon lequel les caractéristiques personnels du toxicomane sont pertinentes dans une thérapie ; l'agent qui met en avant les caractéristiques pharmacologiques des substances consommées et l'environnement (micro et macro) dans lequel évolue le toxicomane. Cf., Glatt M.M, I fenomeni della dipendenza. Guida alla conoscenza e al trattamento, Feltrinelli, Milano, 1979

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* 302 Le fait que la réduction des risques doive être conditionnée ou non à une thérapie constitue l'un des thèmes de divergence et de désaccords de la réduction des risques. Ce point sera traité par la suite dans les limites de la réduction des risques

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303 « De telles stratégies [de réduction des risques] n'excluent bien sûr pas le passage à des programmes thérapeutiques et/ou de réhabilitation véritables, mais ils cherchent au moins à en constituer une propédeutique, ils affrontent les problèmes avec un ordre de priorité correct : des risques plus graves et immédiats (VIH, hépatites et pathologies corrélées) à celles qui sont plus difficiles et longues à affronter (l'abandon de la dépendance), sans les confondre, dans l'obstiné et tenace tentative d'être présent au moment ou s'effectuent des choix importants, pour ne jamais dire « il n'y a plus d'espoir » ; conscient du fait que seul celui qui reste en vie peut sortir de l'héroïne » Agnoletto V., La società dell'Aids, op.cit, pp.180-181

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304 Leopoldo Grosso, «Postfazione», in O'Hare P, Newacombe R., Matthews A., Buning E. C, Drucker E., La riduzione del danno, Gruppo Abele, Turin, 1994

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* 305 Fazzi L.,« Les politiques de réduction des risques » , art.cit, p.11

* 3

306 Souligné par l'auteur. Steffen M., Les Etats face au Sida en Europe, op.cit., p.94

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