Introduction
Un film met en relation un groupe d'individus qui ont
contribué collectivement à sa fabrication, groupe souvent
unifié sous le terme de cinéaste, et des spectateurs. Or, la
relation interactive, circulaire, est trop peu analysée dans les
approches les plus fréquentes qu'elles soient sémiologiques,
sociologiques, artistiques ou psychologiques, qui raisonnent encore
plutôt en termes de causalité linéaire.
Les interactions entre les cinéastes et les spectateurs
ont, en revanche, intéressé la pragmatique de la communication
qui étudie les effets de l'utilisation des signes sur les utilisateurs
avec comme principe que chaque acte, chaque décision d'un
utilisateur,
« interacteur », influe en retour sur l'autre
(Watzlawick, 1983).
C'est dans cette optique que nous allons nous situer. Nous
étudierons les interactions observables entre la conception des films et
« la situation de réception » du point de vue du
spectateur. Notre objectif est de mieux comprendre le fonctionnement de la
communication filmique afin, notamment, de contribuer à
l'amélioration des méthodes de fabrication de films de
fiction.
L'approche « pragmatique » du cinéma,
bien que récente, n'est pas nouvelle. Elle fut développée
par Roger Odin (1982) dans une thèse de doctorat sous la direction du
linguiste-sémiologue Christian Metz. Comme l'écrit Alex
Mucchielli (2001, p.45), cette approche « rejoint l'approche
communicationnelle typique des sciences info-com ».
En nous fondant sur l'un des paradigmes de l'approche
communicationnelle, spécifique aux Sciences de l'Information et de la
Communication, l'approche compréhensive, nous tenterons de
répondre à des questions dont l'intérêt pratique est
évident :
Le langage cinématographique est-il une affaire de
spécialistes : cinéastes, analystes, théoriciens du
cinéma, critiques ? Est-il compris par les spectateurs ? Peut-on
parler d'une compréhension mutuelle, partagée, identique que l'on
soit cinéaste ou spectateur ? Est-ce un langage partagé par
tous les métiers du cinéma ou, au contraire, un langage
différencié selon les métiers exercés,
différent selon que l'on est monteur, cadreur, scénariste ou
réalisateur, etc. ? Comment les différents codes filmiques
sont-ils perçus par les spectateurs ? Y en a-t-il de plus connus que
d'autres, de plus importants que d'autres ?
Notre réflexion ne concernera que les films de fiction,
c'est-à-dire les films qui racontent une histoire dans laquelle les
événements et/ou les personnages sont tirés de
l'imagination du cinéaste, même si ce dernier s'inspire de faits
historiques.
Cette limitation de notre champ de recherche était
nécessaire tant les autres catégories de films - les films
industriels, les films pédagogiques, les films expérimentaux, les
films pornographiques et les films de famille - ont leurs propres
spécificités. Elle se justifie aussi par le fait que pour la
plupart des spectateurs « le seul cinéma qui compte, le
cinéma tout court, c'est le film de fiction » (Odin,
1995, p.5-6). Film de fiction dont la formule de base fut donnée par
Christian Metz : « une grande unité qui nous conte une
histoire ».
Nous n'étudierons pas, en conséquence, les
documentaires1(*), les films
de poésie ou les films abstraits, etc. Nous chercherons à
comprendre comment à partir du visionnage d'un film de fiction,
construit par les cinéastes, les spectateurs construisent une
histoire ? Comme l'écrit Marie-Thérèse Journot (2004,
p.50-51) : « le discours fictionnel met en scène des
personnages et des actions qui n'ont pas de référent dans l'ordre
de la réalité, et n'existent que dans l'imaginaire de l'auteur et
par la suite du lecteur-spectateur ». Toutefois, même si les
événements et/ou les personnages sont imaginaires dans les films
de fiction, ils ne doivent pas pour autant être irréels, absurdes,
incohérents ; la fiction ne fonctionnerait sans doute pas, le
spectateur ne pouvant pas adhérer à ce qui est décrit. La
fiction doit donc créer une impression de réel : l'individu
à qui la fiction s'adresse doit pouvoir croire, au moins pendant la
durée du film, que ces faits sont possibles.
Nous partirons donc de la conception de la fiction
élaborée par la sémio-pragmatique (Odin, 1990) selon
laquelle le cinéaste et le spectateur sont chacun à l'origine de
la production du sens d'un film et « que ce contrat tacite se traduit
en indices permettant au récepteur (pour notre part, nous dirons
plutôt spectateur) d'adopter un mode de lecture, documentarisant ou
fictionnalisant2(*) selon la
compétence que lui a apportée son expérience des autres
textes (films) » (Journot, 2004, p.51).
Toutes ces questions, et d'autres sous-jacentes, se
fédèrent dans notre problématique d'ensemble :
« Quels sont les mécanismes de construction de
sens d'un film de fiction ? »
Cette problématique relève des SIC puisqu'elle
pose, à la fois, d'une part le problème de la puissance du
cinéma et du langage cinématographique, d'autre part celui de la
maîtrise de ce médium et de son langage par les cinéastes
et par les spectateurs.
La perception des éléments filmiques par les
spectateurs est-elle ce qu'en disent les théoriciens du
cinéma ? Les interprètent-ils correctement,
c'est-à-dire comme le prévoit le cinéaste. Leur
compréhension évolue-t-elle avec leurs connaissances, leur
culture cinématographique ? Les réactions des spectateurs
à la diffusion d'un film peuvent-elles modifier la création
filmique ?
Les réponses à ces questions seront utiles aux
cinéastes qui - selon que les éléments filmiques sont
connus, perçus, compris et appréciés par les spectateurs
ou non - auront tendance à les utiliser pour créer du sens ou
seulement pour se conformer à des conventions partagées par les
professionnels du cinéma, règles qu'il faut respecter pour
appartenir à la grande famille du cinéma ou les rejeter pour
faire preuve de créativité et/ou imposer son style. Aussi, notre
étude s'inscrit dans un cadre de recherche qui peut faire avancer les
procédures de fabrication des films de fiction.
Etant conscient de la difficulté de notre
problématique, nous avons cherché parmi les différentes
théories celles qui pouvaient nous permettre de la traiter au mieux.
Ceci explique les emprunts que nous avons faits à la sémiologie,
notamment à la sémiologie de l'image et à celle du
cinéma, à la sémio-linguistique du cinéma, et aux
sciences de l'information et de la communication.
Les différents emprunts à des domaines
différents des sciences humaines ne vont pas à l'encontre de
l'approche compréhensive que nous avons décidé d'adopter
puisque cette dernière a vocation à intégrer des apports
de différents horizons et à présenter une synthèse
originale des théories homogènes centrées sur les
phénomènes d'échange, de conduite et d'émergence de
sens (Mucchielli, 2001).
L'approche compréhensive s'inscrivant dans l'histoire des
théories et méthodes d'études des communications, nous
présenterons une synthèse de leurs apports respectifs dans le
domaine cinématographique. Nous étudierons les processus de
création cinématographique et les codes filmiques essentiellement
grâce à une revue de la littérature, classique
(soviétique et hollywoodienne), filmologique3(*) et sémiologique, etc.
ainsi qu'en analysant les écrits et des interviews de professionnels du
cinéma.
L'approche communicationnelle qui est la nôtre nous a
conduit à adopter une approche à la fois compréhensive et
pragmatique du phénomène filmique. Aussi, nous nous sommes
intéressé aux perceptions, sensations et sentiments des
spectateurs à l'égard d'un film.
Cette optique nous a poussé, dans un premier temps,
à réfléchir à ce qu'est un spectateur. Faut-il
distinguer le spectateur de l'analyste, du critique ?
De nombreux auteurs opposent, en effet, le spectateur normal au
spectateur-analyste. Ils avancent que le premier cherche avant tout à se
faire plaisir tandis que le second a pour but de comprendre le film ou
l'extrait d'un film afin de produire un document d'analyse.
« Analyste et spectateur normal ne recevraient pas le film
de la même manière puisque le premier cherche
précisément à se distinguer du second, à ne plus se
laisser dominer comme lui par le film » (Vanoye et
Goliot-Lété, 2001, p.12-13)
Spectateur normal
|
Spectateur-analyste
|
- Passif, ou plutôt, moins actif que l'analyste, ou plus
exactement encore, actif de façon instinctive, irraisonnée.
- Il perçoit, voit et entend le film, sans visée
particulière.
- Il est soumis au film, se laisse guider par lui.
- Processus d'identification
- Pour lui, le film appartient à l'univers des loisirs.
|
- Actif, consciemment actif, actif de façon
raisonnée, structurée.
- Il regarde, écoute, observe, visionne le film, guette,
cherche des indices.
- Il soumet le film à ses instruments
d'analyse, à ses hypothèses.
- Processus de distanciation
- Pour lui, le film appartient au domaine de la réflexion,
de la production intellectuelle.
|
Plaisir
|
Travail
|
(Vanoye et Goliot-Lété, op cit, p.13)
Alors que le spectateur (normal) se laissera prendre par le film,
le spectateur-analyste devra faire un effort sur lui-même. Comme
l'écrit Raymond Bellour (1989, p.26-27), « l'analyse du film
est une opération coûteuse. Il y a d'abord ce coût psychique
de l'arrêt sur image qui a longtemps marqué un seuil et constitue
la condition préliminaire de toute analyse (...) Il faut accepter
d'interrompre le défilement, le fantasme si fort qui s'y attache,
accepter de ne se situer ni du côté de la mouvance ni du
côté de la fixité, mais entre les deux ».
Aussi, le spectateur ne procède-t-il pas à une
véritable analyse, quel qu'en soit le type. Dans le meilleur des cas, il
peut échanger un avis avec d'autres spectateurs normaux. Cet
échange de points de vue qui débouche, éventuellement, sur
la formulation de critiques n'a que peu à voir avec une analyse
filmique. D'où la boutade de François
Truffaut : « chaque spectateur a deux métiers, le sien et
celui de critique de cinéma ».
Les préoccupations de l'analyste sont donc bien loin de
celles du spectateur. Ce dernier profite du film dans son entier, sans tenir
compte spécifiquement de ces différentes composantes, tandis que
l'analyste, confronté à la variété des instruments,
à la diversité des objets d'analyse et des voies d'approche d'un
film, se doit de choisir un objet d'analyse (extrait, plan, etc.) et sa
méthode d'analyse. Pour chaque film qu'il souhaite analyser, l'analyste
est, en conséquence, confronté à des choix et prend donc
des risques. Selon Aumont et Marie (p.66), « ce qui guette l'analyse de
films, c'est donc entre autres la dispersion (quant à l'objet) et
l'incertitude (quant à la méthode).
Bien que nous nous intéressions plus aux spectateurs
qu'aux analystes, nous ne pouvions pas exclure de notre étude les
différentes méthodes d'analyse. Mais, plus que les
méthodes en elles-mêmes, notre intérêt s'est,
toutefois, focalisé sur leur utilité pour la réalisation
d'un film, autrement dit aux éventuels usages qu'en font les
cinéastes.
En quoi les méthodes de l'analyse filmique peuvent-elles
être utiles aux cinéastes ? L'analyse est-elle un moyen de
formation et de progrès personnel ? Nous verrons que les grands
réalisateurs d'aujourd'hui sont, en effet, très partagés
sur l'intérêt d'analyser les films pour apprendre la mise en
scène4(*).
Après avoir présenté, dans une
première partie, les apports conceptuels et théoriques
nécessaires à la compréhension du sujet ainsi que les
différents codes cinématographiques, notre approche
compréhensive nous a poussé à collecter des données
qualitatives et, dans cette perspective, à suivre une
méthodologie de recherche qualitative. C'est pourquoi, après
avoir étudié les différents codes utilisés
spécifiquement ou non au cinéma, nous avons souhaité
interviewer des spectateurs de 18 à 25 ans après la diffusion
d'un très court métrage de fiction que nous avons
réalisé en cinq versions différentes. Les analyses
longitudinales et transversales que nous avons réalisées à
partir de 15 interviews de groupe nous ont permis d'une part de mieux
comprendre les mécanismes de construction de sens d'un film de fiction,
tant du point de vue du réalisateur que de celui du spectateur, d'autre
part de proposer des mesures concrètes à destination des
réalisateurs.
SOMMAIRE
Première partie : le cadre conceptuel et
théorique des mécanismes de construction de sens
Chapitre 1 : Les apports théoriques
successifs à la connaissance
du cinéma
Chapitre 2 : Une approche historique et
théorique des effets sur
les spectateurs
Chapitre 3 : Le langage cinématographique et
sa grammaire
Chapitre 4 : L'approche narratologique
Chapitre 5 : Les éléments et les
codes de la bande image
Chapitre 6 : Les codes de la bande son
Chapitre 7 : Les genres
cinématographiques
Deuxième partie : L'étude
qualitative des mécanismes de construction de sens
Chapitre 1 : Réflexion et choix
méthodologique
Chapitre 2 : La réalisation d'un film en
plusieurs versions
Chapitre 3- L'organisation de chaque interview et le
guide
d'entretien
Chapitre 4 : L'analyse longitudinale des cinq
versions
Chapitre 5 : L'analyse transversale des cinq
versions
Première partie : le cadre conceptuel et
théorique des mécanismes de construction de sens
Définir ce qu'est le cinéma peut sembler de prime
abord trivial et inutile ; pourtant ce terme, abréviation de
cinématographe, présente plusieurs sens.
Du grec kinêma, kinêmitos
« mouvement » et -graphe, le cinématographe
désigne l'appareil capable de reproduire le mouvement par une suite de
photographies. Depuis plus d'un siècle, sous l'effet conjugué des
évolutions techniques, artistiques, commerciales et industrielles, la
définition du cinéma ne peut plus se réduire à une
projection visuelle et sonore en mouvement. Comme l'écrit Journot
(2004) : « le terme très polysémique désigne
à la fois le procédé technique, la réalisation de
films (faire du cinéma), leur projection (séance de
cinéma), la salle elle-même (aller au cinéma)), l'ensemble
des activités de ce domaine (l'histoire du cinéma) et l'ensemble
des oeuvres filmées classées par secteurs : le cinéma
américain, le cinéma muet, le cinéma de fiction, le
cinéma commercial...»
A cela, certains auteurs ajoutent que le cinéma est un
art. Ainsi, l'expression Septième art fut utilisée, dès
1912, par Ricciotto Canudo5(*) pour désigner l'art cinématographique.
Nous verrons que le cinéma est également défini comme un
langage, voire comme un langage d'art.
Chapitre 1 : Les apports théoriques
successifs à la connaissance du cinéma
Le cinéma n'est pas une langue contrairement à ce
que certains ont prétendu, notamment plusieurs théoriciens de
l'époque du muet et du cinéma soviétique, dont les deux
plus cités et interprétés, avec plus ou moins de bonheur,
sont Dziga Vertov6(*) qui
définit, en 1921, son principe du Kinoglaz (ou
ciné-oeil) et Koulechov qui donna son nom à l'effet qui est
souvent utilisé pour démontrer l'existence d'une
ciné-langue.
Claire Ropars-Wuilleumier (1970, p.14) montre que les recherches,
expériences et écrits de ces deux auteurs ont été
mal compris : « Les recherches de Dziga Vertov (...) ont
été utilisées pour faire de chaque plan
l'équivalent d'un mot, de chaque séquence celui d'une
phrase : alors que ses théories impliquent en réalité
la reconnaissance du cinéma comme langage autonome, fondé sur
l'organisation rythmique des matériaux visuels et sonores. (...) Elles
ont souvent été réduites aux formules les plus
spectaculaires sur la ciné-langue, l'esperanto visuel, les
ciné-phrases et les mots-thèmes ; et c'est en
méconnaissant la fonction proprement créatrice qu'y tient le
montage ».
Quant à la fameuse expérience de Koulechov, elle
peut, selon Mitry (2001), Metz (1971) et bien d'autres, « se
retourner contre cela même qu'on prétendait lui faire faire
prouver (...) Si un plan est susceptible de recevoir des significations
opposées, c'est que ce plan n'a pas, par lui-même, de
signification propre déterminée par sa morphologie »
(Ropars-Wuilleumier (1970, pp.15-16).
Il est maintenant admis que le plan n'est pas
l'équivalent d'un mot et la séquence n'est pas celui d'une
phrase. Metz (2003, p.118) fut l'un des premiers à critiquer cette
analogie. Il mit en évidence les différences principales entre le
plan filmique et le mot linguistique (voir tableau ci-dessous) et affirma que
le plan ressemblait davantage à un énoncé qu'à un
mot. Un avis partagé par un certain nombre de théoriciens et
cinéastes : « Des sémiologues comme Umberto Eco se sont
abondamment penchés sur la nature du signe cinématographique pour
savoir s'il était comparable aux mots liés en phrase et
obéissant à une grammaire (...). On est contraint de conclure
après un cheminement plus ou moins pénible que le cinéma
n'est pas une langue et que son signe « minimal », le plan
d'une seconde, n'est pas aussi arbitraire que le mot (...) Le
cinéma se trouve susceptible d'avoir des sens symboliques
nombreux». (Bessière, 2000, p.3)
Les cinq différences principales entre le plan
filmique et le mot linguistique
Selon Christian Metz (2003, p.118)
1ère différence
|
Les plans sont en nombre infini, contrairement aux mots d'une
langue, mais pareillement aux énoncés formulables dans une
langue
|
2ème différence
|
Les plans sont des interventions du cinéaste,
contrairement aux mots (qui préexistent dans un lexique), mais
pareillement aux énoncés (qui sont en principe des inventions du
locuteur)
|
3ème différence
|
Le plan livre au récepteur une quantité
d'information indéfinie, contrairement au mot. De ce point de vue, le
plan n'équivaut même pas à une phrase, mais à un
énoncé complexe de longueur indéfinie (Exemple :
comment décrire complètement un plan de film à l'aide
d'une langue naturelle ?)
|
4ème différence
|
Le plan est une unité actualisée, une unité
de discours, une assertion, contrairement au mot (qui est une unité de
lexique) mais pareillement à l'énoncé. L'image d'une
maison ne signifie pas « maison » mais « voici
une maison ». L'image intègre en elle-même comme une
sorte d'actualisation.
|
5ème différence
|
Un plan ne prend son sens que dans une faible mesure par
opposition paradigmatique avec les autres plans qui auraient pu
apparaître au même point de la chaîne (puisque ces derniers
sont en nombre indéfini) alors qu'un mot fait toujours partie d'un ou de
plusieurs champs sémantiques plus ou moins organisés.
|
I- Le cinéma : un langage d'art
Le cinéma n'est plus considéré, par qui que
ce soit, comme une langue mais, pour la plupart des auteurs, il est devenu un
langage qui dispose de moyens expressifs de plus en plus nombreux et complexes.
Alexandre Astruc a développé, dès 1948, une théorie
de l'écriture cinématographique, dite de la caméra-stylo,
dans laquelle il considère le cinéma comme un langage qui a les
mêmes possibilités expressives que l'écriture
littéraire : «Le cinéma devient peu à peu un
langage. Un langage, c'est-à-dire une forme dans laquelle et par
laquelle un artiste peut exprimer sa pensée, aussi abstraite soit-elle,
ou traduire ses obsessions exactement comme il en est aujourd'hui de l'essai ou
du roman. C'est pourquoi j'appelle ce nouvel âge celui de la
caméra-stylo »7(*). Astruc considère également que le
réalisateur est un artiste qui se sert de sa caméra pour
s'exprimer comme le fait l'écrivain avec des mots. Sa valorisation du
cinéaste lui doit d'être considérée par certains
comme étant à l'origine de la notion d'auteur.
Langage sans langue8(*), le cinéma se caractérise pour de
nombreux auteurs par la combinaison de plusieurs langages et arts. Selon Metz,
« le cinéma (...) marie durablement des arts et des langages
consentants en une union où les pouvoirs de chacun tendent à
devenir interchangeables » et de cette union résulte
l'ambivalence du cinéma : le cinéma est capable de donner
une impression de réalité mais aussi de créer
« le merveilleux », parfois dans un esprit manipulateur
pour faire passer un message.
Pour étudier ce langage d'art (Metz, 2003, p.70),
certains chercheurs ont choisi une approche linguistique et sémiotique.
La raison généralement avancée est que les
films sont des combinaisons, selon des formules infiniment variées, d'un
très grand nombre d'éléments signifiants : des images
(fixes ou mouvantes, en noir et blanc ou en couleurs, etc.), des mots
(parlés de différentes manières ou écrits de
différentes façons), des sons (musique ou bruits), etc. Le sens
d'un film fait « intervenir plusieurs matières signifiantes
correspondant, du point de vue sémiotique, à des modes de
signification très différents, et du point de vue psychologique,
à des attitudes et à des processus cognitifs également
très différents, sinon franchement opposés. Et ces modes
de signification, ces attitudes, ces processus ne s'additionnent pas
simplement : ils se composent et interagissent. Du côté
relationnel, la complexité est tout aussi évidente. »
(Meunier et Peraya, 1993, p.25)
Aussi, pour appréhender cette complexité, l'une des
toutes premières approches employées fut celle de la
sémiologie structurale. « Lorsque les choses apparaissent
comme compliquées, la tentation est grande de recourir d'emblée
à un modèle relativement simple qui puisse projeter sur elles une
certaine clarté, quitte quelquefois à en déformer certains
aspects. La sémiologie structurale a succombé
à cette tentation. Elle a projeté sur les signes complexes et
leurs différents composants - on pense surtout, ici, à l'image -
les notions simples et claires de la linguistique saussurienne : signe,
code, syntagme, paradigme. Mais le résultat de cette projection, on le
sait aujourd'hui, est discutable. » (Meunier et Peraya, 1993, p.13)
Ainsi, la sémiologie structurale a délaissé les
phénomènes projectifs et affectifs liés à l'image,
sa « polysémie », sa capacité à faire
rêver, etc.
L'une des premières tâches de la sémiologie
est de décrire son objet et d'élaborer une taxonomie. C'est un
objectif que se fixe la sémiologie quel que soit l'objet de son
étude, qu'il s'agisse de cinéma ou d'un autre domaine. Nous
invitons le lecteur intéressé par un rappel des apports de la
sémiologie et de la sémiotique à consulter l'annexe II.
II- Les premiers apports de la sémiologie
du cinéma
Pour certains auteurs (Albéra, 1996), les prémices
de la sémiologie du cinéma se trouvent dans l'ouvrage collectif
coordonné par Boris Eikhenbaum et publié en 1927 par les
formalistes russes9(*). Il
fallut toutefois attendre les années soixante (1960-) pour que la
sémiologie du cinéma développe ses principales
thèses, dont les principales sont fondées sur des concepts et des
méthodes de la sémiologie et de la linguistique (code, message,
sous-code, énoncé, syntagme, paradigme, signifiant,
signifié, articulation, etc.), et devienne une discipline à part
entière sous l'impulsion de celui qui est souvent
considéré comme son « fondateur » :
Christian Metz10(*).
Dès le milieu des années soixante, Christian Metz
s'est interrogé sur la question de savoir si le cinéma
possède une véritable langue, avec « un
répertoire codifié de symboles, de figures ou de formules
auxquels faire référence de manière constante ou s'il
n'est pas au contraire un fait de langage, c'est-à-dire un discours en
grande partie spontané et autogéré » (Casetti,
2000, p.150). Comme Casetti 11(*)et bien d'autres, Metz conclura que le cinéma
n'était pas une langue. « Le cinéma n'est pas une
langue parce qu'elle contrevient à trois caractères importants du
fait linguistique : une langue est un système de signes
destiné à l'inter-communication. Or, le cinéma, comme les
arts et parce qu'il en est un, est une communication à sens
unique ; c'est en fait un moyen d'expression beaucoup plus que de
communication. Il n'emploie que fort peu de signes véritables. Certaines
images du cinéma, qu'un long usage préalable en fonction de
parole a fini par figer en un sens conventionnel et stable, deviennent des
sortes de signes. Mais le cinéma vivant les contourne et demeure
compris : c'est donc que le nerf du mécanisme sémiologique
est ailleurs ». (Metz, 2003, p. 79)
Dans un premier temps, donc, Metz semble considérer que le
cinéma ne possédant « pas les caractéristiques
d'une langue, la sémiotique doit donc le laisser de
côté » (Casetti, 2000, p.151). Pourtant, vers la fin des
années soixante, il adoucit sa position et suggère de
« faire la sémiologie du cinéma ».
Toutefois, il persiste à croire que les notions de la
linguistique ne peuvent être appliquées à la
sémiologie du cinéma qu'avec la plus extrême prudence
(Metz, 2003, p 109). Metz et d'autres théoriciens du cinéma font
en sorte « qu'à une étude du fondement linguistique du
film se substitue l'étude des traits linguistiques du film, composantes
particulières d'un phénomène plus large, et à une
approche essentialiste, ontologique (« le cinéma est par
nature.. ») se substitue une approche méthodique,
disciplinaire (« pris sous cet angle le cinéma apparaît
comme.... » (Casetti, 2000, p.61-62). Une fois admis que le
cinéma signifie et communique, il s'agit de comprendre pourquoi et
comment il le fait sachant que le cinéma, selon les sémiologues,
naît d'une combinaison de moyens divers, pour les uns d'origines
figurative, théâtrale, narrative, etc. pour les autres propres au
film. Que c'est dans cette combinaison, cette synthèse de multiples
composantes, propres et empruntées, que le langage filmique trouve sa
spécificité et son autonomie.
___________________________________________________________________________
Questions que se pose la sémiologie du
cinéma
selon Casetti (2000)
- Quels moyens d'expression utilise le cinéma ?
- Quel rôle jouent les éléments comme le jeu
des acteurs, la scénographie, la musique ?
- Comment opèrent-ils individuellement et comment se
fondent-ils pour créer un ensemble ?
- Quels types de rapports s'établissent entre le
cinéma et d'autres domaines comme les arts figuratifs ou la
littérature ?
- Qu'est-ce qui les unit et qu'est-ce qui les
sépare ?
- Quels traits caractérisent l'image, signe filmique par
excellence ?
- Quelles règles le cinéma suit-il pour mettre en
scène une réalité et pour raconter une histoire ?
- Existe-t-il une grammaire filmique et de quel type ?
- Sur quoi se base la capacité à signifier et
à communiquer du cinéma ?
- Comment passe-t-on de l'exhibition du monde à la mise au
point d'un signifié ?
- Quelles relations s'instaurent entre le fait de montrer et
celui de donner du sens ?
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Quel que soit son objet d'étude, l'image ou le
cinéma par exemple, l'une des premières tâches de la
sémiologie, dans les années 60-70, fut de recenser et de classer
les différents codes utilisés ; un code étant un
ensemble de conventions déterminant la valeur des signes. Le
modèle du code qui s'en dégagea fonde la compréhension
mutuelle sur le partage du code, les interlocuteurs associant à des
signifiants donnés les mêmes signifiés.
Son utilisation pratique, notamment celle qu'en font les
publicitaires, conduit à construire un message comme une combinaison de
signes qui produisent du sens. Dans cet esprit, « Coder,
c'est trouver les signes adéquats (on dit aussi « les
signifiants ») qui vont être décryptés dans le
sens voulu par l'émetteur. L'émetteur code, le récepteur
décode, plus ou moins bien ». Aussi est-il indispensable
« pour que la relation signifiant signifié fonctionne bien,
qu'elle soit construite sur une communauté de savoirs et de cultures
entre l'émetteur et le récepteur » (Lendrevie et de
Baynast, 2004, p.14).
Dans le domaine filmique, ce modèle est contesté
implicitement par Christian Metz. Selon lui, les cinéastes à
l'esprit manipulateur qui cherchent à faire passer un message partent de
l'hypothèse qu'il existe un code au film et que le spectateur comprend
le film à cause de sa syntaxe, « alors qu'on (le spectateur)
comprend la syntaxe du film parce qu'on (il) a compris le film et seulement
quand on (il) l'a compris ».
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Le modèle du « code »
[Schéma d'après Le Boeuf (2000, p.25)]
Emetteur Signes Récepteur
Signifiants
Code partagé
Signification Signification
pour l'
pour
le
Emetteur Récepteur
Signifiés
Compréhension mutuelle ?
Metz reconnaît, toutefois, que certains
procédés de syntaxe utilisés par des cinéastes,
interprétés a posteriori par les spectateurs, une fois
qu'ils aient compris le film, étaient repris par d'autres
cinéastes et sont « devenus en quelque mesure
conventionnels ».
Aussi, comme dans ses autres objets d'étude, l'une des
premières tâches de la sémiologie du cinéma fut de
recenser et de classer les différents codes utilisés.
A partir des années 1960-1970, elle identifia et
répertoria les différents codes cinématographiques en
présence et tenta d'analyser leurs rapports et leur éventuelle
hiérarchisation. Nous étudierons ces différents codes dans
les chapitres suivants.
A- Les apports de la sémiologie de l'image
La sémiologie de l'image, notamment sous l'impulsion de
Barthes, prit un temps le pas sur la sémiologie du cinéma, dont
l'objet était plus vaste. Même la grande syntagmatique de Metz ne
s'intéresse, en réalité, qu'à la bande-images
(Odin, 1990, p.196). La sémiologie de l'image consiste à
repérer les différents types de signes mis en jeu - l'image
contient-elle des signes ? Si oui, quels sont-ils ? Et comment
s'agencent-ils ? - et à en déduire, à partir de leur
organisation propre, une interprétation globale acceptable par un groupe
d'observateurs donné (Joly, 1994, p.91 et p.131).
La sémiologie de l'image s'applique donc en
priorité à étudier les processus de production de sens,
pour ensuite proposer des interprétations plausibles. Elle analyse les
signes séparément (couleurs, éclairage, texture, forme,
cadrage, pose du modèle, etc.) et part du principe saussurien d'un
rapport signifiant/signifié. Le Groupe u, dans le Traité du
signe visuel12(*),
après avoir décrit les différents signes plastiques, tente
de fournir une grammaire de signifiants et de montrer comment ses derniers
s'associent à des signifiés. Mais au-delà de l'analyse de
chacun des signes, la sémiologie de l'image s'intéresse à
la combinatoire de tous ces différents signes.
« Pour ce faire, une méthode d'analyse possible
consiste à passer en revue chaque catégorie de signes mise en
oeuvre dans le message considéré, à en isoler les signes
choisis, à les analyser au plan de l'expression et du contenu et
à observer comment ils interagissent les uns avec les autres (+ rapports
de congruence, d'opposition ou de prédominance) pour produire le message
global » (Joly, 1994, p.132).
Cette méthode laisse penser à une certaine
rationalité et pourrait cacher, si l'on n'y prend garde, le discours
secret de l'image13(*) que
Roland Barthes14(*) a
tenté d'expliquer en distinguant deux niveaux de sens : le sens
dénoté et le sens connoté.
Sur le premier niveau de signification, dénotatif ou
descriptif ou référentiel, on trouve comme signifiants les
photographies ou dessins des objets, signifiés dans la scène,
autrement dit les objets dénotés.
Au deuxième niveau de signification, niveau de la
connotation, les objets dénotés (signifiés du premier
niveau) sont les signifiants (de deuxième niveau) et ont pour
signifiés (de deuxième niveau) ce que ces objets
suggèrent, ou ce à quoi ils sont associés.
Roland Barthes utilisera l'image publicitaire pour illustrer sa
thèse : « parce qu'en publicité la
signification est assurément intentionnelle » et que les
signifiés doivent « être transmis aussi clairement que
possible » à la cible visée. Par ailleurs,
« l'image publicitaire est franche ou du moins empathique »
pour qu'elle soit comprise vite, bien, au moindre coût et par le plus
grand nombre. Le principe selon lequel un signe unit un signifiant à un
signifié, signifiant signifié, sert à Barthes pour
reconstruire, de l'aval à l'amont (donc en sens inverse de la production
de sens), les liens entre les signifiés, c'est-à-dire les
significations produites par le message, et les signifiants qui les ont
générés.
Il utilisera sa méthode sur un message publicitaire en
faveur des pâtes Panzani qu'il décrit lui-même
ainsi : « paquets de pâtes, une boîte, un
sachet, des tomates, des oignons, des poivrons, un champignon, le tout sortant
d'un filet à demi-ouvert, dans des teintes jaunes et vertes sur fond
rouge ». Le premier signifié qu'il met en évidence est
celui d'italianité. Ce signifié serait la résultante de
plusieurs éléments qui se renforceraient les uns les autres dans
l'évocation du concept d'italianité : la consonance du nom
« italien » de la marque Panzani ; l'annonce est aux
couleurs de l'Italie, rouge, blanc, vert ; la présence de fruits et
légumes méridionaux, tomates, poivrons, oignons ; le sachet
de parmesan, fromage fabriqué aux environs de Parme (Italie), etc.
A la structure de connotation décrite par Roland
Barthes15(*), signifiant
signifié premier signifiant signifié second, il est possible
d'ajouter d'autres structures de connotation possibles. Au cinéma, Roger
Odin (1990) en voit au moins deux :
- lorsque le signifiant du signe de dénotation produit
à lui seul une connotation. Par exemple, la sonorité d'une langue
qui évoque un pays où on la parle,
- lorsque seul le signifié du signe dénotateur
renvoie à une connotation. Par exemple, dans nos cultures, les
connotations de malheur, de deuil sont liées au noir, celles de joie et
de vitalité au jaune.
L'image publicitaire, bien qu'utilisant beaucoup la dimension
connotative de l'image, n'est pas la seule à le faire. Tous les messages
visuels sont connotatifs parce qu'ils mêlent plusieurs systèmes de
signes, parce qu'ils sont composés de différents types de
signifiants et donc de signes. Aussi, les messages audiovisuels, les films
cinématographiques et les téléfilms sont plus connotatifs
encore car ils multiplient les systèmes de signes, en plus des signes
plastiques (éclairage, formes, cadrage, etc.) de l'image, ils sont
composés de signes non plastiques (voix, musique, etc.), ce qui augmente
considérablement les combinaisons de signes possibles.
L'image pouvant avoir de multiples significations, en plus
d'avoir un potentiel connotatif, et pouvant se prêter à de
nombreuses interprétations, en raison du grand nombre (poly)
d'informations (sémies) qu'elle fournit, fut déclarée
polysémique. Comme l'écrit Martine Joly (1994, p.81):
« L'un des clichés les plus connus à propos de l'image
a été de la déclarer polysémique. La
polysémie de l'image a en effet été très vite
considérée comme la spécificité de la communication
par l'image, en particulier dans les domaines des sciences de
l'éducation ou ceux de la publicité ».
A propos de Roland Barthes, et plus précisément de
son étude sur Le Problème de la signification au
cinéma, Jean Mitry (2001, p.70) n'hésite pas à
écrire : « Quant à dire, comme il le fait, de la
polysémie, c'est un truisme. Un signifiant peut exprimer non seulement,
plusieurs mais une quantité de signifiés puisque l'image ne prend
sa valeur de signe qu'à la faveur du contexte et des implications qu'il
suppose ».
Dire que l'image est polysémique est une chose, affirmer
que la polysémie est une spécificité de l'image en est une
autre. Selon Joly (1994, p.83), l'image est nécessairement
polysémique dans la mesure où elle est un énoncé
iconique complexe16(*) ; mais on ne peut pas faire de la
polysémie sa spécificité dans la mesure où tout
énoncé complexe (verbal ou non verbal) est polysémique.
Si l'interprétation d'une image est difficile, c'est que
les éléments de l'image sont insuffisamment explicites, manquent
de relief. De ce constat, Joly en conclut que ce que certains nomment
polysémie est en réalité une absence de focalisation
assertive ; la focalisation étant la mise en relief (en focus) d'un
élément d'un énoncé par des moyens propres au code
employé. Or, « les procédés qu'emploie l'image
pour mettre en relief tel ou tel point d'un énoncé visuel sont
souvent moins facilement perçus qu'une focalisation verbale, quoiqu'ils
existent cependant (par l'intermédiaire de la couleur, de la
composition, de l'éclairage, du choix des proportions, etc. »
(Joly, 1994, p.83).
Ces raisons « techniques » et de production
ne satisfont pas tous les auteurs. Certains voient plutôt des facteurs
contextuels, d'autres encore, des raisons liées aux spectateurs
eux-mêmes.
Mitry insiste d'une part sur le fait que la signification
filmique ne dépend jamais - ou rarement - d'une image isolée mais
d'une relation entre les images, d'autre part qu'elle varie selon le contexte.
Une suite d'images représentant un cendrier dans lequel s'empilent des
mégots peut suggérer le temps qui passe dans un certain contexte.
« Dans un autre contexte, il pourrait signifier tout autre
chose : l'énervement, l'attente, ou encore l'ennui... ».
(Mitry, 2001, p.66).
En outre, un film n'est qu'exceptionnellement composé que
d'une bande image. C'est une combinaison d'un très grand nombre
d'éléments signifiants : des images (fixes ou mouvantes, en
noir et blanc ou en couleurs, etc.), des mots (parlés et écrits),
des sons (musiques et bruits), etc. La question de la cohabitation du verbal et
de l'iconique qui a fait l'objet de recherches en publicité se pose donc
dans le domaine filmique. Les images pouvant générer un malaise
en raison de l'indécision du sens à donner parmi tous les sens
possibles, les mots serviraient-ils de guide au spectateur, auraient-ils une
fonction d'ancrage, autrement dit fixeraient-ils le sens ? Auraient-ils
une deuxième fonction, celle de relais, en fournissant aux spectateurs
des informations complémentaires que ne peut véhiculer la bande
image ?
De nombreux auteurs, dont Barthes, considèrent que les
mots éclairent ou complètent l'image, ce qui est vrai pour une
légende de photographie de presse. Mais est-ce vrai pour les images
filmiques et la bande son ? Laurence Bardin 17(*) s'est interrogée sur
les fonctions d'ancrage et de relais dans les messages publicitaires et en a
conclu qu'elles devaient être dédoublées :
« Qu'est-ce qui prouve, dans le rapport texte/image que c'est
toujours le texte qui joue le rôle de mode d'emploi ? ».
Elle en arrive à considérer que le texte n'est pas moins
polysémique que l'image : « les mots, eux aussi, ont eu
dans l'histoire, et ont encore dans bien des cas, un statut sacré et un
aspect affectif et émotionnel ».
Dans le domaine filmique, les fonctions d'ancrage et de relais
peuvent être remplies, selon la volonté du réalisateur,
indifféremment par la bande image ou par la bande son. Une suite
d'images peut-être plus explicite qu'un dialogue confus ou
mystérieux entre deux acteurs. Sans reprendre la classification des
messages publicitaires, en quatre catégories, fondée sur la
dénotation et la connotation du code iconique et du code linguistique
proposée par Bardin18(*), nous devons admettre que le réalisateur d'un
film travaille avec beaucoup de soin le rapport entre la bande image et la
bande son, qu'il nuance pour chacune d'elles le degré du
dénotatif (rationnel, fonctionnel, précis, monosémique) et
du connotatif (symbolique, poétique, ambigu, polysémique) de
manière à ce que de l'interrelation (mots-images) surgisse un
sens.
Par ailleurs, il est intéressant de noter que, selon
Bardin, les sens connotés sont « des sens
supplémentaires, plus marginaux, diffus, instables, qui se greffent sur
le premier (dénoté), le complètent ou le déforment
et qui retentissent de manière variable chez les individus selon leur
expérience et leur culture (...) Chaque récepteur
interprète, quantitativement et qualitativement, un message fortement
connoté en fonction de son background individuel et social
(histoire personnel, groupe culturel d'appartenance ou de
référence, maîtrise des symboles et mythes susceptibles
d'être rencontrés dans un message et nécessitant un
apprentissage antérieur pour être
identifiés »19(*). Elle se situe ainsi dans un courant de pensée
qui est loin d'être minoritaire, notamment dans le domaine
cinématographique.
De nombreux auteurs considèrent, en effet, que
l'interprétation varie surtout en fonction du spectateur, d'où la
formule de Christian Metz, « ce n'est pas l'image qui est
polysémique, mais le spectateur ». Meunier et Peraya
illustrent cette idée à l'aide d'une petite
expérimentation. Une photographie de Paul Almasy montrant le dessous
d'une table avec les jambes de deux personnes assises des deux
côtés de la table. A la vue de cette photographie, les personnes
interrogées l'interprètent différemment : pour les
uns, il s'agit d'une « partie de cartes, pour d'autres « un
ouvrier qui se fait molester par son patron », pour d'autres encore
« un dessous de table » illicite, etc. En
réalité, la même image est perçue et
interprétée de façons différentes, selon la
manière avec laquelle le spectateur entre en relation avec les
personnages et les objets de la photographie20(*).
Cette expérience met en valeur que la polysémie de
l'image est en réalité une variabilité du sens construit
par le spectateur, en fonction de facteurs qui lui sont propres. On peut
trouver un rapprochement à cette idée dans la
phénoménologie et la philosophie de la perception de
Merleau-Ponty (1942, 1977). Ce dernier écrit, en effet :
« La couleur rouge de l'objet que je regarde est et restera toujours
connue de moi seul. Je n'ai aucun moyen de savoir si l'impression
colorée qu'il donne à d'autres est identique à la mienne
(...) Je puis m'assurer qu'un autre spectateur emploie le même mot que
moi pour désigner la couleur de cet objet (...) Il se pourrait que la
gamme des couleurs qu'il perçoit fût en toute différente de
la mienne (...) Il résulte de là que la perception, comme
connaissances des choses existantes, est une conscience
individuelle. » (Merleau-Ponty, 1977, p.228)
En plus de cette interprétation propre à chacun des
spectateurs, Meunier et Peraya y voient une variabilité
intra-individuelle, sans laquelle il n'y aurait pas vraiment de
polysémie : « je peux en tant que spectateur, sentir la
diversité des sens dont peut se remplir l'image. Si sur la photo
d'Almasy, je perçois un patron, et que mon voisin perçoit un
joueur de cartes, cela ne me surprend pas ; ce sens de l'image
m'apparaît tout aussi plausible et du reste, je peux le faire surgir
moi-même par une variation d'accommodation ».
Que les raisons soient techniques, culturelles ou autres, il n'en
reste pas moins qu'une image et plus encore un plan et une séquence
peuvent être interprétés de différentes
façons par des spectateurs, voire par le même spectateur selon le
moment et le lieu où il visionne un film. Celui-ci face à
l'incertitude d'un signifiant à plusieurs signifiés ou, ce qui
est fréquent dans un film, aux contradictions (de plusieurs signifiants
à plusieurs signifiés), devra procéder à un
arbitrage dans son interprétation globale, arbitrage qui se fera en
fonction du contexte.
C'est pourquoi les recherches sur la communication et, plus
précisément, celles sur les situations de communication, le
cadrage et la contextualisation sont d'un grand intérêt.
B- Les autres fondements théoriques et pratiques de
la sémiologie du cinéma
La sémiologie du cinéma a tiré profit des
principes et méthodes de la sémiologie de l'image21(*). Toutefois, le langage
cinématographique est une entité plus complexe encore que l'image
visuelle fixe, une entité dans laquelle interagissent et
s'entremêlent le langage verbal, le paraverbal (intonation, jeu vocal),
le mouvement, l'image, le son (la musique et le bruitage), le récit,
etc.
D'une manière générale, les premières
principales avancées de la sémiologie du cinéma
découlent de différentes réflexions, dont certaines non
pas de lien direct avec l'objet filmique, sur le cadre méthodologique
(Barthes, 1964-a), l'analyse des codes iconiques et des messages visuels (Eco,
1970)22(*), l'analyse des
codes publicitaires23(*)
(Barthes, 1964-b24(*) ; Peninou 197025(*) et 197226(*)), l'analyse des codes cinématographiques
(Metz), l'analyse du récit et la théorie des actants (Bremond,
1964, Greimas, 1970), etc.
La durée des films longs métrages augmentant la
difficulté, l'analyse des formes filmiques courtes (d'une durée
d'environ 15 secondes à 30 minutes) tels que les courts métrages
documentaires, poétiques ou de fiction et les spots publicitaires fit
progresser les connaissances et les méthodes d'analyse.
Ainsi, les courts métrages de fiction
« exhibent de manière plus évidente que les longs
métrages leurs dispositifs (narratifs ou discursifs), leur structure
dramatique et rythmique, la forme-sens qui produit leur impact, ceci sans doute
parce que l'appréhension de ces éléments n'a pas le temps
d'être diluée dans les méandres d'une histoire ou distraite
par l'identification à des personnages ou par des
émotions » (Vanoye et Goliot-Lété, 2001,
p.96-97).
Quant aux spots publicitaires, ils furent à
l'origine de nombreuses recherches pour plusieurs raisons : la
première est l'intention claire du réalisateur d'influencer les
spectateurs (et téléspectateurs), la deuxième est la
très courte durée du film, la troisième est l'exploitation
maximale de la possibilité « de combiner les matières
de l'expression du cinéma (et de la vidéo) : sons (paroles,
bruits, musiques), images (fixes, animées, photographiques ou
graphiques), écriture (intertitres, surtitres et sous-titres, toutes
mentions écrites). » Selon Vanoye et Goliot-Lété
(2001, p.90-91), le résultat est « un bombardement d'images et
de sons, d'impressions, de sensations et de significations ». Il est
donc essentiel de « défaire ce que le montage et mixage ont
agencé pour observer la production du sens et des effets du
spot ».
En résumé : quelques apports de la
sémiologie du cinéma
- Le cinéma n'est pas une langue parce qu'il est
multicodique. Et cela même si les théories montagistes du
cinéma (voir dans le chapitre sur les codes de la bande image) furent
élaborées sur le modèle d'une syntaxe
cinématographique comme d'ailleurs de nombreux autres codes de la bande
image : mouvements d'appareil, etc..
- L'ensemble de tout ce qui est dit dans tous les films, ainsi
que toutes les organisations signifiantes qui entrent en jeu dans la
compréhension d'un film entier (perceptives, imaginaires, intellectives,
iconologiques, idéologiques...), autrement dit «le cinéma
dans sa totalité» représente «un
phénomène beaucoup plus vaste, à l'intérieur duquel
le langage cinématographique ne constitue qu'une couche signifiante
parmi d'autres» (Christian Metz).
- Le nombre d'images réalisables au cinéma est
infini. Le plan n'est donc pas comparable au mot d'un lexique, mais
plutôt à un énoncé. La paradigmatique du film ne
peut donc être que partielle et fragmentaire; la syntagmatique, en
revanche, est au centre de la dimension sémiologique du film : la
narrativité filmique s'organise par la contrainte de grandes structures
syntagmatiques (voir dans le chapitre sur les codes de la bande image : le
code du montage et la grande syntagmatique de Metz).
III- Les apports de la sémio-linguistique du
cinéma
Au sein même de la sémiologie du cinéma, la
sémio-linguitisque du cinéma est une approche qui a
également permis une amélioration de la connaissance de l'objet
cinéma. Comme l'écrit Odin, dans son ouvrage 27(*)consacré à cette
approche : « par sémio-linguistique du cinéma, on
entend l'approche qui tente de faire pour le langage cinématographique,
ce que fait la linguistique pour les langues naturelles28(*) : démonter les
mécanismes de production de sens, comprendre comment le film est
compris » (Odin, 1990, p.11).29(*)
L'analyse sémiologique des différents langages
(photographie, peinture, musique, cinéma, etc.) a notamment mis en
évidence, pour chaque langage, une distinction entre ses codes
spécifiques et des codes généraux : les premiers
permettant d'identifier un langage dans ses singularités alors que les
seconds sont communs à d'autres langages. Ainsi, les codes
photographiques qui régissent l'usage des grosseurs de plans se
retrouvent aussi bien dans les images photographiques que dans celles du
cinéma. Ce sont des codes généraux, non spécifiques
à l'un ou l'autre de ces deux langages. En revanche, l'illusion du
mouvement, créée par le défilement de 24 photogrammes
à la seconde, n'appartient qu'au langage cinématographique.
Cette distinction entre les codes spécifiques et codes
généraux fut reprise par la sémiologie du cinéma
et, notamment, sous l'impulsion de Christian Metz, qui distingue les codes
spécifiques, qu'il nomme les codes filmiques et
cinématographiques, des codes généraux, donc non
spécifiques, qu'il appelle les codes filmiques et non
cinématographiques.
Cette distinction ne donne pas entière satisfaction dans
la mesure où elle peut faire croire au recensement exhaustif des codes
utilisés dans un langage. « Cette distinction a
constitué longtemps un principe méthodologique ainsi qu'un axe de
recherche, d'autant qu'en prétendant saisir exhaustivement son objet,
elle offrait l'illusion d'une certaine scientificité. Et c'est sans
doute aussi pour cette raison que l'institution scolaire et les enseignants se
sont si facilement emparés des premiers résultats de ces
travaux. » (Meunier et Peraya, 1993, p.63)
IV- Les apports de la sémio-pragmatique du
cinéma
Certains auteurs ont reproché à cette approche
sémio-linguistique du cinéma de ne s'intéresser
qu'à la dimension langagière, et uniquement langagière,
des faits filmiques. Elle délaisse donc les autres aspects des faits
filmiques : sociologiques (le film comme reflet ou produit de la
société), historiques (les films comme histoire d'un genre, celle
d'un réalisateur, d'une période historique donnée, etc.),
psychanalytiques (le film comme construction fantasmique), esthétiques
(le film comme oeuvre d'art).
Cette critique est, somme toute, assez injuste puisque les
chercheurs qui ont adopté cette approche limitaient leur champ de
recherche volontairement et en toute connaissance de causes.
« Approcher le cinéma en termes sémio-linguistiques
signifie que l'on négligera délibérément toute une
série de problèmes qui ont eux-mêmes une grande importance
pour la compréhension globale de ce qui se passe dans le champ
cinématographique, mais qui ne relèvent pas de la pertinence
sémio-linguistique » (Odin, 1990,p.20).
Roger Odin cite alors parmi les sujets
délaissés : les « problèmes
économiques (le cinéma comme industrie), problèmes
juridiques (le droit du cinéma), problèmes administratifs
(comment fonctionnent les grands organismes qui s'occupent du cinéma,
quelles sont les règles qui régissent la profession ?),
problèmes technologiques (conception des caméras, des
projecteurs, des pellicules), problèmes de la sociologie des publics
(quelle est l'influence du cinéma sur les jeunes ou sur les
adultes ? Qui va au cinéma ? etc. ».
Toutefois, ce constat que fit lui-même Roger Odin l'amena,
très vraisemblablement, à proposer une autre approche,
amorcée en conclusion de sa thèse30(*) de doctorat, qu'il appela l'approche
sémio-pragmatique. « La sémio-pragmatique est un
modèle de (non-) communication qui pose qu'il n'y a jamais transmission
d'un texte d'un émetteur à un récepteur mais un double
processus de production textuelle : l'un dans l'espace de la
réalisation et l'autre dans l'espace de la lecture. Son objectif est de
fournir un cadre théorique permettant de s'interroger sur la
façon dont se construisent les textes et sur les effets de cette
construction » (Odin, 2000, p.10). Cette définition montre
l'influence de l'approche communicationnelle mais aussi de l'approche du
positionnement institutionnel du spectateur dans la naissance de ce nouveau
modèle comme Roger Odin le reconnaît dans la conclusion
générale de sa thèse : « nous sommes
allés de la sémio-linguistique (approche en termes
d'isotopie31(*)) à
la l'analyse en termes de codes et de systèmes32(*), de l'approche
communicationnelle33(*)
à l'approche en termes de positionnement psychologique (ouverture sur la
psychanalyse) et institutionnel du spectateur.» (Odin, 1982, p.686). Il
insiste également, dans un esprit systémique, sur le rôle
joué par les différentes institutions cinématographiques.
La conséquence majeure de cette approche en termes d'institutions est
que « le fonctionnement filmique dominant (production de l'effet
fiction, positionnement du Destinataire sur le mode de croyance)
n'apparaît plus que comme un fonctionnement parmi bien
d'autres. » (Odin, 1982, p.687)34(*).
Les grandes caractéristiques de l'approche
sémio-pragmatique sont donc notamment le pragmatisme, le
systémisme et la pluridisciplinarité.« La
sémio-pragmatique sera pluri-disciplinaire ou ne sera pas »
(Odin, 1982, p.689).
Plus que dans toutes les autres approches
précédentes, la sémio-pragmatique s'est construite sur des
apports multiples et notamment sur ceux des théories de la communication
que nous développerons plus loin. Toutefois, rappelons que la
pragmatique du cinéma s'intéresse aux rapports du spectateur et
du cinéma. Elle étudie les diverses institutions
cinématographiques et leur influence sur la façon dont les films
sont perçus. Autrement dit, elle prend en compte le fait que
« le spectateur n'arrive pas devant le film comme en terrain
vierge : la publicité, le cadre de projection, la culture
cinématographique du spectateur, sa connaissance du réalisateur,
etc. » (Esquenazi, 1994, p.11). C'est pourquoi, Jean-Pierre Esquenazi
distingue la pragmatique du cinéma de Roger Odin et la pragmatique du
film.
V- Les apports de la pragmatique du film
La pragmatique du film étudie les relations, non pas entre
le spectateur et le cinéma, mais entre le film et le spectateur et,
notamment, ce qui se passe pendant la projection d'un film particulier et la
façon dont ce dernier dirige la compréhension de son
spectateur.
Esquenazi (1994) se place dans cette perspective lorsqu'il
défend les quatre thèses suivantes :
- Les liens entre spectateur et film se nouent autour du
mouvement. Le mouvement offre au spectateur une localisation dans le film,
à lui de l'accepter ou non.
- Si le mouvement prend sens, c'est qu'il constitue des lieux de
perception, appelés espaces-temps, qui sont construits par le film.
- Le spectateur participe au film de deux façons : il
entre dans le film, le voit, et il se voit dans le film, le comprend à
l'intérieur de son esprit.
- Le sens du film doit être envisagé comme la
série des structures de sens qui apparaissent successivement au
spectateur. Le film fonctionne comme une mémoire en formation, ce que
Esquenazi appelle un individu mémoriel qui organise la série des
interprétations et des attentes du spectateur vis-à-vis du
film.
Dans son ouvrage, Film, Perception et Mémoire,
Esquenazi étudie l'action effective du film sur le spectateur mais
aussi, ce qui le rapproche de l'école de Palo Alto, de l'action
effective du spectateur sur le film : « il nous semble que le
film produit comme sens naît des associations effectuées par le
spectateur pendant la projection, et que le film, comme discours
cohérent, isolé de sa réception, n'existe pas »
(Esquenazi, 1996, p. 12)
Nous retiendrons également que, selon lui, le
problème de la perception-mémorisation-compréhension est
essentiel lors du visionnage d'un film parce que le spectateur est sans cesse
confronté à des images neuves et qu'il doit situer ces images
vis-à-vis des anciennes.
Ce processus qui conduit le spectateur à la
compréhension exige de lui qu'il mémorise les
événements du film ainsi qu'une aisance et des efforts pour
circuler entre les événements mémorisés.
Les deux pragmatiques, celle du cinéma d'Odin et
celle du film d'Esquenazi, rejoignent l'approche communicationnelle typique en
sciences de l'information et de la communication (Mucchielli, 2001).
VI- Les apports des recherches sur la communication
Nous ne reviendrons pas sur la théorie de l'information de
Shannon et Weaver35(*), ni
sur le schéma classique de Laswell36(*) dont les modèles sont qualifiés de
mécanistes et ont suscité des réactions, donc des
évolutions, comme celles de l'Ecole de Palo Alto aux Etats-Unis.
Nous ne présenterons que le modèle de Sol Worth qui
a largement contribué à la naissance du modèle de la
sémio-pragmatique de Roger Odin. Selon ce dernier : « le
modèle de Sol Worth37(*) 38(*) 39(*) a pour point de départ une constatation :
le film n'a pas de sens en lui-même. Un film n'acquiert de sens que dans
sa relation à un Sujet percevant. » (Odin, 1982, p.137).
A- Le modèle de Sol Worth
Sol Worth distingue deux types de relation Sujet percevant-film :
la relation attributive et la relation communicative.
La relation attributive s'instaure lorsque le sujet percevant
attribue un sens au film en construisant ce sens à partir d'informations
extérieures au film lui-même.
Pour illustrer cette relation et la procédure
d'interprétation, Sol Worth cite l'exemple d'un test de lecture de film
effectué auprès de jeunes enfants. La séquence
projetée montrait un médecin passant à côté
d'un blessé sans lui porter secours. Certains enfants
déclarèrent qu'ils aimaient ce médecin parce que
c'était quelqu'un de bon qui soignait le blessé. Mais, à
la relance de l'enquêteur leur demandant de justifier leurs propos, ces
enfants répondirent soit que le personnage présenté sur
l'écran était quelqu'un de bon parce que c'était un
médecin, soit qu'ils pensaient que le médecin soignait le
blessé parce que c'est ce que font habituellement les
médecins.
Cet exemple montre que la relation attributive se fonde sur des
stéréotypes culturels, sur la connaissance du monde des
spectateurs et qu'elle peut aboutir à des significations en
contradiction totale avec les actions montrées à l'écran.
L'attribution peut également se fonder sur les obsessions et les
fantasmes personnels du Sujet percevant.
Odin en conclut que « le sujet qui aborde un film
suivant cette stratégie peut « joyeusement
extraire » de ce film n'importe quelle signification. »
(Odin, 1982, p.138)
Schéma du fonctionnement de la stratégie
attributive
(D'après Worth et Odin)
Film Sens Sujet percevant
Obsessions
Fantasmes personnels
Stéréotypes culturels
Connaissance du monde
La relation communicative s'instaure, quant à elle,
lorsque le Sujet-percevant construit le sens du film à partir des
informations qui lui sont fournies par les images projetées. Dans
ce cas, la séquence de film projetée à un public de jeunes
enfants pourrait être interprétée comme la
représentation de ce qu'est un médecin inhumain. Et de fait, les
remarques des enfants qui abordaient cette séquence, dans une
perspective communicative, furent significatives à cet
égard : « s'ils avaient voulu que je pense que le docteur
lui venait en aide, ils auraient montré un plan du docteur avec un
stéthoscope ou en train de l'aider. » La stratégie
communicative implique que le spectateur construise à partir des
éléments qu'il repère dans le film une structure
susceptible de conduire à une signification. (Odin, 1982, p.140)
Schéma du fonctionnement de la stratégie
communicative
(D'après Worth et Odin)
Modèle de réalité
Recherche et construction d'une structure
FILM Assumption of
Intention ou
Conviction du spectateur et
croyance en
l'existence d'une
signification dans
le film
Structure Signification Sujet
percevant
Contexte socio-culturel
Dans le schéma idéal, donc en réalité
exceptionnel : « processus d'encodage et processus de
décodage sont symétriques : le spectateur perçoit les
éléments du film, les transforme en signes, les articule en une
structure homologue construit par le réalisateur et en infère une
signification qui n'est autre que ce que l'auteur voulait
communiquer. » (Odin, 1982, p.143).
Lorsque l'adéquation entre le réalisateur et le
spectateur s'établit, la communication est dite réussie. Le
schéma rappelle donc le modèle du code, que nous avons
précédemment décrit, qui fonde la compréhension
mutuelle sur le partage du code, les interlocuteurs associant à des
signifiants donnés les mêmes signifiés. La
compréhension est mutuelle, en effet, lorsque le film traduit bien
l'intention du réalisateur et que l'interprétation du spectateur
lui correspond, c'est-à-dire quand le réalisateur et le
spectateur coconstruisent une même réalité à partir
de signes. (Le Boeuf, 2000, p.44). Toutefois, pour Sol Worth40(*), cette parfaite
adéquation ne saurait être qu'exceptionnelle, voire à
exclure totalement.
Par ailleurs, comme le fait remarquer Roger Odin, il est plus que
probable que plusieurs sujets percevants ont toutes les chances d'aboutir
à la construction de sens différents. « L'un va voir
dans Le Désert Rouge41(*) d'Antonioni l'histoire d'un cas de folie ,
l'autre l'exposé d'un problème social, un autre
s'intéressera au travail de la couleur, ou au jeu de tel ou tel
acteur. » (Odin, 1982, p.145)
Certains reprocheront au modèle de Worth d'être
encore trop linéaire, de s'appuyer implicitement sur les couples
Destinateur-Destinaire ou Emetteur-Récepteur et
Production-Réception. Pour éviter cette critique, Odin
suggérera, dans sa thèse, une nouvelle terminologie en proposant
de parler d'espace de la réalisation et d'actant42(*) réalisateur, ainsi que
d'espace de la lecture et d'actant lecteur, espérant ainsi faire
comprendre que la production de sens est pas uniquement du côté du
Destinateur et que le Destinataire ne se contente pas de recevoir un message
déjà construit.
Il veut imposer ainsi la thèse selon laquelle la
production de sens est « un calcul opérant par un va et vient
incessant entre les déterminations externes (rôle des
stéréotypes culturels, des modèles de
réalité...) et les déterminations internes (ce qui
apparaît sur l'écran, des contraintes issues du film
lui-même) » (Odin, 1982, p.155). Toutefois, cette idée
forte selon laquelle des va et vient, des échanges s'établissent
entre les actants peut paraître abandonnée lorsqu'Odin
décrit ce calcul comme une série élémentaire
d'opérations dont la linéarité nous a surpris. 43(*) L'école de Palo Alto
lève sur ce point toute ambiguïté.
B- Les apports de l'approche relationnelle de la
communication
L'école de Palo Alto réfute la
linéarité du processus de communication des modèles
précédents. « Toute communication ne se borne pas
à transmettre de l'information, mais induit en même temps un
comportement » (Watzlawick, 1972, p.49). Elle défend
l'idée que toute communication est un ensemble d'actions, de
réactions, d'interactions, de rétroactions et qu'elle comporte,
en plus d'un contenu (l'information transmise), une relation. « Tout
comportement a la valeur d'un message, c'est-à-dire qu'il est une
communication » (Watzlawick, 1972, p.47).
Cet intérêt pour l'aspect relationnel de la
communication a poussé les chercheurs d'une part à définir
précisément ce qu'est une situation de communication, d'autre
part à prendre en considération les éléments
extra-linguistiques, les manifestations non verbales : posture, mimique,
gestuelle, intonation, qualité vocale, etc. Eléments qui dans un
film sont souvent, parce que non cinématographiques, non
spécifiques, peu pris en considération alors qu'ils ont une part
importante dans la production du sens.
La situation de communication est le cadre dans lequel les signes
construits par les individus en relation prennent sens. Elle est notamment
définie par une dimension temporelle et une dimension spatiale. A un
moment donné et dans un lieu précis, la situation de
communication comprend des acteurs, des objets, des circonstances, etc. Elle
est complexe parce qu'elle est composée « d'un tissu
d'événements, actions, interactions, rétroactions,
déterminations, aléas » (Morin, 1990, p.21).
Le Boeuf, Drouallière et Rivière (2000, p.54)
donnent un exemple de complexité d'une situation de communication
cinématographique : « Dans Vera Cruz44(*), R. Aldrich attire
l'attention des spectateurs par la répétition formelle de
certains effets : cadrage sous arche, personnage au second plan,
présence ou absence de sons naturels. Il nous dit en quelque
sorte : l'ensemble des images assemblées veut dire plus que la
succession des plans que vous regardez (on retrouve ici le potentiel
signifiant). Mais, ce qu'il ne peut pas maîtriser, c'est la dynamique du
système : le film n'est qu'une partie du tout, il est
diffusé dans un ciné-club ou dans un mégastore, le son est
trop aigu ou trop faible, les spectateurs sont captivés ou consomment
des corn-flakes, ils génèrent des interactions,
etc. ». Ces auteurs en concluent qu'il existe une différence
entre le sens du film préparé par le réalisateur et le
sens construit par les récepteurs dans une situation de communication
déterminée : « La complexité de la
situation de communication tient au lieu et à l'heure , à la
durée de la file d'attente, aux contacts avec les autres clients,
à la présence distractive d'un funambule, à l'accueil de
la caissière, aux échanges avec les voisins pendant la
projection, aux manifestations collectives de la salle lors de certaines
séquences, au confort des fauteuils, à l'odeur de la salle, aux
films vus la semaine précédente, etc. » (Le Boeuf et
al., 2000, p.54).
C- L'approche constructiviste du film
Cette complexité fut appréhendée par le
constructivisme qui reconnaît que le monde est un construit social, que
les acteurs en situation construisent le sens des choses et des
événements par leurs propres représentations mentales et
leurs interactions. Autrement dit, un spectateur va construire le sens d'un
film, ou d'un extrait de film, en fonction de ses expériences. Le sens
du film ne s'impose pas à lui. Il le construit.
Certains y verront, comme Bordwell et Thompson (2000, p.116) les
apports de la psychologie gestaltiste : « Cette théorie a
fait des tenants de la Gestalt (R.Arnheim, H. Münsterberg) les
défenseurs de l'idée selon laquelle la forme filmique fait
travailler le spectateur».
Ainsi, le spectateur ne se contente pas, pour donner
du sens à un récit, d'interpréter les
éléments que le réalisateur lui montre. Il recrée,
par inférences, des faits, des événements qui ne lui sont
pas présentés dans le film. Cette double activité
spectatorielle repose sur la différence que font certains auteurs entre
une histoire et un récit. L'histoire est la somme de tous les faits
présentés explicitement dans le film ou déduits par le
spectateur. Le récit désigne les éléments
présentés de l'histoire et les éléments
extradiégétiques (sons et images) qui vont influer sur la
compréhension de l'histoire. Le récit peut, en effet,
contrairement à l'histoire, contenir des éléments qui ne
participent pas à la diégèse, ce pseudo monde
raconté dans le film, par exemple une musique ou un commentaire venant
d'une source extérieure à ce pseudo espace.
Différence entre Histoire et
Récit45(*)
(D'après Bordwell et Thompson, 2000)
Evénements déduits
|
HISTOIRE
|
RECIT
|
Evénements représentés
|
Eléments extradiégétiques
|
« Du point de vue du sujet percevant (...) tout ce qui
se présente à lui, c'est le récit, le film tel qu'il est
lui donné à voir. Il crée l'histoire à partir des
informations fournies par le récit. (...) » (Bordwell et
Thompson, 2000, p.122).
Il est intéressant de noter que cette idée d'une
« double création » fut décrite dans les
années 20 par le formaliste russe Boris Eikhenbaum sous le nom de :
processus de discours intérieur. Bien que parfois
identifié à la pensée (Albéra, 1996, p.236), le
discours intérieur renvoie à la notion d'effort spécifique
(au cinéma) réalisé par le spectateur :
« Le spectateur doit effectuer un effort cérébral
complexe quasiment absent de la pratique courante. (...) Il doit
continuellement composer la chaîne de ciné-phrases, faute de quoi
il ne comprendrait strictement rien. Pour certains, cet effort
cérébral est d'ailleurs difficile, fatiguant, inhabituel et
déplaisant » (Eikhenbaum, Problèmes de
ciné-stylistique, in Albéra, p.44-45).
Dans un précédent article intitulé
« Littérature et cinéma », publié en
1926, Eikhenbaum46(*)
insistait davantage encore sur le fait que la perception et la
compréhension d'un film sont liées à la formation de ce
discours intérieur qui relie entre eux les cadres isolés,
autrement dit à un montage mental effectué par le spectateur
à la vue des plans montés par le cinéaste :
« Le spectateur ne se contente pas de regarder attentivement chaque
nouveau cadre pris séparément, il le confronte avec le
précédent et le suivant. Le sens de chaque cadre dépend en
grande partie de son lien avec ses voisins. Un même cadre peut avoir
différentes nuances de sens selon ses rapports avec les autres. A charge
pour le spectateur de deviner ce sens selon ses rapports avec les
autres»47(*).
Plusieurs décennies avant les modèles de Sol Worth,
de Palo Alto et le constructivisme, Eikhenbaum concluait donc en l'importance
d'une compréhension mutuelle passant par la connaissance
réciproque des processus de construction de sens par le spectateur et le
réalisateur : « Une des préoccupations
essentielles du réalisateur est de faire en sorte que le cadre (au sens
de plan et cadrage) « parvienne » au spectateur,
c'est-à-dire qu'il devine le sens de l'épisode ou, en d'autres
termes, qu'il le traduise dans le langage de son discours intérieur. Ce
discours entre ainsi en ligne de compte dans la construction même du
film ».
Il insistait sur ce double travail de montage et de
construction : « A charge pour le spectateur de deviner
le sens, de mettre en rapport les cadres, et pour le réalisateur
de concevoir le montage de façon que ces rapports et les sens qu'ils
engendrent (tantôt littéraux, tantôt métaphoriques)
« passent ». (in Albéra, 1996, p.206)
Toutefois, il est possible d'aller plus loin encore grâce
à l'approche semio-contextuelle en dépassant les aspects
purement narratifs et montagistes, en s'intéressant non pas à un
seul acteur, ni même à deux (le réalisateur et le
spectateur) mais à tous les acteurs d'une situation de communication
dont on peut faire varier le cadrage. Ainsi, le réalisateur mais aussi
le propriétaire de la salle de cinéma, le diffuseur, etc. peuvent
vouloir agir sur la situation de communication afin d'influencer le sens.
D- L'approche sémio-contextuelle
De nombreuses recherches ont montré l'importance de la
contextualisation dans la genèse du sens des communications. Comme le
rappellent Mucchielli, Corbalan et Ferrandez48(*) (1998, pp.15-16) : d'une part,
« le sens d'une parole dépend des conditions dans lesquelles
elle est prononcée », d'autre part « le sens n'est
pas séparable des conditions de sa production ».
Autrement dit : « Le sens est un
« construit », une émergence. Ce n'est pas un effet
déterminé par des causes, c'est une résultante provisoire
de significations prises par les « productions » faites
dans des contextes. » (Corbalan, 2003).
Les recherches en sciences de la communication ont
explicité les différents contextes d'une situation. Toute
situation est constituée de sept contextes, tous ces concepts
étant présents en même temps et enchevêtrés
entre eux (Mucchielli, 2001, p.128).
Les contextes qu'il faut considérer sont :
- le contexte spatial (ce qui est dit prend un sens par
rapport à la disposition du lieu et à ses contraintes s'imposant
à tous) ;
- le contexte physique et sensoriel (ce qui est dit prend un sens
par rapport à l'ensemble des éléments sensoriels qui
arrivent aux différents sens : vue, ouïe, odorat, toucher,
goût) ;
- le contexte temporel (ce qui est dit à tel moment prend
un sens par rapport à ce qui s'est dit avant) ;
- le contexte des positions respectives des acteurs (ce qui est
dit prend un sens par rapport aux positionnements des acteurs entre eux) ;
- le contexte relationnel social immédiat (ce qui est dit
prend un sens par rapport à la qualité de la relation entre les
acteurs et prend un sens dans l'ensemble du système interactionnel
créé) ;
- le contexte culturel ou subculturel de référence
aux normes et règles collectivement partagées (ce qui est dit
prend un sens par rapport à ces normes appelées ou construites au
cours des échanges) ;
- le contexte expressif des identités des acteurs (ce qui
est dit prend un sens par rapport à ce que l'on sait ou à ce qui
est affiché des intentions et des enjeux des acteurs en
présence). »
Le sens global de l'action est une résultante de
significations prises par l'action de communication faite dans ces contextes.
Autrement dit, en intervenant sur ces différents contextes, les acteurs
vont transformer les contextes et ainsi vont participer à la
construction du sens. Ce travail sur un contexte, cette transformation qui
ajoute de la valeur est appelé un processus. « La
communication est alors un processus qui travaille ces différents
contextes, c'est-à-dire qu'elle fait apparaître/disparaître
des objets cognitifs dans ces contextes. En définitive, la situation
change donc et des phénomènes émergents de sens
apparaissent » (Mucchielli, 2001, p.129).
1. Les processus de contextualisation spatiale
Un travail ou une action sur le contexte spatial est un processus
de contextualisation spatiale.
Il est particulièrement important dans le domaine
cinématographique et peut s'effectuer à plusieurs niveaux, selon
plusieurs cadrages, notamment : - à celui des spectateurs et de la
salle de cinéma, par exemple, cette dernière est-elle en
centre-ville ou dans un complexe multisalles dans un centre commercial ou
encore dans un quartier très particulier (Pigalle, par exemple), la
salle est-elle spécialisée dans tel ou tel genre de films ?
La salle est-elle éloignée du domicile des spectateurs, d'une
station de transport en commun, propose-t-elle à ses clients un parking
gratuit ?, etc . ; - à celui du spectateur et des autres
spectateurs, ainsi la taille de la salle, la disposition spatiale de la salle,
la taille de l'écran, la distance entre l'écran et la
première rangée de sièges, seront porteurs de sens,
etc. ; - à celui du spectateur et le film lui-même, etc..
Louis Skorecki (2001, p.53-54) explique que les cinéphiles
des années soixante se reconnaissaient non seulement par ce qu'ils
fréquentaient les mêmes salles obscures49(*) mais aussi par le fait qu'ils
occupaient le même espace : celui des trois ou cinq premiers rangs
de la salle. Il ne s'agissait pas, selon lui, seulement de se reconnaître
entre cinéphiles avancés mais de respecter un rite et,
surtout, de percevoir le film d'une autre façon : « Quand
on se trouve si près de l'écran (et la place ne variera pas avec
la taille de l'écran, c'est une place rituelle et symbolique), il y a
quelque chose qu'on ne voit pas, qu'on ne peut (ni ne veut) voir : c'est
le cadre. Sans recul, on entre, on essaie d'entrer dans le film. On
s'oublie, on s'y noie, on s'y vautre pour oublier ce cadre essentiel, pour
devenir aveugles ».
A un autre niveau, même si l'exemple cité par
Mucchielli et al. (1998, p.33) ne concerne pas uniquement la mise en
scène filmique, on ne peut s'empêcher d'y songer en
lisant : « Faire venir un acteur dans un lieu, disposer le
lieu de telle et telle façon, contraindre (ou libérer) les
postures ou les regards, contraindre la parole par des artifices techniques ou
matériels, attribuer des places dans l'espace, permettre ou non tels ou
tels types de mouvements ou de déplacements...sont des processus de
contextualisation spatiale, participant à la mise en scène, qui
interviendront ensuite sur le sens des communications que feront tel ou tel
acteur dans la scène. Le metteur en scène est donc
fondamentalement un communicateur, c'est-à-dire quelqu'un qui manipule
des processus de communication spatiale et sensorielle pour favoriser les
effets de sens qu'il attend ». Comment, en effet, ne pas songer
à la mise en scène filmique, aux gestes, aux postures, à
la distance entre deux comédiens, mais aussi aux décors
intérieurs et extérieurs, etc. ?
En outre, dans un film, l'importance de l'espace vient du fait
qu'il saute aux yeux, que le spectateur ne peut pas y échapper
contrairement à un lecteur qui peut survoler ou passer les pages d'un
roman pour éviter la lecture d'une description qui lui semble
fastidieuse et inutile.
L'espace est porteur de signification au même titre que le
temps, ces deux contextes servant toujours de contexte : « Le
temps et l'espace sont, nous le savons depuis Kant, les formes a
priori de notre sensibilité ». Le contexte spatial se
manipule de différentes façons dans un film. « Le type
d'espace dans lequel se déroule l'action d'un film en est une
première caractérisation. Un espace intérieur annoncera
une comédie ou un drame psychologique. Un espace extérieur et
pluriel, ce sera un western ou un film d'aventure » (Roche et
Taranger, 1999, p.95).
Les espaces caractéristiques du genre policier sont
également bien connus depuis l'étude d'Olivier Philippe
(1999) : les hôtels et postes de police, les palais de justice, les
endroits troubles (bars, boîtes de nuit, clubs, bars américains,
cabarets, etc.), la rue, etc.
Ceux des genres érotique et pornographique le sont
également suite au recensement de Gérard Lenne (2002, p.33) qui
associa à chacun des espaces possibles des personnages, des motivations
et des fantasmes: « En matière d'érotisme, il n'y a pas
mille schémas possibles. (...) La gamme des scénarios possibles
combine un certain nombre de lieux et de décors classiques. Ce
seront :
- Le domicile, la
maisonnée, l'ambiance domestique (villas, chambres à coucher,
salles de bains, cuisines, piscines..) S'y croisent servantes et valets,
maîtres et maîtresses (intérêt fétichiste du
costume, de la livrée).
- L'hôtel, de préférence de luxe, bref le
palace, zone neutre qui a l'intérêt de conjuguer toutes les
commodités du confort et une garantie de l'anonymat, de
clandestinité.
- Les moyens de transports, le plus souvent avions, parfois
trains ou yachts, plus rarement paquebots (huis clos souvent de luxe). Figure
incontournablement phantasmique, l'hôtesse de l'air.
- Le milieu hospitalier et médical, les hôpitaux et
les cliniques (avec tout le personnel en blouse blanche : médecins,
infirmières, etc.). Intérêt du problème idéal
à résoudre : le problème d'érection.
Personnage hyper-érotisé : l'infirmière.
- L'univers de la prostitution. (...) Mythe éternel de la
courtisane, de l'experte vénale...
- Le show-biz : le cinéma, le music-hall...Cumule les
avantages, le prestige du monde du spectacle et les attraits de
l'érotisme.
- Le monde policier et pénitentiaire. Internement,
prisons, cellules, fouilles, promiscuité, sévices... : tout
ce qui convient à une thématique proche du sadomasochisme.
- Le monde du travail. Rarement l'usine, parfois le garage
(surtout dans la thématique gay) ou bien la campagne (la ferme, les
granges, les meules de foin), mais par-dessus tout le bureau : relations
entre patrons et secrétaires, droit de cuissage, etc.
- La société sportive et vacancière. Le
gymnase, la kinésithérapie et les massages. La plage, les
vacances, la piscine, le farniente (avantage de la nudité facile, rapide
et justifiée). Intérêt accru pour les amateurs de muscles
(dimension importante dans le porno gay). »
Dans cette description de Lenne, apparaît en filigrane un
principe de la théorie des processus de communication sur lequel nous
reviendrons à propos d'autres genres cinématographiques :
celui selon lequel la manipulation des contextes devra être
effectuée dans un esprit combinatoire.
Les éléments spatiaux peuvent également
faire appel à l'imagerie traditionnelle. Ainsi, Takeshi Kitano,
interrogé par Ciment (2003, p.656) sur les raisons de l'utilisation dans
son film Hana-Bi des stéréotypes visuels du Japon tels
que les cerisiers en fleur, le Mont Fuji et les paysages enneigée,
répondit : « Si je me suis servi de ces conventions pour
le périple du couple, c'est qu'ils font pour la première fois un
voyage ensemble. Et lorsque des gens mariés entreprennent ce genre de
visite, ils choisissent généralement les lieux typiques du
tourisme». Mais cette explication n'est bonne que pour les japonais. Pour
un spectateur ignorant la culture japonaise, l'interprétation sera
différente, sûrement moins coutumière que
géographique.
2. Les processus de contextualisation physique
et sensorielle
Ces modifications du contexte physique et sensoriel concernent
tous les organes sensoriels : vue, ouïe, odorat, toucher et
goût.
Un acteur « communique par et à travers tous ses
organes sensoriels et des variations mettant en cause ce qu'il perçoit
à travers ses organes des sens, ou modifiant les modalités de ses
perceptions, interviennent et font changer le sens. » (Mucchielli et
al., 1998, p.38).
Au cinéma, la vue et l'ouïe sont, bien sûr, les
sens les plus travaillés et sollicités (nous n'y reviendrons
pas : voir les analyses de la bande image et de la bande son) mais des
expériences ont été réalisées dans le
domaine olfactif et dans le domaine du toucher, notamment grâce à
des sièges mobiles, associés ou non à des systèmes
tels que IMAX ou OMIMAX (Larouche, 1992, p.257-265) qui optimisent l'image et
le son.
En outre, les réalisateurs peuvent utiliser des
pièges à regard que Leutrat (1988) décrit dans son ouvrage
intitulé Kaléidoscope : « photographies,
miroirs, effet stroboscopique, symétries, contrapposto,
trompe-l'oeil, tableaux vivants, dos de femmes, etc. ».
Dans un cadre plus large, et plus simplement, le fait que des
pop corn très odorants soient consommés dans la salle de
cinéma contribue au sens du film, éventuellement positivement du
point de vue du spectateur qui prend plaisir à déguster ses
friandises préférées et négativement pour son
voisin dont l'attention est détournée par l'odeur, les mouvements
et le bruit engendrés par le gourmand.
3. Les processus de contextualisation temporelle
La dimension temporelle de la situation de communication est
également présente dans le cinéma à plusieurs
titres. Elle concerne le moment où se déroule l'action mais aussi
la dynamique de la série d'actions (avant, pendant, après
l'événement). Autrement dit, pour une situation
cinématographique, elle intervient à au moins deux niveaux :
- pour le spectateur en tant que tel, - entre les personnages du film. Dans le
premier cas, le fait pour un spectateur d'aller au cinéma, le matin,
dans l'après-midi, dans la soirée, à la dernière
séance crée du sens. Toujours dans le premier cas, le fait
d'aller dîner au restaurant avant la séance ou d'attendre la fin
(faim) pour aller dîner a également son influence, etc. Dans le
deuxième cas, celui de la dimension temporelle des échanges entre
les personnages du film, les actions sur le temps sont également
primordiales, une action se déroulant le jour n'a pas le même sens
que si elle avait lieu la nuit. Les scénaristes l'ont bien compris en
introduisant cette distinction Jour/Nuit voire plus précisément
Aube/Crépuscule dans leur scénario. Les auteurs et
réalisateurs utilisent également cette mise en
perspective temporelle pour donner une dynamique à leur récit,
éventuellement en utilisant les flash-back, les ellipses, plus
rarement les flash-forward, etc. Les flash-back et
flash-forward sont des interventions sur le temps, sur l'ordre
(chronologique ou non) des événements qui se passent. Le
flash-back est un retour dans le passé tandis que le
flash-forward est une incursion dans l'avenir. Ce dernier prend des
formes diverses : voyance, rêves prémonitoires, voyage dans
le temps, etc. « En termes savants, on parle de prolepse50(*) pour le
flash-forward, d'analepse pour le flash-back. Le
flash-forward est beaucoup plus rare que le flash-back,
il est toutefois utilisé dans des genres cinématographiques
très différents les uns des autres : policier,
science-fiction, western, aventure51(*), drame psychologique, etc. Mais on peut trouver
encore d'autres façons de bouleverser l'ordre chronologique. On peut
raconter suivant un principe d'alternance (différentes
périodes) » (Roche et Taranger, 1999, p.116).
Il existe bien d'autres moyens utilisés par les
scénaristes et réalisateurs pour signifier le temps. Bien que
différents, ils traduisent les relations de temps par des
éléments visibles et/ou audibles. Un sens se dégage alors
des communications-processus sur plusieurs contextes dont les contextes
sensoriel et temporel. Il est à noter que certains moyens, contrairement
au classique jour/nuit, n'ont pas de lien direct avec le temps. Ils se
situent dans le domaine de l'évocation indirecte, de la connotation.
Autres exemples de moyens utilisés par les
réalisateurs pour signifier le temps
(d'après Roche et Taranger, 1999, pp.129-131)
- L'apparence des personnages, notamment les
vêtements : une convention très répandue veut
que les acteurs changent de tenue lorsque l'on passe d'un jour à
l'autre. Les costumes, coiffures et accessoires peuvent donner une idée
de l'époque au cours de laquelle se passe l'action, non seulement s'il
s'agit d'un film historique, mais aussi si la mode masculine et féminine
a changé en quelques mois (longueur des jupes, forme des revers des
vestes, etc.).
|
- Les décors et leurs
éléments : les scènes tournées en
intérieur sont éclairées artificiellement ou non pour
évoquer le moment de la journée ; pour les scènes en
extérieur, tout ce qui signifie un changement est utilisé :
contraste entre des périodes de soleil et de pluie, les couleurs des
arbres, la présence de la neige, etc. Les objets (de toutes sortes,
produits de grande consommation, biens durables, voitures, autres moyens de
transport, etc.), leur design et marque, utilisés par les
comédiens peuvent être également être un indicateur
temporel.
|
- L'enchaînement logique entre les actions et les
dialogues : y compris des actions anodines (on voit une voiture
démarrer puis, arrivée à destination, s'arrêter),
des formules de politesse (bonjour vs bonsoir, etc.)
|
- Les cartons, intertitres temporels et autres
indicateurs alphanumériques incrustés : un moyen
bien connu depuis les débuts du cinéma muet avec, dans certains
films, l'incrustation d'un chronomètre à compte à rebours
pour augmenter le suspens.
|
- Les images symboles : le calendrier qui
s'effeuille, l'horloge qui tourne sont devenus des lieux communs, mais une
succession de quatre plans montrant un arbre qui change au cours des saisons de
l'année, un accéléré très rapide d'une rue
très fréquentée (jours et nuits), etc.
|
Ainsi, dans les films comme dans d'autres communications, ces
actions sur le contexte temporel concernent le passé - souvenirs,
événements marquants, déclencheurs, dans le passé
proche ou lointain, personnel ou collectif - et l'avenir largement
imprévisible, avec des temps, des directions, des craintes et des
espoirs, des volontés et des freins, des arrêts, des ruptures, des
reprises,...(Corbalan, 2003).
4. Les processus de positionnement et de structuration des
relations
Le positionnement des individus les uns par rapport aux autres
est très présent également dans le cinéma.
Traduisant les places relatives des acteurs dans l'échange, elle peut
être étudiée à plusieurs niveaux :
spectateur-spectateurs, spectateur-personnel de la salle de cinéma,
personnage principal du film-autres personnages, spectateur-personnages du
film, etc. Elle peut également évoluer au cours du temps :
entre les spectateurs, au cours de la séance de projection (par exemple,
avant/après un incident technique ou une dispute dans la salle), entre
les personnages du film au cours de l'histoire, etc.
Jullier (2002, p.65) montre bien que la réception d'un
film n'est pas identique selon qu'elle se déroule dans la solitude, par
exemple d'un salon équipé d'un home cinéma, ou sous forme
d'expérience collective. « Dans une salle, au sein d'un
groupe, les interactions publiques donnent un cadre de référence.
Combien de fois nos yeux seraient-ils mouillés si une vague
d'éclats de rire allant en s'amplifiant n'avait secoué
l'assemblée incrédule de nos voisins ? ». Pour
lui, les projections collectives, en salle, ont « des allures de
minuscules rites d'initiation, où la victoire l'emporte à travers
le regard des autres, un il est des nôtres qui ressemble parfois
davantage à ce qu'autrui attend de nous qu'à ce que nous
ressentirions laissés à nous-mêmes ».
Roland Barthes a ressenti lui-même cette pression groupale
lors de la projection de Perceval le Gallois (Eric Rohmer,1979), un
drame historique dans lequel Rohmer restitue les octosyllabes de
Chrétien de Troyes et utilise le mode de représentation de
l'espace de la peinture et de la sculpture des XIIème et XIIIème
siècles. Roland Barthes écrit, en effet, « Les jeunes
gens s'esclaffaient au spectacle des costumes et des coiffures, rires qui me
faisaient mal » (Barthes, 1995, p.909).
Au-delà des ricanements, des interjections et autres
exclamations, parfois au seul motif de montrer que l'on n'est pas dupe (alors
que, souvent, ce n'est pas la première fois que le bruyant spectateur
voit le film...), il existe, au niveau des spectateurs dans une même
salle et, plus encore, aux autres niveaux, dont celui du personnage principal
en relation avec les autres personnages du film, un grand nombre de moyens
d'action possibles, de processus de communication participant au positionnement
et de la structuration des relations.
Parmi eux, citons : « l'évocation
langagière des places (tu, on, vous, eux..) ; l'évocation
langagière des places et rôles sociaux (le chef, le professeur, le
préfet, le garagiste,..) ; les indices attitudinaux et
paralinguistiques de définitions des places ou des rôles,
donnés à travers les échanges ; les indices et
marques culturelles, évoqués ou montrés, des places et des
rôles des différents acteurs en présence (habits, insignes,
espaces, ..) ; les postures et les attitudes évoquées ou
montrées et liées culturellement à des positions ;
les façons linguistiques, paralinguistiques ou comportementales de
communiquer pour attribuer des positions ou évoquer des règles et
des normes liées à des positions,
etc. » (Mucchielli et al., 1998, pp.43-44).
Ces transformations du contexte des positions respectives des
acteurs assignent des places (égalitaire/hiérarchique,
consensuel/conflictuel, dominant/dominé, intime/distant) aux acteurs de
la situation (spectateurs, personnages, etc.), à leurs yeux ou aux yeux
des autres, et peuvent ainsi affecter le sens du message. Les films de fiction
utilisent souvent ce type de rapports entre les personnages, notamment les
films comiques avec un couple de personnages paradoxal, par exemple Laurel
et Hardy52(*) et les
« tandem » qui ont fait le succès des films de
Francis Veber, La chèvre (1981), Les compères
(1983), Les fugitifs (1986), etc.
5. Les procédures d'appel, de construction ou
d'émergence de normes
Le contexte normatif fait référence aux codes, aux
principes, aux us et coutumes, aux rituels et aux règles partagés
par les acteurs. Comme l'écrit Mucchielli (1998,
p.56) : « Le contexte normatif de toute communication est
constamment présent si l'on veut bien considérer que l'on ne peut
pas communiquer en dehors d'un minimum de référents communs sur
le sens a priori des mots, des objets, des conduites et des sentiments. Parmi
les processus de communication normatifs qui manipulent diversement les normes
de référence, nous pouvons citer l'évocation ou l'appel
à des règles ou normes existantes ici ou ailleurs. »
On retrouve là l'idée qu'un message doit être
compris de la même façon par les acteurs, qu'il est
nécessaire qu'il y ait une compréhension mutuelle, que les
acteurs co-construisent le sens. La compréhension est mutuelle lorsque,
rappelons-le, le message traduit bien l'intention de l'émetteur et que
l'interprétation du récepteur lui correspond, autrement dit,
lorsque les interlocuteurs co-construisent une même réalité
à partir de signes (Le Boeuf et al., 2000, p.44).
Tous les codes filmiques, spécifiques ou non, les codes
utilisés lors de la rédaction du scénario (code de la
narrativité, code de la construction des dialogues, etc.), de la
réalisation (code de la variation d'échelle de plans, code des
mouvements de caméra, code des effets d'optique, code des gestes, code
vestimentaire, code des décors, etc.), du montage (code du montage,
code de la relation images-sons, code du synchronisme) sont autant de
référents communs que les professionnels du cinéma peuvent
utiliser.
Tous les métiers du cinéma ont, en effet, leur
« déjà-là , ce à quoi on
fait appel pour dire (faire) ce qui doit être dit (fait) et comment cela
doit être dit (fait), c'est-à-dire les
allant-de-soi » (Corbalan, 2003). Les
décorateurs, les chefs costumiers, les cadreurs, les bruiteurs, etc. ont
les leurs. Dans chacun de ces métiers, il est important que les acteurs
se comprennent, qu'ils se jugent entre eux au sein de leur propre corporation,
mais il est plus important encore que les spectateurs interprètent
correctement ces éléments codiques, ce qui bien entendu est moins
sûr, dans la mesure où ils n'appartiennent pas « au
sérail ». Ainsi, un fondu sera jugé, parce qu'il est
mal placé, comme un manque de professionnalisme, un mauvais moyen de
coller deux parties d'un même plan pour cacher les fautes des
comédiens lors des prises de vues53(*), une erreur artistique par des spécialistes,
alors qu'il passera totalement inaperçu auprès des spectateurs
ordinaires qui au mieux l'interpréteront comme un saut d'images
provoqué par l'appareil de projection ou comme un moyen d'évoquer
la longueur du temps qui passe..
La recherche de la compréhension mutuelle passe donc par
l'usage d'éléments codiques et normatifs connus par l'ensemble
des acteurs. Il est alors possible soit de respecter ces normes pour que les
spectateurs y voient le sens commun, soit de déroger à ces normes
pour donner un sens différent au message.
Dans le domaine filmique, le non-respect des codes est souvent
à l'origine d'innovations, parfois de succès commerciaux qui, par
rétroaction, conduisent à nouvelle normalisation, une nouvelle
codification acceptée par les professionnels et les spectateurs, donc
à l'apparition d'un genre cinématographique (voir plus loin).
6. Les processus de la qualité des relations
La dimension relationnelle prend en compte les relations entre
les acteurs qui se structurent au fur et à mesure de l'échange et
qui évoluent par le jeu des actions, des réactions, des
interactions, des rétroactions, etc. (Watzlawick, 1972). La
transformation du contexte relationnel concerne donc l'ambiance, le climat
relationnel, la qualité des relations (confiance/méfiance,
coopération/conflit, séduction/injonction,
plaisir/indifférence) qui existent entre les acteurs (Corbalan, 2003).
Elle se réalise par la « manipulation des indices langagiers
et paralangagiers (mots à connotations affectives, intonation,...), les
diverses manifestations de sympathie et d'antipathie, des interactions
valorisantes ou non, des attitudes, des gestes, des positionnements spatiaux
qui ont des significations affectives culturelles ; les manières de
faire, de dire, de se comporter, créatrices des ambiances
relationnelles, etc. » (Mucchielli et al., 1998, p.65).
Dans le domaine filmique, ces processus sont essentiels pour
créer le climat général du film, les oppositions entre les
personnages, les interventions des mentors ou des personnages secondaires, les
alliances, les coopérations, les compétitions, les luttes de
pouvoir, les sentiments favorables ou défavorables pour tel ou tel
personnage, etc.
Au-delà des relations entre les personnages du film,
très dépendantes de la mise en scène, des dialogues, du
jeu des comédiens et de leur talent, il faut considérer
également la qualité des relations :
- entre les spectateurs dans la salle, qualité des
relations qui peut varier selon les perturbations éventuelles par
certains retardataires, les rires communicatifs, etc. ;
- entre les spectateurs et le personnel de la salle de
cinéma qui dépend de la qualité de l'accueil, de la
présence ou non d'ouvreuses pour trouver une place libre dans
l'obscurité, autrement dit de la qualité des services
proposés ;
- également entre les spectateurs et les comédiens
qui jouent dans les films. Ainsi, un spectateur peut avoir, avant le visionnage
d'un film, une relation de confiance (vs méfiance), de sympathie (vs
antipathie) avec un acteur connu qui influencera le sens des premières
scènes. Certains réalisateurs tirent profit de ce capital
relationnel pour perturber le spectateur ; la méthode la plus
simple consistant à utiliser un comédien à contre-emploi.
Il est à remarquer que cette méthode concerne plutôt des
acteurs comiques que quelques réalisateurs n'hésitent pas
à utiliser dans des films plus graves.
Par exemple, Jean-Pierre Melville demanda à Bourvil de
jouer le rôle du commissaire Mattéi, dans Le Cercle Rouge
(1970). Dans Docteur Petiot (de Chalonge, 1990), Michel Serrault qui
inspire plutôt la sympathie générale
« défend » ce personnage monstrueux. Toutefois,
malgré la bonne image du comédien, l'histoire de ce
médecin qui tua de nombreux juifs qui tentaient d'échapper la
Gestapo et le talent de Michel Serrault, l'image du personnage odieux prit le
pas sur l'image de Zaza dans La Cage aux folles54(*).
7. Les processus d'expression identitaire
L'identité d'une personne s'exprime au travers un ensemble
de variables psychosociales et de style de vie (valeurs, croyances,
intérêts, activités, opinions). Parmi les processus de
communication qui vont participer à l'expression de l'identité
des acteurs, il y a, par exemple, «l'évocation ou l'expression
d'intentions ou de projets ; l'évocation ou l'expression
d'enjeux ; l'évocation ou l'expression de
préférences, de valeurs ou d'intérêts ;
l'évocation ou l'expression d'orientations idéologiques,
philosophiques, disciplinaires ou statutaires ». (Mucchielli et al.,
1998, p.72).
Le sens d'un message varie selon l'identité des
interlocuteurs, de même que toute modification du contexte identitaire le
modifiera. « Toutes les expressions (conduites, silences) comme les
discours et les manières de se tenir des acteurs nous apportent des
éléments pour dessiner le contour du système interne de
l'acteur ainsi que le contour de sa vison du monde » (Mucchielli et
al., 1998, p.77).
Dans le domaine cinématographique, comme dans toutes les
situations de communication, cette connaissance de l'identité de l'autre
qui permet de mieux comprendre ses intentions et ses projets, va influencer le
sens. La façon d'être des comédiens, leur
façon de parler, leur morphologie, leurs gestes et attitudes, leurs
postures, leur style vestimentaire, leur coiffure et maquillages, etc.
évoquent les valeurs, la vision du monde des personnages.
Ainsi, les réalisateurs ne se sont pas privés
d'utiliser le « langage » des chapeaux, que Odin (1990,
p.98) appelle le paradigme des couvre-chefs : « c'est ce
paradigme qui donne un sens au chapeau : choisir un type de couvre-chef
permet d'indiquer par opposition avec les autres types de couvre-chefs, le pays
d'origine (le melon anglais vs le béret français ou le fez
arabe), la classe sociale (le melon vs la casquette de l'ouvrier), le
métier (le casque du pompier vs la toque du cuisinier), etc. de celui
qui le porte.» Cet exemple de manipulation montre qu'une même action
peut agir sur plusieurs contextes. Le chapeau peut modifier en plus du contexte
identitaire, le contexte temporel (un chapeau d'une mode d'antan ou à
venir), celui des positions respectives (un chapeau de gradé ou d'une
certaine classe sociale) ainsi que le contexte normatif (le chapeau comme
indicateur de genre, par exemple, les genres western et policier).
Par ailleurs, le sens de ces manipulations dépend
également de facteurs identitaires inhérents au spectateur
lui-même : sa culture, son âge, son origine sociale, sa
nationalité, etc.
Jullier (2002, p.28) cite deux exemples dans son ouvrage
« Qu'est-ce qu'un bon film ? » et montre que
« souvent, le contexte seul permet de déduire le sens :
à moins d'être un nippophile consommé, le spectateur
français ne sait pas qu'un enfant japonais qui forme un O du pouce et de
l'index veut dire : pouce ! à ses compagnons de jeu
(et non nul ou zéro). (...) Par exemple, frère
et soeur ou père et fille, dans un film classique américain,
peuvent échanger un rapide baiser sur la bouche sans que son public de
prédilection (américain) y trouve à redire - ce n'est pas
la même chose avec un film ou un public français ».
La théorie des processus de communication
formulée par Alex Mucchielli considère la communication comme un
processus de transformation de la situation. Processus global qui peut se
décomposer en plusieurs processus selon les sept différents
contextes. Autrement dit, toute situation étant composée de sept
contextes, toute communication est un processus qui
« travaille » ces sept différents concepts
(Mucchielli, 2001, pp.128-129).
Par ailleurs, comme nous l'avons constaté - ne serait-ce
qu'en présentant les exemples cinématographiques - les processus
ne fonctionnent pas indépendamment les uns des autres.
Un même élément filmique, par
exemple, les vêtements d'un personnage, peut agir sur plusieurs
contextes ; dans notre exemple, sur le contexte identitaire, le contexte
temporel surtout s'il s'agit d'un costume d'époque, le contexte des
positions respectives surtout s'il s'agit d'un habillement très
typé socialement ou d'un uniforme, le contexte relationnel si les
costumes révèlent des relations d'influence ou/et de pouvoir (par
exemple, une femme BCBG et une femme de ménage, un général
et un deuxième classe), éventuellement le contexte spatial si les
vêtements indiquent leur origine géographique (par exemple, tous
les acteurs sont en kilt), etc.
Comme l'écrit Alex Mucchielli, les processus
« travaillent d'une manière systémique. Le sens
lui-même est le résultat de processus complexes et
systémiques » (Mucchielli, 1998, p.79). Par exemple, dans un
road-movie comme Le Guet-Apens (Sam Peckinpah, 1972), Mad Max
(George Miller, 1979) ou Telma et Louise (Ridley Scott,
1991), les transformations concernent notamment le contexte spatial et
temporel, l'espace qui se modifie au fur et à mesure que le temps a une
fonction structurante dans la narration.
Ainsi, les processus de contextualisation présents dans un
film vont travailler en synergie afin de faire surgir un sens pour les
spectateurs, comme le synthétise le tableau suivant :
Contextes et les éléments
cinématographiques du processus de contextualisation
Contexte
|
Exemples de processus
|
Identitaire
|
- Façon d'être des acteurs,
- typage55(*), morphologie
- manière de parler,
- attitudes, gestes
- style, « look »
- habits,
- noms des personnages, etc.
évoquant les valeurs, la vision du monde des
personnages.
|
Spatial
|
- Lieu de tournage : intérieur,
extérieur, etc.
- Décors,
- aménagements,
- mise en scène, cadrage, travelling.
|
Temporel
|
- Evocations historiques : costumes, coiffures,
objets familiers de l'époque,
- flash back, ellipse, flash forward, fondus,
- jour/nuit, éclairage,
- alternance des séquences, etc.
|
Des positions respectives
|
- Evocations langagières (tu, vous,
etc.).
- Attitudes et indices paralinguistiques du statut, de la
culture,
- Indices du niveau social : costumes, habitation,
lieu de travail, etc.
|
Physique et sensoriel
|
- Bande image : plans, montage, etc.
- Bande son : voix, musique, etc.
|
Normatif
|
- Les modes, les usages, les normes, les coutumes, etc.
- Les genres cinématographiques,
- la « grammaire » et les codes
cinématographiques,
- les rappels de films cultes
|
Relationnel
|
- Ambiance entre les personnages joués par les
acteurs.
- Paroles, gestes et manières d'être
à signification affective, etc.
- Intonations, mots à connotation.
- Manifestations de sympathie ou
d'antipathie.
|
Pour faire surgir un sens cohérent, la manipulation des
contextes devra être effectuée dans un esprit combinatoire.
Dans le domaine cinématographique, la fabrication d'un
film étant une oeuvre collective, le travail combinatoire des contextes
et la recherche d'une cohérence sont, en France, de la
responsabilité du réalisateur, véritable chef
d'orchestre56(*). Cela
signifie qu'aucun élément filmique ne peut être a
priori considéré comme plus important qu'un autre. Mais
aussi, qu'un élément isolé qui casse la cohérence
peut être à l'origine d'une interprétation inverse de
celles des significations des autres éléments.
Les éléments cinématographiques du
processus et les métiers du cinéma concernés
[ Sources : Mucchielli (2001), Chion (1990),
Parillaud et Besson (2002) ]
Contexte
|
Exemples de processus
|
Métiers du cinéma
concernés
|
Identitaire
|
- Façon d'être des acteurs,
- typage
- manière de parler,
- attitudes, gestes
- style, « look »
- habits,
- noms des personnages57(*), etc.
évoquant les valeurs, la vision du monde des
personnages.
|
- Metteur en scène
- Directeur du Casting
- Comédiens, Répétiteur
- Réalisateur,
Répétiteur
- Maquilleur, Coiffeur
- Costumier, Habilleur,
- Scénariste, etc.
|
Spatial
|
- Lieu de tournage : intérieur,
extérieur, etc.
- Décors,
- aménagements,
- mise en scène,
- cadrage,
- travelling.
|
- Réalisateur, Repéreur,
- Décorateur, Menuisiers
- Peintres en décor, Tapissiers, Staffeurs,
Serruriers, Machinistes, Effets spéciaux
- Chef constructeur, Ensemblier
- Metteur en scène et son assistant
- Cadreur, Opérateur
Steadycam
- Opérateur de prises de vues, opérateur
cadreur technocrane, chef machiniste etc.
|
Temporel
|
- Evocations historiques : costumes, coiffures,
objets familiers de l'époque,
- flash back, ellipse, flash forward, fondus,
- jour/nuit, éclairage,
- alternance des séquences, etc.
|
- Costumiers, Perruquiers, Accessoiristes, Maîtres
d'armes, Historiens, Taneurs, Créatrices de costumes
- Chef Monteur
- Réalisateur
- Chef opérateur, Electriciens
- Réalisateur et Producteur
|
Des positions respectives
|
- Evocations langagières (tu, vous,
etc.).
- Attitudes et indices paralinguistiques du statut, de la
culture,
- Indices du niveau social : costumes, habitation,
lieu de travail, etc.
|
- Scénariste, Adaptateur
- Dialoguiste
- Metteur en scène, Comédiens,
Storyboarder, Doublures, Figurants, Cascadeurs, etc.
- Costumiers, Décorateurs, Accessoiristes,
- etc.
|
Physique et sensoriel
|
- Bande image : plans, montage, etc.
- Bande son : voix, musique, etc.
|
- Cadreur, Chef opérateur, Pointeur,
Monteur
- Ingénieur du son, Perchiste, Compositeur,
Arrangeur, Chef d'Orchestre, Interprètes, etc.
- Directeur de plateau, Dialoguiste de doublage,
Mixeur, Bruiteur, Concepteur Son
|
Normatif
|
- Les modes, les usages, les normes, les coutumes,
etc.
- Les rappels de films cultes
- Les genres cinématographiques,
- la « grammaire » et les codes
cinématographiques,
|
- Historien et Théoricien du cinéma,
Réalisateur
- Historien du cinéma
- Producteur, Affichiste, Attaché de presse,
Réalisateur de la bande- annonce, Réalisateur du making
of
- Tous les métiers correspondant à un
code : narrativité, montage, bande image, bande son,
etc.
|
Relationnel
|
- Ambiance entre les personnages joués par les
acteurs.
- Paroles, gestes et manières d'être
à signification affective, etc.
- Intonations, mots à connotation.
- Manifestations de sympathie ou
d'antipathie.
|
- Metteur en scène,
- Assistant metteur en scène
- Scripte
- Conseillers techniques
- Coach
|
En outre, comme le souligne Mucchielli (1998, p.79),
« dans le même ensemble de contextes, on sera susceptible de
trouver des acteurs pour lesquels le sens émergent des contextes va
être différent (cas évident, par exemple, dans la
communication dite « interculturelle » avec le contexte des
normes culturelles qui est différent pour des acteurs de cultures
différentes)». Les spectateurs ne sont pas passifs et ne
constituent pas un ensemble homogène qui partage les mêmes valeurs
et qui aurait une lecture unique et universelle. «
Les spectateurs français, hongkongais et américains
ne se retrouvent sans doute pas de la même manière dans un western
ou un film d'arts martiaux » (Moine, 2002, p.77).
C'est pourquoi, Alex Mucchielli insiste sur le poids des
acteurs, sur leur rôle dans les processus. « Ce sont toujours
les acteurs qui font appel aux normes, qui font des recadrages temporels ou
relationnels, qui privilégient tel ou tel enjeu ». Et de
conclure : « finalement, la théorie des processus de
communication donne un poids prépondérant aux acteurs dans la
construction du sens ».
Le cadrage est particulièrement important dans cette
approche. Pour comprendre une situation de communication, il est en effet
nécessaire d'adopter un cadrage pertinent. Ce principe fut
développé par l'Ecole de Palo Alto pour laquelle le sens de la
communication dépend du cadre dans lequel on la considère. Le
cadrage consiste à définir le champ d'observation, à
choisir en quelque sorte un point de vue, à déterminer dans le
temps et l'espace, les acteurs à prendre en considération, etc.
Le cadrage d'une situation est, dans le domaine
cinématographique, à ne pas confondre avec le choix de
l'échelle de plan, ou plus précisément, celui de
l'objectif de la caméra, de l'organisation de l'espace et des objets
filmés dans le champ. Malgré le danger que constitue cette
homonymie, il existe néanmoins un point commun : celui du point de
vue adopté, du choix d'un éclairage particulier.
Un cadrage court se concentrera par exemple sur les
échanges entre les comédiens et le spectateur dans une
scène d'un film. Un cadrage plus dynamique et élargi
s'intéressera aux échanges entre les spectateurs présents
dans la salle et le film dans sa totalité. Plus large encore,
« logique » ou « exhaustif » comme
certains l'appellent, il prendra en considération non seulement ce qui
se passe lors de la projection mais aussi ce qui se passe avant et
après ; avant par l'intervention des acteurs du cinéma
(producteur, réalisateur, comédiens, attaché de presse,
responsable de la communication, etc.) ou des prescripteurs (critiques,
journalistes, spectateurs faisant du bouche à oreille, etc.),
après par l'influence des amis avec lesquels le spectateur a
visionné le film, des discussions et des appréciations sur le
film, etc.
Les exemples contextuels et de cadrage tendent à montrer
que cette approche communicationnelle semble adaptée aux études
sur le cinéma et, notamment, au pragmatisme de la sémiologie du
cinéma. Comme l'écrit Alex Mucchielli :
« l'approche de plus en plus pragmatique de Roger Odin (1983,
1986)58(*) 59(*) rejoint l'approche
communicationnelle typique en sciences info-com » (Muchielli, 2001,
p.45)
En outre, les différents niveaux de cadrage ne peuvent que
rappeler les différences qui existent entre la pragmatique du
cinéma qui s'intéresse aux rapports du spectateur et du
cinéma, qui étudie les diverses institutions
cinématographiques et leur influence sur la façon dont les films
sont perçus (Odin) et la pragmatique du film qui étudie les
relations entre le film et le spectateur et, notamment, ce qui se passe pendant
la projection d'un film particulier et la façon dont ce dernier dirige
la compréhension de son spectateur (Esquenazi).
Les différents cadrages et leur
imbrication
(Sources : Esquenazi, Odin, Bordwell, Besson, Creton,
etc.)
Cadrage technique : choix de
l'échelle de plan
Film
Cadrage de
la pragmatique Etude des
relations film/spectateur
du film
Cadrage de
Spectateur
la
Etude des rapports cinéma/spectateurs
pragmatique
du cinéma
Culture cinématographique du spectateur,
etc.
|
Institutions cinématographiques :
producteurs, distributeurs, exploitants, organisations professionnelles, etc
|
Comme nous l'avons déjà dit
précédemment, notre propre cadrage, dans une optique
communicationnelle, se situe entre celui de la pragmatique du cinéma,
très large, et celui de la pragmatique du film, afin de tenir compte
notamment de la culture cinématographique du spectateur et des pratiques
professionnelles en matière de réalisation de films de fiction.
C'est pourquoi, dans le chapitre suivant, nous allons
étudier d'une part les effets du cinéma sur les spectateurs,
d'autre part les influences réciproques de la culture
cinématographique sur le spectateur, le film qu'il visionne et le
cinéma. Puis, dans les autres chapitres de cette première partie,
nous décrirons le langage cinématographique, sa grammaire, ses
codes et conventions plus ou moins respectés par les cinéastes et
plus ou moins connus et compris par les spectateurs
Chapitre 2 : Une approche historique et
théorique des effets sur les spectateurs
Le cinéma a une influence certaine sur les spectateurs.
Les réalisateurs depuis l'origine en eurent conscience comme les
spécialistes de la propagande politique et les publicitaires60(*) : « Toutes les
études démontrent que, de tous les médias, c'est le
cinéma qui a le meilleur impact pour les deux raisons suivantes : -
la richesse sensorielle du grand écran, de la qualité de l'image
et de la plénitude du son ; - la grande disponibilité de
l'audience » (Lendrevie, de Baynast, 2004, p.282).
Dans ce chapitre, nous étudierons, en suivant dans un
premier temps une trame historique, les effets escomptés, les objectifs
poursuivis par certains acteurs du système Cinéma : les
financeurs qu'ils soient chefs d'état, producteurs de cinéma ou
représentants d'une corporation, d'une industrie militaire ou autre, les
représentants d'un certain ordre moral, etc. Puis, nous analyserons
d'une manière plus théorique les raisons invoquées de
l'influence du cinéma sur les spectateurs.
I- La perception primitive et le behaviorisme
Il est certain que les premiers spectateurs eurent, à
l'égard des films qui leur étaient proposés, des attitudes
bien éloignées de celles que nous avons à l'heure
actuelle.
Les deux années qui suivirent la fameuse séance du
10 juin 1895 sont si caractéristiques que certains n'hésitent
pas à les appeler le temps de la perception primitive.
Jacques Rittaud-Hutinet (1985, p.214-220) a étudié
cette période au cours de laquelle
l'image suscita chez le spectateur « un moment
d'éblouissement, voire de fascination, où celui-ci parut, au sens
le plus fort, subir l'illusion des images animées ».
L'émotion la plus intense, à ses yeux, est celle dont
résulta la peur.61(*)
Il s'étonne que « le spectateur non seulement
croit - même une fraction de seconde - en l'existence de ce qui n'existe
plus, mais il croit aussi avoir vu ce qui n'existe pas : la couleur, les
dimensions réelles ...Tout se passe comme si le spectateur, dans ce
temps primitif, complétait inconsciemment ce qui manquait à
l'image pour être plus réaliste encore, en un mot le
reconstituait. »
Comment expliquer ces premières expériences de
perception des images animées ?
Certains auteurs y voient une application du modèle
béhavioriste62(*)
qui considère les comportements des individus comme des réactions
aux stimuli (Grawitz, 2001, p.215) et prend en compte le
phénomène d'apprentissage.
De nombreux auteurs considèrent, en effet, que n'ayant en
lui aucun souvenir d'un phénomène identique antérieur, les
sens du spectateur sont perturbés. « Ce mouvement parfaitement
reproduit, ne trouve dans son passé aucune référence lui
permettant de l'accrocher à une expérience, à une
signification, à un langage. Il se trouve donc dans l'incapacité
absolue d'identifier le caractère illusoire de ce qu'il perçoit.
Jusque-là, pour lui, le mouvement des objets et des êtres, la
durée du mouvement, avaient été entièrement et
exclusivement engagés dans le présent d'un ici-et-maintenant
irréversible. » (Rittaud-Hutinet, 1985, p.215)63(*). Rittaud-Hutinet y voit alors
un phénomène qui « à très peu près,
entre dans la définition des processus hallucinatoires. 64(*)
Pour illustrer sa thèse, il cite l'un des
opérateurs des frères Lumière, Mesguich66(*) qui décrit des
phénomènes de ce type à la Foire de Nijni-Novgorod :
« la Vierge noire de Kazan, le Tsar, les popes, les icônes
s'agrandissaient miraculeusement sur l'écran ». Et les
spectateurs, dans la Russie paysanne très pieuse de cette fin de
XIXème siècle, en conçurent une profonde et sainte
terreur. Les opérateurs, ne situant pas
leur « représentation » dans un cadre
liturgique furent donc suspectés de pratiques magiques et
s'attirèrent ces cris venus d'un autre âge de « au feu
la sorcellerie ! ». Des groupes menaçants se
formèrent et les opérateurs durent regagner leur hôtel sous
la protection de la police, tandis que des fanatiques « arrosaient de
pétrole la bâtisse qui servait de cinéma et y mirent le
feu ».
Pour atténuer les risques de toute nature, « les
risques de l'émerveillement, du paroxysme émotionnel, (....) de
cette attraction vertigineuse, de ce « mysterium
fascinans » qui marque l'émergence d'un
sacré », les opérateurs de Lumière vont
organiser un apprentissage, en informant les spectateurs, avant la
séance, de ce qui sépare la réalité de ce qu'ils
nommèrent l'illusion. Ainsi, un autre opérateur des frères
Lumière, Francis Doublier nous a appris que les directeurs venaient
avant chaque spectacle informer le public de l'irréalité de ce
qu'il allait voir. Aux Etats-Unis et dans quelques autres pays, les
opérateurs demandaient aux spectateurs de passer derrière
l'écran...
II- Les influences recherchées
Le cinéma fut tour à tour
considéré plutôt comme une invention, un spectacle, un
loisir, un art, un commerce, avant d'être envisagé sous un angle
culturel. A partir des années 20, de nombreux débats furent
organisés sur le thème du caractère culturel du
cinéma. En 1926, le formaliste russe, Boris Eikhenbaum67(*)
écrivait : « C'est l'éternelle
question : culture ou commerce ? Au cinéma, cette question
prend une importance particulière parce que le cinéma est une
affaire industrielle, « économique ».
Néanmoins, il ne cesse pas pour autant d'être une affaire
culturelle ». Ce à quoi, Boris Filippov68(*) répondit, semble-t-il
choqué de cette approche peu orthodoxe en URSS : « la culture
cinématographique soviétique n'est pas la culture
cinématographique « en
général » ; elle doit à toutes ses
étapes répondre aux objectifs de l'éducation des masses,
et non être l'apanage d'un petit public raffiné. »
De ce débat sur le caractère culturel et
éducatif du cinéma ressort une autre question fondamentale :
le cinéma peut-il devenir un outil dangereux ?
C'est une question que se sont posés de nombreux auteurs
inquiets que l'école behavioriste ait directement inspiré les
théoriciens de la propagande politique comme Serge Tchakhotine, disciple
de Pavlov, qui publia en 1939, Le viol des foules par la propagande
politique69(*).
Formulée autrement, cette question subsiste de nos jours.
Certains s'interrogent sur le fait de savoir si le cinéma peut agir sur
le public, le manipuler, éventuellement idéologiquement, et si
donc il pourrait servir à certains à contrôler l'univers
(Liandrat-Guigues et Leutrat, 2001, p.34).
Les réalisateurs ont donc très vite pris conscience
de l'influence du cinéma sur les spectateurs.
Eisenstein écrit : « Nous avons découvert comment
forcer le spectateur à penser dans une certaine direction. En montrant
nos films dans un sens scientifiquement calculé pour créer une
impression donnée sur le public, nous avons développé une
arme puissante pour la propagation des idées sur lesquelles est
fondé notre nouvel ordre social ». Pour sa part, Alfred
Hitchcock parle régulièrement de contrôle du spectateur et
de son désir de « diriger le spectateur »70(*) . En 1956, Ingmar Bergman
déclare : « Selon moi, nous autres qui faisons des films, nous
n'utilisons qu'une partie minuscule d'un pouvoir effrayant - nous ne faisons
mouvoir que le petit doigt d'un géant, d'un géant qui est loin
d'être sans danger ».71(*)
Toutefois, les possibilités de manipulation offertes par
le cinéma ne doivent pas faire conclure que le cinéma est par
nature manipulateur. Comme l'a fait remarquer Christian Metz, rien autre que
l'intention du cinéaste ne lie l'entreprise filmique à l'esprit
manipulateur. Les motivations qui conduisent à utiliser le cinéma
comme moyen d'influence sont nombreuses.
Nous les présentons dans l'annexe III intitulée
« Une analyse historique des utilisations du cinéma dans un
esprit manipulateur72(*) ».
III- Les raisons invoquées de l'influence du cinéma
sur le spectateur
Le pouvoir politique ne pouvait qu'être attiré par
un média, le cinéma, qui est associé à des mots
forts tels que « fascination »,
« drogue », « torpeur »,
« hypnose », « abrutissement », etc.
(Liandrat-Guigues et Leutrat, 2001, p 34-35 )73(*) et bien d'autres encore suggérant la
manipulation des esprits, le viol des consciences, etc.
Le pouvoir de fascination du cinéma est un sujet
récurrent abordé par un grand nombre d'auteurs,
théoriciens, cinéastes, critiques, pédagogues, etc.
A- La puissance de l'image et la passivité du
spectateur
Selon Pecha (2000, p.8), le cinéma fascine pour deux
raisons majeures : la puissance de l'image, si captivante, si facile
à suivre, et la passivité des spectateurs - le fait d'être
assis dans une salle plongée dans l'obscurité. Nous retrouvons
là, dites autrement, les constations des spécialistes de la
publicité qui considèrent que le cinéma est, de tous
les médias (publicitaires), celui qui a le meilleur impact74(*) (Lendrevie et de Baynast,
2004).
Plus que de la passivité des spectateurs, certains
auteurs, sans doute agacés par ce procès d'intention, parlent de
paresse : « L'hypnose filmique dont on nous rabat les
oreilles ne le doit qu'à la paresse possible du spectateur »
(Mitry, 2001, p.285).
Toutefois, cette paresse n'est-elle pas due à une
éducation reçue par les spectateurs et donnée par les
cinéastes eux-mêmes ? Plusieurs auteurs, dont Paul
Warren (1995, dir.), considèrent, en effet, que ce sont les
cinéastes américains qui ont créé et
développé jusqu'à sa perfection « le
système-cinéma », à savoir l'attelage
écran lumineux/salle obscure.
Selon eux, l'objectif que s'est fixé Hollywood depuis le
début du XXème siècle est de souder la salle, le public
à l'écran par une éducation du regard, un véritable
« dressage de l'oeil du spectateur ».
A relire les écrits et les témoignages des
frères Lumière et de leurs opérateurs, de
Méliès, d'Eisenstein et, même, de Gorki75(*), la paternité de ce
phénomène semble largement partagée. Gorki décrit,
dans un article écrit après sa première expérience
cinématographique, d'une part la soumission du spectateur à
l'illusion des images animées, « un train occupe
l'écran, il fonce droit sur nous - attention, on dirait qu'il veut se
précipiter dans l'obscurité où nous sommes »,
d'autre part le pouvoir hypnotique de ces premières images,
« cela fait défaillir le coeur. On oublie qui l'on est. Des
idées étranges envahissent les esprits. On est de moins en moins
conscient », enfin l'identification à la
mort : « « C'est terrible à voir ce
mouvement d'ombres, rien que d'ombres, ces spectres, ces fantômes ;
on pense aux légendes où quelque mauvais génie fait saisir
une ville par un sommeil perpétuel » (in Rittaud-Hutinet,
1985, p.1219-220).
Rittaud-Hutinet remarque avec pertinence que selon les
observateurs, le cinéma est soit le mouvement pris sur le vif autrement
dit la vie, soit à l'inverse une vision spectrale que son
irréalité rend terrifiante : « Dans tous les cas,
qu'on l'identifie à la vie ou à la mort, qu'on s'en méfie
ou qu'on s'en émerveille, (...), l'image animée n'épargne
à personne ses effets hallucinatoires. » (Rittaud-Hutinet,
1985, p.220)
Certains auteurs, quoique d'autres n'hésitent pas à
les contredire, vont jusqu'à comparer le spectacle
cinématographique à l'allégorie de la caverne de
Platon76(*)
(Château, 2003, p.33-43).
L'immobilité forcée des prisonniers est celle des
spectateurs dans la salle obscure. Elle provoque leur incrédulité
et les place dans un état de confusion qui leur fait prendre des images,
des « ombres que le feu fait se projeter sur la paroi de la
caverne », pour du réel.
Les caractéristiques de la projection
cinématographique - l'obscurité, le silence, le corps au repos,
l'inhibition de la motricité, l'isolement, l'attention attirée
vers une surface lumineuse, etc. - plongent le spectateur dans une sorte
d'engourdissement, un état proche du rêve duquel les spectateurs
sortent à la fin du film, suite à un éblouissement,
« brutalement rejetés par le ventre noir de la salle dans la
lumière vive et méchante du hall, avec parfois le visage ahuri
(heureux ou malheureux ) de ceux qui se réveillent » (Metz,
2002, p.143), « un sommeil
éveillé »77(*) (Metz, 2002, p.142), un état de conscience
modifié, «quasi-hypnotique, dans un stade psychologique
régressif, sans moyen de défense face au message filmique. Tels
les prisonniers de la caverne, les spectateurs sont conditionnés mais
à la différence des prisonniers, ils ne doivent pas se sentir
attachés » (De Voghelaer, 2001, p.64-65).
Comme le suggère Metz, le film captive le spectateur au
point qu'à la fin de la projection, lorsque les lumières se
rallument, il est dans un état semblable à celui du
réveil, de reprise de contact avec soi et avec le monde. Esquenazi
explique ce phénomène non pas par la passivité mais par le
mouvement, la rapidité du défilement des images qui oblige au
contraire le spectateur à un effort, un travail mémoriel :
« ce travail nécessaire s'effectue à une vitesse
réglée par le film, vitesse à laquelle, dans des
circonstances normales, la vie quotidienne ne nous habitue pas (...) Cette
rapidité que nous demande le film peut expliquer un
phénomène fréquent qui est la perte des coordonnées
temporelles habituelles durant la projection » (Esquenazi, 1994,
p.49). Il rejoint en cela Gilbert Cohen-Séat78(*) et se rapproche d'auteurs tels
que Bazin, Azel et même Eisenstein, pour qui le spectateur échappe
aux structures spatiales et temporelles dans lequel il est. Le miracle secret
du cinéma serait l'intemporalité (Azel, 1994, p.34) et pour y
arriver, comme le disait Eisenstein, « il faut voir par les oreilles
et entendre par les yeux », ce qui nécessite « une
attitude quasi religieuse »79(*).
L'emprise des images et la question de l'état du
spectateur sont deux grands thèmes récurrents de la recherche sur
le cinéma. Elles ont intéressé de nombreux auteurs,
« en particulier ceux qui dans les années cinquante (...)
formulèrent le projet de constituer une discipline, la filmologie,
chargée d'expliquer, entre autres, l'emprise des images. A l'état
spectatoriel furent associées les notions de participation et
d'identification : participation du spectateur au déroulement du
film, identification aux personnages » (Meunier et Peraya, 1993,
p.137).
Ainsi, dans la Revue Internationale de filmologie, Michotte
publie, dans les premières années de la décennie 50, des
articles sur la participation émotionnelle du spectateur et
définit l'empathie qui, selon lui, caractérise le rapport qui lie
le spectateur au personnage. Les phénomènes d'empathie «se
manifestent lorsque le spectateur d'une action exécutée par une
autre personne, la « vit » lui-même en quelque sorte,
et ne se borne pas à la comprendre d'une façon purement
intellectuelle »80(*). Cette empathie s'exprime par « la
correspondance entre les mouvements de l'acteur et ceux, plus ou moins
semblables, qu'ils induisent chez le spectateur, de même que par la
correspondance entre les expressions affectives de l'acteur et les
émotions éprouvées par le spectateur, tendent à
provoquer la fusion de ces processus » (Michotte, 1953).
Quant à la participation affective du spectateur au film,
elle est, selon Morin (1965), la conséquence d'un processus de
projection-identification : «La projection-identification
(participation affective) joue sans discontinuer dans notre vie quotidienne,
privée et sociale (...). Nous jouons un rôle dans la vie, non
seulement pour autrui mais aussi et surtout pour nous-mêmes. Le costume
(ce déguisement), le visage (ce masque), les propos (ces conventions),
le sentiment de notre importance (cette comédie), entretiennent dans la
vie courante ce spectacle donné à soi et aux autres,
c'est-à-dire les projections-identifications imaginaires. Dans la mesure
où nous identifions les images de l'écran à la vie
réelle, nos projections/identifications propres à la vie
réelle se mettent en mouvement »81(*).
L'adhésion ou la participation au spectacle par le
spectateur que nous venons de voir au travers des notions telles que l'empathie
de Michotte et la projection/identification de Morin mérite une analyse
fondée sur la psychanalyse.
B- Les apports de la psychanalyse à l'étude de
l'influence du cinéma
La puissance de l'image, la fascination exercée sur le
spectateur par l'écran, la transformation du spectateur en voyeur
souverain mis en état de sous-motricité et de sur-regard, en un
individu qui boit le monde-reflet et s'y perd comme Narcisse dans l'eau ;
toutes ces observations et remarques, à l'origine intuitives, ont
conduit certains auteurs à avoir une réflexion psychanalytique du
cinéma82(*).
Comme l'écrit André Akoun (1976, p.124) :
« le cinéma et la psychanalyse sont nés ensemble, avec
le XXème siècle, et il y a là une coïncidence qui
mériterait d'être érigée en signe. Lorsque Freud,
découvrant le secret du rêve, montre comment celui-ci est un
scénario mis en images qui raconte l'histoire du désir et des
interdits sur lesquels il bute, avec lesquels il ruse et que parfois il
contourne masqué, n'est-ce pas de film qu'il nous parle ? Et
lorsqu'il analyse des mécanismes psychiques comme la
« projection », cette similitude avec le vocabulaire
cinématographique n'est-elle que
métaphorique ? »
La ressemblance entre le film et le rêve a, en effet,
très vite suscité l'intérêt des chercheurs qui
voyaient dans cette analogie un moyen d'expliquer les effets du cinéma
sur le spectateur par les connaissances qu'ils avaient accumulé en
étudiant les produits de l'inconscient tels que les rêves
(Casetti, 2000).
Dans cet esprit, Lebovici (1949)83(*) tenta :
- de démontrer que le film est un moyen d'expression
très proche de la pensée onirique,
- de prouver que le spectateur de cinéma peut être
comparé au rêveur.
Selon lui, de nombreux traits communs se retrouvent dans le film
et dans le rêve. Le rêve est, comme un film, un ensemble presque
exclusivement visuel. « Comme dans le rêve, les images
filmiques ne sont pas unies par des liens temporels, ni par des liens spatiaux
solides et logiques ». « Tout comme les images oniriques,
les séquences filmiques avancent sur la base de « rapports de
contiguïté, d'imagination », plutôt que sur la base
de « rapports logiques ». Ou encore, la présence de
« grammaires », qui coïncident
fondamentalement : « des procédés techniques
comme les fondus enchaînés, le travelling ne sont-ils pas ceux
même qu'utilise le rêveur ? ». Pour finir, le
recours à un même pouvoir évocateur : comme les images
des rêves, dans les images filmiques aussi « rien n'est
explicite ; des images ne font souvent que suggérer. »
(Casetti, 2000, p. 179)
De ces constats, Lebovici en conclut que « tous les
types classiques de film offrent à leur spectateur un matériel
très onirique »84(*).
La comparaison du spectateur à un rêveur ne manque
pas, selon lui, de preuves :
- les conditions de projection, caractérisées par
l'obscurité de la salle, par l'isolement des corps, par l'abandon
psychologique, par le caractère irréel des images, sont
semblables à celles qui interviennent dans le sommeil ;
- le film suscite une adhésion empathique, bien loin de la
simple passivité, et proche d'un « certain état de
communion relâchée » qui rappelle le rapport que le
rêveur entretient avec son rêve ;
- l'état de léger étourdissement dans lequel
le spectateur quitte le cinéma est « analogue au demi-sommeil
du rêveur qui refuse de quitter son sommeil et se plaît à en
prolonger dans une rêverie les divers
épisodes » ;
- enfin, la présence de processus d'identification (qui
conduisent le spectateur à entrer dans la peau de tel ou tel personnage)
et de processus de projection (qui conduisent le spectateur à
prêter ses propres problèmes à celui qui vit sur
l'écran), et la présence donc de véritables transferts
avec le spectacle filmique.
A la suite de Lebovici, bien d'autres auteurs ont fait l'analogie
entre le rêve et les images cinématographiques. Le rêveur et
le spectateur de cinéma ont en commun, à leurs yeux, au moins
deux attitudes : le désinvestissement du réel et
l'immobilité, voire le retrait de la motricité. « Or,
dans la perspective psychanalytique, c'est la motricité qui est à
la base de ce qu'on appelle l' « épreuve de la
réalité ». Que le sujet ne dispose plus de la
motricité, et c'est son sens de la réalité qui s'en
trouvera considérablement amoindri. Le sujet régressera alors
vers une forme primitive de rapport au réel, antérieure à
la constitution du monde comme réalité extérieure au
sujet. La caractéristique de ce type de rapport est que le sujet ne peut
encore faire la distinction nette entre ce qui relève de
l'extérieur (la réalité précisément) et ce
qui relève de l'intérieur (la représentation, l'image
subjective) » (Meunier et Peraya, 1993, p.126).
La régression serait facilitée par le dispositif
cinématographique lui-même. Selon Baudry 85(*), « si l'on tient compte
de l'obscurité de la salle, de la situation de passivité
relative, de l'immobilité forcée du ciné-sujet, comme sans
doute des effets inhérents à la projection d'images douées
de mouvement, le dispositif cinématographique déterminerait un
état régressif artificiel. Il entraînerait artificiellement
le sujet dans une position antérieure de son développement
(...) ».
Baudry va plus loin encore en suggérant que le spectateur
a un désir de régression : « Ce serait le
désir, évidemment non reconnu comme tel par le sujet, de
retrouver cette position, un stade précoce de développement avec
ses formes propres de satisfaction, qui pourrait être déterminant
dans le désir de cinéma et le plaisir qu'il y trouve. Retour vers
un narcissisme relatif, et plus encore vers une forme de relation à la
réalité, qu'on pourrait définir comme enveloppante, dans
laquelle les limites du corps propre et de l'extérieur ne seraient pas
strictement précisées. ».
Désireux ou pas, le spectateur se met à
l'écart du monde, à l'écart des réalités
externes, et se laisse envelopper par les images. Il est dans un état de
moindre alerte que Metz compare à celui de l'ivresse alcoolique
: « le spectateur, durant la projection, se met en état
de moindre alerte (il est au spectacle, rien ne peut lui arriver) ; en
accomplissant l'acte social d'aller au cinéma, il est d'avance
motivé à abaisser d'un cran les défenses de son Moi,
à ne pas refuser ce qu'il refuserait ailleurs. (...) Ce n'est pas le
seul cas où il en est ainsi (il y a aussi l'ivresse alcoolique,
l'exaltation, etc.) » (Metz, 2002, p.157-158). A la différence
près que les conditions ne sont pas les mêmes : situation de
spectacle, présence d'une fiction matérialisée.
Il en conclut que : « Parmi les différents
régimes de veille, l'état filmique est un de ceux qui dissemblent
le moins du sommeil et du rêve, du sommeil avec rêve »
(Metz, 2002, p.158).
Certains auteurs vont plus loin encore en affirmant que
« l'écran cinématographique réactive le temps
préoedipien, d'avant la différenciation du moi et du non-moi, ce
stade que Jacques Lacan a appelé le « stade du
miroir » parce que l'enfant s'y identifie à son image
spéculaire et appréhende son moi dans le leurre, comme reflet de
son reflet double de son double ; identification première qui rend
possible toutes les autres. » (Akoun, 1976, p.124). C'est un miroir
singulier comme l'explique Christian Metz (2002, p.65) : « le
film est comme un miroir...mais...il est une chose, une seule, qui ne se
reflète jamais : le corps propre du spectateur. Sur un certain
emplacement, le miroir devient brusquement glace sans
tain ».86(*)
D'où la distinction maintenant classique dans la
littérature cinématographique entre l'identification primaire et
l'identification secondaire.
C- L'identification
Avant d'être un concept cinématographique,
l'identification est un processus psychologique de structuration de la
personnalité qui commence avec l'imitation inconsciente et se poursuit
par l'assimilation-intériorisation du modèle (Sillamy, 1983).
Ainsi, un enfant constitue, selon eux, son identité par des
identifications successives87(*). Au cours du premier stade, celui de l'identification
primaire, c'est-à-dire jusqu'à trois ans environ, l'enfant
communique avec le monde extérieur en imitant le comportement des
membres de son entourage : « Il s'agit d'ailleurs moins d'une
imitation à proprement parler que d'une fusion avec l'objet, d'une
unité à deux ; par exemple, l'enfant qui mime son
père lisant le journal n'a pas conscience de l'imiter : il
est réellement son père dont il s'approprie le
rôle et la puissance » (Dracoulidès in Sillamy, p.338).
Freud conçoit, pour sa part, l'identification primaire comme
assimilation orale à la mère (Mousseau et Moreau, 1976).
Ces notions furent reprises dans la théorie du
cinéma d'inspiration psychanalytique (Baudry, Metz) qui les a,
toutefois, adaptées pour ne pas dire transformées.
L'identification primaire est liée à la
présence de l'écran-miroir et est indépendante du contenu
narratif du film (excepté en cas de caméra subjective, voir plus
loin). L'identification primaire à la caméra a lieu, lors de la
projection du film sur l'écran, lorsque l'oeil du spectateur s'assimile,
s'identifie, à l'objectif de la caméra, au moment du tournage.
L'identification du spectateur à tel ou tel personnage du
film, voire à tel ou tel acteur, est une identification secondaire et
dépend du contenu narratif du film.
Comme le rappellent Aumont et Marie (2000, p.166-173), dès
les années 70, de nombreux chercheurs ont théorisé le
« dispositif » cinématographique et mis en valeur le
fait que, « quel que soit le film, l'ensemble des conditions de la
fabrication et de la vision des films (le dispositif technique) assigne au
sujet spectateur, en tant que sujet, une certaine
« place », ce qui se traduit par un ensemble de
dispositions psychologiques a priori (le dispositif psychique) du spectateur
envers le film. » Selon eux, les deux pièces maîtresses
de ce dispositif psychique, en quelque sorte résultant du dispositif
technique, seraient d'une part l'identification primaire - également
appelée identification à la caméra ou identification du
spectateur à son propre regard - d'autre part la position de voyeuriste
du spectateur.
Le dispositif technique est un facilitant de certaines conditions
psychiques. Mais, il induit une situation spectatorielle en tant que telle et
non un rapport particulier entre le spectateur et un film donné.
Autrement dit, il ne serait pas manipulable par un cinéaste pris
isolément, mais seulement par une profession, voire par une classe
sociale (Château, 2003).88(*) Comment imaginer, en effet, qu'un réalisateur
modifie pour son film le dispositif cinématographique composé de
la salle, de l'écran et de la cabine de projection ?
Dans l'hypothèse d'une innovation technologique dans la
production , celle-ci concernerait tous ceux qui, dans la profession,
souhaiteraient l'utiliser.
Par déduction, l'identification secondaire du spectateur
semble donc le seul niveau sur lequel un cinéaste puisse agir (Metz,
2002, p.66). Mais à ce niveau-là également les
débats ne sont pas clos.
Ces identifications secondaires qui dépendent du rapport
de chaque individu-spectateur à la situation fictionnelle se traduisent,
chez le spectateur, par des affects, de la sympathie (vs de l'antipathie)
envers les personnages qui le conduisent, par exemple, à s'identifier
à tel ou tel personnage. Or, comme le font remarquer Aumont et Marie
(1999, p.171) : « il n'existe aucune analyse publiée sous
forme écrite qui soit centrée sur cette question - pour une
raison évidente : l'identification est un phénomène
subjectif, à tous les sens du mot ».
Considérant qu'une identification était
nécessaire sous peine que le film devienne incompréhensible,
Christian Metz a tenté, néanmoins, de répondre à sa
propre interrogation : « A quoi s'identifie le spectateur durant
la projection du film ? ». Selon lui, « le spectateur
a l'occasion de s'identifier au personnage de la fiction ». Mais ce
type d'identification ne vaut que pour les films narratifs. « Le
spectateur peut aussi s'identifier à l'acteur » (Metz, 2002,
p.67). Toutefois, ces deux réponses ne le satisfaisant pas, Metz en
propose deux autres : « le spectateur s'identifie à
lui-même, à lui-même comme pur acte de
perception » (Metz, op cit, p.69) et « s'identifiant
à lui-même comme regard, le spectateur ne peut faire autrement que
s'identifier aussi à la caméra, qui a regardé avant lui
ce qu'il regarde à présent » (Metz, op cit, p.70). Par
un jeu de questions-réponses implicites, il admet l'absence de la
caméra lors de la projection du film, mais la caméra auquel
s'identifie le spectateur a « un représentant qui consiste en
un autre appareil justement (du point de vue psychanalytique)
appelé projecteur »89(*). Et Metz d'en conclure que « sans cette
identification à la caméra, on ne saurait comprendre certains
faits qui sont pourtant constants : comment se peut-il, par exemple, que
le spectateur ne s'étonne pas lorsque l'image tourne (= panoramique) et
qu'il sait pourtant bien qu'il n'a pas tourné la tête ? C'est
qu'il n'a pas eu besoin de la tourner vraiment, il l'a tournée en tant
que tout voyant, en tant qu'identifié au mouvement de la caméra,
comme sujet transcendantal et non comme sujet empirique » (Metz,
2002, p.71).
En ce qui concerne, plus particulièrement, le film de
fiction, il existe, dans la narration, des éléments qui
prêtent à identification. La plupart des auteurs s'accordent pour
citer les personnages et les situations dans
lesquelles ils se trouvent : - les personnages, bien sûr, mais plus
exactement les traits constitutifs des personnages (physique,
personnalité, voix, façon de parler, de s'habiller, de se
mouvoir, etc.) à condition qu'ils soient visualisés ; - et
les situations ou plus précisément les événements
unitaires constitutifs de la situation.
C'est donc sur ces deux niveaux que les cinéastes peuvent
agir sur l'identification secondaire. Le premier niveau, celui des personnages
est plus vaste qu'il n'y paraît. Il ne se limite pas aux personnages
principaux, comme certains le pensent, même si, lorsque le personnage
principal est joué par une star, l'identification est très
fréquente (Brassart90(*), 2004).
Ainsi Edgar Morin (1965) a montré que « la force
de participation du cinéma peut entraîner l'identification
jusqu'aux méconnus, ignorés, haïs de la vie
quotidienne : prostituées, noirs pour les blancs, blancs pour les
noirs, etc. ». Autrement dit, un film peut présenter des
modèles auxquels les spectateurs peuvent s'identifier et qu'ils peuvent
imiter même si ces modèles sont hors normes ce que Morin (1965)
exprime en comparant le cinéma au rêve : « le
cinéma comme le rêve, comme l'imaginaire, réveille et
révèle des identifications honteuses,
secrètes »91(*).
En ce qui concerne le deuxième niveau, celui des
situations, Linda Williams (1993, pp.47-74) prend l'exemple de la forme
narrative des feuilletons pour femmes de la télévision
américaine et cite Tania Modlevski qui a observé que leur public
essentiellement féminin ne s'identifie pas au protagoniste.
« La forme même du soap opera encourage
l'identification avec des points de vue multiples. A un moment donné la
spectatrice s'identifiera à une femme réunie avec son amant,
à un autre moment aux souffrances de sa rivale. Tandis que l'effet
produit par l'identification à un protagoniste unique est de donner au
spectateur un sentiment de pouvoir, celui produit par l'identification multiple
associée à la forme diffuse de ces feuilletons est de
dépouiller la spectatrice de tout pouvoir mais d'accroître chez
elle l'empathie » (Williams, 1993, p.67).
En ce qui concerne l'identification à un acteur, et cela
quel que soit le film visionné, elle fut sans doute l'une des
premières à être
« gérée » par les studios de production dans
le cadre de leur politique de « construction » de stars.
Leur volonté d'estomper la distinction entre la fiction
cinématographique et la réalité
extracinématographique vient de là : « la star se
doit d'être belle, aussi héroïque, aussi vertueuse...à
la ville qu'à l'écran. D'où ce souci des studios de
réglementer aussi la vie privée des stars, ou du moins les signes
extérieurs de cette vie privée » (Bourget, 2002,
p.132). Comme si la star à qui s'identifient certains spectateurs se
devait elle-même de s'identifier à l'image qu'elle donnait
à l'écran. Et, dans le cas où, elle ne correspondrait pas
à cette image, ses agents lui fabriqueraient une vie92(*).
L'enjeu est important, il est avant tout économique,
« des stars ont pu sauver de la faillite le studio qui les
emploie » (Brassart, 2004, p.14).
Selon certains auteurs, en plus du contenu narratif du film et de
la présence d'une star dans le casting, il existe d'autres
façons utilisées par le réalisateur de stimuler
l'identification du spectateur. C'est tout au moins l'avis d'Alfred Hitchcock
qui considère qu'il suffit pour cela de diminuer la part intellectuelle
et d'augmenter la part émotionnelle de l'activité du spectateur.
Selon Aumont (2002, p.85), pour augmenter cette part émotionnelle, donc
faciliter l'identification, Hitchcock utilisait souvent le thème du
« faux coupable » qui permet plus facilement
l'identification du spectateur et suscite chez lui une participation au
sentiment de danger : « Hitchcock considère que le
spectateur s'identifie au personnage en danger, qu'il soit le héros ou
non, qu'il soit le méchant ou non (le phénomène est
évidemment plus fort si le personnage en danger est
sympathique ».
En outre, Aumont estime, avec Hitchcock, que le principe
d'identification est l'aspect psychologique de la notion de suspense. Le
suspense vise à une sorte de contamination émotionnelle, qui doit
mettre le spectateur dans un état où il ne soit plus maître
de ses réactions. D'où la conclusion qu'un « spectacle
n'est pas fait pour être compliqué et faire
réfléchir, mais pour être simple et faire participer
émotionnellement (on n'est pas très loin de la catharsis
aristotélicienne » (Aumont, 2002, p.86). En analysant le film
Psychose d'Alfred Hitchcock, Rémi Adjiman (in Le Boeuf, 1999,
p.157-165) constate que, pour le spectateur, voir celui qui voit l'action ou
même qui l'imagine, dans le cas du personnage de Marion, crée une
sensation plus intense que d'assister directement à la scène.
« Il s'identifie au personnage et ressent la situation à sa
place. Par cette maîtrise, le réalisateur opère un
transfert d'angoisse sur le spectateur ».
D'autres moyens93(*), filmiques ou cinématographiques, pour
stimuler l'identification du spectateur sont souvent cités dans la
littérature, bien que certains soient contestés (Metz, 2002,
p.76) : les angles rares, les cadrages insolites qui expriment le point de vue
du cinéaste, réveillent le spectateur et imposent à son
regard une certaine direction, mais aussi le champ-contrechamp ou, plus
simplement, un hors-champ, dans une scène où deux personnages se
regardent, se parlent parce que « tout hors-champ nous rapproche du
spectateur, puisque le propre de ce dernier est d'être hors-champ. Le
personnage hors-champ a donc un point commun avec lui : il regarde
l'écran » (Metz, 2002, p.77).
D- Les degrés de participation-identification
Dans sa présentation des principaux apports de la
psychanalyse au cinéma, Casetti (2000) cite un article de Cesare
Musatti94(*) dans lequel
ce dernier estime que, dans le rêve ou dans un film, « les
représentations que tous deux élaborent possèdent un
« caractère de réalité » particulier,
qui est en fait, à la fois une copie et quelque chose de
différent de la vie. Ce statut, qui caractérise aussi bien les
images cinématographiques que les images oniriques, explique au moins en
partie pourquoi entre films et rêves il y a une aussi grande
facilité de passage de matériels : il arrive très
souvent que des extraits cinématographiques finissent dans nos
réélaborations nocturnes. » (Casetti, 2000, p.180).
Rêve, état de conscience modifié pour ne pas
dire hypnose, identification secondaire, ces concepts apparaissent dans la
littérature sur le cinéma, pour certains auteurs comme synonymes
ou presque, pour d'autres au contraire comme un risque des confusions
malheureuses. Jean Mitry réfute, pour sa part, l'idée selon
laquelle le spectateur serait soumis à l'hypnose, à des
phénomènes hypnotiques. « Malgré une analogie
évidente, il me semble que le problème est à la fois plus
simple et plus complexe. Jean Mitry n'accepte pas le principe, voire
peut-être davantage le mot même, d'hypnose. « Il s'agit d'un
fait quelque peu semblable à l'hypnose par la captation de notre
conscience attentive, mais aussi et surtout d'un état analogue à
celui du rêve (intermédiaire entre le rêve proprement dit et
le rêve éveillé) par le fait de ce transfert perceptif
où l'imaginaire se substitue au réel » (Mitry, 2001,
p.123).
Jean Mitry semble même assez réservé sur le
principe d'identification. Il préfère parler de participation
ajoutant « voire d'identification » comme si
l'identification était un stade plus élevé de la
participation. « Alors qu'une confusion du Moi et de l'Autre serait
inévitable dans le cadre d'une identification, il n'y a, au
cinéma, qu'une simple analogie de comportement dans une situation
générale donnée : la raclée que le
héros inflige à son adversaire est celle-là même que
j'aurais aimé flanquer à un certain malotru mais que ma
civilité - et ma faiblesse - m'ont empêché de lui
administrer » (Mitry, 2001, p.126). Il
ajoute : « Le spectateur agit et réagit avec
l'acteur mais il se confond d'autant moins avec lui que cette association
projective ne s'applique pas seulement à l'un quelconque des personnages
du drame mais à tous - ou presque tous (...). Il n'y a que lorsque leur
comportement est contraire à celui qui pourrait être le mien que
je me désolidarise d'avec eux. Ma participation alors se retourne contre
eux..95(*) ».
Mais un phénomène semblable ne se retrouve-t-il pas dans
l'hypnose96(*) ?
(Jagot, 1986, p.14-15 ; Barone et Mandorla, 1987, p. 33-34).
Des thèses de Mitry, nous retiendrons le principe de
l'existence de différents degrés de participation-identification.
L'un des plus élevés pouvant conduire le spectateur à des
extrêmes.
La plus grave des conséquences de ce
phénomène est, effet, le développement de
« phobies de cinéma » dues à un excès
d'identification. Les cas ne sont malheureusement pas rares, ils sont, en
outre, de plus en plus liés à la violence. Ils sont parfois la
cause de véritables tragédies. L'une des plus sanglantes
qu'aient connu les Etats-Unis fut celle de Littleton, le 20 avril 1999. Ce
jour-là, le lycée de Columbine fut le théâtre d'un
massacre où 13 personnes ont trouvé la mort et une vingtaine
d'autres ont été blessées. Les causes et le profil des
responsables de cette tuerie interpellèrent et choquèrent
l'opinion : il s'agissait de deux élèves du lycée, a
priori sans problème, adolescents d'une famille américaine de
classe moyenne. L'explication donnée à leur acte est que quelques
jours auparavant les deux meurtriers avaient vu le film
Matrix.97(*) En
France, en 2002, un adolescent assassina de quarante deux coups de couteau une
de ses amies, sans mobile apparent autre que de vivre réellement une
scène qu'il avait vue dans le film Scream98(*).
E- Le déplaisir filmique
Nous terminerons cette présentation
psychanalytique des relations de certains spectateurs avec certains films par
le concept de déplaisir filmique développé par Christian
Metz dans son ouvrage « Le signifiant imaginaire. Psychanalyse et
Cinéma » (1977, réed. 2002). Selon lui, la
vivacité des réactions du spectateur (aime vs n'aime pas)
à l'égard d'un film et l'existence du déplaisir filmique
« ne font que confirmer la parenté du film de fiction et du
fantasme » (Metz, 2002, p.135). Ce déplaisir filmique a deux
causes principales :
- la
diégèse du film peut ne pas avoir nourri le Ca ; il s'agit
alors d'un cas de frustration proprement dite. Le film sera jugé
« terne », « ennuyeux » ou
« quelconque ».
- la diégèse a trop satisfait le Ca, d'où
une intervention du Surmoi et des défenses du Moi qui prennent peur et
contre-attaquent. Il s'agit souvent d'un film de mauvais goût ; le
goût devient alors un alibi contre ces films outranciers, ou infantiles,
ou sadico-pornographiques, etc. « en un mot les films dont on se
défend par le sourire ou par le rire, par l'allégation de
sottise, de grotesque ou d'invraisemblance ».
En définitive, si un film de fiction n'est pas
aimé, c'est qu'il en fait trop ou pas assez, ou les deux ensemble. Metz
en conclut alors que pour qu'un sujet aime un film, il est nécessaire
que le « détail de la diégèse flatte
suffisamment ses fantasmes conscients ou inconscients pour lui permettre un
certain assouvissement pulsionnel, et il faut aussi que cet assouvissement
reste contenu dans certaines limites, qu'il demeure en deçà du
point où se mobiliseraient l'angoisse et le rejet » (Metz,
2004, p.136).
Il signale également d'autres phénomènes de
déception du fantasme, notamment lorsque l'intrigue ne va pas dans le
sens que le spectateur souhaite. La fin du film en est souvent à
l'origine d'où les précautions que certains producteurs et
réalisateurs prennent en prétestant auprès d'un petit
nombre de spectateurs les différentes fins possibles à leur film.
Autre déception fréquente, le hiatus entre le personnage et
l'acteur qui l'interprète, déception plus forte encore si le film
est une adaptation d'un roman que le spectateur a lu et qu'il a, en
conséquence, imaginé le physique du personnage.
IV- L'estimation du plaisir (vs déplaisir)
filmique grâce aux pré-tests
Le spectateur cherche un certain plaisir en allant au
cinéma, il en sort, cependant, malheureusement déçu
lorsque le film est un « mauvais objet » qui crée
du « déplaisir filmique » (Metz, 2002). Si les
attentes du spectateur ne sont pas satisfaites, il est clair que le film doit
être considéré comme « une ratée de
l'institution cinématographique ». Cet échec peut avoir
des conséquences négatives sur le comportement futur du
spectateur à l'égard des autres films proposés par
l'institution cinématographique, donc sur le devenir de cette
dernière.
Pour réduire le déplaisir filmique qui vide les
salles et le risque d'échec commercial, l'institution
cinématographique a développé des techniques
inspirées des études marketing et des pré-tests
publicitaires.
A- Les différents pré-tests
Comme pour le développement d'un bien de consommation, des
tests peuvent être réalisés tout au long du processus de
production du film.
Avant le tournage proprement dit, sont parfois
effectués :
- un concept testing, test de concept, pour confirmer
les choix en matière de sujet, de thème du film, voire de
scénario,
- un cast appeal testing, test de la distribution
artistique, pour vérifier que le casting, le choix des acteurs,
est apprécié du public,
- un sneak preview, dernier véritable
test du film avant sa mise sur le marché. Ces tests peuvent faire
l'objet d'un suivi tout au long du processus de fabrication du film. Ainsi
Joseph Farrell, créateur du National Research Group, qui travaille pour
de nombreux studios et indépendants et qui a modernisé,
« scientifisé » le sneak preview, propose
une série d'enquêtes par téléphone effectuées
successivement 16 mois, 8 mois et 3 mois avant la sortie du film afin de
définir et d'affiner la stratégie de lancement du film.
Contrairement à ce que certains pensent, les sneak
previews et les concept tests ne sont pas des techniques
récentes ; ces tests étaient déjà
utilisés dans les années 20 (Augros, 2000, p.70).
En revanche, il est vrai que la technique des sneak
previews a pris une importance considérable dans les années
1980 à Hollywood. Il s'agit de projections visant à tester la
future réception du film auprès du public. «On
sélectionne un public représentatif de la population ou alors une
catégorie d'âge, enfants, adolescents, adultes,....à qui le
film est destiné. A la fin de la projection, on distribue des
questionnaires pour savoir si le film a plu aux spectateurs, quelles sont les
scènes qui « fonctionnent », celles qui
déplaisent et pourquoi, etc. » (Pecha, 2000, p.131).
Dans certains cas, plutôt que d'avoir à remplir des
questionnaires, les spectateurs agissent sur des manettes pour exprimer leur
avis sur le film.
Dans d'autres, 48 heures après la projection,
« un échantillon des spectateurs de la preview est
interviewé par téléphone pour mesurer leur propension
à conseiller le film à leur entourage. Sont parfois
également organisées des réunions de discussion à
bâton rompu de petits groupes de spectateurs. » (Augros, 2000,
p.75)
L'analyse des résultats d'un sneak preview
entraîne des modifications de plus ou moins grande ampleur. Selon les
réponses positives ou négatives, le producteur demandera ou ne
demandera pas des modifications au réalisateur, modifications qui
peuvent concerner la fin du film, une réplique, un geste, une
scène, un plan, une liaison entre deux plans, un acteur ; autrement
dit tous les éléments qui constituent le film, qu'ils soient
spécifiques ou non. Aussi n'est-il pas rare qu'en fonction des avis du
public, il soit nécessaire de procéder à un tournage
complémentaire à moins que le réalisateur n'ait en
réserve des images ou n'ait tourné d'autres versions du plan
à modifier.
B- La censure économique
Le succès des pré-tests aux Etats-Unis repose sur
la recherche de la satisfaction, du plaisir filmique du spectateur qui assure
la pérennité et le développement de l'industrie
cinématographique. Dans cette perspective, les partisans des
previews citent souvent l'exemple du film d'Adrian Lyne, Fatal
Attraction (Liaison fatale, 1987). Lors du test, la fin
où le personnage interprété par Glenn Close se tue pour
faire accuser de sa mort son amant d'un jour, joué par Michael Douglas,
n'est pas appréciée. Le preview montre que le public
préfèrerait que la maîtresse soit punie. Le
réalisateur, Adrian Lyne, substitue le suicide par une scène au
cours de laquelle l'épouse légitime tue la maîtresse. Une
fin morale qui fera de ce film un très grand succès
international.
Cette approche marketing du cinéma est surtout
critiquée pour son atteinte à la liberté de
création. Pecha (2000) n'hésite pas à parler de censure
économique, regrettant que les professionnels américains
habitués par ces pratiques ne les perçoivent plus comme telle :
«C'est de ces réponses que peut naître une forme de censure
pour le metteur en scène. Si les spectateurs n'aiment pas par exemple la
fin du film, le réalisateur risque alors de se faire prier de la
modifier. Tant pis si elle constitue sa scène
préférée et qu'il a mis de nombreuses heures à la
tourner. Ce qui compte, c'est l'avis du public. La rentabilité avant
tout. (...) La notion d'art n'existe pas. Il s'agit tout d'abord de faire en
sorte que le film plaise au plus grand nombre. » (Pecha, 2000,
p.132)
C- L'attitude des réalisateurs face aux
pré-tests
Les pré-tests ont, sans conteste, tendance à
écarter toute originalité, toute rupture des codes classiques,
toute transgression des interdits moraux, etc. c'est-à-dire ce qui est,
souvent, à l'origine de la création et de l'évolution des
sources du plaisir filmique.
Toutefois, contrairement à ce que certains peuvent penser,
tous les réalisateurs ne sont pas hostiles aux projections-tests.
Les réalisateurs américains, souvent contraints par
les producteurs de les accepter, en voient quelques avantages comme Martin
Scorsese : « Comme je travaille beaucoup avec les studios, il
m'arrive de devoir organiser des projections-tests avant la sortie, où
l'on demande au public ce qu'il pense du film. Je trouve ce système
très intéressant pour découvrir certains problèmes
qui ne vous ont pas sauté aux yeux pendant le montage : des choses
qui ne sont pas claires dans l'histoire, des longueurs ou des redondances.
Mais, si le public-test me dit « je n'aime pas ces personnages, je
n'irais jamais voir un film comme celui-ci », eh bien...c'est la
vie ! Moi, je sais quel film j'ai envie de faire. » (in Tirard,
2004, p.25).
D'autres y voient un moyen de progresser avec les goûts des
spectateurs en constante évolution, comme Oliver Stone :
« Je fais de plus en plus de projections-tests (...) Parce que je
vois bien à quel point le public ne cesse de changer avec la
télé, parce que c'est vraiment ce qu'est devenu le marché.
Le taux d'attention du spectateur a énormément réduit avec
l'influence de la télé, au point où il devient presque
impossible aujourd'hui de faire un film calme. (...) 2001 (2001 :
L'Odyssée de l'espace, Stanley Kubrick, 1968), par exemple, est
exactement le genre de films qu'on ne pourrait plus faire
aujourd'hui ». (in Tirard, 2004, p. 144).
En dépit de la rigueur avec laquelle ces tests de films
sont généralement effectués, les erreurs
d'interprétation et de prévision ne sont pas rares ; un
pré-test favorable n'est pas la garantie absolue d'un succès
commercial, et inversement, comme c'est également le cas dans tous les
domaines des études marketing, Ainsi, les films E.T.
(L'extraterrestre, Steven Spielberg, 1982) et Star Wars ont
eu de mauvais résultats aux pré-tests. Pecha montre à
travers plusieurs exemples l'imperfection des previews, notamment
celui du film de science-fiction, Star Wars (La Guerre des
étoiles) de George Lucas (1977) : «à la suite
d'une projection de Star Wars, l'étude des réponses a
permis de conclure que le public n'avait aucune envie de voir un film avec des
robots. Le succès phénoménal du film et de ses suites peut
ainsi faire douter de la fiabilité de ces projections tests. »
(Pecha, 2000, p.131).
En conclusion, en tant que technique prévisionnelle (de
succès ou d'échec), le preview, comme les autres
techniques de recherche marketing, a montré ses limites99(*).
Cette incertitude est en quelque sorte rassurante dans un domaine
artistique comme le cinéma, dans lequel la sensibilité,
l'indépendance d'esprit, l'innovation des réalisateurs sont des
facteurs discriminants. Ainsi, selon Martin Scorsese (in Tirard, 2004,
p.25) : « Certains metteurs en scène font leurs
films pour le public. D'autres comme Hitchcock ou Spielberg, les font à
la fois pour le public et pour eux. », d'autres le font pour un
spectateur virtuel, comme Joel et Ethan Coen : « nous
restons très imperméables aux commentaires extérieurs,
quand on travaille sur nos films. Principalement parce que si vous demandez
leur avis à cinq personnes, vous aurez cinq points de vue
différents, et qu'il est très facile de se désorienter par
ça. La seule chose pour laquelle vous pouvez avoir besoin d'un regard
extérieur, c'est la clarté du récit. Mais pour le reste,
nous ne comptons que sur nous, même si nous décidons toujours en
fonction d'un public virtuel »100(*).
D'autres comme Woody Allen restent étonnés par les
réactions imprévisibles du public, ce qui leur donne l'envie de
poursuivre leur carrière : « Aujourd'hui encore, je
fais des films et je suis toujours surpris, voire stupéfait, par la
façon dont le public réagit. Je pense que les gens vont aimer tel
personnage et je m'aperçois qu'il leur est indifférent voire
antipathique, mais qu'il préfère tel personnage auquel j'avais
à peine pensé. Je crois qu'ils vont rire à tel gag et, en
fait, ils rient d'un autre que je trouvais, très moyen. Quelque part,
c'est un peu frustrant. Mais d'un autre côté, c'est aussi ce qui
rend ce métier si magique.(...) Si j'avais tout compris, il y a
longtemps que j'aurais arrêté ! » (in Tirard, 2004,
p.78).
D'autres, moins rares qu'on ne le croit, font leur film sans
tenir compte des spectateurs. Parmi eux, se trouvent des réalisateurs
avant-gardistes tels que Lars Von Trier selon lequel : « Ce
qui me semble primordial, c'est de faire le film pour soi et non pour le public
(...) Vous devez faire le film que vous voulez voir, pas celui que vous croyez
que le public veut voir. C'est un piège, et c'est un piège dans
lequel je vois beaucoup de cinéastes tomber », et souvent pour
des raisons économiques que Lars Von Trier n'ignore pas mais aborde avec
un état d'esprit assez particulier101(*).
Quelques réalisateurs faisant des films dits
« commerciaux » ont également ce point de vue. Ainsi
John Woo, interviewé par le réalisateur Laurent Tirard (2004,
p.208)102(*), déclare : « je
fais le film pour moi. Et quand je suis sur le plateau, je ne pense jamais au
public. Un film doit venir du coeur. Il doit être l'expression d'une
vérité, ou en tout cas de votre vérité. Je remarque
que ceux qui aiment mes films les aiment vraiment, et ceux qui n'aiment pas
détestent. Je pense que c'est dû, avant tout au fait que je suis
sincère. Je ne cherche à plaire à personne. »
D- Les pré-tests dans le cinéma
français
En France, les sneak previews ne peuvent être, en
principe, qu'indicatifs. Contrairement aux Etats-Unis où le producteur
possède la haute main sur le film, en France, en effet, c'est le
réalisateur qui détient la propriété intellectuelle
de l'oeuvre. Personne ne peut le contraindre à modifier son film,
à couper tel ou tel passage, à en ajouter un autre, par exemple
pour faire figurer tel ou tel produit dans le film et de telle façon,
dans le cadre d'un accord de placement de produit (Chirouze, 2002).
Même si un accord de placement de produit a
été conclu avec un annonceur, le réalisateur a
parfaitement le droit de couper la scène où la marque
apparaissait ou même de proposer au final une utilisation
dévoyée de celle-ci...
En conséquence, en France, le preview ne peut
être qu'une orientation pour le réalisateur, situation rarissime
aux Etats-Unis où le producteur a toujours, sauf quelques rares
exceptions, le dernier mot103(*).
L'indépendance de l'auteur-réalisateur est sans
doute l'une des raisons pour laquelle les previews qui ont, aux
Etats-Unis, plutôt pour objectif de tester l'opinion du public sur
certaines scènes du film afin d'en modifier éventuellement le
contenu sont, en France, plutôt utilisés afin de déterminer
le profil des spectateurs à privilégier dans le cadre de la
campagne de lancement du film (Laurichesse in Lara, 2000, p.16)
Les techniques de test utilisées, en France comme
d'ailleurs aux Etats-Unis, sont des variantes des techniques marketing de
pré-test104(*),
l'une des mieux adaptées au cinéma, et à ses conditions
particulières de projection et de visionnage, est le screen-test.
Il consiste, en France comme ailleurs, à projeter le film dans une
salle dans laquelle est présent un échantillon
représentatif de la population-cible, puis à interroger en salle
par questionnaire auto-administré les spectateurs, et/ou à les
faire discuter dans le cadre d'une réunion de groupe d'une dizaine de
personnes, et/ou à les interviewer en face à face
individuellement.
V- L'expérience et la culture
cinématographique des spectateurs français
Les spectateurs ne sont pas que des récepteurs au sens du
modèle de Shannon et Weaver, ils contribuent à l'évolution
du cinéma et de son langage. Comme Christian Metz le souligne, le film
est toujours compris mais il l'est plus ou moins. Et c'est à partir de
cette compréhension du film que le spectateur comprend la syntaxe du
film et non l'inverse. Autrement dit, le spectateur ne comprend pas le film
à cause de sa syntaxe, il comprend la syntaxe parce qu'il « a
compris le film et seulement quand il l'a compris » (Metz).
Un phénomène d'influence allant du spectateur au
cinéaste peut intervenir : « Certains
procédés de syntaxe, après emploi (...), ont fini par
figurer dans des films ultérieurs (...) ; ils sont en quelque
mesure devenus conventionnels ». Ce phénomène est,
nous allons le voir, à l'origine de l'évolution du langage
cinématographique.
Le cinéma ne serait pas ce qu'il est sans les
spectateurs. Ils le font vivre et le font progresser en évoluant avec
lui. L'évolution depuis 1895 est telle qu'il paraît très
loin le temps où les premiers spectateurs qui assistaient à l'
«Entrée du train en gare de La Ciotat » reculèrent
et crièrent d'effroi devant la machine à vapeur qui
fonçait sur eux105(*).
Une question se pose toutefois : ces premiers
spectateurs sont-ils si différents de nous ?
A- L'apprentissage de la technologie du cinéma
Ces spectateurs du XIXème siècle
considérés comme les dupes d'une illusion d'optique ne sont-ils
pas semblables à nos contemporains qui crient et hurlent lors d'une
projection en IMAX106(*) ? Sans minimiser le défi
esthétique et l'aboutissement technologique du grand format,
« des images qui envahissent tout le champ de vision, la
possibilité de voir à l'écran plus de détails que
jamais auparavant, un système sonore à très haut
rendement », on aurait pu croire qu'avec l'expérience et
l'habitude des spectateurs - depuis le Napoléon d'Abel Gance
(1927) et son triple écran - qu'ils auraient des réactions moins
fortes, moins physiologiques. Ce n'est pas le cas, la fascination, le processus
d'identification primaire (et secondaire dans le cas d'un contenu narratif)
perdurent : « Tous les éléments sont
présents pour produire fascination et envoûtement. Le spectateur a
vraiment la sensation de faire partie intégrante du film. »
(Larouche, 1992).
Toutefois, force est de reconnaître que les spectateurs ont
intégré toutes les phases de l'évolution technologique du
cinéma notamment les deux plus cruciales que sont le passage du muet au
parlant, et celui du noir et blanc à la couleur.
B- L'apprentissage des codes filmiques
Le domaine dans lequel on peut parler véritablement
d'éducation filmique est celui des codes spécifiques ou non
utilisés dans les films cinématographiques.
En ce qui concerne plus précisément le code de la
narrativité, que nous allons étudié dans le chapitre
suivant, Nathalie Heinich (in Esquenazi, 2002) estime qu'il est probable
que ces améliorations progressives de la grammaire
cinématographique entraînèrent chez les spectateurs deux
conséquences contradictoires selon leur niveau de culture
cinématographique :
- « pour ceux qui découvraient alors le
cinéma, ces codes narratifs inédits ont toutes chances de les
avoir déroutés, rendant l'intelligibilité du film beaucoup
plus complexe que ne l'étaient les scènes filmées
frontalement comme des saynètes
théâtrales » ;
- « mais pour les spectateurs déjà
habitués à l'écran, ces nouvelles possibilités
narratives ont sans doute permis d'approfondir l'intelligence du récit,
en même temps que son impact émotionnel. »
Elle considère, en outre, que les progrès de la
perception esthétique passent par une acculturation du spectateur,
elle-même facteur d'intelligence accrue. Elle conclut en l'existence d'un
phénomène interdépendant et cumulatif
d'accélération de l'évolution
Cinéma Spectateurs.
« La complexification de l'expression
cinématographique tend à former un spectateur de plus en plus
attentif à la qualité du spectacle comme spectacle, et plus
seulement comme projection d'intrigues ou d'émotions issues de la vie
ordinaire. » (Heinich, 2002, p.22)
Nathalie Heinich dépasse alors le seul cadre du code de la
narrativité en insistant sur l'importance pour le spectateur de bien
maîtriser tous les codes filmiques, les codes de variation
d'échelle de plans, de mouvements de caméra, de changements
d'angle de prise de vues, du montage, etc. « Le problème
n'est donc plus de percevoir le spectacle comme tel - l'écart entre
signe et référent étant admis - mais de le comprendre en
maîtrisant ses codes, c'est-à-dire de faire correctement le lien
entre signifiant et signifié : par exemple entre découpage
et chronologie de l'action, entre échelle des plans et organisation de
l'espace, entre expression du visage et émotions. Or ce lien
était bien sûr loin d'être acquis pour tous en raison de
l'absence de dialogues. » (Heinich, 2002, p.23)
C- La culture cinématographique des
français
Comme le constate Esquenazi (1994, p. 11), « le
spectateur n'arrive pas devant le film comme en terrain vierge : la
publicité, le cadre de projection, la culture cinématographique
du spectateur, sa connaissance du réalisateur, etc. ». Or, la
culture cinématographique des spectateurs a incontestablement
évolué depuis 1895. Mais, il est souvent difficile de dire en
quoi elle a évolué. Catherine Tasca, alors Ministre de la culture
et de la communication, se posait les questions apparemment simples et pourtant
sans véritables réponses précises :
« Quelle est la culture cinématographique des
français ? Quelles sont leurs connaissances ? Comment se les
approprient-ils » ?107(*)
Mais avant de la quantifier, de la mesurer, à l'aide d'une
enquête par sondage, par exemple, encore fallait-il la définir.
L'enquête conduite par le Département des études et de la
prospective, D.E.P., du Ministère de la culture et de la communication,
avec le concours du Conseil National de la Cinématographie, qui fut
engagée en 1995, pour le centenaire de la première séance
publique de cinéma, prit un parti différent. « Elle ne
part d'aucune définition puisque son objet est précisément
de savoir s'il existe quelque chose que l'on pourrait appeler culture
cinématographique »108(*).
Plutôt que prendre l'acceptation fréquente du mot
culture comme connaissances, Jean-Michel Guy (2000, p.18), propose une
« pré-définition » d'inspiration
anthropologique en la considérant «au moins par hypothèse,
comme un processus continu de construction d'ensembles cohérents mais
provisoires de représentations, de pratiques, de connaissances, de
goûts fondant des sentiments d'appartenance, et contribuant de ce fait au
sentiment d'identité des personnes et des groupes. »
Méthodologiquement et concrètement, l'enquête
par sondage fut réalisée par l'Institut Français de
Démoscopie sur un échantillon représentatif de la
population française (France métropolitaine) de 12 ans et plus.
L'échantillon de 1460 personnes (plus un sur-échantillon de 95
individus ayant un niveau d'études supérieur ou égal
à Bac +3) fut constitué à l'aide de la méthode des
quotas (région, catégorie d'habitat, sexe, âge,
catégorie professionnelle du chef de ménage) et fut
dispersé dans une centaine de points d'enquête au prorata de la
population de chaque région. Les questionnaires furent
administrés par des enquêteurs au domicile des répondants
entre le 22 novembre et le 6 décembre 1995. Le questionnaire
était composé de 7 questions d'identification (sexe, âge,
etc.), d'environ 111 questions de formes diverses (dichotomiques, à
choix multiple à réponse unique ou multiple, à
échelle d'attitude, ouvertes ou semi-ouvertes, filtres,
numériques, etc.).
Les résultats obtenus sont à la hauteur de l'outil
mis en oeuvre.
« La présente enquête livre des
résultats chiffrés impressionnants qu'on aimerait pouvoir avancer
pour toute autre pratique culturelle. (...) Selon la définition
immédiate que les français eux-mêmes en donnent, la
cinéphilie concerne entre 3 et 20% de nos concitoyens et à ne
considérer que la définition la plus érudite, c'est un
million et demi de personnes qu'il faut tenir pour de grands connaisseurs de
cinéma. Les amoureux fous du grand écran seraient eux 10 millions
et c'est par dizaine de millions qu'il faut compter les simples
amateurs. » (Tasca in Guy, 2000, p.11)
Pour notre part, nous avons retenu quatre conclusions
principales :
- L'importance prise par la cassette vidéo (et depuis,
sans conteste, le DVD) qui est devenu le « livre de poche »
du cinéma et qui, contrairement, à ce que certains esprits
chagrins prédisaient, « n'entame plus sensiblement la faveur
du public pour les salles obscures. Elle semble au contraire élargir et
diversifier notre relation au cinéma, permettre l'approfondissement de
notre sensibilité et notre regard critique et, au total, nourrir encore
la passion cinématographique» (Tasca). Le petit écran est
devenu le premier support de diffusion du cinéma, grâce aux
soirées « cinéma » organisées sur
certaines chaînes, mais aussi par la constitution de
vidéothèques personnelles, de musées du cinéma
privés, phénomène culturel majeur. (Guy, 2000, p.61).
Selon Guy, « la vidéo patrimonialise les films
à plusieurs égards : elle permet de les conserver (voire de
les collectionner), de les revoir (donc de les graver en mémoire et d'en
objectiver le souvenir et de les analyser (et d'en montrer des fragments
significatifs à autrui » (Guy, 2000, p.72).
- La fréquentation des salles n'est pas un critère
suffisant pour estimer la culture cinématographique ni même pour
étudier les attentes et les goûts des spectateurs. L'enquête
permet à Guy de noter : « La relation entre le goût
et la consommation des films, sur grand ou petit écran, d'une part, et
la culture cinématographique, d'autre part, est d'une complexité
telle que l'on se tromperait à la croire linéaire. Si tout le
monde a un goût, rares sont en réalité les personnes qui y
conforment leurs choix » (Guy, 2000, p.111). L'une des raisons
à cette bizarrerie est que la fréquentation des salles est
surtout une pratique d'intense sociabilité. On va au cinéma entre
amis et l'entourage joue un rôle déterminant sur la
fréquentation, sur les références, sur les goûts des
spectateurs (Guy, 2000, p.50). De plus, le succès commercial d'un film
et sa place au box-office dépendent aussi de l'importance de la
diffusion, du nombre de copies et de salles qui le proposent en
exclusivité, etc. (Jullier, 2002, p.67)
- Les genres cinématographiques ne sont pas
appréciés de la même façon par tous les spectateurs.
A juste titre, Jean- Pierre Hoss109(*), Directeur général du Centre National
de la Cinématographie, conclut à la lecture des résultats
du sondage que « tous les genres cinématographiques ne
rencontrent pas les mêmes générations ou les mêmes
catégories socioprofessionnelles ». Toutefois que l'on se
rassure, le risque évoqué par Moine (2002, p.77)110(*) - que le genre impose une
lecture univoque et universelle, une lecture qui contraindrait ses amateurs,
considérés comme un tout homogène - est faible pour une
raison que Moine avance elle-même : « d'autres
déterminants, ethniques ou sociaux par exemple, organisent l'univers
culturel des spectateurs, et sont de ce fait susceptibles de moduler leur
adhésion au genre. On néglige l'expérience, les
investissements et les interprétations des spectateurs
particuliers ».
- Cinq profils de films se dégagent des résultats
du sondage : - les films patrimoniaux, vus par les ¾ des
français ; - les films qui plaisent surtout aux cinéphiles
érudits ; - les films qui attirent surtout les jeunes ; les
films qui plaisent surtout aux femmes ; les films qui plaisent surtout aux
hommes.
- 1- les films patrimoniaux
Ils contribuent à la constitution de
références « nationales » communes. Parmi
eux, deux catégories de films se dégagent : les grandes
productions américaines, généralement hollywoodiennes, et
les films français dont l'histoire est typiquement française.
Catégories des films patrimoniaux
|
Exemples
|
Grandes productions américaines ou internationales
|
- Autant en emporte le vent (Victor Fleming, 1939)
- Il était une fois dans l'Ouest (Sergio Leone,
1968)
- Le jour le plus long (Ken Annakin et Andrew Marton,
1962)
|
Films « franco-français »
|
- La femme du boulanger (Marcel Pagnol, 1938)
- Jean de Florette (Claude Berri, 1986)
- La vache et le prisonnier (Henri Verneuil, 1959)
- Le Père Noël est une ordure (Jean-Marie
Poiré, 1982)
|
Il est à noter que bon nombre de ces films patrimoniaux
sont des films assez anciens et que les personnes interrogées (qui
représentent plus de 75% des sondés de 12 ans et plus) n'ont pu
les voir qu'à la télévision ou sur cassette vidéo
ou DVD, ou encore dans le cadre d'un cinéclub, scolaire111(*) ou non.
- 2- les films qui attirent les cinéphiles
érudits
On trouve dans cette catégorie des films à audience
confidentielle (généralement en dessous de 20% des
répondants), s'adressant à un public dont le niveau de
compétence en matière de cinéma est supérieur
à la moyenne.
Exemples de films pour cinéphiles érudits
|
- Le charme discret de la Bourgeoisie (Luis Bunuel,
1972)
- Meurtre dans un jardin anglais (Peter Greenaway,
1982)
- Cria Cuervos (Carlos Saura, 1975)
|
N'y figure pas le film d'Eisenstein, Le Cuirassé
Potemkine (1925), une référence de l'histoire du
cinéma, qui souleva l'enthousiasme du public soviétique lors de
sa sortie et celui du public international, parfois inattendu112(*), par la suite.113(*) Le sondage a montré
que 34% des français de 12 ans et plus l'auraient vu sur petit ou grand
écran. 59% auraient beaucoup aimé, 37% moyennement, 4% seulement
pas du tout. 68% des personnes ayant vu le film sont non-bacheliers. Le film
poursuit donc une carrière assez « populaire »
même s'il est cité comme exemple par la plupart des
cinéphiles.
- 3- Les films des jeunes (de la décennie 90,
période de l'enquête)
L'apparition et le développement d'une culture jeune avec
ses références propres datent surtout des décennies
50-60.
Exemples de films des jeunes de la décennie 90
|
- Time Cop (Peter Hyams, 1994)
- Waterworld (Kevin Reynolds, 1995)
|
- 4- Les films qui plaisent surtout aux femmes
Ils appartiennent plutôt au genre sentimental ou à
des genres voisins dans lesquels la description des sentiments des personnages,
notamment des sentiments amoureux, est plus importante que les rebondissements
de l'action.
Exemples de films qui plaisent aux femmes
|
- Sissi Impératrice (Ernst Marischka, 1956)
- Mourir d'aimer (André Cayatte, 1970)
|
- 5- Les films qui plaisent surtout aux hommes
Il s'agit de films dans lesquels l'action, avec plus ou moins de
violence et d'horreur, est prédominante.
Les films qui plaisent aux hommes
|
- Pulp fiction (Quentin Tarantino, 1994)
- Orange Mecanique (Stanley Kubrick, 1971)
- Apocalypse Now (Francis Ford Coppola, 1979)
- La nuit du chasseur (Charles Laughton, 1955)
- Le cauchemar de Freddy (Renny Harlin, 1988)
|
Une telle étude est-elle utile pour les cinéastes,
producteurs et réalisateurs ? Selon Jean-Pierre Hoss114(*) : « la
compréhension des goûts cinématographiques est une des
clés nécessaires à la construction des orientations de la
politique publique en faveur du cinéma ». Il se place dans un
contexte d'aides publiques à la française. Plus
généralement, les professionnels du cinéma, quelle que
soit leur nationalité, sont friands d'études de ce type.
« Sans doute une telle connaissance (des goûts des spectateurs)
peut-elle permettre de mieux cibler la clientèle potentielle d'un film,
voire dans certains cas d'en prédire le succès » (Guy,
2000, p.111).
Toutefois, il nous semble que le choix d'aller voir un film
plutôt qu'un autre dépend d'un trop grand nombre de facteurs pour
être réduit à quelques indicateurs explicatifs (sexe,
niveau d'éducation filmique, etc.). Enfin, ce n'est pas son appartenance
à un des cinq genres mis en lumière qui peut expliquer totalement
l'adéquation d'un film aux attentes de son public-cible.
D- L'écart entre les goûts annoncés par
les spectateurs et leur comportement
Certains résultats de l'enquête par sondage sur la
culture cinématographique des français peuvent surprendre,
notamment les résultats « populaires » du film
Le Cuirassé Potemkine d'Eisenstein, que 60% des personnes
interrogées disent avoir beaucoup aimé...Mais peut-on remettre en
cause la parole des enquêtés ?
C'est ce que Laurent Jullier a le courage de faire dans son
ouvrage « Qu'est-ce qu'un bon film ? », Laurent
Jullier (2002) a repéré six critères de jugement de
goût en matière de cinéma : le succès, la
technique, l'édification, l'émotion, l'originalité, la
cohérence.115(*)
En analysant les critiques des professionnels et les conversations de tous les
jours, il montre qu'il existe des écarts entre ce que les gens disent et
ce qu'ils font.
Il tente comme les spécialistes des études
qualitatives de marketing de trouver « les Pourquoi, aux
faits suivants : ce que pensent les gens réellement, ce qu'ils font
réellement, ce qu'ils voudraient qu'on pense qu'ils font ou qu'ils
pensent » (Bouquerel, 1974, p.435-485).
En relatant un exemple personnel, il montre, non sans humour,
l'importance des idées reçues, de la difficulté de dire le
contraire du « politiquement correct », mais aussi de la
culture d'origine du spectateur.116(*)
L'écart entre ce que les spectateurs vont voir et ce
qu'ils disent aimer est révélé par l'écart
significatif entre le classement qualitatif des films de l'IMDB117(*) et le classement des dix
meilleures recettes de tous les temps, tous pays confondus. Et même, si
cet écart est moindre aujourd'hui que celui qu'il était en
2002 - en raison du succès commercial et du jugement favorable
pour la saga du Seigneur des Anneaux (2001, 2002, 2003) - la
conclusion de Jullier (2002, p.77) reste valable : « Cela suffit
pour dire que cette pratique critique ne se fonde pas - même si elle est
limitée par la disponibilité des films dans l'espace public - sur
le facteur du nombre et du succès ».
Le sondage auprès du public, après la sortie du
film, en salles et/ou en vidéo ou DVD, n'est donc pas un moyen
parfaitement fiable d'estimer les préférences des spectateurs en
matière cinématographique. Même si certains auteurs
considèrent le contraire118(*).
En revanche, le pré-test, qualitatif et/ou quantitatif
avant la sortie du film n'étant pas influencé par le nombre de
copies et, par voie de conséquence, le taux de présence en salles
semble, nous l'avons vu, être accepté à la fois par bon
nombre de producteurs et de réalisateurs.
La culture cinématographique des spectateurs
français ayant évolué, leur compréhension des films
et leurs goûts également, une dynamique d'évolution de la
connaissance de la syntaxe et des codes cinématographiques s'est
engagée (Metz), stimulée par l'espoir d'une
reproductibilité du succès commercial. Espoir pour un film pris
individuellement ou pour un genre cinématographique, voir un style
particulier.
C'est pourquoi nous allons étudier d'une manière
plus approfondie le langage cinématographique, ses composantes, sa
grammaire puis, ultérieurement, ses différents codes.
Le processus de développement et
d'évolution de la syntaxe cinématographique
Compréhension des
procédés de syntaxe
du film isolés par le
favorise
spectateur
en cas de succès
commercial
Compréhension du film
Reprise des
par le spectateur
procédés de syntaxe
dans des films
ultérieurs
facilite
favorise
Apparition de
conventions, de
codes cinématographiques
facilite
permet
Création d'un genre
Rend
cinématographique
possible
par le respect d'une
combinaison de
conventions
Création d'un style
par le non-respect de conventions
classiques et le respect de
codes originaux
Chapitre 3 : Le langage cinématographique
et sa grammaire
La détermination des caractéristiques du langage du
cinéma a suscité de nombreux débats (Serceau, 1999).
L'approche sémiologique qui nécessite la délimitation et
la caractérisation de l'objet étudié fut à
l'origine des premières tentatives.
I- Les caractéristiques du langage
cinématographique
Christian Metz (1971, pp.171-175) isola quatre traits du langage
cinématographique le différenciant des autres langages (peinture,
photographie, musique, etc.) :
- l'iconicité visuelle des images (réelles et
figuratives, non mentales) ;
- la duplication mécanique (vs image obtenue à la
main comme en peinture) ;
- la multiplicité des images (vs image unique comme en
photographie, par exemple) ;
- la mobilité (vs image fixe comme en photographie ou en
peinture).
Constatant que certains films ne mettent pas en jeu
l'iconicité (les films abstraits, par exemple), que d'autres n'utilisent
pas la mobilité des images (une séquence composée d'un
flot d'images fixes, par exemple), que d'autres encore n'emploient pas la
duplication mécanique, mais des dessins réalisés
directement sur la pellicule, Odin (1982, pp.12-13) propose la
définition du langage cinématographique suivante : images
multiples (figuratives ou non figuratives, à signifiant
temporalisé119(*), projetées de façon discontinue.
Mais ne définir le langage cinématographique que
par ses caractéristiques discriminantes suppose que l'on connaisse les
traits qu'il partage avec d'autres langages.
C'est la raison pour laquelle de nombreux auteurs insistent sur
le fait que le langage cinématographique combine cinq moyens
d'expression, qui sont présents dans la bande image, pour les deux
premiers d'entre eux, et dans la bande sonore depuis l'apparition du
cinéma parlant, pour les trois autres :
- l'image photographique mouvante, caractéristique
spécifique du cinéma
- le tracé graphique des mentions écrites
- le son phonique, autrement dit les paroles
- le son musical
- le son analogique, c'est-à-dire les bruits.
Le langage cinématographique se caractérise, en
outre, par la simultanéité des deux bandes, bande image/bande
sonore, sauf exception voulue par le cinéaste lui-même, par
exemple, dans un but artistique ou esthétique.
La compréhension correcte d'un film par le spectateur
suppose la connaissance de ces cinq éléments de langage. Mais, il
lui faudra également connaître plusieurs codes, dont certains sont
spécifiques au cinéma, par exemple, le code de montage, le code
des effets optiques, etc. et d'autres, les plus nombreux, sont
extra-cinématographiques tels que le code des gestes, le code
vestimentaire, le code du récit narratif, etc.
Le plus délicat dans la compréhension comme dans la
production d'un film réside dans le fait que le cinéma est un
langage composite, s'appuyant sur de nombreux codes, qui produit un sens qui ne
résulte pas d'une simple addition mais d'une combinaison complexe de
codes n'ayant pas tous, de surcroît, la même importance dans la
production de sens.
La notion de code apparaît donc essentielle dès lors
que l'on souhaite comprendre les processus de production de sens. Greimas et
Courtès (1979) dans le Dictionnaire raisonné de la théorie
du langage définissent le code comme « un inventaire de
symboles arbitrairement choisis, accompagnés d'un ensemble de
règles de composition de « mots » codés, et
souvent mis en parallèle avec un dictionnaire (ou un lexique) de la
langue naturelle ». Il s'agit donc pour eux, dans sa forme simple,
d'un «langage artificiel dérivé ».
Certains auteurs ont repris, pour ne pas dire vulgarisé
l'idée qu'un langage est un code et en ont conclu que le langage
cinématographique était un code, qu'il existait un code
cinématographique et qu'il fallait décrire ce « code du
cinéma ».
Or, comme le montre Odin (1990), des différences existent
entre les langues et les codes120(*) et elles sont plus fortes encore dans le langage
cinématographique : « non seulement le cinéma
fonctionne directement à partir de la réalité mais il
fonctionne sur le mode de l'homonymie généralisée :
pour un même élément représenté, les
signifiants changent à la moindre variation de cadrage ou au moindre
déplacement de l'objet considéré ; dans un plan nous
donnant à voir une voiture successivement de face, de profil puis de
dos, ce n'est pas le même signifiant qui renvoie au signifié
« voiture » d'un photogramme à un autre :
l'image de la voiture est différente suivant qu'elle est vue de face, de
profil ou de dos. ».
En substance, le langage cinématographique ne se
réduit pas à un seul code. Il s'agit, en réalité,
d'une combinatoire de codes.
II- Les différents codes filmiques
Christian Metz fut le premier à s'intéresser
à la spécificité du langage cinématographique et
notamment aux codes spécifiques du cinéma. « Metz a
d'ailleurs, parfois, la tentation de définir la sémiologie du
cinéma comme l'étude des seuls codes
spécifiques » (Odin, 1990, p149).
Metz distingue, cependant, trois sortes de codes :
- les codes non spécifiques, thématiques et
culturels, qui ne sont pas typiquement cinématographiques parce qu'ils
se manifestent dans d'autres productions signifiantes ;
- les codes cinématographiques généraux,
propres au cinéma et communs, effectivement ou virtuellement, à
tous les films (code du montage, code des mouvements de caméra, code de
ponctuation, etc.) ;
- les codes cinématographiques particuliers enfin, propres
au cinéma mais qui apparaissent seulement dans certains groupes de
films.
C'est sur cette distinction que s'appuie l'une des
définitions du genre cinématographique. Le genre, au sens de
Metz, est un texte singulier caractérisé par le retour
régulier de messages et de codes.
En conséquence, pour qu'un film appartienne à un
genre cinématographique, il doit obligatoirement utiliser des codes
cinématographiques particuliers (c'est-à-dire ceux de la
troisième catégorie de codes). Ainsi, comme l'écrit Moine
(2002, p.44), « le western classique mobilise, comme tout film, des
codes non spécifiques et cinématographiques
généraux, mais il n'est un genre que parce que s'y ajoutent des
codes particuliers, qu'on peut retrouver dans d'autres matières
d'expression, comme les romans ou les chansons de l'Ouest ; l'utilisation
privilégiée de plans d'ensemble ou de grands panoramiques, qui
sont des codes cinématographiques particuliers. »
Si l'on exclut les codes particuliers de type
générique (de la troisième catégorie metzienne),
l'ensemble des codes qui interviennent dans un film est donc réparti en
deux sous-ensembles :
- le premier est composé de codes n'ayant pas ou peu de
rapport avec les traits de la matière de l'expression du
cinéma : ces codes sont appelés les codes filmiques non
cinématographiques.
- Le deuxième sous-ensemble est constitué des codes
directement liés aux traits pertinents de la matière de
l'expression du cinéma : ces codes sont dits « filmiques
cinématographiques ».
Autrement dit, les codes qui peuvent être utilisés
dans un film sont classés en deux catégories selon leur
degré de spécificité cinématographique
(Odin)121(*).
Il est important de préciser que cette distinction
s'applique tant à la bande image qu'à la bande son.
Exemples de codes filmiques
(Selon Metz et Odin)
|
Bande image
|
Bande son
|
Codes non spécifiques, ou filmiques non
cinématographiques
|
- code de la narrativité
- code vestimentaire
- code des gestes
- etc.
|
- code de la construction des dialogues
- code de la musique
|
Codes spécifiques, ou
filmiques cinématographiques
|
- code de variation d'échelle de plans
- code des mouvements de caméra
- code des changements d'angle de prise de
vues
- code des effets optiques
- code du montage
- code de relations syntagmatiques entre les
photogrammes
- etc.
|
- code de la relation images-sons,
- code du synchronisme
- etc.
|
En outre, elle s'applique au film dans son entier mais
également à toutes les unités significatives qui composent
un film : le plan, la sous-séquence et la séquence,
éventuellement les syntagmes de Metz.
Du point de vue « technique », le film est
construit d'unités significatives de plus ou moins grandes
dimensions : le plan, la sous-séquence, la séquence.
Le plan, nous venons de le dire, est considéré par
la majorité des auteurs et, surtout, des cinéastes comme
« l'unité filmique correspondant au tournage, à la
longueur de pellicule impressionnée entre les injonctions du
réalisateur : Moteur ! ou Action ! / Coupez ! Au
montage, le plan correspond à l'unité significative minimale du
récit entre deux collures » (Bessière, 2000, p.40).
Le plan est, en conséquence, un ensemble
d'éléments photographiques successifs. « Etant image
animée, l'image filmique est constituée par un certain nombre
d'instantanés successifs. Chaque série d'instantanés
visant une même action ou un même objet sous un même angle,
constitue ce que l'on appelle un plan. Le plan est l'unité filmique,
mais les multiples éléments photographiques qui le composent sont
appelés photogrammes ». (Mitry, 2001, p.53).
La sous-séquence est un ensemble de plans constituant une
unité narrative de moyenne importance mais manquant d'autonomie pour
former une séquence.
La séquence est ensemble de sous-séquences, voire
d'un long plan (le plan-séquence), qui forme une grande unité
narrative.
Mais, comme l'écrit Edouard Bessière, cette
segmentation en unités significatives, minimales (les plans), moyennes
(les sous-séquences) et grandes (les séquences)
« relève plus de la narration et n'indique pas grand chose du
« style » du film découpé. Il faut
évidemment recourir à des notions qui caractérisent mieux
l'image et le son ».
C'est la raison pour laquelle nous étudierons, dans un
premier temps, la narration au cinéma. Puis, dans un deuxième
temps, nous analyserons les codes des deux bandes. Cependant, parce qu'il est
difficile de traiter simultanément les deux bandes qui constituent un
film, la bande image et la bande son, alors que le sens produit vient de leur
combinaison, et que chacune de ces bandes est elle-même composée
d'une multitude d'éléments, nous les étudierons en deux
parties distinctes.
Mais avant d'analyser ces différents
éléments codiques, il nous semble utile d'étudier ce que
pense du codage et d'une éventuelle grammaire cinématographique
la source122(*) du
message-film, c'est-à-dire les cinéastes et parmi eux - celui qui
combine, conduit, dirige l'ensemble des professionnels qui réalise le
film-message - le réalisateur.
III- La grammaire du cinéma vue par les
réalisateurs
Une question revient régulièrement dans les travaux
sur le langage cinématographique.
Existe-t-il une grammaire du cinéma ? Dans
l'affirmative, viennent alors d'autres interrogations : est-elle
utile ? Doit-elle être respectée ? Y en a-t-il une ou
plusieurs ? Est-ce une grammaire que seuls les cinéastes doivent
connaître ? Les spectateurs la connaissent-ils ? Est-ce
important qu'ils la connaissent ?
Louis Lumière fut le premier à voir dans le
cinéma un mode d'expression spécifique, différent de celui
du théâtre, et de penser à un vocabulaire, à une
grammaire, à une syntaxe par le découpage et le montage
(Chardère, 1995, p.370). Georges Mélies123(*) qu'il considérait
comme «le créateur du spectacle
cinématographique » l'aidera à édicter les
premiers principes de la mise en scène cinématographique et du
code des trucages et effets spéciaux.
A l'instar de Louis Lumière, David Wark Griffith distingua
également dans l'art du cinéma un mode d'expression
différent de celui du théâtre (Rey, 1996) et affirma son
autonomie grâce, notamment, à l'usage de procédés
techniques qu'il transforma en éléments d'expression d'une grande
valeur esthétique. La plupart des procédés qu'il mit au
point ou améliora (échelle des plans, travelling,
découpage analytique, montage alterné et parallèle) furent
repris, telle une grammaire, par les plus grands réalisateurs classiques
qu'ils soient soviétiques (Eisenstein), allemands (Murnau),
américains (Von Stroheim) ou français (Gance). Griffith124(*) déclara,
notamment : « Pourquoi vouloir absolument filmer l'acteur en entier
alors qu'il suffirait d'avancer ou de reculer la caméra pour ne montrer
que la partie qui exprime quelque chose ? Utilisons la caméra comme
ponctuation ».
A la fin des années quarante, des ouvrages se
présentèrent comme de véritables grammaires du
cinéma.
Selon Roger Odin (1990, p.23), Les plus connus sont la
Grammaire cinématographique de Robert Bataille (A. Taffin
Leffort, 1947) et l'Essai de grammaire cinématographique
d'André Berthomieu (La Nouvelle édition, 1946).
Ces auteurs partaient des mêmes
présupposés : « Puisqu'il s'agit d'un nouveau mode
de langage, il doit y avoir des définitions et des règles
à trouver et à mettre au point....Ainsi les futurs
cinéastes finiront par avoir un guide pour étudier les bons
auteurs » (R. Bataille).
Nous devons à Robert Bataille l'une des définitions
les plus précises de la grammaire cinématographique : «
La grammaire cinématographique étudie les règles qui
président à l'art de transmettre correctement des idées
par la succession d'images animées, formant un film ».
La grammaire est un outil de construction de film, son but
avoué étant « de permettre l'acquisition d'un
« bon style cinématographique », d'un
« style harmonieux » par la connaissance des
« lois fondamentales », des « règles
immuables » qui régissent la construction d'un
film. » (Odin, 1990, p.24)125(*)
Elle énonce des choses à faire et d'autres à
ne pas faire (Dos and Don'ts), établit la liste des
« incorrections à ne point commettre, des
solécismes à éviter, des fautes graves qu'il
convient de pourchasser » (Odin, 1990, p.24). Toutefois, le
non-respect de cette grammaire peut être à l'origine non pas d'un
film « mal fait » mais d'un film d'un nouveau style. Ainsi,
Odin (1995, p.38) conclut une comparaison des films de fiction, des films de
famille et des films expérimentaux par ce constat :
« ceux qui aiment le film expérimental, l'aiment pour ses
figures de rupture par rapport au système du cinéma
dominant ; on peut dire, dans ce cas, que les figures du « mal
fait » fondent le statut artistique du film
expérimental ». Allard (1995, p.114)) montre que les
cinéastes personnels126(*) « s'inspirent des films de famille au
niveau des thèmes traités et du style de filmage
caractéristique des cinéastes profanes ». Or, ces
derniers ignorent tout, ou presque, des codes du montage, de variation
d'échelle de plans, des mouvements de caméra, des changements
d'angle de prise de vues, etc. D'où la formule d'Odin (1995,
p.39) : « ce n'est qu'en étant mal fait que le
film est bien fait », mais cela, bien sûr, à
condition de prendre en compte l'institution dans laquelle il est appelé
à fonctionner, c'est-à-dire le public visé qui constitue
une communauté de communication et d'interprétation (Allard,
1995, p.121-122).
Les théoriciens ne sont pas les seuls à être
partagés quant à savoir s'il existe une grammaire
cinématographique ou non, s'il faut la respecter à la lettre,
s'il en existe qu'une seule ou plusieurs (Ropars-Wuilleumier, 1970, «Une
grammaire cinématographique ?, pp.13-20). Les cinéastes le
sont également, les classiques comme le contemporains.
Michel Ciment (2003) l'a révélé en
interrogeant cinquante réalisateurs de trente pays différents.
Mais c'est à Laurent Tirard (2004) que l'on doit réellement
d'avoir montré127(*) que la grammaire cinématographique est
toujours un sujet d'actualité et de débat au travers les
entretiens qu'il eut avec vingt réalisateurs parmi les plus connus et
appréciés de nos jours.
Ces grands réalisateurs ne sont pas d'accord
entre eux : les uns estiment que la grammaire n'existe pas, d'autres qu'il
en existe plusieurs, voire une par réalisateur, d'autres que les
règles édictées doivent être transgressées,
etc.
Nous avons classé ces réalisateurs en
quatre catégories après avoir analysé leurs
réponses, une classification que nous aurions pu établir
également pour les théoriciens et pour les cinéastes
interrogés par Ciment qui abordèrent ce thème
spontanément :
- première catégorie : les réalisateurs
qui pensent qu'une grammaire existe et la respecte ;
- deuxième catégorie : les réalisateurs
qui considèrent qu'une grammaire existe mais peut, voire doit,
évoluer ;
- troisième catégorie : les
réalisateurs qui ne croient pas en l'existence d'une grammaire
cinématographique ;
- quatrième catégorie : les
réalisateurs qui s'imposent des règles pour s'obliger à
être plus créatif.
A- Les réalisateurs qui pensent qu'une grammaire existe et
la respectent
John Boorman est de ceux-là : « Dans la plupart
des cas, la grammaire de mise en scène que j'utilise est celle que j'ai
découvert à travers le cinéma muet. Ce sont vraiment des
règles de base, mais en même temps, quand on regarde les films de
Griffith128(*), par
exemple, et que l'on observe la façon dont il utilisait le gros plan
pour illustrer les pensées des personnages, on se dit que ça
reste tout de même beaucoup plus subtil et beaucoup plus moderne que ce
qui est fait dans une grande majorité du cinéma dit
moderne (...) » (Boorman, in Tirard, 2004, p.64).
Boorman critique le non-respect des règles dans le
cinéma d'aujourd'hui : « Dans la plupart des films actuels,
une scène de cambriolage, dans The General (1998), serait
montée de façon nerveuse, avec une succession rapide de plans.
Moi, je préfère tourner peu de plans et laisser l'action se
dérouler dans le cadre. Le dynamisme vient de l'image elle-même,
pas de la façon dont elle est associée à d'autres
images »129(*). Une conception qui nous le verrons n'est pas
partagée par tous ses confrères, notamment par Scorsese, qui
pourtant n'est en rien hostile à une grammaire
cinématographique.
B- Les réalisateurs qui pensent qu'une grammaire
existe mais peut, voire doit évoluer
Ils sont bien plus nombreux que les normatifs tels que Boorman.
On trouve dans cette catégorie de grands noms comme Martin Scorsese,
Takeshi Kitano, David Cronenberg, Jean-Pierre Jeunet, etc.
Certains sont plus prudents que d'autres et craignent davantage
les effets négatifs d'un non-respect de certaines règles.
Ainsi, Jean-Pierre Jeunet (in Tirard, 2004, p. 49-50)
considère qu' «il y a forcément une grammaire de base,
en matière de mise en scène ; si on essaie de tricher avec
certaines règles, ça ne fonctionne pas. En revanche, je pense que
le but que tout réalisateur cherche à atteindre, c'est justement
de dépasser ces règles, de les utiliser ou de les transgresser
pour faire quelque chose de nouveau ».
D'autres estiment que pour pouvoir transgresser les
règles, il est indispensable de bien les connaître. C'est le cas
de Sydney Pollack selon lequel : «Il y a évidemment une grammaire
de base, en matière de mise en scène. Et il est important de
l'apprendre, tout comme il est important ensuite, de savoir s'en
éloigner. Si vous n'apprenez pas la grammaire de base, vous êtes
un peu comme ces peintres qui s'auto-déclarent peintres abstraits pour
camoufler le fait qu'ils ne savent pas peindre. Vous pouvez briser toutes les
règles que vous voulez, à condition de les avoir apprises
d'abord. Les règles de base vous offrent une sorte de standard de
conformité, à partir duquel vous pouvez ensuite créer des
choses originales ».130(*) (in Tirard, 2004, p.42).
Cette conception que la grammaire puisse être une sorte de
garde-fou mais aussi un appui sur lequel le réalisateur puisse se
reposer lorsqu'il n'est pas sûr de lui est partagée par d'autres
réalisateurs dont Tim Burton : « Il y a des règles de
base, bien sûr, mais elles ne sont là que par
sécurité. Il faut se réfugier derrière que lorsque
l'on est vraiment perdu. (...) » (in Tirard, 2004, p.195).
De nombreux réalisateurs vont plus loin encore,
considérant que la grammaire cinématographique existe mais
qu'elle est en continuelle évolution.
Ainsi, selon Martin Scorsese (in Tirard, 2004, p.21-22) :
« il y a une certaine grammaire de base, et de ce point de
vue-là, Godard l'a dit lui-même, nous avons eu deux grands
professeurs dans l'histoire du cinéma, deux cinéastes qui ont
posé les règles de base de la grammaire filmique : Griffith
pour le cinéma muet, et Wells pour le cinéma parlant. »
Toutefois, Scorsese estime qu'actuellement les
réalisateurs doivent la dépasser : « Aujourd'hui,
les cinéastes sentent bien qu'il faut se renouveler et font ce qu'ils
peuvent pour découvrir un nouveau langage à partir de cette
grammaire. Ils utilisent toujours les gros plans, les plans moyens, les plans
larges, etc. mais plus nécessairement de la même
façon. ». Scorsese pense que c'est notamment grâce
à un montage astucieux des différents plans que de nouvelles
émotions peuvent être créées :
« c'est la façon dont ils les associent les uns aux autres qui
leur permet de créer de nouvelles émotions, ou du moins de
nouvelles façons de communiquer ces
émotions »131(*).
Dans le même état d'esprit, Takeshi Kitano (in
Tirard, 2004, p.186) déclare que : « Le cinéma a ses
règles de base, qui ont été établies au travers de
l'histoire par un grand nombre de cinéastes brillants. Mais je crois que
plutôt que de les respecter, chaque cinéaste doit adapter ces
règles à sa propre manière de filmer, ce qui implique
généralement de les déformer ou de les briser ».
Le principal, selon lui, étant que les spectateurs acceptent les
innovations132(*). Or,
il montre bien que, généralement, les spectateurs les
intègrent volontiers contrairement aux professionnels qui travaillent
avec le réalisateur : « Sur un film, j'ai tourné
un plan en contre-plongée (du bas vers le haut) après une
scène de fusillade, et le caméraman ne comprenait pas. Il me
disait : « c'est impossible, ça veut dire que c'est le
cadavre qui regarde, et pourtant, il est mort ». Ca le choquait
beaucoup. Mais, moi, je le sentais comme ça et ça n'a jamais
surpris personne dans le public ».
Ce hiatus entre le comportement normatif des
« techniciens » du cinéma et celui d'un
réalisateur qui veut affirmer son point de vue personnel est
également mis en avant par Pedro Almodovar (in Tirard, 2004, p.
29-30) : « Le cinéma est un art qui repose moins sur une
technique que sur une façon de faire. C'est une forme d'expression qui
est entièrement personnelle. Vous pouvez demander à n'importe
quel technicien de vous montrer la manière
« conventionnelle » de filmer une scène
donnée. Mais si vous la tournez en suivant ses instructions, il manquera
toujours quelque chose au résultat ce quelque chose, c'est vous ;
c'est votre point de vue, votre façon de vous
exprimer »133(*).
On retrouve cette façon de voir dans la définition
que tente de donner Jullier de ce qu'est un bon film : « un
auteur qui suit les règles académiques n'a aucune chance de
produire un chef-d'oeuvre qui se détachera du lot (il n'aura fait qu'un
film d'artisan pas un film d'artiste ».
Toutefois, comme Sydney Pollack et Tim Burton, notamment, Jullier
insiste sur le fait que les spectateurs attachent de l'importance à la
technique, « aujourd'hui plus que jamais, quiconque se hasarde
à descendre au-dessous de l'académisme en matière
technique se fera rappeler à l'ordre »134(*) (Jullier, 2002, p.82)
Comme Scorsese et Kitano, David Cronenberg considère que:
« Le cinéma est un langage, et un langage ne peut exister sans
grammaire. » Mais il ajoute immédiatement une autre dimension,
celle de la compréhension mutuelle entre le cinéaste et les
spectateurs : « C'est la base de toute communication ;
on se met d'accord sur le fait que certains signes signifient certaines
choses. » (in Tirard, 2004, p.173-174). Cela ne signifie pas qu'il
faille, à ses yeux, ne pas déroger les règles
établies, innover. «A l'intérieur de ce langage, il existe
une vraie flexibilité. Et votre rôle en tant que cinéaste,
est de trouver, pour chaque plan, l'équilibre idéal entre ce qui
est attendu, ce qui est nécessaire, et ce qui est excitant. Vous pouvez
utiliser un gros plan de façon conventionnelle, c'est-à-dire
pour attirer le regard sur quelque chose, où vous pouvez vous en servir
pour obtenir tout le contraire, c'est-à-dire détourner
l'attention. »
On le voit, David Cronenberg attache beaucoup d'importance au
public, à ses spectateurs : « Si vous vous amusez
à jouer avec les règles du langage cinématographique, le
résultat sera évidemment plus dense, plus complexe, et
l'expérience qu'en retirera le spectateur sera plus enrichissante. En
même temps, cela implique que le spectateur en question possède
déjà une certaine connaissance du langage
cinématographique, sinon il va se sentir perdu et finira par
décrocher. En gros, pour communiquer de façon plus intense avec
cent personnes, vous risquez d'en perdre un millier en chemin.».
Aussi, conseille-t-il de bien définir sa cible avant
toute utilisation du langage cinématographique :
« je pense que c'est quelque chose qu'un cinéaste doit
être capable de décider à l'avance - quel sera son public -
car cela influence obligatoirement le langage cinématographique qu'il
doit utiliser ».
David Cronenberg va, semble-t-il, plus loin que les autres dans
la nécessité d'une adaptation du produit cinématographique
à la cible visée, d'un marketing, diront certains.
C- Les réalisateurs qui pensent qu'il n'existe pas
de grammaire cinématographique
Ils sont aussi connus et appréciés que ceux qui ne
pensent pas comme eux.
Ainsi, quelques mois avant son décès, Claude Sautet
répondit à Laurent Tirard qui l'interviewait :
« Existe-t-il vraiment des règles en matière de mise en
scène ? Je ne crois pas. Si on demandait à trente
réalisateurs de filmer la même scène, on
découvrirait probablement trente approches différentes. L'un
d'entre eux ferait tout en plan unique, un autre découperait ça
à l'extrême, un autre ne ferait que des gros plans sur les
visages, etc. Tout est affaire de point de vue. Il n'y a pas de loi »
(in Tirard, 2004, p.113)
Cette réponse de bon sens et d'un homme
d'expérience ne peut pas laisser indifférente, pousse en quelque
sorte à douter des dires des tenants d'une grammaire.
Sautet n'est pas le seul à ne pas croire en l'existence
d'une grammaire.
Bernardo Bertolucci déclara : « N'ayant pas
appris la mise en scène de façon théorique, la notion de
grammaire cinématographique ne signifie rien pour moi. Et étant
donné ma façon de penser, j'aurai tendance à dire que si
grammaire il y a, elle est faite pour être
transgressée » (in Tirard, 2004, p.133).
Bertolucci insiste sur le caractère provisoire d'une
éventuelle grammaire : « Parce que c'est comme ça
que le langage cinématographique évolue. Quand Godard a
tourné A bout de souffle (1960), sa grammaire c'était
« le jump cut 135(*) au pouvoir ». Et ce qui est
extraordinaire, c'est que si vous regardez l'un des derniers films de John
Ford, Seven Women, vous vous rendez compte que ce metteur en
scène, qui est pourtant un des plus classiques du cinéma
hollywoodien, a de toute évidence vu A bout de souffle, et
qu'il se met à son tour à faire du jump cut, ce qui dix ans plus
tôt aurait paru inconcevable. »
Plus affirmatif encore, John Woo croit plutôt en la valeur
du résultat en fin de montage qu'en celle des règles à
respecter lors du tournage : « Je ne connais aucune
règle, aucune véritable grammaire du cinéma. Quand je
prépare une scène, je ne me dis pas « oh, il faut
la tourner en gros plan » ou « oh ça c'est un plan
large ». Je préfère tourner plusieurs grosseurs et
prendre ma décision finale au montage, parce que c'est à la fois
le moment où j'arrive le mieux à avoir un esprit de
synthèse, et celui où le film se met réellement à
prendre vie. Donc, je n'hésite pas à tourner chaque scène
avec plusieurs caméras (j'ai déjà été
jusqu'à 15 caméras pour des scènes d'action
particulièrement complexes) et même à faire tourner
certaines des caméras à des vitesses
différentes. » (in Tirard, 2004, p.204).
Cette attitude, on la retrouve aussi chez Emir Kusturica qui fait
confiance en son instinct : « La pire erreur que puisse
commettre un cinéaste débutant est de croire que le cinéma
est un art objectif. (...) Moi, je me laisse toujours guider par mon instinct.
Mais je comprends que d'autres trouvent la logique plus rassurante. En tout
cas, il n'existe pas vraiment de grammaire cinématographique. Où,
plutôt, il en existe des centaines, puisque chaque réalisateur en
invente une pour lui-même. » (in Tirard, 2004, p 86-87)
Interrogé par Ciment (2003, p.398), John Cassavetes fait
partie de cette catégorie de réalisateurs qui ne croit pas au
respect de règles. Comme Sautet, il part du constat que
« chaque metteur en scène tournerait une même
scène de façon différente ». Il va plus loin,
toutefois, en minimisant l'influence du tournage et du montage, prenant ainsi
le contre-pied des théoriciens classiques à l'origine d'une bonne
partie de la grammaire cinématographique : « Si vous
voyez quelque chose de convaincant, peu importe comment vous le voyez (...) Si
c'est bon, alors la scène est bonne, même si le cadre n'est pas
bon (...) Je n'ai jamais vu une bonne scène qui ne soit pas bonne, quel
que soit l'angle de la caméra. J'ai vu des scènes prises sous
sept, huit angles différents ; elles étaient toujours bonnes
si la scène était bonne, toujours mauvaises si la scène
était mauvaise ».
D- Les réalisateurs qui s'imposent des règles
pour s'obliger à plus être plus créatifs
Plutôt que de respecter les règles classiques de la
grammaire cinématographique, certains réalisateurs ont d'une part
voulu s'en détacher, d'autre part s'imposer d'autres contraintes pour
stimuler leur créativité artistique.
En 1995, des réalisateurs se réclamant du mouvement
lo-fi (basse fidélité)136(*) rédigèrent une
sorte de charte qu'ils appelèrent le Dogme.
Ce dernier comprend dix règles que doivent respecter
scrupuleusement ses signataires pour recevoir le sceau officiel du
Dogme.
Les dix règles du Dogme 1995
- Éclairage naturel seulement, ou le strict minimum requis
(par exemple, un spot attaché à la caméra lorsque les
conditions de tournage l'exigent) : tournage en extérieur
- Caméra à l'épaule, vidéo
légère, matériel portable (de type caméra Sony) ;
transfert du film de la vidéo au 35mm
- Obligation de recourir à la couleur
- Rejet des filtres, des trucages, des effets spéciaux et
visuels
- Proscription absolue des films de genre (thriller, horreur,
fantastique, s.-f., etc.)
- Le scénario doit être un canevas à partir
duquel on doit laisser libre cours à l'improvisation ; en outre, il doit
être entièrement dépourvu d'actions superficielles (ex:
meurtres, armes)
- Seul accompagnement sonore autorisé : la musique et les
bruits live, présents et enregistrés lors du tournage
(aucun retravail sonore au montage n'est autorisé)
- Aucun décor, costume ou accessoire : le film est
tourné dans des "lieux réels"; rejet complet du studio
- Le film ne doit porter en aucun endroit la signature du
réalisateur (ce afin de briser la dictature de l'auteur bourgeois et
afin de redonner la primauté au travail collectif et
démocratique)
- Le réalisateur doit enfin signer cette
déclaration : « De plus, je jure comme réalisateur de
m'abstenir de tout goût personnel! Je ne suis plus un artiste. Je jure de
m'abstenir de créer une "oeuvre", car je considère l'instant
comme plus important que la totalité. Mon but suprême est de
forcer la vérité à sortir de mes personnages et du cadre
de l'action. Je jure de faire cela par tous les moyens disponibles et au prix
de tout bon goût et de toutes considérations esthétiques.
Ainsi je prononce mon VOEU DE CHASTETÉ... » (extrait de la
déclaration officielle de Dogma 95).
Lorsqu'un film répond à tous ces
critères et qu'il est approuvé par le comité Dogma, il
reçoit le sceau officiel du Dogme ainsi qu'un certificat de
réussite (présenté au début du film).137(*)
A propos du Dogme 1995, Lars Von Trier a déclaré
(in Tirard, 2004, p.155) : « Je me disais qu'en m'imposant
des règles, des choses nouvelles allaient sortir de mon travail, et
c'est exactement ce qui s'est passé. Parce que le processus artistique
est basé sur l'idée de la contrainte. Ce qui implique de se fixer
un cadre de travail ».
Il explique les réactions vives, favorables ou critiques,
de certains à l'égard du Dogme, par le fait même qu'il fut
rédigé et largement diffusé, ce que d'autres courants ou
écoles de réalisateurs n'avaient pas fait jusqu'à
présent pour formater leur style - par exemple, les réalisateurs
de la Nouvelle Vague qui, avant le comité Dogma, ne
voulaient pas être prisonniers d'un savoir-faire technique mais au
contraire affirmer leur indépendance d'esprit en ne respectant pas
certaines normes de qualité (Leveratto, 2000, p.281). « La
différence avec le Dogme, c'est que nous avons décidé de
coucher ces règles sur papier. Je crois que c'est ça qui a
choqué tant de monde. Mais le fait des les écrire noir sur blanc
créait une certaine forme d'honnêteté, je trouve. Et je
pense que tout cinéaste, consciemment ou non, travaille avec ses propres
règles. Disons que moi j'appelle ça des règles, et que
d'autres appellent ça ...un style. Et contrairement à d'autres,
j'éprouve le besoin de changer constamment ces règles et de les
remettre en question, afin d'évoluer » (Lars Von Trier, in
Tirard, 2004, p.155).
Lars Von Trier a bien compris, comme de nombreux autres
réalisateurs, ne partageant pas sa conception
« dogmatique », que l'évolution des règles
est une condition du progrès, sachant que la compétence technique
des spectateurs progresse également et que l'originalité peut
devenir banalité en cas d'imitation. Ainsi, Jullier (2002, p.88) estime
que : « dans le contexte de sortie du film Dancer in the
Dark (Lars Von Trier, 2000), ce style de filmage opère comme signe
de vérité », mais il ajoute : « il
n'en sera pas toujours ainsi, surtout si un grand nombre de réalisateurs
se mettent à travailler de cette façon ».
A la question existe-t-il une grammaire cinématographique,
les réponses sont donc très variées allant des deux
extrêmes (oui - non) en passant par des réponses plus
nuancées. C'est pourquoi, certains auteurs préfèrent
parler de conventions. Conventions qui semblent mieux acceptées que des
règles, des lois, des codes, une grammaire, etc. dont certains ne
supportent pas le poids. Ainsi, à partir des années 70-80, les
réalisateurs américains eurent tendance à adapter, plus
qu'à rejeter, les conventions classiques138(*). Un phénomène
si important que Bordwell et Thompson (2000, p.582) termine leur ouvrage par :
« Le vieil Hollywood fit donc son retour dans les années 70 et
80, à travers les films de jeunes réalisateurs talentueux qui
adaptèrent les conventions classiques aux goûts des
contemporains ».
Et c'est sans doute là la raison du succès des
Spielberg, Lucas, Scorsese, Zemeckis, Coen, De Palma, Coppola et bien
d'autres : l'appropriation de conventions et leur adaptation continuelle
aux goûts des spectateurs dont l'expérience et la culture
cinématographique évoluent.
Nous avons vu précédemment que considérant
le cinéma comme un langage, c'est-à-dire une combinaison de
codes, l'une des premières tâches de la sémiologie du
cinéma, dans les années 60-70, fut de recenser et de classer les
différents codes utilisés.
Nous présenterons, dans les chapitres qui suivent, les
principaux codes filmiques en adaptant légèrement la
classification que l'on doit à Metz et à Odin (voir plus haut).
Nous développerons, à part de la bande image, le
code de la narrativité dans un chapitre consacré à la
narratologie pour mettre en valeur l'importance des systèmes internes
aux films et ne pas laisser croire qu'il existe un système
général qui vaut pour tous les films (Journot, 2004).
Nous considérons, par ailleurs, qu'il est arbitraire de
placer le code de la narrativité dans les codes de la bande image dans
la mesure où, comme nous le verrons, l'une des approches
narratologiques, la narratologie dite modale, s'intéresse à
toutes les formes d'expression utilisées par le narrateur pour raconter
une histoire, qu'il s'agisse d'images ou de sons, et donc pas seulement aux
éléments de la bande image.
Chapitre 4 : L'approche narratologique
Le rapprochement et/ou la confrontation de la littérature
et du cinéma remonte aux origines du cinéma ou presque (Serceau,
1999). Les différences étant nombreuses139(*), le point commun
réside, selon Ropars-Wuilleumier (1970, p.5) dans le fait que la
littérature et le cinéma utilisent «une matière
chargée de sens - mots ou images, certes, mais traitant des hommes et du
monde ; et, de l'aventure humaine, ils peuvent modeler à leur
gré les formes ou les rêves »140(*). Cette
référence à l'expression littéraire se
concrétisa notamment par l'adoption par les premiers cinéastes de
la forme narrative comme modèle d'agencement des récits. Ce
dernier leur permit de raconter des histoires au cinéma, sur le
modèle des récits littéraires, et de connaître le
succès commercial.
Ainsi, dans les années trente, le pouvoir du cinéma
américain fut essentiellement lié à sa forme narrative,
c'est-à-dire à un type d'organisation où les parties du
film sont en rapport les unes avec les autres à travers une
série d'événements ayant des relations causales et se
déroulant dans un certain espace, en un certain temps (Bordwell et
Thompson, 2000, p.585). Selon certains auteurs, ce lien ne serait pas
innocent ; la narrativité servait une vision idéologique
des idéaux sociaux de l'Amérique (Browne, 1993, p.78-86).
A l'heure actuelle, la plupart des films produits et
diffusés dans le monde sont également des films narratifs. Aussi,
n'est-il pas étonnant que l'analyse filmique ait repris des
modèles élaborés pour étudier les oeuvres
littéraires et plus précisément les romans.
Avant de développer les différents apports de la
narratologie au cinéma, ce qu'il faut souligner c'est le triple
intérêt de cette approche : - pour le cinéaste qui souhaite
raconter une histoire, - pour le spectateur qui souhaite vivre une histoire
grâce au cinéma, - pour l'analyste à la recherche d'une
méthode d'analyse.
L'analyse du récit filmique fit l'objet d'un vif
intérêt, dans le milieu des années soixante141(*), à la suite de
l'étude de Vladimir Propp sur les contes populaires russes142(*) et des travaux de Claude
Lévi-Strauss sur les mythes. Divers modèles d'analyse du
récit furent alors proposés dont celui de Greimas (Metz, 2003,
p.25). La vague structuraliste qui a fortement influencé l'analyse des
récits fut suivie par la naissance de la narratologie. « C'est
à Gérard Genette - qui a repris le mot narratologie
à son collègue Tzvetan Todorov (1969) - et à son ouvrage
spécial Figures III (plus précisément la partie
intitulée Discours du récit) publié en 1972 que
l'on fait remonter l'origine de la narratologie comme discipline »
(Gaudreault et Jost, 2000, p.5).
Genette (1983) distingue la narratologie thématique et la
narratologie modale.
La première s'occupe de l'histoire racontée, des
actions, des rôles des personnages, des relations entre eux, les actants.
Ce sont les outils que nous étudierons en premier lieu au travers
notamment les travaux de Propp, le modèle de Greimas, etc. Nous
tenterons d'éviter l'écueil d'une présentation trop
théorique et chercherons à mettre en valeur les utilisations
pratiques notamment dans le domaine de la rédaction d'un
scénario.
La narratologie modale s'intéresse essentiellement
à toutes les formes d'expression utilisées par le narrateur pour
raconter une histoire, pour mettre en forme, puis livrer un récit
à son lecteur. C'est-à-dire dans le cas d'un film par : les
images, les sons, les mots, la temporalité du récit, le point de
vue, etc. Nous étudierons ultérieurement les apports de la
narratologie modale, ou narratologie de l'expression, en les rapprochant de
ceux de la sémiologie du film narratif développés
notamment par Christian Metz et de la sémio-pragmatique143(*) (Odin).
I- La distinction entre le récit et l'histoire
Pour bien comprendre l'analyse narratologique, il est important
de revenir sur la distinction entre le récit et l'histoire, deux
concepts que certains auteurs n'hésitent pas à confondre ou tout
au moins à laisser dans un certain flou partant du principe qu'ils
reposent tous deux sur l'importance de la causalité, du temps et de
l'espace.
Nous devons à Bordwell et Thompson (2000) d'en avoir
précisé les contours en reprenant la différence faite
entre histoire et discours.
Selon eux, le récit est l'ensemble des
événements présentés au spectateur, avec leurs
relations causales, leur ordre chronologique, leur durée, leur
fréquence et leurs situations spatiales par le film au moyen d'images et
de sons.
Tandis que l'histoire est la somme de tous les faits
présentés explicitement dans le film, au moyen d'images et de
sons, auxquels s'ajoutent les événements que le spectateur
déduit ou suppose avoir eu lieu.
Autrement dit, l'histoire est une reconstitution imaginaire par
le spectateur de tous les événements qui sont supposés
avoir eu lieu.
Bordwell et Thompson ont résumé les relations entre
le récit et l'histoire par le schéma suivant
(légèrement modifié) :
Evénements déduits par le spectateur
|
HISTOIRE
RECIT
|
Evénements représentés par le film
|
Eléments extradiégétiques (n'appartenant pas
à l'histoire : sons et images rajoutés par le
réalisateur)
|
Toutefois, selon que l'on se situe du point de vue du
réalisateur ou de celui du spectateur, ce schéma est quelque peu
modifié.
Pour le réalisateur d'un film, l'histoire est la somme des
événements composant l'univers diégétique, plus
simplement dit : tout ce qu'il sait de l'histoire qu'il veut raconter.
Mais il peut ignorer volontairement certains événements ou
vouloir en cacher au spectateur. Il peut, au contraire, souhaiter ajouter des
éléments n'appartenant pas à l'histoire. Ainsi, il
crée un récit à partir d'une histoire.
Construction par le réalisateur
Une Histoire Son
Récit
Le spectateur, de son côté, en tant que sujet
percevant, ne prend connaissance que du récit, des
éléments présentés par le film, appartenant ou non
à l'histoire, autrement dit de l'organisation narrative concrète
du film. Mais, à partir de ces éléments filmiques, il va
construire sa propre histoire, différente de celle du réalisateur
et de celle que créeront les autres spectateurs à partir des
mêmes informations fournies par le récit.
Construction par le spectateur
Un Récit Son Histoire
La distinction entre histoire et récit est donc doublement
intéressante. Elle permet de mieux comprendre le processus de
création de sens chez le spectateur mais également le processus
de création cinématographique. Le scénariste, notamment,
en partant d'une histoire (vraie ou d'une recomposition de faits réels
et/ou imaginés) peut, en effet, écrire un scénario que
d'autres professionnels du cinéma transformeront, à l'aide
d'images et de sons, en un film narratif.
Construction par le scénariste
Une Histoire
Son Récit (écrit)
Construction par les différents
professionnels
du cinéma : réalisateur, cadreur,
monteur, etc.
Construction par le spectateur
Un Récit Son Histoire
(filmique)
Il est, à ce stade, important de noter qu'autant un
spectateur est seul à construire son histoire à partir des
éléments filmiques qu'il perçoit lors du visionnage,
autant la fabrication d'un film est une réalisation collective qui fait
intervenir un grand nombre de métiers (cadreur, ingénieurs du
son, musicien, comédiens, scénariste, etc.) que le
réalisateur ne fait que coordonner, à l'instar d'un chef
d'orchestre.
Cette réalité explique en grande partie
l'utilité d'un langage commun que les professionnels du cinéma
devront connaître et utiliser dans leurs échanges
inter-corporations et de l'intérêt économique d'un
scénario structuré et agencé, facilitant le
découpage technique, pour organiser les prises de vues à moindre
coût et dans les délais impartis par la production et tenant
compte des emplois du temps de chacun des intervenants (techniciens,
décorateurs, acteurs, etc.).
Il n'en demeure pas moins vrai que, pour la plupart des auteurs,
le scénariste est le professionnel du cinéma qui peut retirer le
plus d'avantages à utiliser l'analyse des récits.
II- L'analyse des récits et l'écriture d'un
scénario
Certains auteurs voient dans l'analyse du récit filmique
une activité « complémentaire » à
l'écriture de scénario. « L'analyse aide à
comprendre comment les films réussissent à nous raconter des
histoires. Elle conduit à définir ces concepts de base, fort
utiles ensuite pour l'écriture » (Roche et Taranger, 1999,
p.3). Si elle aide à l'écriture de bons scénarios,
autrement dit des scénarios de films qui marchent commercialement, c'est
qu'elle correspond aussi à une attente du spectateur 144(*). Dans un domaine autre que
cinématographique, Propp fut le premier à être
arrivé à une conclusion similaire en étudiant les contes
populaires russes.
A- Les fonctions de Propp
L'ethnologue russe, Vladimir Propp, en étudiant 350 contes
de son pays, a trouvé dans ces récits des valeurs constantes dans
les actions ou fonctions des personnages. Après les avoir
dénombrées (trente et une), puis constaté en l'existence
d'une succession rigoureuse des fonctions, et montré que sa
transgression pouvait mener à une perte de sens de la structure, Propp
en tire une conclusion : tous les contes merveilleux appartiennent au
même type en ce qui concerne leur structure145(*).
Les personnages des contes, les « sphères
d'action », selon Propp, appartiennent aux sept catégories
suivantes :
- le héros ou le protagoniste
- le donateur
- l'auxiliaire
- le mandateur
- le faux-héros
- la qualité ou le personnage recherché
- l'agresseur ou le méchant.
« Pour résumer, le conte commence par la
description d'une situation initiale. (...) L'action est
déclenchée par une perturbation de l'ordre initial (...) Une
mission réparatrice est confiée au héros. Il part et
rencontre en chemin des obstacles et des auxiliaires qui peuvent être
humains, animaux voire inanimés. Il finit par accomplir sa mission et
revient à son point de départ pour annuler la dysphorie du
début, rétablir l'euphorie et être
récompensé. » (Roche et Taranger, 1999).
Les 31 fonctions de Propp
0 Situation initiale : image du bonheur
1ère fonction :
Eloignement : un des membres de la famille
s'éloigne de la maison
2ème fonction :
Interdiction : le héros se fait signifier une
interdiction
3ème fonction :
Transgression : l'interdiction est transgressée
4ème fonction :
Interrogation : l'agresseur apparaît et essaie
d'obtenir des renseignements
5ème fonction :
Information : L'agresseur reçoit des informations
sur sa victime
6ème fonction :
Tromperie : l'agresseur tente de tromper sa victime pour
s'emparer d'elle ou
de ses biens
7ème fonction :
Complicité : la victime se laisse tromper et aide ainsi
son ennemi malgré lui
8ème fonction :
Méfait : l'agresseur nuit à l'un des
membres de la famille
ou
8e fonction :
Manque : l'un des membres de la famille a envie
de quelque chose
9me fonction :
Médiation : on s'adresse au héros pour
qu'il intervienne
10ème fonction :
Décision : le héros décide d'agir
11ème fonction :
Départ : le héros quitte la maison
12ème fonction : Première
fonction du donateur : le héros subit une épreuve
qui le prépare à
recevoir un objet ou un auxiliaire magique
13ème fonction : Réaction
du héros : le héros réagit aux actions du
futur donateur
14ème fonction : Réception
de l'objet magique : le héros reçoit l'objet
magique
15ème fonction :
Déplacement du héros dans l'espace : le
héros est conduit où se trouve
l'objet de sa quête
16ème fonction :
Combat : le héros et l'agresseur s'affrontent
17ème fonction :
Marque : le héros reçoit une marque
18ème fonction :
Victoire : l'agresseur est vaincu
19ème fonction :
Réparation : le méfait est
réparé ou le manque initial comblé
20ème fonction :
Retour : le héros revient
21ème fonction :
Poursuite : le héros est poursuivi
22ème fonction :
Secours : le héros est secouru
23ème fonction : Arrivée
incognito : le héros arrive chez lui
24ème fonction :
Prétentions mensongères : un faux
héros se fait valoir
25ème fonction : Tâche
difficile : on propose au héros une tâche
difficile
26ème fonction : Tâche
accomplie : le héros accomplit la tâche
27ème fonction :
Reconnaissance : le faux héros est reconnu
28ème fonction :
Découverte : le faux héros est
démasqué
29ème fonction :
Transfiguration : le héros reçoit une
nouvelle apparence
30ème fonction :
Punition : le faux héros ou l'agresseur est
puni
31ème fonction :
Mariage : le héros se marie et monte sur le
trône...
Toutes ces fonctions peuvent avoir une résolution positive
ou négative : la victoire devient alors une défaite.
Selon Propp, les contes nouveaux ne sont en réalité
que des combinaisons ou des modifications de contes anciens, sachant que
l'auteur du conte n'a qu'une liberté limitée.
L'auteur du conte est libre de :
|
L'auteur du conte n'est pas libre de :
|
- choisir les fonctions qu'il souhaite et d'en omettre
- choisir les moyens par lesquels la fonction se
réalise
- choisir les personnages et leurs attributs
- s'exprimer dans la langue et dans le style de son choix
|
- modifier l'ordre des fonctions
- modifier les éléments dont les espèces
sont liées par une dépendance
- supprimer la situation initiale et le lien logique avec les
fonctions suivantes
|
Que penser de l'utilisation du modèle de Propp,
élaboré pour analyser les contes populaires russes, dans le
domaine du cinéma ?
Les avis sont de ce point de vue très partagés.
Aumont et Marie (1999, p.97) estiment qu'il est à peu près
impossible, notamment en raison de la trop grande rigidité des
sphères d'action (ou rôles des personnages) et de l'ordre des
fonctions, de l'utiliser dans un autre champ que les contes folkloriques
merveilleux et donc de s'appliquer à des fictions filmiques. Ils vont
jusqu'à regretter, pour leur part, « l'usage extensif, bien
au-delà des limites raisonnables, qui en a parfois été
fait (par des chercheurs anglophones). »
Opritescu (1997) est loin de partager ce point de vue.
Après de très nombreuses analyses filmiques, il est arrivé
au constat que dans la plupart des films se cachent des figures de
narrativité qui se répètent de façon identique
malgré la diversité extrême des récits, des pays,
des langues, des époques historiques, enfin des langages filmiques.
Il dit avoir découvert, par hasard, l'étude de
Propp et en avoir compris l'importance capitale pour tout art basé sur
la narration (littérature, dramaturgie, cinéma, opéra,
etc.). C'est la raison pour laquelle il conseille, dans son cours d'analyse
filmique, d'utiliser la grille des fonctions mythiques de Propp pour analyser
les films : «tout art narratif, dont fait partie le cinéma de
fiction, est régi, sous certaines conditions, par la même
structure monotypique que nous avons appelée matrice
mythique ».146(*)
A partir du modèle de Propp, que la plupart des auteurs
sur la rédaction des scénarios recommandent de connaître -
« dans la mesure où il permet de repérer des constantes
dans la diversité des situations concrètes »147(*) - d'autres
théoriciens, à partir des années soixante, ont
tenté d'élaborer des modèles et des schémas moins
rigides et donc plus utilisables.
Parmi les méthodes systématiques de lecture d'un
récit destinées à en faire apparaître un des sens
non immédiats, l'une des plus connues est l'analyse actancielle.
(Mucchielli, 1996, p.10)
B- L'analyse actancielle de Greimas
En tant que sémanticien, Algirdas-Julien Greimas148(*) s'est davantage
intéressé au problème de la signification qu'à
celui de la syntaxe fonctionnelle, c'est-à-dire à
l'enchaînement des différentes unités dans le récit
comme le firent, notamment, Roland Barthes et Claude Brémond.
L'analyse sémantique qu'il fait des récits
reprend le principe de Propp selon lequel le nombre des rôles, des
personnages, est limité.
Ce que Propp appelle les sphères d'action, il les
nomme les actants. Il ne retient que six actants, sachant que ces derniers
peuvent s'incarner dans des personnages, des animaux, des objets, etc. :
- le destinateur, celui qui confère la mission, celui
à cause de qui la situation s'est créée, le
responsable.
- le sujet : celui qui reçoit la mission et va
l'accomplir, le héros de l'action
- l'objet de la quête : la valeur que le héros
cherche, le but de son action
- le destinataire, celui qui doit bénéficier de
l'objet de la quête, celui qui profite de l'action, celui à qui
elle s'adresse ou pour qui elle a lieu
- l'adjuvant, celui qui aide le sujet-héros à
accomplir sa mission,
- l'opposant, celui qui tente de l'en empêcher, qui
crée des obstacles.
Il part également des 31 fonctions de Propp qu'il
restructure en 20, puis en 4 concepts : Contrat, Epreuve,
Déplacement, Communication.
Le but de la méthode est de décrire la structure
narrative en clarifiant les rapports entre les actants qui ont une fonction
dans le récit.
La méthode comporte trois étapes : le
repérage des séquences narratives, le repérage des actants
et leur parcours par séquence, l'analyse des transformations diverses
affectant les actants d'une séquence à l'autre. (Mucchielli,
1993, p.18-22)
- Le repérage des séquences narratives consiste
à diviser le récit en scénettes homogènes, à
définir les actants de ces scénettes, leurs rôles et leurs
relations que l'on visualise à l'aide d'un schéma.
DESTINATEUR OBJET DESTINATAIRE
ADJUVANT SUJET OPPOSANT
L'axe qui joint le Sujet à l'Objet est l'axe de la
quête, du désir, tandis que l'axe qui joint le Destinateur au
Destinataire est l'axe dit de la communication.
- Le repérage des actants selon les six
catégories (destinateur, sujet, objet, destinataire, adjuvant,
opposant) ; les qualifications des actants sont expressives des
motivations qui les animent, des craintes, des peurs, des pulsions, etc.
- L'analyse des transformations qui revient à mettre en
évidence et à étudier les transformations d'une
scène à l'autre. « On considère le parcours
narratif total et l'on examine les transformations d'état et de relation
qui affectent les actants d'un point de vue de leur vouloir-faire, savoir-faire
ou pouvoir-faire. » (Mucchielli, 1993, p.19).
Aumont et Marie citent l'un des rares exemples d'application de
ce modèle à une analyse de film, celle d'Alan Williams qui, en
1974, étudia Metropolis de Fritz Lang. « Il se heurta
très vite à l'obligation de considérer plusieurs
héros (plusieurs sujets) au fur et à mesure que sa description
progresse. Ainsi, le premier segment du film pose les ouvriers comme Sujet,
l'axe du désir - défini dans le film par leur condition
aliénée - les amenant à désirer comme Objet la
maîtrise de leur condition (= le pouvoir politique). Le second segment
institue Freder comme Sujet, et, lui révélant l'existence d'un
monde du travail ignoré de lui, situe comme Objet la connaissance de ce
monde ouvrier. (...) Plus tard encore, c'est Maria qui sera l'Objet d'un
désir amoureux de la part de Freder, etc. ».
Les modèles de Propp et de Greimas ont été
largement étudiés et repris depuis, notamment par Vanoye. Dans
son ouvrage Récit écrit, récit filmique (1979,
rééd.1989), ce dernier reprend les hypothèses de Vladimir
Propp et de Claude Bremond qui envisagent la structure d'une histoire comme
relativement indépendante des techniques qui la prennent en charge,
qu'il s'agisse d'un roman, d'un film ou d'une pièce de
théâtre.
Ces deux modèles, antérieurs aux années
soixante-dix, sont néanmoins peu utilisés dans le domaine
filmique, notamment en raison de leur rigidité et de leur lourdeur.
C- Le paradigme ternaire de Field
Les spécialistes de la rédaction des
scénarios leur préfèrent souvent des moyens de
structuration plus simples tels que le paradigme de Field selon lequel toute
histoire doit comprendre trois actes : l'exposition ou introduction, qui
s'achève sur un premier coup de théâtre
(plot-point) ; le développement ou noeud avec une
confrontation qui se termine sur un deuxième coup
théâtre ; et, enfin, le dénouement ou
conclusion149(*) (Chion,
1985, p.143-144).
« Pour Syd Field, un scénario comprend donc
trois actes : le début (beginning) ou exposition
(set-up), le milieu (middle) ou moment où se noue le
conflit (confrontation) et la fin (end) ou dénouement
(resolution) » (Roche et Taranger, 1999, p.28-29).
Ces trois actes sont séparés par deux charnières
dramatiques majeures (plots points ou turning points). Chacun
des trois actes est divisible en trois parties similaires pour constituer un
plan-gigogne.
Field150(*) va jusqu'à préciser les proportions
respectives auxquelles doit obéir tout bon scénario
structuré en trois actes : le premier acte doit occuper un quart de
la durée totale, le deuxième la moitié et le
troisième le quart restant (Chion, 1985, p.144).
Toutefois, cette structuration d'un scénario
n'est pas nouvelle ; elle reprend à son compte la structure en
trois actes des pièces de théâtre, des tragédies
grecques, etc. selon le modèle antique :
Exposition/Péripétie/Catastrophe ou
Exposition/Conflit/Résolution ou Dénouement.
Elle peut être également comparée
aux formules proposées par Gilles Deleuze (1983, p.197-220) qui
distingue deux formes de l'image-action, au cinéma : la grande
forme et la petite forme.
La grande forme, appelée aussi représentation
« est organique ou spiralique, a pour formule S-A-S' », de
la situation initiale S à la situation transformée S'grâce
à l'action A. « Dans l'ensemble, on peut dire que c'est comme
deux spirales inverses, dont l'une se rétrécit vers l'action et
l'autre s'élargit vers la nouvelle situation : une forme coquetier
ou sablier».
La petite forme va au contraire de l'action A à la
situation S vers une nouvelle action A' et a donc, pour formule, A-S-A'.
Le paradigme de Field est plus proche de la grande forme que de
la petite ; cette dernière étant assez rarement
respectée, y compris dans les films policiers (Philippe, 1999),
contrairement à ce que laisse entendre Deleuze151(*).
La forme dramaturgique classique est également reprise par
Seger (2000).
Linda Seger, l'une des plus célèbres consultantes
de scénarios de Hollywood152(*), préconise dans son ouvrage Faire d'un
bon scénario un scénario formidable153(*) de donner à un
scénario une structure forte qui va soutenir l'histoire.
« Cela signifie construire votre histoire d'une façon qui lui
donnera une forme, un point de focalisation, un rythme et une certaine
clarté ».
Le but recherché est clair : attirer l'attention du
spectateur et l'aider à comprendre l'histoire sans jamais que son
attention ne se relâche : « Vous devrez trouver des
façons d'aider les spectateurs à suivre votre histoire, et
à ne jamais relâcher leur attention. Vous devez travailler votre
histoire de façon dramatique ».
Elle conseille, comme Field, d'adopter une structure fondamentale
en trois actes : le début, le milieu et la fin : l'exposition
(the set-up), le développement (the developpment) et
la résolution (the resolution). Chacun des trois actes doit
être focalisé sur un élément distinct, les
transitions entre deux actes sont rendues possibles par une action ou un
événement appelé pivot (a turning pivot).
Schéma de la structure en trois
actes
(Selon Linda Seger, p.41)
Climax154(*)
1er Pivot 2ème
Pivot
Exposition Résolution
Acte Un Acte Deux
Acte Trois
Seger insiste sur l'importance des scènes
d'exposition. « Ces scènes sont censées donner tous les
renseignements cruciaux pour lancer l'histoire. Qui sont les personnages
principaux, quel est le sujet traité ? Où se situe
l'action ? S'agit-il d'une comédie ou d'un drame, d'une farce ou
d'une tragédie ? » (...) « Les scènes
d'exposition sont destinées à donner un indice sur la courbe
dramatique (spine) ou la direction de l'histoire. Elles permettent de
commencer à canaliser les situations vers une ligne narrative
cohérente. »
Ces scènes d'exposition sont également un
moyen d'aider le spectateur à s'orienter. « Il peut alors
apprécier le spectacle sans avoir à se poser des questions telles
que : De quoi s'agit-il ? Que font-ils ? Pourquoi le
font-ils ? » (p.42).
Le schéma ci-dessus montre bien que le paradigme
ternaire, en trois actes, est associé à une loi dite de
progression continue selon laquelle la tension dramatique doit aller en
croissant, jusqu'au climax, donc que « les événements
les plus frappants et surtout les émotions les plus fortes soient
prévus pour être donnés à la fin du film, au terme
d'une montée » (Chion, 1985, p.139).
Autrement dit, la progression dramatique doit monter
jusqu'à un point culminant, en émotion, en drame, en
intensité, quelle qu'en soit la nature (attendrissement, rire, peur,
surprise) appelé climax. Ce dernier doit être distingué des
autres temps forts ou peaks (pointes) qui sont des moments de forte
émotion, également, mais dont l'intensité une fois
amenée à un haut niveau, « plus haut
qu'immédiatement avant ou immédiatement après »
(Chion, 1985, p.141), redescend.
Le schéma de Seger illustre bien le modèle le plus
courant de la progression dramatique continue dans lequel le climax se
situe vers la fin du film au terme d'une montée. Et la
possibilité donnée aux scénaristes de placer après
le climax des scènes de résolution et de détente,
éventuellement pour que le spectateur retrouve ses esprits avant le
retour à la réalité physique du monde.
Il montre bien également qu'un récit a un
commencement et une fin, contrairement au monde réel. Et cela même
si à la fin d'un film, l'histoire peut être reprise et se
poursuivre soit par la volonté des cinéastes eux-mêmes qui
décident de réaliser une suite (généralement
d'ailleurs pour des raisons commerciales), soit dans l'imagination du
spectateur. « Que la fin soit suspensive ou cyclique ne change rien
à la nature du récit en tant qu'objet : tout livre a une
dernière page, tout film a un dernier plan, et ce n'est que dans
l'imagination du spectateur que les héros peuvent continuer à
vivre. » (Gaudreault, Jost, 2000, p.18)
Les modèles de Field et de Seger reprennent en
réalité des règles édictées par Aristote et,
ensuite, par la plupart des théoriciens de l'art dramatique, notamment,
comme nous venons de le voir, le paradigme ternaire mais aussi le
critère d'unité (de sujet, de forme, d'action et de ton)
qu'Aristote formula ainsi : « La tragédie
étant l'imitation d'une action pleine et entière, il faut que les
parties en soient assemblées de telle façon que si on transpose
ou retranche l'une d'elles, le tout en soit ébranlé ou
bouleversé ; car ce qui peut s'ajouter ou ne pas s'ajouter sans
conséquence appréciable ne fait pas partie du tout ».
Autrement dit, il est déconseillé aux auteurs de disperser
l'unité du scénario dans trop d'intrigues secondaires
(subplots) et dans trop de petits détails..
Cela ne doit pas occulter l'intérêt
d'utiliser, dans certains cas, des techniques narratives telles l'ellipse, le
plant, le hareng-saur et le Mac Guffin .
- L'ellipse consiste à omettre volontairement des
fragments de l'histoire, des personnages, des lieux, des espaces-temps, des
détails, etc. Des omissions que l'esprit du spectateur pourra ou ne
pourra pas compléter.
Le scénariste a, en utilisant l'ellipse,
généralement un des objectifs suivants : -
accélérer le rythme, - ménager une surprise au spectateur,
- éviter une répétition si le public sait
déjà ce qu'il va se passer, - « enfin, il peut s'agir
de paralipses parce que ce moment ou ce détail élidé est
la pièce capitale du puzzle que représente la construction du
film » (Chion, 1985, p.168).
Mais encore faut-il, comme le prône Aristote, pour
respecter le critère d'unité que ce que l'on retranche
n'enlève rien à l'unité du scénario et à sa
compréhension par le spectateur.
- Le plant est l'introduction dans l'action, à
un moment où cela semble sans intérêt, d'un personnage,
d'un détail, d'un fait, etc. qui sera plus tard utile à
l'intrigue : « un détail vestimentaire, la distance entre
deux lieux, la présence d'un personnage dans une scène de groupe,
le goût particulier d'un personnage pour tel type d'objet »
(Chion, 1985, p.172)155(*).
- Le hareng-saur ou hareng rouge (en anglais red
herring) qui est un moyen de détourner l'attention du spectateur et
surtout de le mettre sur une fausse piste, pour mieux le surprendre ensuite.
« Par exemple, un personnage d'allure suspecte qu'on introduit pour
capter l'attention et qui n'est finalement qu'un inoffensif passant, tandis
qu'un autre individu, à peine remarqué, se dispose à
intervenir » (Chion, 1985, p.176).
- Enfin, le Mac Guffin, terme inventé par Alfred
Hitchcock, qui est un moyen proche du hareng-saur mais davantage adapté
aux films à suspens puisqu'il consiste à tendre des pièges
narratifs grâce à des détails du récit afin
d'aiguiller le spectateur sur une fausse solution de l'intrigue.
Ces techniques de relance, de diversion,
d'accélération du rythme sont également adaptées
à la structure mythique utilisée par certains
scénaristes.
D- La structure mythique pour les scénaristes
La structure en trois actes n'est pas la seule recommandation de
Linda Seger pour écrire un bon scénario. « La plupart
des films qui ont eu le plus de succès sont fondés sur des
histoires universelles 156(*). Elles traitent de notre voyage existentiel. Nous
nous identifions aux héros parce qu'à une certaine époque
nous avons été héroïque (descriptif) ou parce que
nous aimerions pouvoir accomplir ce que le héros fait
(prescriptif). » (Seger, p.163)
Au-delà de la présence du mythe du héros,
Christopher Vogler157(*)
considère, pour sa part, que toutes les bonnes histoires contiennent
« des éléments structurels universels présents
dans les mythes, les contes de fées, les rêves et les
films », qu'il a appelé le Voyage du héros.
Il en est arrivé à cette conclusion en utilisant le
travail de Joseph Campbell158(*), spécialiste de la mythologie, afin
d'expliquer le succès de films tels que Star Wars (La
Guerre des Etoiles, George Lucas, 1977) et Close Encounters
(Rencontres du troisième type, Steven Spielberg, 1977). Il
écrit dans son ouvrage : « Les gens
retournaient voir ces films comme s'ils avaient recherché une sorte
d'expérience religieuse. Il m'apparut que ces films provoquaient ce
genre de réaction parce qu'ils reflétaient les modèles
universels que Campbell avaient trouvés dans les mythes. Ils
possédaient en eux quelque chose dont avait besoin le
public ». (Vogler, 2002, p.14)
A partir de ce constat, il fit du Voyage du
héros, une technique d'écriture de scénario dans
laquelle on retrouve la structure en trois actes, décomposés en
« scènes » qui ne peuvent que rappeler les fonctions
de Propp et de Greimas, et la description de sept types communs de personnages
ou de fonctions psychologiques très proches également des
«sphères d'action » de Propp mais également
inspirés des archétypes de Carl G. Jung.159(*)
Vogler propose une structure très proche de celle
de Campbell mais, sans doute, mieux adaptée à l'écriture
de scénario de film, écriture qui nécessite une grande
liberté créative160(*).
En outre, Vogler précise que le modèle
mythique qu'il propose peut être adapté : « j'ai
volontairement interprété le mythe du héros à ma
façon : tout narrateur adapte le modèle mythique à
ses fins et selon sa culture. C'est pourquoi le héros a mille
visages» (p.23).
Par ailleurs, il convient, selon lui, aussi bien aux
histoires dramatiques, aux comédies, qu'aux histoires d'amour, aux
récits d'aventure et d'actions contemporains. « Il suffit de
remplacer les personnages symboliques initiaux par leurs équivalents
modernes » (p.34).
De plus, il considère qu'il ne s'agit que d'un
canevas, laissant à l'auteur la possibilité d'y intégrer
des détails, des péripéties de son choix. Que cette
structure doit rester discrète : « l'ordre des
étapes n'est qu'une indication, certaines étapes peuvent
être supprimées, d'autres ajoutées » (p.33).
Néanmoins, en dépit des nombreuses
combinaisons possibles, l'histoire est toujours celle d'un voyage : le
héros quitte son environnement familier et souvent confortable, pour
s'aventurer dans un monde inconnu, étrange et plein de défis.
« Dans tout bon récit, le héros grandit et
évolue. Il passe continuellement du désarroi à l'espoir,
de la faiblesse à la force et de la folie à la sagesse».
Cette structure permet, selon lui, de placer les
spectateurs dans de bonnes conditions de compréhension et d'influence
émotionnelle :
- les spectateurs sont habitués à trouver les
étapes d'un tel voyage dans les livres d'aventures, les contes,
etc. ;
- les états d'âme du héros et leur
évolution « portent en eux une charge émotionnelle
assez forte pour accrocher l'auditoire et faire qu'une histoire vaut la peine
d'être regardée. » (p.23)
Structures mythiques selon Vogler et selon Campbell
Le guide du scénariste
ou le Voyage du héros
(selon Vogler)
|
Le héros au mille visages
(selon Campbell)
|
Acte I
Le monde ordinaire
L'appel de l'aventure
Le refus de l'appel
La rencontre avec le Mentor
Le passage du premier seuil
|
Départ, séparation
Le monde de tous les jours
L'appel de l'aventure
Le refus de l'appel
L'aide surnaturelle
Le passage du premier seuil
Le ventre de la baleine
|
Acte II
Epreuves, alliés et ennemis
L'approche du coeur de la caverne
L'épreuve suprême
La récompense
|
Descente, initiation, clairvoyance
La roue des épreuves
La rencontre avec la Déesse
La femme tentatrice
La réunion au Père
L'apothéose
Le don suprême
|
Acte III
Le chemin du retour
La résurrection
Le retour avec l'élixir
|
Retour
Le refus du retour
La fuite magique
Sauvetage de l'intérieur
Le passage du seuil au retour
Maître des deux mondes
Libre devant la vie
|
A la différence des structures de Field et de Seger, en
trois actes, séparés par deux charnières dramatiques
majeures (plots points ou turning points) ou pivots, la
structure du Voyage du héros comprend trois seuils, selon le principe
des « concepteurs de parcs d'attraction »161(*), qui, de plus, ne sont pas
tous situés entre deux actes (notamment les deux derniers seuils).
Les étapes du voyage du héros et les
trois seuils de Vogler
1- Le héros est présenté dans son
environnement familier : le Monde ordinaire
2- Il entend l'Appel de l'aventure pour
résoudre un problème, relever un défi, etc.
3- Il hésite, prend peur, refuse l'Appel
Mais
4- Il est encouragé par un Mentor, un
vieux sage, une bonne mère, etc.
5- Il consent, il s'implique dans l'aventure : Le
Passage du premier seuil. Le premier seuil, à la fin de
l'Acte I, est le tournant qui déclenche l'Acte II.
Où
6- Il rencontre des Epreuves, des Alliés et des
Ennemis
7- Il atteint le Coeur de la caverne : un
endroit particulièrement dangereux où l'objet de la quête
est caché. Il observe généralement une pause avant de
passer le deuxième seuil
8- Il subit l'Epreuve Suprême où il
est confronté à ses plus grandes peurs.
9- Il s'empare de la Récompense
après avoir survécu à l'épreuve
suprême, à la mort (fin de l'acte II)
10- Il est poursuivi sur le Chemin du Retour
vers le Monde Ordinaire (début de l'acte III)
11- Il passe le troisième seuil
et ressuscite, transformé par l'épreuve : La
Résurrection
12- Il revient dans le Monde ordinaire en
rapportant l'Elixir : le Retour avec l'Elixir, qui peut
être un trésor, une leçon du monde extraordinaire ou encore
un savoir, une expérience qui serviront le héros et sa
communauté.
___________________________________________________________________________
Comme dans les autres structures déjà
présentées, celles de Propp, de Greimas, de Field ou de Seger,
dans le Voyage du héros, le récit a un commencement et une fin.
Et, en cela, le récit s'oppose au « monde
réel » qui, selon Metz, n'a ni « commencement, ni
fin ». Cela ne signifie par pour autant qu'une suite soit interdite,
comme le montrent le succès de la saga légendaire de George Lucas
(La Guerre des étoiles, L'Empire contre-attaque et le Retour du
Jedi), celui de la trilogie mythique de Peter Jackson, Le Seigneur des
Anneaux, ou encore des Harry Potter162(*).
Comme Propp avec ses sphères d'action (sept) et Greimas
avec ses actants (six), Vogler définit un certain nombre de personnages
qui peuplent le paysage du récit. Il les appelle les archétypes
en référence aux archétypes de Jung.163(*)
Vogler conseille au narrateur d'utiliser « ces
personnages types, ces symboles et ces schémas relationnels universels
qui appartiennent à l'héritage commun de
l'humanité » pour donner de la force à son histoire.
Selon lui, bien qu'il existe un grand nombre d'archétypes,
« autant que de qualités et de défauts
humains », sept personnages sont les plus utiles :
- le Héros,
- le Mentor (vieux sage ou bonne mère),
- le Gardien du Seuil,
- le Messager,
- le Personnage protéiforme,
- L'Ombre,
- Le Trickster.
L'archétype du héros est associé à
l'idée d'épreuve, de difficulté vaincue, de
séparation et de retour triomphant.
Celui du Mentor, fréquent dans les rêves, les mythes
et les histoires, représente un personnage positif qui soutient le
héros par son aide et ses conseils.
Les Gardiens du Seuil sont les obstacles sur la route de
l'aventure.
Le Personnage Protéiforme est un personnage changeant,
à plusieurs visages dont la loyauté est douteuse.
L'Ombre est l'adversaire « de
qualité » du héros tandis que le Trickster est un
personnage incarnant la ruse et la dissimulation.
Pour chacun de ses archétypes, Vogler définit leurs
fonctions psychologiques et dramatiques, reconnaissant que « cette
réflexion me (lui) fut inspirée par le travail de Vladimir
Propp » (p.38) et part, du principe, que les personnages n'ont pas de
rôles rigides mais, au contraire, peuvent prendre différentes
formes.
Fonctions psychologiques et dramatiques des
archétypes de Vogler
Archétype de Vogler
|
Fonctions psychologiques
|
Fonctions
dramatiques
|
Différentes formes de personnages
|
Le Héros
|
Le « Moi », la recherche de son
identité et de sa personnalité
|
L'identification du spectateur au héros
|
- l'antihéros
- le héros sociable
- le héros solitaire
- le héros volontaire
- le héros réticent
|
Le Mentor
|
Le « Soi », les hautes aspirations
|
L'enseignement, l'initiation et le don. La conscience du
héros. Les hautes aspirations
|
- le héros déchu
- le comique
- le chaman
- etc.
|
Le Gardien du Seuil
|
Les névroses, les obstacles de la vie
|
Le test des capacités du héros
|
- gardes frontières
- sentinelles
- gardes du corps, etc.
|
Le Messager
|
L'appel du changement
|
La motivation, l'annonce du défi, de l'aventure à
venir.
|
- messager positif
- messager négatif
- messager neutre
|
Le Personnage protéiforme
|
L'énergie de l'animus (traits de la
virilité dans l'inconscient féminin) et de l'anima
(traits de la féminité dans l'inconscient masculin)
|
Le doute, le suspense, la confusion dans la tête du
héros
|
- La femme fatale
- Don Juan
- Personnage déguisé
|
L'Ombre
|
Le pouvoir des sentiments refoulés, les sentiments de
culpabilité, les traumatismes
|
La création de conflits, la menace suprême du
héros
|
Fonction ou masque que peut porter n'importe quel personnage
(humain ou non)
|
Le Trickster ou mauvais génie ou génie farceur
|
Le retour sur terre, la remise des ego surdimensionnés
à leur place
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Le soulagement comique
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Tout personnage qui utilise la farce pour arriver à ses
fins : serviteurs, etc.
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Plusieurs remarques peuvent être faites sur cette structure
mythique de Vogler.
Elle s'inspire à la fois des modèles de Propp et de
Greimas tant en matière de structure du récit qu'en
matière de personnages, de sphères d'action ou d'actants. Elle a
été élaborée à partir du travail de Joseph
Campbell qui, aux dires de Vogler, s'est appuyé sur les écrits de
Carl G. Jung notamment ceux sur les mythes.
En réalité, dans le Guide du
scénariste de Vogler, les emprunts à Jung sont
essentiellement terminologiques, et se manifestent notamment par une
utilisation, parfois abusive, de mots tels que
« archétypes », « moi »,
« soi », « animus » et
« anima » et, d'une façon évocatrice, en
désignant l'un de ses « archétypes » par
l'Ombre qui, pour Jung symbolise notre « autre
côté », notre « frère
obscur » du même sexe et qui, avec le moi, la persona,
l'âme, l'animus ou l'anima compose la psyché. 164(*)
L'analogie, quelque peu forcée, se prolonge entre le
Voyage du Héros et le processus d'individuation, le chemin du
développement de la personnalité (tel que le permet une analyse).
Ainsi, Vogler suggère que lors de la onzième étape de son
voyage, la Résurrection, le héros doit avoir
changé. Sa « personnalité doit refléter les
meilleurs côtés de l'ancienne, enrichie des leçons apprises
tout au long du chemin ». (p.171). Il conseille également de
placer le climax du scénario lors de cette étape, climax qui
« doit engendrer une sensation de catharsis165(*) ».
La catharsis qui soulage et purge est souvent recherchée
par le narrateur parce qu'elle provoque chez le héros et le public un
« élargissement de la conscience et une perception à un
degré supérieur » (p.176). Selon Vogler, la
catharsis déclenchée par des rires, une peur ou tout autre
expression physique des émotions est le climax logique de l'arc
transformationnel de tout héros. Or, le développement des
personnages est essentiel à une bonne histoire (Seger, 2000)166(*).
Pour éviter qu'un seul événement ne
fasse évoluer un personnage brutalement, ce qui est rare dans la vie, le
changement de la personnalité, dans le scénario, doit être
progressif, d'où l'idée de Vogler de mettre en parallèle
le modèle du Voyage du héros et l'arc transformationnel qu'il
appelle également arc du caractère.
Présenté de cette façon, l'arc
transformationnel pourrait apparaître comme un véritable chemin
jungien de développement de la personnalité.
A dire vrai, la description de l'arc transformationnel
que fait Vogler lui-même n'est qu'une suite d'étapes dans le
processus de résolution du problème posé au héros.
Il s'agit donc davantage de donner au personnage principal une trajectoire
ascensionnelle dans le récit plutôt qu'un véritable chemin
de développement de la personnalité.
On retrouve là, mais aussi dans la description que Vogler
fait de ses «archétypes », le classement des personnages
selon des critères narratologiques 167(*) : leur moment d'apparition dans le récit (au
début, à la fin, aux moments forts, etc.), leur fréquence
d'apparition, leurs lieux d'apparition (leur mobilité ou leur
présence qu'en un seul lieu), leurs modalités d'apparition (seul
ou accompagné, actif ou passif, avec une mission ou non, etc.), ainsi
que leur évolution dans le bon ou mauvais sens. Ainsi, Roche et Taranger
(1999, p.81) distingue « le personnage dont la trajectoire dans le
récit est ascensionnelle ou descendante, le personnage fort ou faible
narrativement parlant ».
Mise en parallèle des étapes de l'arc
transformationnel
et de celles du voyage du héros
ARC TRANSFORMATIONNEL VOYAGE
DU HEROS
1) Perception limitée du problème
2) Elargissement de la perception
3) Résistance au changement
4) Venir à bout de la résistance
5) Motivations pour le changement
6) Expérience du premier changement
7) Préparation au changement
8) Tentative de changement radical
9) Conséquences de la tentative (améliorations et
reculs)
10) Nouvelles motivations
11) Tentative finale pour le changement radical
12) Maîtrise finale du problème
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1) Monde ordinaire
2) Appel de l'aventure
3) Refus
4) Rencontre avec le mentor
5) Passage du seuil
6) Tests, Alliés et Ennemis
7) Approche du coeur de la caverne
8) Epreuve Suprême
9) Récompense (Prise de l'épée)
10) Chemin du Retour
11) Résurrection
12) Retour avec l'Elixir
|
Bien que largement repris et enseigné dans les
écoles de cinéma et dans les grands studios d'Hollywood, ce
modèle mythique est, pour son propre auteur, à utiliser avec
prudence : « Caveat, Scriptor ! (Ecrivain, fais
attention !) Le modèle du Voyage du Héros est un guide. Ce
n'est ni un livre de recettes, ni une formule mathématique qui va
s'appliquer à n'importe quelle histoire. Pour être efficace, une
histoire n'a pas besoin d'obéir aveuglément aux principes de
cette école, ni de n'importe quelle autre école (...) Forcer une
histoire à se conformer à un modèle structurel, c'est
mettre la charrue avant les boeufs ».
Cet avertissement et cet appel à la prudence nous les
retrouvons dans la plupart des ouvrages qui traitent sérieusement de la
rédaction des scénarios en mettant en garde contre
l'uniformisation plus motivée par des objectifs de profit que par une
ambition artistique.
« Le scénario se réfère, plus ou
moins explicitement, à des modèles (de contenus, de structures
narratives ou dramatiques). (...) Les manuels américains de
scénario appuient leurs prescriptions sur l'analyse des films finis qui
ont été des succès au box-office, beaucoup plus rarement
que les grands classiques ou les films-phares de l'histoire du
cinéma. Ce faisant, ils figent les modèles dans une morale
de profit » (Vanoye, 1995, p.14).
Aussi, Vanoye se pose-t-il la question de savoir si une
théorie du scénario est possible voire souhaitable ? Il
y répond en quelque sorte en reprenant une phrase de Jean-Claude
Carrière168(*) : « il existe des règles, mais
c'est pour les violer ».
Notre dernière remarque concernera le parcours
méthodologique qui a permis à Vogler d'élaborer son guide
du scénariste et de continuer à utiliser son modèle
mythique pour étudier les films169(*). Il suivit une démarche alliant à la
fois l'observation et la classification, l'expérience d'analyste et
celle de pédagogue, la passion pour la littérature et celle de
l'écriture. En outre, ce parcours illustre le lien étroit, que
nous avons plusieurs fois énoncé, entre l'analyse filmique,
notamment l'analyse de scénarios, et la rédaction d'un
scénario.
Parcours personnel suivi par Vogler
Dès l'enfance, sa PASSION
pour les contes de fées, les
Films d'aventure et la mythologie
Celtique
Son EXPERIENCE en tant qu'analyste
pour les studios d'Hollywood
Mise en évidence de traits communs Lecture des travaux
de
dans la plupart des récits, des scénarios
Charles Campbell
Rédaction d'un mémo pratique
d'analyse de films pour Walt Disney
Session d'analyse des histoires
à l'UCLA
Extension
Writers'Program
Utilisation de ce guide par les
Directeurs de
production, les
Scénaristes, les directeurs des
Studios, etc.
Mutation du guide d'analyse
Méthode d'analyse filmique
en GUIDE DU
SCENARISTE.
toujours utilisée
Modèle de la structure
mythique.
E- L'apport de la psychanalyse à la narration
Dans les modèles que nous avons présentés se
distinguent deux grandes catégories, les modèles d'analyse
structurale « théoriques », difficilement
utilisables sur un corpus filmique et antérieurs à 1970 et les
modèles à vocation plus pratique, notamment d'écriture de
scénario qui, pour certains, principalement celui de Vogler, tentaient
une « récupération » des apports de la
psychanalyse.
Au delà de l'approche hollywoodienne et forcément
très pragmatique, avec pour objectif avoué le succès
commercial et la baisse des dépenses de développement, Aumont et
Marie (1999, p.105) ont constaté également, d'un point de vue
plus théorique, depuis une trentaine d'années, « un
déplacement important des études narratologiques » et
« l'apport de la psychanalyse dans ce
déplacement ».
Akoun (1976, p.124) note que les films dans lesquels la
psychanalyse est un élément important dans la rédaction du
scénario sont nombreux et, plus particulièrement, dans la
production américaine : « En général, ce
qui est présenté, c'est la conduite de la cure, mais dans une
simplification extraordinaire où seront retenus les trois temps
forts : le traumatisme originel, le temps du malheur où le patient
paie une dette symbolique qu'il ignore, enfin le face à face avec la
vérité qui permet au sujet de se libérer et de redevenir
maître de soi. »
Plus précisément :
- dans la première étape, le héros est
montré supportant les effets pathogènes d'un choc oublié,
généralement lié à un événement
réel et tragique vécu dans l'enfance.
- Dans une deuxième étape, celle de la
rédemption, sont présentées les péripéties
d'une enquête au cours de laquelle les indices s'accumulent, les
symboles deviennent plus interprétables. Au cours de cette recherche de
la solution, de ce secret qui est en lui, il est aidé par la force d'un
amour partagé.
- Lors de la troisième et dernière étape,
survient le dénouement, brutalement et spectaculairement, souvent
causé par un retour dans le passé grâce à la
découverte d'un document, d'un témoin, ou suite à une
séance d'hypnose, un sérum de vérité, etc. qui
permet au héros de revivre son passé oublié.
A ce premier emprunt structurel, il faut ajouter
« l'utilisation faite par le cinéaste de toute une
quincaillerie symbolique qu'il croit avoir emprunté à Freud (et
parfois c'est vrai). » (Akoun, p.127).
Rappelons également (voir chapitre 2) que l'une des
réflexions psychanalytiques sur le cinéma concerne le
fonctionnement imaginaire du cinéma-spectacle. Le dispositif
cinématographique favorise l'identification primaire à la
caméra. Lors de la projection, l'oeil du spectateur ne fait qu'un avec
l'objectif de la caméra au moment du tournage. Ainsi, lors des
variations d'angles de prises de vues, de mouvements de caméra, le
spectateur pense que c'est son oeil qui modifie l'image.
Le procédé de la caméra subjective a, en
quelque sorte, repris cette idée d'identification à la
caméra. Il consiste à placer la caméra à la place
occupée par un personnage de manière à ce que le
spectateur ait l'impression de percevoir ce que voit et entend le
personnage170(*). La
caméra subjective est utilisée dans de nombreux films mais, en
général, seulement dans quelques plans. Il existe toutefois deux
films construits de bout en bout en caméra subjective : La Dame
du lac (Robert Montgommery, 1947), le plus intéressant en
matière d'identification à la caméra171(*), et La Femme
défendue (Philippe Harel, 1998). Dans ces films, le spectateur ne
voit que ce que voit le personnage-narrateur, donc ne le voit pas sauf lorsque
ce dernier se regarde dans un miroir...
Toutefois, comme l'écrit Journot (2004, p.16) :
« On pourrait penser que ce procédé entraîne une
forte identification du spectateur dans la mesure où il redouble
l'identification primaire à la caméra (nous nous identifions
à l'oeil de la caméra, qui est aussi l'oeil d'un personnage),
mais il s'avère qu'il est difficile de s'identifier à quelqu'un
d'invisible et que l'identification ne peut vraiment avoir lieu ».
C'est donc à une autre approche narratologique, dite modale, que nous
ferons appel pour analyser les modes de narration et les relations entre le
film et le spectateur.
F- Les apports de la narratologie modale
La narratologie modale se distingue de la narratologie
thématique172(*)
qui ne tient pas compte de la façon dont le cinéma raconte
l'histoire, de l'importance des images, du fait que le film est
différent d'un texte écrit dans la mesure où il montre les
actions sans les dire (Gaudreault et Jost, 2000, p.39). C'est pourquoi, la
narratologie modale est venue compléter la narratologie
thématique à la suite des travaux de Gérard
Genette173(*) 174(*)
La narratologie modale s'occupe des formes d'expression par
lesquelles on raconte une histoire. Dans le domaine du cinéma, elle
prend toute son ampleur pour constituer ce que certains appellent la
narratologie du cinéma (Marie, 1990) et d'autres la sémiologie du
film narratif (Metz).
Dans cette perspective, les questions fondamentales qui se posent
sont, selon Gaudreault et Jost (2000, p.7-10) : «
- Comment le cinéma raconte-t-il une histoire ?
- Comment s'opère le passage d'une narration orale ou
écrite à une narration audiovisuelle ? Comment passe-t-on de
l'acte de raconter verbalement à celui de raconter en montrant ?
(...)
- Qui raconte le film ? Quel est le statut des images et des
sons dans un film narratif ?
- Qui voit les images du film ? »
Viennent s'y adjoindre les problématiques de
l'énonciation et de la focalisation (Genette175(*)) qui partent dans une large
mesure d'un constat : « le film est bien différent du
roman dans la mesure où il peut montrer les actions sans les
dire » (Gaudreault et Jost, 2000, p.39).
L'énonciation correspond aux moyens utilisés pour
dire un énoncé. Christian Metz fut l'un des premiers à
transposer ce concept linguistique d'énonciation au discours
filmique176(*). Selon
lui, on a une tendance presque naturelle, consciemment ou non,
« à placer en amont et en aval du film des instances
auxquelles on attribue plus ou moins explicitement une nature humaine ;
ces instances renvoient, d'une manière plus ou moins avouée,
à l'auteur et au spectateur » (Vanoye et
Goliot-Lété, 2001, p.33).
Il n'en reste pas moins vrai que l'énonciation, concept
linguistique, a fait l'objet d'un débat théorique contradictoire,
depuis quelques années, débat dans lequel nous n'entrerons pas -
certains chercheurs refusant l'idée même que la notion
d'énonciation puisse s'appliquer à autre chose qu'à la
parole et l'écriture, donc a fortiori à la production
d'images.
Bien que, dans le domaine du cinéma, il n'existe pas
d'instance narrative identifiable simplement à un sujet (Aumont et
Marie, 1999, p.106) et qu'il n'existe pas réellement, dans les films, de
marques linguistiques d'énonciation telles que les pronoms personnels
(je, tu, etc.), des pronoms et adjectifs possessifs, des adverbes de temps et
de lieu (ici et maintenant, etc.), nous retiendrons de cette approche qu'un
film est un discours fabriqué par quelqu'un pour quelqu'un et qu'il est
généralement le résultat d'une collaboration
(scénariste, réalisateur, monteur, etc.). C'est pourquoi,
l'instance d'énonciation désigne l'ensemble des personnes qui ont
participé à la fabrication du film. Elle correspond donc à
toute l'équipe du film, c'est-à-dire à ce que nous avons
appelé, par commodité, le cinéaste177(*).
Par ailleurs, la notion d'énonciation filmique - bien
sûr différente de l'énonciation linguistique en raison de
la matière même du film largement extralinguistique - permet de
retenir plusieurs idées « pratiques », que nous
avons pour certaines déjà relevées :
- la présence pour chaque film narratif d'une instance
d'énonciation, composée de l'ensemble des participants à
la création : scénariste, metteur en scène,
producteur, et autres métiers du cinéma, etc.
- l'existence d'une cible ou visée
d'énonciation : les spectateurs
- un film est composé d'éléments
extralinguistiques contrairement à un roman, par exemple,
entièrement verbal.
- Un film narratif est à la fois une histoire, ou
plutôt un récit (narratologie thématique), et des formes
d'expression (narratologie modale) qui font sa matérialité :
images, mots parlés ou écrits, bruits, musiques, etc.
Nous pouvons, dès lors, compléter le schéma
du processus de co-construction de l'histoire, dont nous avions commencé
l'ébauche à partir de la distinction faite entre une histoire et
un récit (Bordwell et Thompson) :
Construction narrative thématique par le
scénariste
Une histoire
Le récit du
scénariste
Construction narrative modale, oeuvre collective de
l'ensemble des participants
à la création ou instance
d'énonciation, utilisant de nombreuses formes d'expression
majoritairement extralinguistiques
Un récit filmique
L'histoire
thématique et modal
construite par le
spectateur
Construction par le
spectateur, visée d'énonciation
Dans la plupart des films, l'instance d'énonciation
n'apparaît pas dans le film qu'elle a fabriqué. Il existe,
toutefois, des procédés qui lui permettent de se montrer ou de
faire sentir sa présence178(*). Les plus connus, les regards-caméra
consistent à faire commenter le film par le réalisateur, au
début, au cours ou à la fin du film, comme le fait souvent Alfred
Hitchcock ou à demander à l'un des personnages d'interpeller les
spectateurs comme Jean-Paul Belmondo le fait dans A bout de souffle
(Godard, 1959) lorsqu'il leur demande ce qu'ils aiment dans le film...
En conclusion de ce chapitre, nous pouvons affirmer que
l'organisation narrative d'un film ne suffit pas à conclure en la
similitude entre un film et un roman ; et cela malgré la phrase
célèbre de Griffith : « Dickens écrivait de
la façon dont je procède actuellement ; cette histoire est
en images, et c'est la seule différence ». Griffith
s'inscrivait alors dans une tradition commune à tous les montreurs
d'histoires mais le fait que l'histoire soit en images est une
différence fondamentale (Ropars-Wuilleumier, 1970, pp.12-13). Par
ailleurs, l'analyse narratologique ne concerne qu'une forme filmique, la forme
narrative. Or, il existe d'autres formes de film, d'autres systèmes
généraux de rapports entre les parties d'un film.
Les différentes formes filmiques
(d'après Bordwell et Thompson, 2000)
Forme narrative : type d'organisation
filmique où les parties sont en rapport les unes avec les autres
à travers une chaîne d'événements ayant des
relations causales et se déroulant dans un certain espace à un
certain moment.
|
Forme catégorielle : Type
d'organisation filmique où les parties sont consacrées à
des sous-ensembles distincts d'un même sujet principal. Par exemple, un
film présentant successivement chaque université
française.
|
Forme rhétorique : Type
d'organisation filmique où les parties produisent et appuient une
argumentation dans le but de convaincre le spectateur. Elle comprend
généralement une présentation de la situation, un
exposé des principaux problèmes et de leurs causes, une
présentation de différentes solutions, la démonstration de
l'efficacité de la solution choisie, enfin une conclusion
synthétisant l'ensemble ou un exposé des résultats de la
solution mise en oeuvre.
|
Forme abstraite : Type d'organisation
filmique où les parties sont en rapport les unes avec les autres par
répétition et variation de qualités visuelles comme la
forme, la couleur, le rythme et la direction des mouvements.
|
Forme associative : Type d'organisation
filmique où les parties sont juxtaposées pour suggérer des
ressemblances, des oppositions, des idées, des émotions ou des
qualités expressives
|
Pour les formes autres que narratives, ou pour des films qui
combinent plusieurs formes filmiques - par exemple, narrative et
catégorielle, catégorielle et rhétorique, ou abstraite et
associative, d'ailleurs pas forcément tout au long de leur durée
- d'autres types d'approche existent, notamment l'approche sémiologique
du cinéma.
Dans cette optique, dans la suite de ce travail, nous
étudierons successivement chacun des codes cinématographiques
(autres que celui de la narrativité, que nous venons d'étudier
dans le cadre de l'approche narratologique) en commençant par ceux de la
bande image. Nous avons, en effet, décidé de commencer notre
étude par la bande image, et cela pour trois raisons
essentielles :
- la bande image est la plus spécifique du langage
cinématographique puisque le langage radiophonique utilise
également la bande son,
- la bande image est considérée, par de nombreux
auteurs, comme celle qui produit le plus de sens, bien que comme nous le
verrons dans le chapitre consacré à la bande son, ce ne soit pas
toujours le cas.
- Probablement en raison de l'influence qu'on lui prête,
la bande image est également celle qui a fait l'objet du plus grand
nombre d'études et de recherches.
En plus de la distinction bande image / bande son, nous suivrons,
pour chacune de ces deux bandes, et dans la mesure du possible l'ordre du
classement codes spécifiques cinématographiques / codes non
spécifiques. Nous tenterons, cependant, de montrer leur
interdépendance en matière de production de sens. En ce qui
concerne le code du montage, nous avons conservé la place que lui avait
donnée Christian Metz en dépit du fait que ce code ne soit pas
vraiment spécifique au cinéma puisque présent dans
d'autres langages visuels comme la bande dessinée, le roman-photo, etc.
En conséquence, les deux chapitres suivants, le premier
consacré à la bande image et le deuxième à la bande
son, présenteront d'une part les codes spécifiques, d'autre part
les codes non spécifiques en suivant l'organisation suivante :
Ordre de traitement des codes
filmiques
|
Bande image
Chapitre 4
|
Bande son
Chapitre 5
|
a) Codes spécifiques, ou filmiques
cinématographiques
|
- Le code de variation d'échelle de plans
- Le code de la profondeur de champ
- Le code de la distance focale
- Le code des changements d'angle de prise de vues
- Le code des mouvements de caméra
- Le code du montage,
- etc.
|
- Le code de la relation images-sons
- Le code du synchronisme
|
b) Codes non spécifiques, ou filmiques non
cinématographiques
|
- Le code des couleurs
- Le code de la lumière et de l'éclairage
- Le code gestuel
- Le code des vêtements
- Le code des effets spéciaux
|
- Le code des voix et les paroles
- Le code des bruits
- Le code de la musique
|
Chapitre 5 : Les éléments et les
codes de la bande image
L'importance des images dans un film est reconnu depuis l'origine
du cinéma, y compris du public pour lequel un film est, avant tout et un
peu abusivement, une suite d'images qui défilent rapidement pour former
une histoire.
Le mot film lui-même, d'origine anglaise, signifie
« pellicule » et désigne, en premier lieu, la
pellicule photographique, en second lieu, la bande régulièrement
perforée recouverte d'émulsion photographique qui permet
d'enregistrer et de conserver des images.
Plus largement, le cinéma est souvent défini comme
un langage d'art utilisant l'image comme moyen d'expression. Ainsi, Jean Mitry
(2001, p30-31) a défini le cinéma « comme étant
une forme esthétique (tout comme la littérature), utilisant
l'image qui est (en elle-même et par elle-même) un moyen
d`expression dont la suite (c'est-à-dire l'organisation logique et
dialectique) est un langage. (...) Les images filmiques n'étant pas
employées, dans leur finalité expressive, comme une simple
reproduction photographique mais comme un moyen de transmettre des
idées, il s'agit bien d'un langage. Un langage dans lequel l'image joue
le rôle à la fois du verbe et du mot par sa symbolique, sa logique
et ses qualités de signe éventuel. »179(*)
Bien que souvent présenté comme la
juxtaposition de deux bandes, la bande image180(*) et la bande son, le film est avant tout
« le véhicule de l'image (Wyn, 1972). Historiquement, le film
a existé avant même l'invention des frères Warner, en 1928,
qui permit d'inscrire sur le film-pellicule d'Edison la piste sonore181(*) plus communément
appelée bande son. Comparé à la photographie avec laquelle
le lien de parenté est incontesté, le film
cinématographique est donc un support d'images dont la
particularité est d'être animées.
I- Image photographique et image
cinématographique
Il est important de distinguer l'image fixe de l'image
animée qu'est l'image filmique.
L'image animée, d'une durée minimale d'une seconde,
est induite par un défilement de 24 images fixes appelées
photogrammes. C'est à la persistance rétinienne que l'on doit
d'assembler par un souvenir visuel l'ensemble des gestes et mouvements
décomposés en photogrammes182(*) puis à l'effet Phi183(*), phénomène
psycho-physiologique, de les recomposer et de susciter l'illusion du mouvement
(Bessière, 2000, p.41).
Pour être précise, la comparaison entre l'image
photographique et l'image cinématographique doit être faite
à deux niveaux au moins : - le premier est celui de l'image
photographique présentée isolément par rapport à
une image cinématographique (composée en réalité de
plusieurs images fixes), - le deuxième est celui d'une image
photographique (en réalité plusieurs images fixes identiques)
insérée dans une série d'images animées.
Au premier de ces deux niveaux, la ligne de partage
entre cinéma et photographie a été tracée par
Roland Barthes184(*) : « D'un côté le
mouvement, le présent, la présence. De l'autre
l'immobilité, le passé, une certaine absence. D'un
côté le consentement à l'illusion, de l'autre une
quête d'hallucination. D'un côté une image qui fuit, mais
nous prend dans sa fuite ; de l'autre une image qui se donne toute, mais
dont le tout me dépossède. D'un côté un temps qui
double la vie, de l'autre un retournement du temps qui finit par buter sur la
mort. » (Bellour, Le spectateur pensif, 1984 in Bellour, 2002,
p.75).
Au deuxième niveau de comparaison, la question qui se
pose est de savoir ce qu'il arrive lorsque le spectateur de cinéma
rencontre la photographie au sein même d'un film qui associe des
images photographiques fixes et des images animées. Situation dans
laquelle nous allons placer les participants à nos interviews de groupe
(voir notre étude dans la deuxième partie). Selon Bellour (2002,
p.75-76), la photographie devient d'abord « un objet parmi
d'autres ; comme tout ce qui participe au film, la photo est prise dans
son défilement. Pourtant, la présence de la photo sur un
écran produit un trouble très particulier. Sans cesser de se
poursuivre à son rythme, le film paraît se figer, se suspendre,
créant chez le spectateur un recul qui va de pair avec un accroissement
de fascination. (...) Cet effet montre que le pouvoir de la photographie,
immense, se maintient dans une situation où elle n'est pas vraiment
elle-même... ».185(*) La présence de la photographie a comme effet
de décoller le spectateur de l'image, en partie par le supplément
de fascination qu'elle exerce. Aussi Bellour conclut-il que « la
photo a un privilège sur tous les effets grâce auxquels le
spectateur de cinéma, ce spectateur pressé, devient aussi un
spectateur pensif. » (Bellour, 2002, p.80).
II- La polysémie de l'image
De nombreux auteurs ont déclaré polysémique
l'image et ont tenté de faire croire que cette polysémie de
l'image était l'une des spécificités de la communication
par l'image.
L'idée de départ était simple : une
image fournissant un grand nombre (poly) d'informations (sémies)
visuelles, elle ne peut qu'avoir de multiples significations et, par voie de
conséquence, de multiples interprétations.
Une image est, en effet, polysémique. Son
énoncé iconique, le texte visuel étant complexes, non
résumables en un seul mot « mais au minimum par une
description (qui peut être infinie) ou un énoncé et parfois
même tout un discours » (Eco, 1992).186(*)
Cependant, la polysémie n'est pas la
spécificité de l'image. Même un simple mot peut avoir
plusieurs significations. Mitry (2001, p.69-70) fut l'un des premiers à
critiquer les conclusions de Barthes concernant la synonymie187(*) et la polysémie de
l'image. Pour Mitry, affirmer, comme Barthes le fait, la polysémie de
l'image est un truisme. « Un signifiant peut exprimer non seulement
plusieurs mais une quantité de signifiés puisque l'image ne prend
sa valeur de signe qu'à la faveur du contexte et des implications qu'il
suppose. Une même image (ou plus exactement la représentation
d'une même chose, d'un même objet, d'un même fait) peut
prendre autant de sens différents qu'il y a ou peut y avoir de contextes
différents au sein desquels elle pourrait être
introduite. »
A cette divergence, Martine Joly répond que le terme de
polysémie est utilisé à tort pour désigner quelque
chose d'autre, « quelque chose que tout le monde sent
confusément, une particularité propre (cette fois) à
l'image que Metz appelle l'absence de focalisation assertive : l'image
parle peu d'elle-même » (Joly, 1994, p.83). Ce manque
d'assertivité de l'image provoque l'hésitation
interprétative du spectateur. C'est donc cette hésitation que
l'on appelle la polysémie d'où la conclusion de Christian Metz,
maintenant fameuse :
« ce n'est pas l'image qui est polysémique,
mais le spectateur ».
Il n'en demeure pas moins vrai qu'il existe des
procédés utilisés par l'image pour focaliser, pour mettre
en relief (en focus) tel ou tel point d'un énoncé visuel
dont : la couleur, la composition, le cadrage, l'éclairage, le
choix des proportions, etc. Tous ces points seront, bien entendu,
étudier ultérieurement.
III- De l'image à une combinaison d'images
Toute image dans un film contribue à la production du
sens. «Toute image - même la plus quelconque - se trouve
déjà chargée d'un certain sens avant que n'intervienne la
plus élémentaire des combinaisons en vue d'une signification
éventuelle » (Mitry, 2001, p.65).
Mais il va de soi que le sens vient principalement des
implications logiques entre plusieurs images. « La signification
filmique ne dépend jamais - ou rarement - d'une image isolée mais
d'une relation entre les images.(...) L'image du cendrier ne signifie rien
d'autre que ce que signifie cet objet. Par implication, ce cendrier
« dans lequel les mégots s'empilent » en vient
à suggérer le temps qui s'écoule. Dans un autre contexte,
il pourrait signifier tout autre chose : l'énervement, l'attente ou
encore l'ennui (...) Deux signifiés peuvent donc avoir en commun le
même signe » (Mitry, 2001, p.66). La prise en compte de la
relation des images nous pousse à définir ce qu'est un plan.
Le plan, unité minimale traditionnelle du langage
filmique, est constitué par une série d'instantanés visant
une même action ou un même objet sous un même angle et dans
un même champ188(*). Le champ étant tout ce qui entre dans le
cadre de vision de l'objectif. Autrement dit, le champ est l'espace filmique
couvert par le système optique qu'une caméra est capable de
reproduire à l'écran. C'est la raison pour laquelle on dit,
communément, que l'on est dans le champ lorsqu'on est vu à
l'image, à l'écran.
Certains auteurs distinguent le cadre de l'image, le cadre de
l'écran, le cadre de la projection189(*). Mais, comme l'écrit Nicolas Opritescu (1997,
tome 1, p.36), « nous entrons dans un domaine bien théorique
où toutes les définitions sont
contestables ».190(*)
Nous avons vu qu'au tournage, un plan est tout ce qui est
filmé entre le moment où le cadreur déclenche sa
caméra et le moment où il l'arrête. Au montage, le
même plan n'est plus que le fragment qui reste après qu'on lui ait
retiré les morceaux du début et de la fin, qui servaient de
surfaces d'ancrage ou d'articulation avec le plan qui le précède
et celui qui lui succède.
Les huit composantes du plan
selon Vanoye et Goliot-Lété (2001, p.28)
1- La durée (du flash au plan
égalant la capacité du chargeur de la caméra)
2- L'angle de prise de vue (vue frontale/vue
latérale, plongée/contre-plongée)
3- Le mouvement de caméra (caméra
fixe/caméra en mouvement : travelling, panoramique, mouvement
à la grue, caméra portée, etc.) et le mouvement optique
(zoom, objectif fixe)
4- L'échelle de plan (place de la
caméra par rapport à l'objet filmé : plan
général, plan américain, gros plan, etc.)
5- Le cadrage (objectif choisi, organisation de
l'espace et des objets filmés dans le champ)
6- La profondeur de champ (partie de champ nette
et visible plus ou moins importante)
7- La situation du plan dans le montage, dans l'ensemble
du film (où ?, à quel moment ?, entre
quoi et quoi ?)
8- La définition de l'image (couleur/noir
et blanc, « grain » de la photo, éclairage, etc.)
Si l'on reprend l'origine historique du mot, le plan se
définit en fonction des personnages principaux divisant l'espace selon
des plans perpendiculaires à l'axe de la caméra.
IV- L'échelle de plan
L'échelle de plan, ou valeur de cadre, est définie
en fonction de la taille du personnage principal191(*) ou, comme le suggère
Wyn (1972), en rapport avec le décor.
Il existe plusieurs classifications192(*) et certaines montrent leur
limite « car la frontière est plus que floue entre un plan et
l'autre : où finit la ceinture, où commence le buste,
etc. ? » (Opritescu, p.39).
Par ailleurs, comme nous le constatons dans le tableau comparatif
que nous avons établi, le nombre de plans et leur dénomination
peuvent être différents selon les auteurs.
Nous avons retenu la classification
« classique » de Jean Mitry en 11 plans et celle de
Bessière, plus récente, en 9 plans193(*).
Dans ces deux classifications, des différences existent
pour un plan portant le même nom (par exemple, le plan américain,
le gros plan), des noms diffèrent pour des plans très proches en
matière de cadrage (par exemple : plan d'ensemble
rapproché/plan de demi-ensemble ou premier plan/plan rapproché
taille), des approximations sont fréquentes, etc.
Confusion pour confusion, Mitry (2001, p.94) fait lui-même
la constatation que le terme medium shot désigne le
plan américain « et non le plan moyen comme on le croit
généralement ».
Comparaison de deux classifications de plans par ordre
décroissant
Classification selon Mitry
|
Classification selon Bessière
|
1- Plan lointain (long shot) :
contient un grand ensemble éloigné de la caméra
|
1- Panorama : plan offrant un vaste
paysage
|
2- Plan général (ou de grand
ensemble) : comprend un ensemble plus rapproché que le
précédent mais dont le champ s'étend assez loin en
arrière-plan
|
|
3- Plan d'ensemble : de même nature
que le précédent mais dont l'espace est limité par le
décor : intérieur d'une gare, d'une pièce de vaste
dimension
|
2- Plan d'ensemble : plan offrant une vaste
portion de paysage naturel ou urbain, situant le personnage en contexte.
|
4- Plan d'ensemble rapproché :
semblable au précédent selon un champ plus restreint, les
personnages étant également plus proches et moins nombreux
|
3- Plan de demi-ensemble : on y voit une
portion significative du paysage ou contexte dans lequel se meut le
personnage
|
5- Plan moyen : envisage un ou plusieurs
personnages (les acteurs principaux) vus de la tête aux pieds à la
limite du cadre
|
4- Plan moyen : conventionnellement, le
personnage est visé en pied, le bord supérieur du cadre rasant la
tête, le bord inférieur ses pieds
|
6- Plan mi-moyen (ou plan
rapproché) : cadre les personnages à la hauteur des
genoux
|
|
7- Plan américain (ou medium
shot) : cadre au niveau de la ceinture194(*)
|
5- Plan américain : le personnage
est « coupé » à mi-cuisse voire au-dessous du
genou195(*)
|
8- Premier plan : cadre les personnages au
niveau du buste
|
6- Plan rapproché taille : le
personnage est coupé à la taille
|
|
7- Plan rapproché poitrine : le
personnage est coupé au niveau de la poitrine, cependant il est
coupé plus ou moins haut et, parfois, certains PRP confinent au gros
plan
|
9- Gros premier plan : deux visages sont
cadrés dans la même image
|
|
10- Gros plan (ou gros premier plan) :
cadre le visage depuis le haut des épaules.196(*)
|
8- Gros plan : conventionnellement, le
personnage est coupé sous le cou, mais il se peut qu'on voit un visage
coupé à mi-menton
|
11- Très gros plan : cadre une
partie seulement du visage, le reste débordant le champ.197(*)
|
9- Très gros plan : une partie du
visage (oeil, bouche, etc.) est visée à moins qu'il ne s'agisse
d'une insistance sur un objet.
|
Ce flou terminologique n'est pas sans conséquence. Il est
parfois source d'incompréhension entre le réalisateur et son
équipe : chef opérateur, directeur de la photographie, etc.
Par ailleurs, même en utilisant la même terminologie,
il est parfois difficile de définir un plan, notamment, lorsqu'il y
a plusieurs personnages dans le cadre et que le personnage qui nous
intéresse est le plus éloigné. C'est la raison pour
laquelle la notion de profondeur de champ est à prendre en
considération (voir plus loin). « Dans la pratique, on se rend
compte que parfois on a du mal à définir le plan, dès
qu'il y a plusieurs personnages dans le cadre : un personnage secondaire
se trouve plus près de la caméra alors que le personnage qui nous
intéresse est plus éloigné (...) Toujours dans la
pratique, on se rend compte qu'une personne filmée plusieurs fois dans
un plan identique (en matière de distance) mais avec des objectifs
différents se trouve dans une relation très différente
avec le paysage environnant selon l'objectif utilisé »
(Opritescu, 1997, tome 1, p.37-38).
Partant du même constat, Mitry écrit
également : « Lorsque dans une même image, on voit
à l'extrême droite un visage en gros plan et que, dans le reste du
cadre, on aperçoit en plan moyen deux ou trois personnages agissant
d'une certaine façon, d'autres en plan d'ensemble et, à
l'arrière-plan, quelqu'un entrant dans la pièce, il paraît
très difficile de définir ce plan selon les normes
établies. Comment le désignera-t-on ? Plan
général, ensemble rapproché ou quoi ? ».
Il conclut que « la désignation classique est donc à
peu près caduque » tout en reconnaissant malgré tout
que « le terme de plan n'en garde pas moins sa signification totale.
On peut dire, en effet, que le plan envisage une action menée dans un
même cadre et comprenant un champ unique non
différencié ». (Mitry, 2001, p.99)
A- Le choix de l'échelle de plan et les effets
recherchés
Le choix d'une valeur de cadre plutôt qu'une autre n'est
pas indifférent. C'est principalement le cas pour le gros plan et
très gros plan.
Le gros plan a été encensé par le
cinéma d'art des années vingt, qui en a fait un véritable
culte, comme l'a expliqué Pascal Bonitzer198(*), cité par Jacques
Aumont (1998, p.21) : « Le gros plan modifie le drame par
l'impression de proximité. La douleur est à la portée de
main. Si j'étends le bras, je te touche, intimité. Je compte les
cils de cette souffrance. Je pourrais avoir le goût de ses
larmes »199(*). Comparant la précision visuelle et
l'émotion produite par un spectacle cinématographique à
celles du théâtre, Louis Lumière déclarait, encore
en 1935200(*),
« au théâtre, à part les spectateurs des premiers
rangs, personne ne peut saisir les jeux de physionomie des acteurs qui, autant
que le dialogue peut émouvoir. Un gros plan bien
cinématographié frappera l'imagination autant que le
texte ». David Wark Griffith201(*) comme Louis Lumière considérait le
gros plan comme un procédé spécifique au
cinéma : « Il y a une quantité de choses qu'on ne
peut pas faire sur scène (au théâtre) et qu'on peut faire
à l'écran. Pourquoi ne pas approcher la caméra de
l'action, pour montrer son visage de près ? Cela refléterait
des émotions, cela lui donnerait une chance d'exprimer ce qu'il
ressent. »
Le gros plan, en plus de l'effet de loupe (dit parfois de
« gullivérisation » ou de
« lilliputisation ») qui transforme un objet insignifiant
en un monstre ou en un monument, transforme le sens de la distance, amenant le
spectateur à une proximité psychique, à une
« intimité » (Aumont, 2003, p.203).
Deleuze et Epstein partagent cette idée de
proximité affective et d'acuité visuelle maxima
générées par le gros plan. « L'image-affection,
c'est le gros plan, et le gros plan, c'est le visage...Eisenstein
suggérait que le gros plan n'est pas seulement un type d'image parmi les
autres, mais donnait une lecture affective de tout le film »
(Deleuze, 1983, p125). C'est ce que Epstein suggère
également en écrivant : « ce visage d'un
lâche en train de fuir, dès que nous le voyons en gros plan, nous
voyons la lâcheté en personne,
le « sentiment-chose », l'entité »
(Epstein, Ecrits sur le cinéma, tome I, Seghers, 1974, pp.146-147).
Le gros plan matérialise également la
métaphore du toucher visuel. Il modifie donc, selon certains, plus que
toute échelle de plan, le rapport que le spectateur va établir
entre son propre espace et l'espace plastique de l'image, le rapport «de
proximité, de possession, voire de fétichisation »
(Aumont, 2003, p.105). Tout cela explique qu'il fut, dès l'époque
du cinéma muet, l'objet des plus nombreuses réflexions
théoriques (Epstein, Eisenstein, Balazs, etc.).
Ainsi, Louis Lumière202(*) estimait que « le cinématographe
n'a pris son essor qu'à partir du moment où l'on crée les
gros plans, c'est-à-dire à partir du moment où l'on a
permis au public de voir les acteurs, les vedettes, sous un angle beaucoup plus
grand que d'habitude, et de saisir sur leur physionomie des finesses
d'expression qu'on ne voit pas sous un angle trop petit. Je crois que c'est un
des éléments importants du succès du
cinématographe. »
Les effets recherchés par le
réalisateur
Type de plan
|
Effets recherchés les plus
fréquents
|
Plans lointain et général, Panorama
|
D'ordre descriptif, ils situent le lieu (extérieur) et
suggèrent le moment (jour/nuit) et l'ambiance (pluie)
|
Plan d'ensemble
|
D'ordre descriptif, il précise le lieu d'action
(intérieur/extérieur) et le décor.
|
Plan de demi-ensemble
|
Il situe les personnages dans une partie du décor.
|
Plan moyen
|
D'ordre narratif, il montre l'action, les occupations d'un ou de
plusieurs personnages
|
Plan américain et plan italien
|
A valeur dramatique, ils montrent un personnage en situation
d'action, de dialogue, de combat, de coopération ou de conflit
|
Plans rapprochés et premier plan
|
A valeur dramatique, ils montrent les mimiques, les gestes, les
réactions d'un personnage. Moins que l'action en tant que telle
(conversation, etc.), il s'agit de montrer la psychologie du personnage
|
Gros plan (ou pour un objet : plan de coupe ou insert)
|
D'ordre affectif et suggestif, il a une forte valeur dramatique
et psychologique et a une grande capacité de renseignement sur
l'état émotionnel du personnage ou sur les détails de
l'objet filmé qui ont une importance du point de vue dramatique.
|
Très gros plan ou plan serré
|
Il isole un détail du corps ou du visage du personnage
pour accroître l'effet dramatique ou créer un suspense, une
tension, etc.
|
Cette classification psycho-linguistique des cadrages fut
critiquée bien sûr, mais paradoxalement par peu d'auteurs ;
parmi lesquels nous trouvons Ropars-Wuilleumier : « Dire a
priori qu'un gros plan est pathétique (...) c'est rétablir
dans l'expression cinématographique, un code, d'ordre
sémiologique cette fois, où le cinéaste pourrait puiser
infailliblement des signes objectifs pour ses messages. Mais, il serait
aisé de trouver mille exemples d'un même procédé
recevant, suivant le contexte de chaque oeuvre, des valeurs fort
différentes » (Ropars-Wuilleumier, 1970, p.18).
Plutôt que d'entrer dans ce débat, ce qui nous
semble plus intéressant est de savoir si les échelles de plan
influencent le spectateur comme l'imaginent ceux qui les utilisent dans un
esprit codique. Autrement dit, la question est de savoir si les spectateurs
associent également des significations à ces différents
plans.
B- Les effets des échelles de plan sur les
spectateurs
L'association de significations aux différentes
échelles de plan dépend de nombreux facteurs tels que le
style, le genre, le medium de diffusion (cinéma ou
télévision), la mode, etc.
Martine Joly (1994, p.109) s'interroge, à juste titre, sur
l'adaptation de ces significations au médium utilisé. Un gros
plan à la télévision a-t-il la même signification
qu'un gros plan au cinéma ? Elle conclut rapidement que les
significations varient d'un medium à l'autre, d'une époque
à l'autre : un gros plan chez Eisenstein n'a pas la même
valeur qu'un gros plan chez Hitchcock ou dans le grand cinéma
hollywoodien.
Joly en arrive à des constats de bon sens :
« les plans moyens ou larges insistent sur les relations entre un
individu et son environnement, tandis que plus on se rapproche des personnes,
plus on insiste sur leur personnalité ou leur caractère,
etc. » (Joly, 1994, p.109)
Un peu dans cette optique de simplification - car
considérant vraisemblablement que les échelles de plan sont trop
nombreuses pour être connues du spectateur normal - Opritescu (1997,
p.62) ramène la classification des plans en fonction de leur
échelle à « trois valeurs de plans principales qui
provoquent (selon lui) des perceptions différentes de la part des
spectateurs : premier plan, plan moyen, plan
éloigné »203(*). Il considère que cette hiérarchie
n'est pas seulement « une amplification ou une minoration, elle
modèle surtout le sens imprimé au regard ». Ainsi,
selon lui :
- quand l'objet apparaît très gros dans le plan, le
plan, à la manière d'une loupe grossissante, a une fonction
analytique ;
- quand l'objet, ou plutôt les objets sont filmés en
plan moyen, le plan met en valeur des liaisons et a, en conséquence, une
fonction relationnelle ;
- lorsque les objets sont aperçus au loin, le plan a
plutôt une fonction descriptive.
Il n'en demeure pas moins vrai qu'Opritescu, comme la plupart des
auteurs contemporains, reste prudent dans ses assertions.204(*) Le plan n'est, en effet,
qu'un élément parmi d'autres, pour donner du sens,
« une composante non neutre et déterminante du message
global » (Joly, 1994, p.115).
C- Règles à respecter ou limites à
franchir ?
Face à cette prudence, plus ou moins avouée,
l'attitude des réalisateurs est variable. Certains réalisateurs
dérogent à ces « règles » pour
affirmer leur style, pour induire en erreur le spectateur, pour assurer une
certaine ambiguïté de la signification, pour des raisons
esthétiques, etc.
Comme l'écrit Jean Mitry (2001,
p.71) : « il n'y a pas de codification symbolique au
cinéma, faute de quoi le film perdrait de son authenticité
vivante, sa puissance de réalité concrète ».
Ces règles ne sont en fait que des limites, des garde-fous
comme le suggère Roland Barthes : « La valeur
esthétique d'un film est fonction de la distance que l'auteur sait
introduire entre la forme du signe et son contenu, sans quitter les limites de
l'intelligible ».
Certains auteurs vont plus loin encore en
considérant qu'un plan ne génère peu, voire aucun sens.
Sur la (non-) signification des plans, Jean-Marie Roth
n'hésite pas à écrire :
« Contrairement à une légende qui,
à l'heure actuelle, fait malheureusement encore les beaux jours de
certaines écoles de cinéma, un plan ne veut rien dire.
Pareillement, il faut savoir qu'aucun d'eux ne peut être
considéré comme juste ou faux. Pourquoi au
128ème plan de tel ou tel film, tel ou tel réalisateur
a-t-il choisi de montrer son personnage en PA (plan américain) ?
Réponse : il fallait bien qu'il le filme, d'une façon ou
d'une autre ! Même la plongée (voir ci-dessous les angles de
prises de vues), par exemple, sensée prouver l'infériorité
d'un personnage, peut être employée à contre
sens » (Roth, 1999, p.145). Cela ne l'empêche pas de
reconnaître que des erreurs soient possibles en matière
esthétique, notamment dans le montage de plans successifs qui peut
entraîner des sauts désagréables, par exemple, de
« flash ». Il fait donc, sans le dire explicitement,
référence à un autre code de la bande image, celui du
montage.
C'est la raison pour laquelle nous présenterons les
incidences reconnues et « enseignées », à
tort ou à raison, des autres codes spécifiques au cinéma.
Nous avons vu que l'une des critiques les plus fréquentes
du code de l'échelle de plans était qu'il est parfois difficile
de définir un plan, notamment, lorsqu'il y a plusieurs personnages
dans le cadre et que le personnage qui nous intéresse est le plus
éloigné. Nous commencerons donc par l'étude de la
profondeur de champ.
V- La profondeur de champ et la distance focale
La profondeur de champ est la part de netteté de l'image
dans le sens de l'axe de l'objectif.205(*) Elle contribue à l'illusion de perspective.
Selon Georges Sadoul206(*), Louis Lumière fut le premier à se
rendre compte de l'intérêt dramatique de la profondeur de champ.
Il en usa notamment dans L'Arrivée d'un train à la gare de la
Ciotat qui fit hurler de panique les premiers spectateurs :
« Louis Lumière eut le mérite de comprendre
instinctivement toute l'importance de l'utilisation dramatique de la profondeur
de champ ».
La profondeur de l'image filmique est « analysable
à l'aide d'une pyramide imaginaire dont la base est formée par
les bords du cadre et le sommet constitué par le point de fuite
principal : le point où toutes les lignes vont se rejoindre dans un
au-delà, censé infini, de l'horizon supposé de
l'écran. La position des êtres et des objets, qui varient en
proportions par rapport à cet axe de fuite, produit un effet de
troisième dimension, dans une analogie avec la perspective perçue
par l'oeil lors de la vision du réel. » (Bessière,
2000, p 45-46)
Il est donc possible de trouver dans un même plan :
- au premier plan, les êtres/objets situés au plus
près de la caméra, donc à la base de la pyramide
imaginaire - de la sorte, ils paraissent plus larges et plus grands que ceux
placés au deuxième plan ;
- au deuxième plan, ou à la mi-plan, les
êtres/objets qui sont pris dans le resserrement de la pyramide semblent
de taille et de volume moyens ;
- au troisième plan, vers la pointe de la pyramide, les
êtres/objets paraissent petits et fins.
Toutefois, il ne faut pas confondre la profondeur de champ,
paramètre photographique, avec la profondeur de l'espace
représenté, qui est un paramètre de la mise en
scène (décors, éclairage, position des acteurs, etc.). Les
différents plans successifs d'un même plan peuvent être tous
nets. Mais, en revanche, le réalisateur peut opter pour une
netteté sélective, en choisissant de faire le point sur un seul
plan et de laisser les autres plus ou moins flous.
Comme l'expliquent Bordwell et Thompson (2000, p.270), avant
1940, il était courant à Hollywood de filmer les gros plans en
faisant le point sur les visages mais en laissant le premier plan et le fond
flous. « Le contraste entre la netteté du second plan (du
visage) et le flou du premier plan permettait d'attirer immédiatement
l'attention du spectateur ». Ce choix stylistique, bien que moins
fréquent, existe toujours dans des films plus récents.
En conséquence, la profondeur de champ n'est pas qu'un
résultat technique, c'est aussi, comme l'écrit Jullier (2000,
p.77-78) un outil de narration, notamment en terme de verticalité.
Une grande profondeur de champ permet de raconter plusieurs
choses en même temps dans l'axe de l'objectif. Une petite profondeur de
champ permet d'isoler des détails et par le biais d'une variation de la
mise au point, de signaler des relations, de faire de la direction
d'attention ».
A- Le choix de la distance focale et les effets
recherchés par le réalisateur
A la différence de l'oeil humain, l'objectif d'une
caméra peut être changé pour créer des effets de
perspective.
Pour contrôler la représentation de la perspective,
le réalisateur peut jouer sur la distance focale, distance
séparant le centre de l'objectif du point de convergence des rayons
lumineux sur la pellicule (appelé « foyer »).
Trois types principaux d'objectifs sont utilisés :
- L'objectif à courte focale. Pour une pellicule de format
standard 35 mm, un objectif dont la focale est inférieure à 35
mm est appelé « courte focale », parfois même
grand angle207(*).
L'objectif à courte focale a tendance à bomber vers
l'extérieur du cadre les lignes qui les bordent, notamment les arbres et
les bâtiments. Augmentant l'effet de profondeur, il montre les
personnages plus éloignés qu'ils ne le sont en
réalité. Lorsque ces derniers se déplacent vers la
caméra ou s'en éloignent, ils semblent le faire avec plus de
rapidité. Jean-Pierre Jeunet, par exemple, utilise beaucoup l'objectif
à courte focale : « J'adore l'idée de pouvoir
résumer une scène à un cadre, et que ce soit le graphisme
de ce cadre qui fasse naître la scène. C'est pour ces
raisons-là que je n'utilise quasiment que des objectifs à focale
courte. Je pourrais tourner tout un film en n'utilisant que le 18 et le 25 mm.
Dans Alien, j'ai beaucoup utilisé le 14 mm, pour rendre les
décors plus imposants. Utiliser le grand angle comme ça permet de
mieux composer l'image, d'un point de vue graphique. Mais en même temps,
ça demande une très grande rigueur dans les mouvements sinon
ça peut vite devenir ringard, dès qu'on bouge la
caméra. » (Jeunet, in Tirard, 2004, p. 53-54). Les
frères Coen sont également des partisans du grand angle mais pour
des raisons quelque peu différentes de Jeunet. Ils parlent même de
« tic », de dérogation à la grammaire de base
: «Le seul vrai tic que nous avons peut-être et qui a beaucoup
surpris notre nouveau directeur de la photo, c'est que nous aimons filmer au
grand angle. Pour nous, le 40 mm, c'est presque une focale longue. Et on
commence à s'intéresser aux objectifs à partir de 25 mm,
alors que la plupart des metteurs en scène considèrent
çà comme la limite extrême de la distorsion. ».
Leur goût pour le grand angle vient du fait qu'ils aiment «
les mouvements de caméra et que les grands angles les rendent plus
dynamiques. Et la raison pour laquelle la plupart des cinéastes
hésitent à les utiliser, c'est que cela n'est
généralement pas très flatteur pour les
acteurs ». (Joel et Ethan Coen, in Tirard, 2004, p.96)
- L'objectif à focale moyenne ou normale. La distance
focale est comprise entre 35 et 50 mm. Les distorsions sont réduites.
Les verticales et les horizontales sont droites et perpendiculaires. Les lignes
parallèles s'éloignent à l'infini comme le veulent les
lois oculaires de la perspective. Les déformations étant
réduites, certains acteurs préfèrent être
filmés avec des focales moyennes plutôt qu'avec des focales
courtes. Ainsi, John Boorman (in Tirard, 2004, p.67) insiste sur la confiance
nécessaire entre le réalisateur et les acteurs, confiance qui
résulte pour une bonne part du choix de la focale ; les acteurs
« ont besoin de savoir que vous contrôlez tout, sinon ils
perdent confiance. Et c'est seulement en ayant confiance en vous qu'ils
prendront des risques pour vous. Il est donc important de montrer que vous
n'allez pas les trahir. Une façon de les rassurer, par exemple, est de
ne jamais les filmer en gros plan avec une focale plus courte que le 50mm
(rires). » Une règle de courtoisie qui ne semble pas
être respectée par un certain nombre réalisateurs dont les
frères Coen.
- L'objectif à longue focale et le
téléobjectif208(*). Il déforme l'espace latéralement. La
profondeur et les volumes sont comprimés. Les personnages ont l'air
d'être proches les uns des autres, comme entassés. Cette focale
modifie également la représentation du mouvement. Aplatissant la
profondeur, elle laisse à penser que les personnages font du sur-place,
lorsqu'ils marchent dans l'axe de la caméra. John Boorman raconte que
Kurosawa « engageait un caméraman qui avait pour mission de
voler des images dans chaque scène, de façon discrète et
généralement avec une longue focale : des gros plans de
certains acteurs, des détails, etc. Et, pendant le montage, lorsque
Kurosawa se trouvait frustré de n'avoir pas assez de matière pour
une scène, il faisait développer ces plans pour voir s'il pouvait
les utiliser » (Boorman, in Tirard, 2004, p. 66). A l'inverse de la
courte focale, la longue focale peut être utilisée pour mettre
à l'aise un acteur qui ne supporte pas bien que la caméra soit
trop proche de lui. Ainsi, Claude Sautet avoua que « sur Les Choses de
la vie (1969), au début du tournage, être tombé sur un
acteur qui se bloquait dès que la caméra était trop proche
de lui. Il n'arrivait pas à jouer. La seule solution pour obtenir
quelque chose de lui, c'était d'éloigner la caméra, et de
le filmer avec de très longues focales. Effectivement, ça l'a
aidé à mieux jouer ». Certains réalisateurs, dont
Abbas Kiarostami, utilisent la longue focale lorsque l'acteur bouge beaucoup
(Ciment, 2003, p.690). Nous verrons par la suite que les distances focales
longues connotent le même genre de choses que le geste de zoomer :
voyeurisme, espionnage, paparazzi (Jullier, 2002).
En conséquence, « le choix de la focale a une
influence sur l'expérience du spectateur. Les distorsions d'objets ou de
personnages peuvent avoir des qualités expressives. »
(Bordwell et Thompson, 2000, p. 264-268).
Il est également possible, bien sûr, d'alterner les
longues et courtes focales pour donner une plus grande richesse visuelle :
« C'est un procédé dont le cinéma
américain de ces dernières années s'est beaucoup servi,
mais qui pour moi va à l'encontre de la notion de style visuel. Je l'ai
un peu fait dans Alien, parce que c'était une façon
d'entrer dans le jeu hollywoodien, mais sur des films comme Delicatessen
ou La Cité des enfants perdus, je me le suis toujours
interdit » (Jeunet, in Tirard, 2004, p.54).
Il est assez rare qu'un réalisateur s'extasie devant
l'objectif à focale moyenne, pourtant le moins déformant, donc
celui qui reproduit le mieux la réalité et qui, sans doute, est
le plus utilisé. Il est plus fréquent qu'il ait une
préférence forte pour le grand angle ou pour la longue focale. A
ce paradoxe, s'en ajoute un deuxième, en cas d'alternance d'objectifs,
aussi bien en matière de durée des plans à focales
différentes qu'en matière de disparité de focales.
Dans le premier cas, les réalisateurs utilisent
l'alternance pour donner du rythme. C'est le cas de Tim Burton qui
malgré sa préférence pour le grand angle et, plus
précisément, pour le 21 (sans doute l'héritage du dessin
animé et de ses débuts comme dessinateur chez
Disney) « utilise les très longues focales pour ponctuer
très brièvement certaines scènes, de la même
façon que l'on mettrait une virgule au milieu d'une phrase »
(Burton, in Titard, 2004, p.196).
Dans le deuxième cas, les réalisateurs visent le
contraste par des oppositions fortes de focales. John Woo justifie ce
choix : « je n'utilise que deux objectifs : le grand
angle et la très longue focale. Le premier parce que, quitte à
montrer quelque chose, autant le montrer de la façon la plus globale
possible et avec un maximum de détails. Le deuxième, parce que je
trouve qu'il permet une vraie « rencontre » avec le sujet
photographié. Vous filmez un visage d'acteur avec un 180, et vous avez
l'impression de l'avoir en face de vous. Il y a une présence qu'un
objectif plus court n'arrivera pas à vous donner. Bref, je n'aime que
les extrêmes. Tout ce qui est intermédiaire (donc l'objectif
à focale moyenne) est pour moi synonyme de compromis et ne vaut
rien ». (Woo, in Tirard, 2004, p.205).
B- Les effets d'une combinaison de la distance focale et de
la profondeur de champ
Le réalisateur peut combiner les deux variables de la
perspective que sont la distance focale et la profondeur de champ.
Jullier (2000, p. 77-78) cite des exemples de combinaisons
(Profondeur de champ et Distance focale209(*)) qui sont utilisés dans le but de connoter un
rapport particulier des personnages avec l'environnement qui les entoure :
« Une combinaison Distance focale courte et petite Profondeur de
champ aura pour effet optique de détacher les sujets des maisons qui les
entourent et connotera sans doute l'idée de libre arbitre (ces gens sont
libres d'opter pour le comportement de leur choix ; le décor n'y
est pour rien, d'ailleurs il est flou derrière eux). Une combinaison
Distance focale longue et grande profondeur de champ aura au contraire pour
effet de fondre les sujets dans le décor, de les plaquer à la
façon de ces silhouettes d'Hiroshima ; cela connotera
davantage l'idée que le comportement des sujets est le produit des
conditions de vie qui sont les leurs. »
VI- Le code des changements d'angle de prise de vues
L'angle de prises de vues est, comme le plan que nous avons
présenté, anthropocentrique autrement dit qui fait du personnage,
humain ou non, le centre de visée du cadreur.
Selon l'angle sous lequel la cible (homme, paysage ou autre) est
enregistrée par la caméra, on distinguera plusieurs angles de
prise de vues :
- l'angle plat : le réalisateur vise le personnage ou
un objet quelconque de manière frontale, rendant compte de la vision
d'un homme de hauteur moyenne que ce dernier soit de face, de profil ou de
dos.
- la plongée : la caméra surplombe le
personnage ou l'objet filmé
- La plongée zénithale : la caméra
surplombe le personnage comme le soleil au zénith
- la contre-plongée : la caméra est
placée au pied du personnage ou de l'objet filmé
L'angle de prise de vues est généralement choisi
par le réalisateur dans un but expressif. Comme l'écrit Mitry
(2001, p.95) : « les fortes incidences angulaires doivent
être justifiées par une nécessité quelconque de
caractère dramatique ou psychologique ».
Certains considèrent que l'angle plat est
« neutre », ce qui n'est pas tout à fait exact,
tandis que les autres angles de prise de vues donnent du sens.
La plongée donne un sens symbolique de rôle mineur,
de faiblesse, d'infériorité, d'écrasement psychologique,
de perte d'identité dans la foule, de peur, etc. Le sujet filmé
est dominé, amenuisé, écrasé.
La contre-plongée, au contraire, confère une valeur
de puissance, de domination , de mystère inquiétant,
d'élévation, de statut élevé, de majesté,
etc. Elle est utilisée pour les personnages comme pour les
décors, par exemple, pour « exagérer » la
hauteur d'un bâtiment.
Comme pour tous les autres codes spécifiques du
cinéma, le réalisateur pourra « reprendre les codes
stéréotypés de la plongée écrasante ou de la
contre-plongée magnifiante, ou encore les utiliser à
contre-emploi, tant il est vrai que, là comme ailleurs, les
règles sont floues et toujours
réinterprétables » (Joly, 1994, p.120).
L'inclinaison du plan (ou plan incliné) est,
parfois, utilisée pour montrer que « le monde
vacille » mais il l'a été également par
Eisenstein pour accentuer l'impression d'effort que fournissent des hommes
poussant un canon dans Octobre (ou dix jours qui
ébranlèrent le monde) (Eisenstein, 1928).
Par ailleurs, en plus du sens généré par
chacune des prises de vues, « la présence récurrente de
tel ou tel angle de prise de vues peut rendre compte du
« style » du film et le renvoyer à une école
particulière (...) La fréquence des plongées et
contre-plongées peut marquer la volonté (du réalisateur)
de retrouver les effets de déséquilibre de l'expressionnisme ou
les cadrages insolites de Eisenstein » (Bessière, 2000, p.45).
VII- Le code des mouvements de caméra210(*)
La mobilité du cadre est une caractéristique
spécifique au cinéma et à la vidéo. « Il
y a mobilité du cadre lorsque dans les limites de l'image, le cadrage
des objets change, lorsque la hauteur, l'angle de prise de vues ou la taille du
plan se modifient au sein d'un même plan » (Bordwell, Thompson,
2000, p.297).
Pour bien comprendre ce code spécifique au cinéma,
il est nécessaire :
- en premier lieu, d'opposer le plan fixe aux différents
types de mouvement de caméra,
- en deuxième lieu, de distinguer les mouvements de
caméra des mouvements des acteurs ou des objets animés à
l'intérieur d'un plan, même si la caméra les accompagne
dans leur mouvement.
Les mouvements à l'intérieur d'un plan
relèvent de l'énoncé (la fiction) tandis que les
(véritables) mouvements de caméra sont du domaine de
l'énonciation (le filmage).
Comme les plans et les angles de prise de vues, les mouvements de
caméra permettent d'imiter la vision humaine.
Le réalisateur a différents moyens de faire bouger
sa caméra :
- en la tenant à l'épaule, ce qui donne
généralement un mouvement haché pouvant évoquer,
dans certaines conditions, notamment avec un accompagnement sonore, une course
à pied, une course poursuite, un état émotionnel, une
grosse fatigue, un état d'ébriété ;
- sur un outillage spécifique tel qu'une grue211(*), une dolly (un
chariot sur lequel est fixée une petite grue), un pied, un
travelling (chariot sur rail ou sur roues), la steady
cam212(*) afin de
donner un mouvement coulé, sans à-coup, à vitesse
constante, qui a « comme effet principal l'oubli de la
présence de la caméra, ce qui permet le phénomène
psychologique bien connu de l'identification du spectateur aux
événements présentés à l'écran
(diégétiques) » (Opritescu, 1997, p.42).
Il est, toutefois, plus fréquent d'utiliser une
classification - fondée non pas sur le matériel utilisé
mais sur le type de mouvement volontairement effectué par le
réalisateur - qui distingue le panoramique, le travelling et le zoom.
A- Le panoramique
Il consiste à faire pivoter la caméra,
horizontalement ou verticalement, sur son axe, sans se déplacer. La
caméra peut, éventuellement, à l'extrême,
réaliser un cercle de 360°. C'est une figure rare mais parfois
utilisée pour donner une impression de danse, de tournoiement, de
vertige, etc. qui poussée trop loin peut devenir
désagréable provoquant chez le spectateur une sensation de
vertige physique.
Selon l'angle de déplacement du rayon visuel de la
caméra, sans la bouger de place, on distingue plusieurs
panoramiques :
- le panoramique horizontal : la caméra balaye, comme
un « mouvement de tête », de gauche à droite,
ou de droite à gauche, par exemple, un paysage
- le panoramique vertical : la caméra pivote de haut
en bas, ou de bas en haut ; par exemple, un acteur est montré
progressivement des pieds à la tête
- le panoramique oblique : la caméra suit un
cerf-volant ou la descente d'une luge
- le panorama brisé : la caméra suit une ligne
brisée pour mettre en valeur des éléments, par exemple du
paysage, pour attirer l'attention du spectateur sur des détails, par
exemple, du décor.
Dans le cadre de notre recherche, une autre classification nous
semble plus intéressante. Certains auteurs distinguent, en effet, les
panoramiques selon le résultat recherché par le
réalisateur :
- le panoramique d'exploration, en général lent,
montre tous les détails d'un paysage, d'un décor, etc. et a,
donc, surtout une fonction descriptive.
- le panoramique d'accompagnement qui a pour objet de suivre un
sujet en mouvement (acteur, véhicule, etc.) afin que le spectateur
concentre son attention sur lui.
- Le panoramique rapide qui permet de réunir deux sujets
sans coupure visuelle, par exemple, deux acteurs en train de discuter, de
combattre. Les panoramiques rapide et d'accompagnement ont donc, souvent, une
valeur dramatique.
B- Le travelling
Il désigne une prise de vues en mouvement :
- soit en plaçant la caméra « dans
un train en marche, une voiture en déplacement, un
téléférique, etc. La caméra reste fixe et se
déplace avec le mobile sur lequel elle est située. Ce genre de
travelling est aussi vieux que le cinéma lui-même »
(Mitry, 2001, p.95),
- soit en fixant la caméra sur une plateforme
montée sur rails ou sur roues caoutchoutées pour lui
éviter les chocs.
Certains réalisateurs utilisent pour ce chariotage de la
caméra des moyens divers, pour certains très rudimentaires. Eric
Rohmer utilise parfois une caméra sur un caddie. Jean Renoir
plaçait parfois sa caméra sur un coussin qu'il faisait glisser
sur une planche de bois cirée. De nombreux cinéastes ou
vidéastes utilisent un fauteuil pour personne handicapée, un
caddy de supermarché, une chaise de bureau à roulettes, un
triangle à roulettes, etc.
Le travelling peut être, en outre, latéral ou
avant/arrière selon le déplacement de la caméra.
- Le travelling latéral est un déplacement
vertical de la caméra (de haut en bas, à l'aide d'un
monte-charge, par exemple) ou horizontal (de gauche à droite213(*), dans un train, par
exemple), le rayon visuel de la caméra se déplaçant
parallèlement à l'objet filmé. L'effet recherché
par un travelling latéral peut être d'empêcher la perception
du déplacement des éléments dans le cadre, en les suivant
à la même vitesse. Il suffit d'accoupler le mouvement de
l'appareil à celui du moyen de locomotion, par exemple une diligence,
pour obtenir un travelling d'accompagnement parfaitement synchronisé.
Selon Odile Bächler (2001, p.240) : « Cet effet
suppose un tournage en extérieurs et la mobilité du camion, alors
que souvent aussi dans Stagecoach (La Chevauchée
fantastique), notamment, la diligence est tout simplement immobile, en
studio, et le paysage défilant « derrière »
est constitué par une transparence, partielle et non plein
cadre. »214(*)
- Le travelling avant/arrière permet, en prise de vue
continue, de passer d'un type de plan à un autre. Pour le travelling
avant, d'un plan général à un gros plan. Pour le
travelling arrière, d'un très gros plan à un plan
général, par exemple.
Le travelling permet, comme le panoramique, soit d'explorer
(fonction descriptive), soit d'accompagner un sujet (fonction dramatique). Il a
également un rôle esthétique certain.
« Par exemple, si vous passez du PM (plan moyen) d'un
personnage à son PA (plan américain), puis à son GP (gros
plan) sans passer par le truchement d'un TRAV AV (travelling d'arrière
en avant) vous n'obtenez rien d'autre qu'un désagréable et
inesthétique effet de saut, donc de flash » (Roth, 1999,
p.145).
Les mouvements de caméra, travelling et panoramique,
peuvent être conjugués pour créer un climat psychologique
de désorientation, de confusion, de malaise, de vertige, etc. Cependant,
l'expérience « artisanale » a montré qu'il
existe des limites que le réalisateur ne peut franchir qu'en toute
connaissance de causes, qu'en assumant pleinement la transgression à la
règle, qu'en espérant bâtir des oeuvres sur l'exception
à la règle, qu'en étant convaincu que la force du discours
filmique réside aussi dans les sensations physiques provoquées
chez le spectateur par les images :
- « la trop grande rapidité induit un effet
de stroboscopie qui fait mal aux yeux.
- Les changements de vitesse, sans justification dramaturgique,
à l'intérieur d'un même mouvement rendent sensible la
présence de la caméra et brisent le rêve.
- De même, à l'intérieur de la même
esthétique du coulé insensible, chaque mouvement de caméra
doit commencer et finir par un plan fixe » (Opritescu, 1997,
p.42).
L'usage du travelling ne fait pas l'unanimité chez les
réalisateurs ; certains considèrent que c'est un
phénomène de mode, une sorte de moyen de reconnaissance
professionnelle et que le travelling est de plus en plus utilisé sans
véritable intention de sens ; ainsi Jean-Luc Godard déclare
que : « Souvent j'en vois qui bougent la caméra et
je pense à la phrase de Cocteau : « Pourquoi faire
un travelling le long d'un cheval au galop, puisque, du coup, il a l'air
immobile ?. J'ai l'impression que les trois quarts des gens qui bougent la
caméra aujourd'hui le font parce qu'ils l'ont vue bouger ailleurs. (...)
Aujourd'hui, j'ai plutôt l'impression qu'on bouge la caméra
pour faire cinéma. Ils ne savent pas très bien pourquoi
ils cadrent ou pourquoi ils bougent comme ils font, et ça ne les
angoisse pas ». (Godard, in Tirard, 2004, p.217)
C- Le zoom
Ce n'est pas un véritable mouvement de caméra
puisque la caméra reste immobile. Elle ne pivote ni se déplace.
Il s'agit d'une variation d'échelle du plan par un mouvement de
l'objectif à focale variable permettant un grossissement ou un
éloignement.
Le zoom n'est pas un mouvement de caméra mais un mouvement
dans la caméra.
Toutefois, l'effet obtenu est proche d'un travelling dans l'axe,
avant ou arrière, ce qui vaut au zooming d'être parfois
appelé un pseudo-travelling ou travelling optique.
On distingue généralement le zoom avant qui a un
effet de grossissement et de rapprochement (comme un travelling avant) et le
zoom arrière qui a un effet d'élargissement et
d'éloignement (comme un travelling arrière).
Sans doute parce qu'il est très utilisé
par les vidéastes amateurs, le zoom est mal considéré,
méprisé et donc relativement peu utilisé par les
cinéastes, quoique les avis divergent de plus en plus à son sujet
et que l'on sent chez les réalisateurs une évolution favorable au
zoom.
Dans une interview qu'il a accordée à Laurent
Tirard (2004, p. 105-106), Win Wenders reconnaît :
« Longtemps, j'ai refusé de tourner quoi que ce soit avec un
zoom. C'était défendu. Le zoom était l'ennemi. J'avais une
théorie selon laquelle la caméra devait fonctionner comme l'oeil
humain, et donc, comme l'oeil ne peut pas zoomer et que pour voir plus
près, il faut se rapprocher, je préférais le travelling au
zoom. Et à ma grande horreur, Antonioni a presque tout filmé au
zoom (dans lequel j'étais assistant-réalisateur). Et j'ai parfois
été impressionné par le résultat. »
Bernardo Bertolucci215(*) a connu également un parcours
« initiatique »
similaire : « Aujourd'hui, je recommence à avoir des
rapports plus tranquilles avec le zoom. Et je m'en sers de façon
très simple, presque fonctionnelle. Mais pendant longtemps je l'ai
considéré comme un objet diabolique (rires) ».
La grammaire et ses interdits ont, sans conteste,
évolué en matière d'utilisation du zoom. Toutefois,
certains réalisateurs continuent de le considérer comme une
méthode de genre ou comme un outil dont il est préférable
de cacher l'emploi et dont il faut éviter l'usage excessif, sans
véritable justification. « Je n'ai rien contre le zoom, si ce
n'est que trop de réalisateurs ont tendance à l'utiliser à
outrance, et juste pour créer un effet. Mario Bava a inventé et
perfectionné cette méthode dans les années 60, mais
c'était dans un genre particulier - le film d'horreur gore - Et tous
ceux qui l'imitent depuis le font, je trouve, sans vraie justification. Autre
problème du zoom, il a une lentille mobile, ce qui rend l'image moins
nette qu'avec un objectif à focale fixe. Il m'arrive d'utiliser le zoom
(...) mais je m'arrange toujours pour le camoufler en l'associant à un
mouvement de caméra. » (Scorsese, in Tirard, 2004, p.23).
D'un point de vue technique, il faut distinguer le fait de zoomer
ou celui de dézoomer.
« On parle de zoom in (en français
zoomer) lorsque la distance focale s'allonge, et de zoom out
(dézoomer) lorsqu'elle raccourcit. (...) Le geste de zoomer connote
plus simplement l' amateurisme, puisque tous les caméscopes du monde
sont équipés d'un zoom. Cela dit, la quantité de
fictions télévisées et aussi de films qui utilisent
systématiquement le zoom est devenue telle que le geste perd peu
à peu cette image peu flatteuse. » (Jullier, 2002, p.74)
Il n'en reste pas moins vrai que le geste technique
génère des effets de différentes natures sur le
spectateur. Certains auteurs considèrent qu'il introduit une gêne
physiologique due au fait que l'oeil ne change pas de distance focale216(*) ; le zoom n'est donc
pas, en quelque sorte, naturel.
Toutefois, comme pour les autres éléments codiques
spécifiques au cinéma, un réalisateur peut parfaitement
utiliser cette gêne pour donner de la force à son discours
filmique. C'est le cas, selon Opritescu (1997, p.45) lorsqu'il utilise :
«
- le zoom « coup de poing », majorant par son
rapprochement extrêmement brutal (souligné parfois par un accent
musical) l'effet dramatique d'une situation (la reconnaissance soudaine d'une
personne qu'on croyait disparue, etc.).
- Le zoom imperceptible par sa lenteur extrême pendant un
long monologue d'un personnage, majorant l'effet dramatique des paroles par le
rapprochement insensible et constant d'un visage.
- Les zooms brouillés et rendus imperceptibles par de
violents mouvements à l'intérieur du cadre (exemple : le
zoom se serre sur un bateau d'époque se rapprochant pendant que les
rameurs lèvent en l'air les énormes rames). »
Le zoom imperceptible est utilisé pour créer une
sensation de malaise. Aucune étude n'a jamais démontré
son efficacité, comme le reconnaît implicitement Sydney Pollack
(in Tirard, 2004, p.43) : « Dans La Firme (1993), je
m'étais mis d'accord avec le directeur de la photo pour qu'aucun cadre
ne soit fixe. Et à chaque fois que l'on tournait un plan,
l'opérateur avait la main sur le zoom et avançait ou reculait
très très lentement le cadre. La plupart du temps, c'est
quasiment imperceptible à l'oeil. Il faut bien regarder les coins de
l'image pour s'apercevoir que le plan bouge. Mais je pense que ça
contribue pas mal à créer la sensation de malaise et
d'instabilité qui était nécessaire à cette
histoire ».
Par ailleurs, certains auteurs voient dans le zoom un moyen de
connotation. « Zoomer peut connoter l'inaccessibilité, le
héros se contentant de voir ce qu'il ne peut avoir » (Jullier,
2002, p.74). Un moyen proche qui peut être comparé, en plus du
travelling, à la distance focale. « Le geste de zoomer connote
parfois le même genre de choses que les distances focales longues :
voyeurisme, espionnage, paparazzi ...».217(*)
L'usage (ou non) du zoom, le choix de la distance focale, le plus
ou moins grand nombre de mouvements de caméra sont des décisions
qui, leurs effets se conjuguant, créeront un certain style. Il n'y a pas
de bonnes ou de mauvaises règles. Certains comme David Cronenberg se
refuse d'utiliser le zoom, qu'il considère comme « un gadget
optique », mais en revanche aime bouger la caméra, car le
changement de perspective projette le spectateur physiquement dans l'espace du
film. Il utilise peu d'objectifs. Son film Exitenz (1999) a
été tourné, presque entièrement, avec un objectif
à courte focale de 27 mm. Des choix qui sont siens et qui font son
style. « J'ai envie d'être simple et direct, à la
manière d'un Bresson et, en revanche, à l'opposé complet
d'un Brian De Palma, qui va constamment rechercher une plus grande manipulation
de l'image et une plus grande complexité de visuelle »
(Cronenberg, in Tirard, 2004, p.175). Et de conclure sainement :
« Je ne critique pas ce qu'il fait, je le comprends très bien
intellectuellement, mais c'est une autre approche ».
VIII- Les autres codes spécifiques de la
bande-image
Les mouvements de caméra, la distance focale comme la
plupart des choix que nous venons de décrire agissent principalement sur
les qualités spatiales de l'image. Mais, au cinéma, la dimension
temporelle est tout aussi importante.
Le cinéma est une technique d'enregistrement des
phénomènes spatiaux mais aussi du temps (Bazin, 1985). Les
mouvements de caméra en donnent quelques aperçus mais la
durée du plan sera, avec le montage et les raccords, un indicateur de
temps plus sûr. André Bazin n'a-t-il pas écrit que le
cinéma enregistre du temps réel ?
Poussée à l'extrême, cette conception
signifie qu'un plan durera le temps nécessaire à l'action
filmée, qu'aucune coupure, qu'aucune ellipse, qu'aucun
accéléré ne sont envisageables, ce qui est, bien entendu,
déraisonnable lorsque le récit couvre une période
dépassant la durée normale d'un film de fiction.
En réalité, il n'y a aucune nécessité
d'égalité entre la durée du plan et celle des
événements relatés. Les plans ont donc une durée
plus ou moins longue.
A- La durée du plan
Au cours de l'histoire du cinéma, la durée du plan
a fortement fluctué. « Les premiers films (1895-1905)
étaient souvent constitués d'un seul plan relativement long. Avec
l'émergence entre 1905 et 1916 de ce que l'on appellera plus loin le
montage par continuité les plans devinrent plus courts. A la fin des
années dix et au début des années 20, la durée
moyenne du plan était de cinq secondes, qui montèrent à
dix secondes après l'arrivée du parlant (...) Vers le milieu des
années 30, il y eut dans différents pays une tendance à
faire des plans plus longs, tendance qui se développa au cours des vingt
années suivantes » (Bordwell et Thompson, 2000, p. 317).
A la fin des années cinquante, Bazin contribua à
attirer l'attention sur les qualités du plan long, à une
époque où les théoriciens du cinéma en faisaient
une technique théâtrale, anti-cinématographique.
Un plan long laisse à penser que le réalisateur
veut souligner, mettre en valeur son contenu narratif et/ou non-narratif. Il
peut vouloir forcer le spectateur à voir et à
réfléchir à quelque chose d'important à ses yeux. A
contrario, un plan court est souvent utilisé pour le dynamisme, l'effet
de surprise voire l'effet « subliminal » qu'il
génère.
Le plan long est parfois préféré, pour
traiter une action, à une série de plans courts. On parle alors
de plan autonome et de plan-séquence, si toute une scène est
traitée en un seul plan long (Metz, 2003).
Toutefois, en matière de durée de plan, comme pour
la plupart des autres éléments filmiques, les avis sont
partagés. Il s'agit donc plus de préférences personnelles
que de règles ou de conventions.
Des réalisateurs comme Jean Renoir, Orson Welles, Roberto
Rossellini ou John Boorman préfèrent les plans longs, minimisant
l'interruption de la continuité naturelle de la durée,
chère à Bazin. Mais, « dans la plupart des films
actuels, une scène comme celle du cambriolage, dans The General
(Boorman, 1998), serait montée de façon nerveuse, avec une
succession rapide de plans. Moi, je préfère tourner peu de plans
et laisser l'action se dérouler. Le dynamisme vient de l'image
elle-même, pas de la façon dont elle est associée à
d'autres images » (Boorman, in Tirard, 2004, p. 64).
Un plan long ne signifie pas un plan statique, voire fixe; il est
souvent associé à des mouvements de caméra (voir le code
des mouvements de caméra, plus haut) qui permettent alors de
créer des effets comparables aux changements de plans produits par le
montage, mais souvent avec plus de fluidité et de réalisme.
Bordwell et Thompson citent Sirroco d'hiver (1969),
Agnus Dei (1971), Psaume rouge (1972) et d'autres films du
réalisateur hongrois Miklos Jancso qui ne sont composés que de
plans séquences. « Chaque plan devient une sous-partie du film
et les raccords peuvent acquérir une très grande force.
Après un plan de six ou sept minutes, un raccord elliptique peut, par
exemple, totalement désorienté le spectateur, comme on le voit
dans les films de Jancso » (Bordwell et Thompson, 2000, p.318). En
outre, certains réalisateurs emploient le plan long en alternance avec
des plans courts pour créer des parallèles et des oppositions
entre différentes scènes. André Bazin a noté que
Orson Welles avait alterné des plans longs avec dialogues et des plans
courts pour donner du rythme à son film Citizen Kane (Welles,
1941, oscar du meilleur scénario) qui, de plus, rompt avec les codes
narratifs traditionnels en brisant la linéarité alors en usage
au profit d'une structure éclatée et qui, esthétiquement,
joue sur les contrastes violents entre le noir et le blanc, l'ombre et la
lumière (Rapp et Lamy, 1999, p. 267).
En conclusion, le choix de la longueur des plans est tout aussi
important, en matière esthétique, narrative, stylistique, etc.
que d'autres choix auxquels il est lié, notamment à ceux des
mouvements de caméra, à celui de la taille du plan218(*) et à celui du mode de
montage.
Etant une affaire de style, toute règle relative à
la durée d'un plan est donc sujette à caution comme toutes celles
de la mise en scène, comme l'a dit Claude Sautet (in Tirard,
p.113) : « Existe-t-il vraiment des règles en
matière de mise en scène ? Je ne crois pas. Si on demandait
à trente réalisateurs de filmer la même scène, on
découvrirait probablement trente approches différentes. L'un
d'entre eux ferait tout en plan unique, un autre découperait ça
à l'extrême, un autre ne ferait que des gros plans, sur les
visages, etc. Tout est affaire de point de vue. Il n'y a pas de loi, et il ne
peut pas vraiment y en avoir ».
Il n'en demeure pas moins vrai que la plupart des auteurs et des
réalisateurs, dont Steven Spielberg (Bordwell et Thompson, 2000,
p.319-326), considèrent que le plan long est un moyen de donner plus de
liberté aux spectateurs tandis que le montage d'une succession de plans
courts rapides, comme celui d'Eisenstein ou celui de nombreux
réalisateurs de téléfilms et de programmes de
télévision, a tendance à vouloir imposer un certain
sens : « C'est un cinéma que j'ai surnommé
néo-brutalité. (...) Leur grammaire visuelle est celle
de MTV, où, en gros, tous les coups sont permis si l'on peut arriver
à un résultat excitant » (Boorman, in Tirard, 2004,
p.64).
B- La vitesse de défilement
Peu d'auteurs s'attardent sur les effets de la vitesse de
défilement des images sur le spectateur. Pourtant, le ralenti219(*) et
l'accéléré220(*) n'ont jamais cessé, depuis leur invention et
leur maîtrise technique, de contribuer à la production du sens.
1- Le ralenti
Dans Esprit de cinéma, Jean Epstein221(*) illustre au travers un
exemple l'importance esthétique et évocatrice du ralenti :
« Huis fois ralentie, étalée dans la durée, une
vague développe aussi une atmosphère d'envoûtement. La mer
change de forme et de substance. Entre l'eau et la glace, entre le liquide et
le solide, il se crée une matière nouvelle, un océan de
mouvements visqueux. » 222(*)
Cette idée d'une transformation de la matière et du
temps est reprise par Dominique Païni (2002, p.100-103), « le
ralenti détrompe l'oeil, trouble la vraisemblance transparente entre les
phases d'un mouvement. (...) Le ralenti est considéré
précocement comme une loupe temporelle qui grossit, dilate les
écarts temporels entre deux événements. »
Toutefois, dans l'histoire du cinéma et des ralentis,
Païni (2002) montre bien l'évolution de la place du ralenti de 1920
à nos jours.
Dès la fin des années vingt, les cinéastes
s'y intéressent. Certains comme Jean Vigo223(*) y trouvent l'expression de
leur mélancolie. D'autres comme Eisenstein y cherchent l'expression d'un
lyrisme grandiose. Dziga Vertov224(*) et Man Ray225(*) l'emploient pour dilater les mouvements fulgurants
et intensifier les gestes solennels.
Dans les années trente, le ralenti fut
délaissé au profit du réalisme excepté en Union
Soviétique où il est toujours considéré comme un
instrument lyrique et à forte puissance érotique.
Le ralenti fut également utilisé pour ses effets
sur la starisation. « Mauriz Stiller226(*) déclara un jour que
les gros plans de visage de Greta Garbo furent fréquemment filmés
au ralenti alors que c'était des plans-portraits ne comportant pas de
mouvements internes. Sans doute le ralenti produit-il ce miroitement singulier
des visages des stars. » (Païni, 2000, p.101)
Dans les années cinquante, le ralenti fut utilisé
comme figure de modernité, notamment pas Jean Cocteau, dans
Orphée (1950), un poème fantastique.
Dans les années soixante, le ralenti fit l'objet soit d'un
refus, soit d'usage excessif. « Pour les cinéastes de la
Nouvelle Vague, contemporains (...) de la pensée du réalisme
d'André Bazin forgée depuis le néoréalisme italien,
il n'est pas concevable de toucher à l'image cinématographique,
de la manipuler au sens propre et figuré ; celle-ci étant
considérée comme la surface sur laquelle le réel s'est
impressionné. ...En revanche, c'est l'arrêt sur image qui
paraît avoir remplacé le ralenti. ...Truffaut et Godard terminent
chacun leur premier film, Les quatre cents coups et A bout de
souffle, par un arrêt sur image, gelant le regard de leur acteur qui
affronte celui du spectateur. » (Païni, p.102)
Dans les années soixante-dix, selon Laurent Jullier (2002,
p.82), le ralenti a servi à dilater le temps des
événements violents, tueries, bagarres, accidents et explosions
diverses. « Censé transcrire cinématographiquement ce
qui est réellement ressenti devant quelque chose de violent (il
semblerait qu'on ait l'impression de percevoir davantage
d'événements à la fois sur un champ de bataille..), le
ralenti a rapidement servi surtout à
« esthétiser » la violence, à
chorégraphier la chute des corps. »
Dans les années quatre-vingt, les films publicitaires et
les clips musicaux utilisent beaucoup le ralenti d'où une certaine
contamination de toutes les images animées produites au cours de cette
décennie.
Au milieu des années quatre-vingt-dix, le cinéma
asiatique227(*) arrive
en Europe principalement avec des films empreints d'action violente, de
danse traditionnelle, et d'arts martiaux externes. Le ralenti est alors
utilisé pour mettre en valeur les prouesses des danseurs, acrobates et
autres karatékas. A la suite du succès international de son film
The Killer (1989), John Woo imposa son style et ses méthodes
dont celle qui consiste à tourner avec plusieurs caméras
(jusqu'à 15 pour des scènes d'action difficiles) et
« à faire tourner certaines caméras à des
vitesses différentes », sa vitesse
préférée étant de 512 images par seconde, soit un
ralentissement de 20 fois par rapport à la normale. Il explique la
raison de ces ralentis de la façon suivante : « lorsque
je découvre au montage un moment particulièrement fort, du point
de vue dramatique ou émotionnel, j'aime le faire durer le plus longtemps
possible » (Woo, in Tirard, 2004, p.205).
Selon Païni (2002,
p.103) : « Aujourd'hui, dans le cinéma de grande
consommation, le ralenti est un élément disruptif et fascine
autant qu'il dérange. (..) Il offre la possibilité de
monumentaliser temporellement des images cinématographiques...
Le ralenti défigure, altère la ressemblance, principe majeur d'un
cinéma industriel qui vise la limpidité narrative absolue. Ainsi
le ralenti offre-t-il une curieuse inversion : alors que l'on est en droit
d'attendre de lui un détail de l'action, au contraire, il
détourne l'action, il la chancelle, en imposant une plasticité
cinématographique des choses et des corps qui, dans la mise en
scène, émousse la primauté de la dramaturgie et les
anecdotes du récit. » Depuis l'époque de La Nouvelle
Vague, Godard a lui-même un regard moins critique à l'égard
du ralenti. Le ralenti n'est pas seulement une question de vitesse, c'est aussi
une sorte de prothèse du voir. Ralentir, c'est montrer les moments
décisifs, c'est surtout montrer mieux l'ensemble du processus, et pas
seulement les moments que l'on ralentit, c'est donc intervenir sur
l'événement montré pour en délivrer le sens. Selon
Godard, le ralenti est là pour guider la perception du spectateur sans
la contraindre (Aumont, 2002, p.45)
2- L'accéléré
Sans doute en raison des films saccadés par la vitesse des
premières années du cinéma,
l'accéléré a dû attendre plusieurs décennies
avant d'être repris au sérieux. « A cause de l'effet
comique - les conventions changent au fil des époques, et le fiacre
ultra-rapide de Nosferatu 228(*)faire rire aujourd'hui - l'accélération
connote maintenant d'autres choses, l'empressement un peu ridicule (la
goinfrerie du voleur de La Ricotta) ou l'étrangeté (le
feu dans la cheminée de Lost Highway) » (Jullier,
2002, p.82).
Depuis les années cinquante, dans les grands films
d'aventure et les westerns, les légères
accélérations sont fréquentes pour donner une impression
de vitesse, d'énergie et de dynamisme. Elles permettent également
d'accélérer au stade de la post-production des images prises
à une vitesse raisonnable lors du tournage pour ne pas mettre les
acteurs en danger.
Il est également parfois utilisé pour signifier le
temps qui passe. De nombreux réalisateurs ont utilisé un
accéléré sur des piétons dans une rue très
fréquentée, ou de voitures sur une voie à grand trafic, la
nuit, ou encore des aiguilles d'une horloge, etc.
Les tout premiers théoriciens, ceux de l'époque du
muet et du cinéma soviétique, ont cherché à
inventer un discours cinématographique en exploitant toutes les
possibilités créatrices du montage et ont ainsi contribué
à l'élaboration de l'un des codes spécifiques de la bande
image. Un peu moins d'un siècle plus tard, le code du montage est
toujours jugé par la plupart des auteurs comme étant le plus
important.
VII- Le code du montage
Le montage est considéré par de nombreux auteurs
comme la phase la plus importante de la création d'un film. Il met en
valeur les points culminants du film, contribue à créer son
rythme et son style (Albèra, 1996).
Comme l'écrivait, en 1927, Boris Kazanski229(*), un formaliste russe,
« le cinéma est un art complexe, composite, auquel participe
diverses formes de création », et « au stade
ultime de la création, le cinéma est un art de la
composition ». Or, ajoutait-il « c'est le montage -
c'est-à-dire l'assemblage, selon un projet précis, dans des
cadres indispensables dans l'ordre dicté par le sujet - qui
réalise cette composition du film ».
Il en concluait comme la plupart des formalistes russes que
« le véritable créateur du film est, sans contredit, le
monteur, c'est-à-dire celui qui en réalise le dessein
dramaturgique ».
Aussi, pour reprendre la terminologie d'un autre formaliste
russe, Boris Eikhenbaum230(*), après s'être intéressé
à la « sémantique du cadre », aux
différents plans, à leur échelle, à leur
durée, aux effets qu'ils peuvent provoquer chez le spectateur,
allons-nous étudier « la sémantique du
montage » et nous intéresser à des unités de
plus grande dimension : la sous-séquence, la séquence, voire
seulement deux plans juxtaposés.
A- L'effet Koulechov
L'effet Koulechov, parfois appelé effet-K, est à ce
titre intéressant à connaître, même s'il a
été depuis parfois contesté. Cette expérimentation
de trois montages différents, nous la devons à Lev Koulechov,
l'un des premiers cinéastes soviétiques, qui fut également
l'un des premiers enseignants de cinéma, en 1919, à l'Ecole
d'Etat de la Cinématographie de Moscou.231(*)
Koulechov a juxtaposé deux plans : l'un d'un visage
totalement inexpressif d'un acteur, le fameux Mosjoukine, l'autre qu'il fit
varier, proposant ainsi 3 versions différentes :
- la première montrait une assiette de soupe,
- la deuxième, un cadavre,
- la troisième, une femme demi-nue.
Il projeta ces trois versions à des spectateurs. La
version N°1 (Plan du visage de Mosjoukine + assiette de soupe) signifie la
faim. A la vue de la version N°2 (Même plan de visage + cadavre),
les spectateurs lisèrent l'angoisse devant la mort. Enfin, à la
version N°3 (Même visage + femme demi-nue), les spectateurs
perçurent le désir sur le visage de Mosjoukine (pourtant toujours
aussi inexpressif). Quelle que soit la version, les spectateurs
interrogés trouvèrent que l'acteur avait parfaitement su exprimer
le sentiment : de faim pour la version 1, d'angoisse pour la version 2, de
désir pour la version 3.
Koulechov en conclura qu'une image plus une autre faisait bien,
non pas deux images, mais une troisième, une signification, issue des
deux « mères ». La confrontation de deux plans
naît une signification, « une idée qui ne fait partie
intégrante ni de l'un ni de l'autre de ces deux plans
considérés séparément » (Jurgenson et
Brunet, 2002, p.14).
Cette expérience, depuis considérée par
certains comme une véritable doctrine, relativise l'influence des
acteurs.
On peut la rapprocher de la théorie du ciné-oeil de
Vertov : « Je suis le ciné-oeil, à l'un je
prends les mains les plus fortes et les plus agiles, à un autre les
jambes les plus sveltes et les plus rapides, à un troisième la
tête la plus belle et la plus expressive, et avec le montage je
crée un homme nouveau, parfait ».232(*) Toutefois, alors que Vertov
montre ainsi les possibilités d'améliorer le physique d'un acteur
grâce au montage233(*), Koulechov prouve qu'un acteur n'a pas à
être expressif, puisque le montage communiquera le sens souhaité
par le réalisateur.
Ce n'est donc pas un hasard si cet effet Koulechov fut repris,
à différentes reprises, par Alfred Hitchcock :
« nous prenons un gros plan de James Stewart. Il regarde par la
fenêtre et il voit un petit chien que l'on descend dans la cour par un
panier ; on revient à Stewart, il sourit. Maintenant, à la
place du petit chien qui descend dans le panier, on montre une fille à
poil qui se tortille devant sa fenêtre ouverte ; on replace le
même gros plan de Stewart souriant et, maintenant, c'est un vieux
salaud » (à propos de Fenêtre sur cour, 1954).
Paul Brion (2000, p.9) donne un autre exemple cité par
Hitchcock selon lequel « Le montage est déterminant.
Imaginez James Stewart regardant une mère en train de s'occuper de son
enfant. Vous voyez l'enfant puis vous enchaînez sur Stewart. Stewart est
alors un vieil homme doux. Enlevez le morceau du milieu et mettez à la
place une fille en bikini. Stewart devient alors un vieil homme
libidineux ».
Alfred Hitchcock adhérait, en effet, à une approche
minimaliste appelée « jeu négatif »,
fortement inspirée des théories d'Eisenstein, mais en totale
opposition à « La Méthode » (de l'Actor's
Studio). Ce jeu négatif « lui permettait de créer
l'émotion en alternant les gros plans d'un personnage et les
contre-champs de ce qu'il voyait - illustration de la célèbre
expérience de Koulechov, immortalisés par tant d'interviews
d'Hitchcock » (Krohn, 2000, p.9).
L'effet Koulechov est, bien sûr, amplifié dès
lors que le nombre de plans augmente, ce qui est généralement le
cas dans une séquence.
C'est pourquoi, certains théoriciens du cinéma ont
tendance à nommer « effet Koulechov » toute
série de plans qui, en l'absence de plan d'ensemble, conduit le
spectateur à inférer des relations spatiales et ainsi à
construire une entité spatiale à partir de fragments
filmés d'espaces (parfois sans rapport réel).
Bordwell et Thompson (2000, p.342) montrent que cet effet est
à l'origine de fortes illusions cinématographiques. Il peut faire
croire au spectateur en l'existence d'un lieu ou d'un décor unique.
« Je suis le ciné-oeil. Je suis un bâtisseur. Je t'ai
mis (...) dans la chambre la plus extraordinaire, qui n'existait pas avant cet
instant, et qui a été aussi créée par moi. Cette
chambre a douze murs, filmés par moi dans divers endroits du monde. En
rassemblant des plans de murs et de détails, j'ai réussi à
les disposer dans un ordre que tu aimes » (Vertov, in Bordwell et
Thompson, 2000, p.340-341).
Ce type de montage peut permettre de compenser des
difficultés de tournage, en collant des séquences tournées
à des moments et à des lieux différents. Ainsi, Jean-Luc
Godard234(*) cite
l'exemple de Wells : « Pour Mr Arkadin (Confidential
Report), qui lui a pris trois ou quatre ans, il a eu recours par
nécessité au montage lorsqu'il avait un plan tourné
à Berlin au printemps et le contrechamp en Espagne en
automne ».
L'effet Koulechov peut faire croire, en outre, en une action
impossible, un combat ou une course poursuite, par exemple. Dans La
Légence de Fong Sai-Yuk (1993), Corey Yuen utilise l'effet
Koulechov dans un montage rapide : un plan montre le haut du corps d'une
spécialiste des arts martiaux qui combat le personnage principal,
Fong Sai-Yuk; il est suivi par un autre plan montrant ses jambes et ses pieds
appuyés sur les épaules de personnes dans le public qui semblent
mécontentes. En fait, la femme était suspendue en l'air par un
dispositif hors-champ. Corey Yuen ne fournit que très peu de plans
montrant l'ensemble de la scène. (Bordwell et Thompson, 2000, p.342).
Nous retrouvons cette technique de tournage et de montage dans la
plupart des films d'arts martiaux de ces dernières années
notamment dans Tai Chi Master (Yuen Woo-Ping235(*), 1993) et Tigres et
Dragons (Ang Lee, 2000, Oscar du meilleur film étranger).
Le montage, avec ou sans effet Koulechov, va donc organiser les
plans, en unités de signification plus importantes : les
séquences, qui elles-mêmes seront associées dans un tout
fini appelé film.
Du point de vue du réalisateur, et selon sa conception du
montage, le montage peut avoir une fonction narrative plus ou moins
importante : « le changement de plan guide la
compréhension de la scène quitte à nous imposer le
sens (...) A l'inverse, le montage peut nous induire en erreur. Le
récit dysnarratif se charge précisément de démonter
cette fonction narrative (...) et de susciter notre incertitude par un montage
incompréhensible » (Journot, 2004, p.78-79).
Mais le montage n'est pas uniquement le fait du
réalisateur et du monteur. Comme l'écrivait Boris
Eikhenbaum236(*), en
1926, « Le spectateur ne se contente pas de regarder attentivement
chaque nouveau cadre pris séparément, il le confronte avec le
précédent et le suivant. Le sens de chaque cadre dépend en
grande partie de son lien avec ses voisins. (...) A charge pour le spectateur
de deviner ces sens (...) et pour le réalisateur de concevoir le montage
de façon à ce que ces rapports et les sens qu'ils engendrent
« passent ».
Le travail que réalise le spectateur pour relier les plans
et créer le sens, Eikhenbaum (1996, p.206), lui donne un nom :
« Le spectateur doit fournir au cinéma un travail intellectuel
complexe pour relier les différents cadres et deviner les nuances de
sens. C'est ce travail que j'appelle le discours intérieur du
spectateur ».237(*)
Cette idée a été reprise, bien plus tard,
dans la stratégie communicative selon laquelle il est nécessaire
que le spectateur construise à partir des éléments qu'il
repère dans le film une structure susceptible de conduire à une
signification (Odin, 1982, p.140) et, plus précisément en
matière de montage, par Odin (1990, p.191) qui écrit :
« Au point de départ de la réflexion, la reconnaissance
d'une intuition forte des usagers du cinéma (réalisateurs,
spectateurs, mais aussi critiques, esthéticiens,
théoriciens) : celle de l'existence dans les films d'un grand
niveau de structuration, celui de montage. Ce niveau correspond à
l'organisation des plans en unités de plus grandes dimensions,
unités, en général, globalement dénommées,
séquences : un film est un ensemble de
séquences ».
B- La séquence
La signification de la séquence, en tant que grande
unité narrative autonome, dépend de chaque plan qui la constitue
et de la relation entre les plans.
Quelle que soit la volonté du réalisateur, de
guider ou de tromper le spectateur dans son processus de construction de sens,
le travail de re-montage du spectateur est présent :
« Puisque le spectateur est un être humain
génétiquement programmé pour trouver du sens dans tout ce
qu'il perçoit de l'environnement (du sens, c'est-à-dire des
relations) ; faire suivre un plan A d'un plan B est immanquablement vu
comme une invitation à trouver ce qui les relie l'un à
l'autre » (Jullier, 2002, p.51).
La signification d'un plan dépend également,
au-delà de ce qu'il représente, de sa durée. Or, la
durée de chaque plan, comme leur organisation sont de la
responsabilité du monteur. C'est pourquoi, le montage - qui peut
être défini comme l'organisation des plans d'un film, de
différentes durées et selon un certain ordre - est
considéré par bon nombre d'auteurs comme l'élément
le plus spécifique du langage cinématographique.
Ainsi - bien que son importance ait varié au cours de
l'histoire du cinéma et que tous les films ne soient pas le
résultat d'un montage - il ne fait aucun doute que la qualité
d'un film repose en grande partie sur la qualité du montage (Jurgenson
et Brunet, 1990, p.13).
La plupart des films réalisés avant 1904 ne sont
composés que d'un seul plan. Pour des raisons techniques et/ou
économiques, certains films sont des assemblages de plans très
longs dont la durée correspond à celle d'une bobine, comme La
Corde (1948) d'Alfred Hitchcock qui ne comprend que 8 plans (bobines).
Certains films expérimentaux ou d'avant garde, notamment
Empire238(*)
(1964) d'Andy Warhol ou La Région centrale239(*) (1971) de Michael Snow
ou, plus récemment encore, L'Arche russe d'Alexandre
Sokurov240(*) (2002) se
limitent à un seul plan. Lorsque le film est composé d'un seul
plan ou d'un nombre très limité de plans longs, il est
généralement associé à des mouvements de
caméra (panoramiques, travelling, mouvements de grue et zooms) qui
permettent de faire varier les points de vue, autrement dit de créer des
effets comparables aux changements de vues produits par le montage, en
respectant néanmoins la continuité du plan.
Nous avons vu précédemment qu'à partir des
années 20, les théoriciens du cinéma et cinéastes
ont pris conscience de la puissance d'expression du montage. Excepté
quelques films, le plus souvent expérimentaux, les films actuels sont le
résultat d'un montage assez sophistiqué. « Un film
hollywoodien contient généralement entre 800 et 1200 plans ;
un film dont l'action est plus rapide peut être composé de plus de
2000 plans. Ces seuls chiffres font comprendre que le montage façonne
fortement l'expérience du spectateur, même à son insu. Le
montage contribue beaucoup à l'organisation d'un film et à ses
effets sur les spectateurs » (Bordwell et Thompson, 2000, p.328).
Le réalisateur peut grâce au montage agir sur les
relations visuelles entre un plan A et un plan B, leurs relations rythmiques,
leurs relations spatiales et leurs relations temporelles. Dans chacun de ces
domaines, il pourra jouer sur la continuité ou l'opposition brutale.
Exemples de relations entre les plans d'une même
scène241(*)
Dimension
|
Continuité
|
Discontinuité / Opposition
|
Visuelle
|
Ressemblance des lumières, des couleurs, des
décors, des tailles de plans, des mouvements de caméra, etc.
|
Chocs entre les tailles des plans, opposition des directions des
reflets, des couleurs, etc.
|
Rythmique
|
Même durée des plans, même vitesse de
défilement, etc.
|
Disparité de la longueur des plans, changement de la
vitesse de défilement, alternance de plans longs et de plans courts,
etc.
|
Spatiale
|
Même décor. Un plan de situation suivi de vues
partielles de cet espace.
|
Montage alternant au moins deux espaces. Choix d'objectifs qui
modifient les formes et les distances. Alternance de focales courte et longue,
etc.
|
Temporelle
|
Durée de la scène équivalente à celle
de l'action réelle. Respect de la chronologie des faits.
Continuité narrative, etc.
|
Modification de la chronologie des faits :
flashback242(*),
flash-forward243(*).
Répétition de plans en tout ou partie. Changement
de vitesse de défilement (ralenti, accéléré),
etc.
|
C'est la raison pour laquelle il est utile de connaître et,
éventuellement, de tirer parti du travail du sémiologue,
Christian Metz, qui a décrit d'une façon précise et
systématique l'ensemble des figures de montage qui interviennent dans
les films : « Alors qu'une image ne ressemble jamais à
une autre image, la grande majorité des films narratifs se ressemblent
quant à leurs principales figures de syntagmes » (Metz).
Cette structuration concernant de grandes unités qui se
situent sur l'axe syntagmatique244(*) temporel, Metz l'a nommée la
« Grande syntagmatique ». Elle peut être
utilisée autant par un analyste de film pour étudier la structure
d'un film que par un cinéaste pour construire son film (Bessière,
2000, p.52).
C- La grande syntagmatique
L'analyse de Metz a montré que le code du montage peut
être présenté comme un ensemble limité d'agencements
syntagmatiques de plans qui prennent leur sens les uns par rapport aux autres.
Un ensemble utile que l'on soit cinéaste ou que l'on soit spectateur.
« L'ensemble des agencements syntagmatiques entre lesquels le
cinéaste doit choisir lorsqu'il réalise un film, ou si l'on se
place dans la perspective du spectateur, l'ensemble des divers agencements de
plans dont la mise en relation fait sens dans le fonctionnement des
films » (Odin, 1990, p.194).
Christian Metz245(*) définit sa grande
syntagmatique de la bande-images comme des agencements
codifiés et signifiants au niveau des grandes unités du film
(c'est-à-dire à un niveau qui correspond à peu près
à celui des séquences) et abstraction faite de
l'élément sonore et parlé (Metz, 2003, p.122). C'est avant
tout « un modèle typologique, une classification des divers
types de constructions syntagmatiques repérables dans l'ensemble des
films de fiction classiques. » (Odin, 1990, p.210).
Metz recense huit grands types de segments autonomes246(*) ; le segment autonome
étant, à ses yeux, la subdivision de premier rang du film.
« C'est une partie du film, et non point une partie de partie du
film ».
En premier lieu, Metz distingue les segments autonomes
formés d'un seul plan - c'est-à-dire les plans autonomes
- des sept autres sortes de segments autonomes, toutes formées
de plusieurs plans. Ces dernières, il les appelle des
syntagmes247(*).
o Les différents plans
autonomes
En second lieu, Metz distingue plusieurs sous-types de plan
autonome :
- « d'une part le fameux
plan-séquence248(*) du cinéma moderne (= toute une
scène traitée en un seul plan ; c'est ici l'unité
d'une « action » qui donne au plan son autonomie)
- d'autre part, diverses sortes de plans qui doivent leur
autonomie à leur statut d'interpolations syntagmatiques, et que
l'on pourrait regrouper sous le nom d'inserts. Il existe quatre types
d'inserts :
1) l'insert non-diégétique (=
image à valeur purement comparative, et présentant un objet
extérieur à l'action) ;
2) l'insert subjectif (= image qui n'est pas
visée-comme-présente, mais visée-comme-absente, par le
héros de l'action ; exemples : souvenirs, rêveries,
craintes, prémonitions, etc.) ;
3) l'insert diégétique
déplacé (= image qui, tout en étant
pleinement « réelle » est soustraite de son
emplacement filmique normal et postée à dessein en enclave dans
un syntagme d'accueil étranger ; exemple : au milieu d'une
séquence relative aux poursuivants, une image unique des
poursuivis) ;
4) enfin, l'insert explicatif (détail
grossi, effet de loupe ; le motif est soustrait à son espace
empirique et porté dans l'espace abstrait d'une intellection ;
exemple : cartes de visite ou missives en gros plan). » (Metz,
2003, p.126).
Autrement dit, un insert est un plan destiné à
rompre la continuité de l'action en introduisant un commentaire, une
explication, une information, un renseignement précis, etc.
o Les différents syntagmes
En troisième lieu, Metz distingue à
l'intérieur des syntagmes (segments autonomes formés de plusieurs
plans) les syntagmes a-chronologiques et les syntagmes
chronologiques. « Dans les premiers, le rapport temporel
entre les faits présentés par les différentes images n'est
pas précisé par le film (= défection provisoire du
signifié de dénotation temporelle) ; dans les seconds, il
l'est. » (Metz, 2003, p.127).
- Metz a identifié deux types principaux de
syntagmes a-chronologiques.
L'un d'eux est bien connu des esthéticiens du
cinéma et s'appelle « séquence de montage
parallèle ». Il préfère le nommer
syntagme parallèle et en donne la
définition suivante : « le montage rapproche et
entremêle en tresse deux ou plusieurs motifs qui reviennent en
alternance, ce rapprochement n'assignant aucun rapport précis (ni
temporel, ni spatial) entre lesdits motifs, du moins au plan de la
dénotation, mais ayant directement une valeur symbolique (scènes
de la vie des riches et scènes de la vie des pauvres, images de calme et
images d'agitation, la ville et la campagne, la mer et les champs de
blé, etc.). »
Le deuxième type de syntagme a-chronologique, qu'il
appelle syntagme en accolade, consiste en
« une série de brèves scénettes
représentant des événements que le film donne comme des
échantillons typiques d'un même ordre de réalités,
en s'abstenant délibérément de les situer les unes par
rapport aux autres dans le temps, pour insister au contraire sur leur
parenté supposée au sein d'une catégorie de faits que le
cinéaste a précisément pour but de définir et de
rendre sensible par des moyens visuels. ». Son nom de syntagme en
accolade suggère l'existence entre les événements
qu'elle regroupe le même type de rapports que l'accolade entre les mots
qu'elle réunit.
- Dans les syntagmes chronologiques,
« les rapports temporels entre les faits présentés par
les images successives sont précisés au plan de la
dénotation (= temporalité littérale de l'intrigue et non
point seulement quelque temps symbolique ou profond). Mais ces rapports
précis ne sont pas forcément de consécution, ils peuvent
être aussi de simultanéité. »
Il n'existe qu'un seul type syntagmatique dans lequel le rapport
entre tous les motifs présentés successivement à l'image
soit un rapport de simultanéité, il s'agit du
syntagme descriptif. Metz en donne l'exemple suivant : la
description d'un paysage (d'abord un arbre, puis une vue partielle de cet
arbre, puis un petit ruisseau qui est à côté, puis une
colline au lointain, etc.). Il insiste sur le fait que dans le
syntagme descriptif, le seul rapport intelligible de
coexistence entre les objets que nous présentent successivement les
images est un rapport de coexistence spatiale.
Tous les syntagmes chronologiques autres que les syntagmes
descriptifs sont des syntagmes narratifs,
c'est-à-dire des syntagmes dans lesquels le rapport temporel entre les
objets vus à l'image comporte des consécutions, et non pas
seulement des simultanéités (Metz, p.129)
Il distingue le syntagme narratif
alterné (ou syntagme alterné tout court) des divers
types de syntagmes narratifs linéaires.
Le syntagme alterné est
également appelé, par d'autres théoriciens du
cinéma, montage alterné, montage parallèle, synchronisme,
etc. Il présente « par alternance deux ou plusieurs
séries événementielles de façon telle qu'à
l'intérieur de chaque série les rapports temporels soient de
consécution, mais qu'entre les séries prises en bloc le rapport
temporel soit de simultanéité (ce qu'on peut traduire par la
formule : « Alternance des images = simultanéité
des faits »). » (Metz, p.130). Le montage alterné -
type est celui d'une poursuite avec une série d'événements
relatifs au poursuivi (bandit, diligence) qui alterne, une ou plusieurs fois,
avec une série d'événements qui concernent les
poursuivants (policier, indiens).
Les syntagmes narratifs
linéaires, dans lesquels une consécution unique
relie tous les actes vus à l'image, peuvent être classés en
deux catégories selon que la consécution est continue (sans
hiatus ni ellipses) ou discontinue (moments sautés).
- « Lorsque la consécution est continue (= pas
de hiatus diégétiques), nous avons affaire au seul syntagme du
cinéma qui ressemble à une scène de théâtre,
ou encore à une scène de la vie courante, c'est-à-dire qui
présente un ensemble spatio-temporel ressenti comme sans failles (par
failles, il faut entendre ces brusques effets d'apparition/disparition,
corollaires fréquents de la multiplicité même des plans,
qu'ont étudiés les filmo-psychologues (notamment A. Michotte Van
Den Berck ) » (Metz, 2003, p.130). Metz nomme ce syntagme, tout
simplement, une scène.
- Lorsque la consécution temporelle des faits
présentés est discontinue, Metz parle de séquences
proprement dites.249(*)
Il en distingue deux sortes selon le type de
discontinuité : - si « on se contente de sauter les moments
jugés sans intérêt pour l'intrigue ; c'est alors
la séquence ordinaire, type syntagmatique
très courant dans les films. » - si, au contraire, la
discontinuité est organisée, il s'agit d'une
séquence par épisodes. La séquence
ordinaire et la séquence par épisodes sont toutes
les deux des séquences au sens propre du mot :
« idée de consécution unique + idée de
discontinuité ». « La séquence aligne un
certain nombre de brèves scénettes, séparées le
plus souvent les unes des autres par des effets optiques
(fondus-enchaînés, etc.) et qui se succèdent par ordre
chronologique (c'est là la grande différence entre la
séquence par épisodes et le syntagme en accolade) »
(Metz, 2003, p.132).
Ces différents agencements syntagmatiques, entre lesquels
le cinéaste doit choisir dans le respect du code du montage,
s'organisent en une structure hiérarchique que les linguistes appellent
un « arbre syntagmatique ». Structure que l'on retrouve
dans le tableau général de la grande syntagmatique de la bande
image proposé par Christian Metz (voir ci-dessous).
L'approche de Metz est celle d'un sémiologue dont le but
est de tenter de donner au montage, en tant que niveau de production de sens,
un authentique statut théorique, autrement dit à décrire
de façon aussi systématique que possible l'ensemble des figures
de montage qui interviennent dans les films. Il arrive à montrer que le
code du montage se laisse décrire comme un ensemble limité
d'agencements syntagmatiques de plans qui prennent leur sens les uns par
rapport aux autres.
Comme l'écrit Ropars-Wuilleumier (1970,
p.22) : « La méthode proposée par Metz vise,
encore une fois, une grammaire cinématographique ; mais alors que
les premiers théoriciens en établissaient une au prix d'une
réduction abusive de l'image au mot, « la grande syntagmatique
du film narratif » offre ceci de nouveau qu'elle respecte dans
l'image la pluralité des signes et ne cherche un code qu'au niveau de la
syntaxe du récit ».
TABLEAU GENERAL DE LA GRANDE SYNTAGMATIQUE DE
LA BANDE IMAGE
(En caractères gras : les types syntagmatiques
repérables au départ dans les films (méthode inductive),
mais retrouvés les derniers dans le système (méthode
déductive), c'est-à-dire les 8 grands types syntagmatiques)
1- Plan autonome (Sous-types : le
plan-séquence + les 4 sortes d'inserts)
2- Syntagme parallèle
Syntagmes
a-chronologiques
3- Syntagme en accolade
Segments
autonomes
Syntagmes
4- Syntagme
descriptif
Syntagmes
chronologiques
5- Syntagme (narratif)
alterné
Syntagmes
narratifs 6- Scène
Syntagmes narratifs
linéaires 7-
Séquence
par épisode
Séquences
8- Séquence
ordinaire
Il n'en demeure pas moins vrai que la Grande Syntagmatique
présente quelques limites.
- La première, et non des moindres, est qu'elle ne
s'intéresse qu'à la bande image. « La grande
syntagmatique ne rend compte que d'un niveau de ce qui est normalement
englobé par les théoriciens du cinéma sous la notion de
montage ; elle constitue un code mais non la totalité des codes du
montage : non seulement, elle ne concerne que la bande-image - or monter
un film, c'est aussi monter la bande-son et donc structurer les relations
images-sons - mais elle ne prend en compte ni les problèmes des raccords
entre les plans, ni ceux de la durée et du rythme des plans, ni les
relations micro ou macro-syntagmatiques entre des unités
inférieures ou supérieures aux segments autonomes, tous niveaux
de fonctionnement qui réclament également une analyse
systématique. » (Odin, 1990, p.196)
- Une deuxième limite vient du fait que Metz a
établi sa Grande Syntagmatique en n'analysant que le corpus de films
narratifs classiques, d'une période se situant entre les années
trente et le milieu des années cinquante, autrement dit avant
l'apparition des films de la Nouvelle Vague. « La Grande
Syntagmatique ne peut donc pas être considérée comme un
code du montage : elle n'en est qu'un sous-code ; elle n'est que
l'une des multiples façons de répondre à la question du
montage » (Odin, 1990, p.197). Odin suggère donc l'existence
d'autres syntagmes : « D'autres paradigmes de syntagmes
devraient être construits si l'on travaillait sur d'autres types de films
(les comédies musicales, les films publicitaires, le films de
propagande, etc.) sur d'autres types de productions audiovisuelles (comme les
vidéo-clips ou les émissions de télévision) ou sur
les productions d'autres époques : on pourrait ainsi envisager de
suivre l'évolution des sous-codes du montage par grandes coupes
synchroniques au fil de l'histoire du cinéma. L'ensemble constituerait
ce que l'on peut appeler le code de l'agencement syntagmatique des segments
autonomes, qui est l'un des codes du montage filmique.(Odin, 1990,
p.199-200).
- Une troisième limite concerne l'apport de Metz en
matière de processus mis en oeuvre par le spectateur pour comprendre les
structures. « Même si Ch. Metz fixe l'adéquation
explicative comme objectif à la sémiologie du cinéma
(c'est le sens de sa formule définitionnelle :
« comprendre comme le film est compris »), il faut bien
reconnaître que la Grande Syntagmatique est essentiellement un
modèle typologique (une classification des divers types de constructions
syntagmatiques repérables dans l'ensemble des films de fiction
classiques) qui ne dit pas grand chose sur les processus mis en oeuvre par le
spectateur pour comprendre les structures repérées. »
(Odin, 1990, p.210)250(*).
- Une quatrième limite concerne la distinction entre
scène et séquence qui aux yeux de nombreux auteurs dont Odin et
Bächler (2001, p.8-9) n'est pas très claire dans la grande
syntagmatique de Metz.
Certains auteurs ont également critiqué la
difficulté, voire l'impossibilité, de mise en oeuvre de la Grande
syntagmatique tant pour l'analyse d'un film que pour son utilisation par un
cinéaste.
Des exemples d'utilisation prouvent le contraire. Dans son
ouvrage, Metz propose une étude syntagmatique du film Adieu
Philippine de Jacques Rozier : « Le jeu des huit types
syntagmatiques à l'aide duquel a été analysée la
bande-images d'Adieu Philippine constitue un inventaire complet, si
l'on entend par là que chacune des
« séquences » du film de Jacques Rozier - ou des
autres films - se rattache à l'une ou l'autre de ces constructions
fondamentales. Mais ce n'est pas à dire que toutes sont
nécessairement représentées dans chaque film et,
notamment, dans celui de Jacques Rozier. A vrai dire, il est même assez
rare qu'une oeuvre épuise toutes les possibilités syntaxiques du
langage cinématographique. » (Metz, op cit, p.177).
Pour rendre compte d'une telle approche, nous avons
sélectionné quelques extraits de cette analyse syntagmatique de
la bande-images de manière à présenter des exemples de
grands types de segments autonomes (le premier exemple de segment retenu, le
plan autonome étant le 35ème du film, et ainsi de
suite).
Tableau des segments autonomes du film Adieu
Philippine de Jacques Rozier
(...)
35 : plan autonome.
34-35 = fondu enchaîné.
On suit Liliane et Juliette sur l'escalator d'un grand magasin.
Pendant ce long plan-séquence, elles parlent d'un projet destiné
à empêcher Michel de partir au service militaire.
36 : Scène.
35-36 = zéro
Un moment plus tard. Juliette donne rendez-vous par
téléphone à Régnier, un ami supposé
influent, qui pourrait, pense-t-elle, intervenir en faveur de Michel.
L'interlocuteur n'est jamais vu ni même entendu, la scène
étant entièrement centrée sur les jeux de physionomie de
Juliette.
37 : Séquence
36-37 = fondu en noir
Le soir, Michel et Liliane sont assis dans une voiture. On voit
la voiture démarrer ; puis on la retrouve, un peu plus tard,
roulant dans Paris.
(...)
58 : Séquence par épisodes
57-58 = fondu au noir
La composition de cette séquence en trois épisodes
très brefs est fort nette :
1- Au milieu de la nuit, Juliette quitte en silence la tente
où elle dormait avec Liliane.
2- Visage de Liliane retenant ses larmes.
3- Au lever du jour, Juliette, étendue dehors à
côté de Michel s'écarte discrètement de lui.
Entre chaque épisode et le suivant, un fondu au
noir souligne la construction elliptique du passage qui, en trois
brèves allusions, laisse deviner les événements et les
émotions de la nuit.
(...)
71 : Syntagme descriptif
70-71 = zéro
Le passage du narratif au descriptif est immédiatement
sensible. La musique donne un élan lyrique à cette suite d'images
qu'elle accompagne dans tout son déroulement. Les plans flous sur le
bateau qui avance, sur la mer, le ciel, les yachts tout autour, les deux filles
sur la proue du bateau, n'esquissent aucun récit suivi, mais
plutôt un chant poétique dédié à la
beauté de la mer...
(...)
72 : Syntagme alterné
71-72 = zéro
Le plan qui montrait le bateau s'avançant dans le port se
termine par l'image de Pachala en train de tourner son film sur une colline
surplombant la mer.
Les deux séries (film de Pachala, débarquement des
trois héros), réunies dans le plan initial, se disposent ensuite
en deux rameaux entrecroisés :
1- Pachala tourne son film
2- Les autres l'aperçoivent depuis le bateau
3- Retour à Pachala
4- Michel et les deux filles débarquent.
Dans cet extrait d'analyse apparaît nettement l'importance
des liaisons entre les segments autonomes : fondu enchaîné,
fondu au noir, etc. Rappelons que Metz considère qu'il n'est pas
souhaitable que ces huit types de segments autonomes soient interrompus par un
élément de ponctuation - fondus enchaînés, au noir,
ouverture/fermeture à l'iris, etc. Cela n'empêche par Jacques
Rozier d'introduire des fondus au noir entre les épisodes de la
séquence N°58.
D- Les éléments de liaison :
utilisations et significations
Ces éléments ont, nous venons de le voir, un
rôle démarcatif ou de ponctuation lorsqu'ils séparent deux
segments autonomes, deux séquences - comme continue de les appeler la
plupart des auteurs en conservant le sens courant du terme
« séquence »251(*). Car, qu'on le regrette ou non, il faut admettre que
la terminologie de Metz n'a rencontré que peu d'échos parmi les
professionnels du cinéma qui lui préfèrent des expressions
telles que montage alterné, montage parallèle, séquence
alternée ou séquence en parallèle :
Séquences : paramètres et
profils
Selon Vanoye et Goliot-Lété (2001, p.29)
Définition d'une séquence :
ensemble de plans constituant une unité narrative définie selon
l'unité de lieu ou d'action.
- Classification des séquences selon les paramètres
filmiques de Christian Metz :
- la scène ou séquence en temps
réel : la durée de la projection égale la
durée fictionnelle ;
- la séquence ordinaire : elle
comporte des ellipses temporelles252(*) plus ou moins importantes ; c'est une suite
chronologique d'événements.
- la séquence alternée : elle
montre en alternance au moins deux actions simultanées qui se
situent dans un même espace/temps.
- la séquence en parallèle :
elle montre en alternance au moins deux ordres de choses (actions, objets,
paysages, activités, etc.), sans lien chronologique marqué et
situés dans des espaces différents, pour établir, par
exemple, une comparaison ;
- la séquence par épisodes :
une évolution couvrant une période de temps importante est
montrée en quelques plans caractéristiques séparés
par des ellipses ;
- la séquence en accolade : montage
de plusieurs plans montrant un même ordre d'événement (la
guerre, par exemple)
- Classification des séquences selon des paramètres
scénaristiques :
- En extérieur/en intérieur ;
- De jour/de nuit ;
- Visuelles/dialoguées
- D'action, de mouvement, de tension/inaction, immobilité,
détente
- Intimes/collectives ou publiques ;
- A un personnage/à deux personnages/de groupe
- Etc.
- Profils séquentiels qui dépendent :
- Du nombre et de la durée des séquences =>
films très découpés/films peu découpés
- De l'enchaînement des séquences :
rapide/lent, cut/liaisons (fondus, volets, etc.),
chronologique/a-chronologique, continu/discontinu
- Etc.
Par ailleurs, les éléments de liaison peuvent
avoir (comme dans la séquence n°58 du film Adieu
Philippine) un rôle harmonisateur au sein d'une même
séquence. Comme l'écrit Mitry (2001, p.
101) : « La division du film en plans et en
séquences détermine l'architecture générale de
l'oeuvre. Mais si ces divisions doivent être ressenties, on ne doit point
les remarquer. L'art consiste à les unir, sauf lorsqu'une ponctuation
devient nécessaire ». Ces éléments de liaison
peuvent également, lors du montage, permettre de cacher des erreurs
commises par le réalisateur lors de la prise de vues.253(*)
Ces éléments de liaison sont plus nombreux qu'on ne
le croit de prime abord et sont classés en au moins trois
catégories : les liaisons par fondu, l'ouverture/fermeture de
l'iris, les volets.
1. Les liaisons par fondu
Il en existe plusieurs types :
- le fondu au noir (dit parfois fondu en noir ou fermeture en
fondu254(*)) - ou au
blanc (ouverture en fondu255(*)) - qui consiste à remplacer un plan par
un autre, après sa fusion par obscurcissement ou illumination, par un
écran noir - ou blanc-.
- Le fondu enchaîné qui revient à remplacer
un plan, après sa dissipation par fusion, par un autre plan.
Noël Burch (1969, pp.66-67) rappelle que ces liaisons
étaient utilisées à l'époque du muet avec des
motivations diverses par les réalisateurs et monteurs et qu'il fallut
attendre plusieurs années après les débuts du parlant pour
que s'établissent des conventions, par exemple, celle qui fait du fondu
enchaîné le signe du passage du temps.
Actuellement, les fondus expriment souvent une notion de
temps :
- le fondu au noir « marque le temps très long
qui sépare deux séquences ; un temps meublé qui
influe sur l'action représentée (contrairement à l'ellipse
qui laisse entendre cette durée sans toutefois la faire
ressentir » (Mitry, 2001, p.101)
- le fondu enchaîné « marque
généralement un court changement de temps, une durée sans
influence sur l'action ». Jullier (2002, p.54)256(*) a rappelé que les
fondus enchaînés existaient déjà à
l'époque des lanternes magiques. Il suffisait d'avoir deux lanternes. Il
constate également que la durée ou longueur des fondus est
variable. Ils sont parfois très longs et fréquents. C'est le cas
dans le film de Georges Steven (1950), Une place au soleil, afin de
rendre compte de l'état psychologique de son héros
schizoïde, présent physiquement mais ailleurs en pensée.
D'autres utilisations fréquentes des fondus ont
été répertoriées :
- le fondu au noir introduit ou conclut souvent une nuit, ou
marque un choc psychologique, un événement dramatique. Rappelons
que les formalistes russes tels que Iouri Tynianov 257(*) lui donnèrent
très tôt une signification conventionnelle ; celle
d' « une coupure importante dans le temps et
l'espace ».
- le fondu au blanc marque fréquemment un
éblouissement, un évanouissement, voire les flammes qui sortent
d'une arme à feu.
- Le fondu enchaîné, en raison de son
résultat voilé et flou, est parfois utilisé pour
introduire un rêve ou un souvenir, un flash back (retour en
arrière ou analepse).
Toutefois, avec la prolifération des fondus,
principalement enchaînés, dans les téléfilms, les
journaux télévisés, notamment lors de reportages avec
interviews, de fondus enchaînés sans motif autre que de cacher des
erreurs de prise de vues ou de couper des passages trop longs sans provoquer de
saut d'image, l'évocation du temps est de moins en moins le seul effet
recherché par les réalisateurs.
Par ailleurs, les spectateurs étant de plus en plus
« cultivés cinématographiquement et
audiovisuellement » n'ont plus réellement besoin d'une marque
formelle pour comprendre qu'il s'agit d'un flash back, d'un souvenir,
d'un rêve du personnage.
Ceci explique l'absence de plus en plus fréquente de
liaisons au profit de l'augmentation de cuts (ou
coupes franches). Contrairement à ce que l'on pourrait en conclure sans
réfléchir plus avant, un cut peut être choisi pour donner
du sens, du rythme, voire évoquer de la brutalité, de la
brusquerie.
Il faut ajouter à cela les phénomènes de
mode auxquels n'échappe pas le monde cinématographique. Les
productions hollywoodiennes anciennes comme le cinéma français
antérieur à la Nouvelle Vague abusaient des fondus. Sans doute en
partie par réaction, ils furent donc délaissés
jusqu'à la fin du siècle dernier pour revenir en force dans les
films d'action violente. Bessière (2000, p.50) cite, à ce sujet,
Ghost Dog (Jim Jarmush, 1999) et Eyes wide shut (Stanley
Kubrick, 1999) : « Gost Dog offre des fondus
enchaînés entre plans, avec dissipation lente, empathique, dans un
effet de surimpression vaporeuse, sans doute pour indiquer que le personnage,
obéissant au code d'honneur japonais ancien est déconnecté
du réel. (...) Eyes wide shut présente des fondus au
noir entre les séquences, des fondus enchaînés entre
sous-séquences, voire plans, dans un effet d'onirisme
fantasmatique ».
2. L'ouverture/fermeture à l'iris
Il s'agit d'une ouverture (ou d'une fermeture) concentrique du
plan. Mimant le mouvement du diagramme photographique, cette liaison peut
exprimer une cible à atteindre, un commencement (ouverture) ou une fin
(fermeture).
Comme les fondus et le volet, ce procédé fut
codifié à l'époque du cinéma muet pour faciliter au
spectateur le passage entre deux plans ou deux séquences.
Cette codification de ces procédés qui furent
assimilés à une ponctuation permettant le découpage du
film en phrases, paragraphes ou chapitres fut à l'origine de la
réduction linguistique du cinéma (Ropars-Wuilleumier, 1970,
p.17). Mais, avec le cinéma moderne, ces contraintes syntaxiques, cette
ponctuation - utile à la compréhension à une époque
où les conditions d'émission (images saccadées en noir et
blanc, sans dialogue, etc.) et de réception (début de
l'apprentissage cinématographique des spectateurs) - sont devenues
superflues, contraignantes, voire contraires à la création et
démodée. Ce qui, pour Ropars-Wuilleumier, démontre que
« ce ne sont pas des signes universels indispensables à la
transmission du sens ».
3. Le volet
Il peut être de différents types :
latéral, vertical, en hélice, etc.. Le volet latéral fait
disparaître les images vers la droite ou vers la gauche comme si elles
étaient chassées par de nouvelles. Le volet en hélice fait
tourner les images sur elles-mêmes avant de disparaître.
Alors que les fondus expriment une notion de temps,
« le volet marque généralement un changement de
lieu. » (Mitry, 2001, p.101).
Comme pour les fondus, les vidéastes abusant d'effets
numériques de ce type, les cinéastes ont tendance à les
éviter alors qu'ils étaient très utilisés jusque
dans les années soixante258(*). Il n'en reste pas moins que Georges Lucas dans son
film Star Wars : 1.La menace (1999) utilise des volets -
latéraux, verticaux, en hélice, concentriques, imitant la
fermeture à l'iris - pour marquer le passage d'une séquence
à l'autre.
E- L'utilité des raccords techniques
Les liaisons entre les plans n'étant pas utilisées
systématiquement, des raccords et des règles
« techniques » de montage peuvent assurer la
fluidité de l'action filmée en plusieurs plans, pour donner
l'impression de continuité dans le film et pour rendre
« invisible » le moment du passage d'un plan à un
autre.
Toutefois, la continuité visuelle n'est pas une
obligation, le réalisateur peut parfaitement vouloir créer des
chocs, des discontinuités visuelles, entre les plans (en utilisant les
conflits visuels du champ-contrechamp, de la
plongée-contreplongée, le conflit entre les couleurs, les
lumières, etc.).
Le réalisateur sait, en effet, que d'une manière
générale, le spectateur perçoit une différence
entre un raccord technique et une liaison. Il voit dans le plan un fragment
ininterrompu de temps et d'espace, dans la liaison (fondu ou volet, par
exemple) une substitution graduelle d'un plan A par un autre B, dans un raccord
un remplacement instantané d'un plan A par un plan B.
Pour bien comprendre leur utilité, il faut partir du
processus de fabrication du film qui, pour simplifier, comprend les phases
suivantes : l'écriture du scénario, le découpage du
scénario en unités d'action, puis en unités de tournage
(généralement les plans), le tournage des plans en plusieurs
prises de vues, et rarement dans l'ordre prévu dans le scénario,
le visionnage de tous les plans (rushes) mis bout à bout, la
sélection des meilleures prises de vues (les autres appelées
chutes sont toutefois à conserver par prudence), l'assemblage
ordonné des bonnes prises appelé l'ours, la détermination
précise de la durée des plans et leur juxtaposition
précise à l'aide de raccords et de liaisons (fondus, volets,
etc.).
Le montage se poursuivra par le calage de la bande-son et,
éventuellement, la réalisation d'effets spéciaux et des
génériques de début et de fin directement sur la table de
montage.
Les raccords techniques sont donc utilisés par les
réalisateurs qui souhaitent éviter tout hiatus dans la
continuité narrative. Toutefois, dans certains cas, ces derniers peuvent
préférer des coupes dans le temps du récit, des ellipses.
Il est important de souligner que les raccords techniques - comme
la plupart des procédés pratiques de montage que nous allons
présenter ultérieurement - sont à prévoir de
préférence avant même le tournage, afin d'être en
possession des prises de vues nécessaires à leur
réalisation lors du montage.
Concrètement, le raccord consiste, le plus souvent,
à relier deux plans par un système de collage (colle, ruban
adhésif ou collage sur une table de montage numérique).
Quelques raccords techniques pour éviter
l'impression de discontinuité
§ Le raccord dans l'axe : pour changer
d'échelle de plans, il suffit de lier deux plans d'échelle
différente en conservant le même axe de visée (en
dérogeant la règle des 30°, voir plus loin)
§ Le raccord regard (ou raccord sur un
regard) : un plan montre un personnage regardant dans les
hors-champs et le plan suivant montre l'espace (le personnage ou l'objet) qu'il
est censé regarder.
§ Le raccord mouvement/geste (ou raccord de
mouvement/ raccord sur un geste) : un plan montre seulement le
début d'un geste ou d'un mouvement (par exemple, un déplacement),
le plan suivant en montre la fin.
Il existe d'autres accords que nous étudierons plus
précisément par la suite, dont :
§ Le raccord champ/contre-champ
§ Le raccord sonore
F- Les règles pratiques de montage
Ces règles, pour la plupart empiriques - pour ne pas dire
artisanales - ne sont pas immuables. Elles sont, en outre, la
conséquence d'un choix esthétique et/ou narratif de la part du
réalisateur entre deux positions extrêmes : rendre
imperceptible le changement de plan ou, au contraire, choquer le spectateur par
une certaine brutalité. Par ailleurs, les progrès technologiques,
les phénomènes de mode au sein du milieu
cinématographique, la volonté de certains réalisateurs de
déroger aux règles dans un but créatif mais aussi
l'évolution de l'expérience, de la culture audiovisuelle, de la
perception des spectateurs peuvent les modifier voire les rendre caduques,
comme de nombreux exemples le montrent dans l'histoire du cinéma.
L'intérêt des règles que nous allons
présenter réside dans leur simplicité, ce qui peut
d'ailleurs devenir un piège...
1. La règle d'un changement important de la valeur
de plan
« Si le changement de valeur de plan n'est pas
suffisamment important, la sensation de champ visuel neuf donné en
pâture à la perception du spectateur n'est pas suffisamment forte
et il ressent alors une impression de saute (défaut
mécanique) à l'intérieur d'une même
image » (Opritescu, 1997, p.69). Concrètement, cela signifie -
contrairement à ce que l'on pourrait croire - qu'il vaut mieux passer
d'un plan d'ensemble à un gros plan que de glisser doucement d'un plan
américain à un premier plan.
Toutefois, pour les tenants de la continuité sans rupture
brutale, cette règle du changement important de la valeur de plan est
une erreur à moins qu'elle soit appliquée avec l'intention de
provoquer un certain choc chez le spectateur à des fins dramatiques
(Wyn, 1972, p.262).
2. Le principe du champ-contrechamp
Il est intéressant de remarquer qu'il préconise
l'inverse de la règle précédente mais dans un but bien
précis. Le champ-contrechamp est utile pour montrer une alternance des
plans visuellement opposés, notamment lors d'un dialogue entre deux
personnes, d'un échange de regards, d'un affrontement dramatique, etc.
Son respect permet d'éviter de donner au spectateur
« l'impression que les protagonistes ont changé de place si ce
n'est pas le cas. Tout à tour positionnée près d'un des
intervenants, la caméra adopte ainsi peu ou prou le point de vue de
chacun en introduisant une forte subjectivité. Les personnes peuvent
être debout ou assises, se tenir côte à côte (voiture
par exemple) ou face à face. Parfois à des hauteurs
différentes ou l'un derrière l'autre (cheval, moto). La technique
s'applique aussi à un combat ou à un duel. » (Gales,
2003, p.44-46)
Il existe deux types de contrechamp : le contrechamp interne
et le contrechamp externe. Ils respectent l'un comme l'autre « la
règle instaurée il y a un demi-siècle (...) de filmer les
personnages s'affrontant dans deux angles opposés, dans deux valeurs de
cadre rigoureusement identiques » (Opritescu, op cit, p.69),
c'est-à-dire le contraire de la règle précédente
qui prône le changement important de la valeur de plan.
o Le contrechamp externe est le moyen le plus simple, il
consiste pour découper une discussion à alterner des plans
montrant à chaque fois les deux sujets. Généralement, le
cadrage est rapproché de manière à ce que l'on voit
la tête du plus proche en amorce de dos et celle du plus
éloigné en entier de face259(*). Mais, il est possible, si le recul est suffisant,
de cadrer aussi en plan moyen260(*). Dans les deux cas, le spectateur conserve en
permanence la spacialisation globale de la scène.
o Le contrechamp interne revient à ne
montrer qu'un des personnages. Il est souvent choisi soit en raison de
l'indisponibilité provisoire d'un acteur, ce qui nécessite de
tourner le dialogue en plusieurs étapes, soit parce que des contraintes
de décor imposent de filmer le champ dans un lieu différent du
contrechamp. Le contrechamp interne présente un autre
intérêt : « le regard du spectateur n'est plus
pollué par la présence du sujet en amorce et se concentre sur la
personne de face, psychologiquement fortifiée par le gros plan. La
subjectivité est ainsi maximale. » (Gales, 2003,
p.44-46) « Mais dans le cas d'un long dialogue avec des
mouvements, le spectateur risque de perdre la spatialisation réciproque
des intervenants et la référence au décor qui les
entoure ». C'est pourquoi, il est parfois intéressant de
combiner l'externe et l'interne.261(*) Pour accentuer le rapport de force entre les deux
personnages, il est également possible d'utiliser des plongées et
des contre-plongées dans les champs-contrechamps.
3. La règle des 180°
Elle s'applique aussi bien aux affrontements dramatiques,
aux discussions, etc. qu'au déplacement d'un personnage. Autrement dit,
c'est une règle à respecter notamment en cas de champ-contrechamp
ou de travelling latéral. Elle consiste à tracer mentalement une
droite, en fonction de la position des sujets ou du sens du déplacement
du personnage. Cet axe virtuel reliant les têtes des deux personnages
dialoguant ou le départ et l'arrivée d'un sujet en
déplacement est appelé ligne d'intérêt. Elle est
parfois verticale lorsque les deux points de la droite sont l'un au dessus de
l'autre. La règle des 180° consiste à choisir un
côté de la ligne et à faire en sorte (si possible, lors de
la prise de vue) que les personnages ne la franchissent pas et restent donc
dans un rayon maximum de 180°262(*). Dans le cas contraire, le non-respect de cette
règle provoque, la plupart du temps, de graves confusions : le
spectateur a la sensation que les personnages se tournent brusquement le dos,
que les indiens qui poursuivaient la diligence sont d'un seul coup en face
d'elle, que les personnages qui dialoguent ont un sens de regards
inversé, que le personnage visible dans le plan semble avoir subitement
tourné la tête, etc. Des erreurs que les professionnels appellent
des sauts d'axe.
Toutefois, Odile Bächler (2001) en se situant dans la
perspective du spectateur et en prenant en considération le travail
mental opéré par le spectateur pour construire l'espace
cinématographique a montré « l'inanité d'un
certain nombre d'idées reçues : il n'est pas vrai que la
violation de la règle des 180° produise toujours un effet
d'incohérence spatiale ; il peut y avoir identification sans que
celle-ci s'effectue à la caméra ou au personnage ; certains
trucages peuvent être perçus comme tels sans que cela menace
l'illusion de réalité (cela peut même servir la fiction).
D'une façon générale, les analyses d'Odile
Bächler prouvent que le spectateur est beaucoup plus actif qu'on ne le
présuppose généralement et qu'il est capable d'une
gymnastique mentale très complexe lorsqu'il s'agit de préserver
une relation de « bon objet » avec le film »
(Odin, in Bächler, 2001, p.8-9).
4. La règle des 30 degrés, ou du changement
d'angle important
La règle ou loi des 30° repose sur le même
principe que la règle d'un changement important de la valeur de plan.
Pour assurer la fluidité mentale chez le spectateur, il faut une
certaine violence dans le changement d'angle. Autrement dit, l'angle de la
prise de vues doit varier d'un plan à un autre de plus de 30° (de
moins de 180°) pour renouveler et maintenir au plus haut l'attention du
spectateur. En cas de non-respect de cette règle des 30°, la faible
différence entre les deux images, lors du passage de l'une à
l'autre, donnera au spectateur la sensation d'un à-coup
désagréable, éventuellement même l'illusion d'un
problème technique, comme si des images manquaient ou que la
caméra avait bougé involontairement (Allorge, 2003, p.157).
Ces règles de montage permettent, en
réalité, d'opposer deux systèmes de montage : le montage
par continuité et le montage par discontinuité.
- Le montage par continuité est un système de
montage qui permet d'assurer, dans un contexte narratif, le déroulement
clair et continu de l'action. Il « repose sur une stricte
corrélation des directions des mouvements, des positions dans l'espace
et des relations temporelles entre les plans » (Bordwell et Thompson,
2000, p. 586) et s'appuie sur des techniques telles que la règle des
180° (ou de l'axe de jeu), le champ-contrechamp, le montage
alterné, le plan d'ensemble (ou de situation), le raccord dans l'axe, le
raccord mouvement, le raccord regard, etc. que nous avons
présentés ci-dessus.
- Le montage par discontinuité est un système de
montage alternatif qui contrevient aux principes du montage par
continuité. Il consiste donc à transgresser les règles
telles que la règle du 180°, à bouleverser les relations
spatiales et temporelles par exemple par un Jump cut263(*), un montage
elliptique264(*), un
montage intellectuel265(*), un insert extradiégétique266(*).
Bien qu'opposés, un réalisateur peut parfaitement
conjuguer ces deux systèmes de montage dans un même film en
changeant de système selon les séquences. L'histoire du
cinéma est pleine de ces oppositions qui l'ont placé au rang de
7ème Art.
G- La théorie du montage intellectuel
d'Eisenstein
Aux règles artisanales que nous venons de
présenter, certains auteurs opposent la théorie du montage dont
le précurseur fut le réalisateur russe S.M. Eisenstein.
Les réflexions de ce dernier ne se concentrent que sur le
montage, l'organisation des images et, surtout, sur le montage d'images
chargées d'un sens intentionnel.
Comme l'écrit Jacques Aumont (2002), dans son ouvrage sur
les théories des cinéastes, « dans l'activité de
montage qu'il décrit, c'est moins la vérité que le sens
qui est visé ».
Eisenstein cherche avant tout à produire des films dont
l'effet sur le spectateur est déterminable à l'avance. Sa
théorie du montage intellectuel repose sur l'idée
qu' «on peut influencer le spectateur dans la direction qu'on
désire, lui communiquer un sens, et même grâce à
une forme suffisamment élaborée, des affects qui accompagnent ce
sens et le consolident. » (Aumont, 2002, p.87)
Il faut y voir l'influence très grande du pavlovisme et du
behaviourisme, qui faisaient l'objet de débats passionnés
à son époque. « Il adopte plus ou moins explicitement
un modèle dans lequel, classiquement, l'intellect est supérieur
à l'émotion mais dans lequel tous les deux fonctionnent sur une
même base réflexologique : action engendre
réaction » (Aumont, 2002, p.18)
Le montage a, certes, une fonction narrative au travers
l'organisation des images et une fonction esthétique, mais il a surtout,
selon Vanoye et Goliot-Lété (2001, p.21-22) deux autres
fonctions chez Eisenstein et les cinéastes soviétiques des
années vingt tels que Poudovkine, Kozintsev et Trauberg :
· une fonction de
« pathétisation » dans le but d'émouvoir par
l'amplification des événements, des conflits, des luttes de
classes, des combats révolutionnaires, etc. et par l'utilisation de
procédés tels que le surdécoupage, le montage
accéléré, le ralenti267(*), l'utilisation du gros plan et du très gros
plan, des angles de prise de vues accentués, comme la
contre-plongée, des éclairages fortement contrastés,
etc. ;
· une fonction d'argumentation dans le but d'exprimer des
idées, des valeurs idéologiques, des sentiments, etc. grâce
à des procédés tels que le montage parallèle, les
intertitres268(*), la
lumière, les angles de prise de vues ou les gros plans.
Les textes théoriques de S.M. Eisenstein sont nombreux et
disséminés ; ils furent réunis, par la suite, en deux
volumes. Paradoxalement, sa production filmique est bien moins abondante :
il ne produisit que sept films, entre 1924 et 1946, à cheval sur les
deux périodes historiques du cinéma : le muet et le parlant.
Eisenstein était le fils d'un architecte de renom. Il fit des
études d'architecture et suivit à l'Université des cours
de linguistiques dispensés par Baudouin de Courtenay : ce cursus
influença, sans conteste, sa façon d'appréhender le
cinéma.
Avec, semble-t-il, l'espoir de créer une théorie du
langage filmique qui puisse toucher universellement l'être humain quel
que soit son origine, sa culture, etc., Eisenstein chercha les grands principes
de création communs à tous les genres artistiques et à
toutes les époques.
Certains auteurs voient ainsi des analogies entre le langage
musical et le langage filmique tel que le conceptualisait Eisenstein.
« Le premier indice qui nous a conduit à chercher des
principes musicaux purs dans l'oeuvre d'Eisenstein : l'extrême
fugacité des plans est identique à l'extrême
fugacité sonore des notes musicales qui, elle, reproduit la
fugacité des phonèmes et des morphèmes harmonisés
par le langage poétique et, parfois, exceptionnellement, par la langue
parlée » (Opritescu, 1997, tome 2, p.5).
Il faut admettre que le surdécoupage est un
procédé fréquent dans le cinéma soviétique.
Dans la scène de la bâche du Cuirassé Potemkine,
qui dure environ 8 minutes et 45 secondes, Opritescu a dénombré
« à peu près 196 plans », soit une moyenne de
moins de 2 à 3 secondes par plan. Marie-Claire Ropars (1976)269(*) qui a analysé les 69
premiers plans du film d'Einsenstein, Octobre, les a
chronométrés. Ces 69 plans durent 2 minutes 69 secondes ; le
plus long ne fait que 7 secondes et 83 centièmes. Certains plans n'ont
que quelques images - 0,16 seconde pour le plan 66 - et sont
quasi-imperceptibles.
Ce surdécoupage favorise la fonction de
pathétisation (Vanoye et Goliot-Lété, 2001, p.21-22).
Le pathos - mot d'origine grecque signifiant souffrance, passion
- fait référence à une partie de la rhétorique qui
traite des moyens propres à émouvoir l'auditeur. Il fut largement
mis en avant, dans les années trente, dans le cadre du réalisme
socialiste, par les cinéastes soviétiques pour désigner le
fait que les films devaient toucher les spectateurs.
Toutefois, cette notion resta assez vague jusque dans les
années quarante270(*). Eisenstein eut le mérite de la
préciser, en quelque sorte, en la définissant par rapport
à une limite, un idéal indépassable de l'action du film
qu'il appela l'extase.
Autrement dit, le pathos, un des principes de l'harmonisation
selon Eisenstein, est la recherche du principe constitutif de l'émotion
humaine et se caractérise, concrètement, par des pulsations
rythmiques spécifiques, par une cadence biologique particulière
(les battements accélérés d'un coeur ému, par
exemple) et par une transformation incessante de qualité (ou de
registre) par des sauts.
L'étape ultime du pathétique est l'extase. L'extase
est le plus haut degré d'activité intellectuelle et
émotionnelle du spectateur. Du grec ecclésiastique271(*) extasis,
« action d'être hors de soi », l'extase est
également « une sortie de soi-même », une
sorte de rapt de l'esprit du spectateur par l'univers de l'oeuvre. Le
spectateur sort de lui-même pour se dépasser, se perdre dans une
force qui l'excède. « Mais en quittant la notion banale, vague
et commode de pathos, pour celle d'extase, Eisenstein ne se contente pas de
donner une image plus forte de la réaction du spectateur. L'extase est
une notion qui a une longue histoire (elle touche au dionysiaque272(*)) et elle a toujours
désigné quelque chose comme un excès
psychique ». La référence aux fêtes en l'honneur
de Bacchus est nette. « Dans plusieurs essais, Eisenstein pointe
explicitement le relation entre extase, ivresse, drogue, rêve,
contemplation religieuse - c'est-à-dire en général, le
fait que l'extase survient au fond d'une déconnexion de l'état de
vigilance intellectuelle normale ». (Aumont, 2002, p.88-89)
La pathétisation - donc, à l'extrême,
l'extase - est favorisée par des changements brutaux et, notamment, des
conflits entre les plans. Aussi, Eisenstein, sans doute influencé par
l'architecture, la musique, la linguistique et le marxisme, a-t-il
appelé sa conception du montage, la ciné-dialectique, parfois
également le contrepoint visuel. Comme il l'écrit lui-même:
« De mon point de vue, le montage n'est pas une idée de
fragments mis à la suite, mais une idée qui naît du choc
entre deux fragments indépendants. Comme exemples de conflits, on
pourrait citer :
1- le conflit graphique,
2- le conflit des surfaces,
3- le conflit des volumes
4- le conflit spatial
5- le conflit des éclairages
6- le conflit des rythmes
7- le conflit entre le matériau et le cadrage
(déformation spatiale par le point de vue de la caméra)
8- le conflit entre le matériau et sa spatialité
(déformation optique par l'objectif)
9- le conflit entre le processus et sa temporalité
(ralenti273(*),
accéléré)
10- le conflit entre l'ensemble du complexe et un tout autre
domaine » (Eisenstein, 1929)274(*)
Dans ses films, ce jeu dialectique, ces conflits se traduisent de
multiples façons :
§ dans le thème : La vie vs La mort
§ dans le système sociopolitique :
L'aristocratie vs Le peuple, Les oppresseurs vs Les opprimés
§ dans le mouvement : Mouvement vs Statisme
§ dans les uniformes : Noir pour les officiers vs Blanc
pour les matelots
§ dans le nombre de personnages : Un personnage vs Un
groupe de personnages
§ dans les âges des personnages : Les vieux
officiers vs Les jeunes soldats
§ dans les gestes : Les gestes ordonnés et
rigides vs Les gestes désordonnés et vivants
§ dans la beauté des personnages : Les
méchants laids vs les gentils beaux
§ dans l'éclairage : Eclairage nocturne
artificiel vs Eclairage diurne ou Nuit vs Jour
§ dans les lieux : Lieu 1 vs Lieu 2 ou Intérieur
vs Extérieur
§ dans les accessoires : Des fusils vs Des faux
§ dans les éléments :
diégétiques vs non diégétiques275(*)
§ etc.
Malgré ce jeu de conflits - cette règle
d'opposition binaire - ce qui frappe les spectateurs et analystes, c'est que
« rien ne demeure ambigu, le sens advient toujours au spectateur,
selon des lignes émotionnelles et conceptuelles » (Vanoye et
Goliot-Lété, 2001, p.22), c'est l'esthétisme des films
d'Eisenstein : « J'ai regardé une nouvelle fois Le
Cuirassé Potemkine (...) et j'ai été à nouveau
frappé par l'extraordinaire beauté de ce film. Il y a
pratiquement une idée par plan » (Claude
Jean-Philippe276(*),
1992).
Certains auteurs avancent donc que chez Eisenstein, le montage
n'est pas qu'un jeu de conflits. « Le montage - la construction du
discours - est bien un jeu de conflits, mais par rapport à un principe
unificateur qui est le cadre (avec éventuellement sa portée
secrète) sans lequel aucune harmonisation n'est possible. L'art est donc
en même temps conflit et harmonie. Le discours filmique ne fait pas
exception. Ce concept a un nom : organicité » (Opritescu,
1997, tome 2, P.17)
La théorie du montage d'Eisenstein - que certains opposent
aux règles pratiques destinées essentiellement à assurer
(avec ses liaisons, ses raccords, etc.) la fluidité et la transparence
filmique - est de moins en moins éloignée des pratiques de
montage de films publicitaires qui, on le sait, influencent celles des films
cinématographiques, et vice et versa, en raison notamment de
l'apprentissage des réalisateurs et des spectateurs.
On la retrouve également dans des films récents qui
exploitent les conflits, les décalages à des fins d'humour et/ou
de violence. C'est le cas dans Kill Bill de Quentin Tarantino (2003)
qui exploite, pour créer une oeuvre personnelle, les décalages
à différentes reprises277(*), à 5'25'' décalage entre le
décor paisible et familial avec l'explosion de violence qui va suivre,
à 5'46'' contraste entre la féminité des deux actrices et
la violence des coups qu'elles se portent, à 7'25'' décalage
entre la violence des combats et l'usage d'instruments de cuisine comme armes
(poêle à frire contre couteau de cuisine), etc.
En conclusion, il existe bien des règles pratiques ou
théoriques du montage.
Des règles qui nous l'avons vu, se contredisent parfois,
évoluent souvent avec le temps.
Aussi est-il difficile de suivre les conclusions de certains
auteurs qui évoquent l'existence d'une grammaire du film.
Nous ne pouvons que souscrire à l'avis de Jean Mitry qui
écrit, à ce sujet : « les prétendues
grammaires du film fondées sur des principes toujours fragiles et
relatifs, et qui voudraient faire de ces principes des lois formelles en les
généralisant, sont caduques deux ans à peine après
leur parution, de nouvelles manières de dire, fondées sur de
nouvelles choses à exprimer ou sur une façon différente
d'appréhender le monde venant chaque fois contrer leurs règles et
leurs propositions ». (Mitry, 2001, p.254)
Y compris pour la nécessité d'une harmonie mise en
avant par bon nombre d'auteurs, Mitry reste très critique :
« La logique veut que le rythme soit harmonieux. Nos grammairiens
posent les conditions a priori au rythme, en affirmant que le montage doit
être comme ceci ou comme cela (...) Pour ma part, je ne sais pas ce que
peut être un rythme harmonieux en soi d'autant plus qu'aucune
nécessité physique comme celle des intervalles musicaux n'y
préside. » Ce n'est pas pour autant qu'il juge les
règles inutiles. Elles sont souvent le résultat
d'expériences pratiques. « La logique veut que l'on interdise
de passer d'un plan d'ensemble à un gros plan parce que la
différence scalaire trop forte détermine un choc
désagréable - augmenté d'une saute lorsque ce passage
se fait dans l'axe. Il est donc normal qu'on en fasse une règle, car les
règles sont faites pour être transgressées, mais absurde
qu'on en fasse une loi. » (Mitry, 2001, p.255).
VIII- Les codes non spécifiques de la bande
image
Depuis les travaux de Christian Metz, il est admis que les codes
qui peuvent être utilisés dans un film soient classés selon
leur degré de spécificité cinématographique. Il est
naturel que le plus grand nombre de recherches aient été faites
principalement sur les codes spécifiques tels que le code du montage.
Mais les codes non spécifiques, c'est-à-dire ceux qui n'ont que
peu de relation avec la matière de l'expression du cinéma, comme
le code de la couleur, le code des gestes, le code des costumes, etc., ont
également un effet expressif qui, dans certains cas, peut être
supérieur à celui des codes spécifiques.
A- L'influence des couleurs
Nous ne chercherons pas à faire comme le Groupe
u278(*), une grammaire
des signifiants et à «montrer comment ces derniers s'associent
à des signifiés », la perception de la couleur
étant, on le sait, avant tout culturelle. Comme l'écrit Michel
Pastoureau279(*),
« le seul discours possible sur les couleurs est
anthropologique ».
Aussi, considérons-nous comme Martine Joly, qu'il n'existe
pas de grille absolue d'interprétation des couleurs. Il s'agit plus de
relations plus ou moins significatives selon la culture du pays, de son
histoire, etc. En occident, « pas besoin d'être grand clerc,
pour savoir que l'on attribue de la « chaleur » à
certaines couleurs (les couleurs solaires, le rouge, le jaune, l'ocre) et de la
froideur aux couleurs célestes ou aquatiques (le bleu, le vert). On sait
aussi que les couleurs sont de l'énergie, que certaines sont plus
apaisantes ou plus excitantes que d'autres et que par conséquent elles
peuvent mettre le spectateur dans des états psychophysiologiques
particuliers, influant sur l'interprétation » (Joly, 1994,
p.104).
Parmi les couleurs calmantes, on trouve les couleurs froides, aux
radiations les plus courtes, comme le violet, l'indigo, le bleu.
Parmi les couleurs excitantes, on peut citer les couleurs
chaudes, aux grandes longueurs d'onde, comme l'orangé, le rouge
(Sillamy, 1983, p.163-164)
D'autres interprétations sont proposées, bien que
parfois plus contestables (Altman, 2003). Citons quelques associations souvent
proposées :
- Le rouge est la couleur de la colère et du danger. Elle
est aussi celle de la passion et du désir.
- Le jaune vif est la marque d'un choc dû au changement,
au passage de l'obscurité à la lumière.
- Le jaune pâle évoque la maladie et la
sénilité.
- L'orange représente la fécondité ou le
début d'une prise de conscience.
- Le vert est le symbole du renouveau et des espoirs naissants.
- Le marron symbolise la mélancolie.
- Le blanc, en tant qu'absence de couleurs, la désolation,
mais aussi la pureté, la naissance, ou dans de nombreuses civilisations
autres que la nôtre, le deuil.
- Le noir est, en occident, associé à la mort, au
mal et au malheur, etc.
Cette brève liste montre les difficultés
liées à l'interprétation des couleurs, et donc à
leur utilisation par les professionnels du cinéma, surtout s'ils ont une
cible internationale.
B- La lumière et l'éclairage
Déjà en 1927, Evguéni
Mikhaïlov et Andréi Moskovine280(*) écrivaient : « La
lumière qui, tout comme la musique, exerce une forte action sur le
psychisme de l'homme, a trouvé une application pratique ». Ils
regrettaient cependant, à l'époque, que « ses lois
aient été peu étudiées ».
Depuis, de nombreuses recherches ont confirmé les propos
de ces deux opérateurs du cinéma soviétique. Il est, en
effet, admis que la lumière peut mettre le spectateur dans un
état psychosociologique particulier qui influera sur
l'interprétation qu'il fera des images. La lumière participe
à l'ambiance, à l'atmosphère, au ton de la scène.
C'est sans doute la raison pour laquelle certains auteurs la considèrent
comme un élément de la mise en scène281(*).
La difficulté est que, comme pour les couleurs, la
perception et l'interprétation de l'état de la lumière
sont culturelles et renvoient le spectateur à son expérience du
monde.
Par ailleurs, la lumière est à tort confondue avec
l'extérieur/jour d'un scénario alors que la lumière peut
être artificielle. En outre, même à l'extérieur, le
jour, des éclairages artificiels peuvent être
employés282(*).
En extérieur, le réalisateur est dépendant des conditions
météorologiques. Il est possible toutefois de jouer avec la
lumière naturelle en utilisant des ombres naturelles (arbres, immeubles,
etc.) ou d'en créer avec des ombrelles. Lorsque la luminosité
n'est pas adéquate, un éclairage artificiel,
éventuellement renforcé par des réflecteurs283(*), est souvent mis en
place.
Les règles pratiques relatives à l'éclairage
sont connues. Parmi elles :
- Les visages éclairés par un fort soleil sont
généralement inesthétiques en raison d'une part des ombres
fortes sur le visage qui masquent les yeux, d'autre part des grimaces que ne
peut s'empêcher de faire l'acteur. En plus de cela, les détails de
la peau sont renforcés ce qui accentue le moindre défaut (ride,
bouton, rougeur, etc.). En conclusion, l'acteur n'est pas mis en valeur et
donne de lui une image sombre et agressive.
- A l'ombre, les visages sont éclairés
uniformément. Les yeux de l'acteur sont visibles, les détails de
sa peau gommés mais le relief de son visage est estompé. Pour le
remettre en valeur, en tout ou partie, des réflecteurs peuvent
être utilisés afin de renvoyer le flux nécessaire de
lumière, venant du soleil ou d'un projecteur. Cette technique est, bien
entendu, utilisable pour tout objet, ou détail d'un objet.
« Dans son livre Des lumières et des
ombres284(*), Henri
Alekan considère que la lumière est perçue optiquement et
vécue psychiquement » (Joly, p.105). La lumière du jour
évoque souvent l'optimisme et l'énergie. On l'oppose souvent
à l'obscurité, à la tombée de la nuit, signes de
danger et de mort.
Alekan, en directeur de la photographie averti, suggère de
distinguer la lumière artificielle et la lumière naturelle car,
selon lui, le fait de reconnaître l'une ou l'autre n'est pas
indifférent pour la signification de l'image. Il propose
également de distinguer deux types d'éclairage :
l'éclairage directionnel et l'éclairage diffus.
- L'éclairage unidirectionnel est, selon lui, une
lumière partisane qui « en modelant formes et contours
désigne l'objet, insiste, sépare, tranche, cisèle et
souligne l'essentiel des formes, repoussant le secondaire en moindre
valeur. » Aussi, est-ce une lumière hiérarchisante,
classificatrice : une lumière engagée. Elle donne souvent
l'impression que l'image est éclairée par une source de
lumière hors champ qui intensifie les couleurs des parties
éclairées et accentue le mystère des autres parties de
l'image. Mais le plus important, peut-être, est qu'elle dirige le
parcours visuel du spectateur. « Le regard parcourt d'abord les zones
éclairées pour ensuite explorer les zones intermédiaires
de clair-obscur et éventuellement percer le secret des zones
d'ombre » (Joly, 1994, p.105).
Par un éclairage directionnel, le réalisateur tente
donc, souvent, d'imposer un sens de lecture au spectateur285(*). L'éclairage
directionnel naturel, généralement nécessitant l'emploi de
réflecteurs, ajoute une information de temps. « Il temporalise
la représentation que l'on situera un matin, un soir ou un
après-midi ce qui, là encore, influencera notre lecture et notre
interprétation » (Joly, 1994, p.106).
- Quant à l'éclairage diffus, il « noie
le principal en le mêlant au secondaire. » La
multiplicité de ses flux fait qu'elle enrobe l'objet de toutes parts.
« La lumière ne souligne plus, elle amalgame, elle estompe,
elle associe ». Elle atténue le relief, uniformise les
matériaux, adoucit les couleurs, détemporalise l'action.
C'est pourquoi, Alekan la considère comme une lumière troublante,
une lumière annihilante, (Alekan, 1991, p.33-34). Martine Joly ajoute
qu' «une sorte d'intemporalité lui est attachée, plus
propice à l'hésitation et au rêve. »
D'un point de vue plus technique, l'éclairage d'une
scène utilisant généralement trois sources
différentes, on distingue le décrochage (lumière
placée derrière les sujets filmés), la lumière
principale (dite également lumière d'attaque ou d'effet, la plus
vive), la lumière d'appoint (nommée aussi lumière
d'ambiance ou de bouchage) beaucoup moins intense que la
précédente que l'on utilise pour équilibrer les effets de
la lumière d'attaque et adoucir les ombres trop noires. A cet
éclairage « trois points » classique peut être
préféré un éclairage créant davantage de
contrastes comme le Low key286(*) qui créé de fortes oppositions
entre les zones claires et les zones sombres de l'image afin de rendre les
ombres plus profondes.
Des effets sont également recherchés en jouant sur
la direction de l'éclairage. Ainsi, plutôt que d'utiliser un
éclairage frontal (dirigé ver le sujet d'un point proche de la
caméra), il est préférable pour créer une
impression de volume ou pour faire ressortir les reliefs d'une surface, d'un
décor par exemple, d'opter en faveur d'une lumière
latérale que certains appellent également une lumière
rasante : il suffit que l'éclairage vienne de côté sur
le personnage ou l'objet. En revanche, pour souligner les parties
supérieures d'un sujet, ou pour le détacher du fond, un
éclairage zénithal, c'est-à-dire venant du dessus du
personnage ou de l'objet, sera adapté.
L'importance de l'éclairage est souvent
sous-estimée par les non-professionnels. Il est pourtant avec le gros
plan - dont l'invention est, selon Jean-Luc Godard, liée à
l'apparition de stars - un moyen de mettre en valeur les acteurs.
« Les chefs opérateurs ou les réalisateurs ont
sculpté le visage et le corps des stars par la lumière et les
ombres tamisées ou adoucies parfois à l'aide de tulles ou de
trame287(*). Tout ce
travail, pour rehausser la personne (actrice, acteur) jouant les
émotions et les passions terrestres deux tons au-dessus de la
norme » (Liandrat-Guigues et Leutrat, 2001, p.42).
Aussi n'est-il pas étonnant que des auteurs de
différents courants (avant-gardistes, hollywoodiens, etc.) se retrouvent
pour considérer que l'éclairage est un élément
primordial, avec le gros plan, le ralenti, le choix d'acteurs
photogéniques - c'est-à-dire des comédiens qui accrochent
bien la lumière - pour augmenter la réalité et la
poésie (Delluc, Epstein). En conséquence, les réalisateurs
choisissent leurs acteurs pour leur photogénie et les magnifient par des
gros plans et des jeux de lumière. Ainsi, pour représenter ses
stars féminines, le cinéma hollywoodien utilise souvent le
backlight, un éclairage en contre-jour en direction de la
caméra, un éclairage derrière l'actrice à filmer
pour qu'elle apparaisse nimbée de lumière..
C- Le code gestuel
Certains auteurs, parmi lesquels les formalistes
russes, ont défini le cinéma comme l'art de la
« photogénie » utilisant le langage des mouvements
(expressions du visage, gestes, poses, etc.). En 1927, l'année de la
sortie du premier film parlant, Boris Eikhenbaum288(*) clamait la
supériorité du cinéma sur le théâtre d'une
part parce que « le spectateur de cinéma a la
possibilité de voir les détails (expression du visage, objets,
etc.) », d'autre part parce que « les effets visuels de la
représentation théâtrale (mimiques, gestes, etc.) se
heurtent inévitablement au problème de la distance entre la
scène immobile et le spectateur ». Et de conclure :
« au cinéma, il n'y a pas de mimique mais seulement des
expressions, des gestes, des poses qui servent de signaux pour tel ou tel
sens » .
Avec le cinéma parlant, l'importance des gestes
n'a pas diminué. Au cours d'une scène avec dialogue, la
communication qui s'établit entre les protagonistes, les acteurs, n'est
pas seulement orale. Alexandre Astruc soulignait ainsi, en 1945, qu'
« un regard, une bouche qui se crispe, un battement de
paupière, un front tendu. C'est un langage, une grammaire, une
mathématique merveilleusement suggestive » (in Aumont, 1992,
p.55). Avis que Jacques Aumont reprend : « Grammaire,
mathématique : la mise en scène du visage ordinaire est
affaire de règles et de calculs » (Aumont, 1992, p.55). Mais,
si le visage est « un moyen de faire passer le sens, d'un plan au
suivant, de l'ensemble des plans à la séquence, de la
séquence au spectateur » (Aumont, 1992, p.48), il n'est pas le
seul élément du langage corporel.
Un véritable langage corporel composé de gestes, de
mimiques, de postures289(*), exprime des sensations, des idées que le
spectateur décryptera selon son expérience en la matière.
Tous les comportements, les attitudes, les gestes, les mimiques, etc. qu'un
acteur montre à l'écran, prennent sens pour le
spectateur parce qu'il est capable de saisir intérieurement les
intentions qui les animent290(*).
Comme l'écrit Merleau-Ponty (1945,
p.216) : « Le geste dont je suis le témoin dessine
en pointillé un objet intentionnel. Cet objet devient actuel et il est
pleinement compris lorsque les pouvoirs de mon corps s'ajustent à lui et
le recouvrent. Le geste est devant moi comme une question, il m'indique
certains points sensibles du monde, il m'invite à l'y rejoindre. La
communication s'accomplit lorsque ma conduite trouve dans ce chemin son propre
chemin »291(*). Autrement dit, en décryptant la
signification d'un geste, d'une mimique, d'une posture, le spectateur se glisse
dans une vie, « ce geste devient immédiatement significatif
d'une foule d'autres gestes possibles » que l'acteur a fait ou fera.
« Tel geste vif ou brusque nous apparaît comme la manifestation
instantanée d'un caractère déterminé ou même
agressif, caractère que l'on s'attend alors à retrouver dans
d'autres gestes, plus ou moins éloignés dans le temps »
(Meunier et Peraya, 1983, p.131).
Un simple geste peut jouer un rôle dans la construction du
récit par le spectateur. Ce dernier peut même lui donner plus
d'importance, plus de valeur prédictive. Certains auteurs
considèrent, en effet, qu'il est plus facile de mentir avec les mots
qu'avec le langage corporel.
Par voie de conséquence, s'il existe une dissonance entre
ce qu'un acteur dit avec des mots et ce qu'exprime le non-verbal, le spectateur
fait plutôt confiance au non verbal.
Les signaux du corps sont nombreux et variés, ils
concernent le regard, les mains, la position, la démarche et la distance
qui sépare les acteurs.
Les signaux du corps
(D'après Machuret, Deloche, Charlot d'Amart, 1994,
p.226-227)
Niveau corporel
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Signaux du corps
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Evocations - sentiments
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Regard
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Ouvrir les yeux
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Surprise, stupéfaction, frayeur, joie,
réprobation
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Pincer les yeux
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Méfiance
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Cligner des yeux
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Embarras, consternation, nervosité,
insécurité
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Détourner les yeux
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Absence de confiance en soi
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Soutenir le regard
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Compétence, assurance
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Le sourire
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Empathie
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Mains
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Croiser les doigts
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Défense, agressivité
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Position ou posture
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Debout, stable et équilibré
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Prudence, assurance, équilibre
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Debout, rigide
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Inertie, absence de flexibilité, difficulté
d'adaptation, besoin d'affirmation de soi
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Assise (position fermée : jambes et pieds
collés, parallèles)
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Crispation, défense
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Assise (position ouverte)
|
Ouverture d'esprit, calme, compréhension,
familiarité
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Démarche
|
Grandes enjambées
|
Détermination, assurance
|
Petits pas
|
Prudence, timidité
|
Saccadée
|
Manque de contact
|
En ce qui concerne les distances entre les deux acteurs et cela
bien que les distances varient selon les cultures et qu'à l'écran
il soit parfois difficile de l'estimer, on peut citer les quatre zones de
distance traditionnellement admises en France :
Distances et types de relation
évoqués
Distance
|
Effets évoqués
|
Protagoniste suggéré
|
De 0 à 45 cm
|
L'intimité
|
Conjoint(e), amant(e)
|
De 46 à 150 cm
|
Les relations personnelles
|
Membres de la famille, amis
|
De 151 cm à 4 mètres
|
Les relations sociales
|
Connaissances, collègues
|
Plus de 4 mètres
|
Les relations publiques
|
Elèves, auditeurs, spectateurs
|
Le choix d'une distance entre deux acteurs, par le
réalisateur, sera interprété par le spectateur. Sa
perception de la distance sera bien sûr influencée par des
éléments techniques tels que l'angle de prise de vues, la
profondeur de champ, etc., elle le sera également par la culture
à laquelle appartient le spectateur. Des travaux de proxémie ont
montré, en effet, des différences conséquentes entre
l'interprétation d'un français et celle d'un américain.
Comparaison des distances significatives
(D'après E.T. Hall, 1969292(*) ; Machuret, Deloche,
Charlot d'Amart, 1994)
Distance
|
En France (Rappel)
|
Aux Etats-Unis
|
Sujet abordé et perçu par un
américain
|
Distance intime
|
0 à 45 cm
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0 à 20 cm : acteurs très rapprochés
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Très secret
|
20 à 30 cm : acteurs rapprochés
|
Confidentiel
|
Distance personnelle
|
46 à 150 cm
|
30 à 50 cm
|
Confidentiel
|
50 à 100 cm
|
Sujet personnel
|
Distance sociale
|
151 cm à 4 m
|
1m à 1,50 m
|
Sujet non personnel
|
1,50 à 2,50 m
|
Information destinée à être entendue par
d'autres que l'interlocuteur
|
Distance publique
|
Plus de 4 mètres
|
De 2,5 m à 6 m
|
Prise de parole devant un groupe
|
Plus de 6 mètres
|
Discours, salutations à distance
|
Les comédiens-acteurs ont pour mission d'exprimer des
émotions ; pour cela, ils utiliseront les mouvements de leur corps
intuitivement ou sur instruction du metteur en scène.
Ils pourront jouer en modifiant certains de leurs rythmes
physiologiques.
Exemples de rythmes physiologiques
La respiration
|
Rapide : Indice de l'énervement, de l'excitation, de
l'agressivité, de la peur, d'un effort physique, etc.
Lente : le calme, la concentration.
|
Les tremblements
|
Indice de la peur, de l'excitation, d'un effort violent
|
La coloration de la peau (avec ou sans maquillage)
|
Elle est liée à la circulation sanguine. Rougeur et
pâleur expriment la timidité et l'émotivité.
|
Les postures sont également des signes que le spectateur
interprétera comme il les interprète dans la vie réelle.
Comme l'écrit Serge Frechet (1997, p.30) : « il serait
malhonnête de prétendre assigner un sens précis à
des postures particulières. Toutefois, elles ne sont pas
innocentes. » Une position très raide, le menton relevé
exprime de la rigidité, de la fermeté.
Le fait de faire face à son interlocuteur, de le regarder
dans les yeux donne plutôt une impression d'intérêt, de
franchise à moins, et c'est toute la difficulté de
l'interprétation d'une posture prise isolément, qu'il s'agisse
d'une manifestation de l'agressivité. Aussi, la kinésique qui
s'intéresse à la gestualité humaine et qui tente de la
codifier en un système de signes est loin d'être parfaitement
fiable.
Quelques attitudes corporelles et leur signification
implicite
(D'après Frechet, 1997, pp. 30-33)
Se gratter le lobe de l'oreille, l'axe du nez, les cheveux
|
Le personnage a quelque chose d'ennuyeux à dire.
|
Manipuler un objet, allumer une cigarette
|
Intérêt mais sentiment que la situation tourne en
rond ou Agressivité, Impatience, Exaspération.
|
Tapotement des doigts
|
Désintérêt. Enervement.
Exaspération.
|
Mains dans les poches
|
Repli sur soi. Dissimulation. Décontraction
|
Regarder sa montre
|
Impatience. Exaspération. Ennui. Préoccupation
|
Quitter ses lunettes
|
Dédoublement du personnage. Indique un changement de
modalités d'intervention.
|
Or, comme le fait remarquer Odin (1982, p.102),
« l'établissement d'une kinésique filmique supposerait
que la kinésique « naturelle » soit
déjà sérieusement élaborée (ce qui n'est pas
la cas) : il est bien certain, en effet, que la kinésique filmique
est largement tributaire de l'usage kinésique dominant l'espace culturel
de production et de circulation des films considérés. Odin
suggère donc d'aborder le travail des gestes par les types de gestes
privilégiés dans le film. Le fait que les gestes fonctionnels
(marcher, ouvrir une porte, etc.) soient plus (vs moins) nombreux que les
gestes indiciels (révélateurs d'une atmosphère, d'un
état d'esprit, d'un sentiment) n'est pas, en effet, sans
conséquence293(*).
De plus, les gestes et les mimiques dans un film sont souvent
utilisés pour appuyer le jeu de l'acteur. On a tous en mémoire la
gestuelle de tel ou tel acteur, et pas uniquement dans les films comiques ou
burlesques, ou celle nécessaire pour affirmer la personnalité
d'un personnage du film. (Aumont et Marie, p.155-156).
C'est pourquoi, ils sont parfois employés comme
tag ou détail de caractérisation. Un tag est,
en effet, un trait caractéristique qui distingue un personnage des
autres. Il peut s'agir d'un geste, d'un tic mais il peut également
s'agir d'une expression typique, d'un tic verbal, d'un détail
vestimentaire, ou de l'utilisation d'un accessoire particulier. (Chion, 1985,
p.176.)
Toutefois, les attentes du spectateur ont évolué
avec le temps. Comme les acteurs de cinéma, ils ont de moins en moins
une expérience théâtrale. Les gestes appuyés sont de
moins en moins acceptés, car jugés souvent
exagérés. Un geste trop théâtral pourra être
perçu comme excessif, d'où la distinction faite par certains
entre un acteur (de cinéma) et un comédien (de
théâtre). Ropars-Wuilleumier (1970, p.45) fait remarquer que le
hiatus entre la gestuelle cinématographique et celle du
théâtre n'est pas récente : « L'apparition
des sous-titres, devenus habituels vers 1910, permet aux acteurs de
réduire leurs gesticulations ».
Aussi, le réalisateur, le metteur en scène,
attache-t-il de plus de en plus de soin à la gestuelle de ses acteurs.
Dans le cas contraire, un élément kinésique pourrait
n'être ni perçu, ni correctement interprété (dans le
sens du réalisateur) par le spectateur. Un geste d'un acteur peut ne pas
être vu faute d'un éclairage adapté. Une mimique du visage
prise en plan lointain ou panorama passera sans doute inaperçu.
Le choix de l'échelle de plan par le réalisateur
sera, notamment, déterminant dans l'interprétation par le
spectateur d'un geste ou d'une mimique. Un plan de demi-ensemble et le plan
moyen mettront en valeur la démarche, un geste du pied et la
posture d'un personnage. Les plans américain, rapprochés taille
et poitrine (premier plan) seront adoptés pour les gestes des bras. Les
gros et très gros plans valoriseront les mimiques du visage mais
éventuellement pourront être employés pour mettre l'accent
sur un geste particulier d'une main, voire d'un pied.
C'est donc la combinaison de plusieurs codes, notamment ceux
spécifiques du montage et de la variation d'échelle de plans mais
aussi celui non spécifique du visage et de la gestuelle, plus
globalement, qui crée le sens global de la scène.
En outre, un geste d'un personnage dans un film peut devenir un
geste-référence, un geste-culte avec le succès du film. Il
peut alors être repris à titre d'évocation par un autre
réalisateur. Il est bien connu que les gestes ont un capital burlesque
important. Mais contrairement à ce que l'on croit, il ne s'agit pas
forcément de les amplifier, de les exagérer pour être
drôle. Comme l'écrit Gilles Deleuze (1983, p.233) :
« Si l'on cherche à définir l'originalité de
Chaplin, ce qui lui a donné une place incomparable dans le burlesque
(...) c'est que Chaplin a su choisir les gestes proches et les situations
correspondantes éloignées, de manière à faire
naître sous leur rapport une émotion particulièrement
intense en même temps qu'un rire, et à redoubler le rire avec
cette émotion. » Selon lui, le processus burlesque suppose que
l'action soit filmée sous l'angle de sa petite différence avec
une autre action, mais dévoile ainsi l'immensité de la distance
entre deux situations. Pour illustrer cette loi dite de l'indice qui est, selon
Deleuze, partout présente dans le burlesque en général, il
cite un épisode de la série des courts métrages burlesques
entre 1914 et 1923 avec Charlot : « Dans la série des
Charlot : vu de dos, Charlot abandonné par sa femme semble
secoué de sanglots, tandis qu'on voit, dès qu'il se retourne
qu'il secoue un shaker et se prépare un cocktail » (Deleuze,
2983, p.231-232). Autre exemple, de comique engendré par un
décalage entre les mots prononcés, l'intonation et l'expression
du visage, le chien Droopy de Tex Avery qui, en toutes circonstances, termine
chaque histoire des dessins animés, en disant d'une voix atone
« I'm happy », alors que tout son visage exprime
le contraire.
La kinésique filmique est, nous l'avons dit, largement
tributaire de l'usage kinésique dominant l'espace culturel de production
et de circulation des films considérés (Odin, 1988).
Comme la kinésique dont elle dépend, qui
s'intéresse à la gestualité humaine et qui tente de la
codifier en un système de signes, elle est loin d'être
parfaitement fiable. La spécificité de la kinésique
filmique vient du fait qu'elle s'est développée également
grâce aux tâtonnements des réalisateurs, à leurs
essais, à leurs échecs et à leurs réussites ainsi
qu'à leurs efforts de classification et de codification.
Codification que Sacha Guitry critique pour son pouvoir de
standardisation : « Oh ! Je sais bien ce que
prétendent les techniciens du cinéma. Ils prétendent que
l'acteur doit vivre son personnage sans s'occuper du reste. Et, quant aux
réactions du public, disent-ils, c'est au metteur en scène de les
prévoir, de les provoquer et d'en assurer le rendement en
imposant aux comédiens tel mouvement, telle intonation, tel geste - en
un mot telles règles de jeu qui leur paraissent d'une
infaillibilité absolue. Or, pourquoi leur paraissent-elles
infaillibles ? Parce qu'elles sont éprouvées. Parce qu'ils
les ont expérimentées mille fois, dix mille fois
déjà. Intonations et mimiques sont étiquetées et
classées par eux - et ils s'enorgueillissent de les avoir
« standardisées » ! » (Sacha Guitry,
1936, in Aumont, 1992, p 43).
Toutefois, il ne faut pas perdre de vue que les gestes ne
produisent pas du sens indépendamment des autres éléments
filmiques et, notamment des dialogues, surtout lorsqu'ils sont
enregistrés en plusieurs langues lors du tournage ou en
post-scynchronisation.
Le film Le Mandat294(*) (Ousmane Sembène, 1968) est une parfaite
illustration de l'importance de la combinaison gestes-langue des acteurs.
Le Mandat a, en effet, été tourné en deux
versions : l'une en français, l'autre en ouolof - une langue peu
écrite même si l'alphabet est codifié et si 85% des
Sénégalais la parlent. Pour le tournage, les acteurs ont appris
les dialogues écrits en français et devaient les restituer dans
les deux langues en collant au mieux à la gestuelle de chacune d'elles,
prise successivement. Selon Anne Kieffer295(*), « Si les acteurs se sont
prêtés au jeu, de l'avis même du réalisateur et des
spectateurs, leur ton sonne faux dans la version française alors que
l'enflure colorée du ouolof communique l'émotion et semble
naturelle ».
Par ailleurs, comme pour les autres codes filmiques,
spécifiques ou non, la lecture qu'un spectateur fait du travail gestuel
des acteurs dépend de sa connaissance des modèles
kinésiques du pays où est réalisé le film, voire
dans lequel se déroule la fiction. Le spectateur doit connaître
les différentes façons de jouer et faire la part de ce qui
revient aux acteurs, qui sont eux-mêmes plus ou moins influencés
par leur formation - ce qui fait dire à Alain Delon, autodidacte, qu'il
est un acteur tandis que Jean-Paul Belmondo est un comédien parce qu'il
a suivi des cours de théâtre et de comédie -, par le
personnage à interpréter, le genre cinématographique
auquel appartient le film, le réalisateur du film, etc. (Odin, 1982,
p.102-105).
La gestuelle d'un acteur connu est parfois si profondément
inscrite dans la mémoire des spectateurs qu'ils leur aient difficile
d'accepter un changement dans sa façon de jouer, de se mouvoir, etc.
Ainsi Roberto Chiesi (2003) explique-t-il l'échec cuisant du film
Doucement les basses (Jacques Deray, 1971) par le fait qu'Alain Delon
qui voulait, à l'époque, briser sa propre image adopta avec
audace une nouvelle gestuelle : « Delon aborde un rôle
diamétralement opposé à ceux de son registre
habituel : les gestes essentiels qui constituaient son jeu font place
à une gesticulation névrotique, une logorrhée
intarissable, une agitation et des attitudes grotesques qui l'apparentent
à Louis de Funès » (Chiesi, 2003, p.50).
D- Le code des vêtements
Au cinéma, le proverbe populaire « L'habit ne
fait pas le moine » semble inadapté. Le vêtement au
cinéma comme au théâtre, dont il a beaucoup
hérité, influe sur l'image du personnage qui le porte, sur la
perception de son caractère, de son statut social par le spectateur. Il
informe également de l'époque au cours de laquelle se situe
l'histoire. Le choix des vêtements qui sont portés par les
personnages intervient donc sur les contextes de la situation, principalement
sur les contextes identitaire, temporel, des positions respectives, et ainsi
crée un sens global (Mucchielli, 2001).
Pour les films historiques, la créatrice ou chef
costumière s'aide de documents iconographiques, se renseigne
auprès d'historiens sur les coutumes de l'époque.
Les détails d'un costume sont d'autant plus à
soigner que les prises de vues sont effectuées en plan serré.
« Le moindre faux pli ou la dentelle d'un col mal
exécutée sauteront aux yeux du spectateur. C'est la grande
différence entre le travail pour le cinéma et celui du
théâtre » (Parillaud, 2002, p.75).
Une des fonctions du vêtement est souvent
négligée et pourtant essentielle à la mise en valeur
du personnage par l'acteur. Elle consiste à placer le comédien
dans une disposition physique et mentale conforme au rôle à jouer
en l'obligeant à porter des sous-vêtements ou des accessoires
d'habillement bien qu'ils ne puissent pas être vus à
l'écran. Chion (1990, p.130-132) cite l'exemple de Luchino Visconti qui
y tenait beaucoup pour ses films d'époque, tout comme il
préférait que ses acteurs portent de vrais bijoux.
« Son costumier attitré Piero Tosi y veillait, et imposa
à Claudia Cardinale, dans Le Guépard (1963), de porter
sous ses robes un corset d'époque qui la martyrisait ».
Les vêtements portés d'une manière
récurrente par un acteur vont contribuer à la création de
l'image du personnage et/ou de l'acteur. Charlot est un melon et une canne.
Aussi, lorsqu'un réalisateur se lance dans une série de films ou
de téléfilms, il peut s'aider du vêtement pour imposer son
personnage récurrent.
Excepté dans les films d'époque où des
règles « historiques » doivent être
respectées, sachant que de nombreux cinéastes pour des raisons
d'économie s'accordent quelques écarts, les costumes
évoluent avec la société.
Autrement dit, il n'existe pas de code costumier dès lors
que les films se situent à l'époque contemporaine.
Olivier Philippe (1999, p.144-145), en étudiant
l'apparence vestimentaire des policiers dans les films de 1965 à 1992, a
montré d'une part l'importance des vêtements dans les films,
d'autre part l'évolution des costumes, mais aussi le poids de la
personnalité des acteurs sur leur façon de s'habiller, enfin
l'influence des habillements des acteurs-policiers sur l'habillement des
véritables policiers. « Les vêtements ne sont pas sans
importance dans le cadre d'un moyen d'expression essentiellement visuel comme
l'est le cinéma. (...) On peut dire que l'habillement des héros
policiers évolue dans le temps ». Philippe cite notamment
Jacques Deray : « Le cinéma évolue, comme la
police. Alors, qui pousse l'autre ? Est-ce que c'est le cinéma,
est-ce la police ? Mais quand vous voyez tous les films policiers d'il y a
trente ans, même dans l'action, les mecs ils étaient en costume,
en imperméable, avec des chaussures. Aujourd'hui, bon, vous mettez
à Belmondo dans Le Marginal un blouson, des baskets et un
jean ».
Pour les films qui se situent de nos jours, cette tendance au
dépouillement vestimentaire est nette. Certains l'expliquent par
l'exigence plus grande de naturalisme qui conduit à ne plus vouloir,
surtout dans les films français, une actrice bien apprêtée.
« Aujourd'hui, une femme qui se lève le matin avec un
maquillage impeccable et bien coiffée, cela n'existe plus au
cinéma ». (Yvonne Sassinot de Nesle, costumière, in
Chion, 1990, p.131). Cette tendance est liée également au fait
que les acteurs préfèrent choisir eux-mêmes leur
habillement afin d'entrer plus rapidement dans la peau de leur personnage mais
aussi, soyons réalistes, est la conséquence des contraintes
budgétaires296(*).
Pour autant, est-ce que le code des vêtements et celui des
accessoires sont moins importants que le code de la narrativité ?
Ou, plus généralement, existe-t-il un ordre d'importance dans les
codes filmiques, spécifiques ou non ? Certains professionnels du
cinéma considèreront peut-être, mais à notre avis
souvent à tort, chacun dans leur métier, que leur code est le
plus important.
Du point de vue du spectateur, les choses sont plus incertaines
encore. Comme l'écrit Louis Delluc297(*) (in Burch, 1993, p.5) : « Vous
croyez peut-être que ce public s'émeut surtout du drame ou de ses
péripéties feuilletonesques ? C'est à peine s'il y
prend garde. Il vécut une heure de joie rien que pour les robes
d'Irène Castle, l'harmonie des ameublements et la grâce
remarquable des accessoires ». Mais, tandis que Delluc
considère que l'expérience filmique - la sienne et celle du
public populaire - ignore le sens produit par le film mais se repaît de
la présence des visages, des vêtements, des paysages, de la
lumière, du mouvement, de nombreux auteurs considèrent au
contraire qu'un film « devrait pouvoir se réduire à une
seule et unique trame narrative » (Burch, 1993, p.9). En
réalité, le film étant une combinaison spécifique
de codes (Garroni), c'est une erreur de vouloir le réduire en un seul
élément, si important soit-il, sachant, de plus, que son
degré d'importance varie d'un film à un autre, et que les effets
spéciaux peuvent être absents dans un film et omniprésents
dans un autre.
E- Le code des effets spéciaux
Contrairement à un sentiment largement
partagé dans le public, les effets spéciaux ne sont pas
nés avec l'informatique. Les trucages, illusions et autres simulacres
sont apparus, selon Pascal Pinteau (2003), dès l'aube de
l'humanité. Des traces d'effets spéciaux insolites remontant
à l'Antiquité égyptienne ont été
retrouvées. Vers le 2ème siècle (après Jésus
Christ), les propriétés détonantes de la
« poudre noire » sont utilisées en Chine à
des fins artistiques. A la pyrotechnie s'ajoutent les systèmes de
machinerie, dont les premiers sont apparus dès l'Antiquité, qui
prennent au cours de la Renaissance, grâce à de grands artistes et
inventeurs tels que Léonard de Vinci, une autre dimension. De Vinci
influença également beaucoup l'apparition des automates qui
connurent leur véritable essor au début du XVIIIème
siècle avec l'utilisation des mécanismes d'horlogerie et leur
apogée avec le magicien et fabricant d'automates Robert Houdin
(1805-1871).
Les lanternes magiques et même le cinéma
primitif298(*) - par
l'illusion du mouvement et, donc, de la réalité qu'il
créait par le défilement de photographies - furent
considérés par beaucoup comme des effets spéciaux à
part entière : « N'oublions pas que le cinéma fut
à ses origines traité comme un effet spécial en
lui-même : le simple fait de voir avancer vers la salle une
puissante locomotive, ou de voir bouger des photographies, apparaissait comme
un tour de magie » (Chion, 1990, p.206).
Puis, se développèrent des effets spéciaux
spécifiquement cinématographiques. Les premiers seraient
dûs au hasard. Selon une anecdote célèbre, Georges
Méliès299(*) découvrit son premier truc à la suite
d'un incident technique : sa caméra se bloqua tandis qu'il filmait
la place de l'Opéra. Méliès coupa le morceau de pellicule
abîmé et colla les deux bouts de la pellicule en état, puis
poursuivit le tournage comme si de rien n'était. A la diffusion, il fut
stupéfait de découvrir un omnibus se transformer brutalement en
corbillard. Entre le moment de l'incident qui arrêta la prise de vues et
la reprise du tournage, un corbillard s'était, en effet, placé
là où se trouvait quelques instants plus tôt l'omnibus,
d'où un effet spécial surprenant. Méliès venait de
découvrir l'intérêt de ce trucage par substitution. Il le
développa, le perfectionna, inventa la surimpression,
c'est-à-dire les expositions multiples de la même portion de
pellicule, ayant pour résultat de mélanger plusieurs images en
une seule, mais aussi le cache300(*), notamment pour faire disparaître et
réapparaître les acteurs ou les objets, qu'il utilisa par exemple
dans son premier film à trucage, L'Escamotage d'une dame chez
Robert Houdin (1896).
De cette époque à la nôtre, les inventions de
Georges Méliès furent souvent à l'origine de nouvelles
techniques telles que les peintures sur verre (1907), la transparence ou
rétroprojection301(*) (1930), la projection frontale ( 1932), le
Scotchlite302(*) (1940), les écrans-puzzles 303(*)( 1980), le
procédé Zoptics 304(*)(1978), l'introvision 305(*)(1981), etc.
Aussi, les effets spéciaux désignent-ils en plus
des grandes machineries, des automates, des poupées, des
déguisements, des effets pyrotechniques, des masques et autres
maquillages, « différentes manipulations photographiques
permettant de créer des relations spatiales fictives au sein d'un
même plan, par exemple, la surimpression, le plan composite306(*) et la
transparence » (Bordwell et Thompson, 2002).
Autrement dit, les effets spéciaux regroupent toutes les
techniques qui permettent « de simuler à l'écran un
événement qu'il n'est pas possible, pour une raison ou une autre,
de filmer en vrai. Cela va de la fumée dans une tasse de café
à la destruction d'une planète entière »
(Allorge, 2003, p.331).
Les spécialistes des effets spéciaux, à la
fois artistes et techniciens, sont constamment à la recherche de
nouveautés, de moyens de manipuler la réalité, soit pour
construire un monde irréel (par exemple, dans les films de
science-fiction et d'horreur, dans les films fantastiques), soit pour
reconstituer un monde réel disparu (par exemple, dans les films
historiques) ou un monde que des contraintes techniques et/ou
budgétaires et/ou politiques interdisent de filmer, soit pour amplifier
le réalisme de certaines scènes307(*).
En conséquence, il est, une fois de plus, difficile de
conclure en l'existence d'un véritable code des effets spéciaux.
La créativité, l'inventivité, l'appropriation des
nouvelles technologies (informatique, matériaux de synthèse,
images de synthèse, en 3 dimensions, etc.) font constamment
évoluer les techniques utilisées, les rendant vite
obsolètes. Comme l'écrit Chion (2002,
p.208) : « Les effets spéciaux sont restés un
art d'habileté pratique où ne règne aucune routine, et qui
souvent fait éclater les barrières entre les
métiers ».
L'informatique fut dans un premier temps utilisée pour
déplacer les caméras, comme ce fut le cas lors du tournage de
La Guerre des Etoiles - Star Wars (George Lucas, 1977). Ce n'est
qu'à partir des années 80 que les images de synthèse
intéressèrent les cinéastes (du cinéma autre
qu'expérimental). Le film de science-fiction Tron (Steven
Lisberger, 1982) est le premier à montrer des scènes de
cinéma en images de synthèse 3D : motos, tanks, paysages,
etc. Mais il faudra attendre 1991 pour qu'après plus de soixante ans
d'utilisation de trucages optiques, le premier film à effets
spéciaux uniquement composés numériquement sorte. Il
s'agit du film de science-fiction de James Cameron dont la première
partie sortit en 1984 : Terminator 2 : Le jugement dernier
(1991). Depuis, la plupart des films à succès ont utilisé
les effets numériques.
Le développement du numérique permit au
cinéma français de renouer avec les effets spéciaux.
Grâce à ce saut technologique, en effet, « la France
est revenue dans le wagon de tête » comme le dit, dans une
entretien (in Pinteau, 2003, p.188-199), Pitof, le réalisateur de
Vidocq (2000) premier film au monde tourné en numérique
haute définition.
Toutefois, les effets spéciaux,
numériques ou non, présentent trois limites importantes.
- La première est qu'ils sont
généralement coûteux. Cette cherté n'est pas
nouvelle, elle explique en partie que les réalisateurs de la Nouvelle
Vague aient décidé de tourner en dehors des studios, en
décors naturels. Contrairement à ce que certains ont cru ou
espéré, le numérique n'a pas entraîné une
baisse des coûts, l'évolution technologique obligeant à une
course aux investissements pour ne pas être dépassée. La
cherté est toutefois à relativiser. Il existe, bien sûr,
des techniques à la portée des petits budgets. Lionel Allorge
(2002, p.330-515) en présente un assez grand nombre qui permettent la
réalisation de maquettes, l'animation d'objets à la main,
l'effacement des fils et des câbles qui retiennent des objets ou des
acteurs, la réalisation d'un décor virtuel, le Matte
painting308(*) d'un rayon lumineux,
d'un feu d'artifices virtuel, des armes à feu virtuelles, le
warping309(*) et le morphing310(*), etc. Parmi ces techniques
à la portée de « toutes les bourses »,
certaines sont numériques d'autres non. Il est intéressant de
noter que certaines d'entre elles reprennent les techniques inventées
par Georges Méliès et les trucages des comédies du
début du XXème siècle et des fantastiques des
années 20 ainsi que la transparence mise au point dans les années
30 (Pinteau, 2003, p. 26-33). En revanche, le numérique facilite
grandement toutes les manipulations d'images et il existe des logiciels
abordables, voire gratuits, téléchargeables ou non, par
exemple sur :
www.debugmode.com/winmorph
.
- La deuxième limite vient des spectateurs. Les
effets spéciaux sont parfois peu appréciés du public et
notamment par le public français, comme le regrette Jean-Pierre
Jeunet : « Je sais qu'il y a chez les français un a
priori très négatif envers les effets spéciaux, qui vient
principalement du cinéma fantastique. Mais c'est une erreur. Les
effets spéciaux ne servent pas uniquement à montrer des vaisseaux
spatiaux ou des monstres qui bavent ». Jeunet le déplore
d'autant plus que les effets spéciaux permettent de renouveler
l'écriture cinématographique, en les intégrant dans la
narration : « Ils servent à repousser un peu plus loin
les limites du possible. Et on devrait s'en servir pour renouveler
l'écriture cinématographique. Zemeckis l'a bien compris :
dans Forrest Gump, il s'en sert pour permettre au personnage de rencontrer
Kennedy, ou pour remplir un parc de Washington sans avoir à
dépenser une fortune en figurants. Je pense qu'il y a vis-à-vis
des effets spéciaux la même réticence stupide qu'il y a eu
lorsque le son est arrivé, dans les années 30. »
(Jeunet, in Tirard, 2004, p.52).
Le fait que les effets spéciaux aient eu
tendance à être utilisés dans des genres
cinématographiques particuliers (science-fiction, fantastique, etc.)
rend difficile leur emploi actuel dans d'autres genres, non pas pour des
raisons techniques, mais parce que le public les y a cantonnés et que
certains spectateurs acceptent difficilement cette manipulation de ce qu'ils
croient être une réalité, comme si après l'illusion
cinématographique de la réalité liée au
défilement des images, les effets spéciaux étaient de
trop..
- La troisième limite à l'utilisation des effets
spéciaux pourra paraître paradoxale avec la deuxième. Elle
n'en est pas moins réelle. De plus en plus de réalisateurs, comme
Jeunet, considèrent que l'utilisation des effets spéciaux doit
dépasser les genres cinématographiques. Ainsi, certains auteurs
estiment que les effets spéciaux qui étaient une des marques du
genre fantastique ont, à la suite de la révolution
numérique, été repris dans d'autres genres
cinématographiques ; ce qui fait dire à Norbert Multeau
(2001, p.206-207) : « Le fantastique au cinéma
n'existe quasiment plus, car c'est tout le cinéma qui en train de
devenir fantastique (...) A mesure que les effets spéciaux se
perfectionnent la qualité du frisson s'altère et le genre se
dégrade311(*) ».
Les effets spéciaux sont un des éléments
filmiques les plus sujets à l'évolution, à l'innovation,
voire à la surenchère. Des effets spéciaux jugés
spectaculaires au moment de la sortie du film peuvent, en cas
d'évolution tant technologique que culturelle - autrement dit du point
de vue du cinéaste comme de celui du spectateur - rendre un film
vieillot, voire insupportable à regarder.
Il est donc difficile de parler de conventions et encore moins de
code. Il n'en demeure pas moins vrai qu'il existe une tradition, qui remonte
aux origines du cinéma et que certaines techniques actuelles ne sont en
réalité que des variantes plus ou moins sophistiquées de
trucages classiques.
En guise de fin à ce chapitre consacré à la
bande image, nous pouvons résumer les conclusions auxquelles nous sommes
parvenus. Les codes que nous avons présentés, qu'ils soient
spécifiques ou non spécifiques au cinéma,
présentent plusieurs caractéristiques :
· Il s'agit de règles plus que de lois (Mitry), des
règles souvent éphémères (Ropars-Wuilleumier, 1970,
pp 23- 25)
· Des règles inventées par des
cinéastes et non des lois naturelles.
· Des règles souvent contestables et
contestées qui ne demandent qu'à ne pas être
respectées.
· Des règles qui évoluent avec le temps, avec
la technologie, avec l'expérience des professionnels du cinéma et
avec celle des spectateurs.
· Des règles qui naissent, s'imposent à tous,
se dérogent, disparaissent, renaissent, etc.
· Des règles qui touchent de nombreux domaines
artistiques et techniques donc qui ne sont pas établies par une seule
profession mais par les différents corps de métier du
cinéma.
· Des règles qui varient selon les continents et les
civilisations. Les règles des cinéastes d'Hollywood ne sont pas
celles des professionnels de Bollywood (Bombay).
· Des règles qui combinées d'une certaine
façon peuvent faire naître un genre cinématographique ou un
certain style.
· Des règles qui sont le fruit d'une invention
stylistique qui ont eu leur précurseur et dont la reprise par d'autres
fut à l'origine d'une codification, d'une convention
· Des règles qui combinées d'une certaine
façon peuvent faire naître un genre cinématographique ou un
certain style.
· Des règles qui pour être utiles doivent
être connues par les professionnels et comprises par les spectateurs.
Une question vient alors à l'esprit, ces
conclusions, même résumées, sont-elles
généralisables à la bande son ?
Chapitre 6 : Les codes de la bande son
Bien que la bande son ait fait l'objet de moins d'études
et de recherches que la bande image, son influence sur les spectateurs est
incontestable. Comme dans la bande image, il existe des codes
spécifiques et d'autres qui ne sont pas uniquement
cinématographiques.
Le code de la relation images-sons et le code du synchronisme
sont spécifiques au langage cinématographique. D'autres codes de
la bande son existent mais sont non spécifiques, non
cinématographiques comme, par exemple, le code de la musique et le code
linguistique des dialogues.
Exemples de codes filmiques de la bande-son
(selon Metz et Odin)
|
Bande-son
|
Codes non spécifiques, ou filmiques non
cinématographiques
|
- code de la construction des dialogues
- code de la musique
|
Codes spécifiques, ou
filmiques cinématographiques
|
- code de la relation images-sons,
- code du synchronisme
- etc.
|
I- Les différents éléments de la
bande-son
Après une assez longue histoire du cinéma muet, en
1927, sortit le premier film du cinéma parlant : Le chanteur de
Jazz (Alan Crosland, 1927). Le passage du muet au parlant ne se fit pas
sans résistance de la part des comédiens, dont certains virent
leur carrière s'arrêter brutalement et connurent la misère
car leur voix ne correspondait pas à leur physique, mais aussi de la
part de certains cinéastes dont le plus illustre, Louis Lumière,
qui déclara en 1935 avec franchise : « lorsque j'ai vu les
tout premiers films parlants ou sonores, j'ai craint à une disproportion
flagrante entre la grandeur des personnages et leur puissance vocale. J'ai bien
vite reconnu qu'il n'en était rien ». Il précisa
même sa pensée lors d'une autre interview qu'il accorda à
un journaliste de L'Intransigeant, en mars 1935312(*), « Au début
du parlant, je ne croyais pas à son succès, je l'avoue. Il me
paraissait choquant que des personnages plus grands que nature sur
l'écran émissent des sons qui n'étaient pas à
l'échelle ».
L'un des formalistes soviétiques, Adrian Piotrovski,
écrivait en 1927313(*) : « il faut passer au sonore au plus
vite mais il faut se garder de se laisser enliser au niveau de la base
technique (...) Il faut conserver les figures de montage (associatif,
analogique, parallèle, rapide, intellectuel) et y introduire le son. Il
faut trouver une photogénie du son. Il doit être traité
comme un matériau expressif indépendant qu'il s'agit d'organiser
selon des paramètres tels que fort/faible, loin/rapproché,
analogues aux systèmes d'oppositions dans l'image du gros plan et du
plan général, par exemple. »
Louis Lumière, lui-même, proposa une explication au
succès du parlant, contre ses propres prévisions, par un
« effet psychologique » qu'on retrouvera par la suite
à chaque évolution technologique (film en couleur, en relief, en
dolby stéréo, effets spéciaux numériques,
etc.) : « Je constatai bien vite que l'invraisemblance ne rebute
jamais l'esprit humain. Notre cerveau fait l'adaptation ».
Toutefois, l'erreur serait de croire qu'avant cette
révolution du cinéma parlant, les films étaient sans son.
Au temps du muet, un bonimenteur314(*) et/ou un accompagnateur, généralement
un pianiste, assuraient des sons pendant la projection. Leur présence,
tout au moins au début, n'était pas uniquement pédagogique
ou informative. Elle se justifiait par la nécessité de couvrir le
bruit de l'appareil de projection.
Ce n'est qu'avec l'expérience que les cinéastes
s'aperçurent que la musique augmentait l'effet émotionnel des
images, en jouant, comme le suggérait Eisenstein notamment, sur les
changements de rythme, sur les conflits, l'effet de surprise, le contrepoint
audiovisuel315(*), etc.
ou comme Chaplin l'a écrit sur la non-concurrence avec l'image, sur le
contrepoint de charme et de grâce (pour son personnage comique
de Charlot), sur l'expression de sentiments (Chaplin, 1964)316(*). Ce contrepoint est devenu
par la suite multiforme (Lacombe et Porcile, 1995, p.239-240) 317(*).
Puis, de nombreuses salles s'équipèrent d'un
procédé phonographique afin de diffuser de la musique, souvent
à valeur dramatique ou comique. Au bruitage et/ou à la musique
qui constituèrent dans un premier temps la « bande
son », s'y adjoignirent les paroles en 1927 ; paroles qui
n'étaient décryptables jusque là que par les malentendants
sachant lire sur les lèvres318(*).
L'évolution technologique aidant, actuellement la
bande-son est composée de différents éléments
hétérogènes que l'on classe traditionnellement en
trois catégories selon leur nature : les voix (dialogues, voix d'un
éventuel narrateur)319(*), les bruits, la musique. A ces
éléments, non spécifiquement cinématographiques,
correspondent des codes non spécifiques que nous étudierons
après avoir étudié les effets de la combinaison,
spécifiquement cinématographique (ou tout au moins
audiovisuelle), de la bande son et de la bande image.
II- Les relations images-sons
Une autre classification que celle fondée sur la nature
des éléments de la bande son (voix, bruits, musique) est tout
aussi importante.
Elle distingue les sons selon la localisation de leur source
émettrice : les sons in, les sons hors-champ, les sons
off.
Ces deux classifications peuvent, bien entendu, être
croisées :
Nature du son/
Localisation de la source émettrice
|
Voix
|
Bruits
|
Musique
|
In
|
Voix in
|
Bruits in
|
Musique in
|
Hors-champ
|
Voix hors-champ
|
Bruits hors-champ
|
Musique hors-champ
|
Off
|
Voix off
|
Bruits off
|
Musique off
|
Tout ce qui est in a une source visible à
l'écran. Les sons in font partie de la partie de la fiction et
appartiennent à son espace/temps.
Une voix in est une voix d'un personnage
présent à l'écran, qu'il parle à un autre
personnage ou qu'il soliloque, qu'il se parle à lui-même.
Que la voix soit en version originale (V.O.) ou qu'elle soit
doublée, par exemple en version française (V.F.) n'a aucune
importance, dans cette classification. Un bruit in est un bruit
synchrone avec la source du bruit (objet, machine, véhicule, arme, etc.)
en fonctionnement, que le bruit soit le résultat d'un bruitage ou non.
Une musique in est une musique jouée par un
musicien ou un groupe ou un orchestre que l'on voit en train de jouer à
l'écran, d'où le nom qu'on lui donne de musique d'écran.
Une musique de film peut être une musique d'écran dans certains
plans et une musique off (dite également de fosse) dans
d'autres plans comme, par exemple, la musique de Georges Delerue dans le film
Diên Biên Phû de Pierre Schoendoerffer (1992),
« jouée » par la violoniste Béatrice Vergnes
(interprétée par Ludmila Mikaël) à l'Opéra de
Hanoï, dans de nombreux plans, tout au long du film.
Les sons hors-champ sont des sons qui proviennent du
hors-champ spatial, c'est-à-dire de l'espace qui n'est pas filmé
par la caméra et qui n'est donc pas visible à l'écran par
le spectateur. Une voix hors-champ sera, par exemple, celle d'un personnage,
hors-champ, qui interpelle un autre personnage dans le champ. Une musique
hors-champ sera, par exemple, une musique que le spectateur entend, dont il ne
voit pas la source mais qu'il peut situer comme étant dans la
diégèse320(*), parce qu'il a pu voir la source musicale ou la
verra dans un autre plan (par exemple, un orchestre dans la rue). Ces sons
hors-champ peuvent avoir, en effet, un effet retard (par exemple, un bruit
d'une voiture qui n'est plus visible), ou un effet d'anticipation (par exemple,
le bruit du tonnerre qui approche). Dans ce cas, ce sont des sons dits
non-simultanés.
Les sons hors-champ sont, comme les sons in, des sons
diégétiques, c'est-à-dire des sons qui ont leur source
dans le monde produit par le film (Odin, 1990, p.244-245).
Les sons off sont des sons extérieurs à la
fiction. Ils sont donc non diégétiques ou
extra-diégétiques autrement dit non situés dans
l'espace/temps de la fiction. Ils viennent d'un
« ailleurs », identifiable ou non. Il peut s'agir d'une
voix off d'un narrateur, anonyme ou de celle du personnage qui conte
son histoire. Ce peut être une musique de fosse dont on ne sait
d'où elle vient mais qui accompagne l'action pour augmenter
l'émotion chez le spectateur. Par exemple, une musique langoureuse pour
accompagner une scène amoureuse.
Il existe des films dans lesquels tous les sons sont
off, c'est-à-dire extradiégétiques :
Bordwell et Thompson (2000, p.404) citent notamment War requiem de
Derek Jarman (1989) qui ne contient que des musiques
extradiégétiques. La plupart des films documentaires sont
également composés, en grande partie voire en totalité, de
sons off, extradiégétiques tels que les commentaires en
voix off et une musique orchestrale d'accompagnement. Les
bruits off sont beaucoup plus rares. Bessière (2000, p.55) en
cite un exemple : «Dans La gloire de mon père, le
crissement sur le papier de la plume « tenue » par Marcel
Pagnol qui se remémore. Dans ce cas, les bruits off
émanent de l'espace de la voix off ».
Cette présentation des sons in, hors-champ et
off en a fait apparaître une troisième qui distingue les
sons diégétiques des sons extradiégétiques, et une
quatrième qui distingue les sons simultanés (images/sons) des
sons non simultanés que certains auteurs ne confondent pas avec les sons
synchrones et les sons non-synchrones.
Quelques classifications des sons
- Classification : sons in, sons
off, sons hors champ
|
- Sons in : sons externes dont la source est visible
à l'écran
- Sons off : sons extérieurs à la fiction ne
pouvant pas être entendus dans l'espace de l'histoire
- Sons hors champ : sons venant d'une source que le
spectateur suppose se trouver dans l'espace du récit mais dans une zone
qui n'est pas visible à l'écran.
|
- Classification : sons diégétiques et
sons extradiégétiques
|
- Sons diégétiques : sons venant d'une source
présente dans le monde du film
- Sons extradiégétiques : sons venant d'une
source extérieure au pseudo espace de l'histoire
|
- Classification : sons simultanés et sons
non-simultanés
|
- Sons simultanés : sons diégétiques
présentés comme arrivant en même temps dans l'histoire que
l'image
- Sons non-simultanés : sons
diégétiques correspondant à un événement
antérieur ou postérieur à ce qui est montré
à l'image
|
- Classification : sons synchrones et sons
non-synchrones
|
- Sons synchrones : sons en état de
simultanéité temporelle avec les mouvements (de lèvres,
par exemple) à l'image
- Sons non-synchrones : sons en état de
non-simultanéité temporelle avec les mouvements (de
lèvres, par exemple) à l'image.
|
Les sons ont donc une dimension spatiale et temporelle, en plus
des dimensions rythmique, esthétique et narrative qui ont, comme nous le
verrons plus loin, un fort impact émotionnel sur le spectateur. Ils
offrent donc aux réalisateurs un grand nombre de possibilités
créatives : changement de rythme, contraste sonore, changement
d'intensité, effet de surprise d'un son que le spectateur croit
extradiégétique et qui est - il le verra dans la suite du film -
diégétique, flashback sonore, etc.
Les combinaisons de techniques sont si nombreuses qu'aucun
réalisateur ne pourrait toutes les utiliser dans un film. Bordwell et
Thompson (2000, p.411-414) ont tenté de résumer les relations
spatiales et temporelles possibles entre image et son dans le tableau
suivant :
Les différents sons au cinéma selon les
choix en matière de temps et d'espace
(Bordwell et Thompson, 2000, p. 412)
Temporalité
|
Origine spatiale du son
|
|
Son diégétique (dans l'espace de
l'histoire)
|
Son extradiégétique (hors de
l'espace de l'histoire)
|
Son non-simultané : le son
correspond à un événement de l'histoire
antérieur à celui présenté par
l'image
|
- Flashback sonore321(*)
- Flashforward visuel322(*)
- Pont sonore ou chevauchement sonore 323(*) 324(*)
|
Son dont l'antériorité est manifeste (par exemple :
un discours de John Kennedy sur des images de l'Amérique
contemporaine)
|
Son simultané :
l'événement auquel le son correspond est présenté
simultanément à l'image
|
- Son diégétique externe :
- dialogues, bruits,
- musique
- - Son diégétique interne : pensées
du personnage
|
Son dont la simultanéité avec les images est
manifeste (par exemple, un narrateur décrivant des
événements au présent
|
Son non-simultané : le son
correspond à un événement de l'histoire
postérieur à celui de l'image
|
- Flashforward sonore325(*)
- Flashback visuel326(*) avec le son de l'action en cours se prolongeant.
Exemple : un personnage raconte des événements
passés
- Pont sonore
|
Son dont la postériorité aux images est manifeste
(par exemple, le narrateur se souvenant des événements du
passé)
|
Bien que critiquées par certains auteurs, ces
différentes typologies ont, entre autres choses, l'intérêt
de mettre en exergue l'importance des éléments non
diégétiques dans la bande son, ce qui la différencie de la
bande image. « Par rapport à la bande-image, elle comporte
beaucoup plus de matériel non diégétique. La musique de
film, notamment, est principalement extra-diégétique (la musique
de fosse), mais c'est aussi le cas d'une proportion non négligeable de
la bande-paroles : dans certains films, par exemple, la plupart des
documentaires, mais aussi de nombreux films de fiction, un commentaire trouve
sa source hors de la diégèse ». (Aumont et Marie, 2000,
p.149)
Une autre différence majeure avec la bande image est que
la bande son ne peut pas être découpée facilement.
« La bande-son apparaît souvent comme un continuum, un magma
qui s'étire à la fois verticalement, car les sons se superposent,
et horizontalement, tant il est vrai que les silences sont rares au long des
quatre-vingt minutes d'un film (...) Tandis que le spectateur se trouve
visuellement promené d'un point à l'autre de l'espace de la
scène, d'une taille de plan à une autre, avec une
soudaineté qui n'existe pas dans la vie quotidienne, la bande-son se
déroule linéairement, exempte, dans la plupart des oeuvres, de
cette coupure violente qui est monnaie courante dans la bande-image»
(Jullier, 1995, p.7-8)327(*)
Toutefois, en dépit de sa rareté, il faut garder
à l'esprit que le silence est une composante dramatique que ne pas peut
ignorer un réalisateur. « Dans l'espace
cinématographique, un espace de silence au milieu d'un contexte sonore
est aussi intense que l'intervention du son ou de la musique après un
long silence. Le silence brise le son avec la même intensité que
le son brise le silence » (Litwin, 1992, p.107)
Une troisième différence entre la bande image et la
bande son vient du fait que l'image sur l'écran ne subit que peu de
perturbations contrairement au son émis par les hauts-parleurs ce que
Roger Odin appelle le problème de l'écoute filmique.
« Le spectateur de cinéma est dans une salle de spectacle,
entouré d'autres spectateurs ; bien que l'obscurité
règne, le contact entre les spectateurs n'est pas totalement aboli
(...) ; parfois des courants auditifs s'établissent, des signes
d'émotions s'échangent ; parfois, aussi, ces sons deviennent
des « bruits » au sens que la théorie de
l'information donne à ce terme : ils perturbent l'audition filmique
tout comme le perturbe le grincement de sièges, le ronflement du
projecteur, etc. » (Odin, 1990, p.139)
Une quatrième différence entre la bande image et la
bande son est consécutive à celles qui existent entre les
perceptions visuelles et les perceptions auditives. Comme l'écrit Michel
Chion, « l'oreille analyse, travaille et synthétise plus vite
que l'oeil. Si l'oeil est plus lent, c'est parce qu'il a plus à
faire : il travaille à la fois l'espace, qu'il explore, et dans le
temps, qu'il suit. Il est donc vite dépassé lorsqu'il doit
assumer les deux. L'oreille, elle isole, une ligne, un point de son champ
d'écoute, et elle suit ce point, cette ligne dans le temps ».
Et Chion (2000, p.14) de conclure : «en gros, l'oeil est donc plus
habile spatialement, et l'oreille temporellement ».
Certains auteurs vont jusqu'à considérer que la
bande son et, en particulier, les voix et paroles, peuvent détourner
l'attention du spectateur de la bande image. Ainsi, selon Opritescu (1997,
p.127-128) « Le mot et l'image sont deux véhicules de la
communication qui demandent deux modes de réception totalement
différents. Le message véhiculé par la langue
parlée demande une communauté de code, ethnologique et/ou
culturelle entre le locuteur et le récepteur (...) Cette double
perception fait la richesse du langage filmique mais aussi la difficulté
de l'analyse et de l'appréhension de sa spécificité car
à l'école nous sommes tous fortement conditionnés par des
siècles d'éducation au moyen du verbe ». Toutefois,
a contrario, certains réalisateurs, dont Peter
Greenaway328(*),
considèrent qu'une bande image trop découpée,
animée par une sorte de « danse de Saint Guy (...) avec leur
diarrhée de travellings » peut atténuer l'impact du
dialogue. En revanche, « si la caméra est statique le public
écoute mieux le dialogue. Et (dans Meutre dans un jardin anglais)
il était nécessaire que chaque mot soit vraiment entendu. Il
est temps de donner au langage la place qui lui est due dans les
films ».
L'idée d'une hiérarchie entre les
éléments sonores est développée également
par Chion qui considère les voix comme l'élément premier,
allant jusqu'à distinguer les voix humaines et tous les autres
éléments sonores : « il y a les voix, et tout le
reste. Autrement dit, dans n'importe quel magma sonore la présence d'une
voix humaine hiérarchise la perception autour d'elle (Aumont et Marie,
2000, p.150).
Toutefois, cette hiérarchisation ne doit pas occulter le
fait que chacun des éléments sonores peut être
supérieurs à l'autre, dans certaines circonstances, pour
atteindre certains objectifs (esthétiques, narratifs ou autres), ou
nécessaires à une meilleure compréhension, par exemple
pour lever une ambiguïté, limiter la polysémie de l'image,
etc.
Par voie de conséquence, il nous semble, comme le
suggère Laurent Jullier (1995), utile de distinguer la nature du son et
ses fonctions au sein d'un récit : « Pour un objet
sonore, constituer un bruit de cloches et annoncer la libération de
Paris n'est certes pas la même chose (Paris
brûle-t-il ?). La sonnerie des cloches fait partie des
matières de l'expression et l'annonce de l'événement fait
partie des fonctions assignées aux éléments de la
matière d'expression. Cette distinction se retrouve chez D.
Château avec le niveau matériel
(« propriétés physiques des sons, indépendamment
de tout système d'expression ») et le niveau formel
(« valeur fonctionnelle dans le processus de
communication » (Jullier, 1995, p.124-125).
Pour répondre à cette séparation souhaitable
des éléments sonores, à leur hiérarchisation,
à leur code (filmique mais non cinématographique) et à
leur fonctionnalisation, nous les développerons par la suite, chacun
séparément, en tentant de mettre en évidence le sens
qu'ils véhiculent prioritairement.
III- Les sons synchrones et les sons
post-synchronisés
Les sons d'un film sont enregistrés soit après le
montage des images, soit en prise directe sur site, c'est-à-dire sur le
lieu du tournage dans un studio ou en extérieur, soit
éventuellement en combinant ces deux moyens. Dans le premier cas, on
parlera de sons post-synchronisés. Dans le deuxième, de sons
synchrones (Wyn, 1972).
Dans les deux cas, les sons filmiques sont enregistrés et
leur écoute est, selon Odin (1990, p.239) à la fois
relayée, par des hauts parleurs, et acousmatique - c'est-à-dire
que le spectateur ne voit pas la source première du son qu'il entend.
« Ainsi, le spectateur ne voit-il pas les sources premières
des sons filmiques qu'il perçoit : l'orchestre a enregistré
la musique du film, les acteurs en chair et en os qui ont joué les
personnages, etc. ; le son est toujours relayé par des hauts
parleurs. L'une des conséquences majeures de cette situation est qu'il
est parfois difficile d'identifier avec certitude l'origine des
sons. »
Ces caractéristiques du son filmique permettent aux
réalisateurs qui le souhaitent d'utiliser la bande-son pour contribuer
au jeu de conflits préconisé par Eisenstein.
Pour montrer la différence entre percevoir un son et
identifier sa source et sur le parti qu'un réalisateur peut en tirer
pour produire des effets de surprise, Odin cite un exemple proposé par
Belà Balazs : « Nous sommes en Afrique, la nuit. Dans le
noir, nous entendons soudain un sifflement. Un serpent ? Sur
l'écran, un personnage se tourne horrifié vers la source et le
spectateur s'accroche à son siège. Mais bientôt la
caméra panoramique vers la source du son : la bouilloire sur le
réchaud à gaz... »329(*).
Comparés aux sons post-synchronisés, les sons
synchrones sont souvent considérés comme plus à même
à créer un effet de « vérité ».
C'est la raison pour laquelle, ils furent défendus par les
cinéastes et théoriciens de La Nouvelle Vague. Certains
professionnels soutiennent encore que chaque lieu a un parfum sonore inimitable
et donc irremplaçable. Leur défaut est que la qualité
sonore laisse parfois à désirer : les sons paraissent
souvent brouillés, diffus, « mal
enregistrés » (Bessière, 2000, p.57).
C'est l'une des raisons pour laquelle, avec celle de la
production de versions dans d'autres langues que celle de la version originale,
de nombreux réalisateurs ont tendance à lui
préférer un son de meilleur qualité grâce à
une postsynchronisation330(*), autrement dit par une addition des sons
après le tournage du film.
Les défenseurs du son post-synchronisé revendiquent
la modernité, la qualité sonore, la commodité et
l'excellence des techniques actuelles de mixage331(*). D'autres insisteront sur
les bruits perturbateurs que la prise directe ne peut éviter.
La postsynchronisation inclut donc le bruitage - dont nous avons
déjà parlé - et le doublage des acteurs, et cela quelle
que soit la langue utilisée dans le film. Le doublage consiste, en
effet, à enregistrer en tout ou partie, dans un studio, les voix des
acteurs ou de leur doublure dans une langue étrangère. Dans les
deux cas, toute la difficulté réside dans la nécessaire
synchronisation avec les images tournées. Il faut que les textes soient
dits de manière à ce que les mouvements des lèvres des
acteurs à l'écran concordent avec les paroles que le spectateur
entend. Toutefois, l'acteur ne pouvant jouer deux fois une même
scène d'une manière identique, il existe toujours un écart
sonore, si minime soit-il.
Le spectateur ne se rendra pas compte de cet a-synchronisme
sons/image en raison de trois principes physiologiques et/ou
psychologiques relatifs à l'image : la fugacité des images,
la persistance rétinienne, l'oubli rapide des détails d'une
image.
Ces principes physiologiques expliquent que le doublage d'un
acteur étranger par une voix française soit, dans l'ensemble,
bien acceptée par le public français. Ce que le public
américain accepte moins bien, semble-t-il, à moins que ce soit
une façon «élégante » pour le cinéma
américain de protéger leur marché intérieur.
Une anecdote historique est intéressante pour bien
comprendre que l'écart sonore, l'a-synchronisme sons/images est moins
important que le décalage, le hiatus entre le personnage à jouer
et l'acteur qui le joue. Dans les années trente, le doublage
n'étant pas encore au point, les cinéastes américains
eurent alors l'idée de différencier leur offre filmique en
tournant des films dans la langue de chacun des publics nationaux visés.
« La MGM, la Warner ou la Fox le faisaient en attirant à
Hollywood acteurs et réalisateurs français, allemands, espagnols,
suédois, etc. et réalisèrent ainsi dans les studios
californiens environ 35 films « français »,
tournés dans notre langue avec des acteurs français ou
francophones. Ces oeuvres étaient de simples décalques de films
américains dont les originaux restaient inconnus hors des Etats-Unis,
comme Le Procès de Mary Dugan (1931) ou La Piste des
géants (1931), western de Raoul Walsh où John Wayne
était remplacé par un certain Gaston Glass, pour le public
français.. » (d'Hugues, 1999, p.27-28)332(*). Les résultats furent
généralement désastreux, le public bouda ces films qui
sonnaient faux et les critiques les tournèrent en dérision...
En ce qui concerne la musique, l'obsession du synchronisme a
prévalu jusque dans les années 50-60. La raison est à la
fois historique et technique :
- historique, parce que la musique a longtemps eu une vocation
incidentale. Notamment, pendant la période du cinéma muet, elle
marquait, elle signalait l'événement ;
- technique, parce que la maîtrise de l'enregistrement
sonore n'a pas été immédiate. Lacombe et Porcile (1995,
p.233-234) montrent bien « que le captage comme la reproduction
correcte des bruits ont longtemps posé problème aux
ingénieurs du son néophytes. Un exemple caricatural en est offert
dans Chantons sous la pluie, quand le tremblement des perles d'un
collier se traduit en un raclement de chaîne d'ancre ».
Longtemps, donc, un compositeur de films fut jugé à son
habileté à synchroniser sa musique aux images. Et tout
a-synchronisme était considéré comme une marque de
médiocrité. Il fallut le courage de réalisateurs tels que
Jean Renoir et Jean Cocteau pour combattre ces idées reçues, ces
règles, ce code dirait certains. Jean Cocteau déclarait,
dès 1938, « Une paresse, fille de l'habitude, empêche
d'établir un jeu entre l'oeil et l'oreille et d'en tirer des gags et des
surprises »333(*).
Depuis, les choses ont fort heureusement changé. Aussi,
certains auteurs préfèrent parler de correspondance plutôt
que de synchronisme. Le synchronisme, à leurs yeux, convient pour des
événements ponctuels qui ne peuvent se manifester que de
façon synchrone. Par exemple, une image montrant la chute d'un corps et
le bruit du corps qui s'écrase à terre. Mais, lorsque
l'événement est de plus longue durée, par exemple une
scène romantique appuyée par une illustration musicale, on ne
peut pas parler de synchronisme mais de correspondance. « La
différence entre correspondance et synchronisme se réfère
à l'étendue dans le temps de l'événement à
illustrer. Il y a synchronisme entre événements ponctuels ou
instantanés mais il y a correspondance entre événements
ayant une certaine durée. Dans une bagarre, il y a correspondance entre
la partition musicale illustrant la violence pendant toute sa durée et
synchronisme entre les coups de poing et leurs bruitages » (Litwin,
1992, p.113). La conséquence pratique de cette distinction est que le
synchronisme supporte mal les écarts image-son - bien que le
chronométrage et l'exactitude ne soit pas nécessaires sauf
peut-être dans les dessins animés (traitement
« Mickey-mousing334(*) » de chaque action des personnages) -
alors que la correspondance peut être appuyée par un léger
retard de la musique (parfois une légère avance) par rapport aux
images.335(*)
En réalité, quelle que soit la terminologie
employée, ce qui importe ce n'est pas le synchronisme parfait, c'est que
les sons et les images se combinent bien, que de cette combinaison surgisse un
sens. Comme le disait Robert Bresson336(*) : « C'est le montage qui crée
soudain, quand les images et sons s'ajustent les uns aux autres. La vie surgit
(...) Ce qui est mort sur le papier renaît au tournage, et l'image morte
renaît au montage ».
Or, dans la combinaison audiovisuelle, une perception influence
l'autre et la transforme. De ce constat, Michel Chion propose le concept de
valeur ajoutée : « Par valeur ajoutée, nous
désignons la valeur expressive et informative dont un son enrichit une
image donnée, jusqu'à donner à croire (...) que cette
information ou cette expression se dégage naturellement de ce qu'on voit
et est déjà contenue dans l'image seule. Et jusqu'à
procurer l'impression, éminemment injuste, que le son est inutile, et
qu'il redouble un sens qu'en réalité il amène et
crée, soit de toutes pièces, soit par sa différence
même avec ce qu'on voit » (Chion, 2000, p.8-9).
IV- Les codes non spécifiques de la bande-son
Nous étudierons les trois principales catégories
de sons, classés selon leur nature : les voix, les bruits, la
musique.
A- Les voix et les paroles
Les voix humaines sont, pour la plupart des auteurs, les
éléments sonores que le spectateur sait le mieux écouter
et comprendre.
Au delà du contenu des paroles prononcées,
analysable par des outils linguistiques, narratologiques, psychanalytiques et
autres (Aumont et Marie, 2000), les voix apportent de nombreuses informations
sur le locuteur, « que les mots ne disent pas directement :
sexe, âge, état émotionnel, origine géographique,
quand ce n'est pas le milieu socio-culturel d'appartenance. »
(Jullier, 1995, p.153).
La personne qui parle est, en effet, marquée par le timbre
de sa voix, son rythme, son débit verbal, ses locutions favorites (tics
verbaux, etc.), et autres caractéristiques qui font partie d'un code non
spécifique, non cinématographique.
Ainsi le timbre d'une voix peut être plus ou moins
mélodieux. Une voix nous renvoie, dans certains cas, une image de son
« propriétaire » : une voix de
poissonnière, une voix d'adolescent en train de muer, etc. Le
débit verbal varie également selon les individus et les propos
tenus : une voix traînante d'un personnage calme, lymphatique, voire
malade ; voix saccadée par l'excitation ; une voix
hachée traduisant un malaise, un effort. L'intonation, le ton que prend
l'individu en parlant modifie également le sens de la phrase
prononcée. Enfin, l'accent qui est un signe d'une appartenance
géographique ou sociale. Les accents sont à l'origine de
stéréotypes dont la valeur est toute relative. Le
Méridional est jovial et paresseux, le titi Parisien est
déluré et malicieux, l'Auvergnat est près de ses sous,
etc. « Même si les accents géographiques tendent
aujourd'hui à s'estomper, l'accent reste le signe d'une situation
sociale et l'accent des banlieues est facile à distinguer de celui des
beaux quartiers » (Frechet, 1997, p.36). Ces considérations ne
sont pas importantes uniquement au cinéma. Combien de jeunes de province
ou de banlieue ont-ils pris des cours d'élocution pour se
débarrasser de leur accent afin de se donner plus de chances de
réussir un concours, un entretien de recrutement ?
Au cinéma, un accent peut cantonner un acteur dans un
certain type de rôles, comme Roger Hanin ou Marthe Villalonga avec leur
fort accent pied-noir. Daniel Auteuil qui avait un accent provençal
assez prononcé fit de gros efforts pour le perdre. Il raconte qu'il fut
obligé de se replonger dans l'ambiance de sa Provence natale, quelques
semaines, pour le recouvrer, afin de jouer le personnage d'Ugolin dans les deux
films de Claude Berri d'après le roman de Marcel Pagnol337(*) : Jean de Florette
(Berri, 1986) et Manon des Sources (Berri, 1986).
Exemples de signification des composantes de la
voix
D'après Jullier (1995) et Bailblé
(1979)338(*)
Composante de la voix
|
Exemples de signification
|
Articulation soignée
|
Le degré d'affirmation,
L'envie de se faire comprendre.
|
Articulation peu soignée voire mauvaise
|
La peur, la peur de se faire comprendre, la timidité
|
Vitesse d'élocution élevée
Distribution des silences respiratoires
|
L'émotion, l'énervement
|
Vitesse d'élocution faible
|
L'apathie
|
Prosodie339(*) : hauteur tonale où la voix se forme
|
L'interrogation
|
Déformation volontaire de la voix
|
L'imitation, la contrefaçon
|
Force de la parole
|
Le statut, la position de force ou de faiblesse
|
Il est intéressant de noter, comme Vanoye (1989) et
d'autres, que les omissions, les pauses, les silences, etc. dans un dialogue
peuvent également produire du sens : les hésitations, les
répétitions, la segmentation des énoncés par de
brèves pauses ou des silences, des « fautes » dues
à la rapidité de l'énonciation (Aumont et Marie,
p.157).
Tous les éléments vocaux que nous venons de citer
ne sont pas, répétons-le, cinématographiques et sont
utilisés dans bien d'autres domaines que le cinéma.
En revanche, est spécifique au cinéma, le fait
qu'une voix peut détourner l'attention du spectateur des images. Les
voix, qui proviennent soit de dialogues, soit de commentaires, soit de
monologues (intérieurs ou non), ont des effets, semble-t-il,
différents.
«Etant donné la tendance naturelle des paroles
à s'emparer de notre attention au détriment des images, on
utilise relativement peu le commentaire dans les films de fiction »
(Opritescu, 1997, p.131)340(*). De même, afin que le spectateur ne se
détache pas des images, on évite également les flots de
paroles, notamment dans un dialogue ou un monologue, par exemple, en
rédigeant les répliques d'une façon rythmée, ou en
coupant une même réplique par plusieurs images
différentes.
On retrouve là les deux grandes fonctions que de nombreux
auteurs assignent aux voix : - une fonction d'ancrage pour limiter la
polysémie de l'image et orienter vers un signifié précis,
généralement par un monologue ou un commentaire en voix
off ;
- une fonction de relais pour compléter l'image
dans la production de sens, par exemple à l'aide d'un dialogue qui donne
des informations pour faire avancer l'action.
B- Les bruits
Il est loin le temps où un bruiteur se plaçait
derrière l'écran pour bruiter en direct un film muet341(*). La technologie a largement
fait progresser les techniques d'enregistrement de bruits qui peuvent
être pris soit en cours de tournage, en prise directe, soit
recomposés en post-synchronisation.
L'effet des bruits sur le spectateur est de plus en plus pris en
considération. La formule de Michel Chion prend ici toute son ampleur
« On ne voit pas la même chose quand on entend ; on
n'entend pas la même chose quand on voit ». Il montre
l'importance des bruits à travers l'exemple d'un film Kung Fu :
« ils sont aidés et pointés par des ponctuations
sonores rapides (sifflements, cris, chocs, tintements) qui marquent
perceptivement certains moments et impriment dans la mémoire une trace
audiovisuelle forte » (Chion, 2000, p.14). Il se dégage
là l'une des fonctions principales du bruit : celle de souligner un
geste ou un événement.
Le bruit peut également, selon qu'il est isolé ou
répété, donner ou non une impression de cadence.
Mais il peut, bien entendu, comme nous l'avons déjà
souligné (Jullier, Château), contribuer à la production de
sens. Jullier cite à ce sujet un exemple :
« Considérons un anodin coup de tonnerre : si on lui
applique l'écoute causale, il renvoie à un orage ; si c'est
l'écoute sémantique, il renvoie à une situation
« ça barde », ou « il y a de l'orage dans
l'air » ou encore à des notions symboliques comme
« la colère de Dieu » ; si c'est
l'écoute réduite, il ne renvoie qu'au seul objet sonore qui le
constitue, c'est-à-dire une impulsion de masse complexe, à gros
grain et entretien décroissant » (Jullier, 1995, p.124-125).
Selon lui, l'écoute causale entraîne une production
d'images mentales (visuelles et/ou sonores et/ou strictement conceptuelles). Et
ceci que le bruit soit enregistré en prise directe, qu'il soit
tiré d'une banque de sons, d'un CD audio de bruitages342(*) ou qu'il soit
reconstitué à l'aide d'une des nombreuses techniques de bruitage.
Ces dernières utilisent des objets courants pour simuler des bruits
qu'il est difficile d'enregistrer en situation réelle.
Exemples de techniques de bruitage343(*)
Evénement ou bruit à simuler
|
Bruitage
|
Battement de coeur
|
Saisir les coins opposés d'une serviette et la tendre
rapidement pour obtenir un claquement sourd
|
Coup de poing
|
Frapper fortement un steak avec la main. Pour amplifier le bruit,
placer le steak sur une boîte à chaussure avant de le frapper. La
boîte fera caisse de résonance.
|
Grincement de porte
|
Glisser une bande magnétique entre deux doigts.
|
Pluie
|
Enregistrer la douche. Placer sous l'eau une feuille de
métal ou de plastique pour obtenir différents impacts
|
Feu
|
Froisser lentement une couverture de survie en plastique
métallisé ou des chutes de pellicule photo.
|
C- La musique
La musique a joué un grand rôle dès
l'époque du cinéma muet (Tynianov, 1924). Elle servait au
début surtout à couvrir le bruit du projecteur et pour diminuer
l'inconfort voire la peur des personnes supportant mal l'obscurité dans
laquelle était plongée la salle de spectacle344(*).
Toutefois les musiciens accompagnateurs virent très vite
que la musique pouvait souligner les effets dramatiques des images. Aussi, au
lieu d'improviser345(*)
ou de reprendre des airs d'opéra, les musiciens durent, dès le
début du XXème siècle, se plier à la volonté
des producteurs distributeurs qui ne voulaient pas lasser les spectateurs sur
le plan musical. Les instrumentalistes furent contraints, dans un premier
temps, de respecter des consignes écrites dans des cahiers de musique,
puis, dans un deuxième, de jouer à l'aide de
« véritables » partitions. Puis vint l'idée
d'associer le son et l'image pré-enregistrés, de faire l'union du
cinématographe et du phonographe, dans une période d'ouverture de
salles en dur dans toutes les villes importantes. Charles Pathé,
entrepreneur dans l'image et le son, en fit son cheval de bataille.
Mais c'est sans doute aux réalisateurs eux-mêmes que
l'on doit à la musique de film son actuel statut et son importance
artistique et expressive dans le cinéma.
Abel Gance fut l'un des tout premiers à voir dans la
musique et sa terminologie une voie d'avenir pour le cinéma :
« Un grand film doit être conçu comme une symphonie,
comme une symphonie dans le temps et comme une symphonie dans l'espace. (...)
Le cinéma doit devenir un orchestre visuel, aussi riche, aussi complexe,
aussi monumental que ceux de nos concerts ».
Charlie Chaplin346(*), Jean Grémillon, John Carpenter ont
même parfois composé la musique de leurs films. Dans Histoire
de ma vie (1964), Chaplin, tout en évoquant la période
charnière entre le cinéma muet et le cinéma parlant,
période de tous les dangers notamment pour son personnage de Charlot,
écrit : « Je m'efforçais de composer une musique
élégante et romanesque pour accompagner mes comédies par
contraste avec le personnage de Charlot, car une musique
donnait à mes films une dimension affective. Les arrangeurs de musique
le comprenaient rarement. Ils voulaient une musique
drôle.. »
A l'arrivée du parlant, les réalisateurs ne
manquèrent pas de s'interroger sur la manière d'utiliser la
musique. Certains comme René Clair se lancèrent dans la
réalisation de films chantés (Sous les toits de
Paris, Le Million, A nous la liberté). D'autres
délaissèrent la musique ou la suremployèrent avec une
bande musicale presque ininterrompue pour augmenter l'effet d'unité du
film347(*), ou encore
l'utilisèrent quasi-uniquement « en situation »,
nombreux furent ceux qui l'exploitèrent à des fins narratives.
Le parcours d'Alfred Hitchcock348(*) est révélateur des hésitations
et de l'évolution des cinéastes en matière de musique.
«Pendant sa période anglaise349(*), elle est discrète et le plus souvent
diégétique ou en situation (c'est-à-dire que sa source est
montrée ou supposée hors champ : chanteur, musicien, radio,
électrophone, etc.), elle est beaucoup plus présente dans ses
films hollywoodiens » (Eugène, 2000, p.13). Hitchcock fit
de multiples essais : « des essais du (presque) tout en musique
à son absence totale, de l'emploi de la chanson à l'utilisation
d'effectifs différents (orchestres de chambre ou symphoniques,
formations de jazz...) ». Toutefois, il resta, semble-t-il, convaincu
jusqu'à la fin de sa vie que la présence d'une musique doit
être justifiée. Une anecdote au sujet du film Lifeboat
(1943) citée par Tony Thomas350(*) est
révélatrice. Hichcock ne voulait pas de musique pour ce film et
proclamait à qui voulait l'entendre : « Toute
l'action du film a lieu sur une barque en pleine mer. D'où pourrait
venir la musique ? ». Ce à quoi David Raskin lui aurait
répondu : « Demandez à M. Hitchcock d'expliquer
d'où vient la caméra et j'expliquerai d'où vient la
musique ».
A l'heure actuelle, la musique est utilisée diversement
par les réalisateurs qui lui assignent une ou plusieurs fonctions
à remplir.
La musique, en plus de sa valeur esthétique, est capable
d'accomplir une fonction dramatique. Selon Mario Litwin, « ce talent
dramatique de la musique peut aller très loin car, s'adressant à
l'émotion plus qu'à l'intellect, elle peut imprégner
l'esprit du spectateur sans exiger de lui aucune attention, et agir ainsi
directement sur un plan souterrain, sur son intuition, si ce n'est sur son
inconscient » (Litwin, 1992, p.14).
Plus précisément, la musique peut avoir à
soutenir l'action et/ou à accompagner l'expression des sentiments et/ou
à ponctuer le récit en prévenant le spectateur d'un
événement imminent, d'un changement brutal et/ou à le
laisser retrouver ses esprits, par exemple, après le climax.
La musique peut être employée pour renforcer l'image
et les voix, dans un objectif dit de redondance. Mais elle peut, à
l'inverse, être en opposition avec le sens de l'image, dans un objectif
dit de contraste.
En tout cas, à l'heure actuelle, l'absence de musique se
ferait remarquer tant elle a pris une place importante dans la production du
sens global ainsi que dans la promotion commerciale du film, par la diffusion
des bandes-annonces et la commercialisation des musiques originales du
film351(*). Comme
l'écrit Patrice Leconte dans la préface du livre consacré
à La Musique dans les films d'Alfred Hitchcock (Eugène,
2000) : « Je serai incapable de faire un film sans musique.
C'est-à-dire un film unijambiste, une sorte de facteur sans képi,
de Groucho sans moustache (...) Tout simplement parce que la musique fait
partie intégrante de notre travail. Au même titre que la
lumière, le son ou les acteurs. D'ailleurs n'est-elle pas à sa
manière, un des personnages du film ? ».
Un point de vue partagé par le compositeur Mario
Litwin : « La musique est en effet un comédien sans
parole, un narrateur sans texte, dont la symbiose avec l'image peut atteindre
un pouvoir expressif capable de rendre tout dialogue superflu ».
Toutefois, dans sa fonction dramatique, la musique occupe
généralement, pour ne pas dire toujours la seconde place. Elle
doit éviter, selon la plupart des auteurs, d'éclipser les images
par une présence excessive. D'autres vont plus loin encore, en affirmant
que la musique ne doit pas se faire remarquer.
Certains considèrent inutile la création d'une
musique trop complexe ou trop orchestrée pour un film, argumentant que
le spectateur ne peut assimiler toutes les données visuelles et sonores
en même temps.
De toutes ces considérations souvent divergentes, Litwin
(1992, p.92-93) en tire la conclusion que le spectateur non musicien
n'écoute pas la musique d'une façon attentive mais
marginale: « L'écoute marginale, (celle qui ne passe pas par
l'attention mais qui imprègne l'esprit du spectateur352(*)) capte
paradoxalement la totalité de la structure sonore. Un décor
de fond aux images floues permet de situer une scène dans un lieu
déterminé même si le spectateur ne regarde que les
protagonistes. Cette écoute marginale fait partie de la perception
dramatique de la musique». Cette analogie avec le flou est
intéressante. Elle nous renvoie à ce qu'en dit Bellour (2002,
p.85) « Le flou est devenu, souvent, dans la pratique moderne et
contemporaine où on en fait le plus souvent un usage relatif et partiel,
un indice de réel et d'immédiat, une sorte de garant moral de
l'instantané. ...Mais le flou permet aussi de mieux voir, ou
plutôt de voir autrement ce qui est net. »
Mais la question est, surtout ici, de savoir quels sont ses
effets sur le spectateur. Autrement dit, la musique - dont le but poursuivi par
le réalisateur est souvent de « décrire » ou
d' « exprimer » - a-t-elle réellement des
effets sur la compréhension d'une séquence par le spectateur ou
sur les émotions qu'elle provoque en lui ?
Les réponses sont incertaines et dépendent de la
culture musicale du spectateur. Comme l'écrit Jullier (1995,
p.146) : « s'il y a bien un domaine où les spectateurs ne
se présentent pas sur un pied d'égalité, c'est bien
celui-là. Il n'en va pas de même avec les autres catégories
sonores, car l'interprétation des bruits se résume bien souvent
à la seule identification (qui met en jeu une majorité de
processus indépendants du bagage culturel et de l'humeur du moment),
celle des paroles suppose certes la connaissance de la langue, mais à un
niveau dont on peut légitimement penser qu'il est atteint ou
dépassé par tout spectateur sachant lire. »
Il considère que dès lors que le spectateur
maîtrise les codes de la musique, cette dernière peut apporter des
aides aux prédictions, des pistes, bonnes ou mauvaises, pour anticiper
ce qui va advenir. Il cite, notamment, comme exemple, le trémolo de
cordes basses en code mineur qui, dans la culture occidentale, signale le
danger, l'angoisse.
Il pense également que l'implication la plus
traditionnelle de la musique se situe au niveau des sentiments. Elle est
« chargée de mettre le spectateur en condition pour lire la
scène selon une voie déterminée et le décourager de
lire autrement. Surtout quand les images (...) ont un sens flou : la
musique, alors, les asservit à la production d'un sens plus net -
fonction de bonding. Par exemple, le spectateur est sommé
par le léger butinage de la flûte piccolo, dans Les bourreaux
meurent aussi, de se sentir joyeux au spectacle d'Heydrich au bord de la
mort » (Jullier, 1995, p.151). Cet exemple est également une
parfaite illustration d'une musique à objectif de contraste que nous
évoquions plus haut.
Jullier va plus loin encore en se demandant si l'absence ou la
présence de la musique a davantage d'importance que son contenu. Ce que
Michel Chion et d'autres auteurs semblent conclure, notamment Olivier Philippe
(1999) après son analyse des films policiers français (de 1965
à 1992). Les moments d'apparition et ceux de disparition de la musique
sont, en effet, générateurs d'émotions et de sens. Comme
l'écrit Brion (2000, p.534), au sujet du film d'Alfred Hitchcock The
Birds (Les oiseaux, 1963) : « L'absence de musique et
l'utilisation de sons électroniques pour accompagner l'action ont
également contribué à donner au film un ton inhabituel,
ambigu et très inquiétant ».
L'énumération des codes de correspondance entre
figures musicales et émotions semble donc illusoire et trop sujet
à caution. « Plus souvent que d'asservir une scène
à un sens, il est question pour la musique simplement d'être
là, afin que le spectateur se laisse aller (résurgence
de l'idée pythagorienne de catharsis permise par une musique
destinée à purifier l'âme). C'est l'approche
psychanalytique, alors, qui peut être utile à l'analyste : on
s'attache ainsi à décrire le côté « pour
moi » (forme-ness) de la musique du film classique, la
comparant à la voix d'un hypnotiseur attaché à faire
régresser l'ego du spectateur » (Jullier, 1995, p.151)
Toutefois, ce serait une erreur de nier l'existence de ressources
musicales évocatrices d'images sous prétexte que la
sensibilité des spectateurs varie selon les époques, les
cultures, les modes, les pays, etc. Selon Mario Litwin, il existe, en effet, un
« héritage culturel permettant la pérennité de
certains registres353(*)
à travers les époques et les coutumes. C'est cet héritage
culturel qui provoque une relative association354(*), certes au premier
degré, de quelques timbres avec des registres
émotionnels. » (Litwin, 1992, p.39). Ne pas nier l'existence
de codes de correspondance ne signifie pas non plus en conclure en leur
véracité absolue et en la nécessité de les
respecter.
Quelques exemples fréquents d'utilisation des
timbres instrumentaux pour l'évocation d'images et de registres
émotionnels.
[D'après Mario Litwin (1992, p.39-47)]
- Violon Solo : intimité, nostalgie,
noblesse, prestige
- Flûte Solo : joyeux dans les
passages rapides
- Clarinette : mystérieux dans les
graves
- Cor : évocation de grands
espaces
- Orgue en mode majeur : liturgie,
cérémonie
- Orgue en mode mineur : deuil, registre
funèbre
- Harmonica en mode majeur :
atmosphère Western
- Harmonica en mode mineur : nostalgie,
intimité
- Harpe : évocation des climats
aquatiques calmes
- etc.
__________________________________________________________________________________________
La musique influence incontestablement le spectateur comme elle
influence le téléspectateur. Deux français sur trois ont
reconnu que la publicité à la télévision les
touchait plus quand la musique était bonne355(*). En matière de
mixage, les normes pratiquées par les différentes chaînes
de télévision, font l'objet de véritable charte. Ainsi,
par exemple, sur la chaîne cryptée Canal+, le mixage se fait
« à l'américaine » avec un même niveau
sonore pour la musique et les voix, tandis que TF1 préfère un
mixage qui accentue les voix et met la musique en retrait356(*). Une étude sur les
téléspectateurs qui regardent la série américaine
24 diffusée sur TF1 et sur Canal+ permettrait de comparer les
effets et les significations générées par ces deux types
de mixage. La version sur TF1 qui permet sans doute un meilleur suivi du des
dialogues convient-elle plus au public français attaché au texte
que celle sur Canal+ qui mise davantage sur les émotions ? Et
in fine, le sens global de 24 en est-il modifié ?
Chapitre 7 : Les genres
cinématographiques
A partir de sa distinction des trois sortes de codes filmiques
(les codes non spécifiques, les codes cinématographiques
généraux, les codes cinématographiques particuliers),
Christian Metz définit le genre cinématographique comme un texte
singulier caractérisé par le retour régulier de messages
et de codes. Dans cette optique, pour qu'un film appartienne à un genre
cinématographique, il doit obligatoirement utiliser des codes
cinématographiques particuliers (de la troisième catégorie
de codes).
En matière de conventions communes, les genres
cinématographiques sont intéressants à étudier. La
notion de genre est, en effet, « au coeur même du classicisme
hollywoodien, du mode de production des films, mais aussi de leur mode de
consommation (massif ou cinéphilique), des tentatives d'imiter ou de
reproduire le modèle hollywoodien » (Bourget, 2002, p.9).
Toutefois, comme l'écrivent Bordwell et Thompson (2000, p.
75) : « Un genre est plus facile à reconnaître
qu'à définir ».
I- De la difficulté de définir un genre
cinématographique
Il est difficile de définir ce qu'est un genre
cinématographique.
Dans une première approche, celle adoptée par Metz,
il est possible de dire qu'il s'agit d'un groupe de films présentant un
ou plusieurs caractères communs.
En plus du choix de ces critères et de leur
éventuelle combinaison, l'hypothèque vient de l'évolution
possible des critères avec le temps.
Aussi, Liandrat-Guigues et Leutrat (2001, p.117)
considèrent-t-ils qu'il « est impossible de donner du genre
cinématographique une définition typiquement
aristotélicienne et rigoureusement intemporelle. Un genre est ce
que, collectivement, on croit qu'il est à un moment
donné. » C'est pourquoi, le genre cinématographique
semble « à la fois une notion familière à tout
spectateur désireux de choisir un film dans un programme, de
présenter en quelques mots un film à un ami, d'identifier et
distinguer des groupes de films qui présentent des caractères
communs, et une notion centrale dans la production cinématographique et
dans l'histoire du cinéma » (Moine, 2002, p.5).
A- Les différentes classifications des genres
cinématographiques
Adrian Piotrovsky, proposa en 1927 l'une des toutes
premières classifications des genres cinématographiques
après qu'il eut défini ce qu'il entendait par
ciné-genre356(*) : « on appellera
« ciné-genre un ensemble de procédés touchant
à la composition, au style et au sujet, liés à un
matériau sémantique et à une visée
émotionnelle spécifiques, mais entrant entièrement dans un
système « générique » précis de
l'art, celui du cinéma ».
En bon formaliste russe, Piotrovsky considérait donc que
pour établir les ciné-genres, il convenait de classer les films
selon les procédés et les lois techniques utilisés en
matière de photogénie et de montage. Prenant pour base
d'étude, vingt ans de l'histoire du cinéma, il distingua alors
les ciné-drames, les ciné-romans (également appelés
ciné-récits ou ciné-nouvelles), le comique, le lyrique. Il
prévoyait également l'apparition de nouveaux genres ce que
révèlent, en effet, les différentes classifications
génériques récentes.
Dans leur dictionnaire des films, Bernard Rapp et Jean-Claude
Lamy donnent pour chaque film, en plus de son titre, des réalisateurs
et interprètes, etc. son appartenance à un genre :
« Chaque film est défini par un des genres majeurs
(comédie, drame, documentaire, film d'aventures, film policier, film de
guerre, dessin animé, chronique, etc.) conventionnellement reconnus par
l'exploitation commerciale, auxquels de nombreuses épithètes sont
adjointes afin d'en préciser la nature. Exemple : drame romantique,
western parodique, film d'aventure historiques, etc .» (Rapp et Lamy,
1999, p.10)
D'autres classifications destinées aux spectateurs
existent. Moine (2002, p.14-15) reprend celles de L'Officiel des
Spectacles et de Pariscope qui proposent tous les deux un
classement des films par genres. Elle fait remarquer qu' « en
dépit d'un usage identique du genre dans les deux guides et d'un
lectorat comparable, les systèmes de classification ne sont pas les
mêmes. Pour l'Officiel des Spectacles, les films se distribuent
en 15 genres : Aventure/Biographie/Comédie/Drame/Epouvante et
Horreur/Fantastique et Science-Fiction/Guerre/Historique/ Dessin animé
et Vie des animaux/ Karaté/Film musical/Comédie dramatique/
Policier et espionnage/Erotisme/Western/Divers.
Pariscope propose, pour sa part, 22 catégories
génériques : Film d'animation/ Aventure/Comédie
dramatique/Comédie/Court-métrage/ Dessin
animé/Documentaire/Drame psychologique/ Drame/Erotique/Fantastique/ Film
de danse/ Film musical/ Film noir/Film politique/Guerre/
Horreur/Karaté/Policier/Science-Fiction/Thriller/Western. »
L'une des présentations des genres les plus riches est
celle proposée par Bernard Tavernier et Jean-Pierre Coursodon357(*). Ils n'établissent
pas un véritable tableau des genres mais présentent un grand
nombre de genres et sous-genres tels que le western, la comédie, la
screwball comedy358(*), le drame, le mélodrame, le mélo
féminin, la biographie, l'adaptation de romans classiques, le musical,
la comédie musicale de coulisses, le film de gangsters ou film criminel,
le drame policier, le policier semi-documentaire, les films de
détection, le film de bagne ou de prison, la comédie
policière, l'aventure historique, l'aventure exotique, le film de
jungle, le suspense, le film d'espionnage, le film d'horreur, les films
familiaux, les films d'actions, les films en costumes et à grand
spectacle, le « film de sarong », le film noir, les films
de prestige, drames psychologiques à thèse, films de cape et
d'épée...(Liandrat-Guigues et Leutrat, 2001, p.114-115).
La trentaine de dénominations de genres et sous-genres -
bien qu'il soit parfois difficile de distinguer les uns et les autres - que ces
deux auteurs présentent repose implicitement sur des critères
narratifs. Par ailleurs, il faut être conscient que leur liste n'est ni
exhaustive, ni figée, ni définitivement close. Pour relativiser
sa portée, sans remettre en cause son intérêt, il suffit de
citer d'autres appellations, omises par Tavernier et Coursodon telles
que : les films de guerre, les films fantastiques359(*), la science-fiction,
l'épouvante, le burlesque ou slapstick, les films
d'animation, les dessins animés, les films d'espionnage, les films
d'aventures, les péplums, les contes fantastiques, les comédies
parodiques, les films historiques, les fresques, les comédies
fantastiques, les comédies dramatiques, le cinéma gore360(*) (Rouyer, 1997), etc.
éventuellement identifiés par leur origine nationale ou
plurinationale : américains, français, britanniques,
franco-italiens, chinois, indiens, japonais, etc. 361(*)
Les films indiens362(*), par exemple, ont leurs propres codes ou, comme
l'écrit Metz, se caractérisent « par le retour
régulier de messages et de codes ». Le film
estampillé Bollywood est un spectacle populaire,
d'une durée de trois heures en moyenne et comprend au moins six
séquences chantées et dansées. Le cinéma indien, le
seul à ne pas craindre la concurrence américaine, est un
cinéma de conventions, et cela à tous les niveaux : le
récit, les personnages, la prise de vues, les gestes, etc.
« Destiné à dépasser les barrières
linguistiques, le scénario bollywoodien est d'une confondante
simplicité, d'un manichéisme parfait (...) Les méchants
sont de vrais monstres, les bons adorent leur mère, figure
archétypal du cinéma indien, mais savent se montrer impitoyables
pour exercer une vengeance (...) L'héroïne est chaste et pure
(...) ». En matière de filmage, « Les angles de
prises de vues sont codifiées à l'extrême
(...) ». Le code moral est impitoyable : « ce carcan
victorien donne une puissance stupéfiante aux fantasmes et suggestions
érotiques (...) L'érotisme religieux, la codification des
attitudes et des gestuelles, la présence du sacré dans le plus
léger des films, font du cinéma populaire indien une expression
esthétique ancrée dans la tradition de l'art indou, du
théâtre sanscrit, des miniatures mogholes». Quelle que soit
l'histoire et son genre thématique, qu'il s'agisse d'un mélodrame
familial, un « western-curry », une épopée
mythologico-historique, un thriller urbain violent, les réalisateurs
mettent généralement en scène les représentants des
diverses communautés ; « il est rare qu'un musulman, un
sikh, un intouchable soit absent d'un film de Bollywood »363(*), comme pour maintenir la
cohésion d'une nation menacée d'éclatement.
La conclusion qu'il faut tirer de tout ce qui
précède est que les taxinomies filmiques proposées par les
guides des spectacles, les livres de cinéma - dont celui de la
BIFI364(*)- et les
dictionnaires encyclopédiques sont différentes autant par leur
mode de catégorisation, les catégories génériques
identifiées, leur nombre, leur appellation, leur contenu, etc.
Mais, plutôt que de le regretter et de s'en
inquiéter, certains auteurs dont Raphaëlle Moine semble s'en
contenter, voire s'en féliciter : « Il ne saurait y avoir de
typologie universelle des genres, construite sur des distinctions reconnues de
tous, organisée en catégories stables et découpant de
façon définitive le paysage cinématographique en groupes
de films. » (Moine, 2002, p.20)
Cette attitude montre l'ouverture d'esprit de certains auteurs
mais ne doit pas faire oublier que les genres sont, malgré tout,
porteurs de signes. Ils partent, en effet, du principe typologique qu'il existe
des caractéristiques communes entre les films qui les composent, ce que
certains n'hésitent pas à nommer des codes spécifiques des
genres. « On a parlé de codes spécifiques à
cause de cette apparente stabilité » (Liandrat-Guigues et
Leutrat, p.118-119).
B- Les niveaux de différenciation des genres
Pour élaborer des catégories
génériques, Moine (2002) reprend les cinq niveaux de
différenciation de Jean-Marie Schaeffer365(*), un théoricien de la
littérature.
« Trois de ces niveaux (le niveau de
l'énonciation, le niveau de la destination, le niveau
de la fonction) découlent du fait qu'une oeuvre n'est pas
seulement un texte, mais qu'elle réalise un acte de
communication » (Moine, 2002, p.21) : « un message
émis par une personne donnée dans des circonstances et avec un
but spécifiques, reçu par une autre personne dans des
circonstances et avec un but non moins spécifiques ».
Concrètement, le niveau de l'énonciation correspond à la
question « Qui parle ? », celui de la destination
à la question « A qui ? » et celui de la
fonction à la question « Avec quel
effet ? ».
Les deux autres niveaux - le niveau sémantique et le
niveau syntaxique - concernent le message réalisé,
c'est-à-dire le texte, ici le film.
Pour poursuivre l'analogie avec le fameux schéma de
Laswell366(*), le niveau
sémantique correspond à la question « Qu'est-ce qui est dit
? » et le niveau syntaxique à la question « Comment
c'est dit ? ».
Nous reviendrons dans le cadre de la production et de la
réalisation de films sur la question « Qui
parle ? ». En revanche, nous n'insisterons pas, à ce
stade de l'étude, sur la question de la cible visée (à
Qui ?). Toutefois, pour ne pas donner ici le sentiment que ces deux
niveaux sont sans importance, songeons un instant, pour le niveau de
l'énonciation, à l'exemple des films produits et
réalisés par Walt Disney qui pourraient constituer un
sous-genre ; pour le niveau de la destination qui n'est pas non plus
anodin, pensons, par exemple, aux films interdits au moins de 18 ans.
La prise en compte du niveau de la fonction (avec quel
effet ?) peut permettre une classification générique. Ainsi,
certains films ont « une fonction illocutoire,
c'est-à-dire qu'ils disent le but communicationnel que les films et
leurs auteurs veulent remplir : ainsi, un documentaire s'emploie souvent
à décrire aux spectateurs comment sont les choses. D'autres
genres ont une fonction perlocutoire, c'est-à-dire qu'ils
visent à changer le comportement des spectateurs, à provoquer
chez eux un effet : ainsi une comédie suscite le rire, un film
érotique ou pornographique suscite l'excitation sexuelle, un film
d'horreur le sentiment de peur ou d'épouvante. » (Moine, 2002,
p. 22)
De nombreux genres cinématographiques se distinguent
également par des éléments sémantiques tels
que leurs thèmes et leur sujet. Un genre comme le western se
caractérise, par exemple, par les espaces (sierras, déserts,
canyons...), les lieux (saloons, banques...), les personnages (cowboys,
chevaux, indiens, pionniers, chanteuses et danseuses de saloon, shérif
ou marshal, soldats yankees et confédérés...), les objets
(chariots, diligences, colts, winchester ..), les situations
(affrontements entre le héros et un méchant, traversées de
fleuve, attaques de chariots par les indiens, attaques de la diligence par des
hors-la-loi, duels à l'arme à feu, charge de la cavalerie,
etc...)367(*)
Le niveau syntaxique est celui de tous les éléments
formels. Selon Moine, «la technique de fabrication des films est un des
critères qui opèrent à ce niveau et qui justifient la
catégorie générique « dessin
animé ». On peut aussi considérer que l'alternance de
scènes dialoguées (« réalistes ») et
de scènes chantées ou dansées est un élément
formel qui distingue la comédie musicale. On peut à la rigueur
élargir le niveau syntaxique aux traits narratologiques qui
caractérisent partiellement certains genres, comme le flash-back qui est
une forme privilégiée du récit dans le film noir et le
mélodrame ou la focalisation spectatorielle qui est souvent le moteur
des comédies ou des genres du suspense tels le thriller. »
(Moine, 2002, p.23)
C- Le modèle sémantico-syntaxique
Les travaux de Rick Altman sur la comédie musicale
hollywoodienne368(*)
sont à l'origine d'un modèle théorique des genres,
modèle que d'aucuns considèrent comme dominant à l'heure
actuelle.
Plutôt que d'opposer les éléments
sémantiques du genre (traits, attitudes, personnages, décors,
éléments techniques cinématographiques, etc.) et ses
éléments syntaxiques (qui organisent de façon
spécifique les relations entre les éléments du film),
Altman propose de les combiner pour donner une définition
sémantico-syntaxique du genre. Le but est de définir le genre
à la fois par des personnages, des lieux, des modes de filmage
de ces personnages et de ces lieux, et par une organisation de ces
éléments. Autrement dit, les éléments
sémantiques sont le contenu du film et les éléments
syntaxiques constituent la structure narrative dans laquelle il
s'insère369(*).
L'intérêt de l'approche d'Altman est qu'elle combine
deux ensembles d'éléments qui, généralement, sont
pris en compté séparément. Or, comme l'écrit
Altman370(*) lui-même : «Un groupe de films
ayant une syntaxe commune mais ne partageant pas d'éléments
sémantiques (et réciproquement) ne sera pas reconnu comme
constituant un genre. Un genre, donc, au sens fort auquel je me tiendrai, n'est
ni une construction théorique non attestée historiquement, ni un
type historique inacceptable d'un point de vue théorique. Un genre
n'existe pleinement qu'à partir de l'instant où l'on met en place
une méthode pour organiser sa sémantique en une syntaxe
stable. »
Moine (2002, p.59) y voit un autre avantage non
négligeable pour notre réflexion : « cette
théorie - révisée par son auteur en 1999371(*) - est susceptible
d'intégrer des analyses de réception des genres, de se
compléter d'une dimension pragmatique, et elle devient alors une
approche « sémantico-syntaxico-pragmatique » du
genre. Elle ne s'intéresse plus seulement aux jeux des traits
sémantiques et syntaxiques dans les films, mais elle rend compte de la
variété des usages et des lectures du genre (par les spectateurs,
les producteurs, les critiques, etc..)». Cette évolution conduit
à la distinction entre la reconnaissance théorique d'un genre,
à partir de caractéristiques sémantiques et syntaxiques,
et la reconnaissance sociale du genre par une communauté d'individus,
professionnels du cinéma ou simples spectateurs.
II- L'utilité des genres et de leur analyse
L'intérêt d'une classification des films par genre
dépasse largement l'aspect purement descriptif. Elle est utile aussi
bien aux cinéastes qu'aux spectateurs.
Aux premiers qui, dès lors qu'ils ont choisi le genre du
film qu'ils voulaient faire, ont des règles, des formules à
employer. Il existe, en effet, « des conventions (règles,
formules) répétées dans les films d'un même
genre ; ces conventions s'insèrent dans un processus de
communication qui excède les films, leurs éléments
thématiques ou leurs procédés formels » (Moine,
2002, p.32).
Aux spectateurs qui, lors de leur sélection d'un film
parmi d'autres dans un programme, s'aideront du critère de genre et se
prépareront à visionner un film ayant certaines
caractéristiques. Comme l'écrit Casetti (1999, p.
298) : « le genre est cet ensemble de règles
partagées qui permettent à l'un - celui qui fait le film -
d'utiliser des formules de communication établies et à l'autre -
celui qui le regarde - d'organiser son propre système
d'attentes ».
Il existe en fait deux positions divergentes face à ces
règles, comme il en existe face à tous les autres codes
filmiques, le respect strict et la liberté créatrice.
La première attitude fut celle des formalistes
soviétiques, de 1915 à 1930, qui conduisit à enfermer un
genre, un ciné-genre372(*), dans un carcan formel. Un phénomène
qui peut, paradoxalement, pousser à la révolte les
cinéastes qui ne l'acceptent pas, qui créent alors un nouveau
genre, avec de nouvelles règles formelles, jusqu'à ce qu'une
nouvelle révolution fasse tourner la roue de la
créativité.
La deuxième attitude consiste à admettre
l'existence de règles dans chaque genre sans qu'il y ait l'obligation de
les respecter. Bien que cette attitude plus libérale soit actuellement
dominante, il n'en demeure pas moins vrai que des caractéristiques
communes se retrouvent dans les films d'un même genre, faute de quoi
l'existence du genre serait contestable.
En conséquence, plutôt que de partir des
règles formelles pré-définies du genre et de
vérifier a posteriori si le film considéré
respecte ou ne respecte pas ces règles pour pouvoir en conclure en son
appartenance ou à sa non-appartenance au genre, il a semblé plus
judicieux à certains auteurs de chercher dans les films d'un même
groupe, d'un genre pré-supposé, les caractéristiques, les
structures communes. Ils procèdent « - du moins officiellement
- non plus par déduction théorique, mais par analyse
systématique. Un grand nombre d'analyses de genre, pour échapper
aux longues listes éclatées et hétérogènes
d'éléments thématiques ou formels, choisissent de
repérer dans les films des types d'intrigues, des situations narratives
qui organiseraient le genre » (Moine, 2002, p.46 ». Moine
cite notamment Noël Carroll qui distingue dans le film d'horreur et
d'épouvante deux principaux types d'intrigues qui narrativisent de
façon différente une méfiance par rapport à la
science : - l'intrigue de « découverte »
(Discovery plot) qui développe sa trame sur l'incompétence et
l'inefficacité de la science, de ses représentants
institutionnels, de la pensée rationnelle ; - et l'intrigue de
« démesure » (Overreacher plot) sur les dangers
d'une activité scientifique exercée sans limite.
Après recherche et lecture de différentes
études de genre, l'analyse qui nous a semblé être la plus
intéressante, parce qu'elle ne se borne pas à analyser les
scénarios - comme le font la plupart des autres373(*) -, qu'elle
s'intéresse aux images, qu'elle chronomètre rigoureusement les
scènes des films, et qu'elle utilise une analyse factorielle pour
traiter tout le matériau filmique est l'étude
réalisée par Olivier Philippe sur les films policiers
français de 1965 à 1992 (voir annexe IV). Philippe met en
évidence, en plus de la structuration en plusieurs étapes, des
éléments caractéristiques du genre policier, en France, au
cours de la seconde partie du XXème siècle : les personnages
principaux et secondaires, les lieux de l'action, l'éclairage
(intérieur vs extérieur, jour vs nuit), la musique (absence ou
présence), etc. Cette étude montre bien que ces
caractéristiques ne sont pas des règles formelles fixées
définitivement. Un film peut appartenir au genre policer sans les
respecter. De plus, ces règles peuvent être utilisées dans
d'autres genres cinématographiques que le genre policier.
En conséquence, le genre cinématographique
évolue - naît, se développe puis décline voire
disparaît au profit de nouveaux genres. Ses caractéristiques
évoluent également et ne sont pas son exclusivité. Les
spectateurs contribuent par le nombre d'entrées dans les salles,
à sa révélation, à son développement
artistique et économique mais aussi à l'évolution de ses
caractéristiques. Par exemple, par rapport à la liste des traits
pertinents et des particularités iconographiques dans le film noir qui
désignent les homosexuels, liste dressée par Richard Dyer (1993,
p.200-219), nous ne pouvons que nous féliciter que les codes notamment
vestimentaire et gestuelle aient évolué (voir annexe IV). Depuis
quelques années, y compris dans les films noirs, la
caractérisation homosexuelle est moins grossière et caricaturale,
notamment en raison de l'évolution des moeurs, des lois et des normes
sociales. Ce qui tend à montrer, une fois encore, qu'un code est sujet
à évolution et que les spectateurs eux-mêmes,
individuellement ou collectivement par le biais des groupes de pression, sont
fréquemment à l'origine de changements.
III- La reconnaissance sociale d'un genre
La reconnaissance sociale est pour beaucoup dans l'utilité
des genres, utilité culturelle et/ou économique. Moine (2002,
p.60) considère même que le genre n'existe que s'il est
« reconnu par une communauté. (...), c'est-à-dire
lorsque se met en place une formule filmique, à laquelle les films se
rattachent par des niveaux de généricité
différents, et identifiable par un public. ».
Un point de vue également partagé par de nombreux
auteurs dont Liandrat-Guigues et Leutrat (2001, p117-118) qui cependant
semblent s'attacher davantage aux spectateurs qu'aux
cinéastes : « Un genre est ce que, collectivement,
on croit qu'il est à un moment donné. (...) Le genre suppose
l'existence de conventions acceptées comme telles par le spectateur,
c'est-à-dire qu'il fonctionne comme horizon d'attente. » Cette
notion d'horizon d'attente est reprise par Journot (2004, p.61) : «
le genre se définit par ses invariants, qui constituent un horizon
d'attente pour le spectateur, et par sa propension à la citation,
à l'allusion, à tous les effets intertextuels par lesquels le
film met son spectateur en position de reconnaître les films
antérieurs ».
Toutefois, la logique du marché semble contestée,
voire inversée, par Jean-Loup Bourget (2002, p.9) lorsqu'il se demande
« si le genre est une catégorie formelle, c'est-à-dire
regroupant les films qui obéissent (sans qu'on sache
nécessairement si la chose est délibérée ou
inconsciente) à un ensemble de règles narratives, dramatiques,
stylistiques ... mettant en images un certain type de récit, mettant en
scène certains types de personnages - ou s'il s'agit d'une
catégorie commerciale, délibérément
façonnée par les producteurs pour répondre aux goûts
(du moins aux goûts supposés) du public. »
Il n'en reste pas moins vrai que les cinéastes et les
spectateurs sont les premiers intéressés par la stabilité
du genre374(*).
Les objectifs de minimisation des risques, de maximisation de la
probabilité de succès sont, en effet, souvent cités
puisque pour certains auteurs la codification du genre est « une
codification a posteriori (...) façonnée
de manière pour ainsi dire pragmatique, par une série de
tentatives et par leur succès ou non auprès du public »
(Bourget, 2002, p.10).
Le succès conduit, en effet, les producteurs à
standardiser, à respecter des codes et, notamment la formule
sémantico-syntaxique qui a « marché ». Comme
dans toutes les industries, y compris le cinéma : « la
standardisation est un processus dual motivé à la fois par les
nécessités de la production de masse et par la recherche d'une
norme d'excellence. La standardisation des pratiques stylistiques du
modèle classique hollywoodien rendait la production plus rapide, plus
productive et donc plus profitable » (Creton, 2001, p.42)
Le processus de fabrication et de consommation d'un produit-film
étant très semblable à celui d'un bien non
culturel : « L'établissement et la reconduction de
cette formule sémantico-syntaxique suppose donc que ceux qui font un
« film de genre » (producteurs, cinéastes,
scénaristes, etc.) puissent le concevoir comme relevant de ce genre et
que les spectateurs puissent le recevoir comme tel. Il faut donc qu'un public
reconnaisse le genre dans le film, l'identifie, et se retrouve dans la formule
sémantico-syntaxique proposée pour assurer son succès et
sa pérennité. » (Moine, 2002, p.60). Ainsi, dans le
cinéma gore, l'innovation majeure en matière de cadrage est le
recours systématique au gros plan sur des plaies béantes et les
mutilations.
Dans cet esprit, certains cinéastes
considèrent que le genre est une sorte de charte de création dans
lequel ils doivent s'inscrire avant de réaliser un film.
Ainsi, Wong Kar Wai (in Tirard, p.163) déclare
que : « La seule chose que je détermine de façon
décisive dès la conception du film, c'est le genre dans lequel il
s'inscrit. En tant que spectateur, et plus particulièrement quand
j'étais enfant, j'ai toujours été fasciné par le
cinéma de genre : les westerns, les péplums, les films de
guerre ou d'action, les films d'horreur...Et chaque fois que je me lance dans
un nouveau projet, j'essaye de le faire rentrer dans un genre bien
précis, avec tous les codes que cela implique ». Prenant pour
exemple son film In the mood for love (2000), il explicite son processus de
création : « je savais que je voulais traiter d'une
liaison impossible entre deux personnes, mais je ne voulais pas aller vers
l'histoire d'amour classique ou le mélo, car je savais que cela pourrait
facilement devenir ennuyeux. Alors j'ai décidé d'approcher ce
film comme un thriller, un film à suspense. Pour moi, le film
démarre sur deux personnes qui ont été victimes d'un
crime, et qui se lancent dans une enquête pour comprendre comment et
pourquoi les choses sont arrivées. Le film est structuré comme
ça, avec des scènes très courtes et une volonté de
maintenir une sorte de mystère et de tension. »
Pour le spectateur, la connaissance des conventions lui permet
d'entrer plus facilement dans le film. Les conventions sont comme des
repères qui permettent au film de genre de communiquer des informations
rapidement et avec une certaine économie de moyens.
La question qui se pose souvent est alors de savoir pourquoi les
spectateurs vont voir des films du même genre, aux mêmes
conventions, sans être apparemment lassés. Bordwell et Tompson
(2000, p.80) expliquent ce paradoxe comme de nombreux spécialistes
de cinéma par le fait que : « les genres sont des
drames réglés comme des rites (au sens anthropologique du terme),
comparables aux célébrations des jours fériés - des
cérémonies qui nous satisfont parce qu'elles perpétuent
des valeurs culturelles avec un minimum de variations. Tout comme l'on peut
considérer que ces cérémonies permettent à leurs
participants d'oublier les aspects les plus désagréables de leur
vie, les intrigues et les personnages familiers des genres peuvent servir
à distraire le public des vrais problèmes de la
société ».
Toutefois, un film peut modifier ou transgresser les conventions
et les codes associés à son genre. Dans 2001 :
l'Odyssée de l'espace (1968) Stanley Kubrick viole plusieurs
conventions des films de science-fiction, et cela dès le début du
film en l'amorçant par une longue séquence située dans des
temps préhistoriques, donc très éloignée du
XXIème siècle, et en associant une musique classique aux vols de
vaisseaux spatiaux. C'est que le spectateur, comme tout consommateur de biens
culturels ou non, attend d'un film de genre qu'il leur soit familier tout en
proposant des nouveautés, parfois inattendues et basées sur le
mélange de genres375(*). « Le réalisateur peut concevoir un
film légèrement ou radicalement différent, il restera
fondé sur une tradition. Le jeu réciproque de la convention et de
l'innovation, du familier et du nouveau, est la principale
caractéristique d'un film de genre » Bordwell et
Thompson, 2000, p.79).
La production de films de genre nécessite donc à la
fois la répétition de traits caractéristiques et une
variation, un positionnement par rapport aux autres films du même genre.
Autrement dit, elle s'inscrit dans la dialectique
standardisation-différenciation de Laurent Creton :
« standardisation et différenciation sont simultanément
nécessaires à la production comme à la réception de
l'oeuvre cinématographique » (Creton, 2001, pp.40-49).
IV- L'information donnée aux spectateurs : les indicateurs
de genre
Nous venons de voir que les genres sont des catégories que
les spectateurs et les cinéastes connaissent et acceptent volontiers.
Ils sont fondés sur un accord tacite entre publics et
réalisateurs, accord dont les deux parties tirent profit. Pour les
réalisateurs et leur producteur, le genre est un garde-fou, une sorte
de garantie contre l'échec commercial. Pour les spectateurs, l'existence
de genres leur facilite le choix du film à aller voir. Les genres les
préparent également à ce qu'ils vont voir et entendre. Ils
guident leurs réactions et les conduisent à donner certaines
significations au film.
L'appartenance d'un film à un genre génère
donc un sens ou, comme l'écrit Moine, le genre a une fonction
communicationnelle. « Si rapporter un film à un genre, c'est
classer le film, c'est aussi le lire et l'interpréter. La conscience de
l'identité générique d'un film permet à son
spectateur qui reconnaît « une formule de communication
établie » « d'organiser son système
d'attente » pour reprendre les termes de Casetti. » (Moine,
2002, p.79)
Pour ce faire, il faut bien entendu que le spectateur ait une
connaissance du genre, même partielle, et qu'il soit averti du genre du
film avant son visionnage, faute de quoi il ne pourrait pas construire
ses attentes et sa lecture du film.
L'avertissement, pour ne pas dire la publicité, du genre
est une sorte de promesse de ce que le spectateur va voir, un contrat de
lecture qui en cas de non-respect affectera le spectateur.
« L'horizon d'attente générique d'un film est
déterminé par deux régimes de
généricité, un régime auctorial (les producteurs)
qui propose et un régime spectatoriel (les spectateurs) qui dispose. Il
arrive donc que le régime spectatoriel ne rencontre pas le régime
auctoriel. Dans ce cas les attentes génériques,
déçues, rendent impossible l'interprétation du film, si
elles ne sont pas relayées par un autre système
d'interprétation ». (Moine, 2002, p.83)376(*)
Les moyens d'informer le spectateur du genre d'un film sont
divers. Ils peuvent être classés en deux catégories :
les moyens avant le visionnement et les moyens utilisés avant les
premières véritables images de la fiction.
« Le film de genre propose (ou impose) des indicateurs
de genre à son spectateur, que celui-ci reçoit et active, en les
rapportant à sa mémoire générique. Ces indicateurs
balisent aussi, avant même le visionnement, la communication du
film : les critiques, les discours de promotion du film vont orienter
ainsi, non seulement le choix, mais l'attitude du spectateur. Les
bandes-annonces, les affiches du film, les jaquettes des cassettes vidéo
jouent le rôle d'indicateur. » (Moine, 2002, p.81).
A cette liste, il est possible d'ajouter le type de salle -
certaines salles étant dédiées à un genre
particulier : films pornographiques, films d'arts martiaux, etc. -
les horaires des projections - certains distributeurs proposant,
à certaines heures, des films destinés à un public
particulier, les enfants, par exemple, le mercredi matin ou tôt dans
l'après-midi, etc.
Parmi les indicateurs de genre avant les premières
véritables images de la fiction, le principal est, sans conteste, le
générique de début377(*) mais on pourrait détailler en distinguant les
différents paramètres d'un générique de film tels
que la musique du générique, le nom du réalisateur, les
noms des principaux acteurs, le nom du romancier dont le livre a
été adapté,
etc. Un film réalisé par Gérard Oury porte,
à tort ou à raison, a priori, l'empreinte du genre
comique.
Le générique a un contenu qui lui donne une
fonction d'ouverture du film : - les motifs musicaux ou sonores, - les
motifs visuels comme indicateurs : « de genre (film noir,
western, comédie, etc.) ; de contenu narratif ou
dramatique » (Vanoye et Goliot-Lété, 2001,
p.80-81)378(*).
Ainsi, Mario Litwin (1992, p.104) considère que
« la fonction du générique est d'être la page de
présentation du film. Sa finalité est de plonger le spectateur
dans l'ambiance dès l'extinction des éclairages de la salle afin
de l'introduire graduellement dans l'histoire. »
En tant que musicien, il va plus loin encore en estimant que
« d'un point de vue musical, le temps du générique est
le plus important. Nous trouvons dans le générique une nouvelle
opportunité où le compositeur a le droit d'oublier les
contraintes dramatiques du récit et se concentrer sur la valeur
esthétique de sa partition. C'est souvent la musique du
générique qui informe le public du film que l'on va
voir. » Et reprenant la pensée de Robert Bresson selon lequel,
au cinéma, le parlant avait inventé le silence, thèse
largement reprise par Alfred Hitchcock (Eugène, 2000,
p.162-163)379(*), Litwin
n'exclut pas l'absence de musique dans le générique de
début. « L'absence de musique durant le
générique est déterminée par un choix
spécifique. Ce silence est dramatiquement intense. Il annonce que
« ce que l'on va voir est de nature
grave » ! » (Litwin, 1992, p.105). Dans le
générique, figurent en bonne place le titre du film et le nom du
réalisateur. Ce dernier aura un rôle important dans le
comportement du spectateur face au choix d'une offre de films abondante,
notamment si le réalisateur a son propre style.
V- Le style : son influence sur les spectateurs et son
analyse
Les techniques cinématographiques sont tellement
nombreuses et variées qu'aucun film ne peut à lui seul toutes les
employer. Des choix sont donc réalisés par le réalisateur
et son équipe, des choix qui créeront le style du film, voire
celui de son réalisateur ou d'un groupe de réalisateurs si,
à chaque film, les mêmes décisions sont prises qui le
différencient des autres cinéastes.
Le style est un emploi répété et
identifiable de certaines techniques cinématographiques, propre à
un seul film ou à un ensemble de films du même réalisateur
ou d'un groupe de cinéastes partageant les mêmes idées.
Ainsi, parle-t-on du style de Le Fabuleux destin
d'Amélie Poulain (Jeunet, 2001), du style de Jean Renoir, de celui
de Robert Bresson, de celui des comédies américaines d'Ernst
Lubitsch (Thiéry, 2000), de celui de François Truffaut mais aussi
du style de l'école soviétique (1924-1930), de celui du
néoréalisme italien (1942-1951), de la nouvelle vague
française (1959-1964) ou encore de celui des réalisateurs
signataires du Dogme 1995380(*).
Depuis l'origine du cinéma, les styles n'arrêtent
pas d'évoluer avec la technologie cinématographique mais aussi
avec l'expérience des spectateurs et celle des cinéastes. Le
style expressionniste allemand (1919-1926) ou celui des surréalistes
(1918-1930) ne bénéficiaient pas des procédés
techniques d'aujourd'hui ; certains spectateurs ne le supportent pas et
vont jusqu'à refuser de regarder les classiques du cinéma.
Les réalisateurs ayant plus de possibilités
techniques sont moins limités d'un point de vue créatif mais
d'aucuns tombent alors dans la facilité, ce qui est préjudiciable
au processus créatif. Cet effet pervers explique l'apparition de
certains mouvements, comme celui du Dogme 95 : « Je me
disais qu'en m'imposant des règles, des choses nouvelles allaient sortir
de mon travail, et c'est exactement ce qui s'est passé. Parce que le
processus artistique est basé sur l'idée de la
contrainte » (Lars Von Trier, in Tirard, p.155).
Nous avons vu que l'appartenance d'un film à un genre
cinématographique a une influence sur les spectateurs. C'est le cas
également lorsqu'un film est qualifié d'un certain style. Comme
l'écrivent Bordwell et Thompson (2000, p.432-434)) : « Le
spectateur a un rapport au style. Bien que nous en soyons rarement conscients,
nous avons tendance à avoir certaines attentes relatives au style du
film (...) Comme les autres types d'attentes, les attentes stylistiques
découlent à la fois de notre expérience
générale du monde et de notre expérience du cinéma
et d'autres moyens d'expression. Le style particulier du film peut confirmer
nos attentes, les modifier, les tromper ou les remettre en question (...)
Si le style n'est pas toujours consciemment remarqué par le spectateur,
il n'en contribue pas moins aux effets et à la signification globale du
film ». Mais ils notent également que si les spectateurs sont
sensibles aux effets du style d'un film, ils le remarquent rarement :
« Si nous voulons comprendre comment ces effets sont produits, il
faut regarder et écouter plus soigneusement qu'à
l'habitude »381(*).
Conclusion de la première partie
L'étude des différents codes filmiques, qu'ils
soient non spécifiques ou qu'ils soient cinématographiques
généraux ou particuliers, c'est-à-dire
génériques ou stylistiques, laisse apparaître un certain
nombre de contradictions et de paradoxes dans les discours tenus par les
professionnels du cinéma lorsqu'ils évoquent la production et la
réception d'un film.
Les professionnels et les théoriciens du cinéma
sont loin d'être d'accord, entre eux, sur l'existence de codes, sur
l'obligation de les respecter, sur les signes eux-mêmes et sur les
significations qu'ils produisent. L'absence de consensus est d'autant plus
criante lorsque ces professionnels appartiennent à des corps de
métier différents ce qui peut entraîner des conflits au
sein même d'une même équipe de tournage, un film
étant une oeuvre collective.
Ces avis divergents entre professionnels du cinéma
auraient pu laisser croire en une certaine tolérance. En fait, il n'en
est rien, les professionnels et théoriciens du cinéma sont, pour
la plupart, assez péremptoires, qu'ils soient conventionnels ou
favorables à la transgression des règles.
Il est également surprenant que l'importance d'un
élément filmique par rapport à un autre diffère
considérablement d'un professionnel à un autre. Certains ne
voient que par la structure narrative du récit, d'autres par le montage,
d'autres par la bande image, d'autres enfin, certes plus rares, par la bande
son, etc. alors qu'un film est avant tout une combinaison
d'éléments. Il en résulte une multitude d'attitudes
possibles, selon que le professionnel respectera ou non les conventions
établies pour chaque élément constitutif du film et plus
encore pour chaque plan du film. Ainsi, un réalisateur peut respecter
les conventions montagistes ou celles relatives à la prise de vues sauf
pour quelques plans particuliers qu'il souhaite mettre en valeur en s'opposant
au classicisme. En conséquence, en tant que combinaison
d'éléments variés, pour un grand nombre de plans, pour
lesquels le choix existe entre le respect ou la transgression des
règles, un film est une production complexe difficile à
maîtriser. Les professionnels du cinéma l'admettent volontiers en
évoquant les compétences et le talent nécessaires à
l'exercice de leur métier.
Paradoxalement, au travers l'analyse de leurs écrits et/ou
discours, ils semblent convaincus que les spectateurs connaissent et
comprennent leur système de signes, aussi bien lorsqu'ils respectent les
conventions que lorsqu'ils les transgressent. Ainsi, par exemple, l'un d'eux
utilisera de façon conventionnelle les fondus comme si les spectateurs
savaient que ces liaisons sont des signes ponctuatifs. Un autre
réalisateur tout aussi convaincu que le spectateur sait qu'un fondu
enchaîné suggère une continuité malgré une
ellipse spatio-temporelle lui préférera un jump cut pour
se démarquer de ses confrères. Un autre, encore, mettra l'accent
sur un élément, par exemple, la musique pensant que le spectateur
comprendra l'importance du message musical dans la signification du plan
Les professionnels du cinéma travaillent, pour bon nombre
d'entre eux, comme si leur public était composé de
récepteurs idéaux (Brassart, 2004), d'analystes (Vanoye et
Goliot-Lété, 2001), de critiques de cinéma. Or, les
spectateurs, contrairement aux analystes, visionnent un film pour le plaisir,
se laissent aller sans visée particulière, sans objectif
d'analyse et de production intellectuelle. De plus, les spectateurs n'ont pas
tous le même niveau de connaissances cinématographiques et
certains d'entre eux sont loin d'imaginer l'existence de conventions et de
règles.
Autrement dit, en ne retenant que les hypothèses
extrêmes donc forcément simplificatrices, car sans nuances, selon
que les codes sont respectés ou non par le cinéaste et selon
qu'ils sont connus ou non par le spectateur, il apparaît quatre cas
d'école, quatre situations dont un sens du film en sortira
construit.
Le cinéaste
(ensemble composé par le réalisateur et
son équipe)
|
Le spectateur
|
1- Respecte les conventions, règles et
codes cinématographiques
|
A- Connaît les conventions, règles
et codes cinématographiques
|
2- Transgresse les conventions, règles et
codes cinématographiques
|
B- Ne connaît pas les conventions,
règles et codes cinématographiques
|
A la situation idéale, « Le cinéaste
respecte et le spectateur connaît », dont nous avons
signalé la rareté, vient s'ajouter la situation également
exceptionnelle dans laquelle « le cinéaste transgresse les
règles et le spectateur les connaît », ce qui peut
générer un certain déplaisir chez le spectateur en attente
d'un film plus classique, ou d'un film respectueux des codes du genre
cinématographique auquel il est censé appartenir.
Les situations les plus fréquentes se caractérisent
donc par une méconnaissance des conventions, des règles, des
codes de la part des spectateurs. En conséquence, toujours en raisonnant
à l'extrême, que le cinéaste respecte ou non des
conventions, le spectateur ne s'en rend pas compte.
Or, quelle que soit l'hypothèse, le spectateur prend du
plaisir (vs déplaisir), se laisse prendre par le film (ou pas).
Cela signifie que la culture cinématographique, la
connaissance des règles classiques n'est pas nécessaire pour
comprendre un film, ce qui ne veut pas dire qu'elle ne puisse pas influencer le
sens. En réalité, le niveau de la culture
cinématographique du spectateur influe sur le sens à l'instar
d'autres éléments, filmiques ou non, tels que sa culture (autre
que cinématographique), son expérience de la vie, sa
personnalité, sa position sociale, son sexe, son âge, ses valeurs
et les normes qu'il partage, etc. De la rencontre entre le spectateur et le
film, du dialogue qui s'instaure entre lui et la combinaison des
éléments filmiques qu'il perçoit se construit un sens, un
sens propre à chacun des spectateurs. Le sens d'un film vient donc de la
rencontre d'une combinaison d'une grande variété
d'éléments filmiques et d'un spectateur dont les nombreuses
caractéristiques particulières font de lui un être unique.
L'analogie aux probabilités conditionnelles (un
élément A d'un plan 1 prend la modalité a et est
visionné par un spectateur X qui a un niveau de connaissance
cinématographique i, une personnalité z, etc.) laisse imaginer le
nombre de possibilités de rencontre, de dialogue entre le film et un
spectateur.
La rencontre est donc forcément spécifique. En
déformant la fameuse formule de Christian Metz, nous dirons que le film
et le spectateur sont polysémiques.
L'objet de l'expérimentation que nous allons
présenter dans la deuxième partie de ce travail est de mieux
connaître et comprendre les mécanismes de ce dialogue entre le
film et le spectateur qui conduisent à une construction
spécifique de sens.
Deuxième partie : L'étude qualitative
des mécanismes de construction de sens
L'étude de la littérature sur le cinéma fait
apparaître des différences notables entre les auteurs, d'hier et
d'aujourd'hui, théoriciens ou non. Le rôle du spectateur dans la
construction du sens n'est pas reconnue par tous à sa juste valeur, et
pas seulement par les plus anciens, les plus montagistes (Eisenstein) ou par
ceux qui croient au pouvoir quasi-hypnotique du cinéma, ou qui
défendent le respect des codes filmiques, de la grammaire
cinématographique mais aussi, au moins implicitement, par bon nombre de
spécialistes de l'analyse filmique. Comment pourrait-il en être
autrement alors que dans la plupart des analyses filmiques, comme le regrette
Alain Brassart (2004, p.20-21), la question de la réception n'est pas
prise en compte : « le spectateur est généralement
appréhendé comme un récepteur
idéal ».382(*)
Encore à l'heure actuelle, en dépit des
apports de la pragmatique et du constructivisme, deux conceptions s'opposent.
En simplifiant à l'extrême, la première considère
que la construction du sens n'appartient concrètement qu'au
cinéaste, que les spectateurs connaissent les codes filmiques et les
interprètent correctement, que le sens que voulait générer
le réalisateur est celui compris par le spectateur. La deuxième
part du constat est qu'il n'est pas nécessaire que le spectateur
connaisse la syntaxe cinématographique pour comprendre un film
(Metz).
En dépit des difficultés méthodologiques
relevées par Brassart383(*) (2004), l'approche communicationnelle qui est la
nôtre nous a conduit à adopter une approche à la fois
compréhensive et pragmatique du phénomène filmique et une
méthodologie qualitative
Chapitre 1 : Réflexion et choix
méthodologique
Sachant l'importance du cadrage, pour comprendre une
situation de communication, nous avons opté, après
réflexion, pour un cadrage qui se situe à mi-chemin entre celui
de la pragmatique du film (Esquenazi) et celui de la pragmatique du
cinéma (Odin).
Comme la pragmatique du film, nous étudierons les
relations, non pas entre le spectateur et le cinéma, mais entre le film
et le spectateur et, notamment, ce qui se passe pendant la projection d'un film
particulier et la façon dont ce dernier dirige la compréhension
de son spectateur. Mais comme la pragmatique du cinéma, nous nous ne
négligerons pas les rapports du spectateur et du cinéma. Sans
aller jusqu'à étudier les diverses institutions
cinématographiques et leur influence sur la façon dont les films
sont perçus, nous prendrons en considération le fait que le
spectateur puisse être influencé par le cadre de projection, sa
culture cinématographique, sa connaissance du réalisateur, etc.
Concrètement, nous avons cherché à
étudier les relations entre le spectateur et un court métrage de
fiction réalisé en respectant autant que faire ce peut les codes
filmiques traditionnels.
Les questions auxquelles nous tenterons de
répondre découlent de notre problématique
d'ensemble :
- Les codes filmiques utilisés sont-ils connus par les
spectateurs ?
- Comment les différents codes filmiques sont-ils
perçus par les spectateurs ?
- Y en a-t-il de plus connus que d'autres, de plus importants
que d'autres ?
- Sont-ils interprétés comme le souhaite le
réalisateur ?
- Si les codes ne sont ni connus, ni perçus, cela
empêche-t-il les spectateurs de construire leur histoire ?
- Existent-ils des éléments codiques ou des
transformations contextuelles qui construisent davantage de sens que
d'autres ? Lesquels et pourquoi ?
Pour répondre à notre problématique,
plusieurs solutions méthodologiques furent envisagées.
La première, la plus classique, consistait à
projeter un film de fiction en entier et à demander aux personnes
présentes de participer à une discussion de groupe, un peu dans
l'esprit des réunions des ciné-clubs, comme les avaient
organisées Henri Agel (1994), dès 1943, dans le milieu scolaire,
qu'il avait ensuite ouvert aux adultes à partir de 1945.384(*) Après
réflexion, nous avons abandonné cette piste craignant que ces
causeries, comme les appelait Agel, ne se transforment en débats
difficiles à animer et à analyser en raison de
« l'anarchie de joutes verbales subjectives » (Agel,
1994, p.18).
La deuxième solution pouvait être de ne
présenter qu'un extrait d'un film de fiction. Cette solution que nous
avions adoptée pour notre recherche sur la perception des placements de
produits dans les films de fiction, dans le cadre de notre DEA, nous sembla
inadaptée pour étudier les éléments
générateurs du sens du film en entier. L'idée d'organiser
des arrêts sur image pour permettre des débats à des
moments choisis du déroulement du film fut également
abandonnée. Indépendamment du fait que sa mise en oeuvre aurait
considérablement augmenté la durée de la réunion,
entre la diffusion du film, les arrêts successifs, les discussions
partielles et la discussion finale, nous avons décidé
d'abandonner cette solution pour éviter d'introduire une trop grande
directivité. Le découpage de la projection du film que nous
aurions arbitrairement imposé au public - modifiant également le
sens voulu par le réalisateur - mais aussi et surtout les
interprétations du groupe, à un moment donné du film, nous
semblèrent être trop directifs pour l'interprétation de la
suite du film par chacun des interviewés. Par ailleurs, le choix
même du film dont nous aurions « remonté » un
extrait, à moins de diffuser la bande annonce, était
délicat. Le fait que le film soit connu par certains spectateurs
risquait, en effet, de biaiser leurs réponses. De plus, cela ne nous
aurait pas permis de tester l'influence d'un élément filmique
parmi d'autres sur le sens global du film. Enfin, il nous aurait fallu obtenir
des autorisations pour utiliser légalement tout ou partie d'une oeuvre
déposée.
La troisième solution que nous avons envisagée
alors, notamment pour éviter une pression groupale trop forte en cas de
nombreux arrêts sur image, fut de prendre un film de fiction de court
métrage. Cette approche qui avait été utilisée dans
les années 70-80 ne connut un renouveau que dans les années 2000
comme le rappelle Jean-Paul Achard dans un article intitulé
Apprendre à lire les images en mouvement, édité
sur le Net385(*) :
« Dans les années 70-80, nous avons vu passer un certain
nombre de films pédagogiques consacrés à l'analyse du
langage et de l'audiovisuel. Bien souvent simplificateurs et construits autour
d'un vocabulaire obligé, ils ont conduit parfois à des visions
figées, frôlant parfois la caricature. Dans un passé plus
récent, c'est surtout la quasi absence de ce type de produits qui
était remarquable (...) ». Le renouveau de cette approche
vient, à ses yeux, de la collaboration entre réalisateurs,
pédagogues et analystes.
Dans le cadre de notre recherche, le choix de ce format du court
métrage présentait un intérêt méthodologique
: sa faible durée nous permettait, en effet, d'espérer que les
participants aux interviews de groupe pourraient avoir à la fois un
souvenir des détails des unités successives (plan par plan,
séquence par séquence) et une interprétation du sens
global du film. Après visionnage de nombreux courts métrages,
nous en avons retenu deux :
- le premier, La Vis, réalisé en 1993 par
Didier Flamand, d'une durée de 20 minutes386(*)
- le second, Les pinces à linge,
réalisé en 1997 par Joël Brisse, d'une durée de 22
minutes387(*).
Cette pré-sélection était motivée par
le fait qu'en plus de leur qualité intrinsèque, ces deux films
avaient fait l'objet d'une analyse détaillée, de surcroît,
commentée par le réalisateur lui-même. Cela nous permettait
d'envisager une comparaison entre le sens souhaité par le
réalisateur - la manière dont il traduit une idée, des
caractères, des rapports entre les personnages en images et en sons - le
sens perçu par l'analyste et, grâce à nos interviews de
groupe, le sens perçu par les spectateurs. Ces deux courts
métrages étaient proposés, le premier par Edouard
Bessière dans son lexique du langage cinématographique
publié par le CNED, en 2000 ; le deuxième par l'Association
« Sauve Qui Peut le Court Métrage », organisatrice
du Festival de Clermont Ferrand, et le CRDP d'Auvergne388(*).
Cependant, ces deux courts métrages
bénéficiant d'une protection légale, il nous fallait
obtenir l'autorisation des auteurs et/ou de leur éditeur pour les
utiliser dans le cadre de notre recherche. Nous avons longuement
étudié cette piste méthodologique avant de l'abandonner.
Le court métrage « La Vis » présentait
plusieurs inconvénients : d'une part, il était en noir et
blanc, d'autre part l'un des rôles était interprété
par Jean Réno. Deux éléments forts qui pouvaient, à
notre avis, estomper les autres éléments filmiques.
En outre, ces deux courts métrages ne nous permettaient
pas de proposer à l'interprétation des spectateurs plusieurs
versions d'une même histoire.
C'est la raison pour laquelle, nous avons finalement
décidé de réaliser nous-mêmes un court
métrage en plusieurs versions. Ce choix signifiait que nous allions
être, à la fois, le « cinéaste »,
l'animateur des interviews de groupe et l'analyste. Dans le cadre d'une
thèse, il paraissait, en effet, difficile de
« sous-traiter » l'une des ces tâches.
Conscient de cette limite méthodologique qui fit l'objet
de discussions au sein du CERIC, nous avons, pour limiter les risques, une
fois les scénarii rédigés, procéder à un
découpage technique détaillé, que nous avons
respecté à la lettre lors du tournage. De plus, pour chaque plan,
nous avons écrit à la fin du montage ce qu'en tant que
réalisateur nous souhaitions évoquer, générer comme
sens.
Chapitre 2 : la réalisation d'un film en
plusieurs versions
Nous avons donc suivi la démarche classique de fabrication
d'un film : rédaction du scénario, découpage du film
en séquences, découpage technique du film plan par plan,
tournage, montage ; démarche généralement suivie par
les réalisateurs et leur assistant389(*) (Othnin-Girard, 1993) mais aussi utilisée
à l'envers par les praticiens de l'analyse filmique (Bessière,
2000). Nous avons opté pour un découpage technique assez
précis, selon les définitions d'Othnin-Girard, sans aller
jusqu'à la réalisation d'un scénarimage
(storyboard).
Le découpage technique plan par plan étant
réalisé en amont et les signes choisis d'une manière
intentionnelle, le risque d'arbitraire dans l'analyse nous semblait
réduit d'autant plus que les réunions furent entièrement
retranscrites et filmées.
Nous avons longuement réfléchi avant d'opter pour
un très court métrage. Au-delà des contraintes de
fabrication liées à la disponibilité des
« acteurs » bénévoles et du lieu de tournage
en intérieur, nous ne voulions pas que les éléments
filmiques (plans, images, sons, vêtements, musique, etc.) soient trop
nombreux à appréhender de manière à ce que, lors de
la discussion, les participants restituent le maximum de ce qu'ils avaient vu
et entendu. Ceci était d'autant plus important que la comparaison entre
les effets voulus par le réalisateur et les effets ressentis par les
spectateurs devait se faire plan par plan, comme cela avait été
prévu dans le découpage technique. Pour résumer, toutes
nos contraintes méthodologiques et budgétaires ainsi que celles
liées à la disponibilité des acteurs
bénévoles expliquent notre choix de format. Celui-ci nous a
semblé être un bon compromis sachant que la durée de notre
film quoique courte est cependant plus longue que celle d'un spot publicitaire
souvent pris comme objet d'étude par les analystes de films (Vanoye et
Goliot-Lété, 2001, p.90-96).
Pour faciliter la restitution et la verbalisation de ce que les
spectateurs avaient ressenti, nous avons décidé de couper le film
en deux parties : la première, correspondant aux deux premiers
actes, la deuxième au troisième et dernier acte. Entre les deux
parties, nous avons prévu de lancer une discussion de groupe et de
proposer un test d'histoire à compléter. Nous espérions
ainsi obtenir plus d'informations et de réactions précises de la
part des spectateurs afin de les classer a posteriori plus facilement
plan par plan. En outre, grâce au test de l'histoire à
compléter, nous souhaitions pousser les spectateurs à imaginer la
suite du récit, à se projeter dans le temps. Toutefois, nous ne
pouvons pas parler de technique projective stricto sensu dans la
mesure où le film-stimulus ne peut pas être
considéré comme un objet extérieur comprenant une faible
information (Anzieu et Chabert, 1987).
Le choix du thème de notre film n'était pas simple.
Dans un premier temps, nous avons consulté de nombreux ouvrages traitant
des thèmes et des genres ainsi que des dictionnaires et
encyclopédies du cinéma390(*) dans lesquels des synopsis ou des pitchs
étaient présentés. Il nous fallait une histoire simple
à raconter qui puisse faire l'objet d'interprétations
différentes de la part des spectateurs, influencés ou non par la
présence d'un élément filmique spécifique dans
chacune des versions. Nous souhaitions également proposer un
récit qui respecte en peu de temps le paradigme ternaire de Field selon
lequel toute histoire doit comprendre trois actes : l'exposition ou
introduction, qui s'achève sur un premier coup de théâtre
(plot-point) ; le développement ou noeud avec une
confrontation qui se termine sur un deuxième coup
théâtre ; et, enfin, le dénouement ou
conclusion391(*). Nous
avons choisi l'histoire d'un mari qui à l'annonce de la mort de son
épouse a plusieurs réactions possibles. Malgré son
caractère émotionnel indéniable, nous avons choisi ce
thème pour plusieurs raisons :
- la première est sa transversalité ; ce
thème se retrouve, en effet, dans plusieurs genres
cinématographiques : le drame, la comédie dramatique, le
policier, le film noir, le film de guerre, etc. Or, nous ne souhaitions pas que
le spectateur puisse trop tôt et facilement classer le film dans un genre
particulier ; l'influence de l'appartenance à un genre
cinématographique sur la perception du film étant à
étudier également. Ce thème nous permettait, en outre,
d'envisager de plagier un court métrage burlesque de Chaplin :
Charlot, de dos, ne pleurant pas le départ de son amie mais se
préparant un cocktail avec un shaker. Or, comme le dit Emir Kusturica,
« Chaplin savait marier le comique et le pathétique, voire le
tragique » (in Quin, 2005, p.60) et conduisait le spectateur à
passer, en quelques secondes, d'une émotion à une autre, des
pleurs aux rires ;
- la deuxième est son intemporalité ; ce
thème est récurrent depuis l'antiquité dans la
littérature, l'opéra, le théâtre ;
- le troisième est que la mort est l'un des thèmes
les plus présents dans le cinéma. Elle est un des trois
thèmes, avec la violence et l'amour, les plus traités dans le
cinéma américain (Cieutat, 1991). Le risque d'un impact
émotionnel fort sur les spectateurs nourris par le cinéma
américain nous sembla faible d'autant plus que nous avons cherché
à traiter la camarde, comme le font les auteurs de films
américains, c'est-à-dire «comme faisant partie
intégrante de la vie ». A ce sujet, Michel Cieutat
ajoute : « l'Américain est trop préoccupé
de vivre pour penser à la mort. A ce propos, on se souvient de Geraldine
Chaplin dans A Wedding392(*) qui découvre Lillian Gish morte dans
son lit, qui se signe et soudain se souvient : « Oh, mon
gâteau ! » et qui se précipite aussitôt vers
la cuisine ». (Cieutat, 1991, p.281-282).
Autrement dit, nous avons utilisé la mort comme premier
coup de théâtre (plot-point) d'un récit en trois
actes. « Et lorsque Hollywood met en scène l'au-delà,
la mort ne peut alors en toute logique que faire place une fois de plus
à la vie » (Cieutat, 1991, p.284).
I- Les scénarii
Le thème général du film fut choisi pour
permettre plusieurs versions différentes.
Il s'agit d'un homme d'affaires qui apprend la mort de sa
femme.
4 scénarii numérotés furent
rédigés autour de ce thème avec des
différences minimes de mise en scène mais avec pour objectif de
sens de montrer le mari sous 4 aspects :
- le mari effondré
- le mari commanditaire
- le mari volage
- le mari intéressé
Scénario 1 : Le mari
effondré
Plan 1 :
Intérieur nuit. Un bureau d'un homme d'affaires.
Plan de demi-ensemble : Monsieur Dupond, brillant homme
d'affaires, travaille, assis à son bureau. Il reçoit un coup de
téléphone.
Plan 2 : Gros plan sur le
téléphone qui sonne. La main de M. Dupond décroche le
combiné du téléphone.
Plan 3 : Plan rapproché poitrine sur
M. Dupond.
M. Dupond : « oui ! »
Interlocuteur en voix off, avec bruitage de fond d'un
hôpital : « Monsieur Dupond, je vous
téléphone pour vous annoncer que votre femme est
décédée. Nous avons tout fait pour qu'elle ne souffre
pas ».
Plan 4 : Gros plan sur M. Dupond, visage
fermé (en plongée). Silence de quelques secondes
Plan 5 : Plan rapproché sur M.
Dupond.
M. Dupond : « Merci de m'avoir
prévenu ».
M. Dupond raccroche le combiné et se lève. Il
marche quelques pas et regarde par la fenêtre de son bureau.
Plan 6 : Plan rapproché de profil de
M. Dupond. Silence.
Plan 7 : Fondu. Flash Back. Plan
en noir et blanc de sa femme qui s'éloigne au bord d'une plage.
Prise de dos.
Plan 8 : Plan américain. M. Dupond
traverse son bureau pour regarder le portrait de sa femme accroché au
mur (ou posé sur un meuble). A mi-chemin, il s'arrête pour ouvrir
son mini-bar.
Plan 9 : Gros plan sur la porte du
mini-bar. On entend des bruits de verres et de bouteilles.
Plan 10 : Plan rapproché de dos. M.
Dupond s'avance vers le portrait de sa femme.
Plan 11 : Travelling avant vers le portrait
de Mme Dupond.
Plan 12 : Plan rapproché poitrine de
dos de M. Dupond. M. Dupond, au bord des larmes, est pris de soubresauts.
Plan 13 : Gros plan sur le portrait de Mme
Dupond.
Fondu au noir.
EPILOGUE
Plan 14 : Plan rapproché de profil.
M. Dupond se sert un verre et il le boit.
Fondu enchaîné
Plan 15 : Gros plan sur la bouteille
presque vide
Plan 16 : M. Dupond tombe à terre.
Bruits de verre. Fondu au noir
Le scénario 2 est très proche du scénario 1.
Des indices peuvent faire croire en un assassinat
prémédité et l'épilogue est différent.
Scénario 2 : Le mari
commanditaire
Plan 1 :
Intérieur nuit. Un bureau d'un homme d'affaires.
Plan de demi-ensemble : Monsieur Dupond, brillant homme
d'affaires, travaille, assis à son bureau. Il reçoit un coup de
téléphone.
Plan 2 : Gros plan sur le
téléphone qui sonne. La main de M. Dupond décroche le
combiné du téléphone.
Plan 3 : Plan rapproché poitrine sur
M. Dupond.
M. Dupond : « oui ! »
Interlocuteur, avec un fort accent sicilien, en voix off, avec
bruitage d'aéroport : « Monsieur Dupond, je vous
téléphone pour vous annoncer que votre femme est morte. Nous
avons tout fait pour qu'elle ne souffre pas ».
Plan 4 : Gros plan sur M. Dupond :
Silence de quelques secondes
Plan 5 : Plan rapproché sur M.
Dupond.
M. Dupond : « Merci de m'avoir
prévenu ».
M. Dupond raccroche le combiné et se lève. Il
marche quelques pas et regarde par la fenêtre de son bureau.
Plan 6 : Plan rapproché de profil de
M. Dupond. Silence.
Plan 7 : Fondu. Flash Back. Plan
en noir et blanc de sa femme qui s'éloigne de dos au bord de la
plage.
Plan 8 : Plan américain. M. Dupond
traverse son bureau pour regarder le portrait de sa femme accroché au
mur. A mi-chemin, il s'arrête pour ouvrir son mini-bar.
Plan 9 : Gros plan sur la porte du
mini-bar. On entend des bruits de verres et de bouteilles.
Plan 10 : Plan rapproché de dos. M.
Dupond s'avance vers le portrait de sa femme.
Plan 11 : Travelling avant vers le portrait
de Mme Dupond.
Plan 12 : Plan rapproché poitrine de
dos de M. Dupond. M. Dupond est pris de soubresauts.
Plan 13 : Gros plan sur le portrait de Mme
Dupond. Fondu au noir
EPILOGUE
Plan 14 : Plan rapproché de profil.
M. Dupond secoue un shaker.
Plan 15 : Plan rapproché de poitrine
de face de M. Dupond. Il se sert et trinque vers la photographie de son
épouse.
Fondu au noir.
Le scénario 3 évoque la possibilité d'une
relation extraconjugale.
Scénario 3 : Le mari
volage
Plan 1 :
Intérieur nuit. Un bureau d'un homme d'affaires.
Plan de demi-ensemble : Monsieur Dupond, brillant homme
d'affaires, travaille, assis à son bureau. Il reçoit un coup de
téléphone.
Plan 2 : Gros plan sur le
téléphone qui sonne. La main de M. Dupond décroche le
combiné du téléphone.
Plan 3 : Plan rapproché poitrine sur
M. Dupond.
M. Dupond : « oui ! »
Interlocutrice, en voix off, dans une voiture : « Je te
téléphone pour t'annoncer que ta femme est morte. Ils ont tout
fait pour qu'elle ne souffre pas ».
Plan 4 : Gros plan sur M. Dupond, visage
fermé. Silence de quelques secondes
Plan 5 : Plan rapproché sur M.
Dupond.
M. Dupond : « Merci de m'avoir
prévenu ».
M. Dupond raccroche le combiné et se lève. Il
marche quelques pas et regarde par la fenêtre de son bureau.
Plan 6 : Plan rapproché de profil de
M. Dupond. Silence.
Plan 7 : Fondu. Flash Back. Plan
en noir et blanc de sa femme qui s'éloigne au bord d'une plage. Prise de
dos.
Plan 8 : Plan américain. M. Dupond
traverse son bureau pour regarder le portrait de sa femme accroché au
mur (ou posé sur un meuble). A mi-chemin, il s'arrête pour ouvrir
son mini-bar.
Plan 9 : Gros plan sur la porte du
mini-bar. On entend des bruits de verres et de bouteilles.
Plan 10 : Plan rapproché de dos. M.
Dupond s'avance vers le portrait de sa femme.
Plan 11 : Travelling avant vers le portrait
de Mme Dupond.
Plan 12 : Plan rapproché poitrine de
dos de M. Dupond.
Plan 13 : Gros plan sur le portrait de Mme
Dupond.
Fondu au noir.
EPILOGUE
Plan 14 : Plan rapproché de profil.
M. Dupond boit son verre devant la photo.
Plan 15 : Bruits d'une porte qui s'ouvre.
Gros plan sur des jambes de femme.
Fondu au noir.
Le quatrième scénario présente le mari comme
un homme d'affaires impatient et intéressé.
Scénario 4 : Le mari
intéressé
Plan 1 :
Intérieur nuit. Un bureau d'un homme d'affaires.
Plan de demi-ensemble : Monsieur Dupond, brillant homme
d'affaires, traverse de long en large son bureau avec impatience. Il regarde sa
montre.
Plan 2 : Plan rapproché de M.
Dupond
Plan 3 : Gros plan sur le
téléphone qui sonne. La main de M. Dupond décroche
précipitamment le combiné du téléphone.
Plan 4 : Plan rapproché poitrine sur
M. Dupond.
M. Dupond : « oui ! »
Interlocuteur en voix off : « Monsieur Dupond, je vous
téléphone pour vous annoncer le décès de votre
femme. On a tout fait pour qu'elle ne souffre pas».
Plan 5 : Plan rapproché sur M.
Dupond, en contre-plongée.
M. Dupond : « Merci de m'avoir
prévenu ».
M. Dupond raccroche le combiné et se lève. Il
marche quelques pas et regarde par la fenêtre de son bureau.
Plan 6 : Plan rapproché de profil de
M. Dupond. Silence.
Plan 7 : Plan américain. M. Dupond
traverse son bureau pour regarder le portrait de sa femme accroché au
mur (ou posé sur un meuble). A mi-chemin, il s'arrête pour ouvrir
son mini-bar.
Plan 8 : Gros plan sur la porte du
mini-bar. On entend des bruits de verres et de bouteilles.
Plan 9 : Plan rapproché de dos. M.
Dupond s'avance vers le portrait de sa femme.
Plan 10 : Travelling avant vers le portrait
de Mme Dupond.
Plan 11 : Plan rapproché poitrine de
dos de M. Dupond.
Plan 12 : Gros plan sur le portrait de Mme
Dupond.
Fondu au noir.
EPILOGUE
Plan 13 : Plan rapproché de profil.
M. Dupond se sert un verre et il le boit.
Fondu enchaîné
Plan 14 : M. Dupond se rassoit à son
bureau, ouvre un tiroir et en sort un dossier.
Plan 15 : M. Dupond ouvre le dossier
Plan 16 : Gros plan sur le contrat
d'assurance décès et le contrat Obsèques.
Plan 17 : Plan rapproché. Il
parcourt les contrats en terminant son verre.
Ces quatre scénarii numérotés furent
validés lors d'une réunion de recherche du CERIC.
Nous avons alors procédé au découpage
technique plan par plan. Les contraintes esthétiques et techniques
notamment celles liées aux lieux et heures de tournage, aux
décors, etc. nous ont obligé à augmenter le nombre de
plans. Cela explique que le nombre de plans soit plus grand que prévu
dans chaque version : une vingtaine dans le découpage technique
contre une quinzaine dans le scénario numéroté393(*).
Par ailleurs, lors du tournage, le scénario 4 fit l'objet
de deux versions légèrement différentes, principalement
dans l'épilogue. C'est la seule fois que nous nous sommes
écarté du découpage technique précis (N°4)
pour donner, un moment, libre cours à notre
« improvisation » lors du tournage ;
spontanéité très vite recadrée dans un
découpage technique plan par plan, N°5 (Othnin-Girard, 1993).
Après montage, la comparaison entre les 4 scénarii
originaux et leur version définitive (Bessière, 2000), au nombre
total de cinq, montre très peu de différences ; ce qui
était bien entendu recherché.
Quant à la comparaison entre les cinq versions
définitives entre elles, elle met en évidence que leur
différence vient de détails dans la bande image et la bande
son ; ce qui était également prévu et souhaité
pour voir l'influence d'un élément filmique (par version) sur le
sens global du film.
II- Les cinq versions filmées
Cette présentation des cinq versions détaille les
composantes techniques et narratives de chaque plan ainsi que le sens que
voulait en donner le réalisateur. Chaque plan devant avoir une
signification intentionnelle, nous avons choisi, avec précaution et
respect des conventions, les éléments filmiques constitutifs et
les interventions sur les contextes (Mucchielli, 2001) :
- le contexte spatial, notamment par le choix du lieu de
tournage, des décors intérieurs et extérieurs, des
échelles de plan, etc.,
- le contexte temporel, en jouant sur la continuité vs la
discontinuité du récit grâce à des liaisons, des
ellipses spatio-temporelles, le flashback, la luminosité du
jour, etc.,
- le contexte physique et sensoriel, en travaillant la prise de
vues, la lumière, la musique, les voix, etc.,
- le contexte relationnel social immédiat, en travaillant
les dialogues, les gestes, les intonations, les marques de sympathie ou
d'antipathie entre les personnages, etc.,
- le contexte des positions respectives, en choisissant avec soin
les attitudes et indices paralinguistiques du statut, de la culture, les
indices du niveau social (costumes, habitation, lieu de travail), le
tutoiement ou le vouvoiement, etc.,
- le contexte culturel ou subculturel de référence
aux normes et règles collectivement partagées en faisant
intervenir des normes au cours du film : usages, formules de politesse,
accents, symboles, codes, etc.,
- le contexte identitaire en agissant sur la façon
d'être des comédiens, leur manière de parler, de
réagir, et tout ce qui peut révéler leurs intentions,
leurs valeurs, etc.
Rappelons qu'un même élément filmique, par
exemple, les vêtements d'un personnage, peut agir sur plusieurs
contextes. Le sens est le résultat de processus complexes et
systémiques (Mucchielli, 1998). C'est un
« construit », une émergence, une résultante
provisoire de significations prises par les « productions »
faites dans les contextes (Corbalan, 2003). Autrement dit, en intervenant sur
ces différents contextes, nous (réalisateur), mais aussi les
spectateurs, allons transformer les contextes et ainsi participer à la
construction du sens.
Nous avons donc utilisé la méthode
sémio-contextuelle non pour analyser un message préexistant
(Boistel, 2003) mais, en amont de la création et pour réaliser et
monter les cinq versions de notre court-métrage de fiction.
Dans les cinq versions, le personnage principal est joué
par un véritable cadre supérieur d'une compagnie d'assurances,
âgé de 50 ans. Le bureau dans lequel sont tournées les
scènes en intérieur est le bureau du Directeur Régional de
la Compagnie AGF à Montpellier. Le tournage en intérieur eut lieu
en fin de journée (19-20 H.). Le tournage en extérieur fut
effectué sur la plage de l'Espiguette en Camargue (Commune de
Grau-du-Roi, Gard, France) dans l'après-midi. La femme qui marche dans
le sable est jouée par une femme brune âgée de 50 ans. Les
prises de vues en intérieur et en extérieur furent
réalisées, en novembre et décembre 2003. Les
scénarios, la mise en scène, le tournage et le montage sont
d'Alexandre Chirouze.
La musique de fond est identique dans les cinq versions. Il
s'agit tout le long du film d'une musique extraite d'un volume de musique
asiatique de Qi Gong. Elle fut choisie pour l'ambiance énigmatique
qu'elle génère.
Dans les tableaux suivants, nous avons indiqué pour
chaque plan : - la durée du plan qui joue notamment sur le contexte
sensoriel, - le lieu et le moment de la situation qui interviennent
forcément sur les contextes spatial et temporel, - l'échelle de
plan qui peut également agir sur plusieurs contextes, sensoriel,
spatial, etc., - le contenu du plan qui est pluri-contextuel par nature, -
enfin, la liaison ou raccord qui peut intervenir sur le sens de
différentes manières, notamment sur le contexte normatif selon le
niveau de connaissance des codes du montage par le spectateur.
A- Le découpage technique de la version 1 : le
mari effondré
Numéro du plan
|
Durée du plan
|
Lieu et moment
|
Echelle du plan
|
Contenu
|
Liaison ou raccord
|
Plan 1
|
11 secondes
|
Intérieur/Nuit
|
Plan de demi-ensemble
|
M. Neuville, un cadre supérieur d'une entreprise, est
assis à son bureau. Il consulte un dossier. Son téléphone
sonne (à 10''44). Il dirige sa main vers le combiné.
|
Ouverture en fondu
1-2 Cut
|
Plan 2
|
3 secondes
|
Intérieur/Nuit
|
Gros plan
|
Le téléphone sonne
|
2-3 Cut
|
Plan 3
|
4 secondes 25
|
Intérieur/Nuit
|
Plan rapproché poitrine
|
M. Neuville, assis, décroche le combiné et dit
d'une façon interrogative « Oui ? ».
Une voix off féminine dit « M. Neuville, je vous
téléphone pour vous annoncer que votre femme est
morte ». Bruits de sirène d'ambulance, de clavier
d'ordinateur et d'imprimante
|
3-4 Cut
|
Plan 4
|
2 secondes
|
Intérieur/Nuit
|
Gros plan
|
M. Neuville reste un moment silencieux
|
4-5 Cut
|
Plan 5
|
3 secondes 20
|
Intérieur/Nuit
|
Plan rapproché poitrine
|
M. Neuville écoute son interlocutrice poursuivre en voix
off : «Nous avons tout fait pour qu'elle ne souffre
pas »
|
4-5 Cut
|
Plan 6
|
10 secondes
|
Intérieur/ Nuit
|
Plan mi-moyen avec un mouvement de caméra de type
panoramique horizontal vers la droite
|
M. Neuville répond : « Merci de m'avoir
prévenu ». Il se lève vers les stores de sa
fenêtre. Il commence à ouvrir ses stores
|
6-7 Cut
|
Plan 7
|
8 secondes
|
Intérieur/Nuit
|
Plan rapproché poitrine de profil
|
M. Neuville ouvre complètement ses stores et regarde
à la fenêtre
|
7-8 Cut
|
Plan 8
|
19 secondes
|
Extérieur/Jour
|
Panorama, avec une suite de sept fondus enchaînés
|
Une femme en tailleur en jean bleu et portant un foulard de type
carré bleu marche en s'éloignant dans des dunes de sable
|
8-9 Cut
|
Plan 9
|
2 secondes 30
|
Intérieur/Nuit
|
Plan américain
|
M. Neuville ferme son store et se retourne
|
9-10 Cut
|
Plan 10
|
1 seconde
|
Intérieur/Nuit
|
Plan demi-ensemble
|
Un cadre avec une photographie est posé sur un meuble de
bureau long et bas. La photographie est celle d'une femme de 35-40 ans,
brune
|
10-11 Cut
|
Plan 11
|
3 secondes 70
|
Intérieur/Nuit
|
Plan américain, avec panoramique vers la gauche, en
contre-plongée
|
M. Neuville s'avance en direction du meuble de bureau
|
11-12 Cut
|
Plan 12
|
1 seconde
|
Intérieur/Nuit
|
Plan américain
|
M. Neuville se baisse
|
12-13 Cut
|
Plan 13
|
6 secondes
|
Intérieur/Nuit
|
Gros plan
|
Gros plan sur un minibar de bureau. La main de M. Neuville ouvre
le minbar et en sort un verre et une bouteille. Il ferme la porte du minibar.
Des bruits de bouteille et de porte de minibar accompagnent les gestes
|
13-14 Cut
|
Plan 14
|
3 secondes 20
|
Intérieur/Nuit
|
Plan rapproché
|
M. Neuville ouvre sa bouteille
|
14-15 Cut
|
Plan 15 (A)
|
3 secondes
|
Intérieur/Nuit
|
Plan rapproché
|
Il se sert un verre à proximité du cadre de la
photographie
|
15(A) -Fondu au noir. Fin de la première partie
|
Plan 15 (B)
Reprise après la première partie de l'interview de
groupe
|
3 secondes
|
Intérieur/Nuit
|
Plan rapproché
|
Il pose sa bouteille à proximité de la
photographie.
Bruits de bouteille.
|
Ouverture en fondu
15(B)- 16 Cut
|
Plan 16
|
3 secondes 50
|
Intérieur/Nuit
|
Plan rapproché de dos
|
Il boit son verre de la main gauche, à proximité de
la photographie d'une femme brune
|
16-17 Cut
|
Plan 17
|
2 secondes
|
Intérieur/Nuit
|
Plan rapproché de dos
|
M. Neuville prend la photographie de sa main droite
|
17-18 Cut
|
Plan 18
|
1 seconde 70
|
Intérieur/Nuit
|
Gros plan
|
Gros plan sur la photographie de la femme brune
|
18-19 Cut
|
Plan 19
|
1 seconde
|
Intérieur/Nuit
|
Plan rapproché de dos
|
M. Neuville est pris de soubresauts
|
19-20 Cut
|
Plan 20
|
3 secondes 80
|
Intérieur/Nuit
|
Plan rapproché de profil
|
M. Neuville pose sur le meuble son verre, puis le cadre
violemment. Bruits de verre et du cadre qui sont posés sur le meuble.
Puis, M. Neuville tombe en arrière
|
20-21 Cut
|
Plan 21
|
0 seconde 56
|
Intérieur/Nuit
|
Plan rapproché poitrine en plongée
|
M. Neuville tombe sur la moquette
|
21-22 Cut
|
Plan 22
|
1 seconde 96
|
Intérieur/Nuit
|
Plan rapproché en plongée
|
M. Neuville poursuit sa chute, son bras gauche s'étend au
sol.
|
Cut
Fin
|
B : Le découpage technique de la version 2 : le
mari commanditaire
Numéro du plan
|
Durée du plan
|
Lieu et moment
|
Echelle du plan
|
Contenu
|
Liaison ou raccord
|
Plan 1
|
11 secondes
|
Intérieur/Nuit
|
Plan de demi-ensemble
|
M. Neuville, un cadre supérieur d'une entreprise, est
assis à son bureau. Il consulte un dossier. Son téléphone
sonne (à 10''44). Il dirige sa main vers le combiné.
|
Ouverture en fondu
1-2 Cut
|
Plan 2
|
3 secondes
|
Intérieur/Nuit
|
Gros plan
|
Le téléphone sonne
|
2-3 Cut
|
Plan 3
|
4 secondes 25
|
Intérieur/Nuit
|
Plan rapproché poitrine
|
M. Neuville, assis, décroche le combiné et dit
d'une façon interrogative « Oui ? ».
Une voix off masculine avec un fort accent sicilien dit
« M. Neuville, je vous téléphone ». Bruits
d'un hall d'aéroport. Musique de fond du Parrain
|
3-4 Cut
|
Plan 4
|
2 secondes
|
Intérieur/Nuit
|
Gros plan
|
Gros plan sur M. Neuville tandis que la voix au
téléphone poursuit :
« pour vous annoncer que votre femme est
morte ». Bruits d'un hall d'aéroport. Musique de fond du
Parrain
|
4-5 Cut
|
Plan 5
|
3 secondes 20
|
Intérieur/Nuit
|
Plan rapproché poitrine
|
M. Neuville écoute son interlocuteur poursuivre en voix
off : «Nous avons tout fait pour qu'elle ne souffre
pas ».
Bruit d'une annonce dans l'aérogare.
Musique du Parrain.
|
4-5 Cut
|
Plan 6
|
10 secondes
|
Intérieur/ Nuit
|
Plan mi-moyen avec un mouvement de caméra de type
panoramique horizontal vers la droite
|
Bruits d'aérogare.
M. Neuville répond : « Merci de m'avoir
prévenu ». Il raccroche le combiné et se lève
vers les stores de sa fenêtre. Il commence à ouvrir ses stores
|
6-7 Cut
|
Plan 7
|
8 secondes
|
Intérieur/Nuit
|
Plan rapproché poitrine de profil
|
M. Neuville ouvre complètement ses stores et regarde
à la fenêtre
|
7-8 Cut
|
Plan 8
|
19 secondes
|
Extérieur/Jour
|
Panorama, avec une suite de sept fondus enchaînés
|
Une femme en tailleur en jean bleu et portant un foulard de type
carré bleu marche en s'éloignant dans des dunes de sable
|
8-9 Cut
|
Plan 9
|
3 secondes 80
|
Intérieur/Nuit
|
Plan américain
|
M. Neuville ferme son store et se retourne
|
9-10 Cut
|
Plan 10
|
2 secondes 30
|
Intérieur/Nuit
|
Gros plan
|
Gros plan d'un cadre avec une photographie en noir et blanc d'une
femme blonde de 40 à 45 ans assise à un bureau tenant de la main
gauche un téléphone et de la main droite une boule de billard
numérotée. A côté du cadre, on aperçoit deux
dossiers datés des années 2002 et 2003.
|
10-11 Cut
|
Plan 11
|
2 secondes 38
|
Intérieur/Nuit
|
Plan américain, avec panoramique vers la gauche, en
contre-plongée
|
M. Neuville s'avance en direction du meuble sur lequel est
posé le cadre
|
11-12 Cut
|
Plan 12
|
1 seconde
|
Intérieur/Nuit
|
Plan américain
|
M. Neuville se baisse
|
12-13 Cut
|
Plan 13
|
3 secondes 50
|
Intérieur/Nuit
|
Gros plan
|
Gros plan sur un minibar de bureau. La main de M. Neuville ouvre
le minibar et en sort un verre. Sa main plonge dans le minibar comme pour
chercher une bouteille. Des bruits de bouteille et de porte de minibar
accompagnent les gestes
|
13-14 Cut
|
Plan 14
|
1 seconde
|
Intérieur/Nuit
|
Gros plan
|
La main de M. Neuville ferme la porte du minibar. Bruits de porte
du minibar
|
14-15 Fondu enchaîné
|
Plan 15 (A)
|
1 seconde 78
|
Intérieur/Nuit
|
Plan rapproché de dos
|
M. Neuville bouge les épaules verticalement à
plusieurs reprises comme s'il avait une crise de sanglots
|
15(A) -Fondu au noir. Fin de la première partie
|
Plan 15 (B)
Reprise après la première partie de l'interview de
groupe
|
2 secondes 40
|
Intérieur/Nuit
|
Plan rapproché de dos
|
M. Neuville secoue toujours ses épaules.
Bruits de liquide remué dans une bouteille.
|
Ouverture en fondu
15(B)- 16 Cut
|
Plan 16
|
0 seconde 90
|
Intérieur/Nuit
|
Gros plan
|
Gros plan sur la photographie de la femme blonde
|
16-17 Cut
|
Plan 17
|
9 secondes 62
|
Intérieur/Nuit
|
Gros plan
|
Gros plan sur un shaker remué par M. Neuville et sur une
bouteille de Chivas. Les mains de
M. Neuville servent le cocktail dans un verre puis ferment le
shaker.
|
17-18 Cut
|
Plan 18
|
3 secondes 32
|
Intérieur/Nuit
|
Plan rapproché profil
|
M. Neuville pose le shaker sur le meuble puis il prend son verre
de la main droite
|
18-19 Cut
|
Plan 19
|
1 seconde 50
|
Intérieur/Nuit
|
Plan rapproché poitrine en plongée
|
M. Neuville prend de la main gauche le cadre de la photo et la
regarde. Sa main droite tient toujours son verre
|
19-20 Cut
|
Plan 20
|
7 secondes 13
|
Intérieur/Nuit
|
Plan américain de profil
|
M. Neuville regarde la photo avec attention puis la repose sur
le meuble. Il tape le cadre avec son verre comme pour trinquer.
Bruits de verre.
M. Neuville trinque de nouveau devant la photo en esquissant un
sourire narquois. Il boit son verre.
|
20-21 Cut
|
C- Le découpage technique de la version 3 : le
mari volage
Numéro du plan
|
Durée du plan
|
Lieu et moment
|
Echelle du plan
|
Contenu
|
Liaison ou raccord
|
Plan 1
|
11 secondes
|
Intérieur/Nuit
|
Plan de demi-ensemble
|
M. Neuville, un cadre supérieur d'une entreprise, est
assis à son bureau. Il consulte un dossier. Son téléphone
sonne (à 10''44). Il dirige sa main vers le combiné.
|
Ouverture en fondu
1-2 Cut
|
Plan 2
|
3 secondes
|
Intérieur/Nuit
|
Gros plan
|
Le téléphone sonne
|
2-3 Cut
|
Plan 3
|
4 secondes 25
|
Intérieur/Nuit
|
Plan rapproché poitrine
|
M. Neuville, assis, décroche le combiné et dit
d'une façon interrogative « Oui ? ».
Une voix off féminine, lente et un peu énigmatique,
dit « Je te téléphone pour t'annoncer que ta femme est
morte »
|
3-4 Cut
|
Plan 4
|
2 secondes
|
Intérieur/Nuit
|
Gros plan
|
M. Neuville reste un moment silencieux
|
4-5 Cut
|
Plan 5
|
3 secondes 20
|
Intérieur/Nuit
|
Plan rapproché poitrine
|
M. Neuville écoute son interlocutrice poursuive en voix
off : « Ils ont tout fait pour qu'elle ne souffre
pas »
|
4-5 Cut
|
Plan 6
|
10 secondes
|
Intérieur/ Nuit
|
Plan mi-moyen avec un mouvement de caméra de type
panoramique horizontal vers la droite
|
M. Neuville répond : « Merci de m'avoir
prévenu ». Il se lève vers les stores de sa
fenêtre. Il commence à ouvrir ses stores
|
6-7 Cut
|
Plan 7
|
8 secondes
|
Intérieur/Nuit
|
Plan rapproché poitrine de profil
|
M. Neuville ouvre complètement ses stores et regarde
à la fenêtre
|
7-8 Cut
|
Plan 8
|
19 secondes
|
Extérieur/Jour
|
Panorama, avec suite de sept fondus enchaînés
|
Une femme en tailleur en jean bleu et portant un foulard de type
carré bleu marche en s'éloignant dans des dunes de sable
|
8-9 Cut
|
Plan 9
|
2 secondes 30
|
Intérieur/Nuit
|
Plan américain
|
M. Neuville ferme son store et se retourne
|
9-10 Cut
|
Plan 10
|
1 seconde
|
Intérieur/Nuit
|
Plan demi-ensemble
|
Un cadre avec une photographie est posé sur un meuble de
bureau long et bas. La photographie est celle d'une femme de 35-40 ans,
brune
|
10-11 Cut
|
Plan 11
|
3 secondes 70
|
Intérieur/Nuit
|
Plan américain, avec panoramique vers la gauche, en
contre-plongée
|
M. Neuville s'avance en direction du meuble de bureau
|
11-12 Cut
|
Plan 12
|
1 seconde
|
Intérieur/Nuit
|
Plan américain
|
M. Neuville se baisse
|
12-13 Cut
|
Plan 13
|
6 secondes
|
Intérieur/Nuit
|
Gros plan
|
Gros plan sur un minibar de bureau. La main de M. Neuville ouvre
le minbar et en sort un verre et une bouteille. Il ferme la porte du minibar.
Des bruits de bouteille et de porte de minibar accompagnent les gestes
|
13-14 Cut
|
Plan 14
|
3 secondes 20
|
Intérieur/Nuit
|
Plan rapproché
|
M. Neuville ouvre sa bouteille
|
14-15 Cut
|
Plan 15 (A)
|
3 secondes
|
Intérieur/Nuit
|
Plan rapproché
|
Il se sert un verre à proximité du cadre de la
photographie
|
15(A) -Fondu au noir. Fin de la première partie
|
Plan 15 (B)
Reprise après la première partie de l'interview de
groupe
|
3 secondes
|
Intérieur/Nuit
|
Plan rapproché
|
Il pose sa bouteille à proximité de la
photographie.
Bruits de bouteille.
|
Ouverture en fondu
15(B)- 16 Cut
|
Plan 16
|
3 secondes 50
|
Intérieur/Nuit
|
Plan rapproché de dos
|
Il boit son verre de la main gauche, à proximité de
la photographie d'une femme brune
|
16-17 Cut
|
Plan 17
|
2 secondes
|
Intérieur/Nuit
|
Plan rapproché de dos
|
M. Neuville prend la photographie de sa main droite
|
17-18 Cut
|
Plan 18
|
1 seconde 70
|
Intérieur/Nuit
|
Gros plan
|
Gros plan sur la photographie de la femme brune
|
18-19 Cut
|
Plan 19
|
3 secondes 80
|
Intérieur/Nuit
|
Plan rapproché
|
M. Neuville regarde la photo et la repose sur le meuble. Il
continue à boire son verre. Un bruit de porte qui s'ouvre se fait
entendre. M. Neuville jette un coup d'oeil surpris vers la porte (hors
champ)
|
19-20 Cut
|
Plan 20
|
0 seconde 70
|
Intérieur/Nuit
|
Plan demi-ensemble
|
La porte s'ouvre
|
20-21 Cut
|
Plan 21
|
0 seconde 80
|
Intérieur/Nuit
|
Plan rapproché poitrine
|
M. Neuville regarde vers la porte
|
21-22 Cut
|
Plan 22
|
5 secondes 50
|
Intérieur/Nuit
|
Plan rapproché à gros plan
|
Des jambes de femme s'avancent vers les chaussures de M.
Neuville.
La jupe de la femme est fendue, les chaussures
élégantes. Les jambes s'écartent très
légèrement lorsqu'elles arrivent près des pieds de M.
Neuville
|
Cut
Fin
|
Comme la plupart des choix relatifs aux décors et aux
costumes, celui d'une jupe fendue fut intentionnel. Cet élément
conventionnel n'est pas spécifique au cinéma. Comme
l'écrit Roland Barthes (2000, p.89-90) : « L'endroit le
plus érotique d'un corps n'est-il pas là où le
vêtement bâille ? (...) C'est l'intermittence, comme l'a si
bien dit la psychanalyse, qui est érotique : celle de la peau qui
scintille entre deux pièces (le pantalon et le tricot), entre deux bords
(la chemise entrouverte, le gant et la manche) ; c'est ce scintillement
même qui séduit, ou encore : la mise en scène d'une
apparition-disparition ».
D- Le découpage technique de la version 4 : le
mari intéressé et planificateur
Numéro du plan
|
Durée du plan
|
Lieu et moment
|
Echelle du plan
|
Contenu
|
Liaison ou raccord
|
Plan 1
|
9 secondes 16
|
Intérieur/Nuit
|
Plan de demi-ensemble
|
M. Neuville, un cadre supérieur d'une entreprise, marche
de long en large derrière son bureau. Il semble impatient et regarde sa
montre. Le téléphone sonne.
Bruits d'une sonnerie de téléphone
|
Ouverture en fondu
1-2 Cut
|
Plan 2
|
1 seconde 44
|
Intérieur/Nuit
|
Gros plan
|
Le téléphone sonne. M. Neuville décroche son
téléphone.
|
2-3 Cut
|
Plan 3
|
11 secondes 16
|
Intérieur/Nuit
|
Plan rapproché poitrine
|
Une voix off masculine neutre dit : « Monsieur
Neuville ? ».
M. Neuville répond « Oui ! »
La voix off poursuit : « Je vous
téléphone pour vous annoncer le décès de votre
femme. On a tout fait pour qu'elle ne souffre pas ».
M. Neuville lui répond : « Merci de
m'avoir prévenu ». Il raccroche.
|
3-4 Cut
|
Plan 4
|
3 secondes 70
|
Intérieur/Nuit
|
Plan rapproché vers plan américain avec panoramique
vers la droite
|
M. Neuville se dirige vers la fenêtre de son bureau et
commence à ouvrir ses stores.
|
4-5 Cut
|
Plan 5
|
5 secondes
|
Intérieur/Nuit
|
Plan rapproché poitrine profil
|
M. Neuville finit d'ouvrir ses stores et regarde à la
fenêtre. Il observe à ce moment-là une voiture qui passe
avec les feux allumés.
|
5-6 Fondu enchaîné
|
Plan 6
|
19 secondes
|
Extérieur/Jour
|
Panorama, avec suite de sept fondus enchaînés
|
Une femme en tailleur en jean bleu et portant un foulard de type
carré bleu marche en s'éloignant dans des dunes de sable
|
6-7 Cut
|
Plan 7
|
6 secondes 72
|
Intérieur/Nuit
|
Plan américain avec panoramique vers la gauche
|
M. Neuville ferme son store et se retourne. D'un air soucieux, il
traverse son bureau.
|
7-8 Cut
|
Plan 8
|
7 secondes 56
|
Intérieur/Nuit
|
Plan rapproché en plongée
|
M. Neuville se baisse pour ouvrir son minibar. Il en sort une
bouteille.
Bruits de porte et de bouteille.
Il prend un verre dans le meuble situé à gauche du
minibar. Il pose le verre sur le meuble, ouvre sa bouteille et commence
à se servir.
Bruits de capsule de bouteille et de verre.
|
8-9 Fondu au noir
Fin première partie
|
Plan 9
|
6 secondes 30
|
Intérieur/Nuit
|
Plan rapproché en plongée
|
M. Neuville remplit son verre puis referme sa bouteille de
Chivas. Il la pose sur le meuble, puis se baisse de nouveau pour aller chercher
quelque chose.
|
Ouverture en fondu
9-10 Cut
|
Plan 10
|
2 secondes 16
|
Intérieur/Nuit
|
Plan rapproché de profil
|
M. Neuville sort du meuble, de la main droite, un document puis
le pose sur le meuble.
Bruits d'un document que l'on pose.
|
10-11 Cut
|
Plan 11
|
1 seconde 50
|
Intérieur/Nuit
|
Gros plan en plongée
|
Le document est un contrat d'obsèques. Il est posé
à proximité d'un cadre avec une photographie en noir et blanc
d'une femme blonde de 40 à 45 ans tenant de la main gauche un
téléphone et de la main droite une boule de billard
numérotée. M. Neuville ouvre le contrat d'Obsèques.
|
11-12 Cut
|
Plan 12
|
4 secondes 25
|
Intérieur/Nuit
|
Plan rapproché de profil
|
M. Neuville tourne les pages du contrat
|
12-13 Cut
|
Plan 13
|
3 secondes 38
|
Intérieur/Nuit
|
Gros plan en plongée
|
M. Neuville feuillette le contrat et s'attarde sur une des pages
du document. Il pose un doigt sur la page.
|
13-14 Cut
|
Plan 14
|
2 secondes 82
|
Intérieur/Nuit
|
Plan américain de profil
|
M. Neuville lit avec attention cette page.
|
14-15 Cut
|
Plan 15
|
12 secondes 18
|
Intérieur/Nuit
|
Plan de demi-ensemble à plan rapproché avec un
travelling avant en plongée
|
M. Neuville retourne s'asseoir à son bureau avec son verre
à la main..
Bruits de fauteuil. Il pose son verre sur le bureau et sort de
son sous-main un document.
|
15-16 Cut
|
Plan 16
|
3 secondes 72
|
Intérieur/Nuit
|
Gros plan en plongée
|
Il s'agit d'un document de prévoyance capital
funéraire. M. Neuville ouvre le document.
|
16-17 Cut
|
Plan 17
|
0 seconde 94
|
Intérieur/Nuit
|
Plan rapproché en plongée
|
M. Neuville déplie le document.
|
17-18 Cut
|
Plan 18
|
0 seconde 53
|
Intérieur/Nuit
|
Gros plan en plongée
|
Le document semble être déjà rempli
|
18-19 Cut
|
Plan 19
|
2 secondes 78
|
Intérieur/Nuit
|
Plan rapproché
|
M. Neuville, assis, lit avec attention le document, les deux
coudes sur la table.
|
Cut de fin
|
E- Le découpage technique de la version 5 : le
mari intéressé et sans état d'âme
Le scénario 4 n'était prévu à
l'origine que pour une seule version. Nous en fîmes deux
légèrement différentes en accentuant la
vénalité du mari et son côté calculateur dans la
version 4.
La musique est identique à celle des autres versions.
Numéro du plan
|
Durée du plan
|
Lieu et moment
|
Echelle du plan
|
Contenu
|
Liaison ou raccord
|
Plan 1
|
9 secondes 16
|
Intérieur/Nuit
|
Plan de demi-ensemble
|
M. Neuville, un cadre supérieur d'une entreprise, marche
de long en large derrière son bureau. Il semble impatient et regarde sa
montre. Le téléphone sonne.
Bruits d'une sonnerie de téléphone
|
Ouverture en fondu
1-2 Cut
|
Plan 2
|
1 seconde 44
|
Intérieur/Nuit
|
Gros plan
|
Le téléphone sonne. M. Neuville décroche son
téléphone.
|
2-3 Cut
|
Plan 3
|
11 secondes 16
|
Intérieur/Nuit
|
Plan rapproché poitrine
|
Une voix off masculine neutre dit : « Monsieur
Neuville ? ».
M. Neuville répond « Oui ! »
La voix off poursuit : « Je vous
téléphone pour vous annoncer le décès de votre
femme. On a tout fait pour qu'elle ne souffre pas ».
M. Neuville lui répond : « Merci de
m'avoir prévenu ». Il raccroche.
|
3-4 Cut
|
Plan 4
|
3 secondes 70
|
Intérieur/Nuit
|
Plan rapproché vers plan américain avec panoramique
vers la droite
|
M. Neuville se dirige vers la fenêtre de son bureau et
commence à ouvrier ses stores.
|
4-5 Cut
|
Plan 5
|
5 secondes
|
Intérieur/Nuit
|
Plan rapproché poitrine profil
|
M. Neuville finit d'ouvrir ses stores et regarde à la
fenêtre. Il observe à ce moment-là une voiture qui passe
avec les feux allumés.
|
5-6 Fondu enchaîné
|
Plan 6
|
19 secondes
|
Extérieur/Jour
|
Panorama, avec suite de sept fondus enchaînés
|
Une femme en tailleur en jean bleu et portant un foulard de type
carré bleu marche en s'éloignant dans des dunes de sable
|
6-7 Cut
|
Plan 7
|
6 secondes 72
|
Intérieur/Nuit
|
Plan américain avec panoramique vers la gauche
|
M. Neuville ferme son store et se retourne. D'un air soucieux, il
traverse son bureau.
|
7-8 Cut
|
Plan 8
|
1 seconde 30
|
Intérieur/Nuit
|
Plan rapproché de poitrine de profil
|
M. Neuville se baisse pour prendre quelque chose.
|
8-9 Fondu au noir
Fin première partie
|
Plan 9
|
2 secondes 40
|
Intérieur/Nuit
|
Plan américain de profil
|
M. Neuville sort un document d'un meuble de bureau puis le pose
sur le meuble.
|
Ouverture en fondu
9-10 Cut
|
Plan 10
|
2 secondes 94
|
Intérieur/Nuit
|
Gros plan en plongée
|
M. Neuville ouvre le document. Il s'agit d'un contrat
d'obsèques, situé à proximité d'un cadre avec une
photographie en noir et blanc d'une femme blonde de 40 à 45 ans tenant
de la main gauche un téléphone et de la main droite une boule de
billard numérotée
|
10-11 Cut
|
Plan 11
|
1 seconde 12
|
Intérieur/Nuit
|
Plan rapproché poitrine de profil
|
M. Neuville regarde son contrat d'Obsèques
|
11-12 Cut
|
Plan 12
|
3 secondes 09
|
Intérieur/Nuit
|
Gros plan en plongée
|
Les mains de M. Neuville tournent les pages du contrat
|
12-13 Cut
|
Plan 13
|
2 secondes 88
|
Intérieur/Nuit
|
Très gros plan en plongée
|
Très gros plan sur les pages du contrat. M. Neuville
s'attarde sur une des pages du contrat
|
13-14 Cut
|
Plan 14
|
2 secondes 47
|
Intérieur/Nuit
|
Gros plan
|
Gros plan sur les mains et le contrat. M. Neuville ferme le
contrat et tend une main vers le cadre à la photo
|
14-15 Cut
|
Plan 15
|
3 secondes 80
|
Intérieur/Nuit
|
Très gros plan en plongée
|
Le cadre tombe sur le contrat.
Bruits de cadre.
|
Cut de fin
|
III- Différences et points communs entre les cinq
versions
Pour les cinq versions, la musique extradiégétique
est identique, les acteurs principaux également (le mari et la femme
dans les dunes de sable). Seuls des détails tels que la femme en
photographie, les bruits et les voix off, le tutoiement ou le vouvoiement, etc.
ainsi que des variantes en matière de cadrage, de durée de plan,
de liaisons et de raccords techniques, etc. diffèrent, dans la
première partie, selon les versions.
Les versions 1, 2 et 3 sont construites d'une façon
comparable. De nombreux plans sont identiques.
Bien qu'il y ait des points communs (certains plans, les bruits,
le personnage principal, le décor, etc.), les versions 4 et 5 sont
différentes par rapport aux trois précédentes en
matière de montage et de rythme : leur première partie ne
comprend que huit plans contre 15 dans les trois premières versions.
Autrement dit, hormis les éléments autres que
narratifs, le récit de la première partie des cinq versions est
sensiblement le même. Notre but était de voir les
différences de perception provoquées par des
éléments « mineurs » de montage, de
durée de plan, de bruits et de voix off, etc. ainsi que leurs
conséquences sur la construction de l'histoire par les spectateurs.
L'ambiguïté de la première partie du
récit était donc intentionnelle, comme dans les films de la
Nouvelle Vague : « Le plus important est le fait que les films
de la Nouvelle Vague se terminent généralement de façon
ambiguë. (...) L'imprécision de la chaîne causale conduit
à des fins délibérément ouvertes et
incertaines » (Bordwell et Thompson, 2000, p. 576).
C'est la raison pour laquelle, pour isoler les différentes
fins construites par les participants, nous avons prévu dans la
première partie du guide d'entretien un test d'histoire à
compléter.
En revanche, les récits de cinq épilogues sont plus
contrastés et moins ambigus.
Comparaison détaillée des versions 1, 2
et 3
Plan
|
Version 1
|
Version 2
|
Version 3
|
1
|
Identique
|
Identique
|
Identique
|
2
|
Identique
|
Identique
|
Identique
|
3
|
Voix off d'une femme dans un hôpital
|
Voix off d'un homme à accent sicilien, musique du
Parrain, Bruits d'une aérogare
|
Voix off d'une femme qui tutoie le personnage principal
|
4
|
Identique à la version 3
|
Bande image identique
Bande son différente
|
Identique à la version 1
|
5
|
Voix off féminine s'impliquant :
« nous »
|
Voix off masculine
s'impliquant « nous»
|
Voix off féminine et tutoyant ne s'impliquant pas
« ils »
|
6
|
Identique
|
Identique
|
Identique
|
7
|
Identique
|
Identique
|
Identique
|
8
|
Identique
|
Identique
|
Identique
|
9
|
Identique à la version 3
|
Un peu plus long que dans les 2 autres versions
|
Identique à la version 1
|
10
|
Identique à la version 3
Femme brune en photo
|
Plan plus long, en gros plan, femme blonde
|
Identique à la version 1.
Femme brune en photo
|
11
|
Identique à la version 3
|
Plan plus court que dans les 2 autres versions
|
Identique à la version 1
|
12
|
Identique
|
Identique
|
Identique
|
13
|
Identique à la version 3
|
Plan plus court
|
Identique à la version 1
|
14
|
Identique à la version 3
|
Plan plus court et gros plan
|
Identique à la version 1
|
15 A
Fin de la première partie
|
Identique à la version 3
|
Plan plus court et de dos
|
Identique à la version 1
|
15 B
Début de la deuxième
partie
|
Identique à la version 3
|
Plan plus court et de dos
|
Identique à la version 1
|
16
|
Identique à la version 3
|
Gros plan sur la photo de la femme blonde. Plan très
court
|
Identique à la version 1
|
17
|
Identique à la version 3
|
Plan plus long et en gros plan
|
Identique à la version 1
|
18
|
Identique à la version 3
|
Plan de profil et plus long
|
Identique à la version 1
|
19
|
Soubresauts, plan court de dos
|
Plan en plongée
|
Plan plus long. Bruit de porte qui s'ouvre
|
20
|
Le verre et le cadre sont posés. Début de la
chute
|
Plan plus long de profil. Sourire narquois.
FIN
|
Porte qui s'ouvre
|
21
|
Chute sur la moquette
|
|
Regard vers la porte
|
22
|
Corps par terre et FIN
|
|
Jambes de femme.
FIN
|
Durée totale
|
1 minute 38 secondes 18
|
1 minute 41 secondes 08
|
1 minute 41 secondes 65
|
Durée de la première partie
|
1 minute 20 secondes 65
|
1 minute 16 secondes 21
|
1 minute 20 secondes 65
|
Comparaison détaillée des versions 4 et
5 avec les versions précédentes : 1, 2 et 3.
Plan
|
Version 4
|
Version 5
|
1
|
Identique à la version 5.
Le personnage principal marche alors que dans les versions 1, 2,
3, il est assis
|
Identique à la version 4
|
2
|
Identique à la version 5.
Montage plus rapide que dans les versions 1, 2, 3
|
Identique à la version 4
|
3
|
Identique à la version 5.
Montage moins découpé que dans les versions 1, 2,
3. Un seul plan comprend le contenu des plans 3 à 5 des versions 1, 2,
3.
Voix off masculine neutre s'impliquant
« on »
|
Identique à la version 4
|
4
|
Identique à la version 5.
Identique à la dernière partie du plan 6 des
versions 1, 2 et 3
|
Identique à la version 4
|
5
|
Identique à la version 5.
Proche de la fin du plan 7 des versions
précédentes, mais on voit en arrière-plan dans
l'obscurité des feux d'automobile.
|
Identique à la version 4
|
6
|
Identique à la version 5.
Identique aussi au plan 8 des versions 1, 2 et 3
|
Identique à la version 4
|
7
|
Identique à la version 5.
Proche en plus long du plan 9 des versions 1, 2 et 3. Taille de
plan différent.
Mouvement de caméra, panoramique vers la gauche.
Plan qui regroupe en fait des extraits des plans 9 et 11 des
versions 1, 2 et 3.
|
Identique à la version 4
|
8
Fin de la première partie
|
Plan en plongée assez long montrant le personnage
principal se servir à boire.
|
Plan de poitrine de profil assez court ne montrant pas
précisément ce que le personnage principal fait et prend.
|
9
Début de la deuxième
partie
|
Plan en plongée assez long en continuité avec le
plan précédent
|
Plan américain montrant le document saisi.
|
10
|
Plan assez court de profil montrant le personnage principal
sortir un document
|
Gros plan sur un contrat d'assurances
|
11
|
Gros plan en plongée sur un contrat d'Obsèques.
|
Plan court de profil montrant le personnage principal le
regarder.
|
12
|
Plan profil montrant le personnage principal tourner les pages
|
Gros plan en plongée sur les pages du contrat qui
défilent
|
13
|
Gros plan en plongée sur un détail du contrat
|
Très gros plan sur les pages puis sur l'une d'entre
elles
|
14
|
Plan américain de profil du lecteur
|
Gros plan sur les mains
|
15
|
Changement d'échelles de plans par travelling avant en
plongée.
Traversée du bureau et position assise
|
Très gros plan sur le cadre qui tombe sur le contrat,
comme un clap de fin ; FIN.
|
16
|
Gros plan en plongée sur un autre contrat
|
|
17
|
Plan court sur l'ouverture du contrat
|
|
18
|
Gros plan en plongée montrant que le contrat est
déjà rempli et signé
|
|
19
|
Plan de fin montrant l'intérêt du personnage pour le
contenu du contrat ; FIN.
|
|
Durée totale
|
1 minute 44 secondes 30
|
1 minute 16 secondes 18
|
Durée de la première partie
|
1 minute 3 secondes 74
|
57 secondes 48
|
IV- Les objectifs de sens du réalisateur
Pour chacune des versions, nous avons rédigé, en
amont, le sens que nous (réalisateur) souhaitions donner à chacun
des plans. Nous voulions définir en amont la signification du film et
le produire d'une manière intentionnelle. Notre intention était,
concrètement, de réaliser au mieux chacun de ces plans de
manière à ce qu'ils soient compris par les spectateurs comme nous
le souhaitions. Cette démarche, quelque peu théorique, proche de
celle d'Eisenstein394(*)
qui était persuadé que l'on pouvait influencer le spectateur dans
la direction qu'on désirait et lui communiquer un sens, nous conduisit
à étudier avec précision chaque plan, à organiser
les images et à procéder au montage d'images chargées d'un
sens intentionnel, dans le respect du code du montage et des autres codes
filmiques.
Pour les choix des décors, des acteurs, des thèmes
symboliques, nous avons notamment utilisé les deux tomes de Michel
Cieutat sur les grands thèmes du cinéma américain (1988,
1991) et cela principalement pour le choix du lieu de tournage en
extérieur et pour celui des femmes qui apparaissent à
l'écran. Le tournage en extérieur fut effectué sur la
plage de l'Espiguette en Camargue. Notre but était de montrer une sorte
de désert de sable. Le thème déclencheur de notre
récit étant la mort telle qu'elle est « utilisée
à Hollywood », nous avons choisi le désert dans ce
sens. Dans le cinéma américain, le désert est, en effet,
« un lieu de souffrance, d'accident, de danger, de mort ou
d'échec (...) C'est aussi le décor où se déroule
une épreuve de force imposée à l'homme (...) Mais c'est
essentiellement la source de toute véritable naissance (...) Le
désert punit, purifie et permet de revivre » (Cieutat, 1991,
p.261-262).
En ce qui concerne les femmes de la distribution artistique
(casting), nous avons 2 à 3 apparitions féminines selon
la version : une femme dans le désert, une femme en photographie et
des jambes de femme dans une des versions. Il nous fallait laisser le
spectateur les identifier à sa façon, donc ne pas le guider par
des indices, notamment celui de la couleur des cheveux. C'est pourquoi, nous
avons souhaité que la femme dans le désert porte une sorte de
foulard pour se protéger (éventuellement des vents de sable) mais
surtout pour que la couleur de ses cheveux n'apparaisse pas. Dans la version 3
du mari volage, seules les jambes de la femme qui entre dans le bureau sont
filmées, ce qui ne permet pas au spectateur d'identifier la personne, ni
d'attribuer les jambes à la femme brune ou blonde, selon les versions,
qui est sur la photographie, dont le cadre est posé sur le bureau.
Selon les versions, la photographie est celle d'une femme brune
ou blonde. Dans le cinéma américain, « la femme blonde
est un paradis terrestre, une source de tendresse (...), un havre de paix (...)
la bonne épouse » mais dans les films noirs, dans les
années quarante, elle devient plus pernicieuse, « trop
de blondeur à Hollywood rime avec malheur » (Cieutat, 1991, p
75-76). Quant à la brune, elle est très souvent malfaisante, dans
le cinéma américain, « sa chevelure évoque le
noir de la nuit, la nuit des coucheries satanesques, les ténèbres
de l'immoralité et de la mort (...) mais elle peut être aussi une
héroïne (...) admirable de force de caractère »
(Cieutat, p.74). Et Michel Cieutat de conclure sur ce grand thème du
cinéma américain : « la femme brune, qui hante le
Sud, fait peur au Nord ». Il nous semblait donc intéressant de
mettre en évidence, en changeant simplement la photographie d'un cadre,
les associations possibles entre la couleur des cheveux d'une femme et sa
personnalité, voire ses relations bonnes ou mauvaises avec son mari
( ?). Mais nous savions que le fait que nous ne soyons pas aux Etats-Unis
et que les réunions allaient avoir lieu dans le Sud de la France,
changeait le contexte spatial donc allait vraisemblablement modifier le sens.
A- La version 1 : le mari effondré
La musique est identique à celle des autres versions. Elle
fut choisie pour l'ambiance énigmatique qu'elle génère.
Numéro du plan
|
Durée du plan
|
Echelle du plan
|
Contenu
|
Objectifs de sens poursuivis par le réalisateur
|
Plan 1
|
11 secondes
|
Plan de demi-ensemble
|
M. Neuville, un cadre supérieur d'une entreprise, est
assis à son bureau. Il consulte un dossier. Son téléphone
sonne (à 10''44). Il dirige sa main vers le combiné.
|
Montrer le statut du personnage principal par ses
vêtements (costume, cravate), son stylo, son bureau de directeur :
ameublement fonctionnel, plante verte, moquette, etc.
Le montrer dans une situation initiale, normale de travail, en
train de lire et de traiter un dossier important
|
Plan 2
|
3 secondes
|
Gros plan
|
Le téléphone sonne
|
Mettre en valeur, grâce au gros plan,
l'événement qui va bouleverser la situation initiale.
|
Plan 3
|
4 secondes 25
|
Plan rapproché poitrine
|
M. Neuville, assis, décroche le combiné et dit
d'une façon interrogative « Oui ? ».
Une voix off féminine dit « M. Neuville, je vous
téléphone pour vous annoncer que votre femme est
morte ». Bruits de sirène d'ambulance, de clavier
d'ordinateur et d'imprimante
|
Mettre en opposition l'attitude froide et contrôlée
d'un responsable d'entreprise et son comportement après l'annonce de la
mort de sa femme. Le vouvoiement et les bruits hors champ
diégétiques sont des éléments d'identification de
la personne dont on entend la voix (off). Il s'agit d'une personne
d'un service hospitalier. Rien n'indique en revanche son statut :
médecin, infirmière ou simple secrétaire ? Mais le
bruit d'un clavier d'ordinateur semble indiquer qu'il s'agit d'une
secrétaire.
|
Plan 4
|
2 secondes
|
Gros plan
|
M. Neuville reste un moment silencieux
|
Insister sur l'effet de surprise sur le personnage. Montrer sa
réaction face au changement de situation
|
Plan 5
|
3 secondes 20
|
Plan rapproché poitrine
|
M. Neuville écoute son interlocutrice poursuivre en voix
off : «Nous avons tout fait pour qu'elle ne souffre
pas »
|
Montrer les réactions du personnage principal, ses
mimiques (hochements de tête, moue, fermeture du visage, etc.) sans trop
en révéler grâce à sa moustache.
|
Plan 6
|
10 secondes
|
Plan mi-moyen avec un mouvement de caméra de type
panoramique horizontal vers la droite
|
M. Neuville répond : « Merci de m'avoir
prévenu ». Il se lève vers les stores de sa
fenêtre. Il commence à ouvrir ses stores
|
Montrer le personnage reprendre le contrôle de la situation
par un ton directorial.
Montrer qu'il a besoin de réfléchir en sortant de
son contexte de travail
|
Plan 7
|
8 secondes
|
Plan rapproché poitrine de profil
|
M. Neuville ouvre complètement ses stores et regarde
à la fenêtre
|
Montrer que sa pensée quitte le bureau, pour
l'extérieur, la ville, la nuit.
Evoquer l'opposition lumière/obscurité,
vie/mort.
|
Plan 8
|
19 secondes
|
Panorama, avec une suite de sept fondus enchaînés
|
Une femme en tailleur en jean bleu et portant un foulard de type
carré bleu marche en s'éloignant dans des dunes de sable
|
Evoquer le temps qui passe, le départ d'une femme seule,
l'éloignement progressif puis la disparition. Evoquer avec les images du
désert la désolation et la stérilité et/ou la
réflexion sur le passé.
|
Plan 9
|
2 secondes 30
|
Plan américain
|
M. Neuville ferme son store et se retourne
|
Montrer la fin de quelque chose puis le retour au réel.
|
Plan 10
|
1 seconde
|
Plan demi-ensemble
|
Un cadre avec une photographie est posé sur un meuble de
bureau long et bas. La photographie est celle d'une femme de 35-40 ans,
brune
|
Evoquer la femme disparue par un objet matériel toujours
présent dans le lieu où vit le personnage principal lorsqu'il
travaille.
|
Plan 11
|
3 secondes 70
|
Plan américain, avec panoramique vers la gauche, en
contre-plongée
|
M. Neuville s'avance en direction du meuble de bureau
|
Montrer l'attirance quasi-magnétique de cet objet pour le
personnage principal.
Montrer que la photo de cette femme lui redonne de
l'énergie.
Donner du rythme à ce plan par le panoramique
|
Plan 12
|
1 seconde
|
Plan américain
|
M. Neuville se baisse
|
Donner du rythme par un plan très court montrant une
action singulière dont on ne connaît pas encore la raison.
|
Plan 13
|
6 secondes
|
Gros plan
|
Gros plan sur un minibar de bureau. La main de M. Neuville ouvre
le minibar et en sort un verre et une bouteille. Il ferme la porte du minibar.
Bruits de bouteille et de porte de minibar accompagnent les gestes
|
Mettre en valeur un objet associé à un besoin
urgent à assouvir : le besoin de boire
|
Plan 14
|
3 secondes 20
|
Plan rapproché
|
M. Neuville ouvre sa bouteille
|
Montrer l'énergie dépensée par le
personnage et la précision de ses gestes
|
Plan 15 (A)
|
3 secondes
|
Plan rapproché
|
Il se sert un verre à proximité du cadre de la
photographie
|
Montrer le lien entre ce besoin de boire de l'alcool et les
retombées de l'annonce de la mort de sa femme.
Evoquer la fin de la première partie par un fondu au
noir.
|
Plan 15 (B)
Reprise après la première partie de l'interview de
groupe
|
3 secondes
|
Plan rapproché
|
Il pose sa bouteille à proximité de la
photographie.
Bruits de bouteille.
|
Insister sur l'association alcool-deuil.
|
Plan 16
|
3 secondes 50
|
Plan rapproché de dos
|
Il boit son verre de la main gauche, à proximité de
la photographie d'une femme brune
|
Montrer avec pudeur, donc de dos, la tristesse supposée
du personnage principal.
|
Plan 17
|
2 secondes
|
Plan rapproché de dos
|
M. Neuville prend la photographie de sa main droite
|
Montrer son besoin de se souvenir, de toucher l'image de son
épouse.
|
Plan 18
|
1 seconde 70
|
Gros plan
|
Gros plan sur la photographie de la femme brune
|
Mettre en valeur la beauté et la jeunesse de la femme
photographiée
|
Plan 19
|
1 seconde
|
Plan rapproché de dos
|
M. Neuville est pris de soubresauts
|
Montrer furtivement les gestes du personnage principal à
la vue de la photo. Laisser planer un doute sur les raisons de ces soubresauts
: sanglots, etc.
|
Plan 20
|
3 secondes 80
|
Plan rapproché de profil
|
M. Neuville pose sur le meuble son verre, puis le cadre
violemment. Bruits de verre et du cadre qui sont posés sur le meuble.
Puis, M. Neuville tombe en arrière
|
Montrer la rapidité et la brutalité avec laquelle
les événements vont suivre.
|
Plan 21
|
0 seconde 56
|
Plan rapproché poitrine en plongée
|
M. Neuville tombe sur la moquette
|
Montrer la chute, comme vu du ciel, par un plan très
court.
|
Plan 22
|
1 seconde 96
|
Plan rapproché en plongée
|
M. Neuville poursuit sa chute, son bras gauche s'étend au
sol.
|
Insister sur la chute et l'état de malaise sans donner de
fin véritable à cette version : simple malaise, suicide,
empoisonnement ou crise cardiaque ?
|
B- La version 2 : le mari commanditaire
La musique est identique à celle des autres versions. Elle
fut choisie pour l'ambiance énigmatique qu'elle génère.
Numéro du plan
|
Durée du plan
|
Echelle du plan
|
Contenu
|
Objectifs de sens du réalisateur
|
Plan 1
|
11 secondes
|
Plan de demi-ensemble
|
M. Neuville, un cadre supérieur d'une entreprise, est
assis à son bureau. Il consulte un dossier. Son téléphone
sonne (à 10''44). Il dirige sa main vers le combiné.
|
Montrer le statut du personnage principal par ses
vêtements (costume, cravate), son stylo, son bureau de directeur :
ameublement fonctionnel, plante verte, moquette, etc.
Le montrer dans une situation initiale, normale de travail, en
train de lire et de traiter un dossier important
|
Plan 2
|
3 secondes
|
Gros plan
|
Le téléphone sonne
|
Mettre en valeur, grâce au gros plan,
l'événement qui va bouleverser la situation initiale.
|
Plan 3
|
4 secondes 25
|
Plan rapproché poitrine
|
M. Neuville, assis, décroche le combiné et dit
d'une façon interrogative « Oui ? ».
Une voix off masculine avec un fort accent sicilien dit
« M. Neuville, je vous téléphone pour vous annoncer que
votre femme est morte ». Bruits d'un hall d'aéroport. Musique
de fond du Parrain.
|
Mettre en opposition l'attitude froide et contrôlée
d'un responsable d'entreprise et son comportement après l'annonce de la
mort de sa femme. Le vouvoiement et les bruits hors champ
diégétiques sont des éléments d'identification de
la personne dont on entend la voix (off). Il s'agit d'un homme qui
téléphone d'une aérogare, avant son départ.
Evoquer grâce à l'aéroport bruyant et
encombré soit le stress lié à un épisode
révolu que le personnage ne regrette pas soit, plus simplement, la fuite
d'une personne qui a quelque chose à se reprocher.
Evoquer par son accent sicilien et la musique du Parrain
l'hypothèse d'un crime commandité par le personnage
principal.
|
Plan 4
|
2 secondes
|
Gros plan
|
M. Neuville reste un moment silencieux
|
Insister sur l'effet de l'annonce sur le personnage. Montrer sa
réaction face au changement de situation
|
Plan 5
|
3 secondes 20
|
Plan rapproché poitrine
|
M. Neuville écoute son interlocuteur poursuivre en voix
off : «Nous avons tout fait pour qu'elle ne souffre
pas »
|
Montrer les réactions du personnage principal, ses
mimiques (hochements de tête, moue, fermeture du visage, etc.) sans trop
en révéler grâce à sa moustache.
|
Plan 6
|
10 secondes
|
Plan mi-moyen avec un mouvement de caméra de type
panoramique horizontal vers la droite
|
M. Neuville répond : « Merci de m'avoir
prévenu ». Il se lève vers les stores de sa
fenêtre. Il commence à ouvrir ses stores
|
Montrer le personnage reprendre le contrôle de la situation
par un ton directorial.
Montrer qu'il a besoin de réfléchir en sortant de
son contexte de travail.
|
Plan 7
|
8 secondes
|
Plan rapproché poitrine de profil
|
M. Neuville ouvre complètement ses stores et regarde
à la fenêtre
|
Montrer que sa pensée quitte le bureau, pour
l'extérieur, la ville, la nuit.
Evoquer l'opposition lumière/obscurité,
vie/mort.
|
Plan 8
|
19 secondes
|
Panorama, avec une suite de sept fondus enchaînés
|
Une femme en tailleur en jean bleu et portant un foulard de type
carré bleu marche en s'éloignant dans des dunes de sable
|
Evoquer le temps qui passe, le départ d'une femme seule,
l'éloignement progressif puis la disparition.
Evoquer par les images du désert la désolation et
la stérilité et/ou la réflexion sur le passé.
|
Plan 9
|
3 secondes 80
|
Plan américain
|
M. Neuville ferme son store et se retourne
|
Montrer la fin de quelque chose puis le retour au réel.
Montrer par rapport à la version 1, par un plan plus long
d'une seconde 50'', que le personnage esquisse un léger sourire.
|
Plan 10
|
2 secondes 30
|
Gros plan
|
Gros plan d'un cadre avec une photographie en noir et blanc d'une
femme blonde de 40 à 45 ans, assise à un bureau, tenant de la
main gauche un téléphone et de la main droite une boule de
billard portant le numéro 8.
A côté du cadre, on aperçoit deux dossiers
datés des années 2002 et 2003.
|
Evoquer la femme disparue par un objet matériel toujours
présent dans le lieu où vit le personnage principal lorsqu'il
travaille.
Montrer la personnalité de cette femme : ambitieuse,
calculatrice, narquoise, joueuse.
Indiquer d'une manière assez précise l'année
au cours de laquelle se déroule l'action : 2003 voire début
2004, en fonction du délai de parution.
|
Plan 11
|
2 secondes 38
|
Plan américain, avec panoramique vers la gauche, en
contre-plongée
|
M. Neuville s'avance en direction du meuble de bureau
|
Montrer l'attirance quasi-magnétique de cet objet pour le
personnage principal.
Montrer que la photo de cette femme lui redonne de
l'énergie.
Donner du rythme à ce plan par le panoramique.
Montrer par un plan plus court et un montage différent (la
fin de la marche, plutôt que le début) une certaine
décontraction du personnage et sa démarche féline.
|
Plan 12
|
1 seconde
|
Plan américain
|
M. Neuville se baisse
|
Donner du rythme par un plan très court montrant une
action singulière dont on ne connaît pas encore la raison.
|
Plan 13
|
3 secondes 50
|
Gros plan
|
Gros plan sur un minibar de bureau. La main de M. Neuville ouvre
le minibar et en sort un verre. Sa main plonge dans le minibar comme pour
chercher une bouteille. Bruits de bouteille et de porte de minibar accompagnent
les gestes
|
Mettre en valeur un objet associé à un besoin
urgent à assouvir : le besoin de boire.
Montrer par rapport à la version 1, par un plan plus
court, la rapidité des gestes du personnage et leur précision due
à une certaine habitude de se servir un verre.
|
Plan 14
|
1 seconde
|
Gros plan
|
La main de M. Neuville ferme la porte du minibar. Bruits de la
porte du minibar
|
Montrer la précision des gestes du personnage
principal.
Evoquer par le bruit de la porte une certaine
brutalité.
Mettre en valeur le minibar de bureau et sa marque :
Philips.
Evoquer par un fondu enchaîné une ellipse
temporelle pour laisser un doute sur ce qui se passe pendant ce temps sans
image.
|
Plan 15 (A)
|
1 seconde 78
|
Plan rapproché de dos
|
M. Neuville bouge les épaules verticalement à
plusieurs reprises comme s'il avait une crise de sanglots
|
Montrer des gestes qui peuvent faire croire en de la tristesse,
du chagrin.
Filmer de dos de sorte qu'aucune certitude ne soit permise.
Evoquer la fin de la première partie par un fondu au
noir.
|
Plan 15 (B)
Reprise après la première partie de l'interview de
groupe
|
2 secondes 40
|
Plan rapproché de dos
|
M. Neuville secoue toujours ses épaules.
Bruits de liquide remué dans une bouteille.
|
Montrer l'opposition entre les images et le son. Les images sont
identiques au plan précédent : avec une forte
hypothèse d'une crise de sanglots.
Le son hors champ diégétique ne correspond pas
à celui d'une personne qui pleure mais à celui d'une bouteille
qu'on remue.
|
Plan 16
|
0 secondes 90
|
Gros plan
|
Gros plan sur la photographie de la femme blonde
|
Montrer le contraste entre l'image de la femme
décédée et le bruit. Bruit encore non identifié
pour laisser un certain suspense.
|
Plan 17
|
9 secondes 72
|
Gros plan
|
Gros plan sur un shaker remué par M. Neuville et sur une
bouteille de Chivas. Les mains de M. Neuville servent le cocktail dans un verre
puis ferment le shaker.
|
Dévoiler la source du bruit.
Mettre en contraste le décès de sa femme et le
comportement calme et satisfait du mari : ce dernier ne boit pas un verre
quelconque pour se redonner du courage, il se prépare un cocktail.
|
Plan 18
|
3 seconde 32
|
Plan rapproché de profil
|
M. Neuville pose le shaker sur le meuble puis il prend son verre
de la main droite.
|
Montrer le calme extrême du mari dans de telles
circonstances.
|
Plan 19
|
1 seconde 50
|
Plan rapproché poitrine en plongée
|
M. Neuville prend de la main gauche le cadre de la photo et la
regarde. Sa main droite tient toujours son verre.
|
Resituer l'action dans le contexte de la disparition de la femme
que les plans 15 B à 18 auraient pu faire oublier.
Evoquer par la plongée le regard de la personne
disparue.
|
Plan 20
|
7 secondes 13
|
Plan américain de profil
|
M. Neuville regarde la photo avec attention puis la repose sur
le meuble. Il tape le cadre avec son verre comme pour trinquer.
Bruits de verre.
M. Neuville trinque de nouveau devant la photo en esquissant un
sourire narquois. Il boit son verre.
|
Montrer par ce plan long, la véritable personnalité
et les motivations du personnage principal.
Evoquer son plaisir de se venger, de rendre la monnaie de sa
pièce, d'avoir eu le dernier mot d'une relation sans doute difficile.
Montrer son sourire sarcastique.
Evoquer l'hypothèse qu'il ait commandité le meurtre
de sa femme auprès de l'homme à l'accent sicilien.
|
C- La version 3 : Le mari volage
Numéro du plan
|
Durée du plan
|
Echelle du plan
|
Contenu
|
Objectifs de sens du réalisateur
|
Plan 1
|
11 secondes
|
Plan de demi-ensemble
|
M. Neuville, un cadre supérieur d'une entreprise, est
assis à son bureau. Il consulte un dossier. Son téléphone
sonne (à 10''44). Il dirige sa main vers le combiné.
|
Montrer le statut du personnage principal par ses
vêtements (costume, cravate), son stylo, son bureau de directeur :
ameublement fonctionnel, plante verte, moquette, etc.
Le montrer dans une situation initiale, normale de travail, en
train de lire et de traiter un dossier important
|
Plan 2
|
3 secondes
|
Gros plan
|
Le téléphone sonne
|
Mettre en valeur, grâce au gros plan,
l'événement qui va bouleverser la situation initiale.
|
Plan 3
|
4 secondes 25
|
Plan rapproché poitrine
|
M. Neuville, assis, décroche le combiné et dit
d'une façon interrogative « Oui ? ».
Une voix off féminine, lente et un peu énigmatique,
dit « M. Neuville, je te téléphone pour t'annoncer que
ta femme est morte ».
|
Mettre en opposition l'attitude froide et contrôlée
d'un responsable d'entreprise et son comportement après l'annonce de la
mort de sa femme.
Evoquer le type de relation entre le personnage principal et la
femme qui lui téléphone. Le tutoiement est un
élément d'identification de la personne dont on entend la voix
(off). Il s'agit d'une femme qui téléphone, plus ou
moins en cachette. Ses phrases sont espacées et elle chuchote. Elle
semble bien connaître le personnage principal : elle le tutoie et ne
se présente pas avant de parler.
Laisser planer un doute sur leurs relations
véritables : amie, soeur, maîtresse, etc.
|
Plan 4
|
2 secondes
|
Gros plan
|
M. Neuville reste un moment silencieux
|
Insister sur l'effet de l'annonce sur le personnage. Montrer sa
réaction face au changement de situation.
Laisser planer un doute sur ses pensées
véritables.
|
Plan 5
|
3 secondes 20
|
Plan rapproché poitrine
|
M. Neuville écoute son interlocutrice poursuivre en voix
off : «Ils ont tout fait pour qu'elle ne souffre
pas »
|
Montrer les réactions du personnage principal, ses
mimiques (hochements de tête, moue, fermeture du visage, etc.) sans trop
en révéler grâce à sa moustache.
Evoquer le fait que la femme qui téléphone n'a rien
fait personnellement.
Elle n'est qu'une messagère.
|
Plan 6
|
10 secondes
|
Plan mi-moyen avec un mouvement de caméra de type
panoramique horizontal vers la droite
|
M. Neuville répond : « Merci de m'avoir
prévenu ». Il se lève vers les stores de sa
fenêtre. Il commence à ouvrir ses stores
|
Montrer le personnage reprendre le contrôle de la situation
par un ton directorial.
Montrer qu'il a besoin de réfléchir en sortant de
son contexte de travail.
Laisser planer un doute sur les relations entre le personnage
principal et sa messagère, par une formule de politesse rapide.
|
Plan 7
|
8 secondes
|
Plan rapproché poitrine de profil
|
M. Neuville ouvre complètement ses stores et regarde
à la fenêtre
|
Montrer que sa pensée quitte le bureau, pour
l'extérieur, la ville, la nuit.
Evoquer l'opposition lumière/obscurité,
vie/mort.
|
Plan 8
|
19 secondes
|
Panorama, avec une suite de sept fondus enchaînés
|
Une femme en tailleur en jean bleu et portant un foulard de type
carré bleu marche en s'éloignant dans des dunes de sable
|
Evoquer le temps qui passe, le départ d'une femme seule,
l'éloignement progressif puis la disparition.
Evoquer par les images du désert la désolation et
la stérilité et/ou la réflexion sur le passé.
|
Plan 9
|
2 secondes 30
|
Plan américain
|
M. Neuville ferme son store et se retourne
|
Montrer la fin de quelque chose puis le retour au réel.
|
Plan 10
|
1 seconde
|
Plan de demi-ensemble
|
Un cadre avec une photographie est posé sur un meuble de
bureau long et bas. La photographie est celle d'une femme brune de 35-40 ans
|
Evoquer la femme disparue par un objet matériel toujours
présent dans le lieu où vit le personnage principal lorsqu'il
travaille.
|
Plan 11
|
3 secondes 70
|
Plan américain, avec panoramique vers la gauche, en
contre-plongée
|
M. Neuville s'avance en direction du meuble de bureau
|
Montrer l'attirance quasi-magnétique de cet objet pour le
personnage principal.
Montrer que la photo de cette femme lui redonne de
l'énergie.
Donner du rythme à ce plan par le panoramique.
|
Plan 12
|
1 seconde
|
Plan américain
|
M. Neuville se baisse
|
Donner du rythme par un plan très court montrant une
action singulière dont on ne connaît pas encore la raison.
|
Plan 13
|
6 secondes
|
Gros plan
|
Gros plan sur un minibar de bureau. La main de M. Neuville ouvre
le minibar et en sort un verre et
une bouteille.
Bruits de bouteille et de porte de minibar accompagnent les
gestes
|
Mettre en valeur un objet associé à un besoin
urgent à assouvir : le besoin de boire
|
Plan 14
|
3 secondes 20
|
Plan rapproché
|
M. Neuville ouvre sa bouteille
|
Montrer l'énergie dépensée par le
personnage et la précision de ses gestes
|
Plan 15 (A)
|
3 secondes
|
Plan rapproché
|
Il se sert un verre à proximité du cadre de la
photographie
|
Montrer le lien entre ce besoin de boire de l'alcool et les
retombées de l'annonce de la mort de sa femme.
Evoquer la fin de la première partie par un fondu au
noir.
|
Plan 15 (B)
Reprise après la première partie de l'interview de
groupe
|
3 secondes
|
Plan rapproché
|
Il pose sa bouteille à proximité de la
photographie.
Bruits de bouteille.
|
Insister sur l'association alcool-deuil.
|
Plan 16
|
3 secondes 50
|
Plan rapproché de dos
|
Il boit son verre de la main gauche, à proximité de
la photographie d'une femme brune.
|
Montrer avec pudeur, donc de dos, la tristesse supposée
du personnage principal
|
Plan 17
|
2 secondes
|
Plan rapproché de dos
|
M. Neuville prend la photographie de sa main droite
|
Montrer son besoin de se souvenir, de toucher l'image de son
épouse.
|
Plan 18
|
1 seconde 70
|
Gros plan
|
Gros plan sur la photographie de la femme brune
|
Mettre en valeur la beauté et la jeunesse de la femme
photographiée
|
Plan 19
|
3 secondes 80
|
Plan rapproché
|
M. Neuville regarde la photo et la repose sur le meuble. Il
continue à boire son verre. Un bruit de porte qui s'ouvre se fait
entendre. M. Neuville jette un coup d'oeil surpris vers la porte (hors
champ)
|
Montrer par la photo que le personnage principal tente de
s'accrocher à sa femme, aux moments importants de leur vie.
Laisser planer un doute devant cette alternative.
Evoquer la surprise par un bruit hors champ de porte.
Montrer que le personnage principal n'est pas habitué que
quelqu'un entre dans son bureau sans frapper.
|
Plan 20
|
0 seconde 70
|
Plan demi-ensemble
|
La porte s'ouvre.
|
Montrer la source du bruit précédent.
Laisser planer le doute sur la personne qui ouvre la porte.
Evoquer l'opposition possible entre la personne qui
pénètre dans le bureau, en poussant la porte, avec un besoin
d'ouverture vers l'autre, et le personnage principal surpris qu'on force sa
porte alors qu'il est, sans doute, en phase d'introspection.
|
Plan 21
|
0 seconde 80
|
Plan rapproché poitrine
|
M. Neuville regarde vers la porte
|
Laisser planer un suspense sur l'identité de la personne
qui entre
|
Plan 22
|
5 secondes 50
|
Plan rapproché à gros plan
|
Des jambes de femme s'avancent vers les chaussures de M.
Neuville.
La jupe de la femme est fendue, les chaussures sont
élégantes. Les jambes s'écartent très
légèrement lorsqu'elles arrivent près des pieds de M.
Neuville
|
Donner quelques informations sur la personne qui entre :
c'est une femme, assez jeune, 30 à 40 ans, élégante avec
une jupe fendue (Barthes).
Evoquer la possibilité d'un acte sexuel par des images
insistantes sur les pieds et surtout les chaussures de la femme qui
pénètre dans le bureau.
Contrebalancer cette piste par des jambes qui avancent qui
peuvent évoquer soit le désir de faire évoluer une
carrière, soit le rapprochement des corps.
Laisser planer le doute sur l'identité de la femme :
la secrétaire qui vient consoler son patron, une amie ou une soeur, une
maîtresse, etc.
Laisser le spectateur conclure par lui-même.
|
D- La version 4 (scénario 4) : le mari
intéressé et planificateur
Numéro du plan
|
Durée du plan
|
Echelle du plan
|
Contenu
|
Objectifs de sens du réalisateur
|
Plan 1
|
9 secondes 16
|
Plan de demi-ensemble
|
M. Neuville, un cadre supérieur d'une entreprise, marche
de long en large derrière son bureau. Il semble impatient et regarde sa
montre. Le téléphone sonne.
Bruits d'une sonnerie de téléphone
|
Montrer le statut du personnage principal par ses
vêtements (costume, cravate), son stylo, son bureau de directeur :
ameublement fonctionnel, plante verte, moquette, etc.
Le montrer dans une situation initiale, dans laquelle il attend
une nouvelle importante.
Evoquer une nouvelle plutôt heureuse que malheureuse en le
montrant très impatient de savoir.
|
Plan 2
|
1 seconde 44
|
Gros plan
|
Le téléphone sonne. M. Neuville décroche son
téléphone.
|
Mettre en valeur, grâce au gros plan,
l'événement qui va bouleverser la situation initiale.
|
Plan 3
|
11 secondes 16
|
Plan rapproché poitrine
|
Une voix off masculine neutre dit : « Monsieur
Neuville ? ».
M. Neuville répond « Oui ! »
La voix off poursuit : « Je vous
téléphone pour vous annoncer le décès de votre
femme. On a tout fait pour qu'elle ne souffre pas ».
M. Neuville lui répond : « Merci de
m'avoir prévenu ». Il raccroche.
|
Mettre en opposition l'attitude impatiente, voire
stressée, et dynamique d'un responsable d'entreprise et son comportement
après l'annonce de la mort de sa femme. Le vouvoiement est le seul
élément d'identification de la personne dont on entend la voix
(off).
Evoquer le fait que cet homme a eu un rôle dans les
derniers moments de la vie de la femme et qu'il appartient à un service
hospitalier. Rien n'indique en revanche son statut : médecin,
infirmier ?
Montrer le personnage principal reprendre le contrôle de la
situation par un ton directorial.
Laisser planer le doute sur le fait que cette attitude est comme
une sorte de refuge ou de carapace pour se protéger.
|
Plan 4
|
3 secondes 70
|
Plan rapproché vers plan américain avec panoramique
vers la droite
|
M. Neuville se dirige vers la fenêtre de son bureau et
commence à ouvrir ses stores.
|
Montrer qu'il a besoin de réfléchir en sortant de
son contexte de travail.
|
Plan 5
|
5 secondes
|
Plan rapproché poitrine profil
|
M. Neuville finit d'ouvrir ses stores et regarde à la
fenêtre. Il observe à ce moment-là une voiture qui passe
avec les feux allumés.
|
Montrer que sa pensée quitte le bureau, pour
l'extérieur, la ville, la nuit.
Evoquer les oppositions lumière/obscurité,
vie/mort, immobilité/mouvement.
|
Plan 6
|
19 secondes
|
Panorama, avec suite de sept fondus enchaînés
|
Une femme en tailleur en jean bleu et portant un foulard de type
carré bleu marche en s'éloignant dans des dunes de sable
|
Annoncer, par un fondu enchaîné entre les plans 5 et
6, un flash-back.
Evoquer le temps qui passe, le départ d'une femme seule,
l'éloignement progressif puis la disparition. Evoquer avec les images du
désert la désolation et la stérilité et/ou la
réflexion sur le passé.
|
Plan 7
|
6 secondes 72
|
Plan américain avec panoramique vers la gauche en
contre-plongée
|
M. Neuville ferme son store et se retourne. D'un air soucieux, il
traverse son bureau.
|
Montrer la fin de quelque chose puis le retour au réel.
Evoquer le passage de l'affectif à l'instinctif ou
à la réflexion et celui du passé au présent.
Montrer que le personnage principal est préoccupé,
soucieux, qu'il a quelque chose d'urgent à faire.
Donner du rythme à ce plan par le panoramique.
|
Plan 8
Fin de la première partie
|
7 secondes 56
|
Plan rapproché en plongée
|
M. Neuville se baisse pour ouvrir son minibar. Il en sort une
bouteille.
Bruits de porte et de bouteille.
Il prend un verre dans le meuble situé à gauche du
minibar. Il pose le verre sur le meuble, ouvre sa bouteille et commence
à se servir.
Bruits de capsule de bouteille et de verre.
|
Montrer l'opposition avec le rythme du plan
précédent. Le plan est plus long en plongée alors que le
précédent était un panoramique en contre-plongée.
Donner une impression de lenteur et de décalage avec le
semblant de retour de dynamisme et de volonté évoqué dans
le plan 7.
Donner une impression de pesanteur, de poids à porter ou
de regard de quelqu'un.
Montrer l'habitude prise par M. Neuville de se réconforter
avec de l'alcool : précision des gestes, automatisme.
Evoquer la fin de la première partie par un fondu au
noir.
|
Plan 9
Reprise après la première partie de l'interview de
groupe
|
6 secondes 30
|
Plan rapproché en plongée
|
M. Neuville remplit son verre puis referme sa bouteille de
Chivas. Il la pose sur le meuble, puis se baisse de nouveau pour aller chercher
quelque chose.
|
Montrer sa relation un peu dépendante avec l'alcool par
une prise de vues en plongée.
Insister sur sa marque préférée de
whisky.
Commencer à dévoiler, par un contraste gestuel, le
véritable sujet de ses préoccupations
|
Plan 10
|
2 secondes 16
|
Plan rapproché de profil
|
M. Neuville sort du meuble, de la main droite, un document puis
le pose sur le meuble.
Bruits d'un document que l'on pose.
|
Dévoiler le véritable sujet de ses
pensées : un dossier.
Laisser un doute sur son contenu par un plan court.
Attirer l'attention des spectateurs.
|
Plan 11
|
1 seconde 50
|
Gros plan en plongée
|
Le document est un contrat d'obsèques. Il est posé
à proximité d'un cadre avec une photographie en noir et blanc
d'une femme blonde de 40 à 45 ans tenant de la main gauche un
téléphone et de la main droite une boule de billard
numérotée. M. Neuville ouvre le contrat d'Obsèques.
|
Dévoiler rapidement l'objet du dossier.
Evoquer la femme disparue par un objet matériel toujours
présent dans le lieu où vit le personnage principal lorsqu'il
travaille.
Montrer la personnalité de cette femme : ambitieuse,
calculatrice, narquoise, joueuse.
Montrer l'intérêt du personnage principal pour les
choses matérielles, notamment pour le contrat Obsèques.
|
Plan 12
|
4 secondes 25
|
Plan rapproché de profil
|
M. Neuville tourne les pages du contrat
|
Insister sur son comportement en décalage par rapport
à la situation
|
Plan 13
|
3 secondes 38
|
Gros plan en plongée
|
M. Neuville feuillette le contrat et s'attarde sur une des pages
du document. Il pose un doigt sur la page.
|
Mettre en valeur la concentration et l'énergie qu'il met
dans sa lecture du contrat d'assurance.
Mettre en valeur le fait qu'il cherchait un paragraphe
précis.
|
Plan 14
|
2 secondes 82
|
Plan américain de profil
|
M. Neuville lit avec attention cette page.
|
Insister sur le point qui le préoccupait tant dans le plan
7.
|
Plan 15
|
12 secondes 18
|
Plan de demi-ensemble à plan rapproché avec un
travelling avant en plongée
|
M. Neuville retourne s'asseoir à son bureau avec son verre
à la main..
Bruits de fauteuil. Il pose son verre sur le bureau et sort de
son sous-main un document.
|
Montrer que cette découverte lui redonne vie.
Insister sur le contraste du passage de l'immobilité au
mouvement par un travelling avant.
Montrer la confidentialité et la préparation avec
lesquelles il aborde ses premières heures de veuvage par un changement
d'échelle de plans et la présence d'un document dans son
sous-main.
Montrer par ce plan que le personnage principal est probablement
quelqu'un de bien informé en matière d'assurances. Laisser planer
le doute sur le fait qu'il soit lui-même un assureur ou un escroc
à l'assurance.
|
Plan 16
|
3 secondes 72
|
Gros plan en plongée
|
Il s'agit d'un document de prévoyance capital
funéraire. M. Neuville ouvre le document.
|
Insister sur le contenu de son nouveau document par un gros plan
en plongée.
|
Plan 17
|
0 seconde 94
|
Plan rapproché en plongée
|
M. Neuville déplie le document.
|
Montrer que seul le contenu du document intéresse le
personnage principal, qu'en le dépliant il se replie sur
lui-même.
|
Plan 18
|
0 seconde 53
|
Gros plan en plongée
|
Le document semble être déjà rempli
|
Mettre en valeur que tout était prêt. Le
décès de son épouse était en quelque sorte
planifié.
Le contrat de « fin de mariage » rempli et
signé.
|
Plan 19
|
2 secondes 78
|
Plan rapproché
|
M. Neuville, assis, lit avec attention le document, les deux
coudes sur la table.
|
Montrer l'avidité du personnage principal, tout au moins
son comportement de gestionnaire plus que celui du mari esseulé.
Laisser le spectateur conclure lui-même de la cause de la
mort de sa femme : maladie, accident ou meurtre ?
|
E- La version 5 (scénario 4) : le mari
intéressé et sans état d'âme
Dans cette version, réalisée à partir du
même scénario que la version précédente, le
réalisateur laisse planer un doute sur la personnalité du mari.
Ce dernier apparaît moins comme un calculateur que comme la victime d'un
mariage raté. La musique est identique à celle des autres
versions.
Numéro du plan
|
Durée du plan
|
Echelle du plan
|
Contenu
|
Objectifs de sens du réalisateur
|
Plan 1
|
9 secondes 16
|
Plan de demi-ensemble
|
M. Neuville, un cadre supérieur d'une entreprise, marche
de long en large derrière son bureau. Il semble impatient et regarde sa
montre. Le téléphone sonne.
Bruits d'une sonnerie de téléphone
|
Montrer le statut du personnage principal par ses
vêtements (costume, cravate), son stylo, son bureau de directeur :
ameublement fonctionnel, plante verte, moquette, etc.
Le montrer dans une situation initiale, dans laquelle il attend
une nouvelle importante.
Evoquer une nouvelle plutôt heureuse que malheureuse en le
montrant très impatient de savoir.
|
Plan 2
|
1 seconde 44
|
Gros plan
|
Le téléphone sonne. M. Neuville décroche son
téléphone.
|
Mettre en valeur, grâce au gros plan,
l'événement qui va bouleverser la situation initiale.
|
Plan 3
|
11 secondes 16
|
Plan rapproché poitrine
|
Une voix off masculine neutre dit : « Monsieur
Neuville ? ».
M. Neuville répond « Oui ! »
La voix off poursuit : « Je vous
téléphone pour vous annoncer le décès de votre
femme. On a tout fait pour qu'elle ne souffre pas ».
M. Neuville lui répond : « Merci de
m'avoir prévenu ». Il raccroche.
|
Mettre en opposition l'attitude impatiente, voire
stressée, et dynamique d'un responsable d'entreprise et son comportement
après l'annonce de la mort de sa femme. Le vouvoiement est le seul
élément d'identification de la personne dont on entend la voix
(off).
Evoquer le fait que cet homme a eu un rôle dans les
derniers moments de la vie de la femme et qu'il appartient à un service
hospitalier. Rien n'indique en revanche son statut : médecin,
infirmier ?
Montrer le personnage principal reprendre le contrôle de la
situation par un ton directorial.
Laisser planer le doute sur le fait que cette attitude est comme
une sorte de refuge ou de carapace pour se protéger.
|
Plan 4
|
3 secondes 70
|
Plan rapproché vers plan américain avec panoramique
vers la droite
|
M. Neuville se dirige vers la fenêtre de son bureau et
commence à ouvrir ses stores.
|
Montrer qu'il a besoin de réfléchir en sortant de
son contexte de travail.
|
Plan 5
|
5 secondes
|
Plan rapproché poitrine profil
|
M. Neuville finit d'ouvrir ses stores et regarde à la
fenêtre. Il observe à ce moment-là une voiture qui passe
avec les feux allumés.
|
Montrer que sa pensée quitte le bureau, pour
l'extérieur, la ville, la nuit.
Evoquer les oppositions lumière/obscurité,
vie/mort, immobilité/mouvement.
|
Plan 6
|
19 secondes
|
Panorama, avec suite de sept fondus enchaînés
|
Une femme en tailleur en jean bleu et portant un foulard de type
carré bleu marche en s'éloignant dans des dunes de sable
|
Annoncer, par un fondu enchaîné entre les plans 5 et
6, un flash-back.
Evoquer le temps qui passe, le départ d'une femme seule,
l'éloignement progressif puis la disparition. Evoquer avec les images du
désert la désolation et la stérilité et/ou la
réflexion sur le passé.
|
Plan 7
|
6 secondes 72
|
Plan américain avec panoramique vers la gauche
|
M. Neuville ferme son store et se retourne. D'un air soucieux, il
traverse son bureau.
|
Montrer la fin de quelque chose puis le retour au réel.
Evoquer le passage de l'affectif à l'instinctif ou
à la réflexion et celui du passé au présent.
Montrer que le personnage principal est préoccupé,
soucieux, qu'il a quelque chose d'urgent à faire.
Donner du rythme à ce plan par le panoramique.
|
Plan 8
Fin de la première partie
|
1 seconde 30
|
Plan rapproché de poitrine de profil
|
M. Neuville se baisse pour prendre quelque chose
|
Montrer l'opposition avec le rythme du plan
précédent plus long et en panoramique.
Laisser planer un doute sur ce que le personnage principal
cherche.
Evoquer la fin de la première partie par un fondu au
noir.
|
Plan 9
Reprise après la première partie de l'interview de
groupe
|
2 secondes 40
|
Plan américain de profil
|
M. Neuville sort un document d'un meuble de bureau puis le pose
sur le meuble.
|
Montrer l'objet qu'il cherchait dans le plan
précédent.
|
Plan 10
|
2 secondes 94
|
Gros plan en plongée
|
M. Neuville ouvre le document. Il s'agit d'un contrat
d'obsèques, situé à la proximité d'un cadre avec
une photographie en noir et blanc d'une femme blonde de 40 à 45 ans
tenant de la main gauche un téléphone et de la main droite une
boule de billard numérotée
|
Dévoiler le véritable sujet de ses
pensées : un contrat d'obsèques.
Evoquer la femme disparue par un objet matériel toujours
présent dans le lieu où vit le personnage principal lorsqu'il
travaille.
Montrer la personnalité de cette femme : ambitieuse,
calculatrice, narquoise, joueuse.
|
Plan 11
|
1 seconde 12
|
Plan rapproché de poitrine de profil
|
M. Neuville regarde le contrat d'Obsèques.
|
Dévoiler rapidement l'objet du dossier. Montrer
l'intérêt du personnage principal pour les choses
matérielles, notamment pour le contrat Obsèques.
|
Plan 12
|
3 secondes 09
|
Gros plan en plongée
|
Les mains de M. Neuville tournent les pages du contrat
|
Insister sur son comportement en décalage par rapport
à la situation.
|
Plan 13
|
2 secondes 88
|
Très gros plan en plongée
|
Très gros plan sur les pages du contrat. M. Neuville
s'attarde sur une des pages du contrat
|
Mettre en valeur la concentration et l'énergie qu'il met
dans sa lecture du contrat d'assurance.
Mettre en valeur le fait qu'il y cherchait une information
précise.
|
Plan 14
|
2 secondes 47
|
Gros plan
|
Gros plan sur les mains et le contrat. M. Neuville ferme le
contrat et tend une main vers le cadre à la photo.
|
Insister sur le point qui le préoccupait tant dans le plan
7.
Mettre en valeur le fait que le personnage principal à
trouver ce qu'il cherchait et qu'il ferme le contrat comme s'il fermait une
page de sa vie.
|
Plan 15
|
3 secondes 80
|
Très gros plan en plongée
|
Le cadre tombe sur le contrat.
Bruits de cadre.
|
Mettre en valeur le fait que le cadre tombe sur le contrat.
Laisser planer un doute sur la raison de la chute du cadre :
le mari le fait tomber exprès ou il tombe alors qu'il souhaitait le
prendre en main pour le regarder.
Donner l'impression que quelle qu'en soit la raison : le
dossier est clos...que le cadre est tombé comme la lame d'une guillotine
ou un clap de Fin.
Provoquer un sentiment de malaise et l'augmenter par le plan en
plongée.
|
Chapitre 3 : L'organisation de chaque interview
et le guide d'entretien
Le succès de chaque réunion dépendait de sa
bonne organisation matérielle. Nous devions pouvoir diffuser le film
dans de bonnes conditions et filmer l'ensemble de chaque interview de groupe.
I- L'organisation matérielle et l'accueil des
participants
Il nous était malheureusement impossible d'organiser une
projection du film dans une salle de cinéma, sur un grand écran.
Il nous fallut nous contenter d'une diffusion sur un téléviseur
grand écran dans une salle de séminaires qui n'était pas
plongée dans l'obscurité.
Le dispositif spectatoriel n'était donc pas
cinématographique395(*). Nous nous privions d'une part des
caractéristiques de la projection cinématographique -
l'obscurité, le silence, le corps au repos, l'inhibition de la
motricité, l'isolement, l'attention attirée vers une surface
lumineuse, l'identification primaire à l'oeil de la caméra - qui
placent le spectateur dans une certaine disposition d'esprit, voire un
état psychique voisin du rêve (Metz, 2002), d'autre part du grand
écran au profit du format normal du récepteur
télévisuel (Moullet, 2002)396(*).
Les participants aux interviews étaient, de plus,
placés dans une situation de réception qui n'était ni une
réception en salle de cinéma, ni une réception
télévisuelle domestique, en famille ou entre amis (Calbo, 2002)
mais une réception télévisuelle collective : dans une
salle de séminaire, sans place prédéterminée, avec
une possibilité d'échanges conversationnels à partir du
film lorsque l'animateur les sollicitait, dans un cadre universitaire, etc.
Check-list de l'organisation de l'interview de
groupe
Installation de la salle
Tester l'appareil d'enregistrement : caméscope
numérique Sony sur pied au fond de la pièce.
Tester le magnétoscope et le téléviseur
grand écran.
Placer un nombre suffisant de chaises à bonne distance du
téléviseur
Ecrire les instructions à observer au tableau
« Il n'y a pas de bonne ou de mauvaise
réponse
Exprimez-vous librement
Dites ce que vous pensez réellement
Respectez les avis des autres même s'ils sont
différents des vôtres
Ne parlez pas tous en même temps
Respectez entre vous les règles élémentaires
de courtoisie »
Accueillir les participants
Leur demander : leur âge, la fréquence à
laquelle ils vont au cinéma
Demander la permission de les tutoyer.
Présenter les modes d'enregistrement et les rassurer sur
l'anonymat.
Début de la réunion
Quelques mots de remerciements
Rappel des règles de fonctionnement et de courtoisie d'une
interview de groupe
Diffusion du film
Mettre en marche le caméscope numérique à la
fin de la diffusion du film.
Début de la discussion
II- Le guide d'entretien
Le guide d'entretien fit l'objet de trois réunions-tests
et d'une discussion au Ceric. Les trois réunions-tests397(*) n'ont pas été
analysées à proprement parler mais ont permis de modifier le
guide d'entretien initial et d'améliorer l'organisation des interviews
de groupe.
Le guide d'entretien est composé de deux parties.
La première concerne la première partie du film et
comprend 12 thèmes dont une consigne de départ et un test
d'histoire à compléter. Les autres thèmes n'étaient
proposés que si les participants ne les abordaient pas
spontanément.
La deuxième partie était utilisée à
la suite de la diffusion de la fin du film telle que nous l'avions
imaginée et réalisée. Elle comprend neuf thèmes
formulés en questions ouvertes, bien que ces formulations et leur ordre
n'aient aucun caractère obligatoire.
Le film n'était projeté qu'une seule fois partant
du principe inhérent au cinéma que la plupart des spectateurs ne
voient les films qu'une fois (Pialat, in Ciment, 2003, p.38). Nous aurions
testé un spot publicitaire, ce choix méthodologique aurait
été sans doute différent.
GUIDE D'ENTRETIEN
Après la projection de la première
partie du film
1- Consigne de départ :
« Qu'avez-vous remarqué dans ce film ? »
Tour de table (selon l'ordre d'arrivée des participants et
non dans un sens classique tel que « le sens des aiguilles d'une
montre »
Reformulations
2- Que diriez-vous du personnage principal ?
Relancez sur :
- son style, son look, ses habits,
- ses gestes, ses attitudes,
- son statut social, sa profession : quels sont les indices
qui vous font dire cela ?
- sa manière de parler,
- ses réactions à l'annonce de la mort de sa
femme,
- ses valeurs, ses principes,
3- Comment imaginez-vous la personne qui
téléphone (dont on n'entend que la voix off) ?
Relancez sur :
- sa situation professionnelle,
- sa façon de parler,
- l'état de ses relations avec le personnage principal.
- Quels sont les indices qui vous font dire cela ?
4- En dehors du personnage principal et de la voix off, avez-vous
remarqué d'autres personnages ?
- Lesquels ? : décrivez- les : style, look,
âge, statut, etc.
§ Relancez :
1- sur la femme de la photographie,
2- sur la femme qui marche.
5- Que pensez-vous des relations qu'entretenait le personnage
principal avec sa femme ?
- Qu'est-ce qui vous fait dire cela ?
- Relancez sur :
1- les gestes de l'acteur principal,
2- les manifestations de sympathie ou d'antipathie,
3- sa façon de réagir,
4- sa façon de répondre au
téléphone.
6- Que pensez-vous des lieux où se déroule l'action
?
- Les faire citer, les faire décrire
- Relancer :
- en intérieur ?
- en extérieur ? Qu'évoque pour vous le lieu
de
tournage en
extérieur ?
- Que pensez-vous de l'aménagement du bureau ? du
décor ?
7- Des objets ont-ils attiré votre attention ?
- Lesquels ? Les faire décrire.
- Comment avez-vous interprété leur
présence ?
- Que pensez-vous de la place prise par la photographie de la
femme ? Son emplacement dans le bureau.
8- A quelle période situez-vous l'action du film ?
- Toutes les séquences se situent-elles
à la même époque ?
- Comment avez-vous remarqué des époques
différentes ?
- Est-ce grâce aux habits ?
- Avez-vous remarqué des flash back ? A quel
moment du film ?
- A quels moments de la journée pensez-vous que l'action
se déroule ? Toujours le soir ?
9- Dans quel genre placeriez-vous ce film ?
- Comédie, tragédie, policier ?
- Pourquoi ?
- A quel film, vous fait-il penser ? : - citer le titre
du film et/ou son réalisateur
10- Qu'avez-vous remarqué dans le montage du
film ?
- continuité ou non des plans ?
- Avez-vous remarqué des raccords : fondu au noir,
fondu enchaîné, cut, etc. : Lesquels ?
- Avez-vous remarqué la présence de ralenti ou
d'accéléré ?
- Avez-vous remarqué la présence de
différentes formes de plan : gros plan, plan d'ensemble,
etc. ?
- Tout cela vous semble-t-il utile à la
compréhension de l'histoire ? Pourquoi ?
11- Qu'avez-vous remarqué dans la bande son ?
- les voix in et off,
- la musique (éventuellement la musique subliminale
du Parrain),
- les bruitages : lesquels ? Qu'ont-ils apporté
à l'histoire ?
12- Quelle fin verriez-vous à ce film ?
Projection de la fin du film
Reprise de la discussion :
A- Que pensez-vous de cette fin ?
B- Quels sont les gestes et les attitudes que vous avez
particulièrement remarqués ?
Vous semble-t-elle conforme avec le début ?
- Est-ce une suite logique ?
- Pourquoi ?
Cette fin vous surprend-elle ?
Vous choque-t-elle ? Pourquoi ?
Selon vous, quels sont les sentiments que le personnage principal
avait pour sa femme ?
A quel film cette fin vous fait-elle penser ? Sinon,
à quel genre ?
Comment imaginez-vous la suite ?
Globalement, comment trouvez-vous ce film ?
- son scénario ?
- sa mise en scène ?
- le jeu des acteurs ?
- le montage ?
- etc.
___________________________________________________________________________
III- Le nombre et l'organisation des réunions
Chaque version fit l'objet de 3 réunions de huit
personnes.
Nous avons choisi de n'interroger que des participants au profil
assez homogène, en termes de formation universitaire (UFR AES,
Administration Economique et Sociale : Deug, Licence, Maîtrise et
3ème cycle) et d'âge (entre 19 et 25 ans), d'une part
pour éviter d'introduire trop de facteurs d'influence, d'autre part pour
bénéficier du concours d'étudiants motivés par
leurs enseignants et chargés de travaux dirigés qui, en outre,
ont accepté que les réunions se déroulent pendant leurs
heures d'enseignement avec un « prélèvement »
de huit personnes à chaque fois.
Nous tenons donc à remercier Madame Krista Duniach-Smith
et Mesdemoiselles Belen, Lemoine et Maunier pour leur aide dans le recrutement
des participants aux interviews.
Nous tenons également à remercier
l'Université Montpellier 1 et l'Université Paul-Valéry
Montpellier 3, notamment le Ceric, de nous avoir prêté des salles
et du matériel audiovisuel.
Sans leur aide et la bonne volonté des étudiants
qui acceptèrent les contraintes de l'organisation (horaires,
répartition en groupe de huit, etc.), la mise en oeuvre de notre
méthodologie eut été impossible.
Il est à noter que l'âge des participants - entre 19
et 25 ans - est proche de celui du profil médian des spectateurs
français. Suite à la réforme Licence/Master/ Doctorat, sur
les 15 réunions, 7 regroupent des étudiants de Licence (II ou
III) et 8 des étudiants de Master (I ou II).
Dans le tableau suivant, nous indiquons la composition de chaque
groupe pour chacune des versions selon leurs sexe, âge, niveau
d'études et fréquentation des salles de cinéma.
Répartition et composition des
groupes
Version du film
|
|
|
|
Version 1
|
Réunion N°2
3 F et 5 H
Deug (Licence II)
19-23 ans
1 film par mois
|
Réunion N°4
5 F et 3 H
3ème cycle (Master II)
23-25 ans
1 film par mois
|
Réunion N°7
4 F et 4 H
Maîtrise (Master I)
21-24 ans
1 film par mois
|
Version 2
|
Réunion N° 10
4 F et 4 H
3ème cycle
22-25 ans
1 à 2 films par mois
|
Réunion N°13
4 F et 4 H
3ème cycle
22-25 ans
1 à 2 films par mois
|
Réunion N°15
4 F et 4 H
Deug
19-23 ans
1 à 2 films par mois
|
Version 3
|
Réunion N°6
4 F et 4 H
Licence (Licence III)
20-23 ans
1 film par mois
|
Réunion N° 11
4 F et 4 H
Maîtrise (Master I)
22-25 ans
1 à 2 films par mois
|
Réunion N°12
4 F et 4 H
Maîtrise
22-25 ans
1 à 2 films par mois
|
Version 4
|
Réunion N°1
6 F et 2 H
Deug
19-23 ans
1 film par mois
|
Réunion N° 3
5 F et 3 H
Deug
19-23 ans
1 film par mois
|
Réunion N°8
4 F et 4 H
Deug
19-23 ans
1 film par mois
|
Version 5
|
Réunion N°5
3 F et 5 H
3ème cycle
23-25 ans
1 film par mois
|
Réunion N° 9
4 F et 4 H
Licence
21-23 ans
1 film par mois
|
Réunion N°14
4 F et 4 H
Maîtrise
21-23 ans
1 film par mois
|
Les 15 réunions furent filmées intégralement
puis retranscrites.
Nous présentons ci-dessous leur analyse version par
version.
Le début d'un film était projeté en
début de réunion. S'en suivait une discussion qui s'achevait sur
un test de récit à compléter. Puis, la fin du film
était diffusée. L'interview reprenait pour commenter la fin
imaginée par le réalisateur et donner la possibilité aux
participants d'en proposer une différente, à leurs yeux mieux
adaptée.
Chapitre 4 : L'analyse longitudinale des cinq
versions
Nous analyserons les interviews version par version et
comparerons d'une part les discours tenus dans les trois réunions, pour
chacune des cinq versions, d'autre part les sens intentionnels voulus par le
réalisateur et les sens perçus par les spectateurs. Nous
espérons ainsi mettre en valeur les processus de construction de sens de
part et d'autre et les écarts de compréhension mutuelle.
A la suite de ces analyses que nous qualifierons de
longitudinales, nous procèderons à une analyse transversale. La
comparaison des effets, plan par plan, dans un premier temps dans les trois
premières versions, car très proches les unes des autres, puis
dans un deuxième temps dans les deux dernières versions,
également peu différentes entre elles. Cette approche à la
fois longitudinale et transversale permettra d'isoler les éventuels
éléments filmiques les plus influents.
I- L'analyse des interviews suite à la diffusion de
la version 1 : le mari effondré
Trois réunions furent organisées : les
réunions 2, 4 et 7. Dans l'analyse qui suit, il nous a semblé
utile d'indiquer l'appartenance des citations à telle ou telle
réunion.
De prime abord, ce que retiennent les spectateurs de
cette version, c'est avant tout : - son rythme lent, « j'ai
trouvé ça assez lent » (Réunion 2), - l'ambiance
étrange créée par les images et le son, ainsi que par la
mise en scène et le jeu des acteurs, « La réaction du
personnage est étrange » (Réunion 7).
Tout cela fait penser à de nombreux spectateurs
soit à un film policier, « ça m'a fait penser à
Derrick » (Réunion 2), soit à un drame psychologique,
« il y avait un peu de psychologie » (Réunion 2). En
plus de la brutalité du coup de téléphone, « on
ne donne pas une telle nouvelle par téléphone »
(Réunion 4), deux événements furent
particulièrement remarqués : « cette femme qui
s'en va dans le désert » (Réunion 2), le mari qui
«va voir à sa fenêtre » (Réunion 7).
Pour ce dernier événement, deux
interprétations opposées sont données :
« c'est pour regarder le lointain, c'est une image du temps qu'on ne
peut pas rattraper » (Réunion 7) ou c'est une manifestation de
l'indifférence du mari : « il va voir à sa
fenêtre comme si de rien n'était » (Réunion
7).
Les avis convergent, par contre, pour dire qu'il s'agit d'un
responsable d'entreprise, cadre ou président-directeur
général, d'une cinquantaine d'années : « il
est habillé comme un cadre dans un bureau » (Réunion
2), « il est très bien habillé en plus. C'est le
patron, c'est sûr ! » (Réunion 4), «
c'est sûrement un cadre supérieur de 50 ans »
(Réunion 2). Les indices qui leur font penser cela sont vestimentaires,
« il est très bien habillé » (Réunion
4), mais aussi physiques, « Il a les cheveux grisonnants. Il a une
moustache », « un petit ventre aussi »
(Réunion 7), et matérielles « avec des
verres » dans son minibar. « Pour avoir un
réfrigérateur dans son bureau, c'est sûrement un homme
très bien placé. Peut-être le PDG »
(Réunion 4).
En la matière, les indices concrets laissés par le
réalisateur sont donc assez bien identifiés
En revanche, les avis divergent sur le moral du personnage
principal : pour certains, il est abattu, «il semble abattu. Il va
se servir un cognac » (Réunion 4), pour d'autres il est
insensible, froid, «Il n'est pas très émotif »,
« Il me semble pas triste du tout » (Réunion 7),
« il est aussi chaleureux que son frigo » (Réunion
2), voire calculateur, « Tout était réglé
d'avance pour lui », « c'est pour cela qu'il ne semble pas
surpris quand il reçoit le coup de fil. » (Réunion 4).
Pour d'autres, il est trop impliqué dans son travail, « il a
l'air d'être très investi dans son travail. »
(Réunion 4), et selon d'autres encore, dans l'alcool, « Il
doit aimer boire son verre chaque jour » (Réunion 4).
Le deuxième personnage le plus remarqué est la
femme qui marche dans le sable.
Prise de dos, il est difficile de la décrire,
«difficile à dire, on ne la voit que de dos »
(Réunion 2), « elle a un jean bleu » (Réunion
2). Certains la voient plus jeune que le personnage principal, « je
pense qu'elle est plus jeune » d'autres du même âge,
« elle semble avoir le même âge que l'homme au
bureau » (Réunion 2).
Son lien avec le personnage principal est également
interprété de façons diverses. Certains spectateurs voient
en elle l'épouse décédée. D'autres, la
maîtresse du personnage principal : « ce doit être
sa femme », « c'est peut-être sa
maîtresse » (Réunion 7).
D'un point de vue plus technique, l'interprétation de ce
plan avec sept fondus enchaînés est également très
variable. Certains y voient : un flashback, « C'est le
souvenir de sa femme » (Réunion 7), « Ca doit
être un souvenir de vacances » (Réunion 2). D'autres, un
flashforward de futures vacances : «vu qu'il ne semble pas
touché...c'est peut être ses futures vacances qu'il
voit » (Réunion 7). D'autres, une évocation du
départ sans retour : « une image de son départ
dans l'immensité » (Réunion 7).
Certains spectateurs s'interrogent sur la signification de ce
plan long avec des ellipses, sans ralenti, contrairement à ce que
croient quelques spectateurs : « il y a un ralenti quand on voit une
femme qui marche », « on ne comprend pas ce qu'elle fait
là, qui elle est. Pourquoi c'est ralenti ? C'est
étrange ». (Réunion 4).
Alors que d'autres y voient un procédé classique et
s'étonnent qu'on ne le comprenne pas : « C'est classique
comme procédé. Alors toi le cinéphile ? »
(Réunion 4)
La voix off au téléphone étant
différente dans les versions 1, 2 et 3, elle est importante pour la
création du sens.
Elle est dans cette version clairement identifiée comme
venant d'un hôpital grâce aux bruits de fond :
« l'appel vient d'un hôpital » (Réunion 4).
En revanche, les paroles ne suffisent pas à donner le
véritable statut de l'appelant : «c'est quelqu'un de
l'hôpital : une secrétaire »,
« plutôt un médecin », « oui
sûrement le médecin qui suivait sa femme »,
« plutôt une infirmière » (Réunion 7),
« c'est un docteur » (Réunion 4).
Le réalisateur ne voulait pas imposer un statut.
Toutefois, par le bruit d'un clavier d'ordinateur, il pensait plutôt
suggérer qu'il s'agissait d'une secrétaire médicale or ce
statut est assez peu cité.
Pire, alors que la voix est clairement féminine, un
spectateur, probablement distrait, doute que ce soit une femme :
« on ne le sait pas, pourquoi pas un homme ? »
(Réunion 4).
Un troisième personnage est
repéré dans cette version, au travers une photographie (plan
d'une seconde). Est-ce la taille du plan et/ou sa faible durée, ou le
fait que la photo soit en noir et blanc, les perceptions sont très
divergentes quant à l'âge de la personne photographiée
(en réalité 35-40 ans), la couleur des cheveux (femme brune) :
« elle avait des cheveux blancs », « elle est
blonde », « elle était brune »
(Réunion 7). Il faut noter le même doute qui entoure le statut de
cette femme : « c'est une vieille photo en noir et blanc. Je
pense que c'est sa femme », (Réunion 2), « c'est une
photo de sa femme, sans doute, ou de sa fille. » (Réunion 7).
En matière décorative, l'aménagement du
bureau n'est pas apprécié de la même façon. Certains
le jugent dépassé : « il fait ancien dans sa
disposition », « il y a un vieux store qui semble
abîmé » (Réunion 2), d'autres le trouvent vaste
et fonctionnel et l'associent au statut directorial du personnage principal,
« j'ai surtout remarqué le vide sur le bureau »,
« c'est le signe de son niveau hiérarchique »
(Réunion 4). D'autres, enfin, constatent la présence d'un
téléphone, d'une plante verte et d'un « frigo
Philips » (Réunion 2).
La présence du minibar est
interprétée très différemment selon les
spectateurs, positivement pour certains, négativement pour d'autres qui
n'apprécient pas le bureau globalement : « le frigo
Philips me gêne en face du bureau. Il n'a rien à faire là
je trouve », « je vois mal un frigo dans un bureau comme
celui-là » (Réunion 2).
La marque du minibar a attiré l'attention de
certains : « On voit bien la marque Philips. Il est marron en
face du bureau » (Réunion 4). L'un des spectateurs va
même jusqu'à penser à un placement de produit :
« la marque sponsorise le film » (Réunion 4), ce qui
ne correspond en rien à la réalité du financement de ce
film.
Certains remarquent l'absence choquante d'un ordinateur pour un
bureau de directeur ( ?) : « il n'y a pas d'ordinateur ! Et
de nos jours il y a toujours un ordinateur dans un bureau »
(Réunion 2). Mais pour d'autres, un véritable responsable
d'entreprise n'a pas besoin d'ordinateur étant sous-entendu qu'il a des
collaborateurs pour cela.. « tu as vu un ordinateur sur un bureau de
ministre, toi ? (...) » (Réunion 7)
Un spectateur, très sûr de lui, affirme
péremptoirement que : « c'est un studio de tournage, il y
a un poster noir pour faire nuit », ce qui n'est pas le cas..
Quant à la scène de la femme qui marche dans le
sable, elle a été tournée, selon les spectateurs, soit en
Bretagne, soit dans le désert : « ça a
été tourné dans le Sahara. Je connais bien le Sahara et
ça lui ressemble ». Le doute est parfois de mise :
« pour moi, c'est une plage mais pourquoi pas le désert
aussi » (Réunion 2).
Les relations entre le personnage principal et sa femme
décédée sont difficiles à définir.
Trois groupes de spectateurs se distinguent :
- l'un considère que le mari n'a pas l'air de regretter sa
femme, «il n'a pas l'air de la regretter », « il ne me
semble pas plus triste que ça » (Réunion 2),
« il n'est pas perturbé par la mort de sa femme. Ca ne devait
plus aller entre les deux » (Réunion 4)
- le deuxième groupe n'est pas du tout d'accord et
semble croire en la réalité des sentiments entre les deux
époux : « désolé, mais je ne suis pas
d'accord. Tout indique au contraire qu'il tenait à elle : le coup
de la fenêtre, le regard dans le vide, l'image de la femme qui
s'éloigne » (Réunion 7), « il semble
affecté quand même » (Réunion 4)
- le troisième groupe considère que le personnage
principal cache soit sa tristesse « il prend sur lui. Il ne veut pas
montrer ses émotions » (Réunion 2), soit son jeu
« En fait, on ne croit pas à l'accident. On s'attend à
quelque chose d'autre » (Réunion 7). L'un des spectateurs va
même jusqu'à penser que c'est une façon de créer un
certain suspense : «C'est sans doute l'idée du film :
laisser planer le doute » (Réunion 7).
L'époque pendant laquelle l'action du film se
déroule est également perçue différemment selon les
spectateurs.
Là encore, plusieurs groupes se dégagent :
- L'un d'eux situe l'action dans les années 80,
« Dans les années 80. Avec un mobilier comme ça...Et
pas d'ordinateur non plus... » (Réunion 7). Les spectateurs de
cet avis avancent le côté démodé des vêtements
et du bureau : « A cause des habits et du bureau qui fait
vieux » (Réunion 2), « ce téléphone.
Il est vieux. Avec des trucs pour noter les noms dessus »
(Réunion 7), « ce frigo avec cette marque très
visible...Il est assez ringard » (Réunion 7)
- Un autre groupe situe l'action dans les années
90 : « c'est plus vieux. Ca ne se passe pas en 2004. Quand
on voit les meubles, le téléphone ; non, c'est plus ancien
que ça... disons 10 ans à peu près »
(Réunion 4).
- Plus proche de la vérité, un troisième
groupe situe l'action de nos jours : « Ca se passe de nos
jours » (Réunion 4). Le plus surprenant est que les arguments
utilisés sont les mêmes quelle que soit la période pendant
l'action : les vêtements, le bureau, etc.. Selon les deux premiers
groupes, ils sont démodés, voire ringards. Pour le dernier, ils
sont conformes à ce qui existe actuellement : « vous
devriez sortir un peu et aller dans une entreprise, vous auriez des surprises.
C'est un bureau tout à fait correct au contraire (...) c'est un bureau
de directeur pas de milliardaire » (Réunion 7).
Le genre dans lequel les spectateurs situeraient le film ne fait
pas non plus l'unanimité. Drame, tragédie, policier, film
noir, sitcom, téléfilm allemand, court-métrage sont
cités. Certains avancent l'atmosphère d'un film policier,
« tout est dans l'atmosphère » (Réunion
7).
D'autres ne veulent pas se prononcer sous prétexte
qu' « il faudrait voir la suite pour dire si c'est un
policier » (Réunion 2).
Dans la bande son, la musique est, avec la voix off et
la sonnerie du téléphone, l'élément le plus
remarqué alors que pour le réalisateur, il ne s'agissait pas d'un
élément déterminant. Il souhaitait que la musique
extra-diégétique soit identique pour les cinq versions, qu'elle
permette toutes les interprétations, qu'enfin elle soit libre de droit.
Les remarques faites à son sujet sont plutôt favorables :
« Il y a une musique chinoise (...), c'est une musique lente
(...), on l'entend beaucoup quand on voit la plage » (Réunion
2). « il y a une musique qui va bien avec le film...Mais je ne sais
plus ce que c'est (...) une musique douce qui colle bien »
(Réunion 7).
Après avoir diffusé la première partie,
l'animateur demandait aux participants aux interviews de groupe d'imaginer une
fin à ce film. Les fins du film imaginées par les spectateurs
après le fondu au noir du plan 15 sont très diverses :
- certains voient la tristesse et la solitude du mari :
« il va pleurer longtemps je pense et rester dans son
bureau », « il aura du mal à s'y faire »
(Réunion 2). Deux d'entre eux vont jusqu'à penser au
suicide.
- D'autres imaginent une machination et une enquête
policière : « il a tué sa femme et on va le
savoir (...) il a peut-être fait appel à un tueur »
(Réunion 2)
- D'autres encore voient le mari se reprendre, « faire
la fête », « je le verrai se remettre »
(Réunion 2) ou, au contraire, se remonter le moral avec de
l'alcool : « il va continuer à boire »,
« il va finir sa bouteille » (Réunion 4),
« il va se saouler » (Réunion 7).
- Certains pensent qu'il fera appel à quelqu'un,
« je le verrai bien appeler quelqu'un » (Réunion 4)
et évoquent l'hypothèse qu'il appelle sa maîtresse,
« ou sa maîtresse va arriver (...) oui forcément un truc
comme cela » (Réunion 7).
A la suite de la projection de la deuxième partie du film,
la fin imaginée par le réalisateur suscite des avis et jugements
divergents :
- certains jugent cette fin conforme à ce qu'ils avaient
imaginé, «c'est un peu ce que j'avais dit »
(Réunion 2), «c'est dans la logique des
choses », « un drame est un drame »,
« c'est un peu mélo, mais bon, je le disais c'est une
tragédie » (Réunion 7 ». Trop conforme
même pour l'un d'eux : « c'est trop banal »
(Réunion 2).
- Toutefois, la majorité des spectateurs est surprise, ne
pensant pas que le mari était si affecté par le
décès de son épouse : « je ne le trouvais
pas très affecté par la mort de sa femme, alors cela
m'étonne », «il avait un coeur en tout cas, je ne le
pensais pas (...) Eh oui, je ne le voyais pas si insensible, tant
mieux » (Réunion 4).
- Quelques spectateurs sont déçus voire assez
critiques : « deux morts en 5 minutes, c'est un peu
morbide », « j'aurai préféré une autre
fin », « trop prise de tête »
(Réunion 7),
- D'autres attendent, malgré tout, un happy end,
«il va se réveiller, c'est un cauchemar », « tu
cherches toujours le happy end » (Réunion 7),
« il va se réveiller, il n'est pas mort, je pense. Juste
tombé dans les pommes », « il va retourner dans le
désert où il allait avec sa femme » (Réunion
4).
Un point important est à noter : parmi les
spectateurs qui classaient le film dans le genre des films policiers, certains
persistent dans leur position : « C'est quoi un whisky
empoisonné ? » (Réunion 4).
Le décalage entre la fin du film et le genre dans lequel
ils le situaient provoque donc : - soit une sorte de frustration,
« ça me semble pas logique », « moi, je
trouve ça surprenant », « on manque d'explications.
En fait, ce n'est pas assez long », « nous n'avons que la
fin et pas tous les pièces du puzzle » ; - soit, la
conviction chez certains que le film va se poursuivre ou que ce n'est qu'un
extrait : « en fait ce qui nous manque c'est le
début », « je ne suis pas d'accord, à mon
avis, il va y avoir une enquête de police »,
« Ah ! Pas mal, j'aimerais bien aussi »
(Réunion 2), « on pourrait imaginer un retour en
arrière sur plusieurs années» (Réunion 7).
Compte tenu de la variété des avis et des opinions
des spectateurs que nous venons de présenter, nous avons comparé
pour chacun des plans du film le sens que souhaitait générer le
réalisateur avec celui perçu par les spectateurs.
Cette comparaison plan par plan a ses limites. La principale
d'entre elles vient du fait qu'après le découpage du corpus de
l'interview de groupe en unités de contenu, la catégorisation
n'est pas faite sur la base de groupes d'éléments de même
sens, comme on doit le faire (Bardin, 1986), mais par plan. Autrement dit,
cette catégorisation par plan ne repose pas sur la signification mais
sur le découpage du film.
Nous avions imaginé des solutions pour éviter ce
type de catégorisation ex ante. La première était
de procéder à des arrêts sur image à la fin de
chaque plan ; nous avons expliqué plus haut les raisons pour
lesquelles nous nous refusions à le faire, notamment celle relative au
respect de la continuité. La deuxième était de demander,
lors de la discussion de groupe, aux participants de débattre sur chaque
plan, en leur imposant un guide d'entretien structuré par plan
(c'est-à-dire plutôt un questionnaire ouvert), voire en projetant
une image choisie de chaque plan. Nous avons renoncé à cette
solution méthodologique pour ne pas introduire davantage de
directivité dans nos interviews.
Nous avons donc, malgré les limites que nous venons
d'évoquer, opté pour une catégorisation plan par plan afin
de comparer les effets recherchés par le réalisateur, strictement
définis plan par plan en amont par le réalisateur-monteur
lui-même, et les effets perçus par les spectateurs
catégorisés en aval par l'analyste.
Analyse comparative du sens
Numéro du plan
|
Contenu
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Sens voulu par le réalisateur
|
Sens perçu par les spectateurs
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Plan 1
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M. Neuville, un cadre supérieur d'une entreprise, est
assis à son bureau. Il consulte un dossier. Son téléphone
sonne (à 10''44). Il dirige sa main vers le combiné.
|
Montrer le statut du personnage principal par ses
vêtements (costume, cravate), son stylo, son bureau de directeur :
ameublement fonctionnel, plante verte, moquette, etc.
Le montrer dans une situation initiale, normale de travail, en
train de lire et de traiter un dossier important
|
Les éléments identitaires du personnage principal
sont globalement bien compris par les spectateurs : statut, âge,
etc.
En revanche, l'interprétation temporelle des décors
et costumes est très variable.
|
Plan 2
|
Le téléphone sonne
|
Mettre en valeur, grâce au gros plan,
l'événement qui va bouleverser la situation initiale.
|
L'objectif est atteint mais certains spectateurs ont,
étrangement, jugé l'appareil vieillot ce qui les a, entre autres,
trompés sur le moment où se situe l'action. La question qui se
pose est donc de savoir si c'est l'appareil lui-même qui fait ancien ou
si c'est le gros plan qui accentue cet effet : « dans les
Derrick, il y a toujours un téléphone en gros
plan ».
|
Plan 3
|
M. Neuville, assis, décroche le combiné et dit
d'une façon interrogative « Oui ? ».
Une voix off féminine dit « M. Neuville, je vous
téléphone pour vous annoncer que votre femme est
morte ». Bruits de sirène d'ambulance, de clavier
d'ordinateur et d'imprimante
|
Mettre en opposition l'attitude froide et contrôlée
d'un responsable d'entreprise et son comportement après l'annonce de la
mort de sa femme. Le vouvoiement et les bruits hors champ
diégétiques sont des éléments d'identification de
la personne dont on entend la voix (off). Il s'agit d'une personne
d'un service hospitalier. Rien n'indique en revanche son statut :
médecin, infirmière ou simple secrétaire ? Mais le
bruit d'un clavier d'ordinateur semble indiquer qu'il s'agit d'une
secrétaire.
|
Certains spectateurs, mais pas la majorité, ont
parfaitement compris l'attitude froide du personnage, « Il y a des
gens qui réagissent comme ça dans la vie. Ca me semble assez
crédible ». Attitude que d'aucuns expliquent par ses grandes
responsabilités dans une entreprise.
En revanche, le vouvoiement et les bruits hors champ d'un
hôpital ont permis l'identification de la personne à la voix
off , sans toutefois lui donner un statut exact comme c'était
souhaité par le réalisateur. Le statut de secrétaire est
peu cité.
|
Plan 4
|
M. Neuville reste un moment silencieux
|
Insister sur l'effet de surprise sur le personnage. Montrer sa
réaction face au changement de situation
|
Cet effet est peu perçu par les spectateurs qui, pour la
plupart, trouvent que le personnage est assez insensible.
Certains pensent qu'il se doutait de la nouvelle :
« il me semble qu'il s'attendait à tout
ça. (...). Tout était réglé d'avance pour
lui. », « oui, c'est pour cela qu'il ne semble pas surpris
quand il reçoit le coup de fil. »
En revanche, un assez grand nombre de spectateurs sont
choqués de la brutalité avec laquelle l'hospitalier annonce la
nouvelle. « on ne donne pas une telle nouvelle par
téléphone ». Cette brutalité peut avoir
atténué le jeu de l'acteur.
|
Plan 5
|
M. Neuville écoute son interlocutrice poursuivre en voix
off : «Nous avons tout fait pour qu'elle ne souffre
pas »
|
Montrer les réactions du personnage principal, ses
mimiques (hochements de tête, moue, fermeture du visage, etc.) sans trop
en révéler grâce à sa moustache.
|
Le jeu de l'acteur a influencé peu de spectateurs,
« il n'est pas très expressif (...) »
|
Plan 6
|
M. Neuville répond : « Merci de m'avoir
prévenu ». Il se lève vers les stores de sa
fenêtre. Il commence à ouvrir ses stores
|
Montrer le personnage reprendre le contrôle de la situation
par un ton directorial.
Montrer qu'il a besoin de réfléchir en sortant de
son contexte de travail
|
Certains spectateurs ont bien compris la maîtrise dont
faisait preuve le personnage, ce qui leur permet de moins mal le juger :
« ou alors il prend sur lui. Il ne veut pas montrer ses
émotions », « il semble affecté quand même.
Mais il le cache ».
En revanche, le fait qu'il se lève pour aller à la
fenêtre est peu interprété, et cependant, de façons
différentes : plus souvent négativement et de manière
incorrecte (par rapport à l'objectif du réalisateur),
« il va voir à sa fenêtre comme si de rien
n'était », « Sa façon de marcher au
début. Tout était réglé d'avance », plus
rarement positivement et de manière correcte : « il tenait
à elle : le coup de la fenêtre, le regard dans le vide
... ».
|
Plan 7
|
M. Neuville ouvre complètement ses stores et regarde
à la fenêtre
|
Montrer que sa pensée quitte le bureau, pour
l'extérieur, la ville, la nuit.
Evoquer l'opposition lumière/obscurité,
vie/mort.
|
Un seul spectateur l'a vraiment comprise : «c'est pour
regarder le lointain, c'est une image du temps qu'on ne peut pas
rattraper ».
Les autres doutent ou l'interprètent comme de
l'indifférence.
|
Plan 8
|
Une femme en tailleur en jean bleu et portant un foulard de type
carré bleu marche en s'éloignant dans des dunes de sable
|
Evoquer le temps qui passe, le départ d'une femme seule,
l'éloignement progressif puis la disparition. Evoquer avec les images du
désert la désolation et la stérilité et/ou la
réflexion sur le passé.
|
L'interprétation est très variable allant de
l'incompréhension totale, au doute, à l'identification d'un
flashback ou, à l'opposé d'un flashforward,
à celle de la femme décédée ou d'une
maîtresse, en passant par la reconnaissance de ralentis qui n'existent
pas jusqu'à une interprétation correcte - mais très rare -
du plan : « c'est une évocation de la personne qui part.
Cela symbolise le passage de la vie à la mort »,
« C'est le souvenir de sa femme et encore une image de son
départ dans l'immensité ».
|
Plan 9
|
M. Neuville ferme son store et se retourne
|
Montrer la fin de quelque chose puis le retour au réel.
|
Peu de spectateurs le ressentent. Cependant quelques remarques
font croire que ce plan n'est pas passé totalement
inaperçu : « il a l'air d'être très investi
dans son travail. », «même si son boulot passait
avant sa femme ».
|
Plan 10
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Un cadre avec une photographie est posé sur un meuble de
bureau long et bas. La photographie est celle d'une femme de 35-40 ans,
brune
|
Evoquer la femme disparue par un objet matériel toujours
présent dans le lieu où vit le personnage principal lorsqu'il
travaille.
|
La photographie est nettement remarquée. En revanche, son
interprétation est variable quant aux critères d'âge, de
physique et de couleur de cheveux. Le statut de la personne en photo est
également variable selon les spectateurs. Il s'agit selon eux soit de la
femme du personnage principal, soit de sa maîtresse, soit de sa fille. Un
seul spectateur remarque que le lieu où se trouve la photo, son bureau,
rend difficile le fait qu'il puisse s'agir d'une photo de sa
maîtresse : « dans son bureau il ne pourrait pas mettre
une autre photo (que celle de sa femme) tout de même ».
|
Plan 11
|
M. Neuville s'avance en direction du meuble de bureau
|
Montrer l'attirance quasi-magnétique de cet objet pour le
personnage principal.
Montrer que la photo de cette femme lui redonne de
l'énergie.
Donner du rythme à ce plan par le panoramique
|
Apparemment sans effet particulier sur les
spectateurs
|
Plan 12
|
M. Neuville se baisse
|
Donner du rythme par un plan très court montrant une
action singulière dont on ne connaît pas encore la raison.
|
Apparemment sans effet particulier.
|
Plan 13
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Gros plan sur un minibar de bureau. La main de M. Neuville ouvre
le minibar et en sort un verre et une bouteille. Il ferme la porte du minibar.
Bruits de bouteille et de porte de minibar accompagnent les gestes
|
Mettre en valeur un objet associé à un besoin
urgent à assouvir : le besoin de boire
|
Quelques spectateurs le remarquent mais plutôt comme un
vice habituel : « il va continuer à boire »,
« il va finir sa bouteille », « il va se
saouler », « ça me semble un rituel quotidien chez
lui. Il doit aimer boire son verre chaque jour ».
L'association alcool-tristesse n'est donc pas perçue
|
Plan 14
|
M. Neuville ouvre sa bouteille
|
Montrer l'énergie dépensée par le
personnage et la précision de ses gestes
|
Dans la suite du plan précédent, certains voient
davantage les habitudes d'alcoolisme « mondain » mais ils
sont minoritaires.
|
Plan 15 (A)
|
Il se sert un verre à proximité du cadre de la
photographie
|
Montrer le lien entre ce besoin de boire de l'alcool et les
retombées de l'annonce de la mort de sa femme.
Evoquer la fin de la première partie par un fondu au
noir.
|
Apparemment sans effet particulier sur les spectateurs. Il ne
fait sans doute que confirmer ce qu'ils pensaient.
|
Plan 15 (B)
Reprise après la première partie de l'interview de
groupe
|
Il pose sa bouteille à proximité de la
photographie.
Bruits de bouteille.
|
Insister sur l'association alcool-deuil.
|
Pas d'effet apparent
|
Plan 16
|
Il boit son verre de la main gauche, à proximité de
la photographie d'une femme brune
|
Montrer avec pudeur, donc de dos, la tristesse supposée
du personnage principal.
|
Ce plan semble avoir touché certains spectateurs :
« je ne le trouvais pas très affecté par la mort de sa
femme, alors cela m'étonne », « il avait un coeur en
tout cas, je ne le pensais pas », « je ne le voyais pas si
insensible, tant mieux »
|
Plan 17
|
M. Neuville prend la photographie de sa main droite
|
Montrer son besoin de se souvenir, de toucher l'image de son
épouse.
|
Pas d'effet particulier, confirme le plan
précédent, pour ceux qui jugent correctement le personnage
principal
|
Plan 18
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Gros plan sur la photographie de la femme brune
|
Mettre en valeur la beauté et la jeunesse de la femme
photographiée
|
Pas d'effet particulier
|
Plan 19
|
M. Neuville est pris de soubresauts
|
Montrer furtivement les gestes du personnage principal à
la vue de la photo. Laisser planer un doute sur les raisons de ces soubresauts
: sanglots, etc.
|
Les effets sont contradictoires selon l'idée
générale que se fait du film chacun des spectateurs.
Les tenants du film policier continuent à croire en un
crime, par empoisonnement, «C'est quoi un whisky
empoisonné ? », ou en une simulation de
malaise : « il simule une crise cardiaque...c'est pas
possible ». Mais la plupart des spectateurs adhère à la
fin « romantique » : «au début, on
croyait qu'il était peu attaché à sa femme et plus
à son boulot. Alors qu'en fait il est très affecté par la
mort de sa femme... », « c'est presque romantique comme
fin », même si certains trouvent la fin banale.
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Plan 20
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M. Neuville pose sur le meuble son verre, puis le cadre
violemment. Bruits de verre et du cadre qui sont posés sur le meuble.
Puis, M. Neuville tombe en arrière
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Montrer la rapidité et la brutalité avec lesquelles
les événements vont suivre.
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Cette rapidité est notée par certains spectateurs,
mais plutôt comme un reproche : « c'est trop
rapide.
il y a trop de questions sans réponse ».
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Plan 21
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M. Neuville tombe sur la moquette
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Montrer la chute, comme vu du ciel, par un plan très
court.
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Pas d'effet particulier hormis la remarque de l'un des
spectateurs qui conteste la façon de tomber de l'acteur :
« il tombe en arrière. Or, il devrait tomber en
avant »
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Plan 22
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M. Neuville poursuit sa chute, son bras gauche s'étend au
sol.
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Insister sur la chute et l'état de malaise sans donner de
fin véritable à cette version : simple malaise, suicide,
empoisonnement ou crise cardiaque ?
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Ce plan et les précédents ont quelques incidences
mais leur signification varie selon les spectateurs.
Les tenants du film policier continuent à croire en un
crime, par empoisonnement, «C'est quoi un whisky
empoisonné ? », ou en une simulation de
malaise : « il simule une crise cardiaque...c'est pas
possible ». Certains spectateurs évoquent une crise
cardiaque : « c'est une crise cardiaque » ou un simple
malaise : « il n'est peut-être pas mort. C'est
peut-être juste un malaise », «il va se réveiller,
il n'est pas mort, je pense. Juste tombé dans les
pommes » .
L'un d'eux trouve excessif cette série de
décès : «deux morts en 5 minutes, c'est un peu
morbide ».
D'autres reviennent sur leur première impression :
« il l'aimait sinon il ne serait pas mort »,
« l'esprit y est, il meurt ».
Enfin, un certain nombre de spectateurs regrettent la faible
durée du film et surtout que la fin laisse des zones d'ombre comme le
souhaitait le réalisateur : « il y a trop de questions
sans réponse », « Il y a peut-être quelque
chose que l'on ne sait pas encore », «il y a des zones
d'ombre ». Compte tenu de ces divergences, l'objectif du
réalisateur de laisser le spectateur sans véritable
réponse finale semble atteint.
|
Il est à noter que les spectateurs ont peu montré
de connaissances « techniques ». Les rares commentaires
techniques sur le tournage et le montage sont pour la plupart erronés.
La série de fondus enchaînés du plan 8 est, quand elle est
remarquée, confondue avec des ralentis.
Le tournage ne fut pas, comme l'un des spectateurs le dit
péremptoirement («c'est un studio de tournage, il y a un poster
noir pour faire nuit ») effectué en studio mais dans un
véritable bureau, celui du directeur régional de la compagnie
d'assurances AGF, en fin de journée à Montpellier.
Trois spectateurs sur les 24 des trois groupes utilisent un
début de terminologie correcte : « c'est un flash
back : un retour dans le temps » (Réunion 7),
« il y a des retours en arrière, je crois »,
« oui un flash back avec la scène dans le
désert » (Réunion 2).
Leur culture étant principalement
télévisuelle (séries américaines et allemandes,
sitcoms, téléfilms, Columbo, Derrick, etc.), certains spectateurs
associent le Gros Plan aux productions télévisuelles plutôt
qu'aux films cinématographiques : « dans les Derrick, il y a
toujours un téléphone en gros plan ».
En outre, une remarque faite par certains interviewés est
intéressante à souligner, celle concernant le format de
l'image : « ça fait série télé,
l'image ». Les séries et téléfilms
américains et allemands ont, en effet, rarement des bandes noires en
haut et en bas de l'écran du téléviseur ; ce qui
n'est pas le cas pour ceux réalisés en France, leur
réalisateur et producteur ayant adopté un format « pour
faire cinéma » 398(*): « C'est ce qu'on appelle le format
cinéma du DVD399(*). Notons, cependant, que l'ajout de bandes noires est
beaucoup moins gênant avec un écran 16:9. »400(*). Or, le film que nous avons
diffusé était au format TV sans bandes noires, d'où
l'association possible faite par certains spectateurs :
Film sans bandes Téléfilm ou série
plutôt étranger.
Il n'en reste pas moins vrai que certains spectateurs ont
perçu dans le récit et dans les techniques utilisées, sans
qu'ils les définissent précisément, un moyen de
créer une ambiance, voire un suspense : « (trop prise de
tête) : c'est le genre qui veut cela », « oui mais
tout est bizarre : même le cadrage, c'est étrangement
filmé », « c'est fait exprès pour te
déstabiliser, je pense », « c'est réussi,
crois moi ».
II- L'analyse des interviews suite à la diffusion
de la version 2 : le mari commanditaire
Trois réunions furent organisées : les
réunions 10, 13 et 15. Comme pour la version précédente,
dans l'analyse qui suit, nous indiquerons l'appartenance des citations
à telle ou telle réunion.
Ce qui frappe les personnes qui ont visionné cette
version, c'est avant tout la réaction étrange du personnage
principal. Certains lui reprochent le manque de réaction
« l'absence totale de réaction du personnage après
l'annonce de la mort de sa femme...c'est curieux » (Réunion
10), « Il ne me semble pas réagir comme quelqu'un de normal
quand il apprend la mort de sa femme » (Réunion 15),
« le personnage n'a pas l'air touché par la mort de sa
femme » (Réunion 13). D'autres le soupçonnent
d'être pour quelque chose dans la mort de son
épouse : « on dirait qu'il a tué sa femme ou
qu'il a ordonné qu'on la tue » (Réunion 13), ou tout au
moins qu'il s'y attendait : « On dirait qu'il s'y
attendait » (Réunion 15). Plus indulgents, certains
spectateurs expliquent ce comportement a priori indifférent par
les préoccupations professionnelles du personnage principal :
« à moins qu'il soit très préoccupé par
son boulot » (Réunion 15) ou par une froideur naturelle :
« je ne suis pas certaine qu'il s'en foute moi »
(Réunion 13). Dans le groupe 10, fut également remarqué
par un de ses membres comme élément prégnant
« une musique asiatique qui fait penser aux années
70 » et par un autre membre de ce groupe la ressemblance avec
« un film américain ».
Le personnage principal est perçu comme « un
homme d'affaires », « ou un chef d'entreprise »,
quelqu'un « de bien placé, au minimum un cadre. Il en a tous
les attributs vestimentaires : « il porte un costume »
(Réunion 13), « il est en costume cravate »
(Réunion 15).
Des indices spatiaux - « Il a son bureau. Il a la
possibilité de s'isoler » (Réunion 13) - et
comportementaux confirment ce statut : « Il travaille tard dans
son bureau » (Réunion 15).
Son statut familial est également bien
identifié : « il était marié, puisqu'on
nous dit que sa femme est morte » (Réunion 15). Son attitude
est globalement jugée assez sévèrement :
« : il n'a pas l'air très sensible (...) Il doit avoir un
coeur de pierre » (Réunion 13). Sa froideur apparente et/ou
ses vêtements et sa coiffure font dire à l'un des
participants : « Le look du mec fait allemand »
(Réunion 13).
Il est « dévoué corps et âme
à son entreprise » (Réunion 15), ce qui
« n'excuse pas son attitude » vis-à-vis de son
épouse. Les plans, lorsqu'il regarde par la fenêtre de son bureau,
sont interprétés différemment. Selon certains,
« il pense à sa femme. Il pense à la mort de sa
femme » (Réunion 13), pour un spectateur plus critique
à son égard, « il semble être sur ses
gardes. Il regarde aux rideaux pour voir si on ne l'observe pas.
Il se sent espionné » (Réunion 13).
Dans les trois groupes, le bureau est le principal lieu du
déroulement de l'action. L'extérieur (la plage ou le
désert) n'est cité que dans deux groupes sur trois.
Quel que soit le groupe, le bureau où se déroule
l'action principale fut correctement observé : « il y a
un bureau normal avec un téléphone, une plante verte »,
« des rideaux fermés » ou « des
stores », « une photo de sa femme »,
« un frigo » ou « un mini bar
Philips », etc. En revanche, les spectateurs jugent
différemment les décors. Pour certains, c'est un « un
bureau normal...Très banal » (Réunion 10),
« classique... rien d'exceptionnel. Il est juste bien
rangé » (Réunion 13). Pour d'autres, c'est un bureau
qui révèle le statut hiérarchique du personnage dans son
entreprise : « Un grand bureau même.. »
(Réunion 15).
Plus singulière, est la remarque de plusieurs spectateurs
qui ne croient pas en la réalité du lieu :
« ça fait trop bien rangé pour être vrai. Je
pense que c'est tourné en studio » (Réunion 15) ;
« le bureau fait un peu trop décor. Rien me semble
réel...le désert, etc. C'est étrange comme
impression » (Réunion 10). Les décors sont même
jugés angoissants : « c'est vrai, ça fait pas un
endroit utilisé tous les jours. C'est très froid. Un peu
angoissant .. » (Réunion 10).
Autre étrangeté constatée par un spectateur
: l'absence d'ordinateur, « j'ai remarqué un minitel et pas
d'ordinateur, cela me semble bizarre tout de même ».
Quelques spectateurs se basent sur la présence d'un objet
dans le bureau pour identifier l'espace et le temps de l'action :
« j'ai remarqué un minitel (...). Donc cela se passe en
France », «y a pas de minitel ailleurs qu'en
France.... » (Réunion 15). Même esprit logique en
matière de datation de l'action : «il n'y aurait pas ce
minitel, j'aurais dit de nos jours mais là je ne sais plus.. une dizaine
d'années... ».
En ce qui concerne la scène dans les dunes de sable, les
avis sont partagés. Certains reconnaissent un désert -
« il y a aussi ce passage dans le désert »
(Réunion 13) - d'autres pensent plutôt qu'il s'agit d'une plage ou
d'un bord de mer : «ce peut-être en bord de mer »,
« il y a aussi la plage avec le sable, mais je ne crois pas que ce
soit un désert ». L'un des spectateurs fait remarquer avec
justesse que le cadrage ne permet pas de conclure entre l'une ou l'autre des
possibilités évoquées : «c'est une grande
étendue de sable et comme on ne voit pas d'eau, on peut tout
imaginer... » (Réunion 15). Le doute demeure donc :
« C'est un désert ou une plage ? », « oui
le Maroc ou l'Espiguette ? », « l'Ile de
Ré... ? » (Réunion 10)
La personne qui téléphone pour informer le
personnage principal et dont on n'entend que la voix off est
identifiée très diversement selon les spectateurs.
Certains imaginent simplement « une personne qui
appelle des urgences » (Réunion 10), ou « un
docteur » (Réunion 13), « un médecin. Il y
avait du bruit derrière aussi. Un bruit de foule, comme dans le hall
d'entrée d'un hôpital » (Réunion 15).
Mais cette association hall d'entrée d'hôpital
médecin est contredite par certains spectateurs qui pensent
reconnaître le bruit d'une gare - « je pense que c'est une
gare » (Réunions 10 et 15) - ou d'un aéroport :
« je dirais plutôt un aéroport. Il y avait même
une annonce je crois » (Réunion 15). « Il y a une
annonce derrière, d'un aéroport » (Réunion
10).
De là, certains spectateurs sont tentés par une
autre association Gare ou Aérogare Tueur.
Dans le groupe N°10, à l'intervention de
Corinne : « Moi, je pense que c'est une gare », Marie
enchaîne « Ah bon ? Il aurait fait flinguer sa
femme !? ». Plus tard au cours de l'interview, cette association
se précise : « un jetkiller à la
Léon401(*) » (Réunion 10).
D'autant plus que cette association est confortée par le
timbre de la voix au téléphone, « Il a la voix d'un
tueur » (Réunion 10) et surtout par un accent étranger
prononcé : « c'est un polonais ou un russe »,
« non ! un corse ou un italien », «le gars avait
un accent bizarre, c'est pas net » (Réunion 10), . La
voix off évoque, en effet, la mafia : « un
accent italien, on aurait presque dit un mafieux » (Réunion
15) ; « L'accent est italien (...) un peu mafieux »
(Réunion 13), « - l'accent faisait italien ...- oui,
mafioso » (Réunion 10). Cet accent est, pour l'un des
spectateurs, pris dans le but de camoufler sa véritable voix :
« elle prend un accent plutôt...comme si elle voulait camoufler
sa voix... ».
L'un des spectateurs a également remarqué une
musique extradiégétique, en plus de la musique asiatique, qu'il a
reconnu comme étant celle du film Le Parrain :
« il n'y a pas la musique du Parrain
dedans ? » (Réunion 13). Autre indice pour
évoquer le crime prémédité commis par un tueur
à gage, les paroles prononcées en voix off : « la
personne au téléphone ne se nomme pas, on dirait que c'est un
contrat » (Réunion 10), « Il dit « qu'il a
tout fait pour qu'elle ne souffre pas » donc c'est soit un
médecin soit un tueur. Mais vu son accent, je miserais plutôt sur
le tueur. ».
Toutefois, malgré ces différents indices
convergents, certains spectateurs continuent à croire en une mort
« naturelle » : « Je ne pense pas qu'il a
tué sa femme » (Réunion 15), « la personne
dit « on a tout fait pour qu'elle ne souffre pas » donc oui
ça peut venir d'un hôpital » (Réunion 13),
« il dit « on a tout fait pour qu'elle ne souffre
pas » ...Un tueur ne dit pas ça.. » (Réunion
10).
Trois phénomènes intéressants sont à
noter :
- l'un des spectateurs qui ne croit pas en un crime a entendu
quelque chose qui n'a pas été dit : « Moi j'ai
entendu : « votre femme a été
tuée », non ? » ;
- un autre se révolte contre l'association qui est faite
Accent italien Mafieux en s'élevant contre ce
stéréotype : « Ce n'est pas parce que tu as
un accent italien que tu es forcément un tueur. Bonjour, les
stéréotypes ! » (Réunion 15) ; dans le
même esprit, un participant imagine que la femme
« était hospitalisée en Italie, l'accent faisait
italien »
- un autre est choqué par l'interprétation faite
par un autre membre de son groupe : à la remarque
« il dit « on a tout fait pour qu'elle ne souffre
pas » ...Un tueur ne dit pas ça.. », un autre
participant rétorque « si, les pros ! »,
remarque qui provoque une réprobation amusée :
« Myriam, tu n'as pas honte ! » (Réunion 10).
Deux autres personnages sont remarqués dans ce film :
une femme dans les dunes de sable et un femme en photographie.
La femme qui marche dans le sable est habillée en sombre,
« en noir » ou « en bleu marine ». Elle
porte un foulard, « un fichu sur la tête ». Sa
démarche lui vaut d'être qualifiée de plutôt jeune,
« elle présente bien.. Elle marche vite en tout cas, c'est pas
une personne âgée » (Réunion 10). « La
femme qui marche fait mexicaine » (Réunion 13).
La femme en photographie « est blonde, je
crois », « l'air coquine aussi » (Réunion
10). L'un des spectateurs est plus affirmatif : « elle est blonde, 40
à 45 ans. Elle est assise à un bureau. Elle tient un stylo. C'est
peut-être une journaliste » (Réunion 13). En revanche,
sa relation avec le personnage principal est moins certaine :
« c'est peut-être sa maîtresse ? »,
« sa femme tout simplement... ».
La question que certains spectateurs se sont posés est de
savoir s'il s'agissait de la même femme. Or, les avis sont
partagés et peu assurés : « Je n'ai pas
l'impression que la femme que l'on voyait sur les dunes soit la même que
la photo ...ce sont deux personnes différentes »
(Réunion 13). L'un des spectateurs affirme que la femme dans les dunes
(de dos) est plus jeune que celle sur la photographie : « sur la
photo, elle est plus vieille que la femme dans le sable. Non, je pense
plutôt que c'est deux personnes différentes ». Ce qui
pousse un autre participant à imaginer que la femme sur la photographie
est la mère du personnage principal : « peut-être
sa mère alors » (Réunion 15). Paradoxalement, d'autres
spectateurs pensent au contraire que la femme que l'on voit dans le cadre sur
son bureau « peut être sa fille (parce qu') elle
paraît plus jeune » (Réunion 10).
Il est intéressant de noter l'apparition d'un processus de
rationalisation chez les spectateurs à chaque fois qu'il y a un doute
dans l'interprétation des images, processus du type : si ce n'est
pas cela, c'est sans doute cela...
Nous avons relevé deux autres exemples de cette
volonté de rationaliser les faits :
- N'acceptant pas l'association Accent italien Mafieux,
donnée par un des membres de son groupe, « le gars avait un
accent bizarre, c'est pas net », un participant imagine une
explication : « ou alors elle était hospitalisée
en Italie, l'accent faisait italien » (Réunion 10).
- Deux spectateurs avancent un argument fallacieux étant
donné que l'une des deux femmes portait un foulard cachant ses
cheveux : « oui, c'est vrai que sur la photo, elle fait blonde
et sur la dune, il me semblait qu'elle était brune »,
« sur la photo elle est blonde, alors que sur le sable, elle me
semble brune » (Réunion 15). Erreur de perception visuelle ou
volonté de manipuler les autres, cet argument convainc peu :
«cela ne veut rien dire, elle a pu se faire faire une couleur entre
temps.. », « mouais, non je pense que c'est la
même quand même.. » et laisse planer un doute :
« y a un doute, tout de même ». Cette volonté de
tout rationaliser conduit parfois à des énormités qui font
réagir certains : « Arrêtez de dire n'importe quoi.
C'est sa femme sur la photo ! » (Réunion 15).
L'un des spectateurs voit dans cette séquence dans les
dunes une sorte d'allégorie : « la femme sur la dune, ce
n'est peut-être pas sa femme non plus... Ca représente
peut-être une femme en général... »
L'interprétation des plans de la femme marchant dans les
dunes est également variée : - pour certains, il s'agit d'un
souvenir du passé : « C'est quelque chose dans le
passé. C'est un souvenir de sa femme », « oui, c'est
un flashback » (Réunion 10) ; pour d'autres,
plutôt la représentation du départ :
« ça représente la femme qui part...Il imagine sa femme
partir vers un monde meilleur peut-être » (Réunion 15).
Certains hésitent entre le départ et le souvenir :
« c'est une image du départ, je pense ou alors un souvenir qui
lui revient ». L'un des spectateurs y voit même une sorte
d'allégorie plus générale : « la femme sur
la dune, ce n'est peut-être pas sa femme non plus... Ca représente
peut-être une femme en général... »
(Réunion 13). L'un d'eux ne comprend pas ou ne veut pas comprendre
l'image : « Je vois pas trop ce qu'elle fout là
d'ailleurs, mais bon.. » (Réunion 15)
Selon l'interprétation des différents indices
(l'accent, la photographie, la séquence dans les dunes, etc.), les
spectateurs en déduisent la qualité des relations entre le
personnage principal et sa femme qui vient de décéder.
Certains pensent que le personnage principal a tué ou
commandité l'assassinat de sa femme : « il l'a fait
tuer », « il s'est débarrassé de sa femme
pour toucher l'héritage » (Réunion 15), « on
dirait qu'il a tué sa femme ou qu'il a ordonné qu'on la
tue » (Réunion 13), « le désert, ça
symbolise sa longue traversée du désert qu'il a eue pendant
plusieurs années avant de flinguer sa femme », « le
mec au téléphone, c'est peut être un tueur alors
... » (Réunion 10).
D'autres pensent qu'il est indifférent, qu'il ne pense
qu'à lui et à son travail, «je dirais plutôt qu'il
s'en fout un peu qu'elle soit morte. Ca ne lui pose pas de
problèmes » (Réunion 13), « à
moins qu'il soit très préoccupé par son boulot, mais bon,
c'est vrai c'est une attitude bizarre » (Réunion 15).
D'autres encore pensent plutôt à une longue maladie
pénible dont la fin était prévisible et presque
espérée compte tenu des souffrances endurées :
«on a l'impression qu'il s'attendait à ce coup de fil. Mais, je
pense que sa femme était très malade et que la fin était
proche. », «Il imagine sa femme partir vers un monde meilleur
peut-être » (Réunion 15), « elle était
peut-être malade depuis longtemps...Un cancer ou une maladie
grave » (Réunion 10). Enfin, l'un d'eux est dubitatif
jusqu'à la fin et ne tranche pas entre l'assassinat et la longue
maladie : « c'est difficile à dire, en fait. Les deux
sont possibles. J'aimerais en savoir plus pour juger »
(Réunion 15).
Toutefois, dans un des trois groupes, le groupe n° 13, un
véritable débat contradictoire s'engage sur la qualité des
relations entre le personnage principal et son épouse :
« platonique », « non, il s'en fout
complètement », «le problème, c'est que l'on ne
sait pas qui est la femme sur la photo. Si sa femme, c'est la personne qui est
sur la dune et que la photo c'est une autre femme avec qui il a refait sa vie,
les relations ne devaient pas être bonnes », « oui,
c'est possible. La femme sur la photo, c'est peut-être une autre
femme », « ce ne serait que des indices mais cela ne
prouverait rien », « oui mais si c'est la même, dans
ce cas, il tenait à elle... » (Réunion 13) ;
débat qui s'achève sur un consensus : celui qu'il persiste
une incertitude quant à la qualité des relations entretenues
entre le personnage principal et sa femme...
Mêmes hésitations concernant la période au
cours de laquelle les spectateurs situent l'action.
Plusieurs groupes de spectateurs se dégagent :
- pour certains, l'action se déroule dans les
années 80, « fin des années 80 », il y a
« 20-25 ans »,
- pour d'autres, l'action se déroule dans les
années 90, « « il y a 10-15 ans »,
- pour d'autres encore, cela se passe de nos jours,
« début 2000 »,
- enfin, un petit nombre hésite.
La datation est généralement faite d'une
façon assez péremptoire et repose sur des critères
vestimentaires, de mode et/ou décoratifs.
Les spectateurs qui datent l'action aux années 80
citent : « La moustache, la coiffure, les habits font larges
aussi. Ce bar fait 80 », « la photo (sur le bar)
aussi » (Réunion 10)
Ceux qui situent l'action dans les années 90 citent
parfois les mêmes indices : « dans les années
90. Ca fait un peu kitch », « le téléphone
fait 90 », « le frigo Philips fait vieux. Il n'y a pas
d'ordinateur non plus », « le design fait assez ancien, je
trouve. Tout le bureau fait un peu vieillot », « Le
téléphone est trop gros. Il n'a pas de portable »
(Réunion 13), « pas d'ordi, pas de palm, ni d'écran
plat...Tout ça fait un peu ringard...Je dirai : il y a 10-15
ans ; et cette moustache : quelle horreur ! »
(Réunion 15).
Les participants qui considèrent que l'action se
déroule de nos jours s'appuient sur les mêmes indices mais
appréciés différemment : « Il a le droit d'avoir
une moustache ! Non, en définitive, moi, je trouve que ça
fait récent. », « sa cravate est à la mode.
Ses vêtements aussi, non, c'est récent... »
Les hésitants tentent de rationaliser leur
tergiversation : « justement il n'y aurait pas ce minitel,
j'aurais dit de nos jours mais là je ne sais plus »
(Réunion 15).
Certains participants vont plus loin encore en situant l'action
« en Automne. Il a des habits qui se portent à cette
saison » (Réunion 13) et la nuit, « il fait nuit
dehors » (Réunion 10) pour la scène qui se
déroule dans le bureau tandis que la scène dans les dunes de
sable se passe le jour : « la séquence de la femme dans
le désert. C'est le jour. » (Réunion 10).
Il est intéressant de voir si des conventions d'un genre
cinématographique ont été perçues par les
spectateurs.
Il apparaît que les spectateurs classent le film dans
plusieurs genres différents :
- le genre policier vient en tête : « un
policier, style Navarro », « Ca fait série
policière allemande Le Renard » (Réunion 13
« je pense plutôt à un policier »,
« un téléfilm policier style Columbo ou
Derrick » (Réunion 15). L'un des spectateurs
considère qu'il s'agit plutôt d'un thriller :
« A mon avis ce n'est pas un policier, un thriller...vous vous
plantez. » (Réunion 10),
- le genre dramatique et la comédie dramatique sont
également cités : « un drame ou une comédie
dramatique ».
Toutefois, il est intéressant de noter que certains
spectateurs donnent une nationalité à la production :
« allemande », « C'est vrai que tout fait
très strict alors pourquoi pas en Allemagne... »,
« ça fait film allemand » ou
«américaine » : « ça fait
très série américaine» (Réunion 10).
D'autres classes d'appartenance sont citées :
« psychologique, style Z » (Réunion 10),
« un film de série B comme Dallas »
(Réunion 13), « une saga de l'été avec plein de
rebondissements » (Réunion 15), « un court
métrage comme on en voit parfois, dont la fin est
trouble... », voire un film plus
« intellectuel », plus Nouvelle Vague,
« ça me rappelle des films de Godard, un peu
intello.. » (Réunion 15).
Il est à noter que les références sont plus
souvent télévisuelles (Navarro, Columbo, Derrick,
Dallas, « un truc sur M6 » (Réunion 10) que
cinématographiques (Z402(*)de Costa-Gavras, Godard, etc.). Ce
phénomène peut s'expliquer, en partie, par le système de
diffusion, dans une salle de travaux dirigés, sur un poste de
télévision et en format TV sans bande noire (voir les
détails des différents formats, dans l'analyse de la version 1).
Ce qui fait dire à l'une des participantes : « les
couleurs font vives et un peu ternes en même temps. Ca fait
télé » à qui une autre participante
rétorque : « attention, on le voit sur une
télé aussi » (Réunion 13).
Est-ce le thème, l'intrigue manichéenne ou le
montage du film qui rappela le film Z de Costa-Gavras à l'un des
spectateurs, nous ne pouvons pas le dire avec certitude ? En revanche, ce
qui est certain c'est que le spectateur qui a fait cette comparaison
était sans aucun doute celui qui avait la plus grande culture
cinématographique. Avant même de connaître la fin du film,
il déclarait : « il remue son shaker comme Charlie Chaplin
dans un film où il est de dos et on a l'impression qu'il pleure parce
que sa femme a eu un accident et en fait il se fait un cocktail. Il y a une
histoire de doubles dans ce film...Ca me fait penser à ça ce
film... ». Or, le réalisateur du film projeté s'est, en
effet, inspiré d'un court-métrage burlesque de Charlot
pour réaliser cette version 2.
Le montage du film n'a pas réellement suscité de
commentaires particuliers.
En plus du flashback ainsi nommé par seulement un
spectateur (sur les 24 qui ont visionné la scène dans les dunes
de sable), la terminologie cinématographique en matière de
montage a été peu utilisée :
- des fondus : « il y a des fondus lorsque l'on
voit la femme qui marche. C'est assez régulier »
(Réunion 10)
- des gros plans : «il y a un gros plan sur le
téléphone et le frigo aussi » (Réunion 10).
Sans doute, en partie, par manque de vocabulaire
cinématographique, certains participants ont
préféré parler des effets et de leur ressenti :
- au lieu de parler de gros plans, ils disent : « il y
a deux moments où on insiste beaucoup sur le téléphone et
le frigo. L'image reste longtemps dessus »,
- plutôt que de parler d'une suite de fondus
enchaînés, il s'agit d'« un effet lorsque l'on voit la
femme dans le désert », « oui, des images
superposées » (Réunion 15) ou d'une manière plus
imagée, l'un des participants compare les fondus successifs aux
paupières qui se baissent : « Ce sont peut-être ses
fermetures de paupières lorsqu'il regarde à la
fenêtre » (Réunion 10).
Ces remarques, somme toute pertinentes, furent parfois suivies de
réactions sarcastiques et/ou critiques : « T'as
fumé toi ! » (Réunion 10), « oui
ça fait un peu cliché. Il attend son coup de fil. Il boit son
Scotch. C'est un peu comme dans les films américains »
(Réunion 13).
La bande son n'a pas non plus suscité de nombreux
commentaires autres que ceux déjà cités plus haut :
voix off avec un accent étranger, bruits d'aéroport ou de gare,
etc. Néanmoins, la bande son a provoqué des impressions
partagées par de nombreux participants, la principale étant le
sentiment d'étrangeté : « les sons étaient
étranges » (Réunion 13). Ce caractère
étrange est parfois associé aux effets relaxants : « la
musique. Elle est à la fois étrange et relaxante »
(Réunion 15), parfois au suspense : « la musique est
asiatique...plutôt suspense » (Réunion 13). Le genre de
la musique de fond, autre que celle du Parrain diffusée pendant
un court laps de temps, est bien identifié : « la musique
est asiatique », « on dirait de la musique
chinoise ». Certains spectateurs font remarquer qu'elle est
présente tout au long du film : « c'est toujours la
même musique pendant tout le film » (Réunion 15).
Elle est plutôt appréciée. Seule une
participante la trouve à la fois énervante et en décalage
avec la fiction et principalement le lieu de son déroulement :
« La musique m'énerve. Ca va pas avec le film. Ca se passerait
en Asie, d'accord, mais là... ».
Avec les mêmes éléments filmiques en
tête, les spectateurs envisagent selon l'interprétation qu'ils en
ont faite différentes fins à cette version 2.
Certains imaginent un suicide : « je vois bien un
suicide. C'est bien dans le rythme du film » (Réunion 13),
«il se sert un verre, se met de l'arsenic et retrouve sa
femme », «Son manque d'enthousiasme m'étonne un peu.
Alors il va peut-être se suicider. Il semble blasé.. »
(Réunion 10).
D'autres voient le personnage principal se noyer dans
l'alcool : «qu'il se saoule en vidant son minibar... »
(Réunion 15)
D'autres pensent qu'il va reprendre sa vie routinière et
bien réglée, éventuellement après un moment de
tristesse, « il continue sa petite vie dans son bureau. Il finit son
verre et il se remet au boulot. Un truc comme ça... »
(Réunion 13), «je pense au contraire qu'il va s'effondrer, il
commence d'ailleurs à pleurer...Puis, il se reprendra pour
prévenir ses enfants.. », « oui, Il va
préparer les papiers et l'enterrement » (Réunion
15).
D'autres encore, majoritairement des participants de sexe
masculin, imaginent une vie extraconjugale qui apparaît au grand
jour : « il va retrouver son amante. Il est libre
maintenant », « je vois bien sa maîtresse arriver dans le
bureau. C'est peut-être la femme à la photo
d'ailleurs... » (Réunion 10), « je le vois bien se
barrer avec sa maîtresse. Il fait ses valises et il s'en
va... » (Réunion 13)
Quelques uns des participants, dans une perspective de film
policier, croient en un meurtre prémédité et
poursuivent l'histoire après se l'être appropriée : -
soit par une suite d'actions : « il va faire ses valises et
quitter le pays ...oui, je vois bien cela aussi et le tueur le poursuivre pour
récupérer son argent ou le faire chanter »
(Réunion 15), - soit par une séquence émotion et
remords : « je le sens mitigé. Finalement, on se dit
qu'il regrette ce qu'il a fait, et s'il avait vraiment envie de la
tuer... » (Réunion 10),- soit par un mélange de remords
et de vengeance : « il va peut-être regretter ce qu'il a fait
en se souvenant des bons moments avec sa femme. Il va retrouver le tueur et se
venger... » (Réunion 10).
Toutefois, ce positionnement policier du film est contesté
par de nombreux participants qui s'appuient sur le sens qu'ils ont
perçu de certaines scènes : « s'il voulait la tuer
alors pourquoi pleure-t-il à la fin ? » ,
« bonne question ! » (Réunion 10),
« vous regardez trop les séries américaines....Je pense
au contraire qu'il va s'effondrer, il commence d'ailleurs à
pleurer... » (Réunion 15).
A la suite de la projection de la deuxième partie du film,
donc avec la fin non visionnée lors de la première diffusion, les
avis sur la séquence de fin sont variés.
Toutefois, la satisfaction du personnage principal saute aux
yeux de la plupart des participants : « finalement, il a
l'air content » (Réunion 10), « il a l'air bien
content. Il trinque comme si il fêtait une victoire »,
« je dirai même qu'il a enfin une émotion ! Il a un
sourire en coin », « il est plus dynamique
aussi » (Réunion 13).
Viennent ensuite des tentatives, souvent sans fondement, pour
expliquer ce retournement assez inattendu : «c'est peut-être sa
maîtresse sur la photo ...alors ! », « il
trinque avec sa maîtresse et maintenant une nouvelle vie commence pour
eux... » (Réunion 10).
Quelques spectateurs se félicitent d'avoir cru en la
noirceur des sentiments du personnage principal : « ouaih !
C'est clair ! Il l'a fait descendre.. », «oui pas de doute,
cette fois » (Réunion 15). D'autres disent avoir
anticipé cette fin en raison du climat, du style, de la structure et du
montage du film : « un Derrick », «
ça reste toujours dans la logique des films des années 80. Avec
cette suite de plans.. » (Réunion 13). Ce que certains
contestent : « Si le tueur c'est lui, je ne vois pas trop un policier
sauf si c'est un Columbo où on connaît le tueur
dès le début ». (Réunion 13).
En dépit des évidences, quelques spectateurs
restent convaincus ou plutôt veulent se convaincre qu'il ne s'agit pas
d'un assassinat, quitte à inventer des détails, des plans, des
circonstances atténuantes : « il y a une pub derrière
le bureau non ? Il me semble qu'il a mis un cachet dans son
verre... », « il trinque peut-être parce qu'il se
dit : j'en ai plus pour longtemps moi aussi je vais te rejoindre et puis
il se suicide » (Réunion 13).
Contre cette interprétation morale mais fausse, certains
réagissent assez vivement : « non pas du tout !
C'est plutôt je t'ai bien eu ! Et il fête sa
victoire », « oui il est ironique, cynique
aussi », (Réunion 13), « je crois plutôt que
c'est sa femme sur la photo et il trinque en pensant : Ah Ah ! je
l'ai bien eue... » (Réunion 10).
D'autres vont même jusqu'à justifier ce
crime par le comportement de la femme assassinée :
« surtout qu'elle avait vraiment l'air d'une garce sur la
photo... » (Réunion 10), « c'était
évident. Vous n'avez pas remarqué le sourire bizarre de sa femme
sur la photo. Elle tient une balle de tennis et le nargue. Il a
pété un plomb à force d'être traité comme
cela.. », « ça ressemble à une vengeance.
Elle a dû lui faire quelque chose de terrible pour qu'il réagisse
comme ça... » (Réunion 15), « oui, on dirait
une vengeance. On dirait qu'il lui en voulait. A sa manière de trinquer.
Ca fait un peu, c'est moi qui ai eu le dernier mot » (Réunion
13).
Il n'en demeure pas moins vrai que la plupart des spectateurs
admettent être surpris par cette fin : « je suis assez
étonnée. Je ne pensais pas qu'il avait fait
ça... », « ça alors, je suis plus
qu'étonnée. On avait l'impression qu'il pleurait, de
dos... » (Réunion 15).
Ce trucage classique fit illusion sauf auprès du
cinéphile qui avait reconnu le thème d'un court métrage
burlesque de Chaplin : « qu'est-ce que je vous avais dit :
du Chaplin ! ».
L'idée première qui ressort dans les propos de la
plupart des autres participants est qu'ils sont tombés dans le
piège du réalisateur et/ou de l'acteur : « il
s'est bien foutu de nous en fait » (Réunion 15),
« il cachait bien son jeu, il faisait presque
pitié » (Réunion 13), « On nous a bien
trompé, c'est bien joué, on serait sur nos gardes si cela
continuait.. », « Oui, on nous a bien manoeuvrés au
départ pour que l'on croit aux sentiments de ce type alors qu'il cachait
bien son jeu » (Réunion 15). Certains spectateurs
apprécient cette manipulation : « c'est un
court-métrage assez prenant. On a l'impression d'être
baladé : curieux ! » (Réunion 10). D'autres
semblent un peu désorientés : « la fin est
tellement surprenante que je ne sais pas en fait si c'est un film
dramatique ou drôle », « oui, c'est vrai, on est
partagé. C'était le but sûrement »
(Réunion 15).
Néanmoins, certains spectateurs donnent l'impression de
refuser cette fin que leur impose le réalisateur, de vouloir reprendre
la main : « c'est plutôt un policier. Donc un flic va
apparaître à l'écran », « il doit y
avoir une affaire d'héritage. Le type au téléphone,
ça doit être un tueur à gages », « il
va venir chercher son fric et l'autre va le tuer pour ne pas laisser de
trace... » ; « Il aurait pu faire ça avec en
plus sa maîtresse qui entrait dans le bureau » (Réunion
13)
Cette fin inattendue est appréciée très
différemment. Elle est jugée « ignoble » par
certains, « sympa » par d'autres (Réunion10) et,
à travers elle, est jugé le personnage principal :
« c'est un sacré dégueulasse ».
Les critiques les plus véhémentes émises
contre le personnage principal viennent généralement des
participants de sexe féminin qui croyaient en ce personnage lisse, bien
sous tous les rapports : « cela dit cette fin était
imprévisible, il semblait si bien » (Réunion 15).
Cependant, contre toute attente, quelques spectateurs continuent à
penser que le personnage principal avait aimé sa femme :
« je pense qu'il l'aimait bien au fond... » (Réunion
10), « il ne l'aimait plus », « il ne voulait pas
forcément s'en débarrasser » (Réunion 13). Cette
interprétation déclenche bien sûr les sarcasmes des
autres : « (il l'aimait bien au fond)... oui,
enfin...morte ! », « Hasta la Vista
Baby » (Réunion 13) et de nombreux rires.
Aussi, n'est-il pas vraiment étonnant que la plupart des
participants imaginent une suite « bien immorale »
(Réunion 10) : « il fait ses valises et change de
vie », « il va chercher ses dollars »,
« il va partir avec quelqu'un et changer de vie » ou
« il va rester dans son bureau et faire comme si de rien
n'était. Il a gagné : il peut savourer sa victoire
... » (Réunion 15).
Le cinéphile du groupe 10, amateur des films de Chaplin,
reconnaît en fin de réunion que notre film « est plein
de détails. Il faudrait le revoir, je crois, pour bien
percuter ». Aussi, compte tenu de la variété des avis
et opinions des spectateurs que nous venons de présenter, nous allons
comparer pour chacun des plans du film le sens que souhaitait
générer le réalisateur avec celui perçu par les
spectateurs comme nous l'avons fait pour la version 1 et nous le ferons pour
les trois dernières versions.
Analyse comparative du sens
Numéro du plan
|
Contenu
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Sens voulu par le réalisateur
|
Sens perçu par les spectateurs
|
Plan 1
|
M. Neuville, un cadre supérieur d'une entreprise, est
assis à son bureau. Il consulte un dossier. Son téléphone
sonne (à 10''44). Il dirige sa main vers le combiné.
|
Montrer le statut du personnage principal par ses
vêtements (costume, cravate), son stylo, son bureau de directeur :
ameublement fonctionnel, plante verte, moquette, etc.
Le montrer dans une situation initiale, normale de travail, en
train de lire et de traiter un dossier important
|
Les éléments identitaires du personnage principal
sont globalement bien compris par les spectateurs : statut, âge,
etc. En revanche, l'interprétation temporelle des décors et
costumes est très variable, ce qui rend la datation de l'action
difficile. L'absence d'un ordinateur et la présence d'un minitel
perturbent un peu plus le datage.
|
Plan 2
|
Le téléphone sonne
|
Mettre en valeur, grâce au gros plan,
l'événement qui va bouleverser la situation initiale.
|
L'objectif est atteint mais certains spectateurs ont,
étrangement, jugé l'appareil vieillot ce qui les a, entre autres,
trompés sur le moment où se situe l'action. La question qui se
pose est donc de savoir si c'est l'appareil lui-même qui fait ancien ou
si c'est le gros plan qui accentue cet effet. Le gros plan vieillit la
situation en évoquant la série Derrick.
|
Plan 3
|
M. Neuville, assis, décroche le combiné et dit
d'une façon interrogative « Oui ? ».
Une voix off masculine avec un fort accent sicilien dit
« M. Neuville, je vous téléphone pour vous annoncer que
votre femme est morte ». Bruits d'un hall d'aéroport. Musique
de fond du Parrain.
|
Mettre en valeur l'attitude froide et contrôlée d'un
responsable d'entreprise et son comportement après l'annonce de la mort
de sa femme. Le vouvoiement et les bruits hors champ diégétiques
sont des éléments d'identification de la personne dont on entend
la voix (off). Il s'agit d'un homme qui téléphone d'une
aérogare, avant son départ.
Evoquer grâce à l'aéroport bruyant et
encombré soit le stress lié à un épisode
révolu que le personnage ne regrette pas soit, plus simplement, la fuite
d'une personne qui a quelque chose à se reprocher.
Evoquer par son accent sicilien et la musique du Parrain
l'hypothèse d'un crime commandité par le personnage
principal.
|
Les objectifs de ce plan sont globalement atteints.
La plupart des spectateurs ont, en effet, trouvé
étrange la réaction du personnage principal, même si
certains l'expliquent par ses responsabilités professionnelles dans
l'entreprise.
Le vouvoiement, les bruits hors champ d'un lieu public
(aérogare, gare ou hall d'hôpital), l'accent étranger de la
voix off ont permis aux spectateurs d'identifier la personne au
téléphone comme étant soit quelqu'un d'un hôpital
(en France ou en Italie), soit un tueur à gages. Cette dernière
hypothèse est, néanmoins, la plus citée, comme le
souhaitait le réalisateur. De même que le bruit de fond d'une
aérogare qui évoque pour certains la fuite du tueur
après son forfait. L'accent « italien » est
nettement remarqué et associé fréquemment à la
mafia. En revanche, la musique du Parrain n'est perçue que par un seul
participant (sur 24).
|
Plan 4
|
M. Neuville reste un moment silencieux
|
Insister sur l'effet de l'annonce sur le personnage. Montrer sa
réaction face au changement de situation
|
Cet effet est peu perçu par les spectateurs qui, pour la
plupart, trouvent que le personnage est assez insensible et froid.
Certains pensent qu'il se doutait de la nouvelle soit parce
qu'il avait commandité le meurtre, soit que sa femme était dans
un état désespéré.
|
Plan 5
|
M. Neuville écoute son interlocuteur poursuivre en voix
off : «Nous avons tout fait pour qu'elle ne souffre
pas »
|
Montrer les réactions du personnage principal, ses
mimiques (hochements de tête, moue, fermeture du visage, etc.) sans trop
en révéler grâce à sa moustache.
|
Le jeu de l'acteur a influencé peu de spectateurs qui le
trouvent majoritairement froid, insensible, distant, « Il doit avoir
un coeur de pierre ».
|
Plan 6
|
M. Neuville répond : « Merci de m'avoir
prévenu ». Il se lève vers les stores de sa
fenêtre. Il commence à ouvrir ses stores
|
Montrer le personnage reprendre le contrôle de la situation
par un ton directorial.
Montrer qu'il a besoin de réfléchir en sortant de
son contexte de travail.
|
La plupart des spectateurs considèrent qu'il n'a jamais
perdu de sa superbe. Il reste donc égal à lui-même :
indifférent, comme insensible. Toutefois, certains d'entre eux
remarquent le fait qu'il se lève pour aller à la fenêtre ce
qui dénote qu'il a été troublé par l'information.
|
Plan 7
|
M. Neuville ouvre complètement ses stores et regarde
à la fenêtre
|
Montrer que sa pensée quitte le bureau, pour
l'extérieur, la ville, la nuit.
Evoquer l'opposition lumière/obscurité,
vie/mort.
|
Ce premier plan d'une suite évocatrice n'a pas eu les
effets escomptés. De plus, il est interprété de deux
façons différentes. Selon certains, « il pense
à sa femme. Il pense à la mort de sa femme ». En
revanche, pour un spectateur moins indulgent : « il semble
être sur ses gardes. Il regarde aux rideaux pour voir si on ne l'observe
pas. Il se sent espionné ».
|
Plan 8
|
Une femme en tailleur en jean bleu et portant un foulard de type
carré bleu marche en s'éloignant dans des dunes de sable
|
Evoquer le temps qui passe, le départ d'une femme seule,
l'éloignement progressif puis la disparition.
Evoquer par les images du désert la désolation et
la stérilité et/ou la réflexion sur le passé.
|
Interprétation très variable allant de
l'incompréhension totale (« Je vois pas trop ce qu'elle fout
là »), au doute, à l'identification d'un flashback ou
d'une évocation d'un départ sans retour.
|
Plan 9
|
M. Neuville ferme son store et se retourne
|
Montrer la fin de quelque chose puis le retour au réel.
Montrer par rapport à la version 1, par un plan plus long
d'une seconde 50'', que le personnage esquisse un léger sourire.
|
Aucun spectateur ne le ressent vraiment.
Le léger sourire esquissé par le personnage
principal n'est pas relevé.
|
Plan 10
|
Gros plan d'un cadre avec une photographie en noir et blanc d'une
femme de 35-40 ans, brune, assise à un bureau, tenant de la main gauche
un téléphone et de la main droite une boule de billard portant le
numéro 8.
A côté du cadre, on aperçoit deux dossiers
datés des années 2002 et 2003.
|
Evoquer la femme disparue par un objet matériel toujours
présent dans le lieu où vit le personnage principal lorsqu'il
travaille.
Montrer la personnalité de cette femme : ambitieuse,
calculatrice, narquoise, joueuse.
Indiquer d'une manière assez précise l'année
au cours de laquelle se déroule l'action : 2003 voire début
2004, en fonction du délai de parution.
|
La femme photographiée est correctement
décrite : « blonde », « l'air
coquine », « 40 à 45 ans »,
« avec un sourire bizarre ; elle tient une balle de tennis et le
nargue ». En revanche, sa relation avec le personnage principal est
moins certaine : « sa maîtresse »,
« sa femme », « sa fille », « sa
mère »...
L'indice temporel n'est pas remarqué, le datage
étant toujours sujet à discussions.
|
Plan 11
|
M. Neuville s'avance en direction du meuble de bureau
|
Montrer l'attirance quasi-magnétique de cet objet pour le
personnage principal.
Montrer que la photo de cette femme lui redonne de
l'énergie.
Donner du rythme à ce plan par le panoramique.
Montrer par un plan plus court et un montage différent (la
fin de la marche, plutôt que le début) une certaine
décontraction du personnage et sa démarche féline.
|
Apparemment sans effet particulier sur les
spectateurs.
|
Plan 12
|
M. Neuville se baisse
|
Donner du rythme par un plan très court montrant une
action singulière dont on ne connaît pas encore la raison.
|
Pas de commentaire sur ce plan. Apparemment sans effet
particulier sur les
spectateurs.
|
Plan 13
|
Gros plan sur un minibar de bureau. La main de M. Neuville ouvre
le minibar et en sort un verre. Sa main plonge dans le minibar comme pour
chercher une bouteille. Bruits de bouteille et de porte de minibar accompagnent
les gestes
|
Mettre en valeur un objet associé à un besoin
urgent à assouvir : le besoin de boire.
Montrer par rapport à la version 1, par un plan plus
court, la rapidité des gestes du personnage et leur précision due
à une certaine habitude de se servir un verre.
|
Quelques spectateurs le remarquent. L'association
alcool-tristesse n'est perçue que par quelques spectateurs qui voient le
personnage principal se noyer dans l'alcool : «il se saoule en vidant
son minibar... ».
L'un d'eux interprète cette scène comme une
tentative de suicide : « il se sert un verre, se met de
l'arsenic et retrouve sa femme ». En revanche, l'alcoolisme mondain
et cette mauvaise habitude au travail ne sont pas perçus.
|
Plan 14
|
La main de M. Neuville ferme la porte du minibar. Bruits de la
porte du minibar
|
Montrer la précision des gestes du personnage
principal.
Evoquer par le bruit de la porte une certaine
brutalité.
Mettre en valeur le minibar de bureau et sa marque :
Philips.
Evoquer par un fondu enchaîné une ellipse
temporelle pour laisser un doute sur ce qui se passe pendant ce temps sans
image.
|
Apparemment sans effet particulier sur les
spectateurs.
La marque du minibar, Philips, est notée par
certains spectateurs, d'autres décrivent sa couleur et le jugent
démodé.
Le fondu enchaîné est, semble-t-il, ni
interprété, ni remarqué.
|
Plan 15 (A)
|
M. Neuville bouge les épaules verticalement à
plusieurs reprises comme s'il avait une crise de sanglots
|
Montrer des gestes qui peuvent faire croire en de la tristesse,
du chagrin.
Filmer de dos de sorte qu'aucune certitude ne soit permise.
Evoquer la fin de la première partie par un fondu au
noir.
|
Effet nettement remarqué : «On avait
l'impression qu'il pleurait, de dos... ». L'un des spectateurs a
toutefois
eu un doute : « il remue son shaker comme Charlie
Chaplin dans un film où il est de dos et on a l'impression qu'il pleure
parce que sa femme a eu un accident et en fait il se fait un
cocktail ».
|
Plan 15 (B)
Reprise après la première partie de l'interview de
groupe
|
M. Neuville secoue toujours ses épaules.
Bruits de liquide remué dans une bouteille.
|
Montrer l'opposition entre les images et le son. Les images sont
identiques au plan précédent : avec une forte
hypothèse d'une crise de sanglots.
Le son hors champ diégétique ne correspond pas
à celui d'une personne qui pleure mais à celui d'une bouteille
qu'on remue.
|
La crise de sanglots est, semble-t-il, plus clairement
perçue que l'opposition avec le son hors champ
diégétique.
|
Plan 16
|
Gros plan sur la photographie de la femme blonde
|
Montrer le contraste entre l'image de la femme
décédée et le bruit. Bruit encore non identifié
pour laisser un certain suspense.
|
Apparemment sans effet particulier sur les
spectateurs. Ne fait que conforter la perception de la femme
photographiée : « elle avait vraiment l'air d'une
garce sur la photo... » (propos tenus après la diffusion des
plans de fin).
|
Plan 17
|
Gros plan sur un shaker remué par M. Neuville et sur une
bouteille de Chivas. Les mains de M. Neuville servent le cocktail dans un verre
puis ferment le shaker.
|
Dévoiler la source du bruit.
Mettre en contraste le décès de sa femme et le
comportement calme et satisfait du mari : ce dernier ne boit pas un verre
quelconque pour se redonner du courage, il se prépare un cocktail.
|
L'effet de surprise est total ou presque, excepté pour le
cinéphile admirateur de Chaplin : « qu'est-ce que je vous
avais dit : du Chaplin ! ».
|
Plan 18
|
M. Neuville pose le shaker sur le meuble puis il prend son verre
de la main droite.
|
Montrer le calme extrême du mari dans de telles
circonstances.
|
Ce plan augmente, sans doute, le ressentiment que les spectateurs
ont d'avoir été manipulés. Il est pour beaucoup dans les
critiques sévères émises à l'encontre du personnage
principal : « c'est un sacré dégueulasse »
|
Plan 19
|
M. Neuville prend de la main gauche le cadre de la photo et la
regarde. Sa main droite tient toujours son verre.
|
Resituer l'action dans le contexte de la disparition de la femme
que les plans 15 B à 18 auraient pu faire oublier.
Evoquer par la plongée le regard de la personne
disparue.
|
Apparemment sans effet particulier sur les
spectateurs. Ne fait que renforcer l'interprétation de la
séquence de fin.
La plongée n'a pas non plus d'effet spécifique.
|
Plan 20
|
M. Neuville regarde la photo avec attention puis la repose sur
le meuble. Il tape le cadre avec son verre comme pour trinquer.
Bruits de verre.
M. Neuville trinque de nouveau devant la photo en esquissant un
sourire narquois. Il boit son verre.
|
Montrer par ce plan long, la véritable personnalité
et les motivations du personnage principal.
Evoquer son plaisir de se venger, de rendre la monnaie de sa
pièce, d'avoir eu le dernier mot d'une relation sans doute difficile.
Montrer son sourire sarcastique.
Evoquer l'hypothèse qu'il ait commandité le meurtre
de sa femme auprès de l'homme à l'accent sicilien.
|
La contribution de ce plan au sens de la séquence de fin
et du film tout entier est très forte. Il dévoile les motivations
du personnage principal, il montre sa satisfaction d'avoir eu le dernier
mot :
« C'est plutôt je t'ai bien eu ! Et il
fête sa victoire », « oui il est ironique, cynique
aussi », « il trinque en pensant : Ah, Ah ! je
l'ai bien eue... ».
Le crime commandité et exécuté par un
mafieux est admis par tous les spectateurs.
|
III- L'analyse des interviews suite à la diffusion de la
version 3 : le mari volage403(*)
Trois réunions furent organisées après
diffusion de cette version : les réunions 6, 11 et 12.
La première réaction des spectateurs de cette
version 3 est de trouver le film diffusé
« bizarre », « étrange »
à la fois par l'atmosphère qu'il crée - « c'est
une atmosphère étrange, l'histoire semble banale mais on sent que
quelque chose est anormal » (Réunion 11), - et par
l'attitude du personnage principal : « La réaction du
type est bizarre » (Réunion 6), «le mari est
étrange » (Réunion 11).
Les spectateurs pressentent un contraste entre le scénario
qui semble, à première vue, assez simple, voire banal et ce qui
va se passer par la suite : « je suis choquée par ce
film. La réaction du personnage n'est pas normale. Il doit
préparer quelque chose », «un mauvais coup, sans
doute » (Réunion 6), « ce film joue sur
l'abstrait. Mais c'est un peu ennuyeux », « c'est pas
très clair non plus », « c'est pourtant simple, il
apprend que sa femme vient de mourir », « oui, le
scénario n'est pas compliqué », « on ne sait
pas vraiment, en fait ». (Réunion 12).
Si le personnage principal est jugé par la plupart des
spectateurs assez étrange dans son comportement, c'est principalement en
raison de sa gestuelle : « sa gestuelle est étonnante. Il
semble embarrassé » (Réunion 6), « il est un
peu hésitant. Dans sa manière de bouger surtout »
(Réunion 11). Avec le store, « il le ferme tout de suite
après l'avoir ouvert. C'est étrange comme
réaction », « ou alors il est très
maniaque... ».
De là, certains en déduisent très vite que
la situation n'est pas normale et en cherche les causes : « en
tout cas, il n'est pas net. On dirait que c'est lui qui a monté le
coup », « il est étrange mais peut-être pas
jusqu'au point de la tuer » (Réunion 12).
Une interprétation que l'un des spectateurs ne partage
pas : « ses gestes, sa façon de parler le
montrent », c'est un directeur d'entreprise.
Les indices vestimentaires, gestuels, décoratifs ne
conduisent pas tous les spectateurs à cette conclusion statutaire et
professionnelle. Les avis sont, en effet, partagés, d'aucuns pensent que
le personnage principal est un enseignant, «on dirait un prof »
(Réunion 6), d'autres le croient « cadre »,
« homme d'affaires », «patron »,
« chef d'entreprise », - il a un bureau de directeur et
tout, ses gestes, sa façon de parler le montrent » -, ou
encore vendeur : « je le verrai plutôt vendeur. Il a le
look d'un vendeur » (Réunion 6).
Son bureau est un élément déterminant
d'identification pour certains spectateurs : « il a un bureau de
directeur » (Réunion 11), « il a l'air à
l'aise dans son bureau », « oui, une sorte de patron, vu
son bureau ». Plusieurs d'entre eux, étonnés de la
présence d'un minbar, le voient même en PDG d'une grande
entreprise : « il y a un frigo aussi. Il y a de l'alcool
dedans... oui, c'est curieux d'ailleurs. C'est peut-être le patron d'une
grande boîte ? ».
Seul, un spectateur lui donne explicitement un âge :
« il doit avoir 50 ans » (Réunion 12).
Autre paradoxe, après avoir jugé le bureau
plutôt « directorial », un bon tiers des spectateurs
le trouve simple, parfois démodé et mal
équipé : « il n'a rien d'extraordinaire. Il y a un
vieux téléphone blanc », « il n'y a pas
d'ordinateur non plus », « son mobilier ne colle
pas », « il y a un vieux frigo en plus.
Philips », « il est un peu en désordre son
bureau » (Réunion 6). Ce décalage en choque
certains : « oui, c'est étonnant qu'il possède un
téléphone comme ça », « il ressemble
à un PDG en plus. Son mobilier ne colle pas ». Tout ceci
pousse quelques participants à imaginer des raisons logiques : - le
conservatisme du personnage : « c'est un mec qui aime garder ses
affaires. Il a son petit bureau et ses petites affaires depuis le début.
Il ne veut pas changer ses meubles... », «il a l'air
d'être assez chiant » ; - des difficultés
financières : « Son affaire ne doit pas bien
marcher ». Deux spectateurs mettent également en avant le fait
que son bureau n'ait pas l'air d'un véritable lieu de
travail : « le bureau est aseptisé, ça fait
pas réel », « dans le bureau, le store fait
placé exprès », « tout est rangé, il
n'y a pas de papiers. Il ne travaille jamais dedans, c'est pas
possible ». Mais, ce dernier argument est repris à l'envers
par d'autres participants : « tu n'as jamais vu un bureau de
directeur, on dirait. C'est toujours comme cela... », « sa
secrétaire doit avoir tous ses dossiers » (Réunion 11).
Les spectateurs ont remarqué d'autres personnages que le
personnage principal ; en premier lieu, une femme marchant dans des dunes
de sable, en second lieu, la femme en photographie.
La femme marchant dans le sable - d'un désert ou d'une
plage selon les participants - est vue brune pour certains, blonde pour
d'autres, et porte un foulard pour les plus observateurs : « on
ne voit pas ses cheveux avec le foulard » (Réunion 6). Elle
est habillée « en noir » ou « en
bleu », « est pieds nus » (en
réalité non).
Son âge est également sujet de controverses : -
pour certains, elle est assez jeune, plus jeune que le personnage
principal : « Elle est de dos mais semble plus jeune que
lui », « tu vois ça à sa
démarche ? », « oui entre autres, mais surtout
à sa silhouette » (Réunion 6) ; - pour d'autres,
elle est âgée : «c'est une vieille dame avec un
foulard » (Réunion 11).
En revanche, l'interprétation de cette séquence est
assez consensuelle et tourne autour : - du souvenir :
« Ce doit être un souvenir d'elle » ; - du
départ : « il la voit partir », « Ca
représente la femme qui s'en va » (Réunion 12) ; -
de la mort : « C'est une représentation de la
mort » ; de l'au-delà : « ça
rappelle un peu la mythologie ancienne avec cette femme qui part vers
l'au-delà » (Réunion 11), ; de la
délivrance après une longue maladie : « C'est
une délivrance. Elle était peut-être malade.. »
(Réunion 12).
Il est intéressant de noter que ce quasi-consensus de sens
résulte d'une scène qu'un spectateur qualifie de
cliché : «c'est assez cliché...La femme qui s'en
va... ».
Le lien entre la femme marchant dans le sable et celle en
photographie n'est pas clairement défini. Certains spectateurs se posent
des questions quant à leur statut matrimonial :
« femme » ou « maîtresse » ?
; « la femme est filmée de dos. On a du mal à savoir
qui c'est. ..C'est peut-être sa maîtresse aussi ? »
(Réunion 12). Sur la photo « en noir et blanc », on
voit une femme qui « n'était pas mal » mais, comme
l'avoue l'un des participants : « Je ne sais pas si elle a un
rôle là-dedans » (Réunion 11).
La personne qui téléphone au personnage principal
pour annoncer le décès de l'épouse de ce dernier est
clairement identifiée comme étant une femme. Plusieurs remarques
dénotent le doute que cette voix provoque : « Mais
ça semble un peu robotisé. Ce n'est pas naturel. Ca fait un peu
voix de répondeur » (Réunion 11).
Le fait que cette femme ne se présente pas et
tutoie le personnage principal est également utilisé comme
élément d'identification : « C'est quelqu'un de la
famille ou une amie » (Réunion 6), « c'est
l'amante », « oui, c'est sa maîtresse »,
« elle le tutoie. Elle ne se présente pas. C'est
forcément sa maîtresse » (Réunion 12). Cependant,
quelques uns des spectateurs s'interrogent sur la réalité de
cette tautologie un peu rapide : « (C'est forcément sa
maîtresse) - non, ce n'est pas sûr. On n'en sait pas assez. On ne
connaît pas les circonstances de la mort de sa femme »,
« en plus, ce n'est pas parce que tu tutoies quelqu'un que tu es sa
maîtresse.. », « moi, j'aimerai bien voir la suite
pour juger... » (Réunion 12).
En outre, certains spectateurs, sans avoir d'indice particulier,
penchent plutôt pour croire qu'il s'agit d'une personne de
l'hôpital : une infirmière, un médecin. Ils justifient
le tutoiement : « une femme médecin qu'il
connaît », « vu la thune qu'il doit avoir, il a sans
doute des copains toubib ».
D'autres s'attachent plus au contenu des paroles et associent le
discours froid au corps médical : « elle ne cherche pas
à dialoguer, on a même l'impression qu'elle est
pressée », « ça doit être un
médecin sans état d'âme, il fait son boulot et ne veut pas
communiquer », « oui, une infirmière
surchargée » (Réunion 11).
Malgré toutes ces remarques, il n'en reste pas moins vrai
que la plupart des spectateurs estime que les relations entre le personnage
principal et son épouse n'étaient pas excellentes : - soit
parce qu'elles se sont distendues avec le temps, « il n'y en avait
plus » (Réunion 6) ; - soit parce que la femme
était malade depuis longtemps et que sa mort était presque une
délivrance, « elle était malade depuis très
longtemps », « c'est sur que si sa femme est malade depuis
longtemps, c'est parfois difficile » (Réunion 6),
« il savait depuis longtemps qu'elle allait mourir. Il savait
même que c'était pour ce soir, donc il était
préparé... », « oui, c'est vrai, il joue bien
ce registre » (Réunion 11).
La longue maladie reste, en effet, l'interprétation la
plus fréquente et justifie, aux yeux de quelques spectateurs, son
attitude détachée voire son soulagement. D'autres sont plus
sévères et ne comprennent pas, quelle que soit la cause de la
mort, l'attitude du personnage principal : « très
distante, vu sa façon de dire « merci de m'avoir
prévenu ». Il s'en foutait un peu » (Réunion
6), « il ne semble pas effondré par la nouvelle ».
Son attitude est encore moins acceptée encore par certains qui lui
reprochent de boire un verre devant le portrait de sa femme, « non,
c'est vrai, il boit son verre, ok, mais il n'y a rien qui montre sa
tristesse » (Réunion 11), « Il trinque devant la
photo de sa femme et semble délivré »,
« c'est bien qu'il y avait un problème. Cette fois, elle
semble bien partie et ça l'arrange », « oui,
finalement il est soulagé d'un poids » (Réunion 12).
Plusieurs spectateurs font également remarquer que dans
une situation comme celle-là le devoir d'un mari était
d'être auprès de son épouse : « pourquoi il
n'est pas à son chevet ? » (Réunion 6),
« l'on se demande ce qu'il fait dans son bureau à un moment si
grave. Il n'est pas au chevet de sa femme. C'est étrange.. »
(Réunion 12).
De ces interprétations se dégagent deux
catégories de spectateurs : la première considère que le
mari n'y est pour rien dans la mort de sa femme, la deuxième que le mari
a peut-être aidé le destin. Ces deux catégories s'affirment
davantage encore lorsque les spectateurs associent ce film à un genre
cinématographique.
Certains spectateurs le classe dans le genre policier :
« ça peut-être un policier aussi »,
« je pense à un policier aussi » (Réunion
12), « ça fait un peu série B policière. Un
téléfilm de 21H. à la télé »
(Réunion 11).
Ce classement ne repose sur aucun élément
précis, seulement une impression générale, un climat, ce
qui fait réagir les tenants d'un film plutôt dramatique :
« je ne vois pas ce qu'il y a de policier là-dedans : je
pense plutôt à un drame » (Réunion 11).
« c'est plutôt un drame, je trouve », « oui
plutôt un drame » (Réunion 12), « je pense
à un drame aussi, un peu psy sur les bords », « oui,
éventuellement à une comédie dramatique »
(Réunion 11).
Leur argumentation repose sur plusieurs points : le film est
« lent...mou ...angoissant », « intellectuel, on
a beaucoup de questions. Il faut beaucoup réfléchir pour
comprendre » ; c'est un film « où l'on se pose
beaucoup de questions » (Réunion 6), « c'est un film
troublant en tout cas, très psy... », « oui, en tout
cas pas facile. Il parle de couple, de maladie, de
mort ...intéressant mais pas drôle »
(Réunion 11).
D'autres avis furent émis concernant d'une part l'origine
du film, d'autre part la longueur du métrage et son format. Son origine
est fluctuante selon les spectateurs : « cela fait un peu
série américaine ou allemande », « Le gars
avec son verre dans son bureau, ça rappelle Dallas. Mais
l'acteur a une tête de français quand même... »
(Réunion 11), « une série française à la
télé » (Réunion 12).
L'identification de l'origine du film s'appuie sur les
décors et la physionomie des acteurs, mais aussi sur le récit de
la fiction : « ça fait téléfilm
américain. Le gros chef d'entreprise qui perd sa femme...c'est
fréquent » (Réunion 6). Mais, elle fait rarement
l'unanimité : « dans un téléfilm
américain, le bureau serait différent et plus moderne »
(Réunion 6).
De même, le type et la longueur du métrage sont
diversement appréciés : « un court métrage
intéressant qui interpelle quelque part » (Réunion 12),
« c'est un court métrage », « une pub mais
je ne vois pas trop pour quoi », « pour Philips
peut-être ». Un spectateur pense à un extrait de
film : « ça doit être un extrait seulement qu'on
nous a montré là je crois » (Réunion 6). Un
autre propose plusieurs hypothèses liées à la
durée du film : « je pense que c'est un
court-métrage, mais ça pourrait être le début ou la
fin d'un film plus long » (Réunion 11).
Son caractère télévisuel est souvent
cité : « Un téléfilm de 21H. à la
télé » ou une série, comme nous l'avons
déjà signalé. Il est parfois associé à un
élément filmique : les décors, une échelle de
plan fréquente, les couleurs de l'image : « les décors
font téléfilm », « Le gros plan sur le
téléphone, ça me rappelle la
télé » (Réunion 11), « les couleurs
sont trop vives », « à la télé, on
voit ce genre de couleurs » (Réunion 6).
Toutefois, comme dans les autres versions, ce
phénomène peut s'expliquer, en partie, par le système de
diffusion, dans une salle de travaux dirigés, sur un poste de
télévision et en format TV sans bande noire (voir les
détails de des différents formats, dans l'analyse de la version
1) : « la qualité de l'image n'est pas excellente..
(mais) c'est sûrement le poste de télé qui fait
cela » (Réunion 6). En outre, l'association Gros plan
téléfilm est, à juste raison, critiquée par
certains participants : « y a pas qu'à la
télé qu'il y a des gros plans, man ! »
(Réunion 11).
On sait l'importance de la musique dans la bande sonore et son
rôle dans la perception du genre. Plusieurs spectateurs justifient le
classement du film visionné dans le genre policier par cette
musique : « la musique fait film policier, je trouve,
« le rythme de la musique fait meurtre
prémédité » (Réunion 12). Ce que ne
manque pas de contester d'autres participants : « je ne trouve
pas mais bon... ».
La musique est, en effet, jugée de différentes
façons : « une musique douce »,
« ça manque d'action », « elle semble ancienne
aussi » (Réunion 6), « une petite musique de
fond », « oui, elle me rappelle la musique d'American
Beauty » (Réunion 11), «elle n'était pas mal,
une musique de circonstance, quoi » (Réunion 6).
En plus de la musique de fosse, certains spectateurs ont
remarqué des bruits diégétiques, notamment des bruits
de verre. Là encore, les avis les concernant sont divergents. L'un des
spectateurs les trouvent artificiels : «ils semblent
rajouter » (Réunion 11), mais à la demande
d'explication d'un autre participant - « ah, oui ? Et qu'est-ce qui
te fait dire cela ? - il semble moins sûr de lui :
« ils sont trop forts mais tu as raison avec un bon
micro... ».
En réalité, aucun bruit n'a été
enregistré après le montage des images. Si l'on excepte la
musique extradiégétique et la voix off au
téléphone, les sons furent tous enregistrés en prise
directe sur site, c'est-à-dire sur le lieu du tournage. Ce sont donc des
sons synchrones. En revanche, le volume sonore a été
légèrement augmenté sur la table de montage
numérique par le réalisateur-monteur.
En matière de montage, les spectateurs n'ont pas
été très perspicaces. Des remarques surprenantes ont
été faites telles que : « il n'y a pas de
changement de plans » (Réunion 6) alors qu'il y a 22 plans au
total, dont 15 avant la coupure. Viennent ensuite des considérations
très générales et des appréciations personnelles
soit positives, « j'ai bien aimé les effets quand la femme
marche dans le sable », « oui, c'est pas mal »,
« c'est vrai, c'est à la fois joli et évocateur :
le passage », soit plutôt négatives : « les
gros plans sur le frigo et le téléphone. Ils sont très
voyants » (Réunion 11).
La projection dans l'avenir proposée aux spectateurs
génère différentes fins possibles, des plus simples aux
plus mystérieuses.
Première hypothèse suggérée, le
personnage principal gère sa vie comme ses affaires :
« il va à l'enterrement », « il va
réfléchir et téléphoner à sa
famille », « il va finir son verre » et,
éventuellement « pleurer un peu dans son bureau »
(Réunion 6), ou « il va peut-être annuler ses rendez-vous
pour partir à l'hôpital », « à mon
avis, on va rester dans le bureau. Il ne semble pas vouloir sortir »
(Réunion 11).
Deuxième possibilité, le personnage principal vit
mal la mort de son épouse et veut mettre fin à ses jours :
«je verrai une fin tragique : un suicide par exemple »,
« ou une plongée dans l'alcool ».
D'autres spectateurs ne croient pas en ces fins somme toute
banales - « non, on reste dans le cliché »
(Réunion 12) - et pensent plutôt à quelque chose de plus
original : « je le verrai bien faire quelque chose de plus
original », « quoi par exemple, aller boire un verre dans
une boîte ? » (Réunion 6).
Certains pensent que l'histoire est trop étrange, pour
qu'une surprise n'ait pas lieu : « oui, c'est vraiment
étrange comme histoire... », « il peut y avoir une
surprise », « on sent le suspense... »
(Réunion 12). Aussi, plusieurs d'entre eux imaginent l'apparition d'une
maîtresse : « La maîtresse arrive
maintenant.. », « oui, la secrétaire semble
être sa maîtresse » (Réunion 12) ou, plus
insidieusement, « sa secrétaire va peut-être
arriver. » (Réunion 11) : hypothèse que rien dans
la première partie du film ne laisse imaginer comme le fait remarquer
l'une des participantes : « le problème, c'est que l'on
n'a pas vraiment d'explications sur la femme dans le désert. J'aurais
aimé en savoir plus sur cette femme » (Réunion 12).
Certains spectateurs imaginent une fin moins scabreuse mais tout
aussi originale : « il va rester dans ses visions à
réfléchir sur le passé », « et nous
allons avoir un retour arrière, dix ans plus tôt, par
exemple.. », « oui ce serait pas mal »,
« mouaih pourquoi pas.. ». L'un des spectateurs
suggère également qu'il n'y ait « pas de fin, c'est
à nous de l'imaginer... » (Réunion 11).
A la suite de la projection de la deuxième partie du film,
avec la fin imaginée par l'auteur réalisateur, les
réactions sont, encore une fois, très diverses. Certains ne
voient rien de plus que ce qui est montré : « On voit des
jambes et alors ?...Ce n'est pas forcément sa
maîtresse » (Réunion 11), «on ne voit que des
jambes, rien ne prouve que c'est sa maîtresse » (Réunion
6). Quelques-uns apprécient cette ambiguïté qui attise le
suspense : « ce peut être fait exprès pour que le
suspense demeure. On ne sait pas qui elle est : sa secrétaire, sa
maîtresse, une copine, sa fille ... ? », «En fait
chacun peut imaginer ce qui lui plait, c'est bien amené.. »
(Réunion 12).
D'autres plus nombreux pensent à une relation
extraconjugale : « il semblait triste alors qu'en fait non. Il
trompait sa femme ! », (Réunion 6), « je savais
bien qu'il y avait quelque chose d'anormal. Il a sans doute une
maîtresse » (Réunion 11). Le cadrage adopté par
le réalisateur oriente quelques spectateurs vers cette conclusion :
« c'est filmé pour ne montrer que les jambes. On ne voit pas
son visage donc il n'y a que le corps de la femme qui intéresse
l'homme », « en plus, elle est très près de
lui » (Réunion 12).
Cette interprétation même justifie à leurs
yeux le comportement détaché du personnage principal lorsqu'il
apprend le décès de son épouse : « Ca
explique pourquoi il a réagi comme cela quand il a appris la mort de sa
femme » (Réunion 11). Cette fin leur paraît conforme au
début « si c'est sa maîtresse, oui »
(Réunion 6).
D'autres encore tentent de reconstruire l'histoire, en proposant
leur récit : «à moins que ce soit la femme aux jambes
qui l'ait tuée », « ou alors c'est sa femme que l'on
voit. Elle n'est pas morte », « ou alors il a tué sa
femme » (Réunion 6). ), « la personne à la
photo c'est bien la femme qui est morte ... » (Réunion 11).
Dans cet esprit, certains imaginent des scénarii plus
surprenants encore : « elle est jeune aussi. C'est
peut-être sa fille », « c'est peut-être un
canular...C'est sa femme qui lui a fait une blague », « ou une
arnaque aux assurances » (Réunion 6), « il est possible
aussi que la femme en question soit sa femme justement ! Elle n'est pas
morte et elle vient se venger » (Réunion 12). L'un d'entre eux
imagine même un flash back : « cela peut
être un deuxième flash back, il revoit sa femme entrer
dans son bureau » (Réunion 12).
Quelques-uns des participants, ne voulant pas conclure
péremptoirement, expriment leur doute sur la qualité des
relations entre le personnage principal et la femme dont on voit les
jambes : « elle s'approche beaucoup de lui, tout de
même » (Réunion 6), « c'est troublant
tout de même », «en plus, elle a de belles jambes
... », « on ne voit que les jambes, pas le
reste... » (Réunion 11).
L'incertitude autour de l'adultère n'est que provisoire
pour quelques spectateurs qui identifient la femme aux « belles
jambes » comme étant la secrétaire du personnage
principal : « c'est peut-être la secrétaire qui se
fait des idées maintenant que la voie est libre.. »,
« oui pourquoi pas, mais j'en doute, il va craquer si ce n'est
déjà fait... », « En plus, elle ne dit rien.
Une secrétaire n'agit pas comme ça. A mon avis, ils sont
amants » (Réunion 11), «elle le consolera »
(Réunion 6). D'autres restent malgré tout très prudents
dans leur conclusion : « la secrétaire, je m'y attendais
un peu. Mais, ce qui n'était pas prévu, c'est le comportement de
la secrétaire. Elle est très près de lui. Il doit y avoir
une complicité », « oui, mais laquelle ? Dans
la mort de la femme ? Ou plus intime ? » (Réunion
11).
Globalement donc, la fin imaginée par le
réalisateur est jugée « originale »,
« surprenante », voire
« dérangeante », pour bon nombre de
participants : « la fin est surprenante »,
« ça laisse une impression étrange »,
« ce film est bizarre du début jusqu'à la fin. Il rend
mal à l'aise » (Réunion 6). L'étrangeté
du comportement du personnage principal est, en effet, perçue dès
la première partie. Toutefois, à une reformulation, l'un des
participants précise sa pensée : « L'ambiance est
malsaine ».
Comme si le doute jeté sur la fidélité du
personnage principal, par la fin du film, avait modifié l'image de
rigidité, de froideur qu'il avait à la fin de la première
partie.
Alors que l'ambiance générale du film le faisait
classer, avant la diffusion de cette fin, soit dans le genre policier, soit
dans le genre dramatique, les derniers plans augmentent l'impression de
suspense et de volonté de manipuler les spectateurs de la part du
réalisateur : « une ambiance assez lourde et
étrange, on croit comprendre et puis hop, on n'est pris au
piège » (Réunion 11), « On a beaucoup de
zones floues ...mais c'est voulu ça. Ils te trimballent comme
cela » (Réunion 6).
La scène des jambes de femme a des effets
indéniables sur le classement de ce film dans un genre
cinématographique. Elle fait penser à quelques spectateurs que le
film peut appartenir au genre érotique - « ça peut
tomber dans le film érotique. C'est possible... »,
« oui, les jambes, ça fait penser à
ça » (Réunion 12) - voire au genre
pornographique : « c'est assez drôle, mais ça fait
penser à un début de film porno...C'est peut-être
ça. C'est peut-être la première scène porno qui va
arriver avec le patron et sa secrétaire » (Réunion
11).
Compte tenu de la variété des avis et opinions des
spectateurs que nous venons de présenter, nous allons comparer pour
chacun des plans du film le sens que souhaitait générer le
réalisateur avec celui perçu par les spectateurs comme nous
l'avons fait pour les versions 1 et 2 et comme nous le ferons pour les deux
dernières versions.
Analyse comparative du sens
Numéro du plan
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Contenu
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Sens voulu par le réalisateur
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Sens perçu par les spectateurs
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Plan 1
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M. Neuville, un cadre supérieur d'une entreprise, est
assis à son bureau. Il consulte un dossier. Son téléphone
sonne (à 10''44). Il dirige sa main vers le combiné.
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Montrer le statut du personnage principal par ses
vêtements (costume, cravate), son stylo, son bureau de directeur :
ameublement fonctionnel, plante verte, moquette, etc.
Le montrer dans une situation initiale, normale de travail, en
train de lire et de traiter un dossier important
|
Le statut du personnage principal n'est pas aussi bien
identifié que prévu. Des professions telles que celles de vendeur
ou de professeur sont citées. Les indices vestimentaires et les
décors intérieurs sont interprétés de façon
variée. Le bureau fait notamment l'objet d'une interprétation
très contrastée.
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Plan 2
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Le téléphone sonne
|
Mettre en valeur, grâce au gros plan,
l'événement qui va bouleverser la situation initiale.
|
L'objectif n'est que très partiellement atteint. Certains
spectateurs ont, étrangement, jugé l'appareil ancien. Un
spectateur a également conclu en voyant un tel gros plan que le film ne
pouvait être qu'un un téléfilm ou une
série : « Le gros plan sur le téléphone,
ça me rappelle la télé ».
|
Plan 3
|
M. Neuville, assis, décroche le combiné et dit
d'une façon interrogative « Oui ? ».
Une voix off féminine, lente et un peu énigmatique,
dit « M. Neuville, je te téléphone pour t'annoncer que
ta femme est morte ».
|
Mettre en opposition l'attitude froide et contrôlée
d'un responsable d'entreprise et son comportement après l'annonce de la
mort de sa femme.
Evoquer le type de relation entre le personnage principal et la
femme qui lui téléphone. Le tutoiement est un
élément d'identification de la personne dont on entend la voix
(off). Il s'agit d'une femme qui téléphone, plus ou
moins en cachette. Ses phrases sont espacées et elle chuchote. Elle
semble bien connaître le personnage principal : elle le tutoie et ne
se présente pas avant de parler.
Laisser planer un doute sur leurs relations
véritables : amie, soeur, maîtresse, etc.
|
Ce plan n'a pas l'effet escompté puisqu'il contribue
plutôt à ce que les spectateurs trouvent l'attitude du mari
anormale, étrange par son manque de réaction.
Le fait que la femme au téléphone ne se
présente pas et tutoie le personnage principal a eu un effet
incontestable et conduit un bon nombre de spectateurs à suspecter une
relation extraconjugale entre elle et le personnage principal.
La façon de parler de la femme au téléphone
est également remarquée mais par moins de spectateurs :
« Ce n'est pas naturel ».
Le doute sur l'identité de la femme au
téléphone est créé dans l'esprit de quelques uns
des spectateurs.
|
Plan 4
|
M. Neuville reste un moment silencieux
|
Insister sur l'effet de l'annonce sur le personnage. Montrer sa
réaction face au changement de situation.
Laisser planer un doute sur ses pensées
véritables.
|
Cet effet est peu perçu par les spectateurs qui, pour la
plupart, trouvent que le personnage est assez froid voire étrange.
Certains pensent qu'il se doutait de la nouvelle soit parce que sa femme
était dans un état désespéré, soit parce
qu'il avait lui-même commandité le meurtre. Le doute est donc
créé.
|
Plan 5
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M. Neuville écoute son interlocutrice poursuivre en voix
off : «Ils ont tout fait pour qu'elle ne souffre
pas »
|
Montrer les réactions du personnage principal, ses
mimiques (hochements de tête, moue, fermeture du visage, etc.) sans trop
en révéler grâce à sa moustache.
Evoquer le fait que la femme qui téléphone n'a rien
fait personnellement.
Elle n'est qu'une messagère.
|
Le jeu de l'acteur n'a influencé aucun spectateur.
Majoritairement, les spectateurs trouvent la réaction du personnage
distante et anormale.
L'« indifférence » de la
messagère est principalement notée lorsqu'elle est
identifiée comme un membre du corps hospitalier : « elle ne
cherche pas à dialoguer, « ça doit être un
médecin sans état d'âme ».
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Plan 6
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M. Neuville répond : « Merci de m'avoir
prévenu ». Il se lève vers les stores de sa
fenêtre. Il commence à ouvrir ses stores
|
Montrer le personnage reprendre le contrôle de la situation
par un ton directorial.
Montrer qu'il a besoin de réfléchir en sortant de
son contexte de travail.
Laisser planer un doute sur les relations entre le personnage
principal et sa messagère, par une formule de politesse rapide.
|
La plupart des spectateurs considèrent qu'il n'a jamais
réagi affectivement. Il reste donc égal à
lui-même : indifférent, comme insensible. L'attitude du
personnage principal est jugée « très distante, vu sa
façon de dire merci de m'avoir prévenu. Il s'en
foutait un peu ».
Sa gestuelle, sa façon de marcher, d'ouvrir le store, tout
est prétexte, pour certains spectateurs, à le trouver
étrange : « Il semble embarrassé »,
« il est un peu hésitant. Dans sa manière de bouger
surtout ».
|
Plan 7
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M. Neuville ouvre complètement ses stores et regarde
à la fenêtre
|
Montrer que sa pensée quitte le bureau, pour
l'extérieur, la ville, la nuit.
Evoquer l'opposition lumière/obscurité,
vie/mort.
|
Ce premier plan d'une suite évocatrice n'a pas eu les
effets escomptés. Il contribue seulement à accentuer
l'étrangeté du personnage. Avec le store, « il le ferme
tout de suite après l'avoir ouvert. C'est étrange comme
réaction », « ou alors il est très
maniaque... ».
|
Plan 8
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Une femme en tailleur en jean bleu et portant un foulard de type
carré bleu marche en s'éloignant dans des dunes de sable
|
Evoquer le temps qui passe, le départ d'une femme seule,
l'éloignement progressif puis la disparition.
Evoquer par les images du désert la désolation et
la stérilité et/ou la réflexion sur le passé.
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Ce plan a été apprécié :
« j'ai bien aimé cette image, en plus c'était bien
filmé avec des sauts ». Son interprétation est assez
consensuelle et tourne autour du souvenir, du départ, de la mort,
de l'au-delà, de la délivrance après une longue maladie.
Il est intéressant de noter que ce quasi-consensus de sens
résulte d'une scène qu'un spectateur qualifie de cliché.
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Plan 9
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M. Neuville ferme son store et se retourne
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Montrer la fin de quelque chose puis le retour au réel.
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Aucun spectateur ne le ressent vraiment. Les spectateurs ne
voient que l'étrangeté du comportement du personnage.
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Plan 10
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Un cadre avec une photographie est posé sur un meuble de
bureau long et bas. La photographie est celle d'une femme de 35-40 ans,
brune
|
Evoquer la femme disparue par un objet matériel toujours
présent dans le lieu où vit le personnage principal lorsqu'il
travaille.
|
La photographie fait l'objet de deux controverses : - l'une
concerne la période à laquelle elle a été prise :
« la photo de sa femme fait presque années 50... »,
« tout de suite, c'est pas parce que c'est en noir et blanc que c'est
vieux...c'est une photo d'art, peut-être » ; - la seconde
concerne le lien entre la femme marchant dans le sable et celle en
photographie. Certains spectateurs se posent des questions quant à leur
statut matrimonial : « femme » ou
« maîtresse » ?
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Plan 11
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M. Neuville s'avance en direction du meuble de bureau
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Montrer l'attirance quasi-magnétique de cet objet pour le
personnage principal.
Montrer que la photo de cette femme lui redonne de
l'énergie.
Donner du rythme à ce plan par le panoramique.
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Apparemment sans effet particulier sur les
spectateurs.
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Plan 12
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M. Neuville se baisse
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Donner du rythme par un plan très court montrant une
action singulière dont on ne connaît pas encore la raison.
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Apparemment sans effet particulier mais comme le plan
précédent il peut avoir accentué le caractère
étrange du comportement du personnage : «sa gestuelle est
étonnante » (voir les commentaires du plan 6)
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Plan 13
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Gros plan sur un minibar de bureau. La main de M. Neuville ouvre
le minibar et en sort un verre et
une bouteille.
Bruits de bouteille et de porte de minibar accompagnent les
gestes
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Mettre en valeur un objet associé à un besoin
urgent à assouvir : le besoin de boire
|
Quelques spectateurs le remarquent mais pour mieux critiquer le
comportement du mari.
Son attitude est en effet encore moins acceptée par
certains qui lui reprochent de boire un verre devant le portrait de sa femme,
« non, c'est vrai, il boit son verre, ok, mais il n'y a rien qui
montre sa tristesse ».
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Plan 14
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M. Neuville ouvre sa bouteille
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Montrer l'énergie dépensée par le
personnage et la précision de ses gestes
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Apparemment sans effet sur les spectateurs. Ce plan ne fait que
confirmer les critiques à l'égard du personnage principal.
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Plan 15 (A)
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Il se sert un verre à proximité du cadre de la
photographie
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Montrer le lien entre ce besoin de boire de l'alcool et les
retombées de l'annonce de la mort de sa femme.
Evoquer la fin de la première partie par un fondu au
noir.
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Il ne fait sans doute que confirmer ce qu'ils pensaient du mari
depuis le plan 13 : « Il trinque devant la photo de sa femme et
semble délivré ».
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Plan 15 (B)
Reprise après la première partie de l'interview de
groupe
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Il pose sa bouteille à proximité de la
photographie.
Bruits de bouteille.
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Insister sur l'association alcool-deuil.
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L'association alcool-tristesse n'est pas perçue mais
plutôt le contraire... : « finalement il est
soulagé d'un poids ».
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Plan 16
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Il boit son verre de la main gauche, à proximité de
la photographie d'une femme brune.
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Montrer avec pudeur, donc de dos, la tristesse supposée
du personnage principal
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Apparemment sans effet sur les spectateurs.
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Plan 17
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M. Neuville prend la photographie de sa main droite
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Montrer son besoin de se souvenir, de toucher l'image de son
épouse.
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Apparemment sans effet sur les spectateurs.
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Plan 18
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Gros plan sur la photographie de la femme brune
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Mettre en valeur la beauté et la jeunesse de la femme
photographiée
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Seul un spectateur réagit verbalement à ce plan
mais pas dans le sens souhaité par le réalisateur. Son constat
concerne l'identité de la défunte : « la personne
à la photo c'est bien la femme qui est morte ».
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Plan 19
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M. Neuville regarde la photo et la repose sur le meuble. Il
continue à boire son verre. Un bruit de porte qui s'ouvre se fait
entendre. M. Neuville jette un coup d'oeil surpris vers la porte (hors
champ)
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Montrer par la photo que le personnage principal tente de
s'accrocher à sa femme, aux moments importants de leur vie.
Evoquer par le verre, soit l'amour et la sagesse, soit le
désir sexuel et l'amour illicite (Jung ou Freud).
Laisser planer un doute devant cette alternative.
Evoquer la surprise par un bruit hors champ de porte.
Montrer que le personnage principal n'est pas habitué que
quelqu'un entre dans son bureau sans frapper.
|
Le début du plan ne semble pas modifier l'image
plutôt négative du mari. Il faut dire que la plupart des
spectateurs estimaient avant la coupure du Plan 15 que les relations entre le
personnage principal et son épouse n'étaient pas
excellentes.
La surprise sonore n'a pas été
verbalisée ; les mimiques de surprise de l'acteur n'ont pas
été citées par les spectateurs.
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Plan 20
|
La porte s'ouvre.
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Montrer la source du bruit précédent.
Laisser planer le doute sur la personne qui ouvre la porte.
Evoquer l'opposition possible entre la personne qui
pénètre dans le bureau, en poussant la porte, avec un besoin
d'ouverture vers l'autre, et le personnage principal surpris qu'on force sa
porte alors qu'il est, sans doute, en phase d'introspection (Jung)
|
Ces images ne sont pas citées mais contribuent
certainement au sentiment de suspense, d'ambiance étrange voire malsaine
que la plupart des spectateurs ont éprouvé : « la
fin est surprenante », « une ambiance assez lourde et
étrange, on croit comprendre et puis hop, on n'est pris au
piège ».
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Plan 21
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M. Neuville regarde vers la porte
|
Laisser planer un suspense sur l'identité de la personne
qui entre dans la pièce.
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L'objectif est atteint. Selon les spectateurs, l'identité
varie sensiblement. Quelques uns apprécient cette ambiguïté
qui attise le suspense.
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Plan 22
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Des jambes de femme s'avancent vers les chaussures de M.
Neuville.
La jupe de la femme est fendue, les chaussures
élégantes. Les jambes s'écartent très
légèrement lorsqu'elles arrivent près des pieds de M.
Neuville
|
Donner quelques informations sur la personne qui entre :
c'est une femme, assez jeune, 30 à 40 ans, élégante avec
une jupe fendue.
Evoquer la possibilité d'un acte sexuel par des images
insistantes sur les pieds et surtout les chaussures de la femme qui
pénètre dans le bureau.
Contrebalancer cette piste par des jambes qui avancent qui
peuvent évoquer soit le désir de faire évoluer une
carrière, soit le rapprochement des corps.
Laisser planer le doute sur l'identité de la femme :
la secrétaire qui vient consoler son patron, une amie ou une soeur, une
maîtresse, etc.
Laisser le spectateur conclure par lui-même.
|
L'objectif est atteint. Ce plan sur de « belles
jambes » de femme met à mal toutes les spéculations
autour d'un homme « froid » mais
« fidèle » en évoquant chez certains
l'adultère, l'érotisme voire la pornographie :
« C'est peut-être la première scène porno qui va
arriver avec le patron et sa secrétaire ». La piste d'une
femme qui profite de la situation est évoquée :
« c'est peut-être la secrétaire qui se fait des
idées maintenant que la voie est libre.. ». Bien que la
secrétaire soit souvent citée, le doute quant à
l'identité de la femme existe chez certains : « On ne
sait pas qui elle est : sa secrétaire, sa maîtresse, une
copine, sa fille ... ? ».
Cette liberté d'imaginer la fin souhaitée par le
réalisateur est bien ressentie : « en fait chacun peut
imaginer ce qui lui plait, c'est bien amené.. »
|
IV- L'analyse des interviews suite à la
diffusion de la version 4 : le mari planificateur404(*)
Le manque de réaction du personnage principal à
l'annonce de la mort de son épouse est le fait le plus remarqué
dans ce début de film : « le moins que l'on puisse
dire est qu'il le prend avec philosophie » (Réunion 1),
« la réaction du personnage est étrange. Il ne
réagit pas » (Réunion 3), « il y a un
décalage entre l'annonce de la mort de sa femme et la réaction du
personnage, je trouve » (Réunion 8). Certains l'expliquent par
le fait que le mari s'attendait à cette nouvelle : « on
dirait qu'il s'y attendait. Elle était peut-être malade depuis
longtemps » (Réunion 8), « Il semble s'y
attendre », « pour cela, il fallait qu'il sache que sa
femme allait mourir » (Réunion 3).
Ce manque de réaction est justifié pour
quelques-uns des spectateurs : « c'est normal. A sa place, je
n'aurais pas eu de réaction non plus » (Réunion 3),
« même si après il picole beaucoup »
(Réunion 1), «ce n'est pas parce qu'il est sans réaction
qu'il est insensible » (Réunion 8),
Le personnage principal est perçu par la plupart des
spectateurs comme étant un chef d'entreprise, un homme d'affaires ou un
cadre : « Ca se voit que c'est un cadre qui travaille dans une
entreprise », « il est peut-être chef
d'entreprise », « ou quelque chose comme cela »
(Réunion 1), « c'est un homme d'affaires »
(Réunion 3).
De nombreux indices sont cités à l'appui de cette
thèse : « Il est tout seul dans son bureau »,
« Il a un mini-bar dans son bureau, et ce n'est pas
courant », « il a un beau fauteuil »,
« en cuir, en plus », « c'est un grand bureau
avec peu d'affaires dessus » (Réunion 1), « c'est
quelqu'un d'important. Il a son propre bureau. Il est bien habillé avec
son petit whisky dans son bar » (Réunion 8).
En revanche, le fait qu'il marche de long en large dans son
bureau est interprété à deux niveaux : -
« c'est quelqu'un qui semble nerveux » (Réunion 3),
- « il s'attendait à recevoir un coup de fil car il marchait
dans son bureau » (Réunion 3). Mais, même à ces
deux niveaux, les avis sont toutefois contrastés : « Il
semble assez calme » (Réunion 1), « je pensais qu'il
attendait un coup de fil professionnel » (Réunion 3).
Dans l'ensemble, les spectateurs ont assez bien observé le
bureau : le bureau est spacieux mais « pas très beau. Il
n'est pas très gai », « il est très
impersonnel, je trouve », « il n'est pas très bien
organisé », « pas bien rangé, non
plus », « avec des posters partout »
(Réunion 3). Dans le bureau, ils ont vu : « des objets
métalliques », « un frigo marron. Des stores ..un
téléphone » (Réunion 8), « un
téléphone blanc également » (Réunion 1).
Certains notent également la présence d'une photographie, dont
nous reparlerons plus loin.
Les éléments du décor intérieur sont
incontestablement ceux qui permettent le plus aux spectateurs de dater la
période où se situe l'action du film. Le téléphone,
le mini-bar, les stores, etc. sont les éléments les plus
indicatifs.
Toutefois, à partir d'un même objet, la datation est
différente selon les participants.
Certains considèrent que l'action du film se
déroule dans les années 90, voire 80 : « à
cause du téléphone », « Le mini-bar est
ancien aussi, sa couleur fait âgée », « oui,
c'est un Philips en plus » (Réunion 1), « le
téléphone et les stores font ringards. La décoration est
vieille » (Réunion 8).
Ces allégations sont contredites par d'autres :
« pas d'accord, son bureau est pas mal du tout, je trouve. Il fait
vrai au moins pas comme dans certains téléfilms où tout
est nickel », « Je pense que cela se passe de nos
jours », « oui, à deux ou trois ans
près », « [le bureau ...fait vraiment
ancien !], pas vraiment, y a des choses plus anciennes que d'autres dans
son bureau, c'est tout », « oui, comme dans tous les
bureaux » (Réunion 8).
D'autres indices temporels sont cités mais moins
fréquemment : la musique, la moustache et les vêtements. Il
est à noter que dans les trois cas, ils viennent confirmer le
caractère éloigné de la période de l'action :
« les vêtements aussi sont un peu anciens », « il [le
personnage principal] n'est pas tendance » (Réunion 1),
« La musique aussi [est ringarde]», « il [le
personnage principal] fait vieux jeu... avec sa moustache surtout »
(Réunion 8),
Ces avis ne sont pas partagés par tous. D'aucuns
considèrent, en partant des mêmes indices, que l'action du film se
passe de nos jours : « de nos jours »,
« oui, en tout cas c'est assez récent »
(Réunion 3).
La personne qui téléphone pour lui annoncer le
décès de son épouse est identifiée comme faisant
partie du milieu des urgences : «c'est un médecin »,
« ça peut être un pompier », « ou
quelqu'un du Samu » (Réunion 1), « en tout
cas, c'est soit un pompier, soit un secouriste, soit un
médecin » (Réunion 3).
Cette croyance tient à certains indices verbaux :
« à la façon de parler », « oui, de
le dire » (Réunion 1), « Il précise qu'ils
ont fait tout ce qu'ils ont pu pour la sauver. Donc ils devaient
l'opérer mais l'opération ne s'est pas bien
déroulée » (Réunion 8).
Seul un spectateur (sur 24) pense à un complice :
« ou alors c'est lui qui a l'a tuée... c'est un
complice » (Réunion 8). Il est alors vertement
contredit : « tu vois trop de films policiers »
(Réunion 8).
En plus du personnage principal et de l'homme qui lui
téléphone, un autre personnage intervient dans ce
récit : une femme (ou un homme ?) qui marche. Seul, un
spectateur pense que « c'est un homme » (Réunion 8).
Les autres participants aux réunions considèrent qu'il s'agit
d'une femme à moins qu'il ne s'agisse de son esprit :
« c'est sûrement sa femme ou alors son esprit »
(Réunion 1). Le lieu où se déroule cette scène est
défini avec imprécision : « un terrain
vague » (Réunion 1), mais plus fréquemment comme un
désert ou une plage, « c'est une plage. Il y avait de
l'herbe », « il y a le flash back à la
plage » (Réunion 3). Pour une participante, il ne s'agit pas
d'un lieu réel et physique : « c'est son imagination.
C'est un lieu symbolique. Ce lieu n'existe pas. » (Réunion 3).
Malgré les commentaires amusés, la participante qui pense que la
personne qui marche est un homme précise sa pensée : l'homme
en question est, en fait à ses yeux, le nouveau veuf :
« je pense que c'est lui qui s'en va dans un désert. Il part
très loin pour s'isoler. A mon avis, c'est un homme ».
Précision qui lui vaut d'être gentiment chahutée :
« mais puisqu'on te dit que c'est une femme avec un
foulard » (Réunion 3).
La femme est décrite comme « assez jeune. Mais
elle est habillée stricte », « elle a un ensemble en
jean, c'est pas strict le jean », « c'est le foulard qui
fait cela » (Réunion 8), « Elle porte un
foulard » (Réunion 3), « un carré »
(Réunion 8).
La femme est, pour le plus grand nombre, l'épouse du
personnage principal : « c'est une femme, bien sûr,
sûrement sa femme qui s'en va » (Réunion 3)
L'interprétation de cette scène est assez
consensuelle et tourne autour du départ et de la mort :
« on la voit disparaître au loin », « oui
pour cet homme, c'est la représentation de sa femme qui s'en
va » (Réunion 1), « C'est une image d'elle qu'il a
parce qu'elle vient de mourir » (Réunion 8).
La plupart des participants aux trois réunions ont
remarqué une photographie placée « sur un
réfrigérateur » (Réunion 3), plus
précisément un mini-bar. Certains d'entre eux ont eu quelques
difficultés à décrire la personne photographiée
allant jusqu'à croire qu'il s'agit d'une photo d'un enfant, d'un homme
ou d'un couple : « je croyais que c'était un
enfant », « j'ai vu une femme et un homme »
(Réunion 3), « il y avait deux personnes sur la photo, je
crois » (Réunion 8). En réalité, il s'agissait
d'une photographie d'une femme blonde, ce qui provoque quelques remarques
amusées : « je crois que tu devrais changer de lunettes, il
n'y avait qu'une femme et sans foulard cette fois » (Réunion
3).
Quelques-uns plus observateurs ou attentifs donnent des
précisions et des appréciations sur le physique de la femme
photographiée : « elle semble plus jeune que
lui », « Ah oui, plus jeune », « mieux
aussi » (Réunion 1), «la photo d'une femme, mignonne,
brune, mieux que lui » (Réunion 8)..
Si les remarques sont vagues et imprécises - la femme
photographiée étant blonde et pas beaucoup plus jeune que le
personnage principal - pour ne pas dire
« imaginées » par les spectateurs (« ce doit
être une photo de vacances » Réunion 3), c'est sans
doute, en grande partie, en raison de la fugacité des images et de
l'absence de gros plan sur la photographie.
Il ne faut qu'un peu plus d'une minute de film pour que les
spectateurs aient une idée de qualité des relations entre le
personnage principal et son épouse. Certains d'entre eux estiment que
les relations devaient s'être distendues avec le temps -
c'était une relation assez distante. Ils vivaient ensemble mais
c'est tout » (Réunion 1), « ça devait
être mitigé », « Sa femme ne devait pas
compter beaucoup pour lui »(Réunion 3) - d'autres imaginent
une longue maladie, « ils étaient très proches mais
l'homme savait que sa femme allait mourir depuis longtemps, à cause d'un
grave maladie, comme un cancer ou quelque chose comme cela »
(Réunion 1), « Elle était peut-être malade depuis
longtemps » (Réunion 8) ; d'autres encore une double vie,
« on dirait qu'il s'en fout. Il a peut-être une double
vie » (Réunion 1).
Les indices qui font dire que les relations s'étaient
relâchées sont plutôt d'ordre gestuel : « sa
réaction d'aller vers la fenêtre est curieuse »,
« c'est sûr qu'il ne semble pas effondré »
(Réunion 3), « sa façon de réagir est
étrange, il ferme les stores, c'est anormal. Pour moi, il n'est pas plus
touché que ça » (Réunion 1).
Toutefois, les mêmes indices génèrent un sens
différent chez d'autres spectateurs : « [sa
réaction d'aller vers la fenêtre est curieuse], non, elle est
symbolique, je pense » (Réunion 3). Quelques-uns resituent ces
indices dans un cadre plus large, celui d'un homme d'affaires, « il
est dans son bureau et c'est un homme d'affaires. Il ne peut pas trop en
montrer aussi », « je le pense aussi »
(Réunion 3). Ce recadrage crée au moins un doute chez
certains : « Il y a un doute donc » (Réunion
5).
En si peu de temps de diffusion, la question est de savoir si les
participants ont reconnu suffisamment d'indices pour classer ce film dans un
genre cinématographique et, dans l'affirmative, quels sont les
éléments codiques qui les ont le plus influencés. De
nombreux participants sont déjà assez
péremptoires : « c'est un drame, sans aucun
doute » (Réunion 5), «pour moi, c'est un
mélo » (Réunion 1), « un
policier » (Réunion 8). D'autres hésitent entre le
drame et le policier, les deux genres les plus cités :
« c'est un drame, policier peut-être mais un drame »
(Réunion 8), « c'est assez tragique. Mais sa réaction
est tellement étrange que ça pourrait être un
policier » (Réunion 1). La référence aux
téléfilms est également fréquente :
« c'est peut-être un téléfilm »,
« oui, ça fait télé ! Une série des
années 90. L'image fait années 90 »,
« ça fait un peu les Feux de l'Amour »
(Réunion 1), « Ca fait Derrick ! »,
« c'est vrai, on dirait un truc allemand », « on
en voit plein à la télé en ce moment »
(Réunion 3). Il n'y a pas de fait générateur
véritable, plutôt une impression générale.
Cela explique probablement que la projection dans le futur et ce
qui en ressort comme possibilités de fin soient assez disparates.
Toutefois, les fins dramatiques semblent être plus attendues que les fins
policières.
Ainsi, certains spectateurs voient le personnage principal se
noyer dans l'alcool : « oui, dans sa bouteille de
whisky », « il va boire », « je le
verrai bien aussi devenir alcoolique » (Réunion 1),
« il va surtout finir son verre et se saouler »
(Réunion 3), « se prendre une bonne cuite »,
« il se saoule dans son bureau », « ou il va
roder dans des bars.. » (Réunion 8)
Quelques-uns imaginent même le pire : « il
va se suicider » (Réunion 3), « il pourrait se
suicider » (Réunion 8). Mais ces hypothèses dramatiques
sont contrariées, aux yeux de quelques participants, par l'attitude
froide et distante du personnage principal : « non, il semble trop
sur de lui » (Réunion 1), « je ne suis pas sûr
qu'il l'aime assez pour cela » (Réunion 3), « [il
pourrait se suicider] ...mais je ne le crois pas tellement il le prend
bien » (Réunion 8).
Aussi, quelques-uns voient plutôt une fin moins brutale,
qui « fait très cliché », au profit d'une
phase de réflexion, de repli sur soi ou sur sa famille :
« il ne réalise pas encore. Il va réfléchir tout
seul », « il va peut-être se noyer dans le
travail » (Réunion 1), « il va
méditer », « il va rester pensif. Il va
réfléchir. Il va rentrer chez lui et prévenir ses
enfants » (Réunion 3), « il a peut-être des
enfants. Alors, il va les voir peut-être » (Réunion
8).
D'autres anticipent une fin qui met en valeur
l'indifférence ou la résignation d'un mari à l'annonce de
la mort de sa femme : « il prend son verre et rentre chez lui,
comme d'hab., c'est tout », « oui, il est tellement
résigné qu'il va finir son verre et puis dormir chez
lui » (Réunion 8).
En revanche, les participants convaincus que le film appartient
au genre policier imaginent une fin bien différente :
« je vois bien un enquête de police », « ou
une tromperie à l'assurance » (Réunion 3).
La diffusion du film de la deuxième partie du film
provoque des réactions variées. La fin est jugée
surprenante par certains, «cliché » pour d'autres. Mais,
paradoxalement, aucun participant ne la trouve décalée par
rapport au début du film, « ça colle bien avec le
début » (Réunion 1), « ça colle bien
avec l'individu » (Réunion 8).
L'association (Froideur du personnage Froideur du comportement
face à la mort) y est pour beaucoup : « il reste toujours
aussi froid, professionnel », « Le personnage reste le
même ... sans réaction » (Réunion 3),
« il n'est pas triste. Maintenant, il peut passer à autre
chose » (Réunion 1).
Mais, la dichotomie générique (film dramatique,
film policier) subsiste. On retrouve, en effet, les deux types de
spectateurs que nous avions mis en évidence avant la diffusion de
la fin : - ceux qui croient en un film dramatique ; - ceux qui optent
pour un film policier. A ces deux catégories, vient s'ajouter,
grâce aux plans de fin, une catégorie de spectateurs qui pensent
à un film d'auteur.
Les spectateurs de la première catégorie trouvent
des justifications au comportement froid du personnage : « elle
est morte d'une longue maladie, donc tous les papiers étaient
préparés », « il est peut-être
assureur » (Réunion 3), « il s'attendait bien
à la mort de sa femme. Il semble avoir tout prévu »,
« c'est un contrat du type « mes dernières
volontés en cas de décès », c'est normal
qu'il le lise », « dans ces circonstances, on ne sait pas
trop comment on va réagir » (Réunion 8). Toutefois,
quelques participants trouvent son comportement cynique, voire choquant :
« il ne perd pas de temps » (Réunions 7 et 8),
« time is money », « sacré mec,
tout de même », « il n'a pas de scrupule, c'est un
peu choquant », « il ne perd pas le nord »
(Réunion 3), «un peu précipité tout de
même », « ce qui me choque c'est la
rapidité qu'il met pour ouvrir son contrat. Il ne prend même pas
le temps de se recueillir » (Réunion 8).
Les tenants du film policier n'en démordent pas et sont
rejoints par un certain nombre de participants influencés par la fin du
film : « cela me semble
prémédité », « c'est pas net. Il l'a
peut-être tué » (Réunion 3), « il a
peut-être supprimé sa femme pour toucher le pactole »,
« je vois bien un détective privé...Il ferait une
enquête ensuite...peut-être un film policier alors.. D'ailleurs en
y réfléchissant, la personne au bout du fil, c'était
peut-être lui ...le détective », « c'est un
film noir. Bon, c'est une question de goût, moi je n'ai pas trop
aimé, il m'a foutu la trouille » (Réunion 8).
En tout état de causes, la fin proposée par le
réalisateur provoque au moins le doute : « c'est une fin
qui jette un doute, tout de même », « je ne pense
qu'il ait tué sa femme, même si son attitude est
troublante » (Réunion 8), « elle met mal à
l'aise », « c'était bizarre »,
« oui, il laisse une impression bizarre », « on
ne cerne pas bien le personnage », « mari sous le choc ou
crapule organisée ? » (Réunion 3).
Cette fin de film fait également évoluer, chez
certains participants - pas tous - les avis sur le genre auquel appartient le
film. Alors que la référence aux téléfilms et
séries télévisuelles était, avant la diffusion de
la fin, assez fréquente (voir plus haut), quelques-uns des spectateurs
reviennent sur leur opinion et évoquent le cinéma d'auteur :
« c'est très conventionnel.. Mais, en même temps,
ça fait cinéma d'auteur avec cette scène dans le
désert.. On ne voit pas d'images comme cela dans les
téléfilms...Là c'est un peu intime...ça doit
être un court-métrage d'auteur », « je suis
assez d'accord, c'est un film d'auteur. Le scénario et les images font
cela, oui », «c'est un bon court-métrage d'auteur :
assez original, je trouve », « en tout cas, il ne laisse
pas indifférent », (Réunion 8).
Il est intéressant de noter que la désignation de
film d'auteur, pour un court-métrage, repose chez cette catégorie
de spectateurs autant sur la structure narrative du film, l'incertitude de la
fin que sur la qualité des images : « c'est un peu court.
En plus, on a beaucoup de choses en si peu de temps.. d'un autre
côté, c'est bien qu'il y ait plein de
pistes », « en tout cas, il ne laisse pas
indifférent », « [c'est inachevé]... mais
c'est à toi de l'achever, c'est voulu », « oui je
suis d'accord, dans ce genre de film, l'auteur ne finit pas
exprès » (Réunion 8).
Loin d'être anecdotique est la remarque d'un spectateur qui
s'appuyant sur le format court et l'histoire qui est relatée dans le
film pense à un message publicitaire au profit d'une compagnie
d'assurances : « c'est peut-être une pub pour les
assurances » (Réunion 1).
Compte tenu de la variété des avis et opinions des
spectateurs que nous venons de présenter, nous allons comparer pour
chacun des plans du film le sens que souhaitait générer le
réalisateur avec celui perçu par les spectateurs comme nous
l'avons fait pour les versions 1, 2 et 3 et comme nous le ferons pour la
dernière version (5).
La musique est identique dans les cinq versions et fut choisie
pour l'ambiance énigmatique qu'elle génère. Le but semble
atteint (« j'ai entendu une musique, ça fait
suspense » (Réunion 3) ») et même si elle ne
plait pas à tout le monde (« cette musique qui revient sans
arrêt, c'est moche... », « c'est fait exprès,
je pense, elle est lancinante » (Réunion 8).
Analyse comparative du sens
Numéro du plan
|
Contenu
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Sens voulu par le réalisateur
|
Sens perçu par les spectateurs
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Plan 1
|
M. Neuville, un cadre supérieur d'une entreprise, marche
de long en large derrière son bureau. Il semble impatient et regarde sa
montre. Le téléphone sonne.
Bruits d'une sonnerie de téléphone
|
Montrer le statut du personnage principal par ses
vêtements (costume, cravate), son stylo, son bureau de directeur :
ameublement fonctionnel, plante verte, moquette, etc.
Le montrer dans une situation initiale, dans laquelle il attend
une nouvelle importante.
Evoquer une nouvelle plutôt heureuse que malheureuse en le
montrant très impatient de savoir.
|
Le personnage principal est, en effet, perçu par la
plupart des spectateurs comme étant un chef d'entreprise, un homme
d'affaires ou un cadre. De nombreux indices sont cités à
l'appui de cette thèse : « Il est tout seul dans son
bureau », « Il a un mini-bar dans son bureau, et ce n'est
pas courant », « il a un beau fauteuil »,
« en cuir», « c'est un grand bureau avec peu
d'affaires dessus », « Il est bien habillé avec son
petit whisky dans son bar ».
En revanche, le fait qu'il marche de long en large dans son
bureau est peu interprété et, en outre, de deux façons
différentes : - « c'est quelqu'un qui semble
nerveux », - « il s'attendait à recevoir un coup de
fil car il marchait dans son bureau ».
|
Plan 2
|
Le téléphone sonne. M. Neuville décroche son
téléphone.
|
Mettre en valeur, grâce au gros plan,
l'événement qui va bouleverser la situation initiale.
|
Les spectateurs semblent avoir plus remarqué l'objet -le
téléphone, en gros plan - que l'événement
lui-même.
|
Plan 3
|
Une voix off masculine neutre dit : « Monsieur
Neuville ? ».
M. Neuville répond « Oui ! »
La voix off poursuit : « Je vous
téléphone pour vous annoncer le décès de votre
femme. On a tout fait pour qu'elle ne souffre pas ».
M. Neuville lui répond : « Merci de
m'avoir prévenu ». Il raccroche.
|
Mettre en opposition l'attitude impatiente, voire
stressée, et dynamique d'un responsable d'entreprise et son comportement
après l'annonce de la mort de sa femme.
Le vouvoiement est le seul élément d'identification
de la personne dont on entend la voix (off).
Evoquer le fait que cet homme a eu un rôle dans les
derniers moments de la vie de la femme et qu'il appartient à un service
hospitalier. Rien n'indique en revanche son statut : médecin,
infirmier ?
Montrer le personnage principal reprendre le contrôle de la
situation par un ton directorial.
Laisser planer le doute sur le fait que cette attitude est comme
une sorte de refuge ou de carapace pour se protéger.
|
Au contraire, c'est le manque de réaction du personnage
principal qui est remarqué voire critiqué par la plupart des
spectateurs. « il y a un décalage entre l'annonce de la mort
de sa femme et la réaction du personnage, je trouve ».
Sans indice autre que celui de la voix (intonation, paroles
prononcées, vouvoiement), les spectateurs identifient la personne qui
téléphone comme faisant partie du milieu des urgences :
«c'est un médecin », « ça peut
être un pompier », « ou quelqu'un du
Samu », « un secouriste ».
Cette croyance tient à certains indices verbaux :
« à la façon de parler », « Il
précise qu'ils ont fait tout ce qu'ils ont pu pour la sauver. Ils
devaient l'opérer mais l'opération ne s'est pas bien
déroulée ».
Cet objectif n'est atteint que partiellement auprès de
certains spectateurs qui voient dans le manque de réaction soit un
flegme tout britannique (d'un moustachu), soit une maîtrise très
professionnelle (en tant que responsable, «il ne peut pas trop en montrer
aussi »), soit la conséquence d'un choc dont le mari sort
« assommé et qui continue machinalement ».
|
Plan 4
|
M. Neuville se dirige vers la fenêtre de son bureau et
commence à ouvrir ses stores.
|
Montrer qu'il a besoin de réfléchir en sortant de
son contexte de travail.
|
Ce plan est interprété très
différemment, parfois d'une manière opposée à ce
que recherchait le réalisateur : « sa réaction
d'aller vers la fenêtre est curieuse », « c'est
sûr qu'il ne semble pas effondré ».
|
Plan 5
|
M. Neuville finit d'ouvrir ses stores et regarde à la
fenêtre. Il observe à ce moment-là une voiture qui passe
avec les feux allumés.
|
Montrer que sa pensée quitte le bureau, pour
l'extérieur, la ville, la nuit.
Evoquer les oppositions lumière/obscurité,
vie/mort, immobilité/mouvement.
|
Apparemment sans effet sur les spectateurs.
|
Plan 6
|
Une femme en tailleur en jean bleu et portant un foulard de type
carré bleu marche en s'éloignant dans des dunes de sable
|
Annoncer, par un fondu enchaîné entre les plans 5 et
6, un flash-back.
Evoquer le temps qui passe, le départ d'une femme seule,
l'éloignement progressif puis la disparition. Evoquer avec les images du
désert la désolation et la stérilité et/ou la
réflexion sur le passé.
|
Le flash back est remarqué par certains et
même apprécié : « ça fait cinéma
d'auteur avec cette scène dans le désert.. »
L'interprétation de cette scène est assez
consensuelle et tourne autour du départ et de la mort :
« on la voit disparaître au loin », « oui
pour cet homme, c'est la représentation de sa femme qui s'en
va », « C'est une image d'elle qu'il a parce qu'elle vient
de mourir ».
|
Plan 7
|
M. Neuville ferme son store et se retourne. D'un air soucieux, il
traverse son bureau.
|
Montrer la fin de quelque chose puis le retour au réel.
Evoquer le passage de l'affectif à l'instinctif ou
à la réflexion et celui du passé au présent.
Montrer que le personnage principal est préoccupé,
soucieux, qu'il a quelque chose d'urgent à faire.
Donner du rythme à ce plan par le panoramique.
|
Les effets ressentis, peu nombreux, sont plutôt
opposés à ceux souhaités par le réalisateur :
« sa façon de réagir est étrange, il ferme les
stores, c'est anormal. Pour moi, il n'est pas plus touché que
ça ».
|
Plan 8
Fin de la première partie
|
M. Neuville se baisse pour ouvrir son minibar. Il en sort une
bouteille.
Bruits de porte et de bouteille.
Il prend un verre dans le meuble situé à gauche du
minibar. Il pose le verre sur le meuble, ouvre sa bouteille et commence
à se servir.
Bruits de capsule de bouteille et de verre.
|
Montrer l'opposition avec le rythme du plan
précédent. Le plan est plus long en plongée alors que le
précédent était un panoramique en contre-plongée.
Donner une impression de lenteur et de décalage avec le
semblant de retour de
dynamisme et de volonté évoqué dans le plan
7.
Donner une impression de pesanteur, de poids à porter ou
de regard de quelqu'un.
Montrer l'habitude prise par M. Neuville de se réconforter
avec de l'alcool : précision des gestes, automatisme.
Evoquer la fin de la première partie par un fondu au
noir.
|
Apparemment sans effet sur les spectateurs.
Cette habitude de boire de l'alcool, proche de l'alcoolisme
professionnel et mondain, est remarquée. « il picole
beaucoup », «c'est un rituel chez lui son verre. Il doit en
boire un tous les soirs ». Cet indice influence la projection
dans l'avenir. Certains spectateurs voient le personnage principal se noyer
dans l'alcool : « oui dans sa bouteille de whisky »,
« il va boire », « je le verrai bien aussi
devenir alcoolique », « il se saoule dans son
bureau », etc.
|
Plan 9
Reprise après la première partie de l'interview
de groupe
|
M. Neuville remplit son verre puis referme sa bouteille de
Chivas. Il la pose sur le meuble, puis se baisse de nouveau pour aller chercher
quelque chose.
|
Montrer sa relation un peu dépendante avec l'alcool par
une prise de vues en plongée.
Insister sur sa marque préférée de
whisky.
Commencer à dévoiler, par un contraste gestuel, le
véritable sujet de ses préoccupations
|
Cette dépendance fut remarquée au plan scène
précédent (voir ci-dessus). Ce plan ne rajoute, semble-t-il, rien
de plus.
La marque de whisky n'est jamais citée.
L'effet de surprise du à ce contraste gestuel provoque
l'étonnement de certains, voire leur désapprobation :
« il ne perd pas de temps », « il ne perd pas le
nord », « un peu précipité tout de
même ».
|
Plan 10
|
M. Neuville sort du meuble, de la main droite, un document puis
le pose sur le meuble.
Bruits d'un document que l'on pose.
|
Dévoiler le véritable sujet de ses
pensées : un dossier.
Laisser un doute sur son contenu par un plan court.
Attirer l'attention des spectateurs.
|
Ce plan atteint l'objectif fixé. Il attire l'attention du
spectateur.
|
Plan 11
|
Le document est un contrat d'obsèques. Il est posé
à proximité d'un cadre avec une photographie en noir et blanc
d'une femme blonde de 40 à 45 ans tenant de la main gauche un
téléphone et de la main droite une boule de billard
numérotée. M. Neuville ouvre le contrat d'Obsèques.
|
Dévoiler rapidement l'objet du dossier.
Evoquer la femme disparue par un objet matériel toujours
présent dans le lieu où vit le personnage principal lorsqu'il
travaille.
Montrer la personnalité de cette femme : ambitieuse,
calculatrice, narquoise, joueuse.
Evoquer par le chiffre 8 soit le monde matériel, soit
l'infini ou l'éternité : de l'amour de l'un pour
l'autre ?
Montrer l'intérêt du personnage principal pour les
choses matérielles, notamment pour le contrat Obsèques.
|
Ce plan est pour beaucoup dans l'interprétation des causes
de la mort de la femme du personnage principal : - une longue maladie
(« elle est morte d'une longue maladie, donc tous les papiers
étaient préparés », « c'est un contrat
du type « mes dernières volontés en cas de
décès », c'est normal qu'il le lise ») ;
- un assassinat (« il a peut-être supprimé sa femme pour
toucher le pactole »).
En revanche, le physique et la personnalité de la femme du
personnage principal ne font pas l'objet de commentaires.
Cet objectif est atteint. Ce plan choque même certains
spectateurs : «ce qui me choque c'est la rapidité qu'il met
pour ouvrir son contrat. Il ne prend même pas le temps de se
recueillir ».
|
Plan 12
|
M. Neuville tourne les pages du contrat
|
Insister sur son comportement en décalage par rapport
à la situation
|
Objectif atteint quoique certains spectateurs justifient ce
comportement : « c'est normal qu'il le lise »,
« dans ces circonstances, on ne sait pas trop comment on va
réagir »
|
Plan 13
|
M. Neuville feuillette le contrat et s'attarde sur une des pages
du document. Il pose un doigt sur la page.
|
Mettre en valeur la concentration et l'énergie qu'il met
dans sa lecture du contrat d'assurance.
Mettre en valeur le fait qu'il cherchait un paragraphe
précis.
|
Ce plan confirme les précédents mais ne semble pas
avoir de conséquences spécifiques hormis le fait qu'il veut se
débarrasser de cette tâche : « il va peut-être
régler ça rapidement et ensuite il aura le temps pour avoir du
chagrin », « Il se débarrasse des papiers tout de
suite ».
Il n'y a pas eu de commentaire relatif à ce point
précis.
|
Plan 14
|
M. Neuville lit avec attention cette page.
|
Insister sur le point qui le préoccupait tant dans le plan
7.
|
Il n'y a pas eu de commentaire relatif à ce point
précis.
|
Plan 15
|
M. Neuville retourne s'asseoir à son bureau avec son verre
à la main..
Bruits de fauteuil. Il pose son verre sur le bureau et sort de
son sous-main un document.
|
Montrer que cette découverte lui redonne vie.
Insister sur le contraste du passage de l'immobilité au
mouvement par un travelling avant.
Montrer la confidentialité et la préparation avec
lesquelles il aborde ses premières heures de veuvage par un changement
d'échelle de plans et la présence d'un document dans son
sous-main.
Montrer par ce plan que le personnage principal est probablement
quelqu'un de bien informer en matière d'assurances.
Laisser planer le doute sur le fait qu'il soit lui-même un
assureur ou un escroc à l'assurance.
|
Ce plan n'est interprété dans ce sens que par
certains : « il n'est pas triste. Maintenant, il peut passer
à autre chose », éventuellement avec une nouvelle
femme. D'où quelques allusions à sa future vie :
« il va dépenser la prime d'assurance au
Bahamas ».
Ce mouvement de caméra ne semble pas avoir eu d'effet
particulier.
Cette allusion est remarquée par un spectateur :
« il est peut-être assureur ».
Le doute est incontestablement jeté, ce qui permet
à certains d'imaginer une suite à ce film : « il va
souscrire une nouvelle police pour sa nouvelle femme »,
« une enquête policière ou d'un détective de la
compagnie d'assurance »
|
Plan 16
|
Il s'agit d'un document de prévoyance capital
funéraire. M. Neuville ouvre le document.
|
Insister sur le contenu de son nouveau document par un gros plan
en plongée.
|
Ce plan confirme ceux qui précèdent.
|
Plan 17
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M. Neuville déplie le document.
|
Montrer que seul le contenu du document intéresse le
personnage principal, qu'en le dépliant il se replie sur
lui-même.
|
Ce plan confirme le caractère froid du
personnage : « il reste toujours aussi froid,
professionnel ».
|
Plan 18
|
Le document semble être déjà rempli
|
Mettre en valeur que tout était prêt. Le
décès de son épouse était en quelque sorte
planifié.
Le contrat de « fin de mariage » rempli et
signé.
|
L'objectif est atteint par une accumulation d'indices
donnés à partir du plan 11.
|
Plan 19
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M. Neuville, assis, lit avec attention le document, les deux
coudes sur la table.
|
Montrer l'avidité du personnage principal, tout au moins
son comportement de gestionnaire plus que celui du mari esseulé.
Laisser le spectateur conclure lui-même de la cause de la
mort de sa femme : maladie, accident ou meurtre ?
|
L'objectif est atteint mais le doute subsiste quant aux mobiles
du personnage principal : - se débarrasser des tâches
administratives au plus vite ; - organiser les obsèques ; -
toucher l'assurance décès : « mari sous le choc ou
crapule organisée ? ».
Cette liberté donnée aux spectateurs est bien
comprise et même appréciée : « c'est
à toi de l'achever, c'est voulu », « dans ce genre
de film, l'auteur ne finit pas exprès ».
|
V- L'analyse des interviews suite à la diffusion
de la version 5 : le mari sans état d'âme405(*)
Ce qui frappe les spectateurs des trois groupes qui ont
visionné cette version N°5, c'est à la fois le manque de
réaction du personnage principal : «le manque de
réaction du personnage est flagrant » (Réunion 5).
L'étrangeté de sa réaction, «sa réaction est
étrange » (Réunion 14) est parfois associée au
fait qu'il s'attendait à une telle nouvelle : « la mort
semblait prévue. Sa réaction est étrange »,
« il me semble peu surpris, c'est vrai. Disons qu'il s'y
attendait » (Réunion 14).
Le personnage principal est correctement décrit aussi bien
dans son aspect physique : « il est
moustachu », « il est grand et assez costaud. Il doit
avoir 50 ans » (Réunion 9), que dans son métier :
« ça a l'air d'être quelqu'un qui a une bonne
situation » (Réunion 5), « il doit être chef
d'entreprise » (Réunion 9), « C'est sûrement
un patron d'une grande boîte ou d'une PME » (Réunion
14).
Son statut professionnel est généralement
associé à des indices vestimentaires et à la taille de son
bureau : « il a son bureau personnel. Il est bien
habillé ». Toutefois, deux participants contestent le fait
qu'il soit un cadre ou un chef d'entreprise en s'appuyant sur les mêmes
indices. L'un d'eux s'appuyant sur le fait qu'une revue est posée sur le
bureau voit le personnage principal en journaliste : « il y a
une revue je crois que j'ai vue. Il est peut être journaliste pour une
revue de management » ; ce à quoi un autre participant
rétorque avec pertinence : « oui, c'est possible, mais
les cadres lisent ce type de magazine, donc... » (Réunion
14).
Un autre participant se fonde sur un élément qui
avait fait la quasi-unanimité - le bureau - pour dire le contraire des
autres : « je ne le vois pas patron. Son bureau est trop
petit » (Réunion 14).
Des incohérences apparaissent également dans les
propos de certains spectateurs, ce que d'autres relèvent non sans
ironie : « - pour quelqu'un qui semble haut
placé, le bureau ne lui convient pas vraiment ; - qu'est ce
qui te fait dire qu'il est haut placé alors ? »
La gestuelle du personnage principal est également
perçue soit comme un indice de possession du bureau, « il a
l'air de bien connaître les lieux » (Réunion 5), soit
comme un indice de son état psychologique. Mais là encore, les
interprétations sont contrastées : pour certains, il est
stressé, « Il a l'air d'être stressé. Il doit
courir à l'info souvent. Il ne sourit pas... », pour
d'autres, « il est trop calme » (Réunion 14). Ces
derniers, plus nombreux, interprètent différemment ce calme
apparent : - « il n'est pas concerné par la mort de sa
femme. Ca n'a pas l'air de le gêner » ; -
« c'est encore à voir. Un homme d'affaires est toujours un peu
comme cela quelles que soient les circonstances » (Réunion 5).
Reste que certains spectateurs ont trouvé le personnage principal
peiné : « Il semblait inquiet aussi. Il attendait cet
appel.. Mais il semble déçu au fond », « il
est contrarié, on dirait » (Réunion 9). Enfin,
quelques-uns le trouvant trop calme imaginent des raisons cachées :
« il est trop calme. Ca cache un truc », « Rien
ne dit que c'est sa femme... », « étrange tout
cela... » (Réunion 14).
Même diversité d'interprétations en ce qui
concerne la personne au téléphone : « c'est un
médecin », « ou peut-être un
parent », « une infirmière »,
« sa maîtresse », « un vieux
pote », « un tueur » ; le
médecin ayant la préférence du plus grand nombre de
spectateurs. Plusieurs points sont à noter : - certains
participants citent « une infirmière » ou
« sa maîtresse » alors que la voix est
masculine ; - les paroles, le rythme et l'intonation de la voix laissent
penser à certains qu'il s'agit d'un proche, « c'est quelqu'un
de proche car elle dit ça très simplement, avec
facilité » et à d'autres, au contraire, « le
coup de fil est trop bref. C'est un médecin. Un parent aurait
parlé plus longtemps » (Réunion 5). Cette voix est
aussi à l'origine de l'impression angoissante qu'éprouvent
certains spectateurs du film : « il y avait aussi cette voix au
téléphone : étrange aussi...Qui est-ce ? On ne
sait pas. Tout est étrange dans ce film, c'est un peu angoissant
même... » (Réunion 14).
En seconde position, après la voix off, « la
femme qui marche dans le sable » est remarquée. Ses attributs
physiques et vestimentaires sont définis sans certitude toutefois:
« c'est une femme, je crois, mais la personne est de dos »,
« elle a une jupe et un foulard » (Réunion 9),
« la femme sur la plage était voilée...enfin il me
semble », « un carré ou un foulard, il n'y a rien de
religieux la dedans je pense » (Réunion 14). Plus incertaine
encore est son identité : « c'est sa femme »
(Réunions 5 et 9), « ou sa maîtresse ... »,
« vous voyez que ce n'est pas clair... » (Réunion
9).
Cette difficulté d'identification explique en partie la
diversité des interprétations de cette scène, allant
de : - l'incompréhension totale, « je n'ai pas compris la
scène dans le désert » (Réunion 9), - à
l'évocation de la maladie et de la mort, « A mon avis,
ça représente la femme malade », « oui, il
savait qu'elle était malade depuis longtemps. Et ça
représente l'éloignement du couple » (Réunion
5), « il la voit partir » (Réunion 9), - à un
souvenir de la vie heureuse avant la maladie, « il pense à sa
femme. C'est plus un au revoir je pense....ou un lointain souvenir d'elle dans
le passé » (Réunion 9).
Dans le bureau, jugé spacieux ou exigu selon les
participants, les objets qui ont attiré l'attention sont le
téléphone, « il y a un téléphone. Il est
important dans l'histoire » (Réunion 5), « oui, il y
a un gros téléphone. Il a plusieurs boutons. Il doit avoir
plusieurs lignes » (Réunion 14) mais aussi un cadre à
photo, une photo de femme dont on ignore l'identité, «mais, est-ce
la sienne ? Mystère... » (Réunion 14), ainsi qu'un
minibar, des stores. Autrement dit, les objets qui sont mis en situation et
valorisés par un cadrage particulier : le gros plan, notamment.
Le bureau ne fait pas l'unanimité et est à
l'origine d'échanges contradictoires : « c'est assez simple
comme décors ; il y a le bureau qui n'est pas
extraordinaire », « je le trouve grand au
contraire », « il n'est pas très bien
rangé », « ah bon, je n'ai pas vu trop de papiers
sur son bureau, c'est rare » : grand vs petit, rangé vs
désordonné, directorial et charismatique vs simple et sans
charisme, avec un téléphone moderne vs avec un
téléphone avec un vieux cadran : « Il manque de
charisme ce bureau », « il y a un téléphone
avec un vieux cadran », « Ah, non, il est moderne je
trouve », « oui, c'est un téléphone, quoi,
avec plusieurs lignes ».
Ces différentiels expliquent les divergences dans la
datation de l'action du film. Selon que le téléphone et le
bureau, notamment, sont jugés actuels ou non, l'action est datée
d'aujourd'hui ou d'il y a dix ans : - « je le trouve bien son
bureau. Non, cela se situe actuellement à deux ans
près » (Réunion 5), « je pense que cela se
passe aujourd'hui » (Réunion 14) ; - « il y a
dix ans. Les couleurs du bureau font dix ans » (Réunion 5),
«pas aujourd'hui. Il n'y a pas d'ordinateur. Dans les années 90
alors... » (Réunion 14). Les avis sont très
tranchés et argumentés : - « c'est comme pour le
téléphone. Je ne sais pas où ils l'ont
trouvé » (Réunion 5), « il n'y a pas
d'ordinateur sur le bureau...C'est un comble aujourd'hui »
(Réunion 14) ; - « qui te dis qu'il n'a pas un portable
high-tech dans un tiroir », « c'est vrai qu'un ordinateur
fixe, ça fait secrétaire maintenant, sortez un peu »
(Réunion 14).
Les plans en extérieur font l'objet d'une double
controverse :
- désert ou plage ? Les avis sont
partagés : « il y a des espaces verts dans ce
désert ...Peut-être une oasis ? », « ce
sont des joncs ou des roseaux. Honnêtement, je ne pense pas que ce soit
un désert », « une plage peut-être. Dans les
Landes, tu as des paysages comme cela.. » ;
- décors naturels ou effets spéciaux ?
« il y a un trucage dans le désert. Il y a un carton
dessiné, je pense.. », « non, je ne pense pas. J'ai
trouvé ça assez naturel. En plus, il y a des espaces verts dans
ce désert ...Peut-être une oasis ? »
(Réunion 14).
En moins d'une minute de film, les spectateurs ont une
idée des relations qu'entretenait le personnage principal avec sa femme.
Toutefois, les avis et les impressions laissés par les premiers plans
sont assez disparates.
Certains pensent que le personnage principal tenait à son
épouse et le montre par son inquiétude puis sa tristesse :
« il avait l'air d'être inquiet », « il
avait l'air assez triste, je trouve » (Réunion 9). D'aucuns
s'appuient même sur le désordre qu'ils jugent apparent de son
bureau pour en conclure que le personnage principal est
désorienté : « [son bureau] il n'est pas
très bien rangé ... on sent tout de même un certain
laisser-aller chez la personne. Il doit être perturbé par sa femme
depuis un moment » (Réunion 5).
Cette impression est contestée par ceux qui trouvent qu'il
est trop calme : « il cache ses sentiments. Il
intériorise peut-être » (Réunion 5). Et plus
encore, par ceux qui estiment qu'il se désintéresse de son
épouse : « cela ne devait pas aller fort »,
« son travail devait passer avant tout. Que fait-il dans son bureau
à ce moment-là ? », « ils étaient
peut-être divorcés » (Réunions 5, 9, 14).
D'autres vont plus loin en imaginant une raison
vénale : « pourquoi, il n'est pas à
l'hôpital avec elle ? Il l'a peut-être
tuée.. », « si ça se trouve c'était un
tueur au téléphone », « oui, enfin, il y a
peut-être une histoire d'argent...Sa femme était peut-être
très riche. », « le fait de dire « on a
tout fait pour qu'elle ne souffre pas ... C'est pas très
net. », « [c'est une phrase de toubib] ou d'un tueur
professionnel... » (Réunion 9).
La musique est, sans conteste, pour quelque chose, dans cette
impression d'étrangeté, voire d'angoisse, que ressentent de
nombreux spectateurs. « il y a une musique
mystérieuse », « un peu envoûtante, chinoise
je crois » (Réunion 9), « il y a une musique assez
lente. Elle correspond à la situation », « lente et
un peu étrange aussi, un peu asiatique, je pense.. »
(Réunion 14).
Il est intéressant de souligner que certains spectateurs
ont perçu des différences (de présence, de rythme) selon
les plans, ce qui n'est pas, en réalité, le cas : «: la
musique est différente entre le début et la fin. Au début,
elle est angoissante quand il marche dans son bureau. Ensuite, la musique est
plus douce » (Réunion 5), « elle apparaît
après l'annonce au téléphone » (Réunion
9).
Certains interprètent cette variation (imaginaire) comme
la marque d'un changement : « [la musique est plus douce], comme
si la mort de sa femme était une délivrance »,
« cela ne veut pas dire pour autant qu'il est heureux, il peut
être soulagé que sa femme ne souffre plus ».
(Réunion 5)
La variété des avis se retrouve dans le classement
de ce film d'un genre cinématographique. Sa très courte
durée fait penser, à quelques-uns, à un
court-métrage ou à un spot publicitaire bien que « non,
c'est trop long pour une pub » (Réunion 5). D'un point de vue
strictement générique, les participants aux réunions
citent : le drame, le policier, le polar, la tragédie avec encore
quelques hésitations chez certains - moi, je pense que c'est
soit un policier soit un drame » (Réunion 14) - voire un refus
de se prononcer encore : « ou le début d'un film,
donc difficile à dire... ».
Viennent ensuite des appréciations plus esthétiques
et artistiques, fondées sur le récit, les moyens utilisés,
le type de montage et le casting : « une série
B », « oui, c'est très banal. Le message est simple
et on voit toujours les mêmes plans » (Réunion 5),
« Ca fait un peu Les Feux de l'amour »,
« oui un peu, d'ailleurs le comédien ressemble à
un acteur américain...de cette série, je crois »
(Réunion 9), « un Derrick », « une série
américaine ou allemande, ou un téléfilm de
l'après-midi » (Réunion 14).
La projection dans l'avenir demandée aux participants fait
apparaître la variété des possibilités. Selon leurs
premières impressions, les participants imaginent
que (Réunions 5, 9, 14) :
- dans le meilleur des cas, celui où il tenait à
son épouse : le personnage principal se précipite à
l'hôpital, téléphone à sa famille et à ses
proches, plonge dans ses souvenirs, se suicide, se saoule puis a un accident de
voiture,
- dans une version neutre : le personnage reprend son
travail comme si de rien n'était, s'occupe des papiers pour le
décès, la succession et/ou l'assurance, etc.
- dans le pire des cas, celui où il ne tenait pas à
son épouse : le personnage principal rejoint sa maîtresse, ou
le tueur de son épouse, le paye : « si c'est le tueur, je
le vois bien appeler la police.. », « il va partir. Il va
peut-être payer le tueur », « oui, je vois bien cela
aussi, il paye le tueur ». (Réunion 5)
Comme pour faire écho à la remarque de l'un des
spectateurs - « ça manque
d'action...Peut-être que ça va commencer... »
(Réunion 14) - la fin proposée par le réalisateur est
jugée brutale et surtout révélatrice de la
personnalité et des sentiments du personnage principal qui, jusque
là, bénéficiait d'une image plutôt favorable.
Il apparaît clairement comme un calculateur :
« Là, on a la preuve qu'il avait prévu la mort de sa
femme. Il avait prévu un contrat », « oui, il tourne
la page en tombant le cadre. A mon avis, ce n'est pas un meurtre, elle
était malade depuis plusieurs mois », « tout
était prévu. Il va toucher les droits. Mais sa femme ne comptait
plus pour lui » (Réunion 9), « c'est
révélateur. Il y a une histoire d'argent. Il sort tout de suite
son contrat d'obsèques », « il y a une histoire de
capital aussi. Sa femme devait avoir des parts dans la boîte »
(Réunion 14).
Pire, il est qualifié d'assassin ou, tout au moins, de
commanditaire : « il a sans doute assassiné sa
femme », «ou anesthésiée »
(Réunion 5), « il ne l'a pas tuée mais peut-être
fait tuer...différence », « le résultat est
le même » (Réunion 14).
Sa gestuelle lui vaut des commentaires désobligeants,
notamment le geste d'ouvrir le contrat d'obsèques et, surtout, celui de
faire tomber le cadre de la photo de son épouse : « c'est
vrai que ce geste n'est pas élégant mais cela rappelle quand on
arrêtait les horloges », « lui, il aurait tendance
à les remettre à l'heure et à remettre les compteurs
à zéro » (Réunion 5), « il tourne la page
en tombant le cadre », « son geste n'est pas
rassurant : il s'en foutait ou voulait se débarrasser
d'elle » (Réunion 9).
Passée la surprise de cette fin assez inattendue et
jugée choquante par certains, quelques participants tentent d'en
diminuer l'effet. Les uns en laissant croire qu'ils s'en doutaient, que cette
fin est fréquente dans les téléfilms et dans les
séries : « je m'en doutais. Ca fait
téléfilm. Le coup de l'assurance, c'est
fréquent ». Les autres tentent de justifier les gestes
incongrus : « c'est peut-être une assurance
obsèques, vous voyez le mal partout », « il ne peut
plus regarder la photo de sa femme, c'est fréquent après un
décès » (Réunion 5).
Cette fin, bien que surprenante, semble respecter le principe de
la continuité narrative : « on dirait une partie
d'échec. Tout semble calculé jusqu'à la fin qui fait un
échec et mat ». Comme pour éviter de trop
montrer ses émotions - ce que d'autres n'hésitent pas à
exprimer : « moi ça me rappelle des films noirs, j'en ai
la chair de poule... », « ou un film sans fin comme parfois
il y en a pour pousser les gens à penser... », « tu
vas mal dormir cette nuit ? » (Réunion 14) - ou pour
paraître désabusés, certains reviennent sur leur
comparaison avec des séries et films télévisuels :
« Columbo ou Les Feux de l'amour »,
« Dallas » (Réunion 9). Mais, cette comparaison
n'est que superficielle selon les participants les plus touchés :
« quoique là, il n'a aucun sentiment on dirait. Dans ces
feuilletons, le mec a parfois quelques remords. Alors que là, il s'en
fout complètement » (Réunion 14).
Compte tenu de la variété des avis et opinions des
spectateurs que nous venons de présenter, nous allons comparer pour
chacun des plans du film le sens que souhaitait générer le
réalisateur avec celui perçu par les spectateurs comme nous
l'avons fait pour les quatre premières versions.
Numéro du plan
|
Contenu
|
Sens voulu par le réalisateur
|
Sens perçu par les spectateurs
|
Plan 1
|
M. Neuville, un cadre supérieur d'une entreprise, marche
de long en large derrière son bureau. Il semble impatient et regarde sa
montre. Le téléphone sonne.
Bruits d'une sonnerie de téléphone
|
Montrer le statut du personnage principal par ses
vêtements (costume, cravate), son stylo, son bureau de directeur :
ameublement fonctionnel, plante verte, moquette, etc.
Le montrer dans une situation initiale, dans laquelle il attend
une nouvelle importante.
Evoquer une nouvelle plutôt heureuse que malheureuse en le
montrant très impatient de savoir.
|
Le statut professionnel n'est pas identifié par tout le
monde, bien que les titres de patron, de chef d'entreprise, de cadre soient
souvent cités. Les objets et le bureau font croire à certains que
le personnage puisse être un journaliste, voire un ouvrier : «
On dirait un bureau d'ouvrier... » (Réunion 14).
Les gestes évoquant son impatience, son attente d'une
information importante à ses yeux sont souvent perçus comme du
stress ou de la forte activité professionnelle.
|
Plan 2
|
Le téléphone sonne. M. Neuville décroche son
téléphone.
|
Mettre en valeur, grâce au gros plan,
l'événement qui va bouleverser la situation initiale.
|
Ce plan atteint son objectif : « il y a un
téléphone. Il est important dans l'histoire ». Le gros
plan est remarqué ; trop peut-être puisqu'il est souvent
associé à l'idée qu'il s'agit d'un téléfilm
ou d'une série.
|
Plan 3
|
Une voix off masculine neutre dit :
« Monsieur Neuville ? ».
M. Neuville répond « Oui ! »
La voix off poursuit : « Je vous
téléphone pour vous annoncer le décès de votre
femme. On a tout fait pour qu'elle ne souffre pas ».
M. Neuville lui répond : « Merci de
m'avoir prévenu ». Il raccroche.
|
Mettre en opposition l'attitude impatiente, voire
stressée, et dynamique d'un responsable d'entreprise et son comportement
après l'annonce de la mort de sa femme.
Le vouvoiement est le seul élément d'identification
de la personne dont on entend la voix (off).
Evoquer le fait que cet homme a eu un rôle dans les
derniers moments de la vie de la femme et qu'il appartient à un service
hospitalier. Rien n'indique en revanche son statut : médecin,
infirmier ?
Montrer le personnage principal reprendre le contrôle de la
situation par un ton directorial.
Laisser planer le doute sur le fait que cette attitude est comme
une sorte de refuge ou de carapace pour se protéger.
|
Ce plan est sans doute pour beaucoup dans les commentaires selon
lesquels le personnage principal a un comportement étrange,
hésitant entre stress et calme, indifférence et peine, froideur
et inquiétude.
La voix off masculine est parfois attribuée
à une femme : infirmière, maîtresse (?)
Le vouvoiement n'est pas remarqué par tous, notamment par
ceux qui pensent que c'est un proche ou « un vieux pote »
au téléphone.
Cette évocation est perçue par ceux qui pensent
à un membre du corps médical ou à un tueur
commandité par le personnage principal. Le médecin a la
préférence du plus grand nombre de spectateurs.
Le fait que soit jugé si étrange le comportement du
personnage vient probablement de là, sa froideur aussi. «Un
homme d'affaires est toujours un peu comme cela quelles que soient les
circonstances ».
Ce doute est réel chez certains, malheureusement
minoritaires : « il cache ses sentiments. Il intériorise
peut-être ».
|
Plan 4
|
M. Neuville se dirige vers la fenêtre de son bureau et
commence à ouvrir ses stores.
|
Montrer qu'il a besoin de réfléchir en sortant de
son contexte de travail.
|
Ce plan n'a pas réellement l'effet escompté. La
gestuelle du personnage principal est perçue soit comme un indice de
possession du bureau, « il a l'air de bien connaître les
lieux », soit comme un indice de son état de stress ou de
suractivité.
|
Plan 5
|
M. Neuville finit d'ouvrir ses stores et regarde à la
fenêtre. Il observe à ce moment-là une voiture qui passe
avec les feux allumés.
|
Montrer que sa pensée quitte le bureau, pour
l'extérieur, la ville, la nuit.
Evoquer les oppositions lumière/obscurité,
vie/mort, immobilité/mouvement.
|
Apparemment sans effet sur les spectateurs.
Apparemment sans effet sur les spectateurs. Ce plan a permis, en
revanche, de situer le moment de la journée au cours duquel l'action se
déroule : « le soir ou très tôt le matin,
c'est une question de luminosité » (Réunion 5)
|
Plan 6
|
Une femme en tailleur en jean bleu et portant un foulard de type
carré bleu marche en s'éloignant dans des dunes de sable
|
Annoncer, par un fondu enchaîné entre les plans 5 et
6, un flash-back.
Evoquer le temps qui passe, le départ d'une femme seule,
l'éloignement progressif puis la disparition. Evoquer avec les images du
désert la désolation et la stérilité et/ou la
réflexion sur le passé.
|
Cette scène a eu moins d'effets que prévu. Les
participants semblent s'être plus attachés à identifier la
femme et le lieu de l'action que de comprendre le sens. La difficulté
d'identification explique en partie la diversité des
interprétations de cette scène, allant de : -
l'incompréhension totale, « je n'ai pas compris la
scène dans le désert », - à l'évocation
de la maladie et de la mort, - à un souvenir de la vie heureuse avant la
maladie.
|
Plan 7
|
M. Neuville ferme son store et se retourne. D'un air soucieux, il
traverse son bureau.
|
Montrer la fin de quelque chose puis le retour au réel.
Evoquer le passage de l'affectif à l'instinctif ou
à la réflexion et celui du passé au présent.
Montrer que le personnage principal est préoccupé,
soucieux, qu'il a quelque chose d'urgent à faire.
Donner du rythme à ce plan par le panoramique.
|
L'effet sur les spectateurs n'est pas net.
Cette évocation peut avoir augmenté le
caractère étrange du comportement du personnage principal aux
yeux de certains spectateurs.
Ce changement de rythme est sans doute pour beaucoup dans la
dichotomie perçue entre calme et stress.
Aucune remarque n'a été faite sur ce
panoramique.
|
Plan 8
Fin de la première partie
|
M. Neuville se baisse pour prendre quelque chose
|
Montrer l'opposition avec le rythme du plan
précédent plus long et en panoramique.
Laisser planer un doute sur ce que le personnage principal
cherche.
Evoquer la fin de la première partie par un fondu au
noir.
|
Aucune remarque n'a été faite sur ce dernier plan
de la première partie mais il a sans doute contribué à
élargir les possibilités de fin imaginées par les
spectateurs qui dévoilent le meilleur et le pire de l'homme.
|
Plan 9
Reprise après la première partie de l'interview de
groupe
|
M. Neuville sort un document d'un meuble de bureau puis le pose
sur le meuble.
|
Montrer l'objet qu'il cherchait dans le plan
précédent.
|
Ce geste est bien remarqué.
|
Plan 10
|
M. Neuville ouvre le document. Il s'agit d'un contrat
d'obsèques situé à proximité d'un cadre avec une
photographie en noir et blanc d'une femme blonde de 40 à 45 ans tenant
de la main gauche un téléphone et de la main droite une boule de
billard numérotée
|
Dévoiler le véritable sujet de ses
pensées : un contrat d'obsèques.
Evoquer la femme disparue par un objet matériel toujours
présent dans le lieu où vit le personnage principal lorsqu'il
travaille.
Montrer la personnalité de cette femme : ambitieuse,
calculatrice, narquoise, joueuse.
|
L'image est suffisamment claire pour modifier radicalement celle
du personnage principal.
Le cadre de la photographie de sa femme est nettement vu. Sa
présence est considérée comme un piège par un
participant : « il y avait quand même le cadre de sa femme dans
son bureau. Donc elle comptait encore pour lui] - ça ne veut rien dire
ça ! C'est peut-être une ruse » (Réunion
9).
|
Plan 11
|
M. Neuville regarde le contrat d'obsèques.
|
Dévoiler rapidement l'objet du dossier. Montrer
l'intérêt du personnage principal pour les choses
matérielles, notamment pour le contrat Obsèques.
|
Ce plan est pour beaucoup dans l'image vénale du
personnage principal.
|
Plan 12
|
Les mains de M. Neuville tournent les pages du contrat
|
Insister sur son comportement en décalage par rapport
à la situation.
|
Ce plan renforce l'effet du plan 11.
|
Plan 13
|
Très gros plan sur les pages du contrat. M. Neuville
s'attarde sur une des pages du contrat
|
Mettre en valeur la concentration et l'énergie qu'il met
dans sa lecture du contrat d'assurance.
Mettre en valeur le fait qu'il y cherchait une information
précise.
|
Ce plan renforce les deux plans précédents. Il
renforce chez certains participants l'idée que la mort puisse ne pas
être naturelle :
« bon, de là à se précipiter vers
son contrat, c'est quand même un peu louche ! Et puis, on insiste
sur le contrat avec un gros plan... » (Réunion 14)
|
Plan 14
|
Gros plan sur les mains et le contrat. M. Neuville ferme le
contrat et tend une main vers le cadre à la photo.
|
Insister sur le point qui le préoccupait tant dans le plan
7.
Mettre en valeur le fait que le personnage principal à
trouver ce qu'il cherchait et qu'il ferme le contrat comme s'il fermait une
page de sa vie.
|
Ce plan renforce le plan 13 et contribue à l'idée
que le personnage principal était préoccupé par le capital
que lui rapporterait la mort de son épouse.
|
Plan 15
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Le cadre tombe sur le contrat.
Bruits de cadre.
|
Mettre en valeur le fait que le cadre tombe sur le contrat.
Laisser planer un doute sur la raison de la chute du cadre :
le mari le fait tomber exprès ou il tombe alors qu'il souhaitait le
prendre en main pour le regarder.
Donner l'impression que quelle qu'en soit la raison : le
dossier est clos...que le cadre est tombé comme la lame d'une guillotine
ou un clap de Fin.
Provoquer un sentiment de malaise et l'augmenter par le plan en
plongée.
|
Cette chute du cadre a frappé les esprits des
participants.
Aucun doute n'est exprimé. La messe est dite, la chute est
le fait du mari. Son geste est jugé très négativement sauf
par un participant qui tente de le comprendre : « il ne peut
plus regarder la photo de sa femme, c'est fréquent après un
décès » (Réunion 5).
Les remarques faites prouvent que le but est atteint :
«ce geste n'est pas élégant mais cela rappelle quand on
arrêtait les horloges », « lui, il aurait tendance
à remettre les compteurs à zéro »,
« il tourne la page en tombant le cadre ».
Ce sentiment est clairement exprimé par certains :
« j'en ai la chair de poule... », « un film sans
fin comme parfois il y en a pour pousser les gens à penser »,
« ça fait réfléchir ». Par d'autres en
utilisant la dérision ou l'humour noir : « [c'est
peut-être une pub pour les assurances], oui possible...avec pour
slogan : pour rester froid à la mort de votre femme,
assurez-vous ! » (Réunion 14)
|
VI- Conclusions des analyses longitudinales des cinq
versions
Les analyses longitudinales des cinq versions font
apparaître un certain nombre de points communs :
- Les divergences d'interprétation sont
fréquentes chez les spectateurs, et cela dans de nombreux
domaines : les objets de décoration, les costumes, les personnages
(leur physique et leur personnalité), le montage, etc. Un même
élément peut non seulement être interprété
différemment selon les spectateurs mais, en plus, dans un sens
opposé à celui souhaité par le réalisateur.
- L'influence des éléments
filmiques sur la construction du sens du film est, selon le
spectateur, à la fois variable dans son contenu et dans sa force. Un
élément jugé primordial par un spectateur peut passer
totalement inaperçu pour d'autres.
- Même lorsqu'ils sont ni vagues, ni ambigus, les signes
sont souvent interprétés de multiples façons par le
spectateur. Leur combinaison au sein d'un plan, d'une
séquence, d'un film en entier est donc polysémique. En revanche,
lorsqu'un signe est très précis, simple, explicite, socialement
reconnu, donc proche d'un signal, il peut bouleverser la cohérence de la
série des significations générées par les autres
éléments filmiques et donc orienter la plupart des spectateurs
vers le sens global du film souhaité par le réalisateur. Une
interprétation commune, ou presque, à tous les spectateurs est
généralement provoquée par un élément
filmique à fort impact, mis en valeur ostensiblement par le
réalisateur et répondant à des normes partagées par
tous. Autrement dit, pour qu'un élément filmique ait l'effet
escompté par le réalisateur, il faut qu'il soit à la fois
mis en valeur, par exemple par un gros plan, et partagé par le
spectateur. Dans le cas contraire, soit il passe inaperçu, soit il est
remarqué mais interprété dans un sens différent.
- Dans un plan, et donc plus encore dans un film, les signes
porteurs de sens sont innombrables. Ils sont généralement
placés avec beaucoup de soin par le réalisateur avec une
intention de communiquer. Or, plus qu'un signe isolé, c'est la
combinaison de ces signes qui est porteuse de sens. Il n'est donc pas anormal
que les plans, et les éléments filmiques, qui ont le plus
d'effets soient généralement ceux qui viennent en
conflit avec ceux qui précèdent.
- Parmi les éléments filmiques qui influent sur la
perception et la compréhension du film par le spectateur, la
structure narrative est l'un plus des importants. Toute
ambiguïté narrative bouleverse le sens global et conduit à
de multiples interprétations.
- En revanche, les plans qui n'ont pas d'effet particulier sur
les spectateurs sont principalement ceux qui préservent la
continuité narrative. Toutefois, il ne faut pas conclure que les plans
«apparemment sans effet particulier» soient inutiles. L'accumulation
par le réalisateur d'éléments filmiques
complémentaires facilite chez le spectateur la construction
progressive du sens, sans préjuger du fait que ce sens soit
celui souhaité par le réalisateur.
- Le faible niveau de connaissances techniques des
spectateurs en matière de codes cinématographiques, de
montage notamment, est surprenant dans une population jeune et d'un niveau
supérieur d'éducation. Les codes filmiques de la bande image,
même les plus classiques et courants, sont peu connus des
spectateurs : par exemple, le fondu au noir. Ce faible niveau est en
complet décalage avec la haute idée que certains spectateurs se
font de leur culture cinématographique.
- Bien que très peu de participants aux groupes de
discussion aient une réelle culture cinématographique, ces rares
spectateurs ont utilisé leurs connaissances pour anticiper la suite du
film, pour construire leur récit, pour classer le film dans un genre et
juger de sa qualité. Il est à noter que leurs avis s'opposaient
fréquemment à ceux des autres spectateurs.
La culture cinématographique des
spectateurs modifie la perception et la compréhension des signes
utilisés par le réalisateur. En conséquence, la perception
filmique est bien une construction complexe de l'esprit dans
laquelle interviennent non seulement les données sensorielles, les
éléments fournis par les sens, mais aussi les connaissances
cinématographiques du spectateur et, plus largement, son
expérience passée, ses attentes, ses motivations, son
affectivité, sa personnalité, son appartenance sociale, etc.
- Chaque spectateur a tendance à créer un
récit qui lui est propre à partir de la même
combinaison d'éléments sensoriels. Pour paraphraser Christian
Metz, on peut dire que « ce n'est pas le film qui est
polysémique, mais le spectateur ».
- L'influence de la culture télévisuelle et les
fréquentes références aux téléfilms et
séries ont tendance à brouiller les interprétations des
éléments codiques du montage cinématographique. La
culture audiovisuelle des spectateurs est très
influencée par la diffusion de fictions en dehors des salles de
cinéma (téléfilms, séries, films en DVD ou en
cassettes, films diffusés à la télévision, etc.) ce
qui explique que les codes de la bande image soient de moins en moins connus ou
apparaissent parfois comme démodés.
- Le fait de ne pas connaître le genre
cinématographique auquel appartient le film avant son
visionnage multiplie les possibilités d'interprétation du sens du
film. Le film a un commencement et une fin contrairement à
l'expérience cinématographique du spectateur. En effet, le
spectateur vient voir un film de métrage déterminé (court,
moyen, long) avec sa personnalité et son expérience de la vie,
visionne le film proposé par le réalisateur du début
jusqu'à la fin. A partir de cette fin, il construit sa propre fin de
l'histoire, histoire qui peut évoluer au cours du temps quitte à
être en décalage complet avec le début du récit
alors oublié.
- Les débats, les échanges lors des discussions de
la fin de la première partie et de la fin du film, ne changent pas
réellement l'interprétation des spectateurs pris individuellement
comme si ces derniers suivaient le fil de leur pensée, le fil du
récit personnel qu'ils avaient construit tout au long du visionnage.
Plus le spectateur avance dans le film, plus il lui est difficile d'accepter un
changement brutal de sens, plus il est nécessaire que le
conflit soit fort avec ce qui précède pour qu'il
détruise son récit pour le reconstruire sur d'autres bases.
Chapitre 5 : L'analyse transversale des cinq
versions
Nous allons procéder à l'analyse des discours tenus
par les spectateurs en tentant d'isoler les différences
d'interprétation plan par plan selon les versions visionnées.
Pour ne pas alourdir la comparaison, nous commencerons par
analyser, plan par plan, les discours tenus après visionnage des
versions 1, 2 et 3. Nous le ferons dans un deuxième temps pour les
versions 4 et 5.
1- Analyse comparative des interviews suite à la diffusion
des versions 1, 2 et 3
A- Le plan 1
Plan
|
Version 1
|
Version 2
|
Version 3
|
1
|
M. Neuville, un cadre supérieur d'une entreprise, est
assis à son bureau. Il consulte un dossier. Son téléphone
sonne (à 10''44). Il dirige sa main vers le combiné.
|
Identique
|
Identique
|
Sens perçu
|
Les éléments identitaires du personnage principal
sont globalement bien compris par les spectateurs : statut, âge,
etc.
En revanche, l'interprétation temporelle des décors
et costumes est très variable.
|
Les éléments identitaires du personnage principal
sont globalement bien compris par les spectateurs : statut, âge,
etc. En revanche, l'interprétation temporelle des décors et
costumes est très variable, ce qui rend la datation de l'action
difficile. L'absence d'un ordinateur et la présence d'un minitel
perturbent un peu plus le datage.
|
Le statut du personnage principal n'est pas aussi bien
identifié que prévu. Des professions telles que celles de vendeur
ou de professeur sont citées. Les indices vestimentaires et les
décors intérieurs sont interprétés de façon
variée. Le bureau fait notamment l'objet d'une interprétation
très contrastée.
|
Dans ce plan identique dans les 3 versions, le réalisateur
souhaitait montrer le statut du personnage principal par
l'intermédiaire de ses vêtements (costume, cravate), son stylo,
son bureau de directeur : ameublement fonctionnel, plante verte, moquette,
etc. Globalement, ce travail sur la norme identitaire a bien fonctionné,
même si la profession du personnage n'a pas toujours été
correctement identifiée, notamment dans les groupes de la version 3.
Nous chercherons dans la suite des plans ce qui a éventuellement pu les
perturber par rapport aux spectateurs des versions 1 et 2.
En revanche, le choix d'un bureau d'aujourd'hui et de l'acteur
principal - un véritable cadre supérieur en activité,
habillé comme son statut de cadre l'impose aujourd'hui - voulus par le
réalisateur pour rendre compte d'une réalité actuelle
n'ont pas convaincu les spectateurs, d'où des écarts dans la
perception du temps. La réalité n'est donc pas perçue
comme telle.
B- Le plan 2
Plan
|
Version 1
|
Version 2
|
Version 3
|
2
|
Le téléphone sonne
|
Identique
|
Identique
|
Sens perçu
|
L'objectif est atteint mais certains spectateurs ont,
étrangement, jugé l'appareil vieillot ce qui les a, entre autres,
trompés sur le moment où se situe l'action. La question qui se
pose est donc de savoir si c'est l'appareil lui-même qui fait ancien ou
si c'est le gros plan qui accentue cet effet : « dans les
Derrick, il y a toujours un téléphone en gros
plan ».
|
L'objectif est atteint mais certains spectateurs ont,
étrangement, jugé l'appareil vieillot ce qui les a, entre autres,
trompés sur le moment où se situe l'action. La question qui se
pose est donc de savoir si c'est l'appareil lui-même qui fait ancien ou
si c'est le gros plan qui accentue cet effet. Le gros plan vieillit la
situation en évoquant la série Derrick.
|
L'objectif n'est que très partiellement atteint. Certains
spectateurs ont, étrangement, jugé l'appareil ancien. Un
spectateur a également conclu en voyant un tel gros plan que le film ne
pouvait être qu'un téléfilm ou une
série : « Le gros plan sur le téléphone,
ça me rappelle la télé ».
|
Le plan 2 est également identique quelle que soit la
version 1, 2 ou 3. L'objectif du réalisateur était clairement de
mettre en valeur, grâce au gros plan, l'événement qui va
bouleverser la situation initiale, de provoquer un conflit, un saut visuel qui
rompe la cohérence (Oakley, 2003) et provoque chez le spectateur au
moins de la surprise.
Le travail sur le contexte sensoriel semble avoir eu l'effet
escompté.
En revanche, l'objet lui-même - le téléphone
qu'utilise actuellement un vrai cadre supérieur - et la taille du plan
choisie pour accroître l'effet dramatique ou créer une tension ont
eu des effets paradoxaux d'une part sur la datation de l'histoire et du film,
d'autre part sur le classement de ce court-métrage dans la
catégorie des séries télévisuelles.
C- Le plan 3
Ce plan est le premier qui différencie les versions 1, 2
et 3.
Le réalisateur travaille plusieurs contextes à la
fois (des normes, des positions, des relations, etc.) en jouant sur la voix
féminine ou masculine, avec ou sans accent, le tutoiement vs
vouvoiement, les bruits hors champ, la musique évocatrice du Parrain
ou non, etc.
Les spectateurs perçoivent et interprètent
correctement ces éléments
Plan
|
Version 1
|
Version 2
|
Version 3
|
3
|
Voix off d'une femme dans un hôpital
|
Voix off d'un homme à l'accent sicilien, musique du
Parrain, Bruits d'une aérogare
|
Voix off d'une femme qui tutoie le personnage principal
|
Sens perçu
|
Le vouvoiement et les bruits hors champ d'un hôpital ont
permis l'identification de la personne à la voix off , sans
toutefois lui donner un statut exact comme c'était souhaité par
le réalisateur. Le statut de secrétaire est peu cité.
|
Le vouvoiement, les bruits hors champ d'un lieu public
(aérogare, gare ou hall d'hôpital), l'accent étranger de la
voix off ont permis aux spectateurs d'identifier la personne au
téléphone comme étant soit quelqu'un d'un hôpital
(en France ou en Italie), soit un tueur à gages. Cette dernière
hypothèse est, néanmoins, la plus citée, comme le
souhaitait le réalisateur. De même que le bruit de fond d'une
aérogare qui évoque pour certains la fuite du tueur
après son forfait. L'accent « italien » est
nettement remarqué et associé fréquemment à la
mafia. En revanche, la musique du Parrain n'est perçue que par un seul
participant (sur 24).
|
Le fait que la femme au téléphone ne se
présente pas et tutoie le personnage principal a eu un effet
incontestable et conduit un bon nombre de spectateurs à suspecter une
relation extraconjugale entre elle et le personnage principal.
La façon de parler de la femme au téléphone
est également remarquée mais par moins de spectateurs :
« Ce n'est pas naturel ».
Le doute sur l'identité de la femme au
téléphone est créé dans l'esprit de quelques uns
des spectateurs.
|
La question est de savoir si ce plan n°3, très
différent, selon la version, va modifier la compréhension de la
suite du film ou non.
D- Le plan 4
Plan
|
Version 1
|
Version 2
|
Version 3
|
4
|
Identique à la version 3 : M. Neuville reste un
moment silencieux
|
M. Neuville reste un moment silencieux (mais avec voix off et
musique suggestives)
|
Identique à la version 1 : M. Neuville reste un
moment silencieux
|
Sens perçu
|
Cet effet est peu perçu par les spectateurs qui, pour la
plupart, trouvent que le personnage est assez insensible.
En revanche, un assez grand nombre de spectateurs sont
choqués de la brutalité avec laquelle l'hospitalier annonce la
nouvelle. Cette brutalité peut avoir atténué le jeu de
l'acteur
|
Cet effet est peu perçu par les spectateurs qui, pour la
plupart, trouvent que le personnage est assez insensible et froid.
Certains pensent qu'il se doutait de la nouvelle soit parce
qu'il avait commandité le meurtre, soit parce que sa femme était
dans un état désespéré.
|
Cet effet est peu perçu par les spectateurs qui, pour la
plupart, trouvent que le personnage est assez froid voire étrange.
Certains pensent qu'il se doutait de la nouvelle soit parce que sa femme
était dans un état désespéré, soit parce
qu'il avait lui-même commandité le meurtre. Le doute est donc
créé.
|
Dans ce plan 4, le réalisateur (quelle que soit la
version) voulait montrer en gros plan la réaction du personnage face au
changement de situation. Son travail et le jeu de l'acteur ne sont pas
suffisants pour modifier le sens induit par le plan précédent.
L'insensibilité perçue du personnage fait, en quelque sorte,
l'objet d'une rationalisation chez la plupart des spectateurs.
Version 1 : il est insensible car il est choqué par
la nouvelle qu'il vient d'apprendre et la brutalité avec laquelle elle a
été annoncée ;
Version 2 : il est insensible parce qu'il attendait qu'on
lui annonce ce qu'il avait prémédité ;
Version 3 : il est insensible parce qu'il s'y attendait.
E- Plan 5
Plan
|
Version 1
|
Version 2
|
Version 3
|
5
|
Voix off féminine s'impliquant :
« nous »
|
Voix off masculine
s'impliquant « nous»
|
Voix off féminine et tutoyant ne s'impliquant pas
« ils »
|
Sens perçu
|
Le jeu de l'acteur a influencé peu de spectateurs,
« il n'est pas très expressif (...) »
|
Le jeu de l'acteur a influencé peu de spectateurs qui le
trouvent majoritairement froid, insensible, distant.
|
Le jeu de l'acteur n'a influencé aucun spectateur.
Majoritairement, les spectateurs trouvent la réaction du personnage
distante et anormale.
|
Ce plan n'a pas eu d'effet spécifique, il n'a fait,
semble-t-il, que consolider les interprétations
précédentes quant aux sentiments du personnage principal et
à l'identité de l'appelant :
Version 1 : une femme appartenant à un service
hospitalier,
Version 2 : un homme appartenant probablement à la
maffia,
Version 3 : une femme que le personnage principal semble
bien connaître.
Les trois plans suivants (6, 7, 8) sont identiques quelle que
soit la version. La construction des trois histoires différentes par les
spectateurs va-t-elle en être bouleversée ?
F- Plan 6
Plan
|
Version 1
|
Version 2
|
Version 3
|
6
|
M. Neuville répond : « Merci de m'avoir
prévenu ». Il se lève vers les stores de sa
fenêtre. Il commence à ouvrir ses stores
|
Identique
|
Identique
|
Sens perçu
|
Certains spectateurs ont bien compris la maîtrise dont
faisait preuve le personnage, ce qui leur permet de moins mal le juger.
En revanche, le fait qu'il se lève pour aller à la
fenêtre est peu interprété.
|
La plupart des spectateurs considèrent qu'il n'a jamais
perdu de sa superbe. Il reste donc égal à lui-même :
indifférent, comme insensible.
|
La plupart des spectateurs considèrent qu'il n'a jamais
réagi affectivement. Il reste donc égal à
lui-même : indifférent, comme insensible.
|
Ce plan identique dans les 3 versions avait pour but de montrer
le personnage reprendre le contrôle de la situation par un ton
directorial, de montrer qu'il a besoin de réfléchir en sortant de
son contexte de travail.
Les spectateurs sont influencés non pas par le plan
lui-même identique dans les 3 versions mais par ceux qui
précèdent et notamment par l'interprétation qu'ils ont
faite du plan 3 et dans une moindre mesure des plans suivants.
Version 1 : le personnage fait un effort sur lui-même,
il est touché par la nouvelle ;
Version 2 : le personnage a probablement commandité
le crime et garde son sang froid ;
Version 3 : le personnage reste imperturbable ; il s'y
attendait, le bref message n'est pas le
premier à moins qu'il ait
été prévu à l'avance.
G- Plan 7
Plan
|
Version 1
|
Version 2
|
Version 3
|
7
|
M. Neuville ouvre complètement ses stores et regarde
à la fenêtre
|
Identique
|
Identique
|
Sens perçu
|
La plupart des spectateurs doutent ou l'interprètent comme
de l'indifférence.
|
Ce premier plan d'une suite évocatrice n'a pas eu les
effets escomptés.
|
Ce premier plan d'une suite évocatrice n'a pas eu les
effets escomptés. Il contribue seulement à accentuer
l'étrangeté du personnage.
|
Ce plan identique dans les 3 versions avait pour but de montrer
que la pensée du personnage quittait le bureau, pour l'extérieur,
la ville, la nuit. Le réalisateur comptait également
évoquer l'opposition lumière/obscurité, vie/mort, ce que
les spectateurs n'ont, semble-t-il, pas compris.
En revanche, nombreux sont ceux qui sont pris par le doute. Ils
s'interrogent y compris pour la version 1 sur les sentiments réels du
personnage.
Le caractère abstrait du plan conduirait à la
réflexion, voire à la remise en cause de l'interprétation
de la suite des plans précédents. Comme si la norme culturelle ne
supportait pas qu'un homme malheureux se lève pour regarder à la
fenêtre.
Version 1 : le personnage a un comportement
« anormal » dans son malheur donc est-il réellement
malheureux ?
Version 2 : le personnage a un comportement compatible avec
son image (de commanditaire d'un meurtre).
Version 3 : le personnage a un comportement vraiment
étrange, cela doit cacher quelque chose.
H- Plan 8
Plan
|
Version 1
|
Version 2
|
Version 3
|
8
|
Une femme en tailleur en jean bleu et portant un foulard de type
carré bleu marche en s'éloignant dans des dunes de sable
|
Identique
|
Identique
|
Sens perçu
|
L'interprétation est très variable allant de
l'incompréhension totale, au doute, à l'identification d'un
flashback ou, à l'opposé d'un flashforward,
jusqu'à une interprétation correcte du plan.
|
Interprétation très variable allant de
l'incompréhension totale, au doute, à l'identification d'un
flashback ou d'une évocation d'un départ sans retour.
|
Ce plan a été apprécié
esthétiquement. Son interprétation est assez
consensuelle et tourne autour du souvenir, du départ, de la mort,
de l'au-delà, de la délivrance après une longue maladie.
|
Le réalisateur voulait par ce plan, identique dans les
trois versions (1, 2, 3), évoquer le temps qui passe, le départ
d'une femme seule, l'éloignement progressif puis la disparition. Il
avait choisi d'évoquer le désert dans le sens classique du
cinéma américain, dans lequel le désert est, en effet,
« un lieu de souffrance, d'accident, de danger, de mort ou
d'échec (...) C'est aussi le décor où se déroule
une épreuve de force imposée à l'homme (...) Le
désert punit, purifie et permet de revivre » (Cieutat, 1991,
p.261-262).
La durée de ce plan, 19 secondes, en fait le plan le plus
long du court métrage. Le panorama et la suite de sept fondus
enchaînés ne sont pas identifiés. Certains parlent de
sauts, d'autres de ralenti, ce qui est erroné. En
revanche, d'assez nombreux spectateurs ressentent des effets proches
(flashback, flashforward, rêve, etc.) de ceux décrits par
les théoriciens. Le fondu enchaîné « marque
généralement un court changement de temps, une durée sans
influence sur l'action » Jullier (2002, p.54). Dans ce plan, ils sont
assez longs et fréquents, un peu comme dans le film Une place au
soleil, dans lequel le réalisateur Georges Steven (1950) voulait
rendre compte de l'état psychologique de son héros présent
physiquement mais ailleurs en pensée. Le fondu enchaîné
est, en outre, parfois utilisé pour introduire un rêve ou un
souvenir, un flash back (retour en arrière).
Les disparités dans les interprétations sont dues
vraisemblablement à celles en matière de culture
cinématographique, non pas théorique - car de ce point de vue
elle est, sauf rares exceptions, très faible d'où les confusions
terminologiques - mais spectatorielle, autrement dit la culture acquise en
visionnant plus ou moins de films et de téléfilms.
I- Plan 9
Plan
|
Version 1
|
Version 2
|
Version 3
|
9
|
M. Neuville ferme son store et se retourne
|
Un peu plus long que dans les 2 autres versions
|
Identique à la version 1
|
Sens perçu
|
Peu de spectateurs ressentent l'effet souhaité par le
réalisateur. Cependant ce plan n'est pas passé totalement
inaperçu : « il a l'air d'être très investi
dans son travail », etc.
|
Aucun spectateur ne le ressent vraiment.
|
Aucun spectateur ne le ressent vraiment. Les spectateurs ne
voient que l'étrangeté du comportement du personnage.
|
Le réalisateur, par ce plan, souhaitait montrer la fin de
quelque chose puis le retour au réel.
Dans la version 2, il souhaitait, grâce à un plan
plus long, laisser apparaître que le personnage esquisse un léger
sourire.
Ce plan ne semble pas avoir d'effet spécifique, il ne fait
qu'assurer la continuité du récit et de sa construction par le
spectateur. Le cadre supérieur débordé ressort bien dans
la version 1, le personnage étrange et ambigu dans la version 3.
J- Plan 10
Plan
|
Version 1
|
Version 2
|
Version 3
|
10
|
Un cadre avec une photographie est posé sur un meuble de
bureau long et bas. La photographie est celle d'une femme de 35-40 ans, brune
|
Plan plus long, en gros plan, femme blonde
|
Identique à la version 1.
Femme brune en photo
|
Sens perçu
|
La photographie est nettement remarquée. En revanche, son
interprétation est variable quant aux critères d'âge, de
physique et de couleur de cheveux. Le statut de la personne en photo est
également variable selon les spectateurs. Il s'agit selon eux soit de la
femme du personnage principal, soit de sa maîtresse, soit de sa fille
|
La femme photographiée est correctement
décrite : « blonde », « l'air
coquine », « 40 à 45 ans »,
« avec un sourire bizarre ; elle tient une balle de tennis et le
nargue ». En revanche, sa relation avec le personnage principal est
moins certaine : « sa maîtresse »,
« sa femme », « sa fille », « sa
mère »...
|
La photographie fait l'objet de deux controverses : - l'une
concerne la période à laquelle elle a été prise ; -
la seconde concerne le lien entre la femme marchant dans le sable et celle en
photographie. Certains spectateurs se posent des questions quant à leur
statut : « femme » ou
« maîtresse » ?
|
Dans les versions 1 et 3, il s'agissait d'évoquer la femme
disparue par un objet matériel toujours présent dans le lieu
où vit le personnage principal lorsqu'il travaille.
Dans la version 2, ce plan est plus long et tente de
révéler quelques traits de la personnalité de cette
femme : ambitieuse, calculatrice, narquoise, joueuse.
Quelle que soit la version, il est intéressant de noter
que l'incertitude apparaît nettement quant aux relations conjugales ou
extraconjugales ou encore filiales entre le personnage principal et la femme
photographiée. Le fait que la photographie soit en noir et blanc a pu
modifier le contexte sensoriel d'où, pour certains spectateurs la
conclusion que la femme photographiée était plus jeune (fille,
maîtresse) ou plus vieille (mère, épouse) que le personnage
principal.
Bien que la femme photographiée soit plus jeune (35-40
ans) dans les versions 1 et 3 que dans la version 2 dans laquelle elle a 40-45
ans, cela n'a pas d'effets mécaniques puisque, dans la version 2, il
paraît plausible que la femme photographiée soit la fille du
personnage.
En revanche, il est intéressant de noter que la
construction du récit par le spectateur n'est pas perturbée par
ce plan qui est toujours intégré dans une certaine logique de
continuité.
Version 1 : le cadre débordé a sur son bureau
une photographie probablement de son épouse (peut-être de sa
maîtresse ou de sa fille)
Version 2 : le personnage qui est vraisemblablement le
commanditaire d'un meurtre a sur son bureau la photographie, sans doute, de sa
maîtresse (peut-être de sa femme, fille ou mère)
Version 3 : le personnage est tellement étrange qu'on
hésite vraiment entre la femme et la maîtresse
K- Plan 11
Plan
|
Version 1
|
Version 2
|
Version 3
|
11
|
M. Neuville s'avance en direction du meuble de bureau
|
M. Neuville s'avance en direction du meuble sur lequel est
posé le cadre. Plan plus court que dans les 2 autres versions
|
Identique à la version 1
|
Sens perçu
|
Apparemment sans effet particulier sur les
spectateurs
|
Apparemment sans effet particulier sur les spectateurs
|
Apparemment sans effet particulier sur les spectateurs.
|
Le réalisateur voulait, dans les versions 1 et 3, montrer
l'attirance quasi-magnétique de la photographie pour le personnage
principal. Il souhaitait également évoquer le fait que la photo
de cette femme redonnait de l'énergie au personnage principal
grâce à un panoramique. Dans la version 2, il souhaitait, en plus,
donner par un plan plus court et un montage différent (la fin de la
marche, plutôt que le début) une impression de
décontraction au personnage, en accentuant également sa
démarche féline.
Il n'est pas possible de conclure en l'absence d'influence. Elle
n'a pas été verbalisée sur ce plan précis. La
question est de savoir si ce plan n'a pas contribué à la
construction du sens global du film, sachant que les 4 derniers plans de la
première partie du court métrage sont quasi identiques.
L- Plan 12
Plan
|
Version 1
|
Version 2
|
Version 3
|
12
|
M. Neuville se baisse
|
Identique
|
Identique
|
|
Apparemment sans effet particulier.
|
Apparemment sans effet particulier.
|
Apparemment sans effet particulier
|
L'idée du réalisateur était de donner du
rythme par un plan très court montrant une action singulière dont
on ne connait pas encore la raison. En réalité, ce plan 12 ne
contribue certainement qu'à consolider la construction du sens global.
Ainsi, dans la version 3, mais comme dans le plan précédent, il
peut avoir accentué l'image du personnage («sa gestuelle est
étonnante ») et son caractère étrange.
M- Plan 13
Dans les trois versions, le réalisateur souhaitait mettre
en valeur un objet associé à un besoin urgent à
assouvir : le besoin de boire. Dans la version 2, par un plan plus court,
il voulait suggérer par les gestes du personnage et leur
précision une certaine habitude de se servir un verre.
Plan
|
Version 1
|
Version 2
|
Version 3
|
13
|
Gros plan sur un minibar de bureau. La main de M. Neuville ouvre
le minibar et en sort un verre et une bouteille. Il ferme la porte du minibar.
Des bruits de bouteille et de porte de minibar accompagnent les gestes
|
Gros plan sur un minibar de bureau. La main de M. Neuville ouvre
le minibar et en sort un verre. Sa main plonge dans le minibar comme pour
chercher une bouteille. Bruits de bouteille et de porte de minibar accompagnent
les gestes. Plan plus court
|
Identique à la version 1
|
Sens perçu
|
Quelques spectateurs le remarquent mais plutôt comme un
vice habituel : « ça me semble un rituel quotidien chez
lui. Il doit aimer boire son verre chaque jour ».
L'association alcool-tristesse n'est donc pas
vraiment perçue.
|
Quelques spectateurs le remarquent. L'association
alcool-tristesse n'est perçue que par quelques spectateurs qui voient
le
personnage principal se noyer dans l'alcool. En revanche,
l'alcoolisme mondain et cette mauvaise habitude au travail ne sont pas
perçus.
|
Quelques spectateurs le remarquent mais pour mieux critiquer le
comportement du mari.
|
Ce plan donne du personnage principal, mais uniquement dans les
versions 1 et 2,
une image légèrement différente des plans
précédents. Il l'humanise en montrant ses faiblesses. Ce qui
n'était pas le but véritable, il faut l'avouer...
Version 1 : le cadre débordé qui est sans
doute malheureux de la mort de son épouse, qui maîtrise ses
réactions affectives et son stress en abusant
régulièrement d'alcool.
Version 2 : le personnage qui est vraisemblablement le
commanditaire d'un meurtre et qui, pour certains, semble avoir quelques remords
qu'il tente de noyer dans l'alcool.
Version 3 : le personnage est vraiment étrange y
compris en se préparant à boire de l'alcool.
N- Plan 14
Dans les versions 1 et 3, il s'agissait de montrer
l'énergie dépensée par le personnage et la
précision de ses gestes. Dans la version 2, le réalisateur
voulait mettre en valeur la précision des gestes du personnage
principal mais, également, évoquer par le bruit de la porte une
certaine brutalité et, grâce à un fondu
enchaîné, une ellipse temporelle pour laisser un doute sur ce
qui se passe pendant ce temps sans image. Or, le fondu enchaîné
est ni interprété, ni même remarqué.
Plan
|
Version 1
|
Version 2
|
Version 3
|
14
|
M. Neuville ouvre sa bouteille
|
La main de M. Neuville ferme la porte du minibar. Bruits de porte
du minibar. Plan plus court et gros plan
|
Identique à la version 1
|
Sens perçu
|
Dans la suite du plan précédent, certains voient
davantage les habitudes d'alcoolisme « mondain » mais ils
sont minoritaires.
|
Apparemment sans effet particulier sur les spectateurs.
|
Apparemment sans effet sur les spectateurs. Ce plan ne fait que
confirmer les critiques à l'égard du personnage principal.
|
Autrement dit, ce plan n'apporte pas véritablement de
complément de sens mais ne fait que confirmer le sens construit
jusqu'alors.
O- Plan 15 (Fin de la première partie)
Plan
|
Version 1
|
Version 2
|
Version 3
|
15 (A)
|
Il se sert un verre à proximité du cadre de la
photographie
|
M. Neuville bouge les épaules verticalement à
plusieurs reprises comme s'il avait une crise de sanglots
|
Identique à la version 1
|
Sens perçu
|
Apparemment sans effet particulier sur les spectateurs. Il ne
fait que confirmer ce qu'ils pensaient
|
Effet nettement remarqué : «On avait
l'impression qu'il pleurait, de dos... ».
|
Pas l'effet escompté. Il ne fait sans doute que confirmer
ce qu'ils pensaient du mari depuis le plan 13 : « Il trinque devant
la photo de sa femme et semble délivré ».
|
Dans les versions 1 et 2, le but du réalisateur
était de montrer le lien entre ce besoin de boire de l'alcool et les
retombées de l'annonce de la mort de sa femme.
Tandis que dans la version 3, le plan qui est très
différent devait faire croire en de la tristesse, du chagrin tout en
laissant planer une incertitude par une prise de vues
particulière : le personnage est filmé de dos ce qui
supprime toute expression du visage.
Dans les versions 1 et 3, ce plan confirme les
interprétations faites jusque-là.
Version 1 : le cadre débordé qui est sans
doute malheureux de la mort de son épouse, qui maîtrise ses
réactions affectives et son stress en abusant
régulièrement d'alcool.
Version 3 : le personnage est vraiment étrange y
compris en buvant un verre devant le portrait de sa femme.
En revanche, dans la version 2, ce plan est porteur d'un message
fort qui peut remettre en cause l'image du personnage. Le plan est
majoritairement interprété comme le souhaitait le
réalisateur : «On avait l'impression qu'il pleurait, de
dos... ».
Seul, un spectateur émet un doute sur la
réalité du chagrin du personnage en faisant
référence à sa culture cinématographique :
« il remue son shaker comme Charlie Chaplin dans un film où il
est de dos et on a l'impression qu'il pleure parce que sa femme a eu un
accident et en fait il se fait un cocktail ». Or, le
réalisateur avait repris l'idée de Chaplin lors de la
rédaction de l'un des scénarii.
Concernant la version 2, dont le dernier plan jette le doute sur
le rôle exact du personnage dans la mort de son épouse
(commanditaire du crime ou non), la question qui se pose avant d'analyser les
résultats du test de l'histoire à compléter est donc de
savoir si l'impact de ce plan a été suffisant pour modifier le
sens global de la première partie.
Q- La comparaison des résultats aux tests de l'histoire
à compléter
Avant de poursuivre l'analyse comparative plan par plan, nous
pouvons comparer les fins des récits imaginées, construites par
les spectateurs de chaque version.
Avec les mêmes éléments filmiques en
tête, les spectateurs envisagent, selon l'interprétation qu'ils en
ont faite, des fins dont la diversité peut étonner compte tenu de
la logique qui semblait la leur.
Comparaison des résultats du test de l'histoire
à compléter
Version 1
|
Version 2
|
Version 3
|
Les fins du film imaginées par les spectateurs
après le fondu au noir du plan 15 sont très diverses :
- certains voient la tristesse et la solitude du mari. Deux
d'entre eux vont jusqu'à penser au suicide.
- D'autres imaginent une machination et une enquête
policière
- D'autres encore voient le mari se reprendre, se remettre
rapidement ou, au contraire, se remonter le moral avec de l'alcool
- Certains pensent qu'il fera appel à quelqu'un et
évoquent l'hypothèse qu'il appelle sa maîtresse
|
- Certains imaginent un suicide
- D'autres voient le personnage principal se noyer dans
l'alcool
- D'autres pensent qu'il va reprendre sa vie routinière et
bien réglée, éventuellement après un moment de
tristesse
- D'autres encore, majoritairement des participants de sexe
masculin, imaginent une vie extraconjugale qui apparaît au grand
jour
- Quelques uns, dans une perspective de film policier, croient en
un meurtre
avec deux options possibles :
- soit une suite d'aventures, d'actions et de courses
poursuites,
- soit une séquence émotion et remords
- soit un mélange de remords et de vengeance.
|
Les différentes fins proposées sont :
- le personnage principal gère sa vie comme ses affaires,
en agissant plus qu'en regardant le passé
- le personnage principal vit mal la mort de son épouse et
veut mettre fin à ses jours : suicide ou alcoolisme
- Certains pensent que l'histoire est trop étrange, pour
qu'une surprise n'ait pas lieu comme l'apparition d'une maîtresse,
etc.
|
Le diagramme des fins possibles selon les
versions
Solitude
V1 : cadre débordé
Tristesse de longue
durée
Tristesse de courte durée
V2 : probable
commanditaire
Remords
V3 : personnage étrange
Suicide
Alcoolisme
Maîtresse
Enquête
policière
Vengeance
Retour à la vie
normale
Autres fins
Le tableau comparatif des résultats aux tests de
l'histoire à compléter et le diagramme des fins possibles mettent
en évidence plusieurs phénomènes :
1) La version la plus banale, c'est-à-dire la version 1,
est celle qui fait l'objet de la plus grande variété de fins.
Trois explications peuvent être proposées :
- l'absence de véritable intrigue peut entraîner un
doute sur la réalité de la situation présentée, le
spectateur étant habitué à ce qu'un film raconte une
histoire qui sorte de l'ordinaire.
- Cette version apporte le moins d'informations précises,
le moins d'indices sur lesquels les spectateurs peuvent s'appuyer. Le test de
l'histoire à compléter peut alors être
considéré comme proche d'un test projectif. Or, on sait que ce
type de technique repose sur l'acte perceptif et que la perception n'est pas
une réception passive. C'est un « acte de la conscience, une
construction personnelle dans laquelle le degré d'implication du sujet
(ici le spectateur) varie en proportion inverse de l'information fournie par
l'objet. Plus celui-ci (le film) est clair, net et précis, moins
l'apport du sujet (le spectateur) est important. Au contraire, plus il est
vague et flou, plus il nécessite d'efforts pour qu'on lui trouve un
sens » (Sillamy, 1983, p.528).
- Le plan 7 au cours duquel le personnage principal ouvre
complètement ses stores et regarde à la fenêtre a - en
raison de son caractère abstrait et de son décalage par rapport
aux normes socioculturelles habituelles - fait douter de la
sincérité des sentiments du mari troublé par l'annonce de
la mort de son épouse. Un homme malheureux qui se lève pour
regarder à la fenêtre est forcément suspect, semblent nous
dire certains spectateurs. D'aucuns suivent leur idée en imaginant, sans
qu'il y ait le moindre indice dans le film qui puisse y faire penser, en la
double vie du personnage principal. Nous n'irons pas jusqu'à dire que ce
plan de la fenêtre soit une évocation sexuelle, involontaire de la
part du réalisateur. Toutefois, rappelons que
de nombreux réalisateurs, notamment américains, ont
utilisé la fenêtre pour suggérer l'acte sexuel (Cieutat,
1991).
2) La version 3, très proche de la version 1,
génère un moindre éventail de possibilités de fins
alors que la seule réelle différence vient de la voix
off, de même timbre, mais qui tutoie le personnage principal et
qui fait comprendre en sa non-participation aux soins
(« ils »). Rappelons que le fait que la femme au
téléphone ne se présente pas et tutoie le
personnage principal a eu un effet incontestable et conduit un bon nombre de
spectateurs à suspecter une relation extraconjugale entre elle et le
personnage principal. Dès ce plan, n°3, le sens de la version 3
s'est différencié nettement de celui de la version 1.
A ce stade, en effet, nous avions :
Version 1 : il est insensible car il est choqué par
la nouvelle qu'il vient d'apprendre et la brutalité avec laquelle elle a
été annoncée ;
Version 3 : il est insensible parce qu'il s'y attendait
(voire l'espérait).
Or, en fin de première partie, les spectateurs voient ce
mari étrange de la version 3, somme toute, plus affecté qu'ils ne
l'avaient décrit : tristesse, suicide, alcoolisme.
Il y a donc une sorte de rupture inexplicable entre ce qu'ils
pensent du personnage et ce qu'ils pensent qu'il fera par la suite.
Plus logiques dans la continuité de leur propre
récit, les participants masculins ont tendance à postuler pour
une fin marquée par l'apparition au grand jour d'une maîtresse, ou
pour une fin plus mouvementée encore.
L'hypothèse d'une projection dans l'avenir
différente selon le sexe ne peut être totalement
repoussée ; les hommes acceptant plus facilement une fin hors
normes, tandis que les femmes préfèrent rêver en une fin
plus conforme, plus romantique.
3) Dans la version 2, le nombre de fins possibles est assez
élevé ce qui pourrait apparaître comme paradoxal avec nos
commentaires de la version 1. Cette version 2 est, en effet, la plus
précise, la plus directive avec ses éléments qui
évoquent un crime prémédité (voix off,
nous, musique du Parrain, etc.). Or, les fins proposées ne vont
pas toutes dans ce sens : tristesse, suicide, alcoolisme, etc.
L'explication de cette rupture ne peut venir que de la force du dernier plan,
le plan 15A. Comme nous l'écrivions plus haut, ce plan est porteur d'un
message fort qui remet en cause l'image très négative du
personnage auprès d'un bon nombre de spectateurs. Le plan est
majoritairement interprété comme le souhaitait le
réalisateur : «On avait l'impression qu'il pleurait, de
dos... ».
De précis, le film devient flou, son interprétation
est donc aussi variée que ne le sont les spectateurs. Sans aller
jusqu'à voir dans ce travail d'interprétation, dans cette
attribution d'une signification au film ambigu un mécanisme psychique de
projection, nous ne pouvons pas nier que l'ambiguïté
générée par un seul plan, le plan 15A, a fait passer le
nombre de fins possibles, de quelques unes à ressort policier, à
de nombreuses dans lesquelles le spectateur semble jouer le rôle
principal avec ses préoccupations, ses peurs, ses sentiments, etc.
autrement dit sa personnalité ce qui explique les fins autres que
policières.
R- Reprise : plan 15 B
La discussion entre les participants à la suite du plan
15A a-t-elle, par un changement dans le contexte des relations, modifié
le processus de construction du récit des spectateurs ?
Plan
|
Version 1
|
Version 2
|
Version 3
|
15 B
|
Il pose sa bouteille à proximité de la
photographie.
Bruits de bouteille
|
M. Neuville secoue toujours ses épaules.
Bruits de liquide remué dans une bouteille.
|
Identique à la version 1
|
Sens perçu
|
Pas d'effet apparent
|
La crise de sanglots est, semble-t-il, plus clairement
perçue que l'opposition avec le son hors champ
diégétique
|
L'association alcool-tristesse n'est pas perçue mais
plutôt le contraire... : « finalement il est
soulagé d'un poids ».
|
Dans les versions 1 et 3, le réalisateur souhaitait
insister sur l'association alcool-deuil. Le même plan n'a pas le
même effet dans les deux cas.
Dans la première version, malgré l'influence de la
discussion de groupe, les spectateurs ne semblent pas modifier l'image qu'ils
ont du personnage : un cadre débordé qui est sans doute
malheureux de la mort de son épouse, qui maîtrise ses
réactions affectives et son stress en abusant
régulièrement d'alcool. Autrement dit, la prise de boissons
alcoolisées n'est pas liée à sa situation de deuil.
Dans la version 3, également malgré la manipulation
du contexte relationnel (par la discussion de groupe) et celui du contexte
temporel (par le test de projection dans l'avenir), le plan ne change pas
l'interprétation faite jusqu'au test du récit à
compléter : le personnage est vraiment étrange y compris en
buvant un verre devant le portrait de sa femme. Il semble même
soulagé. Une interrogation demeure ; de quoi est-il
soulagé ? Que sa femme ne souffre plus ? Ou d'être
libre ?
Il n'en demeure pas moins que malgré l'entracte,
malgré le test de l'histoire à compléter, malgré la
discussion parfois vive et contradictoire entre les participants, ces derniers
semblent reprendre, comme si de rien n'était, le fil du récit qui
leur est proposé et tel qu'ils l'ont interprété
jusqu'à présent. Rappelons que le film est repris par une
ouverture en fondu là où le film s'était
arrêté (plan 15 A, fondu au noir). Cela a de l'importance, bien
sûr, puisque après 35 minutes, en moyenne, de discussion
collective, les spectateurs se replongent
là où ils en étaient.
Ce phénomène peut avoir plusieurs
explications :
- d'abord, le spectateur a gardé en mémoire la
partie du film qu'il avait visionnée avant l'entracte : ce qui est
le signe de son intérêt et, surtout, d'une bonne
mémorisation ;
- ensuite, le spectateur qui a été sans doute
influencé par la manipulation du contexte relationnel (lors de la
discussion de groupe) et du contexte temporel (par le test de l'histoire
à compléter) n'en reste pas moins attaché au récit
qu'il avait construit seul, à un moment donné.
Les contextes ont été manipulés mais dans un
cadrage différent.
Au cours du film, le spectateur vit le récit :
Un Spectateur Film (récit, décors, prise de vues,
lieux, moments, etc.)
Au cours de la discussion et du test, les spectateurs
s'influencent, comparent leur vision des choses et se projettent dans l'avenir
(avec leurs envies, leurs fantasmes, leurs goûts, etc.)
Des spectateurs Fin d'un film (le futur et non le
présent du film, etc.)
En conséquence, il est vraisemblable qu'après avoir
révélé ce qu'ils souhaitaient comme fin, les spectateurs
reviennent spontanément dans les dispositions qui étaient les
leurs au moment de l'entracte, ici et maintenant. Ce phénomène ne
peut que faire penser à ces spectateurs, plus nombreux qu'on ne le
pense, qui apprécient d'arriver à la fin d'une séance, de
visionner la fin du film, et d'assister après un entracte, à la
séance suivante, soit - le plus souvent - jusqu'à la fin du film,
qu'ils voient donc deux fois, soit jusqu'au moment où ils sont
arrivés..
Plans 1 à 15A
Construction d'un récit par le spectateur
Test de l'histoire
à compléter
Discussion de
groupe
Construction de la fin du récit
Plan 15 B
Reprise
Quant au plan de reprise, dans la version 2, son influence est
très nette, voire déterminante. Les spectateurs sont presque
convaincus du chagrin du mari, qu'ils qualifiaient tous jusque là de
criminel. Ce plan 15B fait, en quelque sorte, oublier le sens du plan 3 dans
lequel ils avaient identifié la voix d'un tueur à gages.
S- Plan 16
Plan
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Version 1
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Version 2
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Version 3
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16
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Il boit son verre de la main gauche, à proximité de
la photographie d'une femme brune
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Gros plan sur la photographie de la femme blonde
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Identique à la version 1
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Sens perçu
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Ce plan semble avoir touché certains spectateurs :
« je ne le trouvais pas très affecté par la mort de sa
femme, alors cela m'étonne », « il avait un coeur en
tout cas, je ne le pensais pas », « je ne le voyais pas si
insensible, tant mieux »
|
Apparemment sans effet particulier sur les spectateurs. Ne fait
que conforter la perception de la femme
photographiée : « elle avait vraiment l'air d'une
garce sur la photo... »
|
Apparemment sans effet sur les spectateurs
|
Dans les versions 1 et 3, le but recherché était de
montrer avec pudeur, donc de dos, la tristesse supposée du personnage
principal.
Alors que le plan est strictement identique dans les deux
versions, dans la première il semble qu'il ait quelques effets : il
rend le mari plus humain, plus sensible qu'il ne l'apparaissait jusque
là.
Dans la version 2, le réalisateur souhaitait accentuer le
contraste entre l'image de la femme décédée et le bruit,
et ainsi créer un certain suspense, ou au moins le doute. Mais, l'effet
fut différent : malgré la faible durée de ce plan, la
femme apparaît sous un jour peu flatteur.
Alors que dans le plan 10, elle était perçue comme
une femme, certes coquine, narquoise, etc.,
elle devient, à cause de ce plan 16 franchement,
une « garce ». On en viendrait presque à
plaindre son mari de pleurer la mort d'une telle épouse.
Ce plan très court est donc déterminant. Ce gros
plan met en valeur la personnalité de la femme. Comment expliquer cet
impact, dont la force avait été sous-estimée par le
réalisateur ? Il souhaitait provoquer le doute, le suspense, et
voilà qu'il donne aux spectateurs de quoi reconstruire totalement le
récit.
De la pauvre épouse assassinée, la femme blonde
devient la garce insupportable.
De mari criminel, le personnage principal devient presque
victime, mari aimant et profondément touché par la mort de son
épouse.
Ce phénomène nous renvoie au code de la bande
image. Malgré les critiques dont fit l'objet la classification
psycho-linguistique des cadrages, il faut reconnaître que l'effet du plan
16 de la version 2 rappelle l'idée de proximité affective et
d'acuité visuelle maxima générées par le gros plan,
idée défendue avec force par Deleuze (1983). Et les
réactions de nos spectateurs se rapprochent de celle décrite par
Epstein : « ce visage d'un lâche en train de fuir,
dès que nous le voyons en gros plan, nous voyons la lâcheté
en personne, le « sentiment-chose »,
l'entité » (Epstein, Ecrits sur le cinéma, tome I,
Seghers, 1974, pp.146-147).
T- Plan 17
Plan
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Version 1
|
Version 2
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Version 3
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17
|
M. Neuville prend la photographie de sa main droite
|
Gros plan sur un shaker remué par M. Neuville et sur une
bouteille de Chivas. Les mains de M. Neuville servent le cocktail dans un verre
puis ferment le shaker.
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Identique à la version 1
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Sens perçu
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Pas d'effet particulier, confirme le plan
précédent, pour ceux qui jugent correctement le personnage
principal
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L'effet de surprise est total ou presque., excepté pour le
cinéphile admirateur de Chaplin : « qu'est-ce que je vous
avais dit : du Chaplin ! ».
|
Apparemment sans effet sur les spectateurs
|
Le plan 17 est strictement identique dans les versions 1 et 3. Le
réalisateur souhaitait montrer que le mari ressentait le besoin de se
souvenir, de toucher l'image de son épouse. Cette évocation
affective ne semble pas réellement changer l'interprétation des
spectateurs.
En revanche, le plan 17 de la version 2 est un nouveau coup de
théâtre. Il met en contraste le décès de la femme et
le comportement calme et satisfait du mari : ce dernier ne boit pas un
verre quelconque pour se redonner du courage, il se prépare un cocktail.
L'effet de surprise est total, excepté pour le
cinéphile admirateur de Chaplin : « qu'est-ce que je vous
avais dit : du Chaplin ! ». L'influence du niveau de
culture cinématographique sur
la construction du sens par le spectateur est parfaitement
illustrée ici.
Un phénomène est intéressant à
noter : celui du peu d'influence de l'autre sur le spectateur.
Malgré la discussion autour de la ressemblance avec le
court métrage burlesque de Chaplin, les spectateurs du groupe auquel
appartenait le cinéphile n'en ont pas tenu compte.
Comme si les spectateurs ne croyaient que ce qu'ils voient et
entendent par eux-mêmes. Ils laissent leur instinct, leur imagination,
leurs réflexes prendre le dessus sur la raison et l'anticipation
basée sur la connaissance.
Un phénomène similaire est également
très fréquent. Combien de spectateurs, bien qu'avertis par leurs
voisins qui ont déjà vu le film, de l'imminence d'un effet de
surprise (un monstre, un tueur caché, etc.) sursautent-ils,
malgré tout, sur leur siège ? Il y en a même qui
sursautent au nième visionnage ....
U- Plan 18
Plan
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Version 1
|
Version 2
|
Version 3
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18
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Gros plan sur la photographie de la femme brune
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M. Neuville pose le shaker sur le meuble puis il prend son verre
de la main droite
|
Identique à la version 1
|
Sens perçu
|
Pas d'effet particulier
|
Ce plan augmente, sans doute, le ressentiment que les spectateurs
ont d'avoir été manipulés. Il est pour beaucoup dans les
critiques sévères émises à l'encontre du personnage
principal : « c'est un sacré dégueulasse »
|
Seul un spectateur réagit verbalement à ce plan
mais pas dans le sens souhaité par le réalisateur. Il identifie
la femme décédée.
|
Dans la version 1 et 3, le réalisateur souhaitait dans ce
même plan montrer en gros plan la présumée femme du
personnage principal. Il s'agissait de mettre en valeur la beauté et la
jeunesse de la femme photographiée. En réalité, ce gros
plan n'apporte pas grand-chose de plus que les spectateurs ne sachent
déjà, d'où l'absence de véritables
réactions.
En revanche, dans la version 2, le plan 18 est pour beaucoup dans
le 3ème revirement du public vis-à-vis du personnage
principal, et cela en une poignée de minutes : après avoir
été mari criminel, puis mari victime d'une garce, il devient
subitement « un sacré dégueulasse ».
L'impact d'un plan isolé sur le sens global du film est
ici démontré.
V- Plan 19
Plan
|
Version 1
|
Version 2
|
Version 3
|
19
|
M. Neuville est pris de soubresauts
|
M. Neuville prend de la main gauche le cadre de la photo et la
regarde. Sa main droite tient toujours son verre.
|
M. Neuville regarde la photo et la repose sur le meuble. Il
continue à boire son verre. Un bruit de porte qui s'ouvre se fait
entendre. M. Neuville jette un coup d'oeil surpris vers la porte (hors
champ)
|
Sens perçu
|
Les effets sont contradictoires selon l'idée
générale que se fait du film chacun des spectateurs.
Les tenants du film policier continuent à croire en un
crime, par empoisonnement ou en une simulation de malaise. Mais, la
plupart des spectateurs adhèrent à la fin
« romantique », même si certains trouvent la fin
banale.
|
Apparemment sans effet particulier sur les
spectateurs. Ne fait que renforcer l'interprétation de la
séquence de fin.
La plongée n'a pas non plus d'effet spécifique.
|
Le début du plan ne semble pas modifier l'image
plutôt négative du mari.
La surprise sonore n'a pas été
verbalisée ; les mimiques de surprise de l'acteur n'ont pas
été citées par les spectateurs
|
Chaque version a un plan différent. L'épilogue est
proche.
Dans la version 1, le but recherché était, en
montrant furtivement les gestes du personnage principal à la vue de la
photo, de laisser planer un doute sur les raisons de ces soubresauts :
sanglots, etc.
Le doute est, en effet, installé mais les conclusions sont
différentes selon la personnalité des spectateurs, leur
préférence en matière de genre cinématographique,
leur goût pour les happy ends.
Dans la version 2, le réalisateur souhaitait resituer
l'action dans le contexte de la disparition de la femme que les plans 15 B
à 18 auraient pu faire oublier. Or, ce plan n'a pas eu les effets
escomptés. Pourtant, l'angle de prise de vues avait été
choisi en respectant le code des changements d'angles. L'angle de prises de
vues, selon ce code, a un rôle expressif : « les fortes
incidences angulaires doivent être justifiées par une
nécessité quelconque de caractère dramatique ou
psychologique » (Mitry , 2001, p.95). Nous avions donc opté
pour la plongée pour mettre en valeur la victime (la femme même si
c'est une garce) en contraste avec le mari
(« dégueulasse » si ce n'est criminel). La
plongée donne un sens symbolique de faiblesse,
d'infériorité, d'écrasement psychologique, de peur, etc.
Le sujet filmé est dominé, amenuisé, écrasé.
Grâce à la plongée, nous voulions donc faire changer
l'opinion plutôt négative que les spectateurs avaient de la femme
blonde. Ce fut, reconnaissons-le, un échec : elle fut jugée
jusqu'au bout assez détestable, bien que victime de son mari.
Comment l'expliquez autrement que par la mauvaise
réalisation dont nous sommes le responsable ou par la
méconnaissance de ce code stéréotypé de la
plongée écrasante ou encore par le fait que la plongée est
parfois utilisée «à contre-emploi, tant il est vrai que,
là comme ailleurs, les règles sont floues et toujours
réinterprétables » (Joly, 1994, p.120).
Dans la version 3, nous souhaitions évoquer le fait que le
personnage principal tente de s'accrocher à sa femme, aux moments
importants de leur vie. Evoquer aussi, dans le même plan, par un bruit
hors champ de porte, la surprise du mari. Rien de tout cela n'est
réellement apparu dans le discours des spectateurs.
W- Plan 20
Le plan 20 est le dernier plan dans la version 2.
Plan
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Version 1
|
Version 2
|
Version 3
|
20
|
M. Neuville pose sur le meuble son verre, puis le cadre
violemment. Bruits de verre et du cadre qui sont posés sur le meuble.
Puis, M. Neuville tombe en arrière
|
M. Neuville regarde la photo avec attention puis la repose sur
le meuble. Il tape le cadre avec son verre comme pour trinquer.
M. Neuville trinque de nouveau devant la photo en esquissant un
sourire narquois. Il boit son verre.
|
La porte s'ouvre.
|
Sens perçu
|
Cette rapidité est notée par certains spectateurs,
mais plutôt comme un reproche : « c'est trop
rapide.
il y a trop de questions sans réponse ».
|
La contribution de ce plan au sens de la séquence de fin
et du film tout entier est très forte. Il dévoile les motivations
du personnage principal, il montre sa satisfaction d'avoir eu le dernier mot.
Le crime commandité et exécuté par un mafieux est admis
par tous les spectateurs.
|
Ces images ne sont pas citées mais contribuent
certainement au sentiment de suspense, d'ambiance étrange voire malsaine
que la plupart des spectateurs ont éprouvé.
|
Dans la version 1, il s'agissait pour le réalisateur de
montrer la rapidité et la brutalité avec lesquelles les
événements allaient suivre. On ne peut pas dire que les
spectateurs ne les aient pas ressenties mais certains les jugèrent
négativement en matière esthétique et narrative.
Dans la version 2, ce plan long devait révéler la
véritable personnalité et les motivations du personnage principal
mais aussi évoquer son plaisir de se venger avec l'aide d'un tueur
à gages.
Ce plan a parfaitement joué son rôle dans la
construction du sens par le spectateur. Le personnage est bien perçu
comme il est. Ce plan de fin est donc la preuve de son crime
prémédité. Les spectateurs ne plaignent pas la victime,
ils accusent le mari criminel. La compréhension du sens par les
spectateurs fut générée en grande partie par le jeu de
l'acteur (son geste de trinquer, son sourire sarcastique, etc.), et par ses
manipulations de normes sociales : il a, en effet, un comportement
considéré comme injustifiable dans notre société.
La bonne compréhension de ce plan vient aussi, sans doute, de sa
durée. Il est long par rapport aux autres (excepté le plan 8 de
la première partie). Or, selon l'un des codes spécifiques de la
bande image, un plan long laisse à penser que le réalisateur veut
souligner, mettre en valeur son contenu narratif et/ou non-narratif. Il peut
vouloir forcer le spectateur à voir et à réfléchir
à quelque chose d'important à ses yeux (Bazin, Metz, Bordwell et
Thompson, etc.)
C'est donc probablement la combinaison synergique de plusieurs
éléments (jeu d'acteur, gestes, mimiques, longueur du plan, etc.)
qui a contribué à la construction du sens chez le spectateur
Dans la version 3, le plan 20 devait laisser planer le doute sur
la personne qui ouvrait la porte.
Il pouvait évoquer l'opposition possible entre la personne
qui pénètre dans le bureau, en poussant la porte, avec un besoin
d'ouverture vers l'autre, et le personnage principal surpris qu'on force sa
porte alors qu'il est, sans doute, en phase de réflexion. A moins que le
plan sur la porte soit utilisé comme une métaphore pour
suggérer l'acte sexuel (Cieutat, 1991).
Des évocations très fréquentes dans le
cinéma américain d'avant l'abrogation du Code Hays, en 1966, qui
sont souvent aujourd'hui considérées comme de grossiers
clichés.
Rien de tout cela n'apparaît réellement dans les
propos des spectateurs.
X- Plan 21
Plan
|
Version 1
|
Version 2
|
Version 3
|
21
|
M. Neuville tombe sur la moquette
|
FIN
|
M. Neuville regarde vers la porte
|
Sens perçu
|
Pas d'effet particulier
|
|
L'objectif est atteint. Selon les spectateurs, l'identité
de la personne qui ouvre la porte varie sensiblement. Quelques uns
apprécient cette ambiguïté qui attise le suspense.
|
Dans la version 1, ce plan très court (moins d'une
seconde), rapproché poitrine en plongée, devait insister sur la
chute, comme vu du ciel. Les spectateurs ne semblent pas sensibles à
cette combinaison d'éléments : est-ce la trop faible
durée du plan ou la plongée qui, comme dans le plan 19 de la
version 2, n'est pas interprétée comme prévu ? Il est
difficile de le dire. Mais, ce plan court ne semble pas avoir eu la
conséquence codique d'évoquer l'effet de surprise voire l'effet
« subliminal » que certains auteurs continuent à
défendre. La banalité de ce plan du point de vue narratif est
sans doute davantage responsable :
Version 1 : le mari est malheureux, il a un malaise. Nous
restons dans les normes socioculturelles.
Dans la version 3, le réalisateur, dont le but
était de laisser planer un suspense sur l'identité de la personne
qui entre dans la pièce, a plus de réussite. Le plan est
guère plus long que dans la version 1 (moins d'une seconde
également). La taille du plan est identique (plan rapproché
poitrine). La différence vient de l'absence de plongée ce qui ne
doit pas nous faire conclure en l'effet inverse de la plongée.
En revanche, ce plan contribue, avec le plan qui le
précède, à créer le doute voire le suspense.
Le contexte relationnel est manipulé : qui entre dans
le bureau ? Quels sont ses liens avec le personnage principal ? Des
interrogations dont une des réponses au moins peut bouleverser les
normes : est-ce sa maîtresse ?
Y- Plan 22
Ce plan est le dernier des versions 1 et 3.
Plan
|
Version 1
|
Version 2
|
Version 3
|
22
|
M. Neuville poursuit sa chute, son bras gauche s'étend au
sol.
|
FIN
|
Des jambes de femme s'avancent vers les chaussures de M.
Neuville.
La jupe de la femme est fendue, les chaussures
élégantes. Les jambes s'écartent très
légèrement lorsqu'elles arrivent près des pieds de M.
Neuville
|
Sens perçu
|
Ce plan et les précédents ont quelques incidences
et leur signification varie selon les spectateurs.
|
|
L'objectif est atteint. Ce plan sur de « belles
jambes » de femme met à mal toutes les spéculations
autour d'un homme « froid » mais
« fidèle » en évoquant chez certains
l'adultère, l'érotisme voire la pornographie.
|
La version 1 insiste sur la chute sans donner de fin
véritable à cette version : simple malaise, suicide,
empoisonnement ou crise cardiaque ? Or, force est de constater que ce plan
conduit bien à plusieurs interprétations chez les spectateurs.
L'objectif du réalisateur de laisser le spectateur sans véritable
réponse finale semble donc atteint.
Mais, plus que ce constat, un phénomène
apparaît : celui du retour des nombreuses fins imaginées par
les spectateurs eux-mêmes en fin de première partie406(*).
Autrement dit, les spectateurs - après s'être
replongés dans l'histoire dès le premier plan de la
deuxième partie du film (plan 15B), en laissant pour la plupart d'entre
eux de côté les fins qu'ils avaient imaginées lors du test
de l'histoire à compléter, après avoir suivi le fil du
récit qui leur était proposé par le réalisateur -
reviennent à leur hypothèse de fin dès que le
réalisateur le leur demande implicitement en n'imposant pas sa propre
fin.
Processus que nous pouvons simplifier par le schéma
suivant :
Sens s
Sens s
Début
du film Test
Reprise Fin énigmatique
Sens r
Sens r
Fin de
la 1ère partie
Ce phénomène de double projection peut avoir
plusieurs explications :
- le sens étant co-construit par le spectateur et le
réalisateur, dès que le premier est libéré des
orientations du second, sa personnalité, son histoire, ses
expériences prennent le dessus sur le récit du
réalisateur. En revanche, lorsque le réalisateur reprend son
récit les spectateurs le suivent. Ils reviennent donc dans le cours
proposé de l'histoire (comme ici, dès le plan 15B).
Ce constant aller-retour entre ce qui est vu et ce qui est
construit par le spectateur ne peut que rappeler la définition de ce
qu'est un bon film selon Emir Kusturica : « un film qui donne
au spectateur le sentiment de renaître devant l'écran »
(Quin, 2005).
- La projection dans l'avenir qui libère l'imagination des
spectateurs est provoquée aussi bien par le test de l'histoire à
compléter que par le suspense, le flou ou le doute créé
dans une partie du film (dans cette version, le plan de fin) ;
- La projection dont nous avons fait allusion à plusieurs
reprises sans vouloir être affirmatif, la technique projective
étant, au sens strict, une méthode d'exploration de la
personnalité. Sans avoir cette prétention, nous utilisons, par
deux fois dans cette version 1, une méthode que certains qualifient de
projective407(*) :
la première en proposant un test d'histoire à compléter,
la deuxième en diffusant en fin de film un plan flou. Or, comme
l'écrit Alex Mucchielli (1996, p.174) : « les
méthodes projectives considèrent que toutes les constructions
imaginaires des individus et des groupes portent la marque de leur
identité profonde et plus précisément de leur monde
privé ». En puisant dans son imagination, le spectateur va
construire un récit. Mais « son imagination n'étant pas
informe et étant structurée elle imprime sa marque aux
expressions » (Mucchielli, 1996, p.175). Il n'est donc pas
étonnant dans ces conditions, qu'une fois stimulé, même par
deux matériels starters différents (le test après le plan
15A et le plan 22 de fin), le spectateur reconstruise la même fin au
récit, son imagination mettant à jour ses composantes
personnelles cachées, ses préoccupations, ses désirs, ses
craintes, ses sentiments, en un mot, sa personnalité. Or, la
personnalité différencie un être humain de ses semblables
et n'évolue que lentement sous l'effet du milieu social. C'est sans
doute la raison pour laquelle :
- d'une part les fins possibles sont nombreuses (certes pas aussi
nombreuses que les spectateurs interviewés)
- d'autre part l'interprétation du début du film et
la construction d'une fin par le spectacteur, en tant que
révélateurs de sa personnalité spécifique, ont
tendance à ne pas changer (sauf en cas de plan à fort impact,
comme dans la version 3).
Nous pouvons donc compléter le système de
construction du sens que nous avions commencé à la suite de la
fin de la première partie (plan 15A).
Plans 1 à 15A
Construction d'un récit par le spectateur
Test de l'histoire
à compléter
Discussion de
groupe
Construction de la fin du récit
Plan 15 B
jusqu'au plan
21 inclus
Plan 22 de fin Reprise des fins
imaginées
Dans la version 3, le plan de fin donne quelques informations sur
la personne qui entre : c'est une femme, assez jeune, 30 à 40 ans,
élégante avec une jupe fendue. Il évoque la
possibilité d'un acte sexuel par des images insistantes sur les pieds et
surtout les chaussures de la femme qui pénètre dans le bureau. Il
n'en reste pas moins que le réalisateur a voulu faire planer le doute
sur les intentions de cette femme et sur son identité afin de laisser le
spectateur conclure par lui-même. C'est, en effet, ce qui se passe
même si l'adultère est l'hypothèse la plus souvent
citée. Il y a, toutefois, une sorte de résistance à croire
que le mari était infidèle comme si ce plan final provoquait un
conflit de normes. Jusqu'à ce plan, le mari était étrange,
il semblait soulager que son épouse soit décédée
mais une interrogation demeurait ; de quoi était-il
soulagé ? Que sa femme ne souffre plus ? Ou d'être
libre ? Notre contexte social pouvait faire douter les spectateurs qui
imaginaient, en fin de première partie, des suites plutôt en
faveur d'un bon mari : tristesse, alcoolisme, suicide. Tandis que
l'adultère n'était qu'une fin parmi d'autres.
Ce plan de fin présente tous les attributs culturels et
sociaux qui peuvent influencer un jugement : de belles jambes de femme,
une jupe fendue, des talons aiguille, etc.
Avec une durée de près de 6 secondes, ce plan
rapproché à gros plan sur des jambes écartées
bouscule tous les contextes (relationnel, identitaire, spatial, etc.) ce qui
conduit la majorité des spectateurs à voir dans cette femme une
maîtresse (passée, présente ou future) et même
certains d'entre eux à imaginer une fin érotique voire
pornographique.
Autrement dit, contrairement au processus de la version 1, nous
avons ici deux catégories de spectateurs : ceux qui se refusent
à croire en une fin adultérine et ceux qui, compte tenu des
indices laissés par le réalisateur, abandonnent totalement les
fins qu'ils avaient imaginées (suicide, alcoolisme, tristesse, etc.)
avant ce plan décisif.
Sens s
Sens s
Début
du film Test
Reprise
Sens r
Sens r
Fin équivoque
Fin de
à forte influence
la 1ère partie
Sens totalement différent
s'
II- Analyse comparative des interviews suite à la
diffusion des versions 4 et 5
A- Le plan 1
Plan
|
Version 4
|
Version 5
|
1
|
Identique à la version 5.
Le personnage principal marche alors que dans les versions 1, 2,
3, il est assis
|
Identique à la version 4
|
Sens perçu
|
Le personnage principal est, en effet, perçu par la
plupart des spectateurs comme étant un chef d'entreprise, un homme
d'affaires ou un cadre.
En revanche, le fait qu'il marche de long en large dans son
bureau est peu interprété et, en outre, de deux façons
différentes.
|
Le statut professionnel n'est pas identifié par tout le
monde, bien que les titres de patron, de chef d'entreprise, de cadre soient
souvent cités. Les objets et le bureau font croire à certains que
le personnage puisse être un journaliste, voire un ouvrier. Les
gestes évoquant son impatience, son attente d'une information importante
à ses yeux sont souvent perçus comme du stress ou de la forte
activité professionnelle.
|
Ce plan parfaitement identique destiné notamment à
montrer le statut du personnage principal n'est pas vraiment
interprété de la même manière. Aucune raison
objective ne peut expliquer ce décalage hormis, peut-être, les
différences en âges et en niveaux d'études des participants
aux groupes de discussion.
Rappel de la composition des groupes
Version 4
|
Réunion N°1
6 F et 2 H
Deug
19-23 ans
1 film par mois
|
Réunion N° 3
5 F et 3 H
Deug
19-23 ans
1 film par mois
|
Réunion N°8
4 F et 4 H
Deug
19-23 ans
1 film par mois
|
Version 5
|
Réunion N°5
3 F et 5 H
3ème cycle
23-25 ans
1 film par mois
|
Réunion N° 9
4 F et 4 H
Licence
21-23 ans
1 film par mois
|
Réunion N°14
4 F et 4 H
Maîtrise
21-23 ans
1 film par mois
|
Toutefois, cette explication nous semble incertaine dans la
mesure où le plan 1 est également identique dans les versions 1,
2 et 3 pour lesquelles nous n'avons pas remarqué de différences
d'interprétation selon les profils des spectateurs.
B- Le plan 2
Plan
|
Version 4
|
Version 5
|
2
|
Identique à la version 5.
Montage plus rapide que dans les versions 1, 2, 3
|
Identique à la version 4
|
Sens perçu
|
Les spectateurs semblent avoir plus remarqué l'objet - le
téléphone, en gros plan - que l'événement
lui-même.
|
Ce plan atteint son objectif. Le gros plan est
remarqué ; trop peut-être puisqu'il est souvent
associé à l'idée qu'il s'agit d'un téléfilm
ou d'une série.
|
Le réalisateur souhaitait dans ce plan 2 mettre en valeur,
grâce au gros plan, l'événement qui va bouleverser la
situation initiale. Or, le gros plan a un effet de loupe sur l'objet (Aumont,
2003). Aussi, l'association recherchée Téléphone
annonce d'un événement, somme toute classique, est comme
escamotée à la vue des détails matériels du
téléphone. Et cela, au profit d'autres associations entre
l'esthétique du téléphone et :
- le moment du récit (date plus reculée)
- le statut du personnage (moins élevé)
- le lieu du récit (hors de France).
Ces associations, dues à des manipulations de contextes,
expliquent des écarts d'interprétation en matière
d'espace, de temps et de statut chez les spectateurs.
C- Le plan 3
Plan
|
Version 4
|
Version 5
|
3
|
Identique à la version 5.
Montage moins découpé que dans les versions 1, 2,
3. Un seul plan comprend le contenu des plans 3 à 5 des versions 1, 2,
3.
Voix off masculine neutre s'impliquant
« on »
|
Identique à la version 4
|
Sens perçu
|
Le manque de réaction du personnage principal est
remarqué voire critiqué par la plupart des spectateurs. Sans
indice autre que celui de la voix (intonation, paroles prononcées,
vouvoiement), les spectateurs identifient la personne qui
téléphone comme faisant partie du milieu des urgences.
Cette croyance tient à certains indices verbaux.
|
Ce plan est sans doute pour beaucoup dans les commentaires selon
lesquels le personnage principal a un comportement étrange,
hésitant entre stress et calme, indifférence et peine, froideur
et inquiétude.
|
Le but du réalisateur était de mettre en opposition
l'attitude impatiente, voire stressée, et dynamique d'un responsable
d'entreprise et sa maîtrise après l'annonce de la mort de sa
femme. Entre les versions 4 et 5, les différences
d'interprétation ne sont pas assez significatives pour être
signalées.
D- Le plan 4
Plan
|
Version 4
|
Version 5
|
4
|
Identique à la version 5.
Identique à la dernière partie du plan 6 des
versions 1, 2 et 3
|
Identique à la version 4
|
Sens perçu
|
Ce plan est interprété très
différemment, parfois d'une manière opposée à ce
que recherchait le réalisateur.
|
Ce plan n'a pas réellement l'effet escompté
|
Le réalisateur voulait montrer qu'en se dirigeant vers la
fenêtre de son bureau, le personnage principal avait besoin de
réfléchir en sortant de son contexte de travail. Or, dans les six
(2x3)
groupes, ce message n'est pas compris, voire est compris de
travers du point de vue du réalisateur.
E- Le plan 5
Plan
|
Version 4
|
Version 5
|
5
|
Identique à la version 5.
Proche de la fin du plan 7 des versions
précédentes, mais on voit en arrière-plan dans
l'obscurité des feux d'automobile.
|
Identique à la version 4
|
Sens perçu
|
Apparemment sans effet sur les spectateurs
|
Apparemment sans effet sur les spectateurs.
|
Le réalisateur espérait en manipulant les contextes
spatiaux et sensoriels montrer notamment
que la pensée du personnage principal quittait le bureau,
pour l'extérieur, la ville, la nuit, et évoquer les oppositions
lumière/obscurité, vie/mort, immobilité/mouvement. Or, les
spectateurs qui constituent sa cible ne l'entendent pas de cette oreille.
F- Le plan 6
Plan
|
Version 4
|
Version 5
|
6
|
Identique à la version 5.
Identique aussi au plan 8 des versions 1, 2 et 3
|
Identique à la version 4
|
Sens perçu
|
Le flash back est remarqué par certains et
même apprécié.
L'interprétation de cette scène est assez
consensuelle et tourne autour du départ et de la mort
|
Cette scène a eu moins d'effets que prévu. Les
participants semblent s'être plus attachés à identifier la
femme et le lieu de l'action que de comprendre le sens.
|
Comme pour le plan 1, les groupes qui ont visionné la
version 4 semblent s'attacher plus au sens du plan qu'à ses
éléments objectifs et constitutifs contrairement aux groupes qui
ont vu la version 5. Comme nous l'avons déjà dit, cette
différence est difficilement explicable par le seul profil (âge,
niveau d'études, sexe, fréquentation des salles) des participants
aux groupes.
G- Le plan 7
Plan
|
Version 4
|
Version 5
|
7
|
Identique à la version 5.
Proche en plus long du plan 9 des versions 1, 2 et 3. Taille de
plan différent.
Mouvement de caméra, panoramique vers la gauche.
Plan qui regroupe en fait des extraits des plans 9 et 11 des
versions 1, 2 et 3.
|
Identique à la version 4
|
Sens perçu
|
Les effets ressentis, peu nombreux, sont plutôt
opposés à ceux souhaités par le réalisateur.
|
L'effet sur les spectateurs n'est pas net.
|
En montrant le personnage principal fermer ses stores et
traverser son bureau, l'idée du réalisateur était
d'évoquer la fin de quelque chose puis le retour au réel. Les
spectateurs, une fois encore, ne semblent pas interpréter comme il le
souhaitait. Il est à noter que dans les versions 1, 2 et 3, les plans 9
et 11 n'eurent pas beaucoup plus d'effets que le plan 7 des versions 4 et
5.
H- Le plan 8
Plan
|
Version 4
|
Version 5
|
8
|
Plan en plongée assez long montrant le personnage
principal se servir à boire.
|
Plan de poitrine de profil assez court ne montrant pas
précisément ce que le personnage principal fait et prend.
|
Sens perçu
|
Apparemment sans effet sur les spectateurs.
Toutefois, est remarquée la
mauvaise habitude de boire de l'alcool, proche de l'alcoolisme
professionnel et mondain.. Cet indice influence la projection dans
l'avenir
|
Aucune remarque n'a été faite sur ce dernier plan
de la première partie mais il a sans doute contribué à
élargir les possibilités de fin imaginées par les
spectateurs qui dévoilent le meilleur et le pire de l'homme.
|
Le plan 8 dans chacune des deux versions semble ne pas influencer
le spectateur, tout au moins comme l'aurait aimé le réalisateur.
Toutefois, étant le dernier de la première partie du film, il est
intéressant d'analyser les effets de ce plan et de ceux qui l'ont
précédés sur la construction du récit fait par les
spectateurs.
J- La comparaison des résultats aux tests de
l'histoire à compléter
La projection dans l'avenir demandée aux participants fait
apparaître une grande variété de possibilités de
fin. Nous avions constaté ce phénomène d'ouverture de
l'éventail dans les constructions de fin de récit en analysant
les résultats aux tests de l'histoire à compléter pour les
trois premières versions (1, 2, 3).
Comparaison des résultats du test de l'histoire
à compléter
Version 4
|
Version 5
|
Les fins dramatiques semblent être plus attendues que les
fins policières :
- certains spectateurs voient le personnage principal se noyer
dans l'alcool,
- quelques-uns imaginent même le pire : « il
va se suicider »,
- d'autres, influencés par l'attitude froide du personnage
principal, le voient plutôt se replier sur lui, ou se noyer dans le
travail, ou se ressourcer en famille,
- d'autres anticipent une fin qui met en valeur
l'indifférence ou la résignation d'un mari à l'annonce de
la mort de sa femme,
- en revanche, les participants convaincus que le film appartient
au genre policier imaginent une fin bien différente : une
enquête de police, ou une tromperie à
l'assurance
|
Selon leurs premières impressions, les participants
imaginent différentes fins possibles :
- dans le meilleur des cas, du point de vue de la morale, celui
où il tenait à son épouse, le personnage principal se
précipite à l'hôpital, téléphone à sa
famille et à ses proches, plonge dans ses souvenirs, se suicide, ou
se saoule puis à un accident de voiture,
- dans une version neutre : le personnage reprend son
travail comme si de rien n'était, s'occupe des papiers pour le
décès, la succession et/ou l'assurance, etc.
- dans le pire des cas, celui où il ne tenait pas à
son épouse :
- le personnage principal rejoint sa maîtresse
- ou il se met en relation avec le tueur pour le payer de son
crime, etc..
|
Le diagramme des fins possibles selon les
versions
Alcoolisme
Suicide
Repli sur lui-même
V4 Mari planificateur
Retour à la vie normale
Enquête
policière
Accident
Tristesse de longue
durée
Gestion de la succession
V5 Mari sans état d'âme
Maîtresse
Tueur à gages
Cette représentation graphique du champ des fins possibles
fait apparaître que l'éventail des récits imaginés
par les spectateurs est plus large après la diffusion de la version 5
qu'après celle de la version 4. Il est difficile d'expliquer cet
écart sachant que la seule différence entre la version 4 et la
version 5 se situe au plan 8.
Examinons de plus près les différences entre les
deux versions.
- Dans la version 4, nous avons :
Plan
|
Durée
|
Echelle
|
Contenu
|
Buts du réalisateur
|
Plan 8
Fin de la première partie
|
7 secondes 56
|
Plan rapproché en plongée
|
M. Neuville se baisse pour ouvrir son minibar. Il en sort une
bouteille.
Bruits de porte et de bouteille.
Il prend un verre dans le meuble situé à gauche du
minibar. Il pose le verre sur le meuble, ouvre sa bouteille et commence
à se servir.
Bruits de capsule de bouteille et de verre.
|
Montrer l'opposition avec le rythme du plan
précédent. Le plan est plus long en plongée alors que le
précédent était un panoramique en contre-plongée.
Donner une impression de pesanteur, de poids à porter ou
de regard de quelqu'un.
Montrer l'habitude prise par M. Neuville de se réconforter
avec de l'alcool : précision des gestes, automatisme.
Evoquer la fin de la première partie par un fondu au
noir.
|
- Dans la version 5, nous avons :
Plan
|
Durée
|
Echelle
|
Contenu
|
Buts du réalisateur
|
Plan 8
Fin de la première partie
|
1 seconde 30
|
Plan rapproché de poitrine de profil
|
M. Neuville se baisse pour prendre quelque chose
|
Montrer l'opposition avec le rythme du plan
précédent plus long et en panoramique.
Laisser planer un doute sur ce que le personnage principal
cherche.
Evoquer la fin de la première partie par un fondu au
noir.
|
Dans la version 4, le plan 8 est de plus longue durée que
dans la version 5 : 8 secondes contre 1 seconde 30. L'angle de prises de
vues est également différent. Dans la version 4, le
réalisateur a opté pour une plongée dans le but de donner
un caractère d'écrasement psychologique (Mitry, 2001).
Dans la version 5, le plan est de même échelle (plan
rapproché) mais le personnage est pris de profil et non de face comme
pour cacher l'expression de son visage et jeter le doute dans l'esprit des
spectateurs.
Le contenu narratif est également plus explicite dans la
version 4 que dans la version 5 dans laquelle le spectateur est invité
à deviner la raison pour laquelle le personnage principal se baisse pour
prendre quelque chose.
En résumé, les éléments de la bande
image (durée du plan, angle de prise de vues, etc.), de la bande son
(bruits, etc.), du récit narratif sont beaucoup plus explicites dans la
version 4 que dans la version 5.
L'éventail des fins possibles qui est plus ou moins large
selon la version peut donc avoir une origine celle du degré de
directivité imposé par le réalisateur. Autrement dit, plus
les éléments filmiques vont dans la même direction, moins
l'éventail des sens construits par le spectateur est large. Il n'en
demeure pas moins qu'en dépit des efforts du réalisateur pour
orienter l'interprétation des spectateurs, ces derniers conservent une
liberté dans la construction du récit de fin. En outre, nous ne
pouvons pas cacher la possible influence des profils des spectateurs, plus
âgés et mieux instruits dans l'interprétation de la version
5.
Degré de directivité des éléments
filmiques Degré inverse de liberté de
construction par les spectateurs des
fins possibles
?
Niveau culturel
et autres facteurs personnels
des spectateurs
Nous avions mis en évidence ce phénomène en
analysant les tests de l'histoire à compléter des versions 1, 2
et 3 : « Plus (le film) est clair, net et précis, moins
l'apport du sujet (le spectateur) est important. Au contraire, plus il est
vague et flou, plus il nécessite d'efforts pour qu'on lui trouve un
sens » (Sillamy, 1983). Des efforts d'imagination qui portent la
marque de leur « identité profonde et plus
précisément de leur monde privé » (Mucchielli,
1996).
Les effets de la plus ou moins grande directivité du
réalisateur se font également sentir dans les réponses des
participants concernant l'appartenance à tel ou tel genre
cinématographique.
Après diffusion de la première partie de la version
4, les spectateurs l'ont classé principalement dans deux genres, le
policier et le drame, avec un avantage pour ce dernier.
En revanche, la première partie de la version 5, moins
directive que celle de la version 4, semble rendre plus difficile son
classement dans un genre cinématographique :
« court-métrage (...) spot publicitaire (...) drame (...)
policier (...) polar (...) tragédie (...) série B (...)
téléfilm, etc. »
Degré de directivité des éléments
filmiques Degré inverse de liberté de
construction par les spectateurs des
fins possibles
Niveau culturel
et autres facteurs personnels
des spectateurs
dont :
Culture cinématographique
et
audiovisuelle des spectateurs
Classement du film
dans un genre
cinématographique
K- Le plan 9 de reprise
Plan
|
Version 4
|
Version 5
|
9
|
Plan en plongée assez long en continuité avec le
plan précédent
|
Plan américain montrant le document saisi.
|
Sens perçu
|
L'effet de surprise du à ce contraste gestuel provoque
l'étonnement de certains, voire leur désapprobation.
|
Ce geste est bien remarqué.
|
Ce plan relance l'intérêt des spectateurs par un
effet de surprise dû à une manipulation du contexte gestuel qui
rompt la continuité de la première partie du récit.
L- Les plans 10 à 15
Ils donnent des détails sur les contrats d'assurances
(obsèques et/ou décès), sur la façon dont le
personnage principal les consulte, etc. Etant très différents
d'une version à une autre, nous ne comparerons pas ces plans comme nous
l'avons fait pour les plans précédents. Nous invitons le lecteur
à se reporter aux analyses longitudinales des interviews de groupe.
En revanche, nous comparerons le plan de fin de chacune des
versions 4 et 5.
M- Le plan de fin
Plan
|
Version 4
|
Version 5
|
De fin
|
Plan rapproché montrant l'intérêt du
personnage pour le contenu du contrat (plan n°19)
|
Très gros plan sur le cadre qui tombe sur le contrat,
comme un clap de fin (plan n°15)
|
Sens souhaité par le réalisateur
|
Montrer l'avidité du personnage principal, tout au moins
son comportement de gestionnaire plus que celui du mari esseulé.
Laisser le spectateur conclure lui-même de la cause de la
mort de sa femme : maladie, accident ou meurtre ?
|
Mettre en valeur le fait que le cadre tombe sur le contrat.
Laisser planer un doute sur la raison de la chute du cadre :
le mari le fait tomber exprès ou il tombe alors qu'il souhaitait le
prendre en main pour le regarder.
|
Sens perçu
|
L'objectif est atteint mais le doute subsiste quant aux mobiles
du personnage principal : - se débarrasser des tâches
administratives au plus vite ; - organiser les obsèques ; -
toucher l'assurance décès.
Cette liberté donnée aux spectateurs est bien
comprise et même appréciée.
|
Cette chute du cadre a frappé les esprits des
participants.
Aucun doute n'est exprimé, la chute est le fait du mari.
Son geste est jugé très négativement.
|
Dans les deux versions, le plan de fin est déterminant
dans la construction du sens par les spectateurs.
Dans la version 4, il permet, comme le souhaitait le
réalisateur, de réduire le champ des possibles sans imposer sa
vision des choses. Le comportement « rationnel » du
personnage principal élimine les éventualités du suicide
et du refuge dans l'alcool évoquées lors des tests de l'histoire
à compléter. Il ne reste donc plus que trois possibilités
de fin : le retour à la vie normale, le repli sur lui-même,
l'enquête policière, par exemple, suite à une escroquerie
à l'assurance, possibilité qui sort renforcée grâce
aux plans 13 à 19.
Dans la version 5, le très gros plan sur le cadre que le
mari fait tomber - volontairement selon les spectateurs - est une manipulation
du contexte normatif et culturel d'une telle force que les spectateurs
éliminent la plupart des fins qu'ils avaient imaginées
après la diffusion de la première partie. D'un éventail
très large de fins possibles, nous passons, en effet, à une
alternative : - le mari tourne la page (éventuellement suite
à une longue maladie), - le mari a provoqué la mort de son
épouse pour toucher la prime d'assurance.
Comparé au processus d'interprétation des trois
premières versions, celui des version 4 et 5 semble plus se
caractériser, à partir de la reprise de la seconde partie du
film, par l'élimination successive des sens possibles au fur et à
mesure de l'accumulation des éléments filmiques, narratifs ou
non. Il est également marqué par l'importance des premiers plans
de reprise dont l'effet de surprise agit comme une rupture de sens.
Sens s' : (s
- r'')
Sens s
Début Sens r' Sens r''
du film Test
Reprise
Sens r
Fin de
la 1ère partie
Eléments Construction Effet de Suite
de Plan de fin
filmiques par les spectateurs surprise
plans
proposés par des fins possibles
le réalisateur
Ce processus correspond sans doute davantage à ce qui se
passe dans le cadre d'un visionnage normal de film, en dehors d'un test
d'histoire à compléter.
Lors d'une projection, la construction des fins possibles par les
spectateurs se fait, en effet, tout au long du film, sans qu'ils ne les
expriment, voire sans qu'ils en aient véritablement conscience.
L'éventail des possibles s'élargit moins les
éléments filmiques sont directifs et rétrécie plus
ils le deviennent, voire se réduit à une seule et unique
signification lorsque le plan final est explicite, démonstratif et
convaincant. De même, plus le spectateur est informé du contenu du
film avant son visionnage, moins l'éventail des sens est large en
début de séance.
Imaginons trois cas de figure :
1) Dans le cas d'un film dont les spectateurs ne savent rien par
avance et pour lequel le réalisateur a décidé de laisser
les spectateurs imaginer leur propre fin, l'évolution de
l'éventail des sens sera la suivante :
L'inconnu et les premiers
plans
Elément déterminant
ou combinaison d'éléments
directifs
Non directivité
et ambiguïté
Eventail des sens construits par les spectateurs
Ce processus est celui que nous avons constaté à la
fin de la version 4. Le fait que le réalisateur n'impose aucune fin,
qu'il laisse le spectateur conclure lui-même de la cause de la mort de la
femme du personnage principal pousse certains spectateurs à sortir
de l'alternative film dramatique ou film policier dans laquelle ils
s'étaient eux-mêmes placés :
Maladie ou accident Film dramatique
Meurtre Film policier
Liberté de conclure Film d'auteur :
« [c'est inachevé]... mais c'est à toi de l'achever,
c'est voulu », « oui je suis d'accord, dans ce genre de
film, l'auteur ne finit pas exprès ».
2) Dans le cas d'un film dont les spectateurs ne savent rien par
avance et pour lequel le réalisateur a un souci de manipulation,
d'influence en utilisant tous les procédés filmiques directifs,
allant dans le même sens, l'évolution de l'éventail de sens
prendra - bien sûr, s'il n'y a pas de retournements ou de pivots (Seger,
Field, Chion) - la forme d'un entonnoir sans pour autant aboutir à un
sens unique pour tous :
L'inconnu du départ et les premiers
plans d'exposition
Suite d'éléments filmiques
directifs
Quelques sens
3) Dans le cas d'un film sur lequel les spectateurs ont
déjà des informations (type du genre, critiques, bande-annonce,
etc.) et pour lequel le réalisateur souhaite narrer une histoire de
l'exposition à sa résolution (Roche et Taranger, 1999),
l'éventail de sens évoluera :
La classification générique et
les préjugés de sens
Exposition
1er pivot
2ème pivot
Climax
Résolution
Eventail
réduit de sens
III- Conclusion de l'analyse transversale :
Notre étude montre, ce qui paraîtra peut-être
évident à certains, que les effets d'un film sur le spectateur
sont à la fois personnels et collectifs.
Chaque spectateur construit le sens du film, selon la
façon dont il vit cette expérience (expérience
vis-à-vis du film lui-même, expérience vis-à-vis du
dispositif mis en place pour l'étude que nous avons menée).
Pour les spectateurs qui acceptent le dispositif (l'expérience dans le
cadre universitaire) et le film, les effets de ce dernier sont rapides. Il
entraîne le spectateur dans l'histoire qui est narrée, le
mouvement, les plans successifs, la suite des événements. Le
spectateur s'inscrit alors dans le film et vit la suite des plans selon sa
personnalité, son passé, ses expériences, sa culture, etc.
La trop faible durée de notre film ne nous permet pas de
dire qu' « un second moi se substitue au premier, qui n'existe que
pendant la durée de la projection, et qui vit à
l'intérieur du film » (Esquenazi, 1994) mais nous avons
noté le travail du spectateur, ses efforts de perception, de
mémorisation, de compréhension. Nous avons remarqué que le
sens du film naissait des associations effectuées par le spectateur
pendant toute sa diffusion, et pas seulement lors du plan de fin même si
celui-ci est parfois déterminant. Nous avons également
constaté que la mémoire jouait un rôle primordial dans la
compréhension du film. Ainsi, nous avons été surpris de la
facilité avec laquelle les spectateurs, ayant mémorisé les
événements du film avant la pause, se sont replacés dans
l'histoire qui leur était montrée après une discussion de
groupe et un test de l'histoire à compléter. Nous avons
noté l'aisance avec laquelle les spectateurs ont
ré-ordonné les événements, sont passés des
uns aux autres, et avec laquelle certains d'entre eux ont occulté les
plans qui leur semblaient inutiles, ambigus ou qui menaçaient leur
schéma d'interprétation.
A deux reprises, à la fin des deux parties du film, nous
avons constaté que les effets d'un film sont également
collectifs. Chacun des spectateurs a construit le sens du film et semble
être étonné que les autres spectateurs ne lui donnent pas
le même sens. La discussion sur la même expérience devient
souvent passionnée et, malgré les échanges d'impressions
et les rappels d'éléments mémorisés par certains,
il est rare qu'un spectateur change d'avis, reconstruise le sens du film. Au
mieux, il accepte l'interprétation de l'autre sans se l'approprier.
Un autre apport de notre étude concerne l'influence de
l'obscurité et de la passivité des spectateurs, autrement dit le
fait d'être assis dans une salle plongée dans l'obscurité
(Pecha, 2000). La diffusion de notre film ne s'est pas faite pas dans les
conditions normales d'une projection cinématographique -
obscurité, confort d'un fauteuil, isolement, attention attirée
vers une surface lumineuse de grande taille, etc. - mais dans des conditions
qui pourraient être considérées comme spartiates :
diffusion sur un téléviseur grand écran dans une salle de
travaux dirigés, chaises et tables de « classe »,
etc. Or, malgré ces conditions peu cinématographiques, les
spectateurs, pour la plupart, se sont inscrits dans le film et ont construit
leur récit. Autrement dit, sans vouloir nier l'influence de
l'obscurité, il nous est apparu que le spectateur arrivait à
entrer dans le film même sans être plongé dans
l'obscurité et sans être «hypnotisé » par
une lumière vive (Metz, Mitry, Rittaud-Hutinet, De Voghelaer).
Comment expliquer alors le fait que notre film, de courte
durée et de qualité artistique discutable, ait eu autant
d'effets ? Nous écartons d'emblée l'hypothèse du
pouvoir d'un message diffusé sur un écran de
téléviseur - une espèce de fascination des techniques
« modernes » plus que de l'institution
télévisuelle puisque le film n'était pas diffusé
par une chaîne de télévision - ainsi que celle d'un
spectateur ne possédant aucune autonomie, ne pouvant pas recevoir le
message autrement que ce que l'émetteur avait construit
intentionnellement (Esquenazi, 1996). En revanche, nous ne pouvons pas exclure
l'influence du contexte de réception : nos diffusions eurent lieu
dans le cadre universitaire, dans des conditions matérielles
particulières, pendant des séances de travaux dirigés au
cours desquelles les étudiants sont susceptibles d'être
évalués, mais en l'absence d'enseignant, etc.
Nos interviews de groupe ont montré que les participants
se sont investis dans le récit qui leur était proposé. Que
leur passivité physique sur leur chaise n'avait pas paralysé leur
activité sensorielle et cérébrale (Cohen-Séat).
Qu'ils avaient au contraire fortement participé à la
reconnaissance du schème audiovisuel, faisant même des efforts
particuliers de perception lorsque les plans étaient ambigus, et qu'ils
avaient fait un travail de mémoire et d'agencement des
différents plans.
Nous arrivons donc à considérer comme Esquenazi que
«le travail du spectateur est nécessaire au film, c'est lui qui
rend effectives d'éventuelles virtualités contenues dans ce
dernier. Et cette activité psychique est quelque chose comme une
activité de mesure : il est question d'évaluer telle image
en fonction de précédentes, de lui donner son cadre, de scander
ses différentes apparitions tout le long du film » (Esquenazi,
1994, p.54). Dans cet esprit, la perception dépend du travail de
mémoire du spectateur : « toute perception saisie par la
pensée s'appuie sur les connaissances accumulées dans la
mémoire du sujet percevant ».
Nous pouvons reprendre l'analogie avec le montage faite par
certains auteurs classiques (Albéra) qui considèrent que la
perception et la compréhension d'un film sont liées à la
formation d'un discours intérieur qui relie entre eux les cadres
isolés, autrement dit à un montage mental effectué par le
spectateur à la vue des plans montés par le
cinéaste : « Le spectateur ne se contente pas de regarder
attentivement chaque nouveau cadre pris séparément, il le
confronte avec le précédent et le suivant. Le sens de chaque
cadre dépend en grande partie de son lien avec ses voisins. Un
même cadre peut avoir différentes nuances de sens selon ses
rapports avec les autres. A charge pour le spectateur de deviner ce sens selon
ses rapports avec les autres» (Eikhenbaum, 1926).
Nous pouvons en déduire que le réalisateur-monteur
agence ses plans pour créer un sens et que le spectateur perçoit
chacun des plans, les mémorise et les re-monte, les agence à sa
manière. Le sens du film ne s'impose pas à lui. Il le construit.
Le spectateur ne se contente pas, pour donner du sens à un récit,
d'interpréter les éléments que le réalisateur lui
montre. Il recrée des faits, imagine parfois des
événements qui ne lui sont pas présentés dans le
film. Il procède à un véritable travail interne de
re-montage des événements, des images et des sons.
Le spectateur est donc loin d'être passif lors de la
diffusion d'un film ; ce dernier le poussant dans une sorte de combinaison
et d'enchaînement de perceptions, de mémorisations,
d'imaginations, de constructions de sens qui l'amènent à
construire sa propre histoire.
Et comme le fait remarquer Esquenazi408(*), citant Paul Ricoeur, toute
incompréhension perceptive ou narrative conduit automatiquement le
spectateur à ne pas « reconnaître le film (...) c'est
l'enchaînement des perceptions qui n'est plus compris, et le film est
jugé incohérent » (Esquenazi, 1994, p.50).
Le principe de cohérence est l'un des principes, pour ne
pas dire conventions, à respecter en matière de
réalisation de film de fiction. Car, « si un mouvement de film
désorientait un spectateur au point qu'il constitue pour lui une
énigme par rapport au reste du film, ce film perdrait son sens pour ce
spectateur » (Esquenazi, 1994, p.224). Le respect de ce principe de
cohérence n'exclut pas les oppositions, les conflits, la
ciné-dialectique (Eisenstein) à condition que pour les
spectateurs, « rien ne demeure ambigu. Le sens advient toujours au
spectateur, selon des lignes émotionnelles et conceptuelles »
(Vanoye et Goliot-Lété, 2001). En outre, comme le suggère
Esquenazi, un spectateur peut accepter qu'un mouvement du film le
désoriente s'il admet que le sens viendra dans la suite du film.
Autrement dit, une fin qui viendrait trop perturber le spectateur pourrait
entraîner un rejet de sa part, le film tout entier perdant son sens
à ses yeux.
Nos interviews de groupe, en plus de valider l'importance du
travail du spectateur et de son discours intérieur, ont montré
que son imagination était essentielle dans la construction de
l'histoire. Le spectateur complète le récit qui lui est
proposé par le réalisateur. Nous l'avons bien sûr
constaté lors des tests de l'histoire à compléter mais
également lors de l'interprétation de certaines scènes. A
diverses reprises, nous avons remarqué que l'imagination des spectateurs
complétait spontanément ce qu'ils avaient perçu comme des
oublis et/ou des incohérences.
C'est pourquoi, nous complèterons la distinction que font
certains auteurs entre une histoire et un récit. Nous distinguerons
l'histoire à l'origine du récit proposé par le
réalisateur au spectateur et l'histoire construite par le spectateur
lors du visionnage du film. Pour le réalisateur d'un film, le point de
départ est tout ce qu'il sait de l'histoire qu'il veut raconter.
Toutefois, pour différentes raisons qui lui appartiennent, il peut
laisser de côté volontairement certains éléments,
certains événements de l'histoire ou vouloir en cacher au
spectateur. Il peut, au contraire, notamment dans une oeuvre de fiction,
ajouter des éléments n'appartenant pas à l'histoire
(musique, personnages imaginaires, etc.) avec le concours de professionnels du
cinéma (cadreur, monteur, compositeur de musique, etc.). Comme
Bordwell et Thompson (2000), nous envisageons le récit comme
étant l'ensemble des événements présentés au
spectateur, avec leurs relations causales, leur ordre chronologique, leur
durée, leur fréquence et leurs situations spatiales, par le film
au moyen d'images et de sons.
Construction par le réalisateur
Une Histoire Son
Récit
La construction du récit, c'est-à-dire en
réalité la fabrication du film, n'est pas le fait d'un seul
homme, c'est généralement une oeuvre collective. Dans notre
projet, nous avons rempli les tâches de différents corps de
métier, excepté celui de comédien. Nous souhaitions faire
surgir un sens en manipulant les contextes, dans un esprit de cohérence.
A cet effet, la liste des éléments cinématographiques que
nous avions classés par contexte nous a, lors du passage de l'histoire
au récit, particulièrement aidé.
Les éléments cinématographiques du
processus et les métiers du cinéma concernés
[ Sources : Mucchielli (2001), Chion (1990),
Parillaud et Besson (2002) ]
Contexte
|
Exemples de processus
|
Métiers du cinéma
concernés
|
Identitaire
|
- Façon d'être des acteurs,
- typage
- manière de parler,
- attitudes, gestes
- style, « look »
- habits,
- noms des personnages, etc.
évoquant les valeurs, la vision du monde des
personnages.
|
- Metteur en scène
- Directeur du Casting
- Comédiens, Répétiteur
- Réalisateur,
Répétiteur
- Maquilleur, Coiffeur
- Costumier, Habilleur,
- Scénariste, etc.
|
Spatial
|
- Lieu de tournage : intérieur,
extérieur, etc.
- Décors,
- aménagements,
- mise en scène,
- cadrage,
- travelling.
|
- Réalisateur, Repéreur,
- Décorateur, Menuisiers
- Peintres en décor, Tapissiers, Staffeurs,
Serruriers, Machinistes, Effets spéciaux
- Chef constructeur, Ensemblier
- Metteur en scène et son assistant
- Cadreur, Opérateur
Steadycam
- Opérateur de prises de vues, opérateur
cadreur technocrane, chef machiniste etc.
|
Temporel
|
- Evocations historiques : costumes, coiffures,
objets familiers de l'époque,
- flash back, ellipse, flash forward, fondus,
- jour/nuit, éclairage,
- alternance des séquences, etc.
|
- Costumiers, Perruquiers, Accessoiristes, Maîtres
d'armes, Historiens, Taneurs, Créatrices de costumes
- Chef Monteur
- Réalisateur
- Chef opérateur, Electriciens
- Réalisateur et Producteur
|
Des positions respectives
|
- Evocations langagières (tu, vous,
etc.).
- Attitudes et indices paralinguistiques du statut, de la
culture,
- Indices du niveau social : costumes, habitation,
lieu de travail, etc.
|
- Scénariste, Adaptateur
- Dialoguiste
- Metteur en scène, Comédiens,
Storyboarder, Doublures, Figurants, Cascadeurs, etc.
- Costumiers, Décorateurs, Accessoiristes,
- etc.
|
Physique et sensoriel
|
- Bande image : plans, montage, etc.
- Bande son : voix, musique, etc.
|
- Cadreur, Chef opérateur, Pointeur,
Monteur
- Ingénieur du son, Perchiste, Compositeur,
Arrangeur, Chef d'Orchestre, Interprètes, etc.
- Directeur de plateau, Dialoguiste de doublage,
Mixeur, Bruiteur, Concepteur Son
|
Normatif
|
- Les modes, les usages, les normes, les coutumes,
etc.
- Les rappels de films cultes
- Les genres cinématographiques,
- la « grammaire » et les codes
cinématographiques,
|
- Historien et Théoricien du cinéma,
Réalisateur
- Historien du cinéma
- Producteur, Affichiste, Attaché de presse,
Réalisateur de la bande- annonce, Réalisateur du making
of
- Tous les métiers correspondant à un
code : narrativité, montage, bande image, bande son,
etc.
|
Relationnel
|
- Ambiance entre les personnages joués par les
acteurs.
- Paroles, gestes et manières d'être
à signification affective, etc.
- Intonations, mots à connotation.
- Manifestations de sympathie ou
d'antipathie.
|
- Metteur en scène,
- Assistant metteur en scène
- Scripte
- Conseillers techniques
- Coach
|
Les cinq versions que nous avons diffusées sont donc des
récits que nous avons construits à l'aide de ce guide
d'éléments contextuels. Dans notre étude, comme dans la
plupart des visionnages d'un film pour la première fois, l'histoire
à l'origine du récit du réalisateur est donc
ignorée du spectateur. Les rares films dont l'histoire est connue par le
spectateur sont des films historiques ou des films relatant des faits
réels bien que même dans cette catégorie de films,
l'histoire puisse être plus ou moins bien connue par le spectateur selon
sa culture, son niveau d'information, etc.
Le spectateur, en tant que sujet percevant, prend connaissance du
seul récit, des éléments présentés par le
film, appartenant ou non à l'histoire, autrement dit des
éléments narratifs, sonores et visuels que le réalisateur
a agencé lors du montage final.
A partir de ces éléments, le spectateur va
construire sa propre histoire, différente de celle du réalisateur
et de celle que créeront les autres spectateurs à partir des
mêmes informations fournies par le récit.
Construction par le spectateur
Un Récit Son Histoire
L'histoire reconstruite par le spectateur est différente
de celle dont s'est emparé le réalisateur pour créer son
récit. « Du point de vue du sujet percevant (...) tout ce qui
se présente à lui, c'est le récit, le film tel qu'il est
lui donné à voir. Il crée l'histoire à partir des
informations fournies par le récit. (...) » (Bordwell et
Thompson, 2000, p.122).
Nous ajouterons que l'histoire est créée à
partir de tous les éléments présentés dans le film
et reconnus par le spectateur, c'est-à-dire perçus,
mémorisés et compris par le spectateur, ou déduits voire
imaginés par lui.
Le plan final (ou la séquence de fin) est bien entendu
primordial à la construction de l'histoire par le spectateur. Si ce plan
n'est pas explicite, nous avons constaté que l'imagination prend le
dessus. Les fins imaginées font alors appel à l'identité
profonde et au monde privé de chacun des spectateurs (Mucchielli, 1996),
aux facteurs internes du spectateur. En revanche, lorsque le plan final est
explicite, la vision du monde proposée au réalisateur s'impose
souvent à moins qu'elle ne soit en opposition avec celle du spectateur
qui la rejette pour son incohérence.
Pour simplifier, le spectateur construit son histoire à
partir de facteurs externes (le récit du cinéaste, la bande
image, la bande son, etc.) et de facteurs internes (sa personnalité, ses
désirs, sa culture, ses capacités sensorielles et
mémorielles, sa créativité). On comprend mieux dès
lors que l'histoire vécue au travers un film est une expérience
unique pour chaque spectateur, que les plans imaginés par le spectateur
laissent souvent plus de traces mémorielles que le plan proposé
par le cinéaste. Ainsi, le plan imaginé pour permettre un
meilleur agencement avec les plans réels et/ou le plan final
désiré et construit par le spectateur pour compenser le plan de
fin du film jugé trop ambigu sont souvent ceux dont le spectateur se
rappelle. Combien de spectateurs revoient-ils un film en s'étonnant que
la fin qu'ils avaient aimée ne soit pas celle qu'ils visionnent ?
Ils avaient rêvé que les deux amants partent ensemble, que la
mère de famille guérisse, que ...et le réalisateur ne
conclut pas, termine sur un plan qui laisse toutes les possibilités
ouvertes. Alors, la déception est grande, le film est, d'un coup, moins
apprécié. On en veut même parfois au réalisateur
et/ou au diffuseur (la chaîne de télévision) d'avoir sali
notre mémoire.
Processus de co-construction d'une histoire
Rédaction du
scénario,
filmage et montage
Histoire à raconter Récit créé par
le réalisateur
Diffusion
du film
Perception progressive par
Mémorisation
le spectateur des
plans, événements,
des événements présentés
images, sons, etc.
par le réalisateur Au cours
Re-montage progressif du film par le spectateur de la
diffusion
Compréhension progressive du film
de la suite des plans, du premier jusqu'au
plan final
Sens du film construit par le spectateur
Histoire recréée par le spectateur
Lors des interviews que nous avons réalisées, les
participants n'ont pas hésité à donner un jugement de
valeur sur le film projeté, à exprimer un avis qualitatif sur le
film, qu'il soit positif ou négatif, à proposer des
améliorations et à émettre des regrets, etc. Cette
attitude constructive est à souligner alors que les participants
étaient interviewés dans un cadre universitaire dans lequel ils
sont eux-mêmes évalués.
Les participants se sont vite mis dans la peau d'un critique ce
qui corrobore la thèse de François Truffaut selon laquelle chaque
spectateur a deux métiers, le sien et celui de critique409(*). Il est vrai que le
rôle de critique peut sembler, de prime abord, plus simple à
exercer que celui d'analyste. Il s'agit, en effet, de porter un jugement
esthétique sur un film ce qui à tort peut faire croire que c'est
à la portée de tout le monde.
Indépendamment des jugements d'ensemble - qui se
répartissent équitablement entre positifs et négatifs -
sans grand intérêt puisque le but n'était pas de valider la
qualité de notre court-métrage, nous avons relevé
plusieurs points intéressants.
- Le premier est que les avis sont très variés et
différents d'un groupe à un autre ainsi qu'au sein d'un
même groupe. Il est fréquent que ce qui plait aux uns
déplaise aux autres et vice versa. Ceci est d'autant plus remarquable
que les participants étaient de la même tranche d'âge (19 -
25 ans) et avaient une formation comparable (de niveau supérieur dans la
même filière, AES). De plus, nous n'avons noté aucun lien
significatif entre l'un des critères de profil (le sexe, l'âge, le
niveau d'études et la fréquentation des salles de cinéma)
et les avis émis.
- Le deuxième est que ces avis spontanés concernent
autant le récit, la structure narrative, le rythme, le filmage, le jeu
des acteurs, les dialogues, les décors et costumes, la durée du
film, etc. La plupart des éléments qui composent un film sont
cités, mais avec, il est vrai, des imperfections terminologiques.
Toutefois, aucun élément de la combinaison filmique ne semble
réellement prépondérant dans le jugement final, même
si certains participants semblent attacher plus de poids à telle ou
telle composante. L'absence de facteur prééminent de jugement
justifie de faire appel à des divers corps de métier pour
fabriquer un film. La valeur d'un film, telle qu'elle est
appréciée par le spectateur, est le résultat d'un ensemble
de contributions, appelé chaîne de valeur (Creton, 2001, p.162).
En matière de réalisation - l'une des trois étapes de la
chaîne avec, en amont, le positionnement (choisir la valeur) et, en aval,
la promotion (communiquer la valeur) - il est aisé de comprendre que
pour fournir la valeur choisie par le couple producteur -réalisateur et
attendue par le spectateur, dans une limite budgétaire
déterminée, il soit nécessaire de gérer les
compétences de professionnels aux métiers très
différents et spécialisés. La valeur d'un film est donc le
produit de la conjonction de multiples influences, de technicités et de
talents (Creton, 2001, p.221-230).
La polysémie d'un film vient donc à la fois de la
pluralité des spectateurs (Metz), de la variété de leur
horizon d'attente, et de la polyvalence des compétences requises pour
réaliser un film. Ces compétences multiples nécessitent
généralement une équipe nombreuse et composée de
membres de diverses corporations souvent attachées aux traditions et
respectueuses de codes, règles ou conventions.
- Le troisième constat est que les participants donnent et
justifient souvent leurs avis en se référant à des genres
cinématographiques ou à des films ou des séries de
télévision. Les interviewés font, en effet, souvent
allusion à l'appartenance du film à tel ou tel genre
cinématographique (film policier, cinéma d'auteur, etc.),
à telle ou telle catégorie audiovisuelle (film
cinématographique, téléfilm, série
télévisuelle) , à tel ou tel format (court-métrage,
spot publicitaire), à telle ou telle nationalité (série
allemande, etc.), mais aussi à l'enveloppe budgétaire (film de
série B410(*),
etc.), ou à une ressemblance avec une série
télévisuelle populaire (Derrick, Columbo, etc.).
Il semble que le spectateur se fixe un niveau d'aspiration
filmique, un horizon d'attente, en fonction de la catégorie à
laquelle il pense que le film fait partie. Ainsi, il admettra davantage une fin
confuse pour un film d'auteur comme si s'appliquait la formule de Madame de
Staël : « comprendre, c'est pardonner ». Il
attendra une enquête de police s'il classe le film dans le genre des
films policiers. La connaissance du genre cinématographique, nous
l'avons vu, aide le spectateur à lire le film, à
l'interpréter (Moine), à organiser son système d'attente
(Casetti). Pour qu'il en soit ainsi, il est nécessaire que le spectateur
ait une connaissance du genre, même partielle, et qu'il soit averti du
genre du film avant son visionnage. Or, nos participants n'étaient pas
avertis du genre du film qu'ils allaient voir. Ils ont donc, pour certains,
chercher à reconnaître le genre auquel appartenait notre
court-métrage avant de construire leurs attentes et d'interpréter
le film, puis de le juger globalement voire esthétiquement. Cet effort
de reconnaissance générique ne connaît aucune interruption
du début à la fin du film, ce qui permet au réalisateur
d'envisager de créer un doute, un suspens en faisant évoluer les
caractéristiques de genre. En conséquence, cet effort, souvent
récompensé en termes de compréhension et de plaisir
filmique, fait partie du travail du spectateur et prouve que ce dernier est
loin d'être passif pendant le visionnage (Mitry). Toutefois, il ne faut
pas exagérer l'importance de cet effort d'identification
générique ; avec un minimum de culture
cinématographique, le genre d'un film est, somme toute, assez facile
à reconnaître (Bordwell et Thompson, 2000).
Les conséquences de la connaissance en amont
(vs ignorance) du genre
Connaissance du genre
Non-connaissance du genre
avant la diffusion du film
(par absence d'informations avant la
(grâce aux indicateurs de genre :
projection ou volonté dur réalisateur de
bande annonce, affiches, etc.)
surprendre les spectateurs)
Niveau d'attente, Effort d'identification
générique,
niveau d'aspiration
stylistique ou autre
Compréhension
Plaisir vs déplaisir
- Le quatrième constat est que de nombreux participants,
quelle que soit la version, cherche à comprendre l'intention du
réalisateur (manipuler, tromper, troubler, faire peur, faire
réfléchir, faire imaginer la fin, etc.), voire son
intérêt à organiser des interviews de groupe (montrer un
extrait, montrer la fin et pas le début ou l'inverse en guise de
preview ou de screen-test, pré-tester un message
publicitaire en faveur d'une compagnie d'assurances, etc. ?). La plupart
des participants à notre étude ont participé avec un
certain enthousiasme aux interviews et certains ont même émis,
pendant ou après l'interview, le souhait de voir le film dans son
éventuelle intégralité et de participer à d'autres
tests filmiques. En conséquence, le faible usage, en France, des
sneak previews ne nous semble pas avoir pour justification les
difficultés d'organisation et de recrutement de
volontaires. Nous ne pensons pas, non plus, que le fait que le
réalisateur, en France, détienne la propriété
intellectuelle de son oeuvre et que personne ne puisse le contraindre de
modifier son film puisse expliquer complètement cette retenue
vis-à-vis des pré-tests.
En réalité, compte tenu de la diversité et
de l'hétérogénéité des avis que nous avons
relevées dans notre étude, un réalisateur peut être
troublé par les résultats d'un preview et ne plus savoir
réellement ce qu'il doit modifier. Une situation que Joel et Ethan
Coen ont mentionné pour expliquer leur prudence face aux avis
extérieurs : « nous restons très
imperméables aux commentaires extérieurs, quand on travaille sur
nos films. Principalement parce que si vous demandez leur avis à cinq
personnes, vous aurez cinq points de vue différents, et qu'il est
très facile de se désorienter par ça ».
Diverses appréciations selon les groupes et
versions diffusées
Version du film
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Version 1
(mari effondré, crise cardiaque)
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Réunion N°2 :
« c'est mal joué », « je
suis pas d'accord », « le problème c'est l'intrigue.
On ne la comprend pas bien », « on manque d'explications.
En fait, ce n'est pas assez long », « ca manque d'actions
aussi », « ca fait série télé,
l'image, tout quoi », « il va y avoir une enquête de
police », « Ah pas mal, j'aimerais bien aussi ».
|
Réunion N°4 :
« on aimerait en savoir plus »,
« c'est bizarre », « L'acteur est restreint. Il
ne dit rien. Il est très introverti », « ça
fait court-métrage à petit budget », « on
dirait les courts métrages sur France 2 », « moi,
j'ai bien aimé », « moi aussi, pour un film de
quelques minutes, c'est bien », « en tout cas, cela vous a fait
parler »
|
Réunion N°7 :
« cela manque de peps », « trop
prise de tête », « c'est le genre qui veut
cela », « oui mais tout est bizarre : même le
cadrage, c'est étrangement filmé », « c'est
fait exprès pour te déstabiliser, je pense »,
« c'est réussi, crois moi »
|
Version 2
(voix avec un accent sicilien et toast)
|
Réunion N° 10 :
« c'est court », « ça
paraît court, mais quand même on se pose pas mal de
questions... », « il n'y a pas beaucoup de dialogues alors
on se pose plein de questions », « c'est trop lent pour
moi », « non, moi j'aime bien, « le bureau fait
un peu trop décor », « Rien me semble
réel...le désert, etc. C'est étrange comme
impression », « c'est vrai, ça fait pas un endroit
utilisé tous les jours. C'est très froid. Un peu
angoissant », « c'est un court-métrage assez
prenant. On a l'impression d'être baladé :
curieux ! », « il est plein de détails. Il
faudrait le revoir, je crois, pour bien percuter »
|
Réunion N°13 :
« un Derrick »,
« ça reste toujours dans la logique des films des
années 80. Avec cette suite de plans »,
« Si le tueur c'est lui, je ne vois pas trop un
policier sauf si c'est un Colombo où on connaît le tueur
dès le début », « c'est plutôt un
policier. Donc un flic va apparaître à l'écran »,
« Le type au téléphone, ça doit être un
tueur à gages », « il va venir chercher son fric et
l'autre va le tuer pour ne pas laisser de trace... »
|
Réunion N°15 :
« On nous a bien trompé, c'est bien joué,
on serait sur nos gardes si cela continuait.. », « on nous
a bien manoeuvrés au départ pour que l'on croit aux sentiments de
ce type alors qu'il cachait bien son jeu », «j'ai bien
aimé en définitive », « j'aimerais bien en
savoir plus. On peut voir la suite ? », « La fin est
tellement surprenante que je ne sais pas en fait si c'est un film
dramatique ou drôle », « oui, c'est vrai, on est
partagé. C'était le but sûrement »,
« c'est un bon court métrage », « il
faudrait de l'action car là c'est un peu endormant tout de
même.. »
|
Version 3
(mari volage, jambes de femme)
|
Réunion N°6 :
« lent...mou ...angoissant »,
« intellectuel, on a beaucoup de questions. Il faut beaucoup
réfléchir pour comprendre », « on se pose
beaucoup de questions », « en tout cas, surprenant »,
« l'acteur ne dit rien », « la qualité de
l'image n'est pas excellente », « j'aimerai bien le voir en
entier, tout de même »
|
Réunion N° 11 :
« il y a trop de clichés, je trouve, le
désert, les jambes, tout quoi », « je ne trouve pas.
En peu de temps, il crée une ambiance », « oui, assez
lourde et étrange, on croit comprendre et puis hop, on est pris au
piège », « c'est assez drôle, mais ça
fait penser à un début de film porno...C'est peut-être la
première scène porno qui va arriver avec le patron et sa
secrétaire... », « je pense que c'est un
court-métrage, mais ça pourrait être le début ou la
fin d'un film plus long », « c'est un film troublant en
tout cas, très psy... », « oui, en tout cas pas
facile. Il parle de couple, de maladie, de mort... intéressant mais
pas drôle »
|
Réunion N°12 :
« c'est franchement pas terrible. Y a pas
d'action », « il nous manque un bout de film, je
pense », « oui, il y a trop de questions sans
réponse », « la personne au téléphone
au début, on n'est pas sûr de qui c'est. Sa
femme ? », « Elle est morte, donc c'est la
maîtresse, réfléchis... », « moi j'ai
trouvé qu'en quelques minutes, le suspense était
créé », « oui un court métrage
intéressant qui interpelle quelque part.. », « un
peu trop court à mon goût, mais bon c'était prévu
pour, je suppose... »
|
Version 4
(mari intéressé, ouverture du contrat)
|
Réunion N°1 :
« Il n'y a pas de suspense. Tout est
programmé », « c'est peut-être une pub pour
les assurances », « il n'est pas assez long, c'est
dommage », « moi j'ai trouvé qu'il y avait trop de
gros plans », « ça fait un peu série B, je
trouve », « c'est mal joué, je trouve »,
« c'est peut-être fait exprès », «
soit c'est fait exprès et c'est un super acteur ou alors il ne vaut rien
du tout. Ca serait bien de le savoir », « Il doit bien y
avoir une fin, j'aimerais bien la connaître, c'est vrai ».
|
Réunion N° 3 :
« c'était bizarre », « il
laisse une impression bizarre », « on ne cerne pas bien le
personnage », « je pense que c'est un extrait de film, on
n'a ni le début, ni la fin », « bien mais
très série allemande dans sa façon de raconter
l'histoire »
|
Réunion N°8 :
« c'est un peu court. En plus, on a beaucoup de choses
en si peu de temps », « d'un autre côté, c'est
bien qu'il y ait plein de pistes », « c'est bizarre ce
film : il est troublant », « c'est un bon
court-métrage d'auteur : assez original », « en
tout cas, il ne laisse pas indifférent », « c'est
inachevé. On n'a pas de réponses. Est-ce qu'on va voir la
fin ? Ou bien est-ce le début d'un film plus
long ? », « mais c'est à toi de l'achever,
c'est voulu », « oui je suis d'accord, dans ce genre de film,
l'auteur ne finit pas exprès », « c'est un film
noir », « il m'a foutu la trouille »
|
Version 5
(mari sans état d'âme, chute du cadre avec la
photo)
|
Réunion N°5 :
« on a beaucoup de questions sans réponse. On
peut connaître la suite ? », « c'est trop court,
c'est vrai », « le mec est ringard »,
« non, je le trouve assez crédible dans le rôle d'un
patron », « c'est étrange, j'ai eu l'impression de
l'avoir déjà vu », « l'histoire, les
décors, tout cela me rappelle quelque chose »,
« c'est vrai, j'ai un peu la même impression ».
|
Réunion N° 9 :
« on dirait une partie d'échec. Tout semble
calculé jusqu'à la fin qui fait un échec et
mat », « c'est compliqué, il faut
suivre... », « Dans Colombo, c'est pareil il y a
un meurtre et on voit tout de suite le coupable », « c'est
plus un film télé qu'un film de ciné. »,
« ça fait téléfilm », « je
dirais plutôt un court-métrage », « c'est
peut-être une pub pour l'assurance », « c'est pas
mal, je trouve, mais on reste sur sa faim. On ne connaît pas la fin de
l'histoire. C'est peut-être un extrait », « c'est un
court-métrage et souvent on te laisse toi-même imaginer la
fin »
|
Réunion N°14 :
« il faudrait voir la suite ... »,
« je ne comprends pas encore très bien le message qui devait
passer. L'acteur n'est pas génial, non plus »,
« disons que c'est un peu surjoué », « pas
plus que Francis Huster et bien d'autres que vous admirez...non je l'ai
trouvé assez crédible en mari
intéressé », « ça fait
réfléchir...on peut voir la suite ? »,
« c'est peut-être une pub pour les assurances »
|
- Cinquième constat : comme nous l'avons
déjà souligné, notre étude n'avait pas pour
objectif de mesurer la satisfaction (vs insatisfaction) des participants
après qu'ils aient visionné notre court-métrage. Nous
avons, toutefois, été surpris par la vivacité des
réactions des participants à l'égard du film, qu'ils aient
pris du plaisir à le voir ou du déplaisir. Il nous est difficile
de conclure en « la parenté du film de fiction et
du fantasme » (Metz, 2002, p.135), bien que l'on
retrouve dans les causes principales du déplaisir filmique celles
données par Christian Metz. Soit le film est
jugé « terne »,
« ennuyeux » ou « quelconque », soit il
est de mauvais goût, outrancier ou sadico-pornographique. Ce qui a permis
à Metz de donner la formule du film générateur de
plaisir : il est nécessaire que le « détail de la
diégèse flatte suffisamment ses fantasmes conscients ou
inconscients pour lui permettre un certain assouvissement pulsionnel, et il
faut aussi que cet assouvissement reste contenu dans certaines limites, qu'il
demeure en deçà du point où se mobiliseraient l'angoisse
et le rejet » (Metz, 2004, p.136).
Un film qui déçoit les attentes d'un spectateur est
un mauvais objet en créant un déplaisir filmique (Metz). Le
déplaisir peut avoir des conséquences négatives sur le
comportement futur du spectateur à l'égard des autres films
proposés par l'institution cinématographique. Le spectateur
déçu réduira sa fréquentation des salles,
minimisera le risque d'être insatisfait en ne choisissant que des films
à bonne presse ou à bouche à oreille favorable, visionnera
le film après téléchargement sur Internet, y compris en
toute illégalité et avec une image et un son de moindre
qualité, et n'ira le voir dans une salle de cinéma que s'il juge
qu'il en vaut la peine. Ce comportement de recherche de la gratuité
grâce à Internet et aux échanges de personne à
personne (échange de copies, duplication de contrefaçons, etc.)
tend, en effet, à se développer chez les jeunes, composante
importante du public, et défavorisera vraisemblablement les films
d'auteur, les films dont la mise en scène ne sera pas à grand
spectacle. L'insatisfaction du spectateur a des conséquences sur son
comportement propre mais aussi sur celui de son entourage. Le déplaisir
a un double effet négatif : sur le comportement individuel du
spectateur mécontent et sur le comportement collectif..
Le plaisir (vs déplaisir) filmique du spectateur
influence, généralement dans le même sens, l'avis (positif
vs négatif) qu'il donnera à son entourage. Or, le
bouche-à-oreille a des effets sur le comportement et notamment sur le
choix d'un film parmi toute l'offre proposée par l'institution
cinématographique. Jehoshua Eliashberg (2005) a montré que le
bouche-à-oreille a souvent plus de poids que les critiques de
cinéma : « L'avis d'un ami pourrait dissuader
quelqu'un de voir un film en dépit de bonnes critiques ou au contraire
le convaincre d'aller voir un film qui a déplu à la critique.
Ainsi Hook de Spielberg a réalisé beaucoup
d'entrées malgré des critiques essentiellement négatives,
tandis que le Gettysburg de Maxwell, unanimement loué par la
critique, a reçu un accueil médiocre du public ». En
France, les recherches réalisées sur l'impact de la critique sur
les entrées en salles donnent des résultats divergents (Debenetti
et Larceneux, 2000), (Creton, 2000) mais plutôt en faveur d'une
non-corrélation : « sur le marché du film en
salles, il existe une non-corrélation indiscutable entre les avis des
journaux spécialisés et le comportement général des
spectateurs (Forest, 2000, p.63). En conséquence, le
bouche-à-oreille est sans doute l'un des éléments les plus
influents sur le choix d'un film, et cela même si le montant du budget de
la campagne de communication est substantiel (Laurichesse, 2000).
Le déplaisir filmique éprouvé par un
spectateur peut donc, par un phénomène de boule de neige,
augmenter le risque d'échec commercial. Dès les premiers jours de
diffusion, les avis négatifs vont influencer négativement le
choix des spectateurs potentiels réduisant les chances du film de rester
à l'écran. En tant que mauvais objet, le film qui crée du
déplaisir est une « ratée de l'institution
cinématographique » (Metz). En plus de menacer la survie du
producteur, financeur du film, il risque, en outre, de mettre en danger
l'ensemble des parties prenantes au film, et notamment celles qui sont
facilement repérables par le public et l'institution
cinématographique : le réalisateur, les acteurs principaux,
etc. qui seront forcément moins bankables après cet
échec. Il menace également les catégories auxquelles
appartiennent le film : le genre, le sous-genre, le style, la
nationalité du pays de production, la langue de production, le pays
où a eu lieu de tournage, etc. comme s'il y avait un effet de halo
négatif sur les caractéristiques qui ont fait le film.
Cette dynamique explique qu'un échec (vs succès)
d'un film isolé puisse de proche en proche toucher des pans entiers de
l'institution cinématographique et faire mourir (vs naître) une
production nationale.
CONCLUSION GENERALE
Il est de coutume en fin de travail de comparer les
objectifs de départ et les résultats obtenus. Notre objectif
principal était de mieux comprendre le fonctionnement de la
communication filmique et les mécanismes de construction de sens. Nous
avions le sentiment qu'il existait un décalage entre certaines
théories et l'expérience que nous avions en tant que spectateur
et en tant qu'auteur réalisateur411(*). Une grande partie de la littérature
cinématographique est, en effet, composée d'ouvrages et
d'articles sur les techniques de prise de vues, de montage, de mise en
scène, etc. et repose, au moins implicitement, sur le principe que
seul le réalisateur produit du sens. Certains théoriciens et/ou
réalisateurs sont même encore persuadés qu'ils peuvent
imposer un sens à tous les spectateurs, qu'ils maîtrisent leurs
émotions, leurs sentiments, leur compréhension par l'usage de
procédés narratifs ou strictement techniques, tels que des
mouvements de caméra, des échelles de plan, des liaisons, etc. Au
cours de l'histoire du cinéma, les professionnels du cinéma, quel
que soit leur métier, ont accumulé des connaissances qu'ils ont
eu tendance à considérer comme le bon usage, comme des codes
qu'il fallait respecter et qui constituèrent une grande partie de ce qui
continue à être enseigné dans les écoles de
cinéma.
La réalité est beaucoup moins simpliste
pour de nombreuses raisons que nous avons relevées tout au long de
notre recherche.
Un film est une oeuvre collective et résulte de la
collaboration de professionnels aux spécialités et
compétences diverses. Or, la plupart des métiers du cinéma
ont leurs règles, leurs conventions, leur code de bon usage. Le
scénariste n'est pas censé connaître le code du montage,
comme le monteur n'est pas obligé de maîtriser le code de la
musique, etc.
La plupart des réalisateurs considèrent
donc que leur rôle de chef d'orchestre est de faire en sorte que le sens
qu'il souhaite donner à un plan, une séquence, voire le film tout
entier, soit la résultante des sens de tous les éléments
qui le constituent. Autrement dit, dans cette conception, chaque
élément filmique est considéré comme un vecteur de
sens et le sens total est obtenu en faisant la somme de tous les vecteurs qui
constituent une unité du film, quelle qu'elle soit. Certains pousseront
plus loin l'analogie avec la théorie vectorielle en mathématiques
en concluant que pour que la somme vectorielle soit forte, il est
nécessaire que les vecteurs n'aillent pas dans des directions
opposées. Toutefois, la pluralité des vecteurs filmiques de
sens, la variété des possibilités d'angles de direction et
de longueurs (ou modules), c'est-à-dire de force ou d'impact, rendent
cette analogie avec la somme des vecteurs assez abstraite.
V1
V3 = V1 + V2
O
V2
Il n'en reste pas moins vrai qu'elle montre la difficulté
pour un réalisateur de gérer un très grand nombre
d'éléments filmiques afin de provoquer un effet optimal sur le
spectateur. Ainsi, un film historique, relatant un événement qui
s'est réellement passé au XVIIIème siècle, avec une
combinaison d'éléments filmiques dosée avec
précision, des décors et costumes d'époque, des dialogues
au style châtié, etc. perdrait de sa force si des figurants
étaient filmés et montrés avec des baskets aux
pieds. Des ratés de ce type sont assez fréquents et font l'objet
de rubriques amusantes dans certaines revues de cinéma.
V4
O'
V5 = V4 + V5
V5
Mais, une opposition de directions vectorielles peut
également être un moyen de faire passer un message, comme c'est le
cas dans le film L'Esquive (2002) d'Abellatif Kechiche dans lequel la
pièce de Marivaux, Le Jeu de l'amour et du hasard (1730), est
au centre du film et permet de traiter des minorités de banlieue en
faisant appel à des oppositions langagières, gestuelles,
comportementales, etc. : « chez Marivaux, les valets, les
soubrettes, les paysans, les orphelins tiennent non seulement des rôles
à part entière dans l'intrigue, mais il leur prête
également une vie intime, une intériorité, des sentiments
nuancés. (...) Il y avait plus d'audace dans sa démarche que dans
ce qui se fait aujourd'hui dans la représentation des
minorités. » (Kechiche).
Toutefois, en plus d'être difficile à mettre en
oeuvre, cette conception vectorielle repose sur une hypothèse non
vérifiée : celle que le spectateur comprend les
éléments constitutifs, les interprètent correctement,
c'est-à-dire comme l'espère le réalisateur. Or, notamment
grâce à Roger Odin et à la sémio-pragmatique, nous
savons que le film ne possède pas un sens en soi, la production de sens
d'un film procédant à la fois de l'espace de la
réalisation et de l'espace de la lecture spectatorielle. Même si
le réalisateur parvient par des procédés filmiques
à programmer le spectateur, à l'inciter à un mode de
lecture par un ensemble de consignes, de références, explicites
ou non (Casetti, Jauss), les études pragmatiques ont également
montré que le spectateur peut à l'inverse, perturber cette
lecture et agir sur le texte, notamment en construisant son histoire (Bordwell,
Journot).
Les codes de la bande image et de la bande son,
spécifiques ou non, sont loin d'être connus et acceptés par
tous les réalisateurs. Derrière un semblant de consensus
académique, les professionnels du cinéma sont loin d'être
d'accord, entre eux, sur l'existence de codes, sur l'obligation de les
respecter, sur les signes eux-mêmes et sur les significations qu'ils
produisent. L'absence de consensus est d'autant plus criant lorsque ces
professionnels appartiennent à des corps de métier
différents ce qui peut entraîner des conflits au sein même
d'une même équipe de tournage.
L'analyse des règles de bon usage au travers le temps
montre également qu'elles ont sensiblement évolué sous
l'influence des progrès technologiques et des remises en cause
artistiques successives. Ainsi, les conventions du cinéma classique
hollywoodien, entre les années vingt et cinquante, ne sont plus celles
du cinéma hollywoodien actuel. Les ruptures avec ce qui
précèdent ne sont pas rares. Songeons à la Nouvelle
Vague (1958-1963) qui condamna la tendance académique du
cinéma de Papa, dit également de qualité
française412(*).
Alors, jeune critique aux Cahiers du Cinéma dirigés par
André Bazin, Truffaut dénonçait, dès 1954, la
sclérose qu'imposait la tradition pourtant défendue par des
cinéastes de renom tels que Autant-Lara, Delannoy, Clément, etc.
Pensons aussi aux différents mouvements cinématographiques tels
que le formalisme soviétique (Eisenstein, etc.), le réalisme
poétique ou non (Carné, Renoir), le surréalisme (Bunuel,
Cocteau), le néoréalisme italien (Rossellini, De Sica, Visconti),
l'underground (Stan Brakhage, Andy Wharol) et, plus récemment
encore, le dogme (Lars von Trier, Thomas Vinterberg). Si à cela nous
ajoutons les conventions génériques et celles des sous-genres
cinématographiques qui elles-mêmes évoluent avec le temps
et selon les lieux de production (Hollywood, Bombay, Hong Kong, etc.), nous ne
pouvons que conclure en la fragilité des éléments codiques
et, dans une perspective d'évolution, à l'existence d'un certain
cycle de vie. Dans l'histoire du 7ème Art, les conventions
naissent d'une innovation artistique, souvent liée à un
progrès technique. L'innovation est remarquée et
appréciée par les autres cinéastes ou les spectateurs qui
en assurent un certain succès commercial. L'innovation est alors
reprise, imitée comme tout facteur-clé de succès, puis
devient progressivement une convention, un code entre professionnels du
cinéma, si possible partagé avec les spectateurs. Vient alors un
artiste qui se rebelle contre les dogmes, les règles, les conventions et
en transgresse ouvertement un certain nombre, souvent les plus normatifs, les
plus représentatifs du système en place. Si ce réalisateur
connaît le succès, un petit groupe se constitue autour de lui et
en naît un style, puis de plus en plus de ses confrères l'imitent
pour ne pas passer pour démodés, un mouvement se crée. Ses
procédés, ses façons de raconter et de montrer deviennent
alors des règles. Elles sont décrites dans des articles et des
livres puis enseignées dans les écoles de cinéma, pour
devenir à leur tour des conventions, voire une nouvelle théorie
du cinéma, jusqu'au jour où un nouveau venu les bousculera,
à son tour, et la roue du cinéma se remet à tourner.
Nous devons ces quelques apports principalement à
une étude bibliographique et, c'est à nos yeux, une limite qui
mériterait d'être comblée dans une étude
ultérieure. Nous regrettons notamment de ne pas avoir interrogé
nous-même des professionnels du cinéma, des théoriciens et
des enseignants. Nous avons tenté de compenser ce manque par une analyse
approfondie d'interviews réalisées par d'autres (Tirard, Ciment,
Chion, etc.), de biographies, d'interviews journalistiques, etc.
Si nous n'avons pas procédé à des
entretiens auprès de représentants de l'espace de la
réalisation, c'est que nous souhaitions, dans une optique
communicationnelle proche de la sémio-pragmatique, étudier les
interactions entre le réalisateur et le spectateur.
Avec en mémoire les procédés que certains
considèrent comme pouvant programmer le spectateur, l'inciter à
un certain mode de lecture, voire lui imposer une signification, nous avons
réalisé un court métrage de fiction en plusieurs versions
de manière à étudier l'incidence d'une variation d'un
élément filmique sur le sens global du film. Nous nous sommes
posé la question de savoir si une telle démarche n'était
pas trop expérimentale pour une recherche qualitative. Nous n'avons pas
cherché pas à vérifier des hypothèses formelles et
fines. Nous souhaitions obtenir des informations de la bouche même des
spectateurs pour mieux comprendre les mécanismes de co-construction du
sens, d'une part par un réalisateur qui utilise ses techniques dans un
objectif de sens, d'autre part par des spectateurs qui découvrent les
éléments filmiques qui leur sont montrés et qui se les
approprient dans un objectif de plaisir.
Les conclusions auxquelles nous sommes parvenu sont
nombreuses. Certaines d'entre elles apparaîtront sans doute comme des
évidences, bien que de nombreux auteurs continuent à les nier.
Ainsi par exemple, nous avons vérifié que les
spectateurs méconnaissaient les conventions, règles et codes
filmiques. Ce qui signifie soit que le réalisateur qui les utilise se
trompe en considérant le spectateur comme un
« récepteur idéal », soit qu'il est
persuadé qu'il n'est pas nécessaire de connaître, pour
comprendre et pour être influencé (Metz, Odin).
Nous avons également constaté que même si
certains plans, certains éléments filmiques n'étaient pas
compris comme le souhaitait le réalisateur, ni consciemment
perçus, ils pouvaient néanmoins influer sur
l'interprétation de l'unité filmique concernée et les
suivantes.
Les spectateurs n'attachent d'ailleurs pas tous la même
importance aux éléments constitutifs d'un film. Les uns seront
très attentifs aux décors ou aux costumes, les autres au jeu des
acteurs sans que l'on sache précisément si ce sont bien les
éléments les plus remarqués qui portent le plus de
signification.
Les visionnages et les interviews ont eu lieu dans des conditions
éloignées du dispositif cinématographique normal. C'est
une limite méthodologique qu'il faut prendre en considération
mais qui n'a pas empêché la plupart des spectateurs d'entrer dans
le film, de se l'approprier. Toutefois, il aurait été
intéressant en diffusant également le film dans une salle
à grand écran avec une cabine de projection située dans le
dos des spectateurs d'étudier les différences
d'interprétation selon que le dispositif était
cinématographique (et confortable) ou audiovisuel (et universitaire), de
vérifier si l'identification primaire mais aussi l'espace-temps de la
réception avaient des effets sur l'appropriation du film par le
spectateur et le sens qu'il construit.
L'analyse des interviews de groupe a nécessité la
retranscription intégrale des bandes audiovisuelles d'enregistrement,
puis une catégorisation des idées émises en fonction du
découpage plan par plan du court-métrage projeté. Nous
avons conscience que cette forme de classement part d'une grille conceptuelle
a priori, le découpage technique, ce qui est contestable dans
une démarche qualitative. Mais, en adoptant ce classement, nous n'avions
pas pour but de mettre en évidence les causes qui expliquent le
phénomène observé, comme c'est le cas dans une approche
positiviste. Ayant opté pour une approche compréhensive,
opposée au paradigme positiviste, nous acceptions le principe de
l'interdépendance de l'objet et du sujet, autrement dit du film et du
spectateur. Le sens du film est dépendant des caractéristiques
sociales et personnelles du spectateur (Mucchielli, 1996).
L'avantage que nous attendions du classement par plan est de
pouvoir analyser, plan par plan, l'objectif de sens du réalisateur, les
procédés qu'il utilisait pour les atteindre en
prédisposant son lecteur/spectateur à un certain mode de lecture
et, bien sûr, les effets ressentis et déclarés par les
spectateurs. Nous ne cherchions pas à expliquer les
phénomènes de construction de sens, à chercher à
établir les lois, des relations de causes à effets, comme dans le
paradigme positiviste, mais à mieux comprendre la complexité de
la communication filmique en attachant une attention particulière aux
acteurs (cinéaste et spectateur), à l'interface (le film et ses
différents éléments) et aux significations.
Notre analyse fut double, successivement pour chacune des 5
versions, puis plan par plan, dans une optique comparative.
Les études longitudinales des cinq versions ont
confirmé un certain nombre de thèses que l'on retrouve notamment
dans la sémio-pragmatique et l'esthétique de la réception.
Pour ne pas reprendre in extenso les conclusions de
l'analyse longitudinale de la fin du chapitre 4, nous ne citerons que les
principales : - la polysémie de l'image animée, d'un plan,
voire d'un élément précis d'un plan ; - l'importance
dans l'interprétation des variables personnelles du spectateur et de
l'espace-temps dans lequel il se situe ; - la variabilité d'impact
d'un élément filmique, voire d'un détail, d'un spectateur
à un autre ; - la construction progressive du sens par le
spectateur au fur et à mesure de l'avancement du film ; -
l'influence des expériences cinématographiques et audiovisuelles
du spectateur et de sa connaissance des genres cinématographiques sur
son horizon d'attente et sur la réception d'un film.
L'analyse transversale, comparative plan par plan, en plus de
confirmer les conclusions précédentes, permit de mettre en
évidence : le rôle de la mémoire sur la perception
(Esquenazi), le travail de re-montage intérieur effectué par le
spectateur, la solidité de son interprétation individuelle y
compris lorsqu'il est soumis à une pression groupale, la part non
négligeable de l'imagination dans la construction du sens par le
spectateur, la vivacité des jugements de valeur qui explique
probablement l'importance du bouche à oreille dans le succès ou
l'échec d'un film, etc.
Avec en tête l'inévitable interaction entre lui et
la diversité de ses spectateurs, le réalisateur peut tirer profit
des méthodes d'analyse et des codes filmiques. Reprenant des
procédures spectatorielles de s'approprier une oeuvre, la narratologie
s'avère être une aide précieuse à la
rédaction d'un scénario. Il en est de même de l'analyse
semio-contextuelle qui permet d'une part de réfléchir en amont
aux différents contextes sur lesquels le réalisateur doit
travailler, d'autre part de prendre conscience de l'importance de la
combinaison interdépendante des processus et de la pluralité des
actions contextuelles ainsi que du rôle essentiel du réalisateur,
en tant que chef d'orchestre, dans la gestion des compétences hautement
spécialisées nécessaires à la fabrication d'une
oeuvre collective, sachant que ce qui est accessoire pour un spectateur peut
être déterminant pour un autre.
Quant au débat relatif aux codes filmiques,
cinématographiques ou non, à leur respect ou à leur
transgression, compte tenu de la disparité des avis des professionnels
et des théoriciens du cinéma, il nous semble que notre
étude amène un éclairage nouveau. Il ne s'agit pas d'une
affaire entre professionnels, entre métiers du cinéma, mais
d'éléments contextuels. Nous avons montré que chaque code
travaillait sur un ou plusieurs contextes. Nous avons également
vérifié que « dans le même ensemble de contextes,
on sera susceptible de trouver des acteurs (spectateurs) pour lesquels le sens
émergent des contextes va être différent »
(Mucchielli, 1998), qu'un élément codique pourra, servant de
consigne ou de référence explicite ou non, prédisposer un
spectateur à un certain mode de lecture (Jauss).
La difficulté pour un réalisateur n'est donc pas
d'être respectueux des codes ou de ne pas l'être, autrement dit de
choisir entre le classicisme formaliste et l'avant-gardisme, mais de choisir
les codes où il le sera et ceux où il ne le sera pas. Dans le
cinéma de fiction, les réalisateurs
« avant-gardistes » en rupture, au moins partielle, avec la
narrativité et le cinéma commercial prennent un grand risque de
ne pas être compris et de ne pas attirer les spectateurs dans les salles
de cinéma. Les réalisateurs classiques prennent un autre risque
celui d'ennuyer leur public et de l'éloigner des salles, comme ce fut le
cas dans les années cinquante en France, avec la qualité de la
tradition cinématographique française.
Entre ces deux extrêmes, des combinaisons existent. L'une
d'elles est qualifiée de post moderne et, comme en architecture, en
peinture ou en littérature, son esthétique allie tradition et
novation. Dans une fiction, il s'agira pour le réalisateur de
sélectionner un certain nombre d'indices qui permettront au spectateur
d'adopter un certain mode de lecture (Odin). Ces indices pourront être
choisis parmi la liste des éléments des codes filmiques, par
exemple un éclairage particulier, une réplique qui fait
référence à un film culte, un appel à un ou
plusieurs genres cinématographiques, etc. Réalisateur et
spectateur seront chacun à l'origine de la production de sens. Le
réalisateur imagine et crée un récit avec la
volonté de communiquer avec le spectateur. Il l'aide par ce
système d'indices, d'éléments contextuels à lire
son oeuvre, mais le spectateur recrée en fonction d'eux, dans son
imaginaire, une histoire. L'approche post-moderne, comme toutes les variantes
alliant standardisation et différenciation (Creton), consiste donc
à aider le spectateur dans son appropriation du film, à faciliter
son plaisir filmique et favoriser son apprentissage cinématographique,
qui fera de lui un spectateur différent lorsqu'il visionnera le film
suivant...
Mais à la question de savoir quel système d'indices
il faut proposer au spectateur, quels éléments des sept contextes
il faut précisément travailler, nous n'avons malheureusement
aucune réponse à apporter. Le choix du bon dosage entre tradition
et novation, de la bonne combinaison d'éléments n'est sans doute
que le résultat d'un mystérieux mélange de talent, de
remise en cause personnelle et de communion avec le public. Et comme le
reconnaît Woody Allen (in Tirard, 2004, p.78) : « je suis
toujours surpris, voire stupéfait, par la façon dont le public
réagit. Je pense que les gens vont aimer tel personnage et je
m'aperçois qu'il leur est indifférent voire antipathique, mais
qu'il préfère tel personnage auquel j'avais à peine
pensé (...) Quelque part, c'est un peu frustrant. Mais d'un autre
côté, c'est aussi ce qui rend ce métier si
magique ».
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cinéma », Les Echos, vendredi 1er et
samedi 2 avril 2005,
p.21
Revues consultées
(Liste non exhaustive des revues consultées au cours de
la recherche)
· Brazil
· Bref
· Cahiers du cinéma
· Caméra Vidéo & Multimédia
· Ciné Live
· CNC Info
· Dimension Cinéma
· Filméchange
· Positif
· Les Lettres françaises
· Arts
· Franc-Observateur
· Cinéma
· Image et Son
|
· Trafic
· L'Avant-Scène du cinéma
· Cahiers de la cinémathèque
· L'Ecran fantastique
· Etudes cinématographiques
· Caméra-Stylo
· Le Film français
· Le Film
· La Revue du cinéma
· Nidinfo
· Vidéo Numérique magazine
· Vertigo
· Jeune cinéma
· Cinématographe
|
Netographie
(Liste non exhaustive des sites Internet visités au
cours de la recherche)
Ø
www.1001scenaristes.com
Ø www.1000films.com
Ø www.6nop6.com
Ø
www.abc-toulouse.net
Ø
http://www3.ac-clermont.fr/pedago/lettres/rtf/cine/elements_analyse_film.rtf
Ø
www.ac-dijon.fr/pedago/lettres/cinema/cine1.htm
Ø
www.ac-nancy-metz.fr/cinemav/
Ø
www.acrif.org/fr/accueil.asp
Ø www.admi.net/jo/code/cinema/
Ø www.afcinema.com
Ø www.afrhc.fr/
Ø
www.agora.qc.ca/mot.nsf/Dossiers/Cinema
Ø
http://agora.qc.ca/mot.nsf/Dossiers/Cinema_quebecois
Ø www.allocine.com
Ø
http://analysefilmique.free.fr/
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www.annuairecine.com
Ø www.archive.org/details/movies
Ø
www.atlantide-films.net
Ø www.bifi.fr
Ø www.cadrage.net
Ø
www.cahiersducinema.com
Ø www.chicagoreader.com/movies/
Ø www.cineastes.net
Ø
www.cinechronique.com
Ø
www.cinecursus.ch/index.htm
Ø http://cinehig.clionautes.org/index.php3
Ø www.cinema.com
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www.cinema-quebecois.net
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http://cinemanageria.ifrance.com/
Ø www.cinema-scope.com
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http://cinema.telerama.fr
Ø http://cinema.tiscali.fr
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www.cinemathequefrancaise.com
Ø www.cinematheque.be/fr/index.htm
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www.cinematheque.qc.ca
Ø www.cinergie.be
Ø www.cinergon.net
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Ø www.cnc.fr
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www.crdp.ac-grenoble.fr/medias/telech/3homme/3htelech.rtf
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Ø www.hollywood.com
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Ø www.imdb.com
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Ø www.l2tc.com
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www.lumiere.org/sommaire.html
Ø
http://membres.lycos.fr/simonnet/sitfen/cinema/cinema.htm
Ø www.mrge.com
Ø
www.mylinea.com/cybermercatique/marketing_cinematographique-_marketing_du_cinema_et_de_laudiovisuel/
Ø www.objetcif-cinema.net
Ø www.politique-cinema.net
Ø http://rasp.nexenservices.com/fr/index.php
Ø
www.revuedecinema.com
Ø www.russomania.com/-Cinema-russe-
Ø www.sensesofcinema.com
Ø http://site.voila.fr/cineclub/
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Ø www.surlimage.info/
Ø
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Ø
www.univ-tlse2.fr/esav/net/
Ø www.univ-tlse2.fr/lara/index.php?menu=ok
Ø
http://users.skynet.be/fralica/refer/theorie/theocom/lecture/lirimage/cinema.htm
Ø http://us.imdb.com
Ø www.vadeker.club.fr
Ø
www.version-finale.com/accueil.php3
TABLE DES MATIERES
Introduction
Première partie : le cadre conceptuel et
théorique des mécanismes de
construction de
sens
Chapitre 1 : Les apports théoriques
successifs à la connaissance du cinéma
I- Le cinéma : un langage d'art
II- Les premiers apports de la sémiologie du
cinéma
A- Les apports de la sémiologie de l'image
B- Les autres fondements théoriques et pratiques de la
sémiologie du
cinéma
III- Les apports de la sémio-linguistique du
cinéma
IV- Les apports de la sémio-pragmatique du cinéma
V- Les apports de la pragmatique du film
VI- Les apports des recherches sur la communication
A- Le modèle de Sol Worth
B- Les apports de l'approche relationnelle de la communication
C- L'approche constructiviste du film
D- L'approche semio-contextuelle
1. Les processus de contextualisation spatiale
2. Les processus de contextualisation physique et sensorielle
3. Les processus de contextualisation temporelle
4. Les processus de positionnement et de structuration des
relations
5. Les procédures d'appel, de construction ou
d'émergence de normes
6. Les processus de la qualité des relations
7. Les processus d'expression identitaire
Chapitre 2 : Une approche historique et
théorique des effets sur les
spectateurs
I- La perception primitive et le behaviorisme
II- Les influences recherchées
III- Les raisons invoquées de l'influence du cinéma
sur le spectateur
A- La puissance de l'image et la passivité du
spectateur
B- Les apports de la psychanalyse à l'étude de
l'influence du cinéma
C- L'identification
D- Les degrés de participation-identification
E- Le déplaisir filmique
IV- L'estimation du plaisir (vs déplaisir)
filmique grâce aux pré-tests
A- Les différents pré-tests
B- La censure économique
C- L'attitude des réalisateurs face aux pré-tests
D- Les pré-tests dans le cinéma français
V- L'expérience et la culture cinématographique des spectateurs
français
A- L'apprentissage de la technologie du
cinéma
B- L'apprentissage des codes filmiques
C- La culture cinématographique des
français
1. Les films patrimoniaux
2. Les films qui attirent les cinéphiles
érudits
3. Les films des jeunes
4. Les films qui plaisent surtout aux femmes
5. Les films qui plaisent surtout aux hommes
D- L'écart entre les goûts annoncés par les
spectateurs et leur
comportement
Chapitre 3 : Le langage cinématographique et
sa grammaire
I- Les caractéristiques du langage
cinématographique
II- Les différents codes filmiques
III- La grammaire du cinéma vue par les
réalisateurs
A- les réalisateurs qui pensent qu'une
grammaire existe et la respectent
B- Les réalisateurs qui pensent qu'une
grammaire existe mais peut,
voire doit évoluer
C- Les réalisateurs qui pensent qu'il n'existe
pas de grammaire
cinématographique
D- Les réalisateurs qui s'imposent des
règles pour s'obliger à être
plus créatifs
Chapitre 4 : L'approche narratologique
I- La distinction entre le récit et l'histoire
II- L'analyse des récits et l'écriture d'un
scénario
A- Les fonctions de Propp
B- L'analyse actancielle de Greimas
C- Le paradigme ternaire de Field
D- La structure mythique pour les
scénaristes
E- L'apport de la psychanalyse à la
narration
F- Les apports de la narratologie modale
Chapitre 5 : Les éléments et les codes
de la bande image
I- Image photographique et image cinématographique
II- La polysémie de l'image
III- De l'image à une combinaison d'images
IV- L'échelle de plan
A- Le choix de l'échelle de plan et les effets
recherchés
B- Les effets des échelles de plan sur les
spectateurs
C- Règles à respecter ou limites
à franchir ?
V- La profondeur de champ et la distance focale
A- Le choix de la distance focale et les effets recherchés
par le réalisateur
B- Les effets d'une combinaison de la distance focale et de la
profondeur
de champ
VI- Le code des changements d'angle de prise de vues
VII- Le code des mouvements de caméra
A- Le panoramique
B- Le travelling
C- Le zoom
VIII- Les autres codes spécifiques de la bande-image
A- La durée du plan
B- La vitesse de défilement
1. Le ralenti
2. L'accéléré
VII- Le code du montage
A- L'effet Koulechov
B- La séquence
C- La grande syntagmatique
D- Les éléments de liaison : utilisations
et significations
1. Les liaisons par fondu
2. L'ouverture/fermeture à l'iris
3. Le volet
E- L'utilité des raccords techniques
F- Les règles pratiques de montage
1. La règle d'un changement important de la valeur
de plan
2. Le principe du champ-contrechamp.
3. La règle des 180°
4. La règle des 30 degrés, ou du changement
d'angle important.
G- La théorie du montage intellectuel
d'Eisenstein
VIII- Les codes non spécifiques de la bande
image
A- L'influence des couleurs
B- La lumière et l'éclairage
C- Le code gestuel
D- Le code des vêtements
E- Le code des effets spéciaux
Chapitre 6 : Les codes de la bande son
I- Les différents éléments de la
bande-son
II- Les relations images-sons
III- Les sons synchrones et les sons post-synchronisés
IV- Les codes non spécifiques de la bande-son
A- Les voix et les paroles
B- Les bruits
C- La musique
Chapitre 7 : Les genres
cinématographiques
I- De la difficulté de définir un genre
cinématographique
A- Les différentes classifications des genres
cinématographiques
B- Les niveaux de différenciation des genres
C- Le modèle sémantico-syntaxique
II- L'utilité des genres et de leur analyse
III- La reconnaissance sociale d'un genre
IV- L'information donnée aux spectateurs : les indicateurs
de genre
V- Le style : son influence sur les spectateurs et son
analyse
Conclusion de la première partie
Deuxième partie : L'étude qualitative
des mécanismes de construction de sens
Chapitre 1 : Réflexion et choix
méthodologique
Chapitre 2 : la réalisation d'un film en
plusieurs versions
I- Les scénarii
II- Les cinq versions filmées
A- Le découpage technique de la version 1 : le mari
effondré
B- Le découpage technique de la version 2 : le mari
commanditaire
C- Le découpage technique de la version 3 : le mari
volage
D- Le découpage technique de la version 4 : le mari
intéressé et
planificateur
E- Le découpage technique de la version 5 : le mari
intéressé et sans état
d'âme
III- Différences et points communs entre les cinq versions
IV- Les objectifs de sens du réalisateur
A- Les objectifs de sens dans la version 1
B- Les objectifs de sens dans la version 2
C- Les objectifs de sens dans la version 3
D- Les objectifs de sens dans la version 4
E- Les objectifs de sens dans la version 5
Chapitre 3- L'organisation de chaque interview et le
guide d'entretien
I- L'organisation matérielle et l'accueil des
participants
II- Le guide d'entretien
III- Le nombre et l'organisation des réunions
Chapitre 4 : L'analyse longitudinale des cinq
versions
I- L'analyse des interviews suite à la diffusion de la
version 1
II- L'analyse des interviews suite à la diffusion de la
version 2
III- L'analyse des interviews suite à la diffusion de la
version 3
IV- L'analyse des interviews suite à la diffusion de la
version 4
V- L'analyse des interviews suite à la diffusion de
la version 5
VI- Conclusions des analyses longitudinales des cinq
versions
Chapitre 5 : L'analyse transversale des cinq
versions
I- L'analyse comparative des interviews suite à la
diffusion des
versions 1, 2 et 3
A- Le plan 1
B- Le plan 2
C- Le plan 3
D- Le plan 4
E- Le plan 5
F- Le plan 6
G- Le plan 7
H- Le plan 8
I- Le plan 9
J- Le plan 10
K- Le plan 11
L- Le plan 12
M- Le plan 13
N- Le plan 14
O- Le plan 15 et fin de la première partie
Q- La comparaison des résultats aux tests de l'histoire
à compléter
R- Reprise : le plan 15 B
S- Le plan 16
T- Le plan 17
U- Le plan 18
V- Le plan 19
W- Le plan 20
X- Le plan 21
Y- Le plan 22
II- L'analyse comparative des interviews suite à la
diffusion
des versions 4 et 5
A- Le plan 1
B- Le plan 2
C- Le plan 3
D- Le plan 4
E- Le plan 5
F- Le plan 6
G- Le plan 7
H- Le plan 8
J- La comparaison des résultats aux tests de
l'histoire à compléter
K- Le plan 9 de reprise
L- Les plans 10 à 15
M- Le plan de fin
III- Conclusion de l'analyse transversale
Conclusion générale
Bibliographie
Ouvrages et thèses
Articles
Revues
Netographie
Annexes
Annexe I: L'analyse filmique
Annexe II : Les apports de la sémiologie et de la
sémiotique
Annexe III : Une analyse historique des utilisations du
cinéma dans un esprit
manipulateur
Annexe IV : Le genre des films policiers
Annexe V : La retranscription des quinze interviews de groupe
A- Réunion 1
B- Réunion 2
C- Réunion 3
D- Réunion 4
E- Réunion 5
F- Réunion 6
G- Réunion 7
H- Réunion 8
I- Réunion 9
J- Réunion 10
K- Réunion 11
L- Réunion 12
M- Réunion 13
N- Réunion 14
O- Réunion 15
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1
6
6
8
9
11
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16
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18
19
19
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28
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31
32
39
39
40
41
41
44
46
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51
52
52
53
53
55
56
56
57
58
60
60
61
61
61
62
64
64
65
67
69
70
72
73
76
77
79
79
82
83
86
94
95
100
100
101
102
104
106
108
108
109
110
112
113
113
114
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116
118
119
120
120
122
122
123
125
127
134
135
136
136
137
138
138
138
139
140
141
145
145
146
148
153
155
159
159
160
165
168
168
169
170
175
175
175
177
179
180
181
184
185
187
189
190
193
194
199
200
202
206
208
211
213
217
218
220
224
227
231
234
234
235
238
239
239
250
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273
284
292
294
294
294
295
295
296
297
297
298
298
300
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301
301
302
303
304
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310
311
311
313
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315
318
318
319
320
320
321
321
322
322
323
327
327
328
331
344
350
350
360
364
365
373
374
383
387
397
403
403
405
408
412
415
418
421
424
428
430
434
438
441
444
448
|
|
|
ANNEXES
Annexe I: L'analyse filmique
Annexe II : Les apports de la sémiologie
et de la sémiotique
Annexe III : Une analyse historique des
utilisations du cinéma
dans un esprit
manipulateur
Annexe IV : Le genre des films policiers
Annexe V : La retranscription des quinze interviews de
groupe
Annexe I : L'analyse filmique
De nombreux auteurs opposent le spectateur normal au
spectateur-analyste. Ils avancent que le premier cherche avant tout à se
faire plaisir tandis que le second a pour but de comprendre le film ou
l'extrait d'un film afin de produire un document d'analyse.
« Analyste et spectateur normal ne recevraient pas le film
de la même manière puisque le premier cherche
précisément à se distinguer du second, à ne plus se
laisser dominer comme lui par le film » (Vanoye et
Goliot-Lété, 2001, p.12-13)
Spectateur normal
|
Spectateur-analyste
|
- Passif, ou plutôt, moins actif que l'analyste, ou plus
exactement encore, actif de façon instinctive, irraisonnée.
- Il perçoit, voit et entend le film, sans visée
particulière.
- Il est soumis au film, se laisse guider par lui.
- Processus d'identification
- Pour lui, le film appartient à l'univers des loisirs.
|
- Actif, consciemment actif, actif de façon
raisonnée, structurée.
- Il regarde, écoute, observe, visionne le film, guette,
cherche des indices.
- Il soumet le film à ses instruments
d'analyse, à ses hypothèses.
- Processus de distanciation
- Pour lui, le film appartient au domaine de la réflexion,
de la production intellectuelle.
|
Plaisir
|
Travail
|
(Vanoye et Goliot-Lété, op cit, p.13)
Alors que le spectateur normal se laissera prendre par le film,
le spectateur-analyste devra faire un effort sur lui-même. Comme
l'écrit Raymond Bellour (1989, p.26-27), « l'analyse du film
est une opération coûteuse. Il y a d'abord ce coût psychique
de l'arrêt sur image qui a longtemps marqué un seuil et constitue
la condition préliminaire de toute analyse (...) Il faut accepter
d'interrompre le défilement, le fantasme si fort qui s'y attache,
accepter de ne se situer ni du côté de la mouvance ni
côté de la fixité, mais entre les deux ».
1- Le film en tant qu'objet d'analyse
Nous ne nous intéresserons pas à tous les
films mais seulement aux films de fiction.
Cette limitation de notre champ de recherche était
nécessaire tant les autres catégories de films - les films
industriels, les films pédagogiques, les films expérimentaux, les
films pornographiques et les films de famille - ont leurs propres
spécificités. Elle se justifie aussi par le fait que pour la
plupart des spectateurs « le seul cinéma qui compte, le
cinéma tout court , c'est le film de fiction »
(Odin, 1995, p.5-6). Film de fiction dont la formule de base fut donnée
par Christian Metz : « une grande unité qui nous conte
une histoire ».
Dans une perspective d'analyse, le film peut être
considéré « comme une oeuvre artistique autonome,
susceptible d'engendrer un texte (analyse textuelle) fondant ses significations
sur des structures narratives (analyse narratologique), sur des données
visuelles et sonores (analyse iconique) produisant un effet particulier sur le
spectateur (analyse psychanalytique). » (Aumont et Marie, 2000,
p.8)
Eléments à analyser
|
Type d'analyse
|
Texte
|
Analyse textuelle
|
Structures narratives
|
Analyse narratologique
|
Données visuelles et sonores
|
Analyse iconique
|
Effet sur le spectateur
|
Analyse psychanalytique
|
(D'après Aumont et Marie, 2000)
Ce découpage des éléments constitutifs d'un
film et leur analyse respective omettent une réalité. Certains
auteurs considèrent, en effet, qu'un film est, avant tout, le
résultat d'une combinaison d'éléments (narratifs ou non,
esthétiques, techniques, etc.) et que de leur interaction résulte
une construction formelle qu'ils appellent le système
stylistique413(*).
D'autres ajoutent une dimension poétique, voire
métaphysique comme Agel (1994). Aussi propose-t-il une approche
méthodologique rigoureuse qui rende compte de l'élément
poétique : « l'essence du cinéma est
poético-mythique ; c'est le repère que je donne, comme point
de vue synthétique. Après, il y a le point de vue
analytique : plan par plan. Voilà deux garde-fous : une
idée-mère : fonction poétique et mythique du
cinéma ; et, en même temps : vérification par
l'écriture, la stylistique » (Agel, 1994, p.39).
Plus récemment, cette dernière a donné
naissance à un autre type d'analyse : l'analyse stylistique
(Bordwell et Thompson, 2000, p.431-364). Le style étant un
système qui coordonne les techniques cinématographiques et qui se
caractérise par un emploi répété et remarquable de
certaines d'entre elles, dans un film ou dans toute l'oeuvre d'un
cinéaste (ou d'un groupe de cinéastes), son analyse
nécessite de nombreuses connaissances. En conséquence, un
spectateur « normal» sera dans l'impossibilité de
procéder à une analyse stylistique par manque de connaissances
méthodologiques et techniques dans, toute ou partie, des
différents types d'analyses, sans parler de son état d'esprit
fondé davantage sur le plaisir que sur le travail. Autrement dit, il en
aura ni le savoir-faire ni la volonté. On retrouve, dans ce constat,
l'opposition que font de nombreux auteurs entre le spectateur normal et le
spectateur-analyste, le premier cherchant avant tout à se faire plaisir.
(Vanoye et Goliot-Lété, op. cit., p.12-13).
Les quatre étapes de l'analyse stylistique
proposées par Bordwell et Thompson sont :
1- Déterminez la nature de l'organisation structurelle du
film et de son système formel (narratif ou non-narratif)
2- Identifiez les procédés techniques remarquables
3- Décrivez les modes d'organisation de ces
procédés remarquables
4- Proposez des fonctions pour les procédés
techniques remarquables et les ensembles structurés qu'ils
constituent.
Dans la première étape, il s'agit de comprendre de
quelle façon le film forme un tout. Est-ce par la narration ou
non ? Si c'est un film narratif, la narration fournira aux spectateurs un
récit, c'est-à-dire des événements avec leurs
relations causales, leur ordre chronologique, leur durée, leur
fréquence et leurs situations spatiales. A partir de ce récit,
qui peut être structuré de façon plus ou moins explicite -
avec des ellipses, des parallèles, des omissions, etc. - le spectateur
imaginera, reconstituera par déduction une histoire, c'est-à-dire
l'ensemble des événements qui sont supposés avoir eu lieu.
Dans l'hypothèse assez rare où il ne s'agirait pas d'un film
narratif, par exemple dans le cas d'un film expérimental non-narratif,
son organisation structurelle devra être cherchée, par exemple par
thèmes et sous-thèmes traités, par motifs visuels, par
émotions ou idées évoquées, etc.
Dans la deuxième étape, en s'appuyant sur ses
connaissances cinématographiques et, notamment, des codes
spécifiques, le spectateur, tout au long du visionnage du film, fera
attention aux techniques utilisées, les identifiera, les nommera,
distinguera celles qui correspondent à la grammaire de base, de celles
qui transgressent les règles codiques, estimera leur importance et la
fréquence de leur utilisation. «Il vous faut être capable
d'observer précisément les couleurs, l'éclairage, le
cadrage, le montage et le son, autant d'éléments que la plupart
des spectateurs ne remarquent pas consciemment. Une fois que vous saurez les
remarquer, vous pourrez les identifier comme techniques - repérer et
nommer, par exemple, une musique extra-diégétique ou une
contre-plongée » (Bordwell et Thompson, p.434-435). Il est
surtout important dans une analyse stylistique de repérer les
écarts, les inattendus, les transgressions, les non-conformités
aux règles stylistiques classiques, les innovations, autrement dit tout
ce qui fait que le film se distingue des autres par un style particulier, son
originalité. Autrement dit, l'approche stylistique doit
développer, chez le spectateur, une sensibilité aux
procédés techniques.
Dans une troisième étape, l'analyse du style
consiste à chercher comment les procédés techniques
identifiés constituent des ensembles structurés. Sont-ils
utilisés tout au long du film ou seulement dans une seule de ses
parties ? Sont-ils associés à d'autres
procédés techniques ? D'une manière classique ou
d'une manière imprévue ? Par exemple, la rapidité du
tempo musical est-elle liée ou non à l'accélération
du montage ? Les flashbacks sont-ils précédés par un
fondu enchaîné et leurs couleurs sont-elles modifiées
(éventuellement le noir et blanc est-il adopté à la
place) ? De plus, comme l'écrivent Bordwell et Thompson (2000, p.
436) : « Vous pouvez chercher à découvrir les
façons dont le style vient renforcer des schémas narratifs ou
non-narratifs. Dans n'importe quel film, la « ponctuation »
entre les parties nécessite l'utilisation d'éléments
stylistiques particuliers (des fondus, des raccords, des fondus
enchaînés, des changements de couleurs, des ponts sonores, etc.).
Dans un film narratif, les scènes sont généralement
structurées, rencontre, conflit, résultat ; structuration
que le style reflète souvent avec, par exemple, un montage de plus en
plus marqué et des plans de plus en plus
rapprochés ».
La quatrième et dernière étape de l'analyse
stylistique a pour but de découvrir le rôle des
procédés techniques employés et les fonctions des
ensembles structurés qu'ils constituent.
Dans le film en cours d'analyse, les mouvements de caméra
sont-ils utilisés pour leur fluidité ou pour créer un
effet de suspense ? C'est à ce stade de l'analyse que l'on se
rencontre que les procédés techniques sont parfois
utilisés, en quelque sorte, à contre-emploi (par rapport à
la grammaire de base). Une plongée ne signifie pas forcément
l'infériorité et la contre-plongée la puissance.
« Il n'y a pas de dictionnaire qui indiquerait la signification de
tous les procédés stylistiques ; l'analyste doit observer
minutieusement l'ensemble du film, la structuration de ses
procédés techniques et les effets particuliers sur la forme. Le
sens n'est qu'un type d'effet parmi d'autres, il n'y a aucune raison de
s'attendre à ce que tout trait stylistique possède une
signification thématique » (Bordwell et Thompson, 2000,
p.437).
Ils considèrent, en effet, qu'un procédé
technique - ou une combinaison de plusieurs procédés - peut
avoir pour fonction principale, voire unique, d'attirer l'attention du
spectateur : « Une partie du travail du réalisateur
consistant à diriger notre attention, le style peut avoir une simple
fonction perceptive, celle de nous faire remarquer des choses, de
faire valoir un élément par rapport à un autre, de nous
égarer ou nous éclairer, intensifier ou complexifier notre
appréhension de l'action » (p.437-438).
Cette méthodologie de l'analyse stylistique
nécessitant une assez bonne connaissance des techniques
cinématographiques, elle ne nous semble pas être, contrairement
à ce que prétendent ses auteurs, à la portée du
spectateur normal, au sens de Vanoye et Goliot-Lété.
Et aurait-il ces compétences techniques, en aurait-il le
courage et le goût, le spectateur normal cherchant avant tout en
regardant un film à se faire plaisir ?
Combien de spécialistes du cinéma, universitaires
et critiques, regrettent-ils, de ne plus pouvoir regarder un film
« normalement, comme tout le monde », car trop
habitués à appliquer une méthodologie ou grille
d'analyse ? (Philippe, 1999).
2- L'analyse d'un film
Le spectateur normal ne procède pas à une
véritable analyse, quel qu'en soit le type. Dans le meilleur des cas, il
peut échanger un avis avec d'autres spectateurs normaux. Cet
échange de points de vue qui débouche, éventuellement, sur
la formulation de critiques n'a que peu à voir avec une analyse
filmique. D'où la boutade de Truffaut, chaque spectateur a deux
métiers, le sien et celui de critique de cinéma.
L'analyse filmique est généralement définie
de deux façons différentes (Vanoye et Goliot-Lété,
2001, p.9) :
- l'activité d'analyser un film ou un extrait,
- et le résultat de cette analyse.
a) L'activité d'analyse
Raymond Bellour (1989) dans son ouvrage intitulé
L'analyse du film414(*) justifie ce titre en
écrivant : « ces mots que j'ai choisis pour titre,
supposent l'existence d'une activité propre, qui consisterait à
analyser des films. Comme on analyse des textes, ou des tableaux. »
(p.9).
L'analyse filmique est une activité principalement
descriptive, « non modélisante, même là ou elle
se fait parfois plus explicative » (Aumont, Marie, p.11), qui
consiste à décomposer un film ou extrait en ses
éléments constituants.
Comme l'écrivent Vanoye et Goliot-Lété
(p.9-10) : « c'est mettre en morceaux, découdre,
désassembler, prélever, séparer, détacher et nommer
des matériaux qu'on ne perçoit pas isolément à
l'oeil nu car on est happé par la totalité ».
Après cette phase de déconstruction qui équivaut à
la description, l'analyste cherche à établir des liens entre les
différents éléments isolés et à comprendre
comment ces derniers s'associent pour « faire surgir un tout
signifiant ».
L'existence de ces deux phases, celle de déconstruction
suivie de celle de reconstruction - que l'on appelle fréquemment
l'interprétation - pourrait faire croire en l'existence d'une
méthode universelle d'analyse de film. Il n'en est rien ; il
n'existe pas plus de méthode universelle d'analyse filmique qu'il
n'existe de théorie universelle du cinéma. « Il
n'existe pas, malgré ce qui en a parfois été dit ici ou
là, de méthode universelle d'analyse de films. Il existe des
méthodes, relativement nombreuses, et de portée plus ou moins
générale mais, du moins à ce jour, elles restent
relativement indépendantes les unes des autres ». (Aumont et
Marie, p.11).
La diversité des éléments constituants font
du corps de l'analyse un « corps fuyant : on ne peut vraiment ni
le citer, ni l'étreindre. Il est polysémique aussi, de
façon excessive, et sa matière, pétrie d'iconicité,
d'analogie fait échec au langage » (Bellour, 2002, p.19).
C'est sans doute l'une des raisons pour laquelle, certains voient
dans l'analyse de film une sorte d' « art sans
avenir », une « activité
particulière », «un genre théorique à
part », des références bibliographiques
« utiles mais ambigus », « sans autre
justification que la plénitude trompeuse liée à l'acte
d'analyse même » (Bellour, 2002, p19)415(*).
b) Les buts et les résultats de
l'analyse
L'activité ou la pratique de l'analyse fait souvent suite
à une commande notamment d'institutions scolaires et universitaires,
dans le cadre d'examens (baccalauréat), de concours (Capes,
Agrégation, etc.) ou de recherches. Roger Odin, par exemple, parle de
« l'analyse filmique comme exercice
pédagogique »416(*).
Ainsi, l'épreuve écrite d'analyse filmique fait
partie de la pré-admission du Concours National de la FEMIS (Fondation
Européenne des Métiers de l'Image et du Son) et de l'écrit
du concours d'admission, section cinéma, à l'Ecole Nationale
Supérieure Louis Lumière.
L'épreuve d'analyse - d'une durée de trois heures,
hors le temps de la projection -
du concours d'entrée à la FEMIS « a pour
visée d'évaluer chez les candidats l'acuité perceptive, le
sens esthétique et l'intelligence des moyens de la mise en scène
(...). Les candidats doivent montrer en quoi et comment les différents
composants visuels et sonores de l'extrait proposé - qu'ils
décriront avec la plus grande précision possible - concourent
à donner à la scène sa forme, son sens et sa
tonalité ».417(*)
Le résultat de l'analyse d'un film ou d'un
extrait peut prendre différentes formes (document écrit, document
audiovisuel, document mixte) mais sa forme la plus courante est celle d'un
texte. Sa longueur dépend du temps dont dispose l'analyste pour
l'élaborer, surtout lors d'une épreuve d'examen ou de concours.
En trois heures, comme c'est le cas pour les concours d'entrée à
la FEMIS et à l'Ecole Louis Lumière, il est rare que le nombre de
pages ne dépasse quatre pages et encore moins six.418(*)
Son contenu dépendra également des
instruments d'analyse utilisés par l'analyste, de leur nombre, de leur
diversité, de leur utilisation plus ou moins approfondie.
Catégorie d'Instruments
|
Exemples d'informations et de
données
|
Instruments descriptifs
|
- le découpage par plans,
- la segmentation,
- la description des images,
- les tableaux, graphiques et schémas,
- etc.
|
Instruments citationnels
|
- l'extrait de film,
- le photogramme,
- les musiques originales des films,
- les bandes-sons,
- etc.
|
Instruments documentaires
|
- le scénario, le budget du film, le plan de production,
- les interviews, reportages sur le film, etc.
- les critiques, etc.
- les analyses déjà publiées, etc.
|
Aussi, la plupart des auteurs reconnaissent que
l'analyse de film est interminable, « puisqu'il restera toujours
à quelque degré de précision et de longueur que l'on
atteigne, de l'analysable dans un film » (Aumont et Marie, p.29).
Même dans le cadre d'une recherche approfondie, « jamais une analyse
n'est parvenue à épuiser la richesse de l'oeuvre...La
vérité n'est pas dans le résultat qui ne peut être
jamais atteint, elle est dans la démarche » (Opritescu, 1997,
p.17).
Les préoccupations du spectateur-analyste sont donc bien
loin de celles du spectateur normal. Ce dernier profite du film dans son
entier, sans tenir compte spécifiquement de ces différentes
composantes, tandis que le spectateur-analyste, confronté à la
variété des instruments, à la diversité des objets
d'analyse et des voies d'approche d'un film, se doit de choisir un objet
d'analyse (extrait, plan, etc.) et sa méthode d'analyse. Pour chaque
film qu'il souhaite analyser, l'analyste est, en conséquence,
confronté à des choix et donc prend des risques. Selon Aumont et
Marie (p.66), « ce qui guette l'analyse de films, c'est donc entre autres
la dispersion (quant à l'objet) et l'incertitude (quant à la
méthode).
Le but des commandes scolaires et universitaires est la formation
du spectateur et éventuellement de futurs professionnels du
cinéma. Dans le premier cas, il s'agit de donner aux
élèves et étudiants le savoir et le savoir-faire
nécessaires pour qu'ils puissent procéder à une
véritable analyse s'ils en ont la volonté ou, plus simplement,
pour développer leur esprit critique.
En plus des institutions scolaires et universitaires, les
commanditaires d'une analyse filmique peuvent être des organes de presse,
des éditeurs, des sociétés de production, etc. qui
souhaitent des analyses écrites (articles, critiques, livres, etc.),
audiovisuelles ou mixtes d'un ou plusieurs films, voire de tous les films d'un
même réalisateur, des bandes-annonces de films récents
appartenant à un même genre cinématographique, etc. Les
buts poursuivis sont, malgré tout, du domaine de la formation initiale
ou continue, à travers l'information et l'analyse des films qui ont
marché commercialement, l'analyse de genre, l'analyse de style, etc.
L'existence ou non d'une commande n'enlève rien à
ce que certains considèrent comme le but premier de l'analyse filmique.
Comme l'écrit Nicolas Opritescu : « le premier but de
l'analyse est le nourrissement de la vocation et le progrès
personnel ». Et ceci est tout aussi important, à ses yeux,
pour :
- un jeune en formation qui se doit de tenter « de
comprendre la façon dont travaillent les grands auteurs de films, leurs
pourquoi et leur comment » (...)
« Seul moyen pour qu'un jour il n'y ait plus de mauvais
films » (Opritescu, p.2-3)
- que pour un metteur en scène, pendant la
réalisation d'un film, qui n'a pas le droit à la recherche, au
tâtonnement. « Quand ce n'est pas l'argent, c'est le temps qui
lui manque. Alors on se nourrit des chefs d'oeuvre des autres (...) en essayant
d'y déceler le ou les secrets (...). L'analyse filmique comme
révélateur des manques personnels, source d'émulation
secrète, Malher corrigeant Mozart, sublime
impiété ! » (Opritescu, p.18-19).
Aussi, cette auto-construction de soi-même et
l'auto-perfectionnement, grâce à l'analyse, sont-ils souvent
avancés : « l'analyse accompagne,
précède ou suit fréquemment le travail de création
des films : il n'est pour s'en convaincre que de lire les textes ou
entretiens de grands cinéastes, de Epstein ou Gance à Eisenstein,
de Hitchcock à Fritz Lang ou Ingmar Bergman et Truffaut »
(Vanoye et Goliot-Lété, p.8).
3- L'utilité réelle de l'analyse filmique et les
critiques formulées à son égard
L'utilité réelle et la fiabilité
de l'analyse filmique sont des sujets récurrents. A la question :
pourquoi étudier les films ? « La réaction du bon
sens serait de protester : le cinéma, comme les bananes, se
consomme sur place. Inutile d'y revenir, trêve de ratiocinations.
D'ailleurs à quoi cela sert-il ? L'autre question tout aussi
meurtrière est : l'auteur a-t-il bien voulu dire ce que vous voyez
dans cette oeuvre » (Liandrat-Guigues et Leutrat, 2001, p.157).
Le spectateur normal n'en a pas besoin pour prendre du
plaisir à regarder un film. Le spectateur-analyste peut, à force
de découpage, de déconstruction et de reconstruction, trouver des
interprétations auxquelles le réalisateur lui-même n'avait
pas pensé, voire créer des règles qui limitent la
création.
Un constat que fit Pedro Almodovar :
« J'ai répondu à des questions que des étudiants
se posaient sur mes films. Or ce qui m'a frappé, c'est que, clairement,
mon opinion ne ressemblait pas du tout à ce que leur avaient appris
leurs professeurs. Je les sentais perdus, déroutés, non par
la complexité de mes réponses, mais au contraire, par leur
simplicité. Ils imaginaient que j'allais leur exposer toutes sortes de
règles précises et mûrement réfléchies, mais
la vérité, c'est qu'il y a soit trop, soit trop peu de
règles, et que je connais des centaines d'exemples qui prouvent qu'en
brisant chacune de ces règles, on peut quand même faire du bon
cinéma. (...) « On peut apprendre le cinéma, dans une
moindre mesure, en regardant des films. Le danger, néanmoins, quand on
fait ça c'est que l'on risque de tomber dans le piège de
l'hommage. On regarde la façon dont filment certains grands
maîtres et ensuite, on essaie de les imiter dans ses propres
films. » (Almodovar, in Tirard, 2004, p.30-31).
Les grands réalisateurs d'aujourd'hui sont, en
effet, très partagés sur l'intérêt d'analyser les
films pour apprendre la mise en scène.
Certains comme Emir Kusturica et David Lynch sont
plutôt favorables à un apprentissage par l'analyse de films. Ainsi
Emir Kusturica (in Tirard, 2004, p.83-84) déclarait lors d'une interview
: « J'ai enseigné le cinéma pendant deux ans
à l'Université de Columbia, à New York, et j'en ai
retiré le sentiment qu'il est impossible d'offrir à quiconque un
parcours fléché sur la façon de réaliser un film.
En revanche, je crois qu'il est possible de projeter certains films et de les
analyser afin de montrer, sur des exemples précis de scènes ou de
plans, comment chaque auteur utilise son propre talent pour fabriquer un film
(...). Si vous apprenez ensuite à distinguer et à comparer
toutes ces approches du cinéma, au bout du compte, vous devez pouvoir
arriver à déterminer et à fabriquer celle qui sera la
vôtre en tant que cinéaste ». Quant à lui, David
Lynch (in Tirard, 2004, p.122) avoue : « je n'ai pris qu'un
seul cours de cinéma dans ma vie, avec un professeur qui s'appelait
Franck Daniel. C'était un cours d'analyse, dans lequel il montrait des
films aux élèves en leur demandant de ne se concentrer que sur un
seul élément : la photo, le son, la musique, le jeu des
acteurs, etc. Après, on discutait de l'utilisation de cet
élément particulier dans le film, on comparait nos notes et on
trouvait des tas de choses incroyables ».
D'autres, comme Jean-Pierre Jeunet et Jean-Luc Godard
sont beaucoup plus réticents. Selon Jean-Pierre Jeunet :
« C'est un grand danger des écoles de cinéma :
j'ai l'impression qu'on dit aux élèves « il faut faire
comme ça », alors qu'on devrait leur dire « moi je
fais comme ça (...) Il n'y a aucune règle
générale. Toutes les approches sont bonnes, du moment que le film
fonctionne. C'est à chacun de trouver sa propre formule »
(Jeunet, in Tirard, 2004, p.49-50). Jean-Luc Godard est plus catégorique
encore : « L'idée de donner un cours tel qu'il se
pratique dans les écoles, c'est-à-dire de projeter un film et
d'en parler ensuite, c'est une idée qui me déplaît, voire
qui me choque. Le cinéma, il faut en discuter en le voyant,
concrètement, avec l'image devant soi. Dans la plupart de ces cours, les
élèves ne voient rien : ils voient ce qu'on leur dit qu'ils
ont vu. » (Godard, in Tirard, 2004, p.211).
Les réalisateurs ne sont pas les seuls à
s'interroger sur l'utilité de l'analyse des films, à mettre en
garde contre les interprétations abusives, la théorisation
excessive, l'utilisation d'une terminologie d'exclusion plus que de
démocratisation.
L'analyse des films n'est pas une activité nouvelle.
« On pourrait presque dire, en forçant un peu les choses, qu'elle
est née en même temps que le cinéma » (Aumont et
Marie, 2000). Toutefois, la théorisation de l'analyse des films n'a
débuté que vers 1965-1970, au travers des travaux et recherches
universitaires ou para-universitaires, et « en étroite liaison
avec les débuts de la théorie moderne de cinéma, d'un
genre d'analyse, plus poussée, plus systématique, ce qu'on a
parfois un peu abusivement appelé l'analyse
structurale ».(Aumont et Marie, 2000, p.4)
Dès le milieu des années soixante dix, les termes
d'analyse filmique sont entrés dans les moeurs en raison, selon
certains, de « l'avantage d'une compréhension immédiate
par l'analogie avec l'analyse littéraire bien connue et pratiquée
par tous les bacheliers » (Opritescu, 1997, fascicule 1, p.17).
De nombreux auteurs le regretteront. « Le si prometteur
mariage entre sémiologie, psychanalyse et marxisme cèdera la
place à un académisme formaliste, enfermé dans le ghetto
universitaire. Cherchant à serrer toujours de plus près, dans un
geste se réclamant d'un statut scientifique, « le
fonctionnement du texte filmique », ces travaux constituent, trop
souvent, un véritable slalom pour contourner le sens, pour
esquiver l'analyse thématique honnie. » (Burch,
1993, p.15). Pire selon Burch : « Imitant le formalisme
littéraire, il sombre dans une quête dérisoire, de
structures universelles qui seraient la source de « notre
plaisir », celui du public atemporel, sans classe, sans sexe, sans
visage ».
D'autres ont critiqué l'approche trop théorique.
Louis Skorecki s'insurgea, dès la fin des années 70, contre
l'approche structuraliste et les courants marxiste et psychanalytique et
s'interrogea sur l'intérêt de décortiquer les films
« avec dégoût hautain (sémiologiquement, avec
Metzitude et ça-gesse419(*) ?) (Storecki, 2001, p.161). Henri Agel qui
créa, en 1972, à Montpellier, le premier enseignement de
cinéma dans une université française partage la même
inquiétude quant à l'évolution de l'enseignement
universitaire : « je pense aux fiefs de la sémiologie. En
ce moment je me dis : tout de même, ce cinéma, il a mis bien
du temps à s'imposer, mais il ne faudrait pas qu'il fût
récupéré par des gens qui sont impitoyables, qui
atomisent. Il n'y a pas d'exaltation. (...) Je ne crois pas que le
structuralisme soit dilatant (...) Je pense que le cinéma est vibration,
est bergsonien, dans la mesure où il n'est pas atomisant. »
(Agel, 1994, p.37)
Des critiques plus récentes viennent d'auteurs
anglo-saxons et concernent principalement le style et la façon de
s'exprimer de certains théoriciens et universitaires français.
Jullier en cite quelques unes dans son ouvrage Qu'est-ce qu'un bon
film ? : Gregory Currie parle de « beaucoup de
jargon inexpliqué, utilisé d'une manière si peu
systématique que le sens ne peut pas être inféré de
l'usage » . Trevor Whittock regrette les efforts qu'il fit pour
saisir ce que Christian Metz a voulu dire : « Tout cela
n'aurait-il pas pu être dit sans jargon ». Ian Jarvie emploie
le terme de frenchspeak comme synonyme de langage
ésotérique et écrit « ne pas obliger le lecteur
à avoir lu ce que j'ai lu et vu ce que j'ai vu pour comprendre ce que
j'écris ».
David Bordwell « en appelle à Nietzsche (Les
lecteurs ont tendance à trouver profond ce dont ils ne voient pas le
fond) et propose que « chaque phrase soit impossible à
comprendre de travers »420(*) (Jullier, 2004, p. 222-223).
Pédantisme, absence de vocabulaire commun, ces critiques
sont fréquentes. Jullier enfonce le clou en concluant :
« L'université, depuis qu'elle s'intéresse au
cinéma, n'a pourtant pas réussi à banaliser hors de ses
murs un seul terme spécialisé ; même le
très utile « diégèse », lancé
il y a cinquante ans par l'Ecole de filmologie, souffre encore de connotations
péjoratives ».
Annexe II : Les apports de la sémiologie
et de la sémiotique
Le terme de sémiologie est utilisé depuis
l'Antiquité dans le domaine médical. Du grec
séméion (signe) et logos (discours), la
sémiologie médicale consiste à interpréter les
signes des maladies, les symptômes et syndromes, associations de
symptômes parfois complexes à diagnostiquer.
En sciences humaines, le terme de sémiologie est
utilisé à partir du début du XXième siècle
pour nommer « une science qui étudie la vie des signes au sein
de la vie sociale » (Saussure), une science générale
des signes, de tous les signes avec lesquels nous communiquons.
Le développement de la sémiologie (non
médicale) est souvent attribué à un linguiste, Ferdinand
de Saussure421(*), et
à un logicien et philosophe, Charles Sanders Peirce.
Saussure part de l'idée que nous ne communiquons
pas seulement avec la langue mais aussi avec d'autres signes tels que ;
« les rites symboliques, les formes de politesse, les signaux
militaires, etc. » pour concevoir « une science qui
étudie la vie des signes au sein de la vie sociale (...) qui nous
apprendra en quoi consistent les signes, quelles lois les
régissent ». Cette science, Saussure la nomme la
sémiologie. Il la considère comme une science
générale des signes dont la linguistique - pourtant la
spécialité de Saussure - ne serait qu'une branche.
Presque simultanément, Peirce a le même
souhait, créer une science générale des signes, qu'il
appelle Semiotics (Sémiotique).
Toutefois, la différence entre les deux
approches, celle de Saussure et celle de Peirce, est plus importante qu'il n'y
paraît, faisant dire à certains que « la
sémiotique de Charles Sanders Peirce n'a quasiment rien à voir
avec la sémiologie de Ferdinand de Saussure » (Odin, 1990,
p.11). Et cette différence ira en augmentant avec leurs disciples
respectifs, y compris dans les domaines de l'image et du cinéma
(Gervereau, 2004).422(*)
Les deux termes - sémiologie et sémiotique - ne sont donc pas
synonymes. Leur histoire et leur usage sont différents.
La sémiotique, d'origine anglo-saxone, est
« le terme canonique qui désigne la sémiotique comme
philosophie du langage. (...). La sémiologie, d'origine
européenne, a été longtemps comprise comme l'étude
des langages particuliers non verbaux (images, gestuelle, théâtre,
etc.), mais correspond plus à la première période
« linguistico-structuraliste » de la réflexion
(1960-1970), concentrée sur les notions de signe et de code qu'à
la période suivante concentrée sur le problème de
signifiance de l'image (1975-1990).» (Joly, in Mucchielli, dir., 1996,
p.214423(*)).
Ferdinand de Saussure définit le signe comme une
entité psychique à deux faces, avec
un signifiant et un signifié.
Ferdinand de Saussure424(*), pour les définir, prit l'exemple d'une
pièce de monnaie qui possède un côté pile et un
côté face, bien sûr, indissociables. Le signifiant ne peut
être séparé de son autre face artificiellement
isolée, le signifié, comme s'il s'agissait des deux versants
d'une même réalité. L'ensemble du signifiant (forme du
signe) et du signifié (contenu du signe) représente la
signification que l'on peut saisir, qui est proposée à qui voudra
bien comprendre (Dobiecki, 1996, p.39). La plupart des linguistes
post-saussuriens considèrent toujours qu'un signe est constitué
de deux éléments : une forme appelée le signifiant,
qui est associée à un contenu, ou signifié.
Charles Sanders Peirce, quant à lui, s'est
davantage intéressé à la façon dont les signes sont
porteurs de sens et au rôle intermédiaire de la pensée.
Selon lui, tout est signe dès lors que c'est saisi par la pensée.
Aussi est-il souvent considéré comme celui qui a introduit le
pragmatisme dans l'analyse des signes.
Contrairement aux saussuriens qui pensent que la
signification est inhérente au signifiant, le pragmatisme
s'intéresse aux rapports entre signe et individu, aux effets pratiques
qu'il peut produire sur l'esprit de l'individu. Cette conception fut à
l'origine de la sémiotique appliquée, notamment de la
sémiotique de l'image.
Dans cette optique, Peirce considère que le signe
est composé non pas de deux éléments (le signifiant et le
signifié) mais de trois : le signifiant, l'objet ou
référent, et le signifié. Le signifiant est la face
perceptible du signe. L'objet ou référent est ce que le
signifiant représente. Le signifié ou interprétant ce
qu'il signifie.
Selon Martine Joly (in Mucchielli (dir.), 1996, p.209) :
«Ce diagramme (ci-dessous) représente la dynamique minimale de tout
processus sémiotique, dont la signification dépend aussi du
contexte de son apparition, de l'attente de son récepteur, et ne se
réduit jamais au seul référent. Celui-ci (ou
dénoté) s'étoffe de toute une aura de signification (les
connotations) liées au contexte, aux acteurs, et à la
spécificité de chaque acte de communication ».
S
Signifié
Interprétant
St Objet
Signifiant Référent
Representamen
A la suite de Peirce, l'école percienne,
américaine, se développe « grâce à Charles
Morris dans trois directions principales : - la sémiotique pure qui
concerne la linguistique et la philosophie du langage ; - la
sémiotique descriptive, d'inspiration behaviouriste, qui étudie
les comportements sociaux non verbaux (gestion socio-culturelle de l'espace, du
temps, de la gestuelle), des langages non verbaux (image,
vêtements...) ; - la sémiotique appliquée,
intéressée par la pragmatique, les rapports entre signe et
individu » (Joly, 1994, p.13).
L'école saussurienne, européenne, évolue,
quant à elle, dans deux directions principales : la
sémiologie de la communication et la sémiologie de la
signification. Ainsi, il est fréquent que les post-saussuriens soient
classés selon leur plus ou moins grande orthodoxie
linguistique :
- « les plus orthodoxes425(*) n'étudient que la
seule communication intentionnelle utilisant des codes composés d'un
nombre fini d'éléments tels que les langues, le code morse, le
code de la route, (...) et ainsi de suite. On parle d'une sémiologie de
la communication».
- les plus souples contribuent à développer une
sémiologie de la signification, « pour laquelle un code peut
être un système ouvert, voire flou ; et peut toujours
être considéré comme code ou champ d'observation
structuré, dès lors qu'il produit des significations et qu'on le
choisit comme objet d'étude426(*). (Joly, 1994, p.13)
Pour résumer, on peut donc dire que la sémiotique
renvoie à la tradition peircienne et la sémiologie à la
tradition saussurienne ; « l'opposition linguistique se double
ici d'une opposition des pères fondateurs, mais aussi, plus
fondamentalement, d'une opposition entre des modèles théoriques
qui n'ont pas du tout le même corps de références : le
pragmatisme américain dans le cas de Peirce, le structuralisme dans le
cas de Saussure » (Odin, 1990, p.16).
Alors que Peirce, partant du principe que les signes n'avaient
pas tous la même valeur, proposa une typologie des signes fondée
sur le degré d'évocation (indice, icône, symbole), les
post-saussuriens orthodoxes privilégièrent l'aspect intentionnel
ou non du signe.
Dans cette optique, la sémiologie de la communication
distingue les signes communicatifs des signes expressifs, selon que le signe
est intentionnel ou non. « Même si un vêtement peut se
faire le support ou le véhicule de significations socio-culturelles
évidentes, il paraît peu probable (aux linguistes post-saussuriens
« orthodoxes ») qu'il soit porteur d'un message
intentionnel ; les tenues vestimentaires relèveraient donc d'une
catégorie particulière de signes que Buyssens et Prieto nomme
l'indice » (Meunier et Peraya, 1993, p.35). Un indice est :
« un fait immédiatement perceptible qui nous fait
connaître quelque chose à propos d'un autre fait qui ne l'est
pas » (Prieto, 1966)427(*).
A ces indices, signes expressifs, ces auteurs distinguent
les signes communicatifs, grâce auxquels se fait une véritable
communication ; ils les appellent des signaux. Ces signaux sont des signes
conventionnels produits volontairement par l'émetteur pour être
reconnus par le destinataire (par exemple, le code de la route).
En conséquence, l'émetteur, ou
destinateur, a un rôle essentiel puisqu'il donne au signe une valeur de
signal par sa volonté, son intention de communication, « son
intention et son degré de conscience » selon Umberto
Eco428(*).
En matière cinématographique, cette
distinction est toutefois sujette à caution. La tenue vestimentaire d'un
acteur, considérée par ces post-saussuriens comme un indice,
étant choisie parfois avec beaucoup de soins, de volonté,
d'intention par le costumier, l'acteur, voire le réalisateur
lui-même, serait plutôt un signal, selon leur propre
définition.
Les post-saussuriens moins orthodoxes, plus souples au sens que
leur a donné Joly (1994), ont développé une
sémiologie de la signification. Roland Barthes en fut l'un des
précurseurs. La sémiologie de la signification se refuse à
réduire le champ de la sémiologie aux seules significations
intentionnelles, autrement dit aux signaux. Cela d'une part parce que la
distinction sur le critère d'intentionalité, très
discriminant, n'est pas forcément adéquate, comme nous venons de
le voir dans le domaine cinématographique, d'autre part parce que les
significations sont loin d'être explicites.
Aussi, « sous la double poussée de la
psychanalyse et du matérialisme historique, en pleine expansion tant
théorique que méthodologique dans les années 70, la
sémiologie de la signification se donne pour tâche d'analyser le
système de signes en tant qu'ils sont produits par une classe sociale
déterminée » (Meunier et Peraya, 1993, p.36). Autrement
dit, l'objectif de la sémiologie de la signification est de
découvrir la signification sous-jacente du système de signes.
Elle part du principe que « chaque catégorie du texte
(filmique, théâtrale, littéraire, etc.) possède son
propre langage qui peut être déchiffré aux termes du
contexte culturel dans lequel il est inséré » (Lazar,
1991, p.135).
Annexe III : Une analyse historique des
utilisations du cinéma dans un esprit manipulateur
A- L'utilisation du cinéma à des fins
politiques
Selon Liandrat-Guigues et Leutrat (2001, p.34), « Le
cinéma a été considéré dans le même
temps par des types de gouvernement très divers (mais se rejoignant bien
quelque part, dans leur désir de contrôle et d'expansion), les
Etats-Unis, l'Union soviétique et l'Allemagne nazie, comme un enjeu de
taille : alphabétiser, unifier la nation, conquérir le
monde. »
Il n'est donc pas étonnant que certains
réalisateurs aient été en quelque sorte utilisés
par les hommes politiques.
A la sortie de La Ligne générale, les
consignes que Staline donna à Eisenstein avant son départ pour
les Etats-Unis étaient claires : « Puisque vous avez
l'intention de vous rendre aux Etats-Unis, étudiez le cinéma
sonore en détail. C'est important pour nous. Lorsque nos héros
seront dotés de la parole, la force de l'influence des films augmentera
considérablement »429(*).
Revers inévitable de l'utilisation du
cinéma comme média de propagande, la censure a sévi en
URSS, comme dans tous les autres pays où les autorités politiques
et/ou militaires avaient des arrière-pensées. Selon Max
Ferro430(*), « Les lieux
de censure et d'autocensure sont multiples en URSS, mais les cinéastes
savent les contourner ; ils ne manquent pas non plus au pays de la
liberté, dès qu'il s'agit des gestes de l'amour, de l'objection
de conscience ou des conflits coloniaux - encore que là, on puisse se
demander si l'autocensure ne vient pas surtout des
spectateurs... ».
En Allemagne, le cinéma a été utilisé
comme un outil de propagande, principalement de 1933 à l'effondrement du
nazisme et cela comme tous les autres arts. Mais, comme le déclarait
Fritz Hippler (Capitaine SS, Directeur de la section cinématographique
du Ministère de la propagande de Goebbels ) « comparé
aux autres arts, le cinéma par sa faculté d'agir directement sur
le sens poétique et l'affectivité (et donc sur tout ce qui n'est
pas intellectuel) a, dans le domaine de la psychologie des masses et de la
propagande, un effet pénétrant et durable ».431(*) En plus de nombreuses
interdictions de diffusion, de réalisation et d'exploitation de films
pour des raisons diverses (antisémitisme, anticommunisme, etc.),
l'Allemagne nazie a produit des films vantant les valeurs du
national-socialisme en vue de construire le troisième Reich pour 1000
ans. Dès 1933, sort le premier film considéré comme
national-socialiste, Hitlerjunge Quex (Le jeune hitlérien
Quex). Réalisé par Hans Steinhoff qui s'est inspiré
d'une histoire vraie d'un jeune écolier assassiné par des
communistes en 1932, ce film mettait en exergue l'esprit de sacrifice de la
jeunesse et donnait l'occasion à Hitler de rendre hommage aux allemands,
y compris les plus miséreux, qui lui avaient permis son accession au
pouvoir.
Le premier film de fiction antisémite semble être
Die Rothschilds de Erich Waschineck (1940) qui relate l'origine de la
banque au lendemain de Waterloo, ce qui permet de dénoncer en même
temps la communauté juive et la Grande Bretagne, seule en guerre contre
l'Allemagne. Toutefois, le film antisémite le plus célèbre
est celui de Veit Harlan, Jude Süb (1941), une commande de
l'Etat432(*), dans
lequel les stéréotypes sont poussés à
l'extrême : le rabbin est habillé en noir, fortement
typé, constamment courbé, signe de fourberie, etc. autant
« de signes connotés négativement afin
d'élaborer un type juif, à la fois universel et
éternel » (De Voghelear, 2001, p.106)
B- La censure morale aux Etats-Unis
Aux Etats-Unis, la puissance des images fut à la fois
crainte et utilisée ce qui explique que le cinéma fut sans doute
l'art le plus touché par la censure, que cette dernière soit
axée sur la morale, soit à buts idéologiques et
politiques, ou utilise des moyens économiques. (Pecha, 2000)
Dès 1915, une censure morale se met en place aux
Etats-Unis. Dans son arrêt de 1915, « Mutual Film
Corporation vs Industrial Commission o f Ohio », la Cour
Suprême décide que le cinéma « ne peut
pas bénéficier de la protection de la liberté
d'expression » et laisse penser de façon implicite que le
cinéma peut être capable of evil .
En conséquence de quoi, le cinéma doit pouvoir
être contrôlé, et cela d'autant plus qu'il attire un grand
nombre de personnes et qu'il peut influencer facilement les gens (Lagayette et
Sipière, 2002). ²Cette jurisprudence sera maintenue jusqu'en 1952
et eut des effets surprenants sur le sens d'un film : « Un film
peut être complètement différent pour un spectateur de New
York que pour celui de l'Ohio. (...) Ce qui est plus grave, c'est qu'un film
peut perdre complètement son sens quand un sujet est banni d'un Etat.
Par exemple, la Pennsylvanie n'accepte pas les références
à la grossesse et coupe tout ce qui lui a trait. Ainsi le film de Cecil
B. DeMille Kindling (1915) se voit amputé de plusieurs scènes
puisqu'il raconte l'histoire d'une femme qui tombe enceinte. Se retrouvant dans
le besoin, elle n'a d'autre solution que de voler son employeur. Une fois que
ce dernier découvre qu'elle a fait cela pour partir avec sa famille dans
un environnement plus sain, il abandonne les poursuites contre elle et finance
même son voyage. Le spectateur de Pennsylvanie a dû rester perplexe
devant son écran puisque, à aucun moment du film, il n'a pu
découvrir que l'héroïne était enceinte ».
(Pecha, 2000, p.20-21)
En 1921, pour éviter le pire, c'est-à-dire une
réglementation stricte pleine d'interdits, les grands studios
américains (Paramount, MGM, 20th Century Fox, Warner, RKO, Universal,
United Artists et Columbia ) créent la MPPDA433(*), une association de
producteurs et de distributeurs de films américains, dont le but
était de moraliser l'industrie cinématographique.434(*)
En 1927, grâce au travail de la MPPDA, un code de bonne
conduite est publié sous le nom de Don't and Be Carefuls (les
choses à ne pas faire et les choses auxquelles il faut faire
attention).
Les Don't and Be Carefuls
Les Don't.
Ne devraient pas figurer dans un film :
- les remarques de nature profane comportant les mots Dieu,
Seigneur, Jésus, Christ
- Toutes les expressions profanes ou vulgaires
- Toute nudité licencieuse ou suggestive, visible ou en
silhouette et toute remarque lubrique ou licencieuse émise par un
personnage du film
- Les trafics de drogue
- Toute référence aux perversions sexuelles
- L'esclavage blanc
- Toutes les relations sexuelles et amoureuses entre Blancs et
Noirs
- Les organes sexuels d'enfants
- Ridiculiser le clergé
- Toute offense à n'importe quelle race, nation ou
croyance
Les Be Carefuls.
Il faut faire attention à la façon de
traiter :
- L'utilisation du drapeau américain
- Les relations internationales. Il faut éviter de
reproduire de manière non favorable la religion, l'histoire, les
institutions, etc. d'un pays
- Les incendies volontaires
- L'utilisation des armes à feu
- Le vol, le braquage, etc.
- La brutalité et toute chose macabre
- Les techniques pour commettre un meurtre
- Les techniques de contrebande
- La sympathie pour les criminels
- L'évocation de personnes publiques et des
institutions
- La sédition
- La cruauté apparente envers les enfants et les
animaux
- La vente des femmes ou une femme qui vendrait sa vertu
- Le viol ou la tentative de viol
- Les scènes de la première nuit d'amour
- Un homme et une femme ensemble dans un lit
- Les dialogues sur la séduction des filles
- Les baisers excessifs et luxurieux
- L'institution du mariage
- Les opérations chirurgicales
- La consommation de drogues
- Les titres ou scènes ayant un rapport avec la loi ou des
représentants de la loi.
En 1930, sous la pression des ligues féminines,
religieuses et politiques, les grands studios s'accordent sur un nouveau code
de la production : le Motion Picture Code. Ce code, plutôt
que de faire une liste forcément incomplète de recommandations,
donne des principes généraux de responsabilité du
cinéma envers le public, notamment trois principaux :
- « On ne produira pas de film susceptible d'abaisser
la moralité de ceux qui le verront. Ainsi, la sympathie du public n'ira
jamais aux vices, au péché et au mal.
- On montrera un mode de vie décent, ne dépendant
que des exigences de l'intrigue et divertissement.
- On ne ridiculisera pas la loi, naturelle ou humaine, et on ne
créera pas de sympathie pour ceux qui la violent. ».
Toutefois, comme le fait remarquer Pecha (2000, p.27), le code de
la production donne quelques applications précises concernant : le
crime, la brutalité, le sexe435(*), la vulgarité, l'obscénité, le
blasphème et le sacrilège, la religion, les costumes, les danses,
les décors, le sentiment national, les titres et les sujets repoussants.
Mais aussi, des indications concernant des éléments filmiques
tels que les décors et les titres des films : « Certains
endroits (chambres) sont associés de façon indéniable
à la vie sexuelle et tout autre péché sexuel que leur
utilisation doit être soigneusement limité. Les maisons de
débauches, de prostitution ne sont pas des lieux convenables pour un
drame. (...) Les titres salaces, indécents ou obscènes ne
doivent pas être utilisés » (Pecha, 2000, p.164).
Ce code fut appliqué d'une manière assez stricte,
les premières années, par la PCA436(*) (Guillen, 2001), une
administration de la production créée par les studios
d'Hollywood. 437(*)
Le Code Hays ne fut abrogé qu'en 1966 (Cieutat, 1988).
Comme le fait remarquer Jean-Pierre Bourget (2002,
p.127), « l'ensemble des interdits et recommandations concerne aussi
bien la situation scénaristiques que l'image (le « langage
cinématographique ») et, bien entendu, le langage proprement
dit (mots tabous dans le dialogue).
C- Les effets de la censure sur la création
cinématographique aux Etats-Unis
Pour échapper à cette censure morale qui limitait
la création, les cinéastes eurent recours aux changements de
contextes : spatial, temporel, normatif, identitaire, etc.
Concrètement, les cinéastes placèrent tout
simplement l'histoire de leur film dans une période ancienne ou
dans une culture différente. « Le code Hays est alors
tolérant, l'éloignement dans le temps et l'espace est un gage de
liberté. Les orgies romaines, l'immoralité des villes bibliques
de l'Ancien Testament sont acceptées sans difficulté.
L'adultère est plus recevable hors du territoire américain,
surtout s'il est situé dans des régions
méditerranéennes où la passion semble plus indigène
(Intermezzo). De même, les seins nus des femmes exotiques sont
acceptables, comme pour les Polynésiennes de Mutiny on the Bounty (
Les Révoltés du Bounty) car il s'agit d'une tradition
ethnique à « valeur documentaire ». (Pecha, 2000,
p.45-46). Cela n'a pas empêché que Jane, interprétée
par Maureen O'Sullivan, assez dévêtue dans Tarzan et sa
compagne (Cedric Gibbons et Jack Conway, 1934), voit son pagne et sa
chemise se rallonger deux ans plus tard dans Tarzan s'évade
(Richard Thorpe, 1936).
Le Code eut également pour effet de stimuler
« l'imagination des cinéastes (comme celle du spectateur) en
rappelant qu'un euphémisme peut se transformer en litote, qu'il peut
être plus efficace de suggérer que de montrer
explicitement (...). C'est sans doute l'aspect le plus intéressant
du Code dans sa conséquence esthétique : le recours à
une rhétorique visuelle soit métonymique, soit
métaphorique permettant de suggérer ce qu'il était
interdit de montrer ou de dire, ce dont il fallait faire l'économie ou
l'ellipse » (Bourget, 2002, p.2002).
Rappelons que la rhétorique existe depuis environ 2500
ans. Le traité d'Aristote (384 avant J.C.) sur la rhétorique
comme art du discours et de la parole feinte fait toujours autorité.
Les figures classiques de rhétorique telles que l'ellipse,
la métaphore, l'hyperbole, la métonymie, etc. furent
adaptées au discours cinématographique.
Une rhétorique visuelle s'est alors codifiée
notamment pour évoquer les relations amoureuses et l'acte sexuel.
La banalisation des formules en a fait des
clichés : « étoffant et corsant la simple
ellipse temporelle, l'accent peut être mis, de manière
métonymique, sur l'environnement propice ou complice (plan romantique du
clair de lune), et notamment sur le prélude amoureux (étreinte ou
baiser passionné suivi d'un fondu au noir) ou, symétriquement sur
la phase succédant à l'accomplissement (iconographie du feu de
bois et de la peau d'ours devant la cheminée). » (Bourget,
2002, p.128). Autre cliché, la consommation de cigarettes ou d'alcool
pour dénoter soit l'avant soit l'après, « avec le
même effet de sens », selon Bourget (2002, p.128) mais aussi
celui du lit défait aux draps froissés.
Certains réalisateurs utilisèrent également
les métaphores pour suggérer l'acte sexuel proprement dit :
une vague qui déferle, une porte forcée ou une fenêtre
ouverte par l'orage, etc. Comme l'écrit Cieutat (1991, p.102) :
« La fenêtre peut être un substitut sexuel efficace comme
dans On the Beach ( Le Dernier rivage, Stanley Kramer, 1959)
où l'une d'entre elles sépare Gregory Peck et Ava Gardner :
elle s'ouvre d'un seul coup, le couple s'embrasse, la caméra les cadre
en panoramiquement autour d'eux. Stanley Kramer obéit de la sorte au
Code tout en étant très explicite : l'ouverture de la
fenêtre signifie le proche accouplement et le mouvement d'appareil
atténue la suggestion en fuyant leur tendre enlacement ».
Des évocations qui paraissent, souvent trop
évidentes à certains qui les traitent, avec mépris, de
clichés. Pourtant, les plus grands réalisateurs en firent usage.
Cieutat (1991, P.102) cite, par exemple, le film Lolita (1962) dans
lequel Stanley Kubrick « fait s'asseoir Sue Lyon sur le rebord d'une
fenêtre, un pied sur la table de James Mason où figure en bonne
place un autre symbole sexuel privilégié des
cinéastes : une assiette avec un oeuf sur le plat »
Alfred Hitchcock fut également un virtuose du genre. Dans
La mort aux trousses, il suggère l'acte prohibé par un
train qui entre dans un tunnel au moment où Cary Grant entraîne
Eva Marie Saint sur la couchette d'un wagon-lit.
Dans Les Enchaînés, il détourne la
règle absurde imposant une durée maximale d'un baiser en
demandant à Cary Grant et Ingrid Bergman de se toucher les lèvres
que pendant les 3 secondes autorisées mais de répéter ce
prude baiser plusieurs fois de suite, faisant de cette série l'un des
plus longs baisers de l'époque...
Preuve s'il en était qu'un code
cinématographique peut ne pas être respecté, voire
n'a pas à l'être.
D- L'utilisation du cinéma américain
à des fins politico-militaires
La deuxième utilisation du cinéma par les
gouvernants américains fut plus idéologique et politico-militaire
que morale.
Dès la seconde guerre mondiale, la production
cinématographique fut très influencée par le débat
stratégique et donna naissance à ce que certains appellent le
cinéma de sécurité nationale. Lorsque la guerre
éclata en Europe, un sondage Gallup révéla que 84% des
Américains souhaitaient la victoire des Alliés, mais que 96%
désiraient voir leur pays rester en dehors du conflit. C'est alors que
le Président Roosevelt compta « sur le cinéma pour agir
sur une opinion publique plus que réticente face à
l'entrée en guerre des Etats-Unis » (d'Hugues, 1999, p.47).
Mais comme le fait remarquer Valantin (2003), ce n'est
qu'à partir de 1942 qu'un lien étroit est créé
entre les autorités militaires et le monde du cinéma :
« l'institution militaire américaine, composée de
trois grandes armées (l'Army, la Navy, l'Air force), a
« un rapport vital, organique, au cinéma qui permet
d'articuler les forces de défense aux grands mythes, aux processus de
légitimation politique et à l'actualité par la mise en
scène héroïsante de leurs personnels et de leurs pratiques
(...). Cette articulation remonte à 1942 (...) après que Franklin
Roosevelt ait convoqué à la Maison-Blanche les plus grands
réalisateurs de l'époque dont John Ford et Franck Cappa, pour
leur passer commande de dizaines de films dans la perspective de la
mobilisation psychologique du pays, le ministère de la Guerre installe
un bureau de liaison à Hollywood. » (Valantin, 2003, p.18).
Depuis cette collaboration s'est à la fois
intensifiée et diversifiée, aussi bien en matière
d'objectifs poursuivis que de moyens mis en oeuvre. Elle fut également
à l'origine de la célébrité de certains
réalisateurs 438(*). L'un des effets le plus facilement mesurable sur
les spectateurs, montrant la puissance du média-cinéma, est
l'augmentation du nombre de volontaires pour la Navy qui subissait depuis la
fin de la guerre du Vietnam une crise de recrutement. La Navy décida
alors de participer à la production de Top Gun (1989) de Tony
Scott. Elle lui prêta, comme dans un placement de produit (Chirouze,
2002), un porte-avions, des avions, des pilotes. La Navy mit au point des
chorégraphies aériennes et de nouveaux moyens de filmer en vol.
En contrepartie, elle demanda à Tony Scott de filmer les avions au
décollage et à l'atterrissage du porte-avions, également
pendant les scènes de combat au-dessus de l'océan, pour affirmer
le caractère « Navy » du film. « Le
succès de celui-ci fut tel que la Navy installa des bureaux de
recrutement à la sortie des salles ; ce qui semble-t-il,
d'après la Navy, joua un rôle non négligeable dans la
résolution de sa crise de recrutement. » (Valantin, 2003,
p.19).
L'utilisation idéologique du cinéma fut
poussée à son paroxysme quelques années après la
fin de la seconde guerre mondiale, lorsque la lutte contre le communisme devint
une priorité pour les autorités américaines. Alors que
pendant la guerre, l'Union soviétique fut, à la demande du
Président Roosevelt, plus que célébrée par
Hollywood, une période de chasse aux communistes dans tous les secteurs
d'activité y compris le cinéma débuta avec la guerre
froide439(*) et dura
plusieurs décennies. Cette période noire pour le cinéma
américain, le maccarthysme, porte le nom du sénateur du Wisconsin
JoeMacCarthy qui prit la tête de cette croisade de 1950 à 1954.
L'HUAC, une commission des activités
anti-américaines, après de multiples auditions de professionnels
du cinéma, dressa la fameuse liste noire des dix d'Hollywood. En
réalité, la liste de dix professionnels du cinéma
condamnés à des peines allant de 6 mois à 1 an de
prison et à 1 000 et 10 000 dollars d'amende.440(*)
Il serait faux de croire que l'utilisation du cinéma
à des fins idéologiques se soit achevée avec la
disparition de l'URSS. Les cibles ont changé mais les pratiques
demeurent.
Les attentats du 11 septembre 2001 sont un tournant dans les
relations entre les autorités américaines et Hollywood.
« Le 11 novembre 2001 se tient à Hollywood une rencontre entre
des représentants des grands studios, le président du syndicat
des acteurs, le puissant et redouté Jack Valenti, et Karl Rove,
éminent conseiller politique du président George W. Bush. Le but
de la réunion est la coordination de la politique
étrangère américaine, dominée par la
« guerre contre le terrorisme » avec les productions
hollywoodiennes » (Valantin, 2003, p.137).441(*)
Conséquence plus inattendue de la nouvelle politique
américaine, sous la présidence Bush, pour ses positions
contraires aux « intérêts américains »
en Irak, la France est devenue une cible que ne ménage pas un certain
cinéma américain.
E- L'utilisation du cinéma à des fins
idéologiques en France
La France, elle-même, n'a pas échappé
à l'utilisation du cinéma à des fins idéologiques.
Nous ne reviendrons pas ni sur les films d'après la première
guerre mondiale, ni sur la période de l'occupation nazie, paradoxalement
favorable au cinéma français442(*).
Citons, seulement le parti pris d'un de nos plus
célèbres réalisateurs, Abel Gance qui avait
réalisé en 1927 son Napoléon. Un film qui fut
dès sa sortie à l'origine d'une polémique, qualifié
par certains de chef d'oeuvre visionnaire pour lequel Gance invente le triple
écran, ancêtre du « Cinérama » (Rapp et
Lamy, 1999), par d'autres de film fasciste443(*). Gance persiste dans ses convictions politiques.
« Dès le 11 novembre 1940, date choisie symboliquement, Abel
Gance avait donné à Nice (en zone libre) le premier tour de
manivelle de Vénus aveugle, 444(*) ambitieuse allégorie de la France souffrante
et régénérée, dédiée au
maréchal Pétain. » (d'Hugues, 1999, p.42).
Depuis les années cinquante, le cinéma
est, en quelque sorte, plus revendicatif et contestataire, plus
éloigné des pouvoirs, également plus éducatif que
propagandiste. Certains auteurs expliquent ce phénomène par le
manque d'enjeux ou par notre culture humaniste. Comme l'écrivent
Liandrat-Guigues et Leutrat (2001, p.34-35), « Dans des pays comme la
France, où l'esprit de conquête appartenait au passé et
où l'influence des Lumières et de la tradition laïque
était grande, on a pensé que le cinéma aurait une fonction
éducative sur les « masses ». Y compris
prophylactique (antialcoolique..) ».
Marc Ferro, dans la préface d'un ouvrage collectif
consacré aux institutions de l'image (Bertin-Maghit et Fleury-Vilatte,
dir., 2001), semble toutefois regretter que contrairement aux cinéastes
américains qui chantent l'épopée de leur pays, soit par le
Western, soit par des films de sécurité nationale445(*), « en France,
pendant ces cinquante dernières années, rares sont les films qui
ont porté sur ce qui a généré l'identité de
la France : la défense des droits de l'homme et la
Révolution française (à moins d'en stigmatiser les
excès), les combats de la République (à moins d'en
divulguer les scandales). Notre épopée cinématographique
est la dénonciation, à juste titre souvent, des travers de toutes
les institutions - l'armée, l'école, etc. (...) De sorte que le
cinéma ne contribue guère au renforcement de la
république, alors que ses cinéastes se veulent démocrates
et libertaires, défenseurs de ses droits. »
Un avis que partage largement l'historien Max Gallo qui regrette
que les Français et les différentes pages de leur histoire soient
toujours montrés sous leur mauvais jour, par leurs propres
compatriotes.
Ferro insiste également sur le fait que « la
réception des images ou de ces récits change elle aussi avec le
temps qui passe, et notre perception de l'histoire, car elle évolue avec
notre expérience et nos sensibilités - ce que nous avions
esquissé en comparant l'accueil fait à La Grande Illusion
en 1938 et en 1946. »
La variable temps est, en effet, essentielle dans la perception
des images par les spectateurs.
Les cinéastes le savent et les idéologues qui les
poussent voire les manipulent et les financent également.
Sylvie Lindeperg (2001) le montre très bien en analysant
le processus de production d'un film à l'aide d'une méthode dite
du cinéma en action, qui emprunte à la
cybernétique l'image de la boîte
noire : « Plutôt que de considérer le
cinéma comme une boîte noire dont on étudierait que les
entrées (l'histoire du temps présent) et les sorties (les
« films faits), il s'agit d'y pénétrer à
l'intérieur afin d'atteindre le coeur du processus de fabrication du
film.
Cette démarche suppose d'assembler les couches
d'écriture de ce que j'appelle le film-palimpseste (les versions
successives des scénarios et découpages ; les contrats et
les budgets ; les dossiers de la commission de censure ; les
correspondances croisées entre les réalisateurs, les producteurs
et les éventuels commanditaires).
Une telle démarche permet de lire, en amont, les enjeux
cristallisés autour du film-en-train-de-se-faire et d'envisager l'oeuvre
présentée au public comme l'aboutissement d'une série
d'arbitrages de nature politique, financière, professionnelle,
personnelle, etc. » (Lindeperg, 2001, p.11)
Autrement dit, plutôt que de considérer le
réalisateur (ou tout autre membre de la profession
cinématographique) comme seul décideur et créateur de
sens, Sylvie Lindeperg, grâce à cette approche analytique du
processus de fabrication d'un film, met en exergue la multiplicité des
intérêts et l'idée selon laquelle le film, et donc son
sens, est une résultante de plusieurs vecteurs d'intérêts.
Pour bien expliquer sa méthode et ses convictions, Sylvie Lindeperg les
illustre par l'analyse du processus de fabrication du film de René
Clément, La Bataille du Rail. Elle étudie, comme le veut
sa méthode, les contrats et les budgets de La Bataille du Rail.
Elle remarque l'entrée successive dans le tour
de table successive de commanditaires et financeurs ayant des stratégies
politiques divergentes (la Coopérative Générale du
Cinéma Français ; le groupement Résistance Fer ;
la SNCF ; le Comac, commission militaire du Conseil National de la
Résistance). « Ces archives suggèrent de nouvelles
hypothèses explicatives quant à la translation stylistique
(abandon de la voix off pour des dialogues, diversification des personnages,
translation du documentaire vers la fiction, etc.) et narrative à
l'oeuvre dans le film de René Clément ». Elle en
conclut que l'objectif « idéologique » du groupe de
résistance communiste a été dilué par
l'entrée de nouveaux partenaires dans le financement du film. Ironie de
l'histoire, le capital (certes d'une société nationale) prenait
le dessus sur la lutte des classes. « Glissant d'une logique de
classe à une logique d'entreprise, La Bataille du Rail, initiée
par un groupe de Résistance communiste sous la forme d'un
court-métrage documentaire souhaitant glorifier la classe
ouvrière, se transformait en une fiction unanimiste chargée
d'imposer le mythe d'une SNCF tout entière engagée dans la lutte
contre l'occupant. » (Lindeperg, 2002, p.21).
Cet exemple montre que la volonté d'utiliser
idéologiquement le cinéma est toutefois freinée par des
considérations économiques.
Les producteurs ne se bornent pas à chercher les moyens
financiers nécessaires à la réalisation d'un projet ;
ils l'orientent et l'accompagnent de la genèse à la sortie du
film. Leur participation à un projet dépendra de
l'intérêt qu'ils lui trouvent, celui-ci pouvant être
artistique, idéologique, mais étant le plus souvent financier.
Cette dépendance de la création
cinématographique à l'égard des producteurs et, en
conséquence par le biais du nombre d'entrées des spectateurs
pousse certains auteurs dont Pecha (2000) à parler de censure
économique que nous traiterons pour notre part ultérieurement
dans le cadre de l'adaptation de l'offre cinématographique à la
demande, aux goûts des spectateurs.
F- L'utilisation du cinéma à des fins
macro-économiques
Un objectif, non pas marketing, mais macro-économique peut
être également poursuivi par les gouvernants d'un pays grâce
au cinéma.
Dans la préface de l'ouvrage de Philippe d'Hugues,
L'envahisseur américain. Hollywood contre Billancourt, (1999),
Hervé Lavenir de Buffon, Président du Centre d'études et
d'action européenne, considère que les Etats-Unis ont
« la volonté de conquête totale, non seulement du
marché européen et mondial, mais - bien au-delà des
domaines du film, de la télévision, de la communication par
l'image et le son - de tout l'empire of mind que Winston Churchill
désignait comme l'un des empires du futur ».446(*)
Cette volonté n'est pas nouvelle, elle remonte aux
années vingt447(*), époque au cours de laquelle le
Président Hoover déclarait : « Là
où le film américain pénètre, nous vendons
davantage d'automobiles américaines, plus de casquettes, plus de
phonographes américains ».
Que dire, pour finir, des films qui ne semblent pas a
priori véhiculer d'idéologie ?
Jean-Loup Bourget (2002, pp.149-179) semble considérer,
dans un chapitre entier qu'il consacre à l'idéologie, que tous
les films en ont une part : « De manière explicite ou
sous-jacente, délibérément ou à leur insu, les
films véhiculent une idéologie, ils sont inscrits dans un
contexte social et politique, national et international, auquel ils ne
sauraient entièrement échapper : faire un film
d'évasion est encore une façon de réagir à ce
contexte, de même que l' « apolitisme » est une
attitude politique parmi d'autres » (Bourget, 2002, p.149).
Le contenu idéologique n'est pas seulement le fait des
cinéastes, il peut être également celui des spectateurs,
amateurs ou critiques, dès lors que ces derniers jugent qu'un film
propage, même de manière diffuse et implicite, certaines valeurs,
par exemple de l'American way of life, aux dépens d'autres
valeurs, d'autres cultures (Bourget, 2002).
Annexe IV : Le genre des films
policiers
Contrairement aux idées reçues, le genre des films
policiers a des contours tout aussi mouvant que les autres genres
cinématographiques. « Comme toutes les tentatives de
classification, les contours des genres cinématographiques sont
éminemment mouvants ; chaque auteur y allant de sa note
personnelle. Il y a aura le thriller, le film criminel, le polar, le film de
gangsters, celui de suspense, ou carrément noir, ou encore, plus
classiquement le film d'enquête, etc. » (Philippe, 1999, p.40)
Olivier Philippe a analysé quarante films policiers
français sortis entre 1965 et 1992448(*).
De cette analyse méticuleuse des 40 films à l'aide
d'une classification automatique449(*), il ressort que les films policiers s'inscrivent
dans des espaces particuliers, caractéristiques du genre.
L'auteur parle de spacialisation filmique. Il isole cinq classes
d'endroits qu'il regroupe en trois types d'espace « riches de
sens » : 1- Les espaces du désordre : - les endroits
troubles450(*), les
espaces de transit451(*) ; 2- les espaces policiers : - la maison
policière (généralement un commissariat, un poste ou
hôtel de police), la police et la rue ; 3- un monde à
part : la province.
Les espaces policiers sont des lieux où s'expriment tous
les rapports de travail entre personnages policiers (hiérarchie, autres
policiers secondaires ou d'arrière-plan, héros policiers). La
maison policière se caractérise par une circulation des policiers
à l'intérieur d'un lieu clos, coupé de l'extérieur.
L'espace de la rue côté police est, bien entendu,
à l'extérieur, et représente le terrain de chasse des
policiers.
La province constitue un monde à part qui se
singularise par la large place faite aux membres de la société
civile, aux notables et aux charmes discrets de la bourgeoisie.
L'analyse factorielle effectuée a permis de repérer
trois axes de regroupement principaux correspondant aux trois indices d'inertie
les plus élevés. Le premier axe touche à la nature des
situations de mise en scène (Intérieur/Extérieur), ce qui
somme toute est assez classique. Le deuxième axe d'inertie,
également prévisible, concerne les situations proprement
policières (Présence du corps policier/ Absence-Manque de la
police). Quant au troisième, il se réfère à la
nature des rapports sociaux (Structuration socio-politique ordonnée/
Structuration anomique).
Mais, ce qui est le plus intéressant dans cette
étude approfondie sur un corpus important composé notamment de
données chronométrées est qu'elle a permis « de
dégager une sorte de loi générale de
structuration des films policiers qui fait de ces derniers - dans la forme et
dans le fond - de véritables allégories de l'ordre. »
(Philippe, 1999, p.360)
L'allégorie de l'ordre s'inscrit dans un mouvement
dramaturgique que l'on peut résumer ainsi :
1) un problème est posé (un désordre a
lieu)
2) une recherche est entreprise pour résoudre le
problème (un représentant de l'ordre est chargé de
l'enquête)
3) le problème est résolu (l'ordre est
rétabli).
Certes, on retrouve ici la structuration classique en trois actes
qui rassure à la fois les cinéastes et les spectateurs.
«L'idée d'une forme de structuration générale
apparaît, par exemple, lorsque Alain Bonnot explique
l'intérêt de réaliser un film policier :
« Au départ, c'est le fait de pouvoir raconter les histoires
qu'on veut, mais avec une charpente disons sécurisante pour le public ou
même pour le cinéaste, tout simplement ». A
l'évidence, la charpente dont il est question ici s'apparente à
cette structuration générale que l'on cherche à
dégager. (...) Cette charpente serait rassurante parce qu'elle est
habituellement utilisée. Rassurante, elle favorisera aussi la
réceptivité du spectateur. » (Philippe,1999, p.369)
Au-delà d'une application du paradigme ternaire, l'analyse
statistique des résultats permet de préciser la structuration
d'un film policier, plus exactement la structuration des films policiers
français entre 1965 et 1992. De trois actes, la structuration passe
à 5 périodes qui correspondent à l'apparition
répétitive de certains éléments significatifs du
genre policier.
La première période (entre 0 et 9mn) est celle de
l'entrée en action. Elle se situe plutôt à
l'extérieur, sur des voies de communication et avec différents
types de véhicules. Il s'agit d'une période
privilégiée pour les délits. La présence
policière est limitée à des policiers de second rang. Les
lieux de justice justifient les entrées ou sorties des tribunaux et
prisons. L'atmosphère de cette période baigne dans la nuit avec
une forte présence musicale.
La deuxième période (10 à 26mn) est celle de
la mise en branle de la machine policière. Elle se situe à
l'intérieur, dans les lieux de police où la hiérarchie
policière organise des briefings pour les policiers de terrain qui
participeront à l'enquête. Le héros policier fait son
apparition dans le récit et se voit confier l'enquête. Des
scènes d'intimité précisent la dimension humaine du
héros. C'est également au cours de cette seconde période
que les principaux traits du héros s'affirment. Le travail
d'enquête commence généralement par les interrogatoires de
suspects. Ces interrogatoires ont lieu dans les lieux de rencontres, souvent
peu fréquentables.
La troisième période (27 à 73mn) est celle
de l'enquête et de ses tâtonnements. Elle se situe toujours
à l'intérieur. A côté des lieux de police et de
rencontres apparaissent diverses habitations dans lesquelles ont lieu des
interrogatoires de routine. Pour entrer dans l'intimité des personnages
qu'il rencontre et faciliter leurs épanchements, le héros
policier travaille seul.
La quatrième période (74 à 93mn) est celle
de la veillée d'armes. Elle est également située à
l'intérieur, dans les lieux de justice et/ou ceux de rencontre. Les
moyens de transport réapparaissent mais en tant que lieux fermés
et statiques. Les différentes catégories de personnages policiers
sont présentes lors des briefings destinés à mettre au
point les derniers préparatifs avant l'action.
La dernière période (94 à 98mn) est le temps
du dénouement. Elle se situe à l'extérieur. On voit
réapparaître les voies de communication et l'ensemble des moyens
de transport. Toutes les catégories de policiers sont présentes
lors de l'interpellation du héros délinquant. « Les
lieux de justice symbolisent l'endroit vers lequel sont dirigés les
criminels interpellés. Le retour à l'intimité du policier
symbolise ici la fin du danger. C'est le retour à la lumière et
l'achèvement en musique. L'ordre initialement troublé est
rétabli. » (Philippe, 1999, p.373)
Tableau général de la construction
spatio-temporelle du film policier
Extérieur
|
Intérieur
|
Intérieur
|
Intérieur
|
Extérieur
|
0 à 9mn
|
10 à 26 mn
|
27 à 73 mn
|
74 à 93 mn
|
94 à 98 mn
|
Voies de communication
Lieux de justice
Nuit
Autres policiers
Véhicules statiques
Véhicules en mouvement
Véhicules terrestres
Véhicules de police
Délits
Musiques
|
Lieux de police
Lieux de rencontres
Héros policiers
Hiérarchie
Autres policiers
Véhicules statiques
Interrogatoire suspect
Briefing entre policiers
Intimité de policiers
|
Lieux de police
Lieux de rencontres
Habitations
Héros policiers
Héros délinquants
Interrogatoire routine
Interrogatoire suspect
|
Lieux de police
Lieux de justice
Lieux de rencontres
Héros policiers
Hiérarchie
Autres policiers
Véhicules statiques
Véhicules terrestres
Briefing entre policiers
|
Voies de communication
Lieux de justice
Jour
Héros policiers
Hiérarchie
Autres policiers
Héros délinquants
Véhicules statiques
Véhicules en mouvement
Véhicules terrestres
Véhicules de police
Intimité de policiers
Interpellation
Musiques
|
L'entrée en action
|
La mise en branle
|
Le temps de l'enquête
|
La veillée d'armes
|
Le dénouement
|
Cette analyse met en évidence, en plus de la structuration
en plusieurs étapes, des éléments caractéristiques
du genre policier, en France, au cours de la seconde partie du XXème
siècle : les personnages principaux et secondaires, les lieux de
l'action, l'éclairage (intérieur vs extérieur, jour vs
nuit), la musique (absence ou présence), etc.
Toutefois, ces caractéristiques ne sont pas des
règles formelles. Un film peut appartenir au genre policer sans les
respecter. Ce qui est d'ailleurs le cas de nombreux films ou
téléfilms policiers réalisés depuis 1992. De
même, il est tout aussi évident que des codes du genre policier
peuvent être utilisés dans d'autres genres
cinématographiques.
La construction et l'évolution des règles avec le
temps, leur non-exclusivité à un genre particulier, ces constats
peuvent être faits pour tous les genres cinématographiques y
compris dans des genres singuliers tels que le cinéma X comme
l'écrit Gérard Lenne452(*) : « Très vite, le X s'est
codifié, à l'instar des grands genres
cinématographiques » (Lenne, 2002, p.36).
C'est l'une des raisons pour laquelle certains genres, pourtant
différents, sont parfois abusivement453(*) confondus. C'est le cas du cinéma gore et du
cinéma porno (ou hardcore). Selon Rouyer (1997,
p.178-179) : « ces deux genres affichent des intentions
semblables : filmer l'infilmable, la mort ou la jouissance (la petite
mort) (...) Pour attirer le spectateur, le film nouveau promet d'aller toujours
plus loin (...) Ce souci partagé de tout montrer implique une même
rhétorique du montage : le gros plan pour les détails et le
plan d'ensemble pour éviter l'abstraction. (...) Avec, dans les gros
plans, une alternance entre le lieu de l'action (les organes génitaux,
les portions de corps mutilées) et le visage des participants qui
traduit les résultats de la dite action ».
Dans l'étude d' Olivier Philippe n'apparaissent que
très marginalement les codes vestimentaires, les codes gestuels et
autres traits pertinents, morphologiques et autres, des personnages des films
policiers.
En plus de s'intéresser à la structure narrative,
à l'iconographie454(*) (objets, maquillage, coiffure, visages des acteurs,
décors, sons et musiques etc.), Richard Dyer (1993, p.200-219) a
dressé, pour sa part, la liste de quelques-uns des traits pertinents et
des particularités iconographiques dans le film noir qui
désignent les homosexuels.
L'homosexuel dans le film noir
Sexe du personnage
|
Titre du film
|
Nom du personnage
|
Traits caractéristiques
|
Féminin
|
Le Violent (Nicholas Ray, 1950)
|
Martha
|
Ossature lourde, cheveux tirés, voix dure et agressive
|
Rebecca (Alfred Hitchcock, 1940)
|
Mrs. Danvers
|
Aspect sévère, cheveux tirés, voix dure
|
Tony Rome est dangereux (Gordon Douglas, 1967)
|
Irene
|
Obésité, cheveux assez courts, grosse voix
|
Adieu ma jolie (Dick Richards, 1975)
|
Frances Amthor
|
Obésité, cheveux assez courts, grosse voix
|
La rue chaude (Edward Dmytryk, 1961)
|
Jo
|
Tailleur, cheveux courts, habillement précis, militaire
|
Masculin
|
Le Faucon Maltais (John Huston,1941)
|
Cairo
|
Habillement méticuleux, cheveux crêpelés,
parfum
|
L'inconnu du Nord-Express (Alfred Hitchcock, 1951)
|
Bruno
|
Habillement méticuleux, ongles soignés
|
Laura (Otto Preminger, 1944)
|
Waldo
|
Habillement méticuleux, amour des arts, esprit
« bêcheur »
|
Adieu ma belle (Edward Dmytryk, 1945)
|
Lindsay
|
Habillement méticuleux, connaisseur en vêtements
|
La Corde (Alfred Hitchcock, 1948)
|
Shaw
|
Habillement méticuleux, connaisseur de vins et de bonne
chère, humour morbide
|
Philip
|
Habillement méticuleux, amour de la musique, romantique,
hypersensibilité
|
Syndicat du meurtre (John Guillermin, 1968)
|
Quel
|
Vêtements criards, coiffure compliquée
|
Les Démons de la Liberté (Jules Dassin,
1947)
|
Sergent Chef Munsey
|
Habillement méticuleux, amour des arts, de la musique
|
Toutefois, depuis quelques années, y compris dans les
films noirs, la caractérisation homosexuelle est moins grossière
et caricaturale, notamment en raison de l'évolution des moeurs, des
lois et des normes sociales.
Ce qui tend à montrer, une fois encore, qu'un code est
sujet à évolution et que les spectateurs eux-mêmes,
individuellement ou collectivement par le biais des groupes de pression, sont
fréquemment à l'origine de changements.
Annexe IV : La retranscription des quinze interviews
de groupe
A- Réunion 1 : Scénario 4 (Contrat
d'assurance - il ouvre le contrat)
Participants : Claire, Noémie, Julien,
Carole, Agathe, Emilie, Céline, Ludovic
Age entre 19 et 23 ans
Enseignement Supérieur
Formation universitaire : Administration et Economie
Sociale.
Fréquentation du cinéma : en moyenne une fois
par mois
Consigne de départ : Qu'avez-vous remarqué
dans ce film ?
Claire : Il n'a pas l'air bien surpris d'apprendre la mort
de sa femme. En plus, apprendre la mort de sa femme par
téléphone, je trouve que ça ne va pas.
Noémie : C'est vrai qu'il me semble pas surpris,
même si après il picole beaucoup.
Ludovic : le moins que l'on puisse dire est qu'il le prend
avec philosophie.
Rires
Que diriez-vous du personnage principal ?
Noémie : Il semble assez calme
Claire : il n'a pas d'expression
Julien : Ca se voit que c'est un cadre qui travaille dans
une entreprise
Carole : il est peut-être chef d'entreprise
Emilie : ou quelque chose comme cela.
Quels sont les indices qui vous font dire cela ?
Agathe : Il est tout seul dans son bureau, il est calme,
tout seul. Il ne semble pas avoir beaucoup de travail
Julien : Il a un mini-bar dans son bureau, et ce n'est pas
courant.
Oui, et encore ?
Claire : il a un beau fauteuil
Céline : en cuir, en plus
Carole : des stores
Claire : c'est un grand bureau avec peu d'affaires dessus.
Ludovic : il y a la photo de sa femme, dessus
Pouvez-vous décrire la femme sur la photo ?
Ludovic : elle semble plus jeune que lui
Carole : Ah oui, plus jeune
Céline : mieux aussi
Y a-t-il d'autres objets qui ont attiré votre
attention ?
Ludovic : il y a un téléphone blanc
également
Comment imaginez-vous la personne qui lui
téléphone ?
Agathe : c'est un médecin
Carole : oui sûrement
Claire : ça peut être un pompier
Noémie : oui, ou quelqu'un du Samu
Qu'est-ce qui vous fait dire cela ?
Julien : à la façon de parler
Céline : oui, de le dire
Claire : oui c'est évident
En dehors du personnage principal et de la voix off, avez-vous
identifié d'autres personnages ?
Emilie : il y a une femme qui marche sur un terrain vague
Ludovic : oui c'est vrai
Qui est cette femme selon vous ?
Carole : c'est sûrement sa femme ou alors son
esprit.
Agathe : oui on la voit disparaître au loin
Julien : oui pour cet homme, c'est la représentation
de sa femme qui s'en va.
Que pensez-vous des relations qu'entretenait le personnage
principal avec sa femme ?
Claire : je pense que c'était une relation assez
distante. Ils vivaient ensemble mais c'est tout.
Ludovic : ou alors, ils étaient très proches
mais l'homme savait que sa femme allait mourir depuis longtemps, à cause
d'un grave maladie, comme un cancer ou quelque chose comme ça.
Julien : ah ouaih, c'est pas con.
Carole : on dirait qu'il s'en fout. Il a peut-être une
double vie.
Agathe : sa façon de réagir est
étrange, il ferme les stores, c'est anormal. Pour moi, il n'est pas plus
touché que ça.
Céline : peut-être, mais le coup des stores, je
ne suis pas sure.
A quelle période situez-vous l'action du film ?
Claire : ça se passe dans les années 90
Julien : oui, en tout cas pas récemment
Pourquoi ?
Julien : à cause du téléphone
Carole : les vêtements aussi sont un peu anciens
Céline : il n'est pas tendance
Rires
Emilie : Le mini-bar est ancien aussi, sa couleur fait
âgée.
Ludovic : oui c'est un Philips en plus.
Dans quel genre placeriez-vous le film ?
Carole : c'est indéfinissable. Ca ne reflète
pas vraiment la réalité. C'est un peu irréel.
Noémie : c'est assez tragique. Mais sa
réaction est tellement étrange que ça pourrait être
un policier.
Claire : en fait, ça dépend si c'est le
début du film ou pas. Si c'est le début, il va peut-être y
avoir une enquête policière.
Agathe : c'est peut-être un téléfilm
Julien : oui ça fait télé ? Une
série des années 90. L'image fait années 90.
Céline : oui la musique n'est pas terrible
Ludovic : oui ça fait un peu les Feux de
l'Amour.
Emilie : pour moi, c'est un mélo
Quelle fin verriez-vous à ce film ?
Claire : il va boire
Carole : oui, il va continuer. Ca fait très
cliché.
Julien : non, il semble trop sur de lui.
Emilie : peut-être qu'il ne réalise pas encore.
Il va réfléchir tout seul.
Noémie : oui possible
Agathe : je le verrai bien aussi devenir alcoolique
Céline : il va peut-être se noyer dans le
travail.
Ludovic : oui ou dans sa bouteille de whisky
Rires
Diffusion de la fin
Que pensez-vous de cette fin ?
Carole : c'est un cliché. C'est pas surprenant
Claire : non , je ne suis pas d'accord, c'est surprenant
Emilie : oui, c'est surprenant, il ne ressent rien je
trouve.
Julien : il n'est pas triste. Maintenant, il peut passer
à autre chose
Cette fin vous choque-t-elle ?
Ludovic : non pas plus que ça.
Noémie : non ça colle bien avec le
début
Globalement, comment trouvez ce film ?
Carole : c'est sur-joué. Il n'y a pas de suspense.
Tout est programmé
Agathe : c'est sans véritable expression
Julien : c'est peut-être une pub pour les
assurances
Céline : il n'est pas assez long, c'est dommage
Ludovic : moi j'ai trouvé qu'il y avait trop de gros
plans. On voit trop sa bague. C'est complètement démodé en
plus ce genre de bague pour un homme.
Carole : oui en plus, c'est mal joué, je trouve
Claire : oui mais c'est peut-être fait exprès.
La bague ne me choque pas : il a l'âge d'en porter.
Emilie : ça fait un peu série B, je trouve
Julien : soit c'est fait exprès et c'est un super
acteur ou alors il ne vaut rien du tout. Ca serait bien de le savoir.
Noémie : Il doit bien y avoir une fin, j'aimerais
bien la connaître, c'est vrai.
Comment l'imagineriez-vous ?
Julien : il quitte son bureau. Il n'est pas très net.
Il va peut-être rejoindre sa maîtresse
Noémie : tout de suite, vous les mecs ne pensez
qu'à cela...
Rires
B- Réunion 2 : Scénario 1 - version
crise cardiaque
Participants : Guillaume, Julia, Karim, Michel, Mounia,
Julien, Thomas, Isabelle
Age entre 19 et 23 ans
Enseignement Supérieur
Formation universitaire : Administration et Economie
Sociale.
Fréquentation du cinéma : en moyenne une fois
par mois
Consigne de départ : Qu'avez-vous remarqué
dans ce film ?
Guillaume : j'ai trouvé ça assez lent.
Thomas : oui, ça m'a fait penser à Derrick
à cause des réactions du personnage.
Isabelle : oui, c'est vrai, il y avait un peu de psychologie
avec cette femme qui s'en va dans le désert
Que diriez-vous du personnage principal ?
Karim : il est étrange. Il n'a pas de réaction
lorsqu'il apprend la mort de sa femme. Il va juste vers son frigo.
Michel : oui, il est aussi chaleureux que son frigo.
Rires
Julia : il est habillé comme un cadre dans un
bureau
Mounia : c'est sûrement un cadre supérieur de
50 ans.
Que pensez-vous de l'aménagement du bureau ?
Guillaume : il fait ancien dans sa disposition.
Julien : il y a un vieux store qui semble abîmé
Thomas : il n'y a pas d'ordinateur ! Et de nos jours il
y a toujours un ordinateur dans un bureau
Isabelle : il y a une plante aussi et un frigo Philips
Des objets ont-ils attiré votre attention ?
Karim : oui le frigo Philips me gêne en face du
bureau. Il n'a rien à faire là je trouve.
Michel : je vois mal un frigo dans un bureau comme
celui-là
Mounia : il y a un téléphone aussi. Il semble
assez vieux aussi.
Julia : et une photo en face.
Pouvez-vous décrire cette photo ?
Guillaume : c'est une vieille photo en noir et blanc. Je
pense que c'est sa femme.
Approbation des autres
Que pensez-vous des relations qu'entretenait le personnage
principal avec sa femme ?
Julia : il n'a pas l'air de la regretter.
Julien : en fait, il n'est pas très expressif
Karim : il ne me semble pas plus triste que ça
Thomas : ou alors il prend sur lui. Il ne veut pas montrer
ses émotions.
Isabelle : oui, peut-être
A quelle époque situeriez-vous l'action du film ?
Guillaume : dans les années 80-90. A cause des habits
et du bureau qui fait vieux
Approbation des autres
Toutes les séquences se situent-elles à la
même époque ?
Michel : non , je ne crois pas. Il y a des retours en
arrière, je crois
Mounia : oui un flash back avec la scène dans le
désert
Dans quel genre placeriez-vous ce film ?
Karim : un drame ou un policier
Guillaume : il faudrait voir la suite pour dire si c'est un
policier, je pense
Julien : en tout cas, ce n'est pas un comique
Rires
Qu'avez-vous remarqué dans la bande son ?
Julia : il y a une musique chinoise
Guillaume : oui c'est une musique lente
Mounia : on l'entend beaucoup quand on voit la plage
Pourriez-vous me décrire cette plage ?
Michel : c'est en Bretagne, je pense. Ca doit être un
souvenir de vacances
Julia : non je pense que ça a été
tourné dans le sahara. Je connais bien le sahara et ça lui
ressemble
Mounia : pour moi, c'est une plage mais pourquoi pas le
désert aussi
Pourriez-vous me décrire cette femme qui marche ?
Julia : elle a un jean bleu. Elle semble avoir le même
âge que l'homme au bureau
Julien : je pense qu'elle est plus jeune
Guillaume : difficile à dire on ne la voit que de
dos
Quelle fin verriez-vous à ce film ?
Julia : il va pleurer longtemps je pense et rester dans son
bureau
Guillaume : ou alors il a tué sa femme et on va le
savoir.
Karim : oui, il a peut-être fait appel à un
tueur
Michel : il pourrait se suicider aussi
Mounia : je le verrai bien se suicider aussi
Julie : vous êtes sinistres moi je sais pas, mais je
le verrai se remettre
Thomas : ou faire la fête
Isabelle : ben voyons, non, il aura du mal à s'y
faire.
PROJECTION
Que pensez-vous de cette fin ?
Mounia : c'est un peu ce que j'avais dit
Karim : non tu avais dit qu'il se suicidait et là il
est victime d'une crise cardiaque
Mounia : l'esprit y est, il meurt
Guillaume : je ne le trouvais pas très affecté
par la mort de sa femme, alors cela m'étonne
Isabelle : c'est un peu loupé, je trouve, c'est trop
banal
Vous semble-t-elle conforme au début du film ?
Michel : pas trop, car il ne semblait pas trop atteint. Donc
ça me semble pas logique.
Guillaume : moi, je trouve ça surprenant. Il y a
peut-être quelque chose que l'on ne sait pas encore.
Julia : oui, il y a des zones d'ombre avec ce désert
qui reste mystérieux
Globalement comment trouvez-vous ce film ?
Thomas : c'est mal joué
Guillaume : oui, il n'est pas terrible
Michel : je suis pas d'accord. Il n'a pas grand chose
à faire aussi. Il ne parle pas beaucoup.
Karim : le problème c'est l'intrigue. On ne la
comprend pas bien
Isabelle : on manque d'explications. En fait, ce n'est pas
assez long.
Julien : ca manque d'actions aussi.
Mounia : ca fait série télé, l'image,
tout quoi.
Comment imaginez-vous la suite ?
Guillaume : je pense que cela s'arrête là, il
meurt
Karim : oui, en fait ce qui nous manque c'est le
début
Mounia : nous n'avons que la fin et pas toutes les
pièces du puzzle
Julia : je ne suis pas d'accord, à mon avis, il va y
avoir une enquête de police
Isabelle : Ah pas mal, j'aimerais bien aussi.
C- Réunion 3 : Scénario 4 (Contrat
d'assurance - il ouvre le contrat)
Participants : Samira, Elodie, Séréna,
Cécile, Valérie, Vincent, Sylvain, Simon
Age entre 19 et 23 ans
Enseignement Supérieur
Formation universitaire : Administration et Economie
Sociale.
Fréquentation du cinéma : en moyenne une fois
par mois
Qu'avez-vous remarqué dans ce film ?
Samira : la réaction du personnage est
étrange. Il ne réagit pas. Il semble s'y attendre
Elodie : oui, mais c'est normal. A sa place, je n'aurais pas
en eu de réaction non plus
Vincent : mais pour cela il fallait qu'il sache que sa femme
allait mourir
Cécile : c'est assez clair, non ?
Valérie : oui, je le pense
Sylvain : si tu veux, mais en revanche, je ne vois pas
pourquoi il se dirige vers la fenêtre
Simon : c'est une image
Sylvain : ah oui laquelle ?
Simon : l'horizon, la mort
Vincent : oulala (admiratif)
Que diriez-vous du personnage principal ?
Simon : c'est quelqu'un qui semble nerveux
Sylvain : c'est un homme d'affaires
Séréna : il ne me semble pas très
sportif
Samira : oui, il ne doit pas sortir souvent de son bureau
Elodie : il s'attendait à recevoir un coup de fil car
il marchait dans son bureau
Vincent : non pas forcément. Moi, je pensais qu'il
attendait un coup de fil professionnel
Comment imaginez-vous la personne au
téléphone ?
Cécile : c'est certainement un médecin. Il
précise qu'ils ont fait tout ce qu'ils ont pu pour la sauver. Donc ils
devaient l'opérer mais l'opération ne s'est pas bien
déroulée.
Séréna : en tout cas, c'est soit un pompier,
soit un secouriste, soit un médecin.
Approbation générale
Avez-vous remarqué d'autres personnages ?
Samira : oui, il y a une femme dans le désert
Elodie : non, je pense que c'est un homme
Sylvain : un homme, tu plaisantes
Séréna : non, c'est une femme. Elle porte un
foulard
Simon : c'est une femme bien sûr, sûrement sa
femme qui s'en va
Vincent : Simon, tu m'impressionnes vraiment
Que pensez-vous du lieu où se déroule
l'action ?
Elodie : c'est un désert
Samira : non, c'est une plage. Il y avait de l'herbe
Sylvain : il y a beaucoup de sable quand même
Valérie : c'est son imagination. C'est un lieu
symbolique. Ce lieu n'existe pas.
Elodie : je pense que c'est lui qui s'en va dans un
désert. Il part très loin pour s'isoler. A mon avis, c'est un
homme
Vincent : mais puisqu'on te dit que c'est une femme avec un
foulard
Rires sauf Elodie
Y a-t-il d'autres personnages ?
Séréna : oui, il y a une femme sur une
photo
Sylvain : ce doit être une photo de vacances
Samira : je croyais que c'était un enfant..
Elodie : moi, j'ai vu une femme et un homme
Vincent : je crois que tu devrais changer de lunettes, il
n'y avait qu'une femme et sans foulard cette fois
Rires sauf Elodie
Elodie : j'ai vu une femme et un homme. Parce que je ne vois
pas pourquoi il mettrait sa femme sur un réfrigérateur !
Simon : pour une bonne raison, ça c'est une bonne
raison
Rires
Que pensez-vous des relations que le personnage principal
entretenait avec sa femme ?
Samira : ça devait être mitigé
Elodie : c'est sûr qu'il ne semble pas
effondré.
Sylvain : sa réaction d'aller vers la fenêtre
est curieuse
Simon : non, elle est symbolique, je pense.
Vincent : il est assez froid. Sa femme ne devait pas compter
beaucoup pour lui
Cécile : il est dans son bureau et c'est un homme
d'affaires. Il ne peut pas trop en montrer aussi
Valérie : je le pense aussi. Il y a un doute donc.
Que pensez-vous des lieux où se déroule
l'action ?
Samira : il y a le bureau avec des posters partout
Séréna : il est très impersonnel, je
trouve
Elodie : le bureau n'est pas très beau. Il n'est pas
très gai
Vincent : oui, il y a des objets métalliques
Sylvain : il y a ce téléphone en gros plan. En
plus, il a une sonnette très forte
Valérie : il n'est pas très bien
organisé
Simon : pas bien rangé, non plus
A quelle période situez-vous ce film ?
Elodie : de nos jours
Séréna : oui, en tout cas c'est assez
récent.
Sylvain : dans les dix dernières années
Approbation générale
Toutes les séquences se situent-elles à la
même période ?
Sylvain : non, il y a le flash back à la
plage
Elodie : c'est plutôt une vision de l'avenir pour
lui
Vincent : avec son foulard sur la tête..
Rires sauf Elodie
A quels moments de la journée, pensez-vous que l'action se
déroule ?
Samira : en fin de journée
Elodie : dans l'après-midi
Simon : franchement, je ne sais pas
Cécile : plutôt en fin d'après-midi, je
pense
Dans quel genre placeriez-vous ce film ?
Valérie : c'est un drame, sans aucun doute
Elodie : ou un policier. Ca fait Derrick !
Sylvain : oui c'est vrai, on dirait un truc allemand
Cécile : on en voit plein à la
télé en ce moment
Qu'avez-vous remarqué dans la bande son ?
Samira : je n'ai pas remarqué de musique
Elodie : si j'ai entendu une musique, ça fait
suspense
Séréna : ça ne devait pas être
assez fort alors
Vincent : il y avait une musique, c'est vrai
Sylvain : j'ai surtout entendu la sonnette du
téléphone. Elle était vraiment très forte
Quelle fin verriez-vous à ce film ?
Simon : il va méditer
Vincent : il va surtout finir son verre et se saouler
Samira : il va se suicider
Séréna : je ne suis pas sûr qu'il l'aime
assez pour cela
Elodie : il va rester pensif. Il va réfléchir.
Il va rentrer chez lui et prévenir ses enfants
Sylvain : je vois bien une enquête de police
Cécile : oui moi aussi
Valérie : ou une tromperie à l'assurance
Sylvain : ah oui, pas mal
PROJECTION
Que pensez-vous de cette fin ?
Séréna : c'est assez triste. Pour lui, tout
était prêt d'avance.
Valérie : il reste toujours aussi froid,
professionnel
Samira : cela me semble prémédité
Elodie : c'est pas net. Il l'a peut-être tué
Cécile : ou elle est morte d'une longue maladie, donc
tous les papiers étaient préparés
Sylvain : en tout cas, il ne perd pas de temps
Simon : time is money
Vincent : sacré mec, tout de même
Cette fin vous choque-t-elle ?
Séréna : oui, ça met mal à
l'aise
Vincent : il n'a pas de scrupule, c'est un peu choquant
Sylvain : il est peut-être assureur
Rires
Cette fin vous semble-t-elle conforme avec le début du
film ?
Samira : ça concorde un peu. Le personnage reste le
même.
Valérie : sans réaction
Sylvain : la moustache, le flegme, il est sans doute
britannique
Vincent : il ne perd pas le nord
Elodie : je ne suis pas d'accord
Simon : tiens c'est étonnant !
Rires sauf Elodie
Elodie : tout dépend de la conception de la mort que
l'on a
Cécile : vu sous cet angle, et puis c'était
probablement une mort annoncée
A quel film, cette fin fait-elle penser ?
Séréna : ça fait série
Télé. On s'attend à un prochain épisode
Vincent : dans lequel, il va dépenser la prime
d'assurance aux Bahamas
Rires
Oui, comment imaginez-vous la suite ?
Samira : il va sans doute continuer à ranger ses
papiers
Cécile : à vivre dans son bureau
Sylvain : non, il va souscrire une nouvelle police pour sa
nouvelle femme
Rires
Globalement, comment trouvez-vous ce film ?
Valérie : c'était bizarre
Séréna : oui, il laisse une impression
bizarre
Simon : on ne cerne pas bien le personnage
Sylvain : mari sous le choc ou crapule
organisée ?
Cécile : je pencherai plutôt pour un mari qui
est assommé et qui continue machinalement
Vincent : moi plutôt pour une fraude à
l'assurance
Elodie : moi, je pense que c'est un extrait de film, on a ni
le début, ni la fin
Samira : bien mais très série allemande dans
sa façon de raconter l'histoire.
D- Réunion 4 : Scénario 1 - version
crise cardiaque
Participants : Age entre 23 et 25 ans
Enseignement Supérieur
Formation universitaire : Administration et Economie
Sociale. 3ème cycle
Fréquentation du cinéma : en moyenne une fois
par mois
Participants : Nadia, Emilie, Carole, Séverine,
Fabien, Houcine, Alain, Eric
Qu'avez-vous remarqué dans ce film ?
Nadia : je trouve le fait de donner une telle nouvelle par
téléphone beaucoup trop brutale
Carole : oui, on ne peut pas donner une telle nouvelle par
téléphone
Approbation générale
Que diriez-vous du personnage principal ?
Nadia : il semble abattu. Il va se servir un cognac
Eric : il est abattu, rien ne nous dit qu'il avait
l'habitude de boire avant ça
Emilie : il a quand même son frigo bien visible avec
des verres. Donc ça me semble un rituel quotidien chez lui. Il doit
aimer boire son verre chaque jour
Fabien : à mon avis, ce mec, c'est pas un acteur. Il
joue trop mal. Il n'a pas l'air réel
Carole : non je ne pense pas. Il y a des gens qui
réagissent comme ça dans la vie. Ca me semble assez
crédible
Séverine : il me semble qu'il s'attendait à
tout ça. Sa façon de marcher au début. Tout était
réglé d'avance pour lui.
Eric : oui, c'est pour cela qu'il ne semble pas surpris
quand il reçoit le coup de fil.
Carole : il a l'air d'être très investi dans
son travail. Il a sûrement une place importante dans cette entreprise.
Pour avoir un réfrigérateur dans son bureau, c'est sûrement
un homme très bien placé. Peut-être le PDG
Houcine : il est très bien habillé en plus.
C'est le patron c'est sûr !
Comment imaginez-vous la personne au
téléphone ?
Carole : c'est un docteur
Fabien : ou une infirmière
Houcine : c'est une femme en tout cas
Eric : on ne le sait pas, pourquoi pas un homme ?
Houcine : l'appel vient d'un hôpital
Que pensez-vous des relations qu'entretenait le personnage
principal avec sa femme ?
Houcine : il n'est pas perturbé par la mort de sa
femme. Ca ne devait plus aller entre les deux
Carole : il semble affecté quand même. Mais il
le cache
Eric : sa femme devait encore compter un peu. Même si
son boulot passait avant sa femme, il ne souhaitait pas qu'elle meure non
plus
Houcine : je pense que la relation semblait spéciale
entre les deux
Alain : il se pose aucune question. Tout est simple pour
lui. Il est dans son bureau au lieu d'être à l'hôpital
Que pensez-vous des lieux où se déroule
l'action ?
Alain : il y a une photo, un bureau assez vide, avec un
téléphone
Fabien : c'est un studio de tournage, il y a un poster noir
pour faire nuit
Eric : Ah, si tu le dis !
A quelle époque situez-vous l'action du film ?
Emilie : Ca se passe de nos jours
Carole : non c'est plus vieux. Ca ne se passe pas en 2004.
Quand on voit les meubles, le téléphone ; non, c'est plus
ancien que ça
Alain : disons 10 ans à peu près
Eric : je pense comme Emilie, ça se passe de nos
jours, à mon avis
Des objets ont-ils attiré votre attention ?
Carole : le frigo. On voit bien la marque Philips. Il est
marron en face du bureau
Fabien : la marque sponsorise le film
Eric : j'ai surtout remarqué le vide sur le bureau
Carole : c'est le signe de son niveau hiérarchique
Dans quel genre placeriez-vous ce film ?
Alain : un drame
Carole : c'est sûr c'est pas comique
Emilie : un policier
Fabien : un film noir
Alain : c'est un court-métrage
Fabien : l'image n'est pas terrible, c'est pas du
Hollywood
Qu'avez-vous remarqué dans le montage du film ?
Nadia : il y a un ralenti quand on voit une femme qui
marche
Fabien : on ne comprend pas ce qu'elle fait là, qui
elle est. Pourquoi c'est ralenti ? C'est étrange
Eric : c'est une évocation de la personne qui part.
Cela symbolise le passage de la vie à la mort
Fabien : tu comprends cela toi ?
Séverine : oui cela semble logique. C'est classique
comme procédé. Alors toi le cinéphile ?
Rires
Quelle fin verriez-vous à ce film ?
Nadia : il va continuer à boire
Fabien : moi, je le verrai bien appeler quelqu'un..
Carole : sa maîtresse peut-être ?
Rires
Alain : il s'en fout tellement, à mon avis, il va
finir sa bouteille
Séverine : je le vois bien appeler quelqu'un, moi
aussi, mais qui je ne sais pas ?
Houcine : il va aller à l'hôpital finalement ou
bien se suicider
Emilie : se suicider pourquoi pas
PROJECTION
Que pensez-vous de cette fin ?
Nadia : c'est bien rapide ! C'est quoi un whisky
empoisonné ?
Carole : non c'est une crise cardiaque
Alain : certainement
Eric : je croyais que le whisky était bon pour le
coeur ?
Rires
Nadia : c'est trop rapide.
Fabien : il y a trop de questions sans réponse. En
plus, il tombe en arrière. Or, il devrait tomber en avant.
Emilie : tu ne confonds pas avec l'absinthe ?
Houcine : il avait un coeur en tout cas, je ne le pensais
pas
Séverine : Eh oui, je ne le voyais pas si insensible,
tant mieux
Selon vous, quels sont les sentiments que le personnage principal
avait pour sa femme ?
Séverine : il l'aimait sinon il ne serait pas mort
Nadia : bof ! pas terrible leur relation, tout de
même
Alain : il s'en fiche un peu
Houcine : c'est difficile à dire, il semble
peiné à la fin
Eric : c'est le moins que l'on puisse dire
Rires
Fabien : il n'est peut-être pas mort. C'est
peut-être juste un malaise
Cette fin vous semble-t-elle conforme avec le
début ?
Carole : au début, on croyait qu'il était peu
attaché à sa femme et plus à son boulot. Alors qu'en fait
il est très affecté par la mort de sa femme...
Séverine : oui c'est presque romantique comme fin
Rires
A quel film cette fin vous fait-elle penser ?
Nadia : à l'inspecteur Derrick plutôt
Rires
Alain : oui, dans les Derrick, il y a toujours un
téléphone en gros plan
Rires
Comment imaginez-vous la fin ?
Fabien : il va se réveiller, il n'est pas mort, je
pense. Juste tombé dans les pommes
Nadia : il va retourner dans le désert où il
allait avec sa femme
Eric : tu veux dire qu'il va la rejoindre au
cimetière
Rires
Globalement, comment trouvez-vous ce film ?
Houcine : on aimerait en savoir plus
Nadia : c'est bizarre
Carole : on aimerait plus d'informations. L'acteur est
restreint. Il ne dit rien. Il est très introverti
Fabien : ça fait court-métrage à petit
budget
Alain : on dirait les courts métrages sur France 2
Séverine : moi, j'ai bien aimé
Eric : moi aussi, pour un film de quelques minutes, c'est
bien
Emilie : en tout cas, cela vous a fait parler
E- Réunion 5 : Scénario 5 (contrat
d'assurance et le mari fait tomber le cadre)
Participants : Age entre 23 et 25 ans
Enseignement Supérieur
Formation universitaire : Administration et Economie
Sociale. 3ème cycle
Fréquentation du cinéma : en moyenne une fois
par mois
Participants : Cécile, Christophe, Séverine,
Olivia, Jimmy, Stéphane, Pascal, Thierry
Qu'avez-vous remarqué dans ce film ?
Cécile : le manque de réaction du personnage
est flagrant
Stéphane : oui, et le bureau de directeur de je ne
sais quoi
Pascal : c'est vrai qu'il n'est pas mal
Que diriez-vous du personnage principal ?
Christophe : ça a l'air d'être quelqu'un qui a
une bonne situation.
Thierry : il doit être important dans son entreprise
pour avoir un aussi grand bureau
Séverine : il a l'air de bien connaître les
lieux
Jimmy : en tout cas, il n'est pas concerné par la
mort de sa femme. Ca n'a pas l'air de le gêner.
Olivia : c'est encore à voir. Un homme d'affaires est
toujours un peu comme cela quelles que soient les circonstances.
Comment imaginez-vous la personne au
téléphone ?
Cécile : c'est un médecin
Séverine : ou peut-être un parent
Olivia : on dirait que c'est quelqu'un de proche car elle
dit ça très simplement, avec facilité
Christophe : non, le coup de fil est trop bref. C'est un
médecin. Un parent aurait parlé plus longtemps.
Jimmy : et pourquoi pas une infirmière ?
Thierry : une infirmière, oui pourquoi pas.
Avez-vous remarqué d'autres personnages ?
Cécile : il y a une femme qui marche dans le sable
Christophe : c'est sa femme. A mon avis, ça
représente la femme malade.
Pascal : oui, il savait qu'elle était malade depuis
longtemps. Et ça représente l'éloignement du couple.
Séverine : oui, mais il n'a pas l'air de souffrir
beaucoup
Olivia : tu lis dans ses pensées ?
Séverine : non mais ça se voit tout de
même
Jimmy : oui, je suis d'accord
Des objets ont-ils attiré votre attention ?
Christophe : oui, il y a un téléphone. Il est
important dans l'histoire
Thierry : un cadre à photo aussi
Stéphane : moi, le minibar m'a bien plu
Rires
Que pensez-vous des lieux où se
déroule l'action ?
Cécile : c'est assez simple comme
décors ; il y a le bureau qui n'est pas extraordinaire
Stéphane : je le trouve grand au contraire
Olivia : il n'est pas très bien rangé
Thierry : ah bon, je n'ai pas vu trop de papiers sur son
bureau, c'est rare
Christophe : on sent tout de même un certain
laisser-aller chez la personne. Il doit être perturbé par sa femme
depuis un moment
A quelle période situez-vous l'action du film ?
Christophe : il y a dix ans. Les couleurs du bureau font dix
ans.
Olivia : c'est un peu ancien comme bureau
Pascal : vous exagérez, je le trouve bien son bureau.
Non, cela se situe actuellement à deux ans près.
Olivia : pour quelqu'un qui semble haut
placé, le bureau ne lui convient pas vraiment
Thierry : qu'est ce qui te fait dire qu'il est haut
placé alors ?
Olivia : un ensemble de choses
Cécile : c'est comme pour le téléphone.
Je ne sais pas où ils l'ont trouvé
Jimmy : il est classique, c'est tout
A quel moment de la journée pensez-vous que l'action se
déroule ?
Cécile : le soir
Stéphane : ou très tôt le matin, c'est
une question de luminosité
Approbation générale
Que pensez-vous des relations qu'entretenait le personnage
principal avec sa femme ?
Olivia : cela ne devait pas aller fort
Christophe : ou alors il cache ses sentiments. Il
intériorise peut-être
Cécile : son travail devait passer avant tout. Que
fait-il dans son bureau à ce moment-là ?
Jimmy : tu es marrante, il ne pouvait pas être
toujours à l'hôpital si sa femme était malade depuis
longtemps
Qu'avez-vous remarqué au niveau de la bande son ?
Olivia : la musique est différente entre le
début et la fin. Au début, elle est angoissante quand il marche
dans son bureau. Ensuite, la musique est plus douce.
Séverine : comme si la mort de sa femme était
une délivrance
Pascal : cela ne veut pas dire pour autant qu'il est
heureux, il peut être soulagé que sa femme ne souffre plus
Cécile : ben voyons, solidarité masculine
Rires
Dans quel genre placeriez-vous ce film ?
Jimmy : un drame
Thierry : un polar, plutôt
Olivia : peut-être une pub ?
Stéphane : non c'est trop long pour une pub
Cécile : alors un court-métrage
Christophe : une série B
Rires
Christophe : oui, c'est très banal. Le message est
simple et on voit toujours les mêmes plans
Quelle fin verriez-vous à ce film ?
Christophe : il va réfléchir à la
succession
Rires
Christophe : oui, vu qu'il s'en fout. Il y a peut-être
des biens à aller récupérer
Thierry : je ne vois pas cela du tout, désolé.
Je pense qu'il va se précipiter à l'hôpital
Cécile : oui, il va voir sa femme
Olivia : ou sa maîtresse...
Séverine : il est tellement chiant comme type que si
ça se trouve, il va retourner bosser !
Rires
PROJECTION
Que pensez-vous de cette fin ?
Cécile : c'est brutal !
Olivia : il a sans doute assassiné sa femme
Christophe : ou anesthésié
Thierry : peut-être ou peut-être pas
Jimmy : c'est vrai que ce geste n'est pas
élégant mais cela rappelle quand on arrêtait les
horloges
Thierry : lui, il aurait tendance à les remettre
à l'heure et à remettre les compteurs à zéro
Rires
Cette fin vous choque-t-elle ?
Olivia : oui un peu
Christophe : moi, non, je m'en doutais. Ca fait
téléfilm. Le coup de l'assurance c'est fréquent
Pascal : c'est peut-être une assurance
obsèques, vous voyez le mal partout
Stéphane : il ne peut plus regarder la photo de sa
femme, c'est fréquent après un décès
Séverine : vous êtes bien gentils avec lui,
c'est un salaud, point barre
Rires
Cécile : c'est possible. Il a tué sa femme
pour l'assurance
Quels sont les sentiments que le personnage principal avait pour
sa femme ?
Cécile : il s'en foutait. Il voulait la tuer
Olivia : il voulait toucher un héritage
Jimmy : vous jugez bien vite ; cela dépend de la
durée de la maladie de sa femme
Comment imaginez-vous la suite ?
Cécile : il va voir quelqu'un
Pascal : oui sans doute les pompes funèbres
Olivia : mais non, sa maîtresse l'attend avec
l'argent
Séverine : non, il a des papiers à faire
avant. Tout est réglé je pense. Il va donc faire attention
Jimmy : attention à quoi ?
Séverine : à ne pas se dévoiler. C'est
un meurtrier
Stéphane : quelle imagination !
Rires
Globalement, comment avez-vous trouvé ce film ?
Jimmy : on a beaucoup de questions sans réponse. On
peut connaître la suite ?
Christophe : c'est trop court, c'est vrai
Cécile : le mec est ringard
Thierry : non, je le trouve assez crédible dans le
rôle d'un patron
Olivia : c'est étrange, j'ai eu l'impression de
l'avoir déjà vu.
De l'avoir déjà vu ?
Olivia : oui, l'histoire, les décors, tout cela me
rappelle quelque chose
Séverine : c'est vrai, j'ai un peu la même
impression
Stéphane : je te l'ai déjà dit ;
tu as trop d'imagination
Rires
F- Réunion 6 : Scénario 3 - jambes de
femme - photo de femme brune
Participants : Age entre 20 et 23 ans
Enseignement Supérieur
Formation universitaire : Administration et Economie
Sociale.
Fréquentation du cinéma : en moyenne une fois
par mois
Participants : Laure, Séverine, Claire, Greg, Meidi,
Elodie, Christophe, Ludovic
Qu'avez-vous remarqué dans ce film ?
Laure : c'est bizarre. La réaction du type est
bizarre
Séverine : à mon avis, il savait qu'elle
allait mourir
Claire : je suis choquée par ce film. La
réaction du personnage n'est pas normale. Il doit préparer
quelque chose
Ludovic : et que veux-tu qu'il prépare :
l'enterrement ?
Elodie : un mauvais coup, sans doute
Que diriez-vous du personnage principal ?
Laure : on dirait un prof
Séverine : ou plutôt un homme d'affaires
Greg : sa gestuelle est étonnante. Il semble
embarrassé
Christophe : je le verrai plutôt vendeur. Il a le look
d'un vendeur.
Meidi : oui, un peu, tu as raison.
A quelle période situez-vous l'action de ce film ?
Laure : de nos jours
Elodie : plutôt il y a quelques années
Ludovic : en tout cas c'est récent
Que pensez-vous des lieux où se déroule
l'action ?
Greg : il n'a rien d'extraordinaire. Il y a un vieux
téléphone blanc
Laure : oui, c'est étonnant qu'il possède un
téléphone comme ça.
Meidi : il n'y a pas d'ordinateur non plus. Son affaire ne
doit pas bien marcher
Rires
Christophe : oui il ressemble à un PDG en plus. Son
mobilier ne colle pas
Séverine : il y a un vieux frigo en plus. Philips, je
crois.. Il est blanc et marron. Il se sert un verre pour oublier
après...
Claire : il est un peu en désordre son bureau
Ludovic : ah ! je n'ai pas trouvé
Greg : ou alors c'est un mec qui aime garder ses affaires.
Il a son petit bureau et ses petites affaires depuis le début. Il ne
veut pas changer ses meubles...C'est possible.
Elodie : oui, peut-être. En tout cas, il a l'air
d'être assez chiant
Meidi : cela dit vu la situation, il n'est pas là
pour blaguer...Et puis son bureau est normal je trouve, il est classique
En dehors du personnage principal, avez-vous remarqué
d'autres personnages ?
Laure : il y a la femme sur la plage. Ce doit être un
souvenir d'elle
Greg : non, il la voit partir. C'est une
représentation de la mort
Séverine : elle est brune, elle a un foulard. Elle
porte du noir
Laure : non du bleu
Greg : elle n'est pas blonde ?
Laure : elle est pieds nus aussi
Christophe : on ne voit pas ses cheveux avec le foulard.
Elle est de dos mais semble plus jeune que lui.
Ludovic : tu vois ça à sa
démarche ?
Christophe : oui entre autres, mais surtout à sa
silhouette
Sifflets
Comment imaginez-vous la personne au
téléphone ?
Laure : c'est l'hôpital
Séverine : non, la personne le tutoyait. C'est
quelqu'un de la famille ou une amie
Greg : c'était une femme
Meidi : peut-être une femme médecin qu'il
connaît
Greg : vu la thune qu'il doit avoir, il a sans doute des
copains toubib
Quelle relation le personnage entretenait avec sa femme ?
Laure : il n'y en avait plus
Séverine : très distante, vu sa façon
de dire « merci de m'avoir prévenu ». Il s'en
foutait un peu.
Greg : ou alors elle était malade depuis très
longtemps
Elodie : pourquoi il n'est pas à son chevet ?
Christophe : il faut bien qu'il travaille aussi
Meidi : c'est sûr que si sa femme est malade depuis
longtemps, c'est parfois difficile
Dans quel genre situeriez-vous ce film ?
Laure : c'est un court métrage. Ce n'est pas
très étoffé comme histoire
Ludovic : ça doit être un extrait seulement
qu'on nous a montré là je crois
Greg : mouaih bof... une pub mais je ne vois pas trop pour
quoi
Christophe : pour Philips peut-être
Séverine : tu plaisantes tu as vu le frigo
Rires
Qu'avez-vous remarqué dans la bande son ?
Laure : il y a une musique derrière
Claire : une musique douce
Meidi : ça manque d'action
Elodie : elle semble ancienne aussi
Ludovic : elle n'était pas mal, une musique de
circonstance, quoi
Qu'avez-vous remarqué dans le montage du film ?
Laure : il n'y a pas de changement de plans.
Elodie : les couleurs sont trop vives
Greg : c'est assez froid d'ambiance, au contraire
Séverine : à la télé, on voit ce
genre de couleurs
Greg : oui des Derrick !
Rires
Greg : c'est aussi chiant
Laure : non pas autant !
Rires
Christophe : en fait, ça fait téléfilm
américain. Le gros chef d'entreprise qui perd sa femme...c'est
fréquent
Greg : dans un téléfilm américain, le
bureau serait différent et plus moderne
Quelle fin verriez-vous à ce film ?
Greg : soit il va à l'enterrement, soit il se
suicide
Laure : il va finir son verre
Séverine : pleurer un peu dans son bureau
Christophe : non il va regarder Derrick à la
télé
Rires
Elodie : il va réfléchir et
téléphoner à sa famille
Meidi : je le verrai bien faire quelque chose de plus
original
Ludovic : et quoi par exemple, aller boire un verre dans une
boîte ?
Rires
Projection
Que pensez-vous de cette fin ?
Elodie : il semblait triste alors qu'en fait non. Il
trompait sa femme !
Meidi : on ne voit que des jambes, rien ne prouve que c'est
sa maîtresse
Laure : elle s'approche beaucoup de lui, tout de
même
Christophe : ou alors il a tué sa femme
Ludovic : à moins que ce soit la femme aux jambes qui
l'ait tuée
Claire : ou alors c'est sa femme que l'on voit. Elle n'est
pas morte
Cette fin vous surprend-elle ?
Greg : oui un peu quand même
Meidi : tiens toi qui trouvait que c'était pas assez
original
Greg : ouaih, la fin est surprenante
Séverine : ça laisse une impression
étrange
Laure : ce film est bizarre du début jusqu'à
la fin. Il rend mal à l'aise
Mal à l'aise ?
Laure : oui, je sais pas. L'ambiance est malsaine
Cette fin, vous semble-t-elle conforme avec le
début ?
Elodie : si c'est sa maîtresse, oui
Christophe : elle est jeune aussi. C'est peut-être sa
fille
Claire : c'est peut-être un canular...C'est sa femme
qui lui a fait une blague
Meidi : quel humour ?
Ludovic : ou une arnaque aux assurances
Greg : on ne peut pas savoir, faut voir la suite
Comment imagineriez-vous la suite ?
Elodie : il y aura un peu de dialogues...Ca aiderait
à comprendre. On a beaucoup de zones floues
Greg : ouaih, mais c'est voulu ça. Ils te trimballent
comme cela
Laure : moi je pense, que sa maîtresse ou sa fille va
lui parler
Ludovic : et si c'est sa secrétaire, tout
bêtement
Meidi : elle le consolera
Rires
Comment avez-vous trouvé ce film ?
Laure : lent...mou ...angoissant
Elodie : intellectuel, on a beaucoup de questions. Il faut
beaucoup réfléchir pour comprendre
Greg : on se pose beaucoup de questions
Meidi : en tout cas, surprenant
Séverine : l'acteur ne dit rien
Claire : faut savoir si c'est l'effet recherché,
sinon c'est une daube
Elodie : la qualité de l'image n'est pas
excellente
Christophe : c'est sûrement le poste de
télé qui fait cela
Ludovic : j'aimerai bien le voir en entier, tout de
même
G- Réunion 7 : Scénario 1 - Femme au
téléphone-hôpital/crise cardiaque
Participants : Age entre 21 et 24 ans
Enseignement Supérieur
Formation universitaire : Administration et Economie
Sociale.
Fréquentation du cinéma : en moyenne une fois
par mois
Participants : Anne, Nadia, Séverine, Claire, Franck,
Sébastien, Denis, Karim
Qu'avez-vous remarqué dans ce film ?
Anne : la réaction du personnage est étrange.
Il n'est pas très émotif.
Nadia : c'est le moins que l'on puisse dire. Il me semble
pas triste du tout
Claire : oui, il va voir à sa fenêtre comme si
de rien n'était
Karim : c'est pour regarder le lointain, c'est une image du
temps qu'on ne peut pas rattraper
Nadia : ouaih, si tu veux
Que diriez-vous du personnage principal ?
Claire : on dirait un cadre
Franck : oui un responsable de quelque chose d'important. Il
a son bureau personnel. Il doit avoir une belle situation
Sébastien : il semble âgé. Il a les
cheveux grisonnants. Il a une moustache
Franck : un petit ventre aussi
Séverine : il n'y a pas que lui..
Rires
Avez-vous remarqué d'autres personnages ?
Franck : oui, il y a une femme sur le sable
Claire : ce doit être sa femme
Sébastien : c'est peut-être sa
maîtresse
Denis : vu qu'il ne semble pas touché...c'est peut
être ses futures vacances qu'il voit
Karim : non, je ne crois pas. C'est le souvenir de sa femme
et encore une image de son départ dans l'immensité
Nadia : on a un philosophe parmi nous
Rires
Comment imaginez-vous la personne au
téléphone ?
Franck : c'est quelqu'un de l'hôpital : une
secrétaire
Claire : plutôt un médecin
Denis : oui sûrement le médecin qui suivait sa
femme
Séverine : plutôt une infirmière
En dehors du personnage principal et de ces personnages
cités, avez-vous remarqué d'autres personnages ?
Nadia : peut-être la photo...je ne sais plus trop. Il
y avait une femme, je crois
Franck : oui elle avait des cheveux blancs
Karim : la photo était en noir et blanc.. et en plus,
elle était brune
Rires
Sébastien : elle est blonde, plutôt et pas
mal
Anne : c'est une photo de sa femme, sans doute
Claire : oui, je pense dans son bureau il ne pourrait pas
mettre une autre photo tout de même
Séverine : de sa fille, pourquoi pas.
Denis : ton papa a une photo de toi dans son
bureau ?
Séverine : ah, c'est drôle
Rires
Que pensez-vous des relations qu'entretenait le personnage
principal avec sa femme ?
Claire : assez froides
Franck : il n'y avait plus grand chose entre eux. En fait,
on ne croit pas à l'accident. On s'attend à quelque chose
d'autre.
Karim : désolé, mais je ne suis pas d'accord.
Tout indique au contraire, qu'il tenait à elle : le coup de la
fenêtre, le regard dans le vide, l'image de la femme qui
s'éloigne...
Nadia : je ne sais pas trop. C'est sans doute l'idée
du film : laisser planer le doute.
A quelle période situez-vous l'action du film ?
Sébastien : Dans les années 80. Avec un
mobilier comme ça...Et pas d'ordinateur non plus...
Franck : non c'est plus récent. Et puis tu as vu un
ordinateur sur un bureau de ministre, toi ?
Denis : oui mais ce téléphone. Il est vieux.
Avec des trucs pour noter les noms dessus
Franck : attends, c'est normal s'il a une secrétaire
et des collaborateurs à joindre directement
Claire : ce frigo avec cette marque très visible...Il
est assez ringard...Vous me direz cela colle bien avec le personnage
Karim : vous devriez sortir un peu et aller dans une
entreprise, vous auriez des surprises. C'est un bureau tout à fait
correct au contraire
Franck : oui, c'est un bureau de directeur pas de
milliardaire
Rires
A quels moments de la journée pensez-vous que l'action se
déroule ?
Franck : le soir. Ca doit être en ville. On voit de la
lumière dehors.
Séverine : ou tôt le matin.
Denis : l'un ou l'autre, ou dans la journée mais en
hiver
Karim : sauf pour la scène avec la femme sur le
sable
Nadia : oui là c'est dans la journée
Franck : la femme sur le sable est peut-être un
rêve.. mais je ne suis pas sûr
Sébastien : en tout cas, vu les vêtements
qu'elle porte ce n'est pas en été
Karim : c'est un flash back intemporel
Claire : un quoi ?
Karim : un flash back, un retour dans le temps
Claire : Ah !
Rires
Qu'avez-vous remarqué dans la bande son ?
Claire : il y a une musique qui va bien avec le film...Mais
je ne sais plus ce que c'est...
Séverine : oui une musique douce qui colle bien
Approbation générale
Dans quel genre situeriez-vous ce film ?
Anne : comique parce que je trouve qu'il joue mal
Rires
Séverine : non, c'est une tragédie
Franck : un sitcom
Sébastien : ou non, un téléfilm
allemand. Ou un petit Columbo. C'est çà ?
Denis : oui ça fait bien atmosphère Derrick.
Ca sent l'allemand...
Karim : Columbo n'est pas allemand et puis est-ce un drame
policier ? Ce n'est pas sûr
Nadia : y a rien de policier la dedans je trouve :
c'est un drame
Claire : c'est très banal alors comme drame
Karim : tout est dans l'atmosphère
Denis : « atmosphère, atmosphère,
est-ce que j'ai une gueule d'atmosphère »
Rires
Quelle fin verriez-vous à ce film ?
Claire : il va se saouler. Et prendre sa voiture pour aller
dans le désert
Séverine : ou sa maîtresse va arriver
Franck : oui forcément un truc comme cela
Nadia : non il faut que cela se termine mal : c'est un
drame
Karim : oui je suis plutôt de cet avis. A moins qu'il
y ait un contraste très fort avec le début pour faire rire, par
exemple...
Sébastien : Ah, parce que tu trouves cela
drôle, toi ?
Karim : non justement
Denis : décidément, je ne comprends rien
Rires
PROJECTION
Que pensez-vous de cette fin ?
Franck : il simule une crise cardiaque...c'est pas
possible
Claire : oui, en plus, il fait mal le mort
Denis : c'est quoi ce truc ? C'est pour nous
tester ? C'est pour la Prévention Routière ?
Claire : c'est peut-être chinois, la musique est
chinoise ...
Sébastien : deux morts en 5 minutes, c'est un peu
morbide
Karim : pas plus que cela, c'est dans la logique des
choses
Nadia : oui, un drame est un drame
Séverine : c'est un peu mélo, mais bon, je le
disais c'est une tragédie
Anne : j'aurai préféré une autre fin
Comment imaginez-vous la suite ?
Denis : il va se réveiller, c'est un cauchemar
Nadia : tu cherches toujours le happy end
Rires
Anne : étant donné qu'ils sont morts tous les
deux, je ne vois pas ce qu'il pourrait se passer maintenant
Karim : on pourrait imaginer un retour en arrière sur
plusieurs années
Sébastien : pourquoi pas, mais avec plus d'actions
alors
Rires
Globalement comment trouvez-vous ce film ?
Franck : oui cela manque de peps
Denis : trop prise de tête
Karim : c'est le genre qui veut cela
Anne : complètement
Séverine : je suis d'accord, moi aussi
Claire : oui mais tout est bizarre : même le
cadrage, c'est étrangement filmé
Karim : c'est fait exprès pour te
déstabiliser, je pense
Sébastien : c'est réussi, crois moi
Rires
H- Réunion 8 : Scénario 4 (Contrat
d'assurance - il ouvre le contrat)
Participants : Julie, Agnès, Samia,
Céline, Guilhem, Sylvain, Nicolas, Kevin
Age entre 19 et 23 ans
Enseignement Supérieur
Formation universitaire : Administration et Economie
Sociale.
Fréquentation du cinéma : en moyenne une fois
par mois
Qu'avez-vous remarqué dans ce film ?
Guilhem : il y a un décalage entre l'annonce de la
mort de sa femme et la réaction du personnage, je trouve. Et puis,
l'image dans le désert, je ne sais pas ce que ça fait là.
On ne sait pas qui est cette femme.
Kevin : c'est sa femme qui s'en va définitivement,
c'est une allégorie
Sylvain : oui, une image
Nicolas : on avait compris
Rires
Que diriez-vous du personnage principal ?
Julie : il a l'air insensible. Il n'a pas de
réaction
Nicolas : ce n'est pas parce qu'il est sans réaction
qu'il est insensible
Agnès : on dirait qu'il s'y attendait. Elle
était peut-être malade depuis longtemps
Guilhem : oui ou alors c'est lui qui a l'a tuée
Rires
Samia : non elle devait être malade
Que diriez vous d'autre du personnage principal ?
Agnès : c'est un cadre dans une entreprise
Guilhem : oui c'est quelqu'un d'important. Il a son propre
bureau. Il est bien habillé avec son petit whisky dans son bar..
Julie : il fait vieux jeu
Céline : oui avec sa moustache surtout
Comment imaginez-vous la personne au bout du fil ?
Céline : c'est sûrement un médecin
Guilhem : non c'est un complice
Samia : tu vois trop de films policiers
Rires
Que pensez-vous des lieux où se déroule
l'action ?
Agnès : il y a un frigo marron. Des stores ..un
téléphone
Julie : il y a un poster
Samia : non c'est une photo je crois...je ne sais plus
Kevin : la photo d'une femme, mignonne, brune, mieux que
lui
Céline : sans sa moustache, il aurait du charme..
Rires
En dehors du personnage principal et de la voix off, avez-vous
remarqué d'autres personnages ?
Agnès : il y a une femme qui marche dans le
désert
Julie : oui, c'est sa femme. C'est une image d'elle qu'il a
parce qu'elle vient de mourir
Samia : elle semble assez jeune. Mais elle est
habillée stricte
Kevin : elle a un ensemble en jean, c'est pas strict le
jean
Sylvain : c'est le foulard qui fait cela
Guilhem : elle portait un foulard ?
Céline : oui un carré
D'autres personnages encore ?
Nicolas : peut-être une femme sur une photo mais je ne
suis pas sur
Julie : il y avait deux personnes sur la photo, je crois
Samia : non je ne crois pas
A quelle période situez-vous le film ?
Agnès : dans les années 90
Julie : ou même 80
Samia : oui peut-être, le téléphone et
les stores font ringards. La musique aussi, la décoration est vieille
Guilhem : pas d'accord, son bureau est pas mal du tout, je
trouve. Il fait vrai au moins pas comme dans certains téléfilms
où tout est nickel. Je pense que cela se passe de nos jours
Sylvain : oui à deux ou trois ans près
Julie : le bureau ...fait vraiment ancien !
Céline : pas vraiment, y a des choses plus anciennes
que d'autres dans son bureau, c'est tout
Kevin : oui, comme dans tous les bureaux
Dans quel genre placeriez-vous ce film ?
Guilhem : un policier
Julie : oui, un policier peut-être...ou un
téléfilm
Kevin : c'est un drame, policier peut-être mais un
drame
Agnès : l'acteur ne joue pas très bien. Il
fait pas naturel. Et puis ce gros plan sur le téléphone ça
fait répété à l'avance..
Nicolas : c'est classique, tu vois cela partout ce type de
plan
Samia : cette musique qui revient sans arrêt, c'est
moche...
Céline : c'est fait exprès, je pense, elle est
lancinante
Quelle fin verriez-vous à ce film ?
Julie : il pourrait se suicider...mais je ne le crois pas
tellement il le prend bien
Guilhem : se prendre une bonne cuite
Rires
Agnès : il prend son verre et rentre chez lui, comme
d'hab, c'est tout
Sylvain : oui, il est tellement résigné qu'il
va finir son verre et puis dormir chez lui
Céline : il a peut-être des enfants. Alors il
va les voir peut-être
Nicolas : soit il rentre chez lui. Soit il se saoule dans
son bureau
Samia : à mon avis, c'est un rituel chez lui son
verre. Il doit en boire un tous les soirs
Guilhem : ou il va roder dans des bars..
Céline : non, je le verrai bien aller à
l'hôpital tout de même
Agnès : pourquoi faire, c'est trop tard à
moins que ce soit pour le constat de décès
Rires
PROJECTION
Que pensez-vous de cette fin ?
Agnès : ça colle bien avec l'individu
Julie : en tout cas, il s'attendait bien à la mort de
sa femme. Il semble avoir tout prévu
Samia : il ne perd pas de temps
Céline : c'est un contrat du type « mes
dernières volontés en cas de
décès », c'est normal qu'il le lise
Guilhem : un peu précipité tout de
même
Kevin : dans ces circonstances, on ne sait pas trop comment
on va réagir
Cette fin vous surprend-elle ?
Agnès : non, pas du tout
Guilhem : il a peut-être supprimé sa femme pour
toucher le pactole
Nicolas : non, je ne pense qu'il ait tué sa femme,
même si son attitude est troublante
Kevin : c'est une fin qui jette un doute, tout de
même
Approbation générale
Selon vous, quels sont les sentiments que le personnage avait
pour sa femme ?
Agnès : pas terrible. C'est pas de l'amour en tout
cas..
Guilhem : à mon avis, il n'en avait plus trop. Il
savait que c'était fini...
Nicolas : ce qui me choque c'est la rapidité qu'il
met pour ouvrir son contrat. Il ne prend même pas le temps de se
recueillir
Céline : oui, mais, il va peut-être
régler ça rapidement et ensuite il aura le temps pour avoir du
chagrin
Samia : c'est une façon de voir les choses. Il se
débarrasse des papiers tout de suite
Sylvain : oui ...enfin, sa carrière devait passer
avant tout..
Julie : je pense que tout était clair dans sa
tête...Il attendait le coup de fil et ensuite il remplissait les
papiers
Kevin : Il me déçoit un peu, c'est sans doute
pour relancer l'histoire
A quel film, cette fin vous fait-elle penser ?
Guilhem : c'est très conventionnel.. Mais en
même temps, ça fait cinéma d'auteur avec cette scène
dans le désert.. On ne voit pas d'images comme cela dans les
téléfilms...Là c'est un peu intime...ça doit
être un court-métrage d'auteur
Agnès : oui un court-métrage, c'est assez
réaliste
Julie : moi, je vois bien un détective
privé...Il ferait une enquête ensuite...peut-être un film
policier alors.. D'ailleurs en y réfléchissant, la personne au
bout du fil, c'était peut-être lui ...le détective
Kevin : je suis assez d'accord c'est un film d'auteur. Le
scénario et les images font cela, oui
Approbation générale
Comment imagineriez-vous la suite ?
Julie : une enquête policière ou d'un
détective de la compagnie d'assurance
Agnès : il va voir un notaire
Nicolas : il va boire son héritage
Rires
Globalement comment trouvez-vous ce film ?
Samia : c'est un peu court. En plus, on a beaucoup de choses
en si peu de temps..
Sylvain : d'un autre côté, c'est bien qu'il y
ait plein de pistes
Agnès : c'est bizarre ce film : il est
troublant
Kevin : c'est un bon court-métrage d'auteur :
assez original, je trouve
Guilhem : en tout cas, il ne laisse pas
indifférent
Julie : c'est inachevé. On n'a pas de
réponses. Est-ce qu'on va voir la fin ? Ou bien est-ce le
début d'un film plus long ?
Kevin : mais c'est à toi de l'achever, c'est voulu
Céline : oui je suis d'accord, dans ce genre de film,
l'auteur ne finit pas exprès
Nicolas : c'est un film noir. Bon, c'est une question de
goût, moi je n'ai pas trop aimé, il m'a foutu la trouille
Rires
I- Réunion 9 : Scénario 5 (contrat
d'assurance et le mari fait tomber le cadre)
Participants : Age entre 21 et 23 ans
Enseignement Supérieur
Formation universitaire : Administration et Economie
Sociale. 2ème cycle
Fréquentation du cinéma : en moyenne une fois
par mois
Participants : Christine, Jean, David, Nisma,
Valérie, Florence, Nicolas, Alexandre
Qu'avez-vous remarqué dans ce film ?
Christine : je n'ai pas compris la scène dans le
désert. D'ailleurs, je n'ai rien compris à ce film
Nicolas : tout de suite, tu exagères...
Nisma : oui, c'est pourtant simple
Christine est vexée...
Que diriez-vous du personnage principal ?
Jean : il est moustachu
David : il est grand et assez costaud. Il doit avoir 50
ans..
Nisma : il doit être chef d'entreprise. Il semblait
inquiet aussi. Il attendait cet appel.. Mais il semble déçu au
fond.
Alexandre : oui, il est contrarié, on dirait
Comment imaginez-vous la personne qui
téléphone ?
Nisma : c'est un médecin, je pense
Jean : sa maîtresse
Nisma : non, c'est la voix d'un homme
David : un vieux pote à lui alors..
Valérie : oui quelqu'un de proche
Nicolas : oui qu'il connaît au moins
Que pensez-vous des lieux où se déroule
l'action ?
Jean : il y a le bureau. Il est assez simple
Nisma : oui, c'est pas terrible. Il manque de charisme ce
bureau
Valérie : il y a un téléphone avec un
vieux cadran
Florence : Ah, non, il est moderne je trouve
Alexandre : oui, c'est un téléphone, quoi,
avec plusieurs lignes
Avez-vous remarqué d'autres personnages ?
Nisma : il y a la personne sur la plage, dont Christine
parlait tout à l'heure
Florence : c'est une femme, je crois, mais la personne est
de dos
Jean : elle a une jupe et un foulard
David : ça doit être sa femme
Valérie : ou sa maîtresse ...
Christine : vous voyez que ce n'est pas clair...
David : si, il pense à sa femme. C'est plus un au
revoir je pense....ou un lointain souvenir d'elle dans le passé
Nicolas : oui, il la voit partir
Que pensez-vous des relations qu'entretenait le personnage
principal avec sa femme ?
Florence : il avait l'air d'être inquiet
David : ils étaient peut-être
divorcés
Valérie : ça ne devait pas aller fort
Nisma : non, il avait l'air assez triste, je trouve
Christine : bof, pas vraiment...
Nisma : pourquoi il n'est pas à l'hôpital avec
elle ? Il l'a peut-être tuée..
Nicolas : si ça se trouve c'était un tueur au
téléphone
Rires
Florence : non ! Impossible
David : oui, enfin, il y a peut-être une histoire
d'argent...Sa femme était peut-être très riche..
Nisma : le fait de dire « on a tout fait pour
qu'elle ne souffre pas ... » C'est pas très net.
Alexandre : c'est une phrase de toubib
David : ou d'un tueur professionnel...
Dans quel genre placeriez-vous ce film ?
Florence : une tragédie
David : moi, un policier
Valérie : ou un drame. Ca fait un peu Les Feux de
l'amour
Nisma : oui un peu, d'ailleurs le comédien ressemble
à un acteur américain...de cette série, je crois
Qu'avez-vous remarqué dans la bande son ?
Valérie : il y a une musique mystérieuse
David : un peu envoûtante, chinoise je crois
Nicolas : oui, elle apparaît après l'annonce au
téléphone
Quelle fin verriez-vous à ce film ?
Valérie : il va passer des coups de fil
Florence : il va préparer les papiers pour le
décès
Jean : il va peut-être toucher une assurance
Nisma : il va s'asseoir et se plonger dans ses souvenirs
Alexandre : si c'est le tueur, je le vois bien appeler la
police..
David : il va appeler sa famille. Ensuite, il va partir. Il
va peut-être payer le tueur
Nicolas : oui, je vois bien cela aussi, il paye le tueur
PROJECTION
Que pensez-vous de cette fin ?
David : Là, on a la preuve qu'il avait prévu
la mort de sa femme. Il avait prévu un contrat
Valérie : oui, il tourne la page en tombant le cadre.
A mon avis, ce n'est pas un meurtre, elle était malade depuis plusieurs
mois
Florence : oui, tout était prévu. Il va
toucher les droits. Mais sa femme ne comptait plus pour lui
Nicolas : en tout cas, c'est pas évident que
c'était un médecin tout à l'heure au
téléphone. C'était pas si évident
Valérie : il y avait quand même le cadre de sa
femme dans son bureau. Donc, elle comptait encore pour lui.
Alexandre : Ca ne veut rien dire ça ! C'est
peut-être une ruse
Jean : son geste n'est pas rassurant : il s'en foutait
ou voulait se débarrasser d'elle
Nisma : oui c'est triste pour elle
Cette fin vous semble-t-elle conforme avec le
début ?
Nisma : oui, il reste très froid du début
à la fin
Florence : on dirait une partie d'échec. Tout semble
calculé jusqu'à la fin qui fait un échec et
mat
Christine : c'est compliqué, il faut suivre...
A quel film cette fin vous fait-elle penser ?
David : Columbo ou Les Feux de l'amour
Rires
David : oui, c'est filmé pareil
Valérie : oui, les acteurs, la musique ça fait
vraiment ça
Nicolas : il y a trop de plans fixes. Ca ne bouge pas assez.
Alexandre : Dans Columbo, c'est pareil il y a un meurtre et
on voit tout de suite le coupable.
Jean : c'est plus un film télé qu'un film de
ciné.
Globalement, comment avez-vous trouvé le film ?
Nisma : ça fait téléfilm.
Nicolas : je dirais plutôt un court-métrage,
mais on en voit rarement au ciné, dommage !
Valérie : c'est peut-être une pub pour
l'assurance
Alexandre : c'est pas mal, je trouve, mais on reste sur sa
faim. On ne connaît pas la fin de l'histoire. Il doit manquer un bout du
film. C'est peut-être un extrait
Florence : non, c'est un court-métrage et souvent on
te laisse toi-même imaginer la fin..
J- Réunion 10 : Scénario 2 (il trinque
à la Chaplin)
Participants : Age entre 22 et 25 ans
Enseignement Supérieur
Formation universitaire : Administration et Economie
Sociale. 3ème cycle
Fréquentation du cinéma : en moyenne une
à deux fois par mois, mais l'un d'entre eux, cinéphile, va au
cinéma au moins une fois par semaine et visionne de nombreux films en
vidéo et sur le satellite
Participants : Vincent, Corinne, Nico, Marie, Guillaume,
Stéphanie, Myriam, Brice
Qu'avez-vous remarqué dans ce film ?
Vincent : l'absence totale de réaction du personnage
après l'annonce de la mort de sa femme...c'est curieux
Corinne : il y a une musique asiatique qui fait penser aux
années 70
Nico : oui, on dirait un film américain, le mini bar
Philips aussi ça fait penser à ça ; le
téléphone aussi, il fait très States
Myriam : j'ai déjà vu cela en France. Je crois
plutôt que cela se situe dans un pays du sud avec le désert,
etc.
Comment imaginez-vous la personne au
téléphone ?
Vincent : c'est une personne qui appelle des urgences, je
pense
Corinne : ah, non ! Moi, je pense que c'est une gare
Marie : ah bon ? Il aurait fait flinguer sa
femme !?
Guillaume : la personne au téléphone ne se
nomme pas, on dirait que c'est un contrat...
Stéphanie : en tout cas, le mari était
très tranquille, je trouve. Et puis, le désert, ça
symbolise sa longue traversée du désert qu'il a eue pendant
plusieurs années avant de flinguer sa femme.
Guillaume : oui, ensuite, il se sert un verre, je ne sais
pas ce que c'est ...Un Woody Mary avec le sang de sa femme ?
Rires
Que diriez-vous d'autre du personnage principal ?
Vincent : c'est un homme d'affaires
Myriam : oui ou un chef d'entreprise. Il travaille dans son
bureau. Il est bien placé en tout cas.
Que diriez-vous des lieux où se déroule
l'action ?
Guillaume : il y a un bureau normal avec un
téléphone, une plante verte...Très banal
Corinne : les rideaux sont fermés. Il faisait nuit,
je crois
Brice : le téléphone est énorme, je
trouve
En dehors du personnage principal et de la voix au
téléphone, avez-vous remarqué d'autres
personnages ?
Guillaume : à part l'homme au
téléphone, il y a une femme sur une photo. Elle est blonde, je
crois.
Brice : l'air coquine aussi
Rires
Corinne : il y a aussi la femme dans le désert. C'est
quelque chose dans le passé. C'est un souvenir de sa femme
Vincent : oui, c'est un flashback
Marie : elle est habillée en noir
Nico : non, en bleu marine avec un fichu sur la
tête
Guillaume : elle présente bien. Elle va bien avec le
mec. Elle marche vite en tout cas, c'est pas une personne âgée
Stéphanie : c'est pas très clair. C'est un
désert ou une plage ?
Myriam : oui le Maroc ou l'Espiguette ?
Corinne : l'Ile de Ré...
A quelle période situez-vous l'action du film ?
Guillaume : dans les années 90. Ca fait un peu
kitch
Marie : ou 80, La moustache, la coiffure, les habits font
larges aussi. Ce bar fait 80
Vincent : et puis la photo aussi
Brice : oui elle est sur le bar
Guillaume : Ensuite il remue son shaker comme Charlie
Chaplin dans un film où il est de dos et on a l'impression qu'il pleure
parce que sa femme a eu un accident et en fait il se fait un cocktail. Il y a
une histoire de doubles dans ce film...Ca me fait penser à ça ce
film...
A quel moment de la journée pensez-vous que
l'activité se déroule ?
Vincent : la nuit
Corinne : oui, il fait nuit dehors
Nico : oui, sauf la séquence de la femme dans le
désert. C'est le jour. Mais c'est un flashback
Stéphanie : oui c'est sa femme que l'on voit dans le
cadre sur son bureau
Myriam : non c'est pas sûr, ça peut être
sa fille. Elle paraît plus jeune, non ?
Brice : sa maîtresse ?
Vincent : non, pas dans son bureau. Trop risqué..
Que pensez-vous des relations qu'entretenait le personnage avec
sa femme ?
Marie : pas terrible, le mec au téléphone,
c'est peut être un tueur alors ...
Guillaume : oui, je le vois bien nettoyeur
Rires
Corinne : oui, Victor nettoyeur ! C'est vrai que
ça fait un peu ça. Il a la voix d'un tueur
Nico : non, c'est pas sûr, il dit « on a
tout fait pour qu'elle ne souffre pas » ...Un tueur ne dit pas
ça..
Myriam : si, les pros !
Guillaume : Myriam, tu n'as pas honte
Rires
Stéphanie : elle était peut-être malade
depuis longtemps...Un cancer ou une maladie grave
Brice : le gars avait un accent bizarre, c'est pas net.
Nico : ou alors elle était hospitalisée en
Italie, l'accent faisait italien
Vincent : oui, mafioso
Rires
Dans quel genre placeriez-vous le film ?
Marie : un policier
Guillaume : je ne sais pas, j'hésite en fait
Brice : ça fait très série
américaine ou un truc sur M6
Guillaume : c'est un peu psychologique, style Z
Stéphanie : non, t'es fou ! La musique
m'énerve. Ca va pas avec le film. Ca se passerait en Asie, d'accord,
mais là...
Guillaume : non, ça passe, de toute façon on
ne l'écoute pas la musique..
Corinne : parle pour toi, moi, je la trouve pas mal
Qu'avez-vous remarqué dans le montage du film ?
Marie : il y a des fondus lorsque l'on voit la femme qui
marche. C'est assez régulier
Corinne : oui c'est pas continu
Guillaume : Ce sont peut-être ses fermetures de
paupières lorsqu'il regarde à la fenêtre
Marie : T'as fumé toi !
Rires
Nico : il y a un gros plan sur le téléphone et
le frigo aussi
Stéphanie : la photo, non ? Je ne sais plus
..
Guillaume : A mon avis ce n'est pas un policier, un
thriller...vous vous plantez.
Comment imaginez-vous la fin du film ?
Brice : il va retrouver son amante. Il est libre
maintenant
Corinne : il va peut-être regretter ce qu'il a fait en
se souvenant des bons moments avec sa femme. Il va retrouver le tueur et se
venger...
Guillaume : il se sert un verre, se met de l'arsenic et
retrouve sa femme
Myriam : Son manque d'enthousiasme m'étonne un peu.
Alors il va peut-être se suicider. Il semble blasé..
Vincent : je le sens mitigé. Finalement, on se dit
qu'il regrette ce qu'il a fait et s'il avait vraiment envie de la tuer...
Stéphanie : s'il voulait la tuer alors pourquoi
pleure-t-il à la fin ?
Guillaume : bonne question !
Marie : moi, je vois bien sa maîtresse arriver dans le
bureau. C'est peut-être la femme à la photo d'ailleurs...
Nico : pour que tout le monde le sache.... ?
Arrête !
PROJECTION
Que pensez-vous de cette fin ?
Marie : finalement, il a l'air content
Guillaume : qu'est-ce que je vous avais dit : du
Chaplin !
Myriam : c'est peut-être sa maîtresse sur la
photo ...alors !
Stéphanie : il trinque avec sa maîtresse et
maintenant une nouvelle vie commence pour eux...
Corinne : Moais...je crois plutôt que c'est sa femme
sur la photo et il trinque en pensant : Ah ! je l'ai bien eue...
Brice : oui, surtout qu'elle avait vraiment l'air d'une
garce sur la photo...
Cette fin, vous surprend-elle ?
Marie : oui, un peu
Corinne : je le trouve trop content
Guillaume : non pas du tout, je la trouve plutôt
sympa
Stéphanie : sympa ? Ignoble, tu veux dire
Myriam : en tout cas inattendue...pour moi, en tout cas
Quels sentiments le personnage principal avait-il pour sa
femme ?
Brice : je pense qu'il l'aimait bien au fond...
Guillaume : oui, enfin...morte ! Je pense que c'est un
tueur quand même au téléphone
Marie : oui, c'est un polonais ou un russe
Vincent : non ! un corse ou un italien. Il y a une
annonce derrière, d'un aéroport
Guillaume : c'est un lieu public
Nico : un jetkiller à la
Léon
Myriam : sauf qu'on ne voit pas Jean Réno
Comment imaginez-vous la suite ?
Vincent : il fait ses valises et change de vie
Marie : il va chercher ses dollars
Guillaume : moi, j'attends un autre personnage. Il manque
quelqu'un je pense
Nico : moi, je pense qu'il va partir avec quelqu'un et
changer de vie
Stéphanie : oui un truc comme cela, bien
immoral...
Rires
Globalement comment trouvez-vous le film ?
Marie : c'est court
Vincent : ça paraît court, mais quand
même on se pose pas mal de questions...
Stéphanie : il n'y a pas beaucoup de dialogues alors
on se pose plein de questions
Brice : Ah moi, j'aurai zappé, c'est trop lent pour
moi
Corinne : non, moi j'aime bien
Myriam : le bureau fait un peu trop décor. Rien me
semble réel...le désert, etc. C'est étrange comme
impression
Marie : c'est vrai, ça fait pas un endroit
utilisé tous les jours. C'est très froid. Un peu angoissant ..
Nico : c'est un court-métrage assez prenant. On a
l'impression d'être baladé : curieux !
Guillaume : mouais...il est plein de détails. Il
faudrait le revoir, je crois, pour bien percuter.
K- Réunion 11 : Scénario 3 (les jambes)
Participants : Age entre 22 et 25 ans
Enseignement Supérieur
Formation universitaire : Administration et Economie
Sociale. 2ème cycle
Fréquentation du cinéma : en moyenne une
à deux fois par mois
Participants : Julie, Sarah, Cécile, Valérie,
Benoît, Philippe, Samir, Mathias
Qu'avez-vous remarqué dans ce film ?
Julie : c'est une atmosphère étrange,
l'histoire semble banale mais on sent que quelque chose est anormal
Sarah : oui, c'est vrai, le mari est étrange.
Philippe : l'acteur joue mal, je trouve. Il est
inexpressif
Samir : c'est ce qu'on lui demandait, pour brouiller les
pistes
Que diriez-vous d'autre du personnage principal ?
Benoît : il est un peu hésitant. Dans sa
manière de bouger surtout. Sinon c'est sûrement un cadre dans une
entreprise
Mathias : oui c'est un directeur ou un chef d'entreprise
Valérie : il a un bureau de directeur et tout, ses
gestes, sa façon de parler le montrent
Comment imaginez-vous la personne qui
téléphone ?
Philippe : la voix est une voix de femme. Mais ça
semble un peu robotisé. Ce n'est pas naturel. Ca fait un peu voix de
répondeur.
Cécile : oui, c'est une voix de femme.
Sarah : elle ne cherche pas à dialoguer, on a
même l'impression qu'elle est pressée
Benoît : ça doit être un médecin
sans état d'âme, il fait son boulot et ne veut pas communiquer
Valérie : oui une infirmière
surchargée
Samir : moi, je verrai plutôt quelqu'un de la famille
qui se dévoue pour annoncer la mauvaise nouvelle
Julie : oui et qui attendra le mari à l'hosto pour
les formalités
Avez-vous remarqué d'autres personnages ?
Benoît : oui, il y a une femme qui marche dans le
désert
Valérie : pourquoi un désert, ce peut
être en bord de mer, n'importe où
Philippe : bon, c'est assez cliché...La femme qui
s'en va...
Mathias : non, j'ai bien aimé cette image, en plus
c'était bien filmé avec des sauts
Sarah : ça rappelle un peu la mythologie ancienne
avec cette femme qui part vers l'au-delà.
Cécile : c'est une vieille dame avec un foulard
Samir : pas si vieille que cela à mon avis
D'autres personnages encore ?
Mathias : oui, il y a une femme sur une photo. C'est une
photo en noir et blanc. Je ne sais pas si elle a un rôle
là-dedans
Valérie : c'est sûrement sa femme
Samir : oui sûrement, et elle n'était pas
mal..
Rires
Quelles relations le personnage principal avait avec sa
femme ?
Julie : ça devait être assez neutre ou alors il
était introverti
Benoît : en tout cas, il ne semble pas effondré
par la nouvelle
Samir : non, c'est vrai, il boit son verre, ok, mais il n'y
a rien qui montre sa tristesse
Philippe : à mon avis, il savait depuis longtemps
qu'elle allait mourir. Il savait même que c'était pour ce soir,
donc il était préparé...
Sarah : oui, c'est vrai, il joue bien ce registre
Que pensez-vous des lieux où se déroule
l'action ?
Cécile : ça doit être tourné dans
un immeuble je pense. Sinon le bureau est aseptisé, ça fait pas
réel
Philippe : oui, tout est rangé, il n'y a pas de
papiers. Il ne travaille jamais dedans, c'est pas possible
Mathias : tu n'as jamais vu un bureau de directeur, on
dirait. C'est toujours comme cela....
Julie : sa secrétaire doit avoir tous ses dossiers
Benoît : sinon, la femme marche près d'une plage, je
pense. C'est pas un désert, en fait
Philippe : tu disais le contraire, tout à l'heure
Benoît : et alors, je peux pas me tromper...
Samir : ok ! Dans le bureau, le store fait placé
exprès. Il prend une place importante. En plus, il le ferme tout de
suite après l'avoir ouvert. C'est étrange comme
réaction.
Sarah : ou alors il est très maniaque...
Philippe : l'ambiance est artificielle à cause de
cela
Valérie : non, je ne trouve pas, il agit
machinalement, c'est normal, non ?
A quelle période situez-vous l'action du film ?
Julie : de nos jours
Sarah : oui à quelques années près
Philippe : le frigo Philips fait années 80. On
s'attarde dessus en plus. Mais la photo de sa femme fait presque années
50...
Samir : tout de suite, c'est pas parce que c'est en noir et
blanc que c'est vieux...c'est une photo d'art, peut-être
Benoît : il va bientôt nous dire que c'est la
photo de sa mère...
Philippe : oui, j'y pensais, pourquoi pas...En tout cas
ça a bien 10 ans
Cécile : il n'y a pas d'ordinateur aussi, et ses
vêtements font un peu anciens
Valérie : ce n'est pas le film qui est ancien, c'est
le type qui fait vieux, tu veux dire
Cécile : ouaih, c'est un peu cela...
Mathias : les cadres sont rarement habillés
marrant....
Rires
Mathias : sinon, je pense que cela se passe le matin, on
voit le jour je crois derrière le store
Philippe : je pensais plutôt le soir, on voit la nuit
tomber
Mathias : tu me cherches ...
Rires
Dans quel genre placeriez-vous ce film ?
Philippe : ça fait un peu série B
policière. Un téléfilm de 21H. à la
télé
Julie : je ne vois pas ce qu'il y a de policier
là-dedans : je pense plutôt à un drame
Sarah : oui, éventuellement à une
comédie dramatique
Benoît : où tu vois le côté
comédie, toi ?
Rires
Samir : je pense à un drame aussi, un peu psy sur les
bords
Philippe : les décors font téléfilm et
l'acteur n'est pas terrible non plus
Cécile : tu disais « mauvais »
tout à l'heure...il s'est amélioré depuis..
Rires
Philippe : c'est très lent aussi. Le gros plan sur le
téléphone, ça me rappelle la télé.
Mathias : y a pas qu'à la télé qu'il y
a des gros plans, man !
Valérie : je trouve que c'est intimiste, y a pas
assez d'extérieur. On ne voit que l'intérieur du bureau
Cécile : non, on voit aussi le bord de mer ou un
désert, je ne sais pas. Je trouve que cela fait un peu série
américaine ou allemande. Le gars avec son verre dans son bureau,
ça rappelle Dallas. Mais l'acteur a une tête de
français quand même...
Qu'avez-vous remarqué dans le montage du film ?
Philippe : les gros plans sur le frigo et le
téléphone. Ils sont très voyants
Mathias : moi, j'ai bien aimé les effets quand la
femme marche dans le sable
Sarah : oui, c'est pas mal
Samir : c'est vrai, c'est à la fois joli et
évocateur : le passage
Philippe : Lalane, va ... !
Rires
Qu'avez-vous remarqué dans la bande son
Benoît : il y avait une petite musique de fond
Philippe : oui, elle me rappelle la musique d'American
Beauty
Julie : des bruits de verre aussi
Philippe : oui, mais ils semblent rajouter
Mathias : ah, oui ? Et qu'est-ce qui te fait dire
cela ?
Philippe : ils sont trop forts mais tu as raison avec un bon
micro...
Quelle fin verriez-vous à ce film ?
Sarah : il va peut-être annuler ses rendez-vous pour
partir à l'hôpital
Mathias : oui ou sa secrétaire va peut-être
arriver.
Philippe : à mon avis, on va rester dans le bureau.
Il ne semble pas vouloir sortir
Julie : il va rester dans ses visions à
réfléchir sur le passé
Samir : et nous allons avoir un retour arrière, dix
ans plus tôt, par exemple..
Valérie : oui ce serait pas mal
Cécile : mouaih pourquoi pas..
Benoît : ou alors, y a pas de fin, c'est à nous
de l'imaginer...
PROJECTION
Que pensez-vous de cette fin ?
Julie : je savais bien qu'il y avait quelque chose
d'anormal. Il a sans doute une maîtresse...
Philippe : la personne à la photo c'est bien la femme
qui est morte ...
Benoît : ce n'est pas forcément sa
maîtresse. On voit des jambes et alors ?
Sarah : oui, mais c'est troublant tout de même
Samir : en plus, elle a de belles jambes ...
Rires
Cette fin vous semble-t-elle conforme avec le
début ?
Cécile : oui, il continue à boire son verre
Mathias : la secrétaire, je m'y attendais un peu.
Mais, ce qui n'était pas prévu c'est le comportement de la
secrétaire. Elle est très près de lui. Il doit y avoir une
complicité
Samir : oui mais laquelle ? dans la mort de la
femme ? ou plus intime ?
Rires
Philippe : En plus, elle ne dit rien. Une secrétaire
n'agit pas comme ça. A mon avis, ils sont amants.
Julie : Ca explique pourquoi il a réagi comme cela
quand il a appris la mort de sa femme
Selon vous, quels sont les sentiments que le personnage principal
avait pour sa femme ?
Mathias : difficile à dire. Il en avait sans doute,
au moins au début. C'est peut-être pour cela qu'il revoit le
passé
Philippe : il semble finalement content. On aimerait en
connaître plus
Samir : oui, on ne voit que les jambes, pas le reste...
Rires
Valérie : je pense que c'est un couple comme les
autres. Mariés depuis longtemps et, en plus, la femme malade
Julie : c'est pas une raison pour la tromper, au
contraire
Sarah : c'est peut-être la secrétaire qui se
fait des idées maintenant que la voie est libre..
Cécile : oui pourquoi pas, mais j'en doute, il va
craquer si ce n'est déjà fait...
Globalement, comment trouvez-vous ce film ?
Philippe : il y a trop de clichés, je trouve
Comme ?
Philippe : le désert, les jambes, tout quoi
Sarah : je ne trouve pas. En peu de temps, il crée
une ambiance
Julie : oui, assez lourde et étrange, on croit
comprendre et puis hop, on est pris au piège
Samir : c'est assez drôle, mais ça fait penser
à un début de film porno...C'est peut-être ça. C'est
peut-être la première scène porno qui va arriver avec le
patron et sa secrétaire...
Valérie : mais, tu ne penses qu'à cela..
Rires
Benoît : je pense que c'est un court-métrage,
mais ça pourrait être le début ou la fin d'un film plus
long
Cécile : c'est un film troublant en tout cas,
très psy...
Mathias : oui, en tout cas pas facile. Il parle de couple,
de maladie, de mort ...intéressant mais pas drôle.
L- Réunion 1 2 : Scénario 3 (les
jambes)
Participants : Age entre 22 et 25 ans
Enseignement Supérieur
Formation universitaire : Administration et Economie
Sociale. 2ème cycle
Fréquentation du cinéma : en moyenne une
à deux fois par mois
Participants : Francesca, Julie, Maïté,
Séverine, Louis, Marc, Sylvain, Medhi
Qu'avez-vous remarqué dans ce film ?
Louis : ce film joue sur l'abstrait. Mais c'est un peu
ennuyeux
Marc : c'est pas très clair non plus
Francesca : c'est pourtant simple, il apprend que sa femme
vient de mourir
Julie : oui, le scénario n'est pas
compliqué
Sylvain : c'est un mari qui se débarrasse de sa
femme
Séverine : oui ça fait un peu cela
Medhi : on ne sait pas vraiment, en fait
Maïté : oui c'est difficile à dire
Que diriez-vous du personnage principal ?
Marc : il doit avoir 50 ans et il semble être un
cadre
Louis : oui, il a l'air à l'aise dans son bureau
Medhi : je pense qu'il est plus que cadre, directeur
peut-être ?
Maïté : oui, une sorte de patron, vu son
bureau
Que pensez-vous des lieux où se déroule
l'action ?
Marc : le mobilier du bureau est simple. Il y a un pot de
fleurs, je crois
Francesca : il y a un frigo aussi. Il y a de l'alcool
dedans
Louis : oui, c'est curieux d'ailleurs. C'est peut-être
le patron d'une grande boîte ?
Medhi : je le crois oui. Il a le look d'un directeur
Séverine : en tout cas il n'est pas net. On dirait
que c'est lui qui a monté le coup
Maïté : il est étrange mais
peut-être pas jusqu'au point de la tuer
Julie : en plus la musique fait film policier, je trouve
Qu'avez-vous remarqué d'autres dans la bande son ?
Marc : le rythme de la musique fait meurtre
prémédité
Sylvain : oui, un peu maintenant que vous me le dites
Medhi : je ne trouve pas mais bon...
Francesca : il y a aussi cette voix au
téléphone
Comment imaginez-vous la personne au
téléphone ?
Francesca : à mon avis c'est l'amante
Marc : oui c'est sa maîtresse. Il sort le whisky pour
fêter la bonne nouvelle
Julie : elle le tutoie. Elle ne se présente pas.
C'est forcément sa maîtresse
Louis : non ce n'est pas sûr. On n'en sait pas assez.
Il boit peut-être pour se soulager. On ne connaît pas les
circonstances de la mort de sa femme
Medhi : en plus, ce n'est pas parce que tu tutoies quelqu'un
que tu es sa maîtresse..
Sylvain : moi, j'aimerai bien voir la suite pour juger...
En dehors du personnage principal et de la voix off, avez-vous
remarqué d'autres personnages ?
Maïté : il y a la femme sur la plage. Ca
représente la femme qui s'en va. C'est une délivrance. Elle
était peut-être malade..
Sylvain : c'est peut-être sa pensée
Medhi : son âme tu veux dire
Sylvain : oui un truc comme cela
Séverine : oui la pensée du mari ?
Marc : la femme est filmée de dos. On a du mal
à savoir qui c'est. ..C'est peut-être sa maîtresse
aussi ?
Quelle relation entretenait le personnage principal et sa
femme ?
Marc : les relations ne devaient pas être bonnes. Il
trinque devant la photo de sa femme et semble délivré
Julie : c'est bien qu'il y avait un problème. Cette
fois, elle semble bien partie et ça l'arrange
Francesca : oui, finalement il est soulagé d'un
poids
Louis : il semblait être en position d'attente, tout
de même
Maïté : c'est vrai que l'on se demande ce qu'il
fait dans son bureau à un moment si grave. Il n'est pas au chevet de sa
femme. C'est étrange..
Medhi : vous êtes bien sévères....
Sylvain : oui, je trouve aussi
A quelle période situez-vous l'action du film ?
Marc : c'est assez moderne
Julie : non ça a lieu il y a vingt ans
Louis : oui le frigo fait vieux
Medhi : d'abord ce n'est pas un frigo mais un minibar
Louis : et alors, il fait vieux, je trouve..
Marc : disons que ça n'a pas été
tourné hier mais c'est assez récent, disons 5 ans maximum
Maïté : le téléphone est ancien
aussi. C'est curieux pour un patron quand même..
Séverine : il n'y a pas d'ordi aussi
Sylvain : mais un patron n'en a pas forcément
besoin
Louis : il me semble pas y être souvent dans ce
bureau
Francesca : il semble y travailler seulement le soir assez
tard. Mais ça pourrait être un bon alibi justement.
Dans quel genre placeriez-vous le film ?
Marc : une série française à la
télé
Louis : ça peut-être un policier aussi
Francesca : je pense à un policier aussi
Medhi : c'est plutôt un drame, je trouve
Sylvain : oui plutôt un drame
Quelle fin verriez-vous à ce film ?
Sylvain : je verrai une fin tragique : un suicide par
exemple
Medhi : ou une plongée dans l'alcool
Marc : non, on reste dans le cliché. La
maîtresse arrive maintenant..
Louis : oui la secrétaire semble être sa
maîtresse
Francesca : le problème, c'est que l'on n'a pas
vraiment d'explications sur la femme dans le désert. J'aurais
aimé en savoir plus sur cette femme.
Julie : oui c'est vraiment étrange comme
histoire...
Maïté : il peut y avoir une surprise
Séverine : on sent le suspense...
PROJECTION
Comment imaginez-vous la suite ?
Marc : ça peut tomber dans le film érotique.
C'est possible...
Louis : oui, les jambes ça fait penser à
ça
Francesca : c'est filmé pour ne montrer que les
jambes. On ne voit pas son visage donc il n'y a que le corps de la femme qui
intéresse l'homme.
Julie : en plus, elle est très près de lui
Medhi : ce peut être fait exprès pour que le
suspense demeure. On ne sait pas qui elle est : sa secrétaire, sa
maîtresse, une copine, sa fille ... ?
Sylvain : en fait chacun peut imaginer ce qui lui plait,
c'est bien amené..
Séverine : en tout cas, je pense qu'avec sa femme,
ça ne devait plus être ça
Francesca : ça devait être très mauvais,
tu veux dire. Il est trop satisfait de sa mort
Julie : il est possible aussi que la femme en question soit
sa femme justement ! Elle n'est pas morte et elle vient se venger
Rires
Marc : non, impossible, l'histoire est simple ici...
Medhi : en revanche, cela peut être un deuxième
flash back, il revoit sa femme entrer dans son bureau
Marc : oulala ! Que vas-tu inventer ?
Sylvain : non ce n'est pas con..
Globalement comment trouvez-vous ce film ?
Marc : c'est franchement pas terrible. Y a pas d'action, on
zappe tout de suite.
Maïté : il nous manque un bout de film, je
pense
Louis : oui, il y a trop de questions sans réponse
Maïté : oui, par exemple, la personne au
téléphone au début, on n'est pas sûr de qui c'est.
Sa femme ? Sa maîtresse...
Séverine : sa femme ? Elle est morte, donc c'est
la maîtresse, réfléchis...
Maïté : c'est flou... Elle le tutoie mais elle
ne dit presque rien
Séverine : et que veux-tu qu'elle dise, y a pas grand
chose à dire dans ces circonstances. Elle ne va pas lui parler de la
pluie et du beau temps, tout de même
Medhi : non, moi j'ai trouvé qu'en quelques minutes,
le suspense était créé.
Sylvain : oui un court métrage intéressant qui
interpelle quelque part..
Francesca : un peu trop court à mon goût, mais
bon c'était prévu pour, je suppose...
M- Réunion 13 : Scénario 2 (il
trinque à la Chaplin)
Participants : Age entre 22 et 25 ans
Enseignement Supérieur
Formation universitaire : Administration et Economie
Sociale. 3ème cycle
Fréquentation du cinéma : en moyenne une
à deux fois par mois, mais l'un d'entre eux, cinéphile, va au
cinéma au moins une fois par semaine et visionne de nombreux films en
vidéo et sur le satellite
Participants : Julie, Emilie, Vanessa, Myriam, Fabrice,
Rémi, François, Christophe
Qu'avez-vous remarqué dans ce film ?
Fabrice : le personnage n'a pas l'air touché par la
mort de sa femme
Rémi : oui, on dirait qu'il a tué sa femme ou
qu'il a ordonné qu'on la tue
Vanessa : oui, enfin, je dirais plutôt qu'il s'en fout
un peu qu'elle soit morte. Ca ne lui pose pas de problèmes
Myriam : je ne suis pas certaine qu'il s'en foute moi
Emilie : oui, ce n'est pas évident
Que diriez-vous du personnage principal ?
Fabrice : il porte un costume. Il a son bureau. Il a la
possibilité de s'isoler. Il doit être le patron
Julie : il n'a pas l'air très sensible non plus. Il
doit avoir un coeur de pierre
Rémi : il semble être sur ses gardes. Il
regarde aux rideaux pour voir si on ne l'observe pas. Il se sent
espionné
Christophe : oui c'est possible. Ensuite il pense à
sa femme
Emilie : oui c'est curieux. Il pense à la mort de sa
femme par cette représentation dans le désert
Que diriez-vous des lieux où se déroule
l'action ?
François : il est classique. Avec une plante verte.
Il n'y a rien d'exceptionnel. Il est juste bien rangé.
Julie : il y a un téléphone et la photo de sa
femme
Myriam : un frigo
Rémi : un mini bar Philips, oui
Vanessa : et des stores
Emilie : il y a aussi ce passage dans le désert
Myriam : dans le désert, pas sûr...ce
peut-être en bord de mer
Fabrice : je dirai plutôt dans le désert, tout
de même
Comment imaginez-vous la personne qui
téléphone ?
Christophe : elle a un accent étranger
François : elle prend un accent plutôt...comme
si elle voulait camoufler sa voix...
Vanessa : dans quel intérêt ?
François : ça je ne sais pas encore..
Rémi : il y a des bruits de fond aussi
Julie : oui, je pense que ça venait d'un
hôpital
Emilie : il n'y a pas la musique du Parrain
dedans ?
Fabrice : la personne dit « on a tout fait pour
qu'elle ne souffre pas » donc oui ça peut venir d'un
hôpital
Myriam : ce qui est curieux, c'est que la personne ne se
présente pas au téléphone
Vanessa : c'est peut-être quelqu'un d'autre. Moi j'ai
entendu : « votre femme a été
tuée », non ?
Myriam : moi non..
François : il s'attendait à ce coup de fil.
L'accent est italien
Rémi : oui, un peu mafieux
Julie : moi je voyais bien un docteur
Emilie : un mafieux plutôt
Qu'avez-vous remarqué d'autres dans la bande son ?
Rémi : la musique est asiatique
François : non, plutôt suspense
Myriam : les sons étaient étranges, en tout
cas
En dehors du personnage principal et de la voix-off, avez-vous
remarqué d'autres personnages ?
Vanessa : il y a la photo
Fabrice : elle est blonde, 40 à 45 ans. Elle est
assise à un bureau. Elle tient un stylo. C'est peut-être une
journaliste
Julie : c'est peut-être sa maîtresse ?
Vanessa : sa femme tout simplement...
Emilie : non, je ne pense pas. Je n'ai pas l'impression que
la femme que l'on voyait sur les dunes soit la même que la photo ...ce
sont deux personnes différentes
Rémi : oui, c'est vrai que sur la photo, elle fait
blonde et sur la dune, il me semblait qu'elle était brune.
Myriam : mouais, non je pense que c'est la même quand
même..
Christophe : y a un doute, tout de même
François : la femme sur la dune, ce n'est
peut-être pas sa femme non plus... Ca représente peut-être
une femme en général...
Vanessa : Disons que lorsqu'il ouvre son store, il a
peut-être envie de réfléchir à autre chose
Que pensez-vous des relations qu'entretenait le personnage
principal avec sa femme ?
Emilie : platonique
Rémi : non, il s'en fout complètement
François : le problème, c'est que l'on ne sait
pas qui est la femme sur la photo. Si c'est sa femme, c'est la personne qui est
sur la dune et sur la photo c'est une autre femme avec qui il a refait sa vie,
les relations ne devaient pas être bonnes
Julie : oui c'est possible. La femme sur la photo, c'est
peut-être une autre femme
Vanessa : ce ne serait que des indices mais cela ne
prouverait rien
Myriam : oui mais si c'est la même, dans ce cas, il
tenait à elle...
Approbation
A quelle période situez-vous l'action de ce film ?
Rémi : ça doit avoir 20-25 ans
François : je dirai fin des années 80
Emilie : oui le téléphone fait 90
Julie : oui le frigo Philips fait vieux. Il n'y a pas
d'ordinateur non plus.
Vanessa : le design fait assez ancien, je trouve. Tout le
bureau fait un peu vieillot
Myriam : vous exagérez un peu
Fabrice : oui, je trouve aussi, je dirais dans les
années 90, peut-être même début 2000
Christophe : Le téléphone est trop gros. Il
n'a pas de portable. Non, c'est plus vieux que cela
Julie : je pense que cela se situe en automne. Il a des
habits qui se portent à cette saison
Vanessa : il fait nuit aussi
Approbation
Dans quel genre situeriez-vous ce film ?
Rémi : un policier, style Navarro
Julie : un film de série B comme Dallas
Fabrice : Ca fait série policière allemande
Le Renard (rires). Le look du mec fait allemand
François : C'est sûr que Comédie
ça semble difficile
Christophe : C'est vrai que tout fait très strict
alors pourquoi pas en Allemagne...
Myriam : peut-être mais la femme qui marche fait
mexicaine...c'est bizarre
Emilie : les couleurs font vives et un peu ternes en
même temps. Ca fait télé
Vanessa : attention, on le voit sur une télé
aussi
Rémi : oui...ça fait film allemand
Qu'avez-vous remarqué dans le montage du film ?
Fabrice : il y a deux moments où on insiste beaucoup
sur le téléphone et le frigo. L'image reste longtemps dessus
Emilie : oui ça fait un peu cliché. Il attend
son coup de fil. Il boit son Scotch. C'est un peu comme dans les films
américains
Rien d'autres ?
Réponse négative de l'ensemble du groupe
Quelle fin verriez-vous à ce film ?
François : je vois bien un suicide. C'est bien dans
le rythme du film
Julie : oui, pourquoi pas
Rémi : moi, je le vois bien se barrer avec sa
maîtresse. Il fait ses valises et il s'en va...
Emilie : oui moi aussi je vois ça...
Christophe : il faut être cohérent, soit il
s'en foutait et il est content, soit il l'aimait et ne peut pas être
content
Fabrice : oui, alors, il continue sa petite vie dans son
bureau. Il finit son verre et il se remet au boulot. Un truc comme
ça...
Vanessa : pourquoi pas
PROJECTION
Que pensez-vous de cette fin ?
Fabrice : il a l'air bien content. Il trinque comme s'il
fêtait une victoire
Emilie : il y a une pub derrière le bureau non ?
Il me semble qu'il a mis un cachet dans son verre...
François : il trinque peut-être parce qu'il se
dit : j'en ai plus pour longtemps moi aussi je vais te rejoindre et puis
il se suicide
Rémi : non pas du tout ! C'est plutôt je
t'ai bien eue ! Et il fête sa victoire
Vanessa : oui il est ironique, cynique aussi
Julie : je dirai même qu'il a enfin une
émotion ! Il a un sourire en coin
Myriam : il est plus dynamique aussi
Christophe : oui il cachait bien son jeu, il faisait presque
pitié
Cette fin vous surprend-elle ?
François : un peu oui
Rémi : non pas plus que ça. Il aurait pu faire
ça avec en plus sa maîtresse qui entrait dans le bureau
Christophe : rien ne dit qu'il a une maîtresse, il
peut être seulement content de retrouver sa liberté, point barre
Myriam : c'est un sacré dégueulasse
Fabrice : tout de suite...
Rires
Selon vous, quels sont les sentiments que le personnage principal
avait pour sa femme ?
Rémi : il ne l'aimait plus. Il voulait s'en
débarrasser
François : pas forcément
Emilie : oui, on dirait une vengeance. On dirait qu'il lui
en voulait. A sa manière de trinquer. Ca fait un peu, c'est moi qui ai
eu le dernier mot
Christophe : Hasta la Vista Baby
Rires
A quel film, cette fin vous fait-elle penser ?
Rémi : un Derrick
François : ça reste toujours dans la logique
des films des années 80. Avec cette suite de plans
Julie : Si le tueur c'est lui, je ne vois pas trop un
policier sauf si c'est un Columbo où on connaît le tueur
dès le début
Fabrice : c'est plutôt un policier. Donc un flic va
apparaître à l'écran
Myriam : il doit y avoir une affaire d'héritage. Le
type au téléphone, ça doit être un tueur à
gages
Christophe : il va venir chercher son fric et l'autre va le
tuer pour ne pas laisser de trace...
Rires
N- Réunion 14 : Scénario 5 (contrat
d'assurance et le mari fait tomber le cadre)
Participants : Age entre 21 et 23 ans
Enseignement Supérieur
Formation universitaire : Administration et Economie
Sociale. 2ème cycle
Fréquentation du cinéma : en moyenne une fois
par mois
Participants : Isabelle, Virginie, Sofia, Fanny, Nicolas,
Pierre, Ousmane, Brice
Qu'avez-vous remarqué dans ce film ?
Nicolas : la mort semblait prévue. Sa réaction
est étrange
Fanny : il me semble peu surpris, c'est vrai. Disons qu'il
s'y attendait
Approbation
Que diriez-vous du personnage principal ?
Nicolas : il a son bureau personnel. Il est bien
habillé. C'est sûrement un patron d'une grande boîte ou
d'une PME
Pierre : il y a une revue je crois que j'ai vue. Il est peut
être journaliste pour une revue de management...
Sofia : oui, c'est possible, mais les cadres lisent ce type
de magazine, donc...
Pierre : je ne le vois pas patron. Son bureau est trop
petit. Il a l'air d'être stressé. Il doit courir à l'info
souvent. Il ne sourit pas...
Isabelle : oui, enfin, sa femme vient de mourir, il ne va
pas sourire..
Rires
Virginie : il travaille tard aussi. Il fait nuit je crois
Ousmane : il est trop calme. Ca cache un truc. Il
répond au téléphone. Il ne dit presque rien...Ensuite
tranquillement il va vers sa fenêtre et pense à sa femme..
Brice : moi, je dirai plutôt que c'est quelqu'un
d'autre. Rien ne dit que c'est sa femme...
Fanny : étrange tout cela...
Des objets ont-ils attiré votre attention ?
Brice : oui il y a un gros téléphone. Il a
plusieurs boutons. Il doit avoir plusieurs lignes
Nicolas : il y a des stores
Brice : la femme sur la plage était
voilée...enfin il me semble
Fanny : ce n'est pas un voile
Rires
Sofia : un carré ou un foulard, il n'y a rien de
religieux là-dedans je pense...
Isabelle : il n'y a pas une photo ? Non ? Je ne
sais plus
Virginie : si, tu as raison, une photo de femme
Fanny : mais est-ce la sienne ? Mystère...
A quelle période situez-vous l'action du film ?
Nicolas : au XXème siècle
Pierre : pas aujourd'hui. Il n'y a pas d'ordinateur. Dans
les années 90 alors...
Ousmane : oui c'est pas un bureau d'aujourd'hui. On dirait
un bureau d'ouvrier...
Fanny : tu plaisantes, j'espère...
Brice : pas d'ouvrier, mais il n'y a pas d'ordinateur sur le
bureau...C'est un comble aujourd'hui
Sofia : et qui te dis qu'il n'a pas un portable high-tech
dans un tiroir. Non, moi, je pense que cela se passe aujourd'hui.
Virginie : c'est vrai qu'un ordinateur fixe, ça fait
secrétaire maintenant, sortez un peu ....
Isabelle : oui, pas faux, ça doit se passer de nos
jours à deux-trois ans près..
Dans quel genre placeriez-vous ce film ?
Nicolas : un Derrick ?
Rires
Nicolas : la situation de la mort de la femme...Et puis il y
a cette lenteur..
Isabelle : non, moi je dirai un drame
Brice : une série américaine ou allemande, ou
un téléfilm de l'après-midi
Ousmane : c'est vrai qu'il y a beaucoup de
stéréotypes aussi .....
Comme ?
Ousmane : le mari et sa femme, et....
Silence
Sofia : moi, je pense que c'est soit un policier soit un
drame
Fanny : oui ou le début d'un film, donc difficile
à dire...
Qu'avez-vous remarqué dans le montage du film ?
Nicolas : il y a un trucage dans le désert. Il y a un
carton dessiné, je pense..
Brice : non, je ne pense pas. J'ai trouvé ça
assez naturel. En plus, il y a des espaces verts dans ce désert
...Peut-être une oasis ?
Ousmane : ce sont des joncs ou des roseaux.
Honnêtement, je ne pense pas que ce soit un désert.
Fanny : une plage peut-être. Dans les Landes, tu as
des paysages comme cela..
Qu'avez-vous remarqué d'autres... dans la bande
son ?
Isabelle : il y a une musique assez lente. Elle correspond
à la situation
Virginie : lente et un peu étrange aussi, un peu
asiatique, je pense..
Approbation
Sofia : il y avait aussi cette voix au
téléphone : étrange aussi...Qui est-ce ? On ne
sait pas. Tout est étrange dans ce film, c'est un peu angoissant
même...
Approbation
PROJECTION
Quelle fin verriez-vous à ce film ?
Isabelle : il va sortir de son bureau. Il va aller à
l'hôpital
Ousmane : il pourrait se suicider...
Brice : ça manque d'action...Peut-être que
ça va commencer...
Virginie : Je ne le vois pas aller à l'hôpital
maintenant. Il va s'enfiler plein de Whisky.
Sofia : oui peut-être
Fanny : et avoir un accident de voiture, tellement il sera
saoul
Rires
Pierre : il va voir sa maîtresse
Nicolas : d'un autre côté, on ne voit pas qui
est morte...C'est peut-être sa chienne ?
Rires
Virginie : si, si le gars dit que sa femme est morte
Brice : exact !
Comment imaginez-vous la personne au
téléphone ?
Isabelle : c'est un médecin
Sofia : oui sans doute...
Nicolas : un tueur ?
Brice : Ah ! Je verrais bien cela oui...
Pierre : on ne sait pas trop : l'un ou l'autre...
PROJECTION
Que pensez-vous de cette fin ?
Brice : c'est révélateur. Il y a une histoire
d'argent. Il sort tout de suite son contrat d'obsèques.
Fanny : il y a une histoire de capital aussi. Sa femme
devait avoir des parts dans la boîte. Bon, je ne sais pas s'il l'a
tuée, mais ça l'arrange bien tout ça ...
Pierre : il ne l'a pas tuée mais peut-être fait
tuer...différence
Sofia : le résultat est le même
Rires
Virginie : Il n'y avait pas de sentiment en tout cas...
Oui, selon vous, quels sont les sentiments que le personnage
principal avait pour sa femme ?
Isabelle : ça doit être fini depuis longtemps.
Et puis elle devait être malade depuis longtemps..
Ousmane : oui, il avait préparé ses
papiers..
Brice : bon, de là à se précipiter vers
son contrat, c'est quand même un peu louche ! Et puis, on insiste
sur le contrat avec un gros plan...
Nicolas : je pense aussi qu'il est bien content de toucher
l'assurance. Non, y avait plus rien entre eux, sauf le contrat...
Brice : d'assurances ou du tueur ?
Rires
A quel film, cette fin vous fait-elle penser ?
Ousmane : à un Dallas
Isabelle : Ah oui, un peu !
Brice : Les feux de l'amour ! La femme est
morte et le type se précipite pour toucher son capital. C'est tout
à fait ça !
Nicolas : quoique là, il n'a aucun sentiment on
dirait. Dans ces feuilletons, le mec a parfois quelques remords. Alors que
là, il s'en fout complètement..
Sofia : non, moi ça me rappelle des films noirs, j'en
ai la chair de poule...
Rires
Virginie : ou un film sans fin comme parfois il y en a pour
pousser les gens à penser...
Pierre : tu vas mal dormir cette nuit ?
Rires
Comment imaginez-vous la suite ?
Nicolas : il va continuer à boire, ensuite, je vois
bien une enquête de police...
Brice : oui la mort est suspecte. On ne sait pas grand chose
de ce qu'il s'est passé. Je vois de l'action maintenant..
Isabelle : il va consulter un notaire ?
Fanny : oui, la compagnie d'assurance et l'entreprise de
pompes funèbres...
Ousmane : et c'est là que le pot aux roses est
levé...
Virginie : et que débute la suite, le Numéro
2...
Rires
Globalement comment avez-vous trouvé ce film ?
Brice : il faudrait voir la suite ...
Nicolas : je ne comprends pas encore très bien le
message qui devait passer.. L'acteur n'est pas génial, non plus
Brice : oui il débute
Rires
Nicolas : non, disons que c'est un peu surjoué
....
Fanny : pas plus que Francis Huster et bien d'autres que
vous admirez...non je l'ai trouvé assez crédible en mari
intéressé
Isabelle : ça fait réfléchir...on peut
voir la suite ?
Sofia : c'est peut-être une pub pour les assurances
Brice : oui possible. C'est un peu tourné à la
dérision alors ...avec pour slogan : pour rester froid à la
mort de votre femme, assurez-vous !
Rires
O- Réunion 15 : Scénario 2 (il
trinque à la Chaplin)
Participants : Age entre 19 et 23 ans
Enseignement Supérieur
Formation universitaire : Administration et Economie
Sociale. 2ème cycle
Fréquentation du cinéma : en moyenne une
à deux fois par mois
Participants : Christophe, Pauline, Kristel, Mamadou, Paul,
Fabien, Amélie, Christine
Qu'avez-vous remarqué dans ce film ?
Christophe : je trouve la réaction du personnage
curieuse. Il me semble pas réagir comme quelqu'un de normal quand il
apprend la mort de sa femme.
Pauline : oui, c'est étrange comme comportement. On
dirait qu'il s'y attendait.
Kristel : à moins qu'il soit très
préoccupé par son boulot, mais bon, c'est vrai c'est une attitude
bizarre.
Approbation générale
Que diriez-vous d'autres du personnage principal ?
Mamadou : c'est un cadre ou un patron d'entreprise.
Amélie : il est en costume cravate. Il travaille tard
dans son bureau. Oui, c'est quelqu'un qui a des responsabilités dans sa
boîte
Christine : il était marié, puisqu'on nous dit
que sa femme est morte. Il a peut-être des enfants..
Christophe : il a sûrement une vie bien
rangée
Fabien : c'est un cadre comme il y en a des millions,
dévoué corps et âme à son entreprise
Kristel : bien forcé non ? Tu crois
pas ?
Pauline : peut-être, mais cela n'excuse pas son
attitude..
Comment imaginez-vous la personne au
téléphone ?
Christophe : C'est un type avec un fort accent
Fabien : oui un accent italien, on aurait presque dit un
mafieux
Pauline : Ah ! non, moi j'ai pas trouvé. Ce
n'est pas parce que tu as un accent italien que tu es forcément un
tueur. Bonjour, les stéréotypes !
Christine : c'était peut-être un
médecin. Il y avait du bruit derrière aussi. Un bruit de foule,
comme dans le hall d'entrée d'un hôpital, enfin je crois..
Kristel : non, non, il appelait d'une gare.
Mamadou : je dirais plutôt un aéroport. Il y
avait même une annonce je crois..
Paul : Il dit « qu'il a tout fait pour qu'elle ne
souffre pas » donc c'est soit un médecin soit un tueur. Mais
vu son accent, je miserais plutôt sur le tueur.
Pauline : Tout de suite ! Tous les mêmes... Je ne
pense pas qu'il a tué sa femme...
Paul : mais moi non plus, il l'a fait tuer ...
Rires
En dehors du personnage principal et de la voix au
téléphone, avez-vous remarqué d'autres
personnages ?
Fabien : oui, il y a la femme dans le désert. Je vois
pas trop ce qu'elle fout là d'ailleurs, mais bon..
Christine : ça représente la femme qui
part...Il imagine sa femme partir vers un monde meilleur peut-être
Paul : en tout cas, cela fait penser à un
départ, pour où ? C'est autre chose...
Amélie : c'est une image du départ, je pense
ou alors un souvenir qui lui revient
Mamadou : ce n'était pas un désert, je pense
que c'était une plage plutôt...
Kristel : désert, plage, qu'importe ! L'image
reste...
Pauline : en tout cas, c'est sa femme sur le sable
Christophe : c'est pas sûr
Pauline : il y a une photo d'elle dans son bureau
Paul : Exact, mais sur la photo elle est blonde, alors que
sur le sable, elle me semble brune
Kristel : cela ne veut rien dire, elle a pu se faire faire
une couleur entre temps..
Paul : sur la photo, elle est plus vieille que la femme dans
le sable. Non, je pense plutôt que c'est deux personnes
différentes.
Fabien : peut-être sa mère alors.
Paul : ouaih, et après avoir hérité de
sa mère, il se débarrasse de sa femme. C'est trop !
Christine : Arrêtez de dire n'importe quoi. C'est sa
femme sur la photo !
Surprise, silence.
Que pensez-vous des relations qu'entretenait le personnage
principal avec sa femme ?
Christophe : quand on voit sa réaction au
téléphone, on se dit que ça ne devait plus aller fort
depuis longtemps..
Pauline : c'est vrai qu'on a l'impression qu'il s'attendait
à ce coup de fil. Mais, je pense que sa femme était très
malade et que la fin était proche.
Amélie : oui, je pense la même chose
Paul : moi, je pense qu'il s'est débarrassé de
sa femme pour toucher l'héritage.
Kristel : au moins toi, tu as de la suite dans les
idées...
Rires
Mamadou : c'est difficile à dire, en fait. Les deux
sont possibles. J'aimerais en savoir plus pour juger...
Que pensez-vous des lieux où se déroule
l'action ?
Christine : il travaille dans son bureau. Un grand bureau
même..
Pauline : il a un téléphone à plusieurs
lignes et une belle plante verte dans un coin.
Fabien : oui, ça fait trop bien rangé pour
être vrai. Je pense que c'est tourné en studio
Paul : moi, j'ai remarqué un minitel et un minibar.
Donc cela se passe en France et c'est quelqu'un d'important. Tout le monde n'a
pas un minibar dans son bureau.
Mamadou : il y a aussi la plage avec le sable, mais je ne
crois pas que ce soit un désert.
Amélie : tu l'as déjà dit. En tout cas,
c'est une grande étendue de sable et comme on ne voit pas d'eau, on peut
tout imaginer...
Des objets ont particulièrement attiré votre
attention ?
Paul : Ah oui, le minibar ! C'est un Philips. Il est en
bois
Christine : de l'imitation bois...
Fabien : ok, mais il semble assez ancien tout de
même
Pauline : il a le droit d'aimer boire un petit remontant de
temps en temps
Kristel : moi j'ai remarqué un minitel et pas
d'ordinateur, cela me semble bizarre tout de même
A quelle période situez-vous l'action du film ?
Kristel : ben justement il n'y aurait pas ce minitel,
j'aurais dit de nos jours mais là je ne sais plus..
Paul : une dizaine d'années...
Fabien : ouaih, pas d'ordi, pas de palm, ni d'écran
plat...Tout ça fait un peu ringard...Je dirai : il y a 10-15
ans ; et cette moustache : quelle horreur !
Pauline : Ben quoi ! Il a le droit d'avoir une
moustache ! Non en définitive, moi, je trouve que ça fait
récent.
Amélie : sa cravate est à la mode. Ses
vêtements aussi, non, c'est récent...
Mamadou : ça se passe peut-être ailleurs qu'en
France. Dans un pays de l'Est par exemple...
Christine : y a pas de minitel ailleurs qu'en France....
Paul : exact !
Dans quel genre placeriez-vous le film ?
Christine : un drame ou une comédie dramatique
Amélie : oui quelque chose comme ça
Paul : Non, moi je pense plutôt à un
policier
Fabien : à un téléfilm
policier style Columbo ou Derrick
Pauline : ce peut être une saga de l'été
avec plein de rebondissements
Mamadou : moi, je pense que c'est un court métrage
comme on en voit parfois, dont la fin est trouble...
Christophe : je pense comme toi. Mais, en plus, je sais pas
mais ça me rappelle des films de Godard, un peu intello..
Qu'avez-vous remarqué dans le montage du film ?
Paul : il y avait un effet lorsque l'on voit la femme dans
le désert
Kristel : oui, des images superposées
Silence
Et ?
Silence
Qu'avez-vous remarqué dans la bande son ?
Amélie : la musique. Elle est à la fois
étrange et relaxante.
Fabien : oui, on dirait de la musique chinoise
Mamadou : c'est toujours la même musique pendant tout
le film
Christophe : j'ai pas fait attention...
Quoi d'autres ?
Silence
Comment imaginez-vous la fin du film ?
Paul : il va faire ses valises et quitter le pays
Fabien : oui, je vois bien cela aussi et le tueur le
poursuivre pour récupérer son argent ou le faire chanter
Christine : pas du tout, vous regardez trop les
séries américaines....Je pense au contraire qu'il va s'effondrer,
il commence d'ailleurs à pleurer...Puis, il se reprendra pour
prévenir ses enfants..
Mamadou : oui, je pense comme Christine. Il va
préparer les papiers et l'enterrement
Christophe : à moins qu'il se saoule en vidant son
minibar...
Rires
PROJECTION
Que pensez-vous de cette fin ?
Pauline : je suis assez étonnée. Je ne pensais
pas qu'il avait fait ça...
Christine : çà alors, je suis plus
qu'étonnée. On avait l'impression qu'il pleurait, de dos...
Mamadou : il s'est bien foutu de nous en fait
Fabien : ouaih ! C'est clair ! Il l'a fait
descendre...
Paul : oui pas de doute, cette fois
Christophe : ça ressemble à une vengeance.
Elle a dû lui faire quelque chose de terrible pour qu'il réagisse
comme ça...
Cette fin, vous surprend-elle ?
Amélie : complètement
Kristel : oui beaucoup aussi..
Paul : c'était évident. Vous n'avez pas
remarqué le sourire bizarre de sa femme sur la photo. Elle tient une
balle de tennis et le nargue. Il a pété un plomb à force
d'être traité comme cela..
Quels sentiments le personnage principal avait-il pour sa
femme ?
Paul : de la haine, bien sûr !
Pauline : oui, il faut bien le reconnaître, il la
détestait
Mamadou : ce devait être insupportable entre eux.
Christine : cela dit cette fin était
imprévisible, il semblait si bien
Christophe : il faut se méfier des apparences
Rires
Comment imaginez-vous la suite ?
Paul : il va y avoir une enquête
policière : de l'action, enfin !
Mamadou : je crois qu'il va rester dans son bureau et faire
comme si de rien n'était. Il a gagné : il peut savourer sa
victoire ...
Kristel : les deux sont possibles : mais je penche
plutôt pour cette fin-là. On nous a bien trompés, c'est
bien joué, on serait sur nos gardes si cela continuait..
Pauline : Oui, on nous a bien manoeuvrés au
départ pour que l'on croit aux sentiments de ce type alors qu'il cachait
bien son jeu.
Globalement comment trouvez-vous le film ?
Pauline : ben, j'ai bien aimé en définitive.
Fabien : j'aimerais bien en savoir plus. On peut voir la
suite ?
Amélie : La fin est tellement surprenante que je ne
sais pas en fait si c'est un film dramatique ou drôle.
Kristel : oui, c'est vrai, on est partagé.
C'était le but sûrement.
Mamadou : c'est un bon court métrage mais je ne sais
pas ce que cela donnerait si on augmentait la durée du film.
Paul : il faudrait de l'action car là c'est un peu
endormant tout de même...
* 1 Le documentaire se fixe pour
but de faire état d'une réalité, de montrer les choses
telles qu'elles sont sans intervenir sur le déroulement de leur
apparition. Le documentaire est le plus souvent de caractère didactique
et informatif. Il s'oppose donc à la
fiction qui veut
recréer une narration pouvant donner l'illusion de la
réalité grâce à un scénario et à une
mise en scène. Toutefois, les critères permettant de distinguer
le documentaire et la fiction manquent, pour certains auteurs, de rigueur et de
pertinence. Ainsi, dans un documentaire, le cinéaste peut choisir lors
du filmage et du montage ce qu'il veut montrer de la réalité.
Dans une fiction, certaines prises de vues en décors naturels restituent
la réalité.
* 2 En sémio-pragmatique,
la fictionnalisation est le mode de réception choisi par le spectateur
du film qui lui permet « de vibrer au rythme des
événements fictifs racontés » (Odin, in Journot,
op.cit).
* 3 Mouvement d'études
cinématographiques, né après la Libération, sous
l'impulsion de Gilbert Cohen-Séat, qui élabora notamment un
vocabulaire propre tel que la distinction « fait filmique / fait
cinématographique », et, surtout, la notion de
«diégèse ». (in Bibliothèque du film,
www.bifi.fr, d'après GARDIES,
André et BESSALEL, Jean, 200 mots-clés de la théorie du
cinéma, Paris, Cerf, 1992). En distinguant l'afilmique - tout
ce qui existe dans le monde réel et qui est sans rapport avec l'art
cinématographique - et le profilmique - tous les
éléments spécialement agencés pour le tournage
(décors, accessoires, etc.) - la filmologie oppose le documentaire
à caractère afilmique et le film de fiction marqué par le
profilmique.
* 4 Avertissement :
nous invitons le lecteur intéressé par les méthodes
d'analyse à lire l'annexe I consacré à l'analyse
filmique.
* 5
Ricciotto
Canudo, intellectuel italien, installé en France et ami d'
Apollinaire,
fut l'un des premiers critiques de cinéma. Dans son premier livre
intitulé « La naissance du sixième art »
(1911), il défendit l'idée selon laquelle le cinéma
réalisait la synthèse des « arts de
l'espace » (architecture, peinture et sculpture) et des
« arts du temps » (musique et danse). Puis, il ajouta la
poésie comme art fondateur et écrivit Le manifeste des 7
arts qui a consacré l'expression « 7e
art » pour le cinéma. En
1922, il fonda la
Gazette des sept arts qui fut l'une des premières revues de
cinéma. Certains auteurs considèrent que Canudo s'est
inspiré de la classification des arts du philosophe allemand Georg
Wilhelm Friedrich Hegel (
1770 -
1831) qui, dans son
Esthétique, classe les arts selon une double échelle de
matérialité décroissante et d'expressivité
croissante : 1- architecture, 2- sculpture, 3- peinture, 4- musique, 5
danse, 6, poésie.
* 6 Dans son manifeste de 1921,
Dziga Vertov décrit « le Cinéma-oeil - Cinéma -
je vois (je vois à travers l'appareil) - le Cinéma-j'écris
(j'écris sur la pellicule) - le Cinéma-j'organise (je monte un
film)...Ciné-oeil -
peinture de faits - mouvement pour le film sans jeu
dramatique » (Ropars-Wuilleumier, 1970, p.14). Selon lui, le
cinéma est un instrument d'analyse du monde. Mais pour montrer il faut
avoir vu réellement, ce qui le conduit à affirmer que
l'opérateur de cinéma, le kinok, est une sorte de
super-oeil.
* 7 Alexandre Astruc,
« Naissance d'une nouvelle avant-garde ; la
caméra-stylo », L'Ecran français, N°144, 30 mars
1948.
* 8 Parce
qu' « il n'existe pas de stocks de mots et de formes
syntaxiques. Il n'existe pas de lexique ni de grammaire, pas de
réservoir d'images et de formes qui permettent de constituer le
film » (Journot, 2004, p.72)
* 9 dont une version
française et complétée a été publiée
sous la direction de François Albéra (1996)
* 10 Extrait du site
Manageria : « Le plus important représentant de la
sémiologie du cinéma, et son «fondateur», est Christian
Metz : Essais sur la signification au cinéma (1968-1972), Langage et
cinéma (1971), L'Énonciation impersonnelle (1991). Citons
également U. Eco, La Structure absente (La Struttura assente, 1968) ; P.
Wollen, Signs and Meanings in the Cinema (1969) ainsi que des écrits de
G. Bettetini et E. Garroni. Les sémiologues actuels du cinéma
reconnaissent comme leurs précurseurs
Eisenstein
et les formalistes russes, la Revue internationale de filmologie, ainsi que les
écrits de
Jean
Mitry (Esthétique et psychologie du cinéma,
1963-1965) ». (
http://cinemanageria.ifrance.com/)
* 11 Francesco Casetti (2000,
p.8) : « A bien y regarder, le cinéma n'est pas une
langue (...) Il ne l'est pas au moins pour deux sortes de raisons. D'une part,
il ne possède pas ce trait fondamental des langues naturelles qu'est la
double articulation : alors qu'un discours verbal peut être
subdivisé d'abord en unités particulières dotées de
sens, les monèmes (pour être plus clairs : les mots) et
ensuite en unités privées de signifié mais capables de
construire des signifiants arbitraires, les phonèmes (toujours pour plus
de clarté, les sons), le cinéma ne possède ni
unités de sens fixes (chaque plan est toujours un cas en soi), ni
unités privées de signifié (chaque portion de plan
possède déjà un sens). »
* 12 Groupe u, Traité du
signe visuel. Pour une rhétorique de l'image, Seuil, 1992
* 13 Joly (1994, p.134) :
« L'image n'est pas un signe mais un texte, tissu mêlé
de différents signes et qui peut nous parler
« secrètement ».
* 14 Roland Barthes,
Rhétorique de l'image, Communications N°4, Paris, Seuil, 1964,
p.40-51
* 15 Meunier et Peraya (1993,
p. 153) : « C'est au niveau de la connotation que la
question du code devient véritablement pertinente. C'est du reste sur ce
niveau que Barthes a centré son attention, cherchant à
découvrir des signes dont la conventionnalité est d'une autre
nature que celle qui préside à la transformation graphique,
signes de connotation reposant sur un savoir. De tels signes s'enracinent dans
notre histoire sociale et c'est pour cela que Barthes entrevoyait dans la
sémiologie une sémioclastie. »
* 16 La polysémie n'est
pas la spécificité de l'image, même comparée au mot
(selon le contexte, un même mot peut avoir plusieurs significations). En
réalité, ce qu'on appelle image (ou même signe iconique)
est un texte visuel : « La preuve en est que son
équivalent verbal n'est pas un simple mot mais au minimum une
description (qui peut être infinie) ou un énoncé et parfois
même tout un discours » Umberto Eco, La production des signes,
Paris, Poche, 1992
* 17 Laurence Bardin, Le texte
et l'image, in Communication et langages, n°26, Paris, Retz, 1975, article
analysé par Lugrin et Pahud (2001)
* 18 Selon Bardin, la
dénotation désigne la signification fixée, explicite et
partagée par tous alors que la connotation correspond à
l'auréole de sens, plus ou moins importante, qui flotte autour du sens
immédiat et officiel.
* 19 Laurence Bardin va
jusqu'à établir une classification des récepteurs en
quatre catégories selon qu'ils sont plus sensibles au régime
dénotatif ou au régime connotatif et qu'ils s'attachent plus au
texte qu'à l'image.
Types de récepteur :
|
Propension à la dénotation
|
Propension à la connotation
|
Code préférentiel : Verbal
|
Dénotateur verbal
|
Connotateur verbal
|
Code préférentiel :
Imagier
|
Dénotateur imagier
|
Connotateur imagier
|
* 20 « Une image
sollicite de la part du spectateur une accommodation perceptive (qui enveloppe
toute activité mimétique de projection/identification
dépendant à la fois des éléments perçus et
de l'expérience du sujet) et celle-ci fait surgir l'une ou l'autre
configuration significative cohérente, enveloppant à la fois le
visible et l'invisible » (Meunier et Peraya, 1993, p.177).
* 21 Joly (1994, p.6) :
« L'étude du cinéma, de la vidéo, de l'image de
synthèse, des images en séquence sous toutes leurs formes,
présuppose une bonne connaissance de l'image fixe dans la mesure
où ces différents arts en constituent la prolifération,
les passages, la combinaison, les interactions ».
* 22 Umberto Eco,
Sémiologie des messages visuels, Communications, N°15, 1970,
p.11-51
* 23 Des taxinomies des
multiples codes qui composent l'image publicitaire ont été
proposées dont celle de Peninou (1972) : - le code
chromatique : choix des couleurs et qualité optique de
celles-ci ; - le code typographique : choix des caractères,
mise en page et disposition spatiale de ceux-ci dans la composition
générale ; - le code photographique : utilisation
sélective des plans ; - le code morphologique :
géographie particulière de l'image publicitaire et organisation
du parcours visuel.
Cette classification est toutefois différente, donc en
quelque sorte complémentaire, de celle de Bergala, ce qui prouve
qu'aucune d'elle n'est exhaustive : - les codes de mise en page :
rapport photo/page et photo/texte ; - les codes photographiques :
éclairage, cadrage, point de vue, angle de prises de vue, couleurs et
codes chromatiques ; - les codes socioculturels : attitude, type,
âge, milieu social, vêtements ; - les textes :
caractères typographiques, mise en page, contenu du message, codes
rhétoriques.
* 24 Barthes R.,
Rhétorique de l'image, Communications, N°4, Paris, Seuil,
1964, p.40-51
* 25 Peninou G., Physique et
métaphysique de l'image publicitaire, Communications, N°15, 1970,
p.96-109
* 26 Peninou G., Intelligence
de la publicité, Paris, Robert Laffont, 1972
* 27 ODIN, Roger, Cinéma
et production de sens, Paris, Armand Colin, Collection
« Cinéma et Audiovisuel », 1990, 287 pages
* 28 Selon Odin (1990, p.16),
on appelle langues naturelles, les langues comme le français, l'anglais.
Elles s'opposent aux langues artificielles comme le langage informatique. Alors
que la linguistique étudie les langues naturelles, la sémiologie
étudie les langages qui ne sont pas des langues naturelles, telles que
la peinture, la musique, la photographie et bien sûr le cinéma,
etc.
* 29 ODIN (1990, p.13) :
« Il existe d'autres approches sémiologiques du cinéma
(...). C'est par l'approche sémio-linguistique qu'a commencé la
sémiologie du cinéma. On peut considérer l'article de
Christian Metz : « Le cinéma : langue ou
langage ? » (Communications n°4, Recherches
sémiologiques, 1964, pp.52-90) comme l'article fondateur de ce
courant ; ce n'est que beaucoup plus tard à une date qui correspond
à la publication d'un autre numéro de Communications, le
n°23 : « Psychanalyse et Cinéma » (1975)
qu'est apparue l'approche sémio-psychanalytique ».
* 30 ODIN, Roger, L'Analyse
Sémiologique des films. Vers une sémio-pragmatique, Thèse
de Doctorat ès lettres, sous la direction de Christian Metz, Ecole des
Hautes Etudes en Sciences Sociales, 1982, 3 volumes, 711 pages.
* 31 A.J. Greimas, V. Vasarely,
Eisenstein, Groupe Mu, U. Eco, etc.
* 32 Ch. Metz, etc.
* 33 Sol Worth, etc.
* 34 Roger Odin (1982,
p.689) : « Nous nous sentons donc légitimé
à considérer que
l'hétérogénéité institutionnelle du champ
cinématographique est elle-même structurée. Les variations
repérables dans le champ cinématographique sont donc doublement
codées :
a) à l'intérieur de chaque institution, le
traitement filmique acceptable est déterminé par la fonction
sociale de cette institution,
b) une loi de co-détermination intervient entre les
institutions (il est probable que le cinéma dominant joue, dans cette
relation, le rôle d'un référent privilégié
pour les autres institutions).
Il est désormais possible de se faire une idée un
peu plus précise du programme de recherche que devrait remplir une
sémio-pragmatique du cinéma.
On peut attendre de la sémio-pragmatique du
cinéma :
a) qu'elle recense les institutions qui constituent l'espace
cinématographique global,
b) qu'elle précise leur niveau d'intervention tant sur le
l'axe diachronique que sur l'axe synchronique,
c) enfin qu'elle décrive le fonctionnement de ces
institutions en tenant compte de la loi de
co-détermination. »
* 35 Claude Shannon, un
linguiste, et Warren Weaver, un informaticien, ont écrit en 1949,
The Mathematical Theory of Communication (University of
Illinois-Press, 1949). Leur modèle de l'émetteur-récepteur
très critiqué depuis, souvent appelé avec un peu de
mépris le modèle télégraphique, présente un
processus linéaire de communication avec une codification du message par
l'émetteur, en fonction du canal de transmission choisi, et une
décodification par le récepteur.
* 36 Laswell Harold D. (The
Structure and Function of Communication of Society, in Bryson, Lyman,
The Communication of Ideas, New York, Harper and Row, 1948, pp.37-51)
dont les 5 questions, les 5 W, pour analyser toute communication sont : Who
says What through What channel to Whom with What effect, schéma traduit
par Qui dit Quoi par Quel canal à Qui avec Quel effet ?
* 37 Roger Odin (1982,
p.136) : « Les travaux de Sol Worth semblent assez peu connus
en France et en Europe. Il faut dire que ces travaux dispersés à
travers toute une série d'articles sont assez difficiles à
réunir. »
* 38 Sol Worth, « The
Developpement of a Semiotic of Film », in Semiotica, 1969, I-3,
p.289
* 39 Sol Worth,
« Pictures Can't Say Ain't », in Versus, 12/5, p.88
* 40 Roger Odin (1982,
pp.144-145) : « Sol Worth donne quelques exemples de relations au
film que la sémiologie du cinéma devrait être capable
d'expliquer. Si le Sujet ignore tout de ce qu'est un film, il percevra des
images mais sans songer à le structurer (...) , il peut même
être incapable de reconnaître les représentations qui lui
sont données de voir. (...). Si le Sujet percevant sait ce qu'est un
film, c'est-à-dire s'il présuppose que les images qu'il voit se
conforment à une intention de communication, alors un très large
éventail de possibilités s'ouvre à lui : - le sujet
percevant peut, par exemple, trouver le film stupide et décider de
rentrer chez lui. Dans ce cas, il y a bel et bien eu stratégie de
communication de la part du Destinataire, mais le jugement négatif
porté a conduit à une rupture de cette stratégie ; -
le sujet percevant peut également se montrer perplexe face à la
signification à attribuer au film ... »
* 41 Le Désert
rouge (Deserto rosso », drame psychologique de Michelangelo
Antonioni (1964)
* 42 Roger Odin (1982,
p.148) : « Nous utilisons le terme d'actant pour bien marquer
qu'il ne s'agit pas là d'un individu (l'auteur du film, le spectateur
« en chair et en os »), mais d'une structure qui peut
être plus ou moins complexe suivant le sous-ensemble institutionnel dans
lequel s'effectue la communication cinématographique
(l'actant-réalisateur d'un film de fiction commercial est
extrêmement complexe - cf . l'énumération des participants
au générique - alors que l'actant réalisateur d'un film de
famille se réduit le plus souvent à un seul individu : le
père de famille. » En outre, il appelle: « -
film-réalisation, le film doté de sens tel qu'il est produit dans
l'espace de la réalisation par l'actant réalisateur ; -
film-projection, le film comme ensemble de vibrations (lumineuses ou sonores)
tel qu'il apparaît sur l'écran dans l'attente d'un investissement
signifiant de la part de l'actant lecteur ; le film-projection est donc,
en lui-même, non doté de sens ; - film-lecture, le film
doté de sens tel qu'il est produit dans l'espace de la lecture par
l'actant lecteur. »
* 43 « 1- Une
consigne de lecture est émise à travers l'institution dans
laquelle se déroule la projection. 2- Conformément à cette
consigne, différentes opérations inférentielles sont
tentées par le spectateur ; ces inférences s'appuient
à la fois sur les contenus de la compétence encyclopédique
(qui jouent en quelque sorte le rôle de présupposés) et sur
la structure interne du film-projection : les diverses opérations
inférentielles tentées sont soumises à un examen de
compatibilité avec cette structure interne. 3- L'inférence
jugée compatible (s'il y en a une) est alors effectuée et du sens
se trouve alors produit. » (Odin, 1982, p.155).
* 44 Vera Cruz,
western réalisé par Robert Aldrich en 1954 avec Gary Cooper et
Burt Lancaster. Gérard Lenne, critique de cinéma, a écrit
au sujet de ce film : « Vera Cruz marque une
étape dans l'histoire des westerns, en mettant en scène de vraies
crapules dont l'avidité est le seul mobile » (in Rapp et Lamy,
1999, p.1302)
* 45 Pour plus de
détails : voir le chapitre consacré à l'approche
narratologique
* 46 in Albéra (1996,
p.206)
* 47 Eikhenbaum
prévoyait que ce travail allait s'accroître avant
l'évolution du cinéma : « Le cinéma exige
du spectateur une technique particulière dans l'art de deviner ;
et, bien sûr, avec l'évolution du cinéma, cette technique
se compliquera. Dès à présent (en 1927), les
réalisateurs se servent souvent de symboles et de métaphores dont
le sens est directement emprunté aux métaphores verbales
courantes ».
* 48 Mucchielli, Corbalan et
Ferrandez (1998 pp.7-8) : « La théorie des processus de
la communication essaie de rendre compte, d'une manière
systémique et constructiviste, des phénomènes
communicationnels qui concourent à l'apparition du sens accompagnant
tout élément de communication. Cette théorie repose
d'abord sur un postulat que l'on peut énoncer ainsi : la
quasi-totalité des expressions humaines : productions en tout
genre, réalisations concrètes, objets techniques, manipulations
des réalisations et des objets, conduites et actions, écrits
multiples, discours et paroles, attitudes et divers paralangages...sont des
communications, c'est à dire des éléments
communicationnels qui peuvent se comprendre (se lire), si on les rapporte
à des contextes pertinents dans lesquels justement ils prennent leurs
sens »
* 49 La
cinémathèque de la rue d'Ulm, celle de Chaillot et des
ciné-clubs spécialisés tels que le Nickel
Odéon, etc.
* 50 du latin
prolepsis (d'origine grecque) qui signifie anticipation. La prolepse
est une figure de rhétorique par laquelle on prévient une
objection en la réfutant d'avance
* 51 Dans Michel
Vaillant, par exemple
* 52 Série de courts
métrages burlesques d'une ou deux bobines (300 à 600m) avec Stan
Laurel et Oliver Hardy, 1927-1935. Puis quatre longs métrages :
Laurel et Hardy, au farwest (1937), conscrits (1939), chefs d'îlot
(1943), en croisière (1940).
* 53 Dans le film N
d'Antoine de Caunes (2003), ce procédé est utilisé dans un
long dialogue entre Napoléon et Sa jeune amie anglaise.
* 54 D'après les
personnages imaginés pour le théâtre par Jean Poiret,
La Cage aux folles est une série de trois films : le
premier fut réalisé par Edouard Molinaro en 1978, le
deuxième par le même réalisateur en 1980 et enfin La
Cage aux folles III par Georges Lautner en 1985.
* 55 Le typage consiste
à choisir un comédien doté de traits physiques
caractéristiques d'une classe ou d'un groupe social. C'est
« une technique de jeu propre au cinéma soviétique des
années 20 » (Bordwell et Thompson, 2000, p.589)
* 56 Ce rôle est, aux
Etats-Unis, partagé entre le producteur, dont le poids est souvent
prépondérant, et le réalisateur.
* 57 Bordat (1998,
pp.275-276) : « L'intérêt de Chaplin pour les mots
se manifeste encore dans son choix des noms propres (...) L'éclat
bruyant du nom du dictateur Hynkel est contredit par la connotation maladive de
son prénom : Adenoid (en anglais,
végétations) (...) On remarque aussi le détournement des
noms de Goebbels et Göring, le premier devenant Garbitsch (qui fait penser
à garbage, les ordures, et à bitch, chienne ou
putain), le second Herring (hareng, en anglais) ».
* 58 ODIN, Roger,
« Pour une sémiopragmatique du cinéma »,
Iris, vol.1, N°1, 1983, pp.67-82
* 59 ODIN, Roger,
« Il était trois fois, numéro deux », Revue
Belge du cinéma, N°16, 1986
* 60 Le premier film
publicitaire au cinéma fut réalisé par les Frères
Lumière en faveur du savon Sunlight, en 1897.
* 61 Rittaud-Hutinet (1985,
p.211) : « Au loin, on aperçoit de la fumée, puis
la locomotive de l'express et, en quelques secondes, le train se rue à
l'intérieur (de la salle) si rapidement que, comme la plupart des gens
des premiers rangs, je m'agite sur mon siège, fort mal à l'aise,
dans l'attente d'un accident de chemin de fer » écrit un
chroniqueur anglais.
A l'intérieur même de l'émotion
suscitée par un réalisme dont il s'épouvante, le
spectateur voit les silhouettes « grandeur nature ». Un
article écrit à Paris (Le Radical, 30 septembre 1895) :
« quelle que soit la scène ainsi prise et si grand que soit le
nombre de personnages ainsi surpris, vous les revoyez en grandeur naturelle,
avec les couleurs, la perspective, etc. »
* 62 Behaviorisme de l'anglais
Behaviour qui signifie comportement
* 63 Rittaud-Hutinet (1985,
p.215) : « Il ramène l'inconnu au connu de son
expérience : il « actualise » psychologiquement
sa perception, la réfère à ce qu'il sait ; autrement
dit, il croit, pour un instant, à la réalité
immédiate d'une durée révolue, en l'existence
matérielle et présente d'une ombre. »
* 64 Rittaud-Hutinet (1985,
p.215) : « Dans l'hallucination, en effet, le sujet
perçoit comme actuels et réels des faits anciens
enregistrés par sa mémoire et resurgissant soudainement à
sa conscience lors d'une situation pathologique déterminée. Le
Cinématographe, qui « donne le portrait enfin
vivant »65, s'impose donc comme une
réalité-durée révolue, mais néanmoins
enclavée dans une réalité présente, un fragment de
vie à la fois détaché et enchâssé dans une
pérennité faisant confondre une image avec l'existence même
de ce qu'elle représente. »
* 66 Félix Mesguich,
Tours de manivelle. Souvenirs d'un chasseur d'images, Paris, Grasset, 1933 in
Rittaud-Hutinet (1985)
* 67 Boris Eikhenbaum, La
culture cinématographique (Eléments pour un débat), 1926,
in Albèras (1996, p. 223-226)
* 68 Boris Filippov,
réponse in Albèras (1996, p.224)
* 69 Une synthèse des
travaux de Tchakhotine est disponible sur le site :
wwww.attention-spna.net, rubrique PSYOPS
* 70 propos tenus au sujet de
son film Psycho (1960)
* 71 Cité par
Liandrat-Guigues et Leutrat (2001)
* 72 Dont le plan est : 1)
L'utilisation du cinéma à des fins idéologiques et
politiques ; 2) La censure morale aux Etats-Unis ; 3) Les effets de
la censure morale sur la création cinématographique ; 4)
L'utilisation du cinéma américain à des fins
politico-militaires ; 5) L'utilisation du cinéma à des fins
idéologiques en France ; L'utilisation du cinéma à
des fins macro-économiques.
* 73 Liandrat-Guigues et
Leutrat (2001, p.34) : « On a beaucoup parlé de la
puissance hypnotique du cinéma ou de l'abrutissement résultant de
son spectacle. »
* 74 Lendrevie et de Baynast(
(2004, p.282) : « Certaines études montrent qu'un film de
cinéma publicitaire a un taux de mémorisation prouvée
généralement supérieur à 50% alors qu'il n'est, en
moyenne, que de 15% pour un 30 secondes à la
télévision ».
* 75 Il écrivit un
article sur les films Lumière dans le quotidien, Nijegorod-skilistok, le
4 juillet 1996.Un article, signé sous le pseudonyme Pacatus, dans lequel
il relate ses impressions lors de sa première expérience du
cinéma, pendant la foire de Nijni-Novgorod.
* 76 Château (2003,
p.34-35) : «Dans la République, Platon décrit une
caverne ouverte vers le haut où, depuis leur enfance, des prisonniers
sont si bien enchaînés qu'ils ne peuvent ni bouger, ni tourner la
tête ; ainsi forcés à regarder devant eux, ils ne
peuvent rien soupçonner de ce qui se passe derrière : entre
eux et un feu qui brûle en haut, il y a une route montante barrée
par un mur, comme la cloison que les montreurs de marionnettes placent devant
les hommes qui manoeuvrent celles-ci. (...) Ces marionnettistes plus ou moins
bavards promenant derrière le mur des objets fabriqués (statues,
animaux de pierre, etc.), les prisonniers n'entendent d'autres sons que leurs
voix et n'ont d'autre vision que celle des ombres que le feu fait se projeter
sur la paroi de la caverne qui leur fait face. Supposons maintenant qu'on
libère un de ces enchaînés, qu'on le force à se
lever et à se tourner vers la lumière, d'abord, il souffrira en
raison des éblouissements, il sera impuissant à regarder lesdits
objets dont autrefois il ne voyait que les ombres... »
* 77 Metz (2002, p.142-143
) : « La situation filmique porte en elle certains
éléments d'une inhibition motrice, et elle est en cela un petit
sommeil, un sommeil éveillé. Le spectateur est relativement
immobile, il est plongé dans une relative obscurité (...) ;
pendant la durée de la projection, il sursoit à tout projet
d'action. (...) Chez le spectateur, les manifestations motrices se
réduisent peu à peu : changements de position dans le
fauteuil, modifications plus ou moins conscientes de l'expression du visage,
commentaires éventuels à mi-voix, rire, poursuite en
pointillé d'une relation verbale ou gestuelle avec le voisin de
fauteuil, etc. (...) Sortir d'un cinéma, c'est un peu comme se
lever : pas toujours facile (sauf si le film était vraiment
indifférent ».
* 78 Gilbert Cohen-Séat,
Essai sur les principes d'une philosophie du cinéma, Paris, PUF, 1958,
in Esquenazi (1994, p.49) : « Ne voir que torpeur et
fièvre dans l'état morbide indéniable qu'on observe devant
le film, c'est ignorer la diversité d'une longue suite d'états
que le spectateur ne cesse de traverser pendant toute la durée du
spectacle. C'est confondre les effets directs d'innombrables
phénomènes successifs, compliqués, subtils, rapides,
tantôt imperceptibles, tantôt d'une extrême violence, avec le
résultat de leur accumulation ». Gilbert Cohen-Séat,
Essai sur les principes d'une philosophie du cinéma, PUF, 1958,
p.100.
* 79 Henri Agel (1994, p.14),
parlant de sa mère : «Maman était très sensible
au mirage cinématographique. On partageait le mystère du
cinéma ; nous allions là comme à une
célébration. La salle de cinéma, c'était un autre
monde ; le noir (...) Jamais ma mère ne m'a dit un mot pendant une
projection ; elle était devant le film dans une attitude quasi
religieuse »
* 80 Michotte Van Den Berck
A., « La participation émotionnelle du spectateur
à l'action représentée à l'écran. Essai
d'une théorie », Revue Internationale de filmologie,
avril-juin 1953, p.87 in Meunier et Peraya (1993, p.137)
* 81 Morin E., Le cinéma
ou l'homme imaginaire, Paris, Gonthier, 1965
* 82 Christian Metz, dans Le
Signifiant imaginaire (2002, p.37-60) distingue plusieurs sortes
d'études psychanalytiques sur le cinéma : 1) les
études qui permettent de remonter à la névrose du
cinéaste ou du scénariste ; 2) les analyses de
scénario (« Le scénario ressemble au rêve...en
tant que signifiant pour l'interprétation » (Metz, 2002,
p.43) ; 3) les analyses de l'ensemble du matériel filmique
manifeste et non pas seulement du seul scénario. « C'est le
film tout entier qui est maintenant constitué en signifiant »
(Metz, 2002, p.46).
* 83 Lebovici (S.),
Psychanalyse et cinéma, Revue Internationale de Filmologie, 5, 1949,
cité par Casetti (2000)
* 84 Toutefois, comme
l'écrit Christian Metz (2002, p.123) : « le rêveur
ne sait pas qu'il rêve, le spectateur du film sait qu'il est au
cinéma : première et principale différence entre
situation filmique et situation onirique. » Mais ajoute-il
(p.131) : « l'état filmique et l'état
onirique tendent à se rejoindre quand le spectateur commence à
s'endormir (bien que la langue commune, à ce degré ne parle pas
de sommeil) ou quand le rêveur commence à se
réveiller ».
* 85 Baudry J.-L.,
« Le dispositif », Communications, n°23, Paris, Le
Seuil, 1975, p. 69, cité par Meunier et Peraya (1993, p.126-127)
* 86 Metz (2002, p.65) :
« L'enfant, dans le miroir, aperçoit les objets familiers de
la maison, et aussi son objet par excellence, sa mère, qui le tient dans
ses bras devant la glace. Mais il aperçoit sa propre image. C'est de
là que l'identification primaire (la formation du Moi) tient certains de
ses caractères majeurs : l'enfant se voit comme un autrui, et
à côté d'un autrui ».
* 87 Nicolas N.
Dracoulidès (in Sillamy, 1983, p.338) distingue trois étapes
à ce processus : - l'identification primaire (jusqu'à trois
ans environ), - l'identification structurante (depuis l'âge oedipien
à quatorze ans) où le moi et le sur-moi s'organisent en fonction
du modèle donné par les adultes de l'entourage, -
l'identification indépendante (après la puberté) où
le moi de l'adolescent, fort de sa propre expérience, se valorise
à l'égal de ses modèles au lieu de se soumettre à
eux.
* 88 Château (2003,
p.40) : « Cette critique idéologique fut abondamment
glosée dans la théorie du dispositif des années 1960-1970,
qui, parfois combinées avec les théories de la
représentation perspectiviste et la théorie psychanalytique peu
ou prou lacanienne du sujet, attribuèrent à la caméra ou
au projecteur le rôle d'instrument de l'idéologie bourgeoise. Il
s'ensuivit entre les partisans et les adversaires de cette conception
idéologique des instruments techniques une polémique qui
paraît aujourd'hui quelque peu désuète.(...) Pour
résumer le débat a deux enjeux : le dispositif
cinématographique a-t-il un effet idéologique par lui-même,
une thèse impliquée tautologiquement dans l'idée que
l'appareil de base qui englobe le dispositif est idéologique, mais dont
certains contestent le déterminisme ? Si ce déterminisme est
admis par hypothèse, peut-on y échapper, et si oui,
comment ? Certains cinéastes y parviennent-ils, certains
« grands auteurs » et surtout des
expérimentateurs ? »
* 89 Metz (2002, p.70) :
« Appareil que le spectateur a derrière lui, derrière
sa tête soit à l'endroit exact où se trouve,
fantasmatiquement, le foyer de toute vision ».
* 90 Brassart (2004,
p.16-17) : « A la fin des années 1950, par exemple, de
nombreuses jeunes filles imitent la coiffure, la tenue vestimentaire voire le
comportement de la star Brigitte Bardot. »
* 91 Edgar Morin semble en
désaccord avec Jean Mitry selon lequel l'identification secondaire ne
peut se faire qu'avec les individus de son propre sexe ( ?), en
prétextant des « considérations psychanalytiques hors
de propos » qu'il se garde bien de développer.
* 92 Bourget (2002,
pp.132-133) : «Il a fallu attendre 1985 pour que Rock Hudson,
mourant du Sida, soit le premier à sortir du placard et explique
comment, dans les années cinquante, son image de star virile mais
familiale, à la sexualité saine implicitement opposée
à celle des Brando, Clift et autres James Dean, était
entièrement fabriquée par Universal-International, qui avait
notamment veillé à ce que l'acteur se marie. Et jusqu'à sa
mort en 1986, Cary Grant maintint la fiction de sa normalité sexuelle,
fiction elle aussi nourrie des mariages successifs de la star » (...)
« Le secret de l'homosexualité de Cary Grant était bien
gardé, il fallait que les apparences soient sauves et les stars
hollywoodiennes irréprochables » (p.19)
* 93 Jean Mitry (2001,
p.121-126), pour sa part, voit une relation entre les conditions de
réception dans lesquelles le spectateur se trouve et sa participation au
film, voire à son identification (secondaire) avec les
personnages : « Il est évident que la participation est
d'autant plus vive, sinon, plus active, que le spectateur est plus près
de l'écran. (...) Il semble que les meilleures places soient
situées entre le 5ème et le 15ème
rang à partir de l'écran - du moins pour les spectateurs ayant
une vue normale. » Dans ces conditions, selon lui, l'impression de la
réalité est flagrante.
« Au contraire, la situation au fond de la salle
n'éloigne pas seulement l'image au sens géométrique du
mot, mais aussi au sens psychologique. L'image est alors perçue presque
toujours comme d'une réalité étrangère
insérée dans un monde auquel elle ne se substitue absolument pas,
même si la salle est maintenue dans une obscurité totale. (...).
Mitry compare alors ces conditions de réception au fond d'une salle
à celles devant un téléviseur : « C'est
encore ce qui se passe devant l'écran minuscule d'un appareil de
télévision. Le film vu au téléviseur et vu des
premiers rangs d'une salle de cinéma n'a pas du tout le même
effet. Ce n'est plus le même film... »
* 94 Cesare Musatti, Le
cinéma et la psychanalyse, Revue Internationale de Filmologie, 1949, 6,
cité par Casetti (2000)
* 95 Mitry (2001, p.126) :
« De toute façon, ce n'est pas moi, en tant qu'individu, qui
m'identifie au héros ; c'est un vouloir inassouvi, un moi
idéal que je reconnais en lui. Tout se passe comme si l'acteur
était notre double, l'incarnation de notre moi
intentionnel ».
* 96 Jagot (1936,
réed.1986, p.15) : « Pour qu'une suggestion engendre des
effets, il faut qu'elle détermine l'assentiment d'une tendance ou du
moins qu'elle n'éveille aucune disposition antagoniste »
* 97 Pecha (2000, p.7) :
« De nombreuses voix se sont alors élevées pour
dénoncer l'influence néfaste des films violents (...) Cette
attaque portée à l'industrie cinématographique a
été soutenue par des personnalités de la plus haute
importance ; les anciens présidents Jimmy Carter et Gerald Ford ont
ainsi signé une pétition visant à restreindre la violence
des programmes audiovisuels. (...) Quant au Sénat, il a voté
à l'unanimité qu'une enquête soit effectuée pour
déterminer l'impact des films violents, des jeux vidéos et de la
musique sur les jeunes. »
* 98 D'autres utilisations de
la psychanalyse par le cinéma. La plus simple consiste à
l'introduire dans le récit comme l'a fait le cinéma
américain dès les années quarante et cinquante, lorsque la
psychanalyse connut un succès populaire. Ce fut le cas dans des films
comme Le Mystérieux Docteur Korvo (Otto Preminger, 1949) dans
lequel une kleptomane est psychanalysée par le Docteur Korvo qui la fait
accuser d'un crime qu'elle n'a pas commis. Ou dans Le Septième
Voile (Compton Bennett, 1945) qui narre l'histoire d'un jeune
médecin qui guérit par auto-suggestion la névrose d'une
pianiste célèbre. Ou encore, dans Les Trois Visages
d'Eve (Nunnalys Johnson, 1957), drame psychologique basé sur les
trois visages différents d'une femme qui souffre de troubles de la
personnalité jusqu'à ce qu'un médecin la
guérisse.
Janet Walker (1993, pp.220-240) distingue plusieurs
périodes dans l'incorporation à l'intrigue des concepts
psychanalytiques :
- A la fin des années quarante, « les films
psychanalytiques sont souvent structurés, selon elle, autour d'un
traumatisme situé dans le passé d'un personnage et dont les
racines inconscientes et sexuelles doivent être mises à jour pour
assurer la cure psychologique et le résolution du
récit. » (Walker, 1993, p.239)
- Dans les années cinquante, « les films
psychanalytiques vont embrayer encore plus clairement sur les discours
auto-descriptifs et contradictoires dans le contexte de la
psycho-sexualité féminine. La cas clinique sera mis davantage en
évidence. S'ajoute à la notion d'événement
passé, empruntée à la psychanalyse, celle de la
personnalité multiple », comme dans Les Trois Visages
d'Eve (op.cit.)
- Au début des années soixante, « la
croissance des organisations psychanalytiques commence à ralentir (...)
La thérapeutique de groupe ou celle par téléphone se
joignent au behaviorisme et à la psychologie humaniste. »
(Walker, 1993, p.240) Les thèmes évoluent donc. Dans Trente
Minutes de Sursis (Sydney Pollack, 1965), un étudiant (Sidney
Poitier), de permanence à la station S.O.S. Amitié, reçoit
un appel d'une jeune femme qui vient de tenter de se suicider. Ce récit
fut tiré d'un fait divers authentique. Au cours de cette période,
la folie des malades s'étend aux médecins et aux infirmiers,
voire à la société elle-même, par exemple dans
Lilith (Robert Rossen, 1964). Les critiques émises à l'encontre
de certains praticiens sont également reprises dans des films.
* 99 Jehoshua Eliashberg (in
Augros, 2000, p. 81) : « En général, l'industrie du
cinéma s'est montrée jusqu'ici réticente à adopter
des techniques prévisionnelles et des systèmes d'aide à la
prévision. Les dirigeants doutent de la capacité de
prévision des outils modernes et des modèles mathématiques
en matière d'accueil du public et se fient souvent à leur
jugement, à l'expérience et aux idées
reçues »
* 100 Joel et Ethan Coen (in
Tirard, 2004, p. 94) « Ca doit plaire au public. Mais ça doit
nous plaire à nous. En fait, je pense que ça doit d'abord nous
plaire à nous ! (rires) »
* 101 Lars Von Trier (in
tirad, 2004, p.153) : « Bien sûr la notion de public est
souvent liée à la question économique. Et aucun
cinéaste ne peut décemment ignorer cette question. (...) En ce
qui me concerne, j'essaye toujours de faire des films qui rapportent à
peu près ce qu'ils ont coûté à fabriquer. Si un film
rapporte beaucoup plus qu'il n'a coûté, ça devient de
l'avidité, et pour moi, ça ternit un peu l'image de ce film.
Mais s'il rapporte beaucoup moins qu'il n'a coûté, alors vous ne
pourrez peut-être plus tourner d'autre film. C'est donc un exercice
périlleux ».
* 102 Journaliste à
Studio magazine, Laurent a réalisé, en 2004, son
premier long métrage produit par Luc Besson : Mensonges et
trahisons et plus si affinité...avec Edouard Baer,
Marie-Josée Croze et Clovis Cornillac.
* 103 Pecha (2000,
p.133) : « Le système serait excellent si tous les
réalisateurs pouvaient l'utiliser comme l'a fait Francis Ford Coppola.
Lors de la projection de Apocalypse Now, il déclare au
public : « C'est une invitation à vous demander de
m'aider à finir le film. Je ne tiendrai pas compte de vos
réponses de façon stricte. Je suis à la recherche de vos
opinions qui serviront à former ma propre opinion sur le film. Je vous
considère de la même façon que les centaines d'artistes qui
travaillent avec moi sur le film. » Ceux qui comme Coppola sont
libres d'écouter ou non l'opinion du public sont rares.
* 104 Marketing &
Télévision, 24 rue Daniel Stern, 75015 Paris.
« Marketing et Télévision a réalisé
depuis 1991 près de 100 interventions sur les différents
programmes de télévision et contenus audiovisuels : fiction
(cinéma, policiers, sagas, séries, dessins animés, etc.),
programmes d'information, programmes et divertissement, présence des
annonceurs (modules-jeux, placement de produit, parrainage TV). Marketing &
Télévision réalise des pré-tests et des post-tests
de programmes à partir de deux grands types de techniques :
- des techniques d'études sur la perception des
programmes : réunions de groupe (groupes projectifs de 7 à
10 personnes), des interviews en profondeur et des entretiens semi-directifs
d'une heure trente, des interviews quali-quanti (interviews de 20 minutes sur
100 à 200 téléspectateurs actuels ou potentiels, des
screen-tests (projection du programme auprès d'un panel de 100
à 200 personnes en salle, par petits groupes ou individuellement)
- des techniques d'études sur le contenu et le
fonctionnement des programmes : l'analyse de contenu des programmes fait
appel selon les besoins à des techniques sémiotiques,
narratologiques, sémantiques, pragmatiques, etc. ». Pour plus
de détails voir le site de Marketing & Télévision
à l'URL suivante :
http://www.qualiquanti.com/mt
* 105 « Dans le monde entier, au Royal
Institute de Londres, à New York, en Espagne, en Suède, la
locomotive venant droit sur la caméra arrachait des cris de terreur aux
spectateurs. Aucun film n'impressionnait plus le public que ce fameux
train » (Leyda, 1976, p.25). Rittaud-Hutinet (1985) qui,
rappelons-le, considère que ces premières années du
cinéma sont une époque de perception primitive au cours de
laquelle le spectateur subit l'illusion des images animées, rapporte les
écrits d'un chroniqueur anglais : « Au loin, on
s'aperçoit de la fumée, puis la locomotive de l'express, en
quelques secondes, le train se rue à l'intérieur (de la salle) si
rapidement que, comme la plupart des gens des premiers rangs, je m'agite sur
mon siège, fort mal à l'aise, dans l'attente d'un accident de
chemin de fer ». Georges Sadoul (1964, p.49) y voit, pour sa part, le
résultat de l'instinct de Louis Lumière à comprendre
l'importance de l'utilisation dramatique de la profondeur de champ.
* 106 Michel Larouche, IMAX
ou le cinéma plus vrai que vrai, in Garel et Paquet (dir., 1992,
p.257-265) : « Le cinéma IMAX, technologie canadienne
développée par une société indépendante,
Imax Corporation, constitue l'aboutissement du cinéma spectaculaire
grand format. (...) Il rappela à la mémoire le
cinématographe géant de 21 m sur 15 installé par
Lumière dans les Galeries des machines à l'Exposition universelle
de Paris en 1900.
(...) Le slogan de la société Imax, « du
cinéma plus vrai que vrai » apparaît hautement
justifié et explique le succès renversant de cette technologie
dont les débuts remontent à l'Exposition universelle de 1967,
à Montréal.
(...) Le système IMAX diffère d'abord de tous les
autres par le format de la pellicule. La pellicule 70 mm standard est
utilisé comme support....Au rythme de 24 images par seconde, 102,6 m de
pellicule défilent par minute (la vitesse de défilement du 35 mm
est de 27,43 m et celle du 70 mm standard, 34,1m). Pour une heure de projection
il faut plus de 6 000 m de pellicule. (...) Le projecteur grand format renvoie
également une image grand format : l'écran de la
première salle IMAX à Toronto mesure 18 m sur 24, ce qui
équivaut à un immeuble de 7 ou 8 étages. (...) La
dimension actuelle des écrans des salles permanentes va de 10,5 m sur
17,7 à 21,5 m sur 29,3, le nombre de sièges variant de 159
à 980 et ne correspondant pas forcément à la dimension de
l'écran.
L'OMIMAX, une variante de l'IMAX, a été
conçu pour les dômes panoramiques genre planétarium.
* 107 Préface de
l'ouvrage de Jean-Michel Guy, La culture cinématographique des
français, Paris, La Documentation française, 2000.
* 108 Guy (2000,
p.18) : « une telle posture pourra paraître
iconoclaste à ceux-là mêmes, professeurs de cinéma,
rats de cinémathèque, qui ont de facto, en
matière de cinéma, des connaissances plus étendues mieux
structurées et plus précises que le commun des
français ».
* 109 Préface de
Jean-Pierre Hoss, in Guy (2000, p.15)
* 110 Moine (2002,
p.77) : « Véritable opium du peuple, il (le genre)
anesthésierait, quasiment par nature, toute lecture buissonnière,
critique, divergente, toute possibilité de réception multiple.
L'approche rituelle pose un problème analogue : dire qu'un genre
règle sur un plan symbolique des problèmes courants ou des
conflits culturels, qu'il répond en cela à une attente du public
qu'il fédère dans un spectacle ritualisé, c'est postuler
pour ce genre un public homogène, qui partage les mêmes valeurs,
qui est sensible aux mêmes conflits...On peut certes objecter que les
genres hollywoodiens ...s'adressent à un public jeune et que ces
spectateurs, puisqu'ils constituent une audience segmentée, forment une
communauté fédérée par des modèles culturels
semblables. (...) Comment comprendre sinon le succès des genres
hollywoodiens à l'étranger, c'est-à-dire à
l'extérieur de la culture américaine ? Les spectateurs
français, hongkongais et américains ne se retrouvent sans doute
pas de la même manière dans un western ou un film d'arts martiaux
»
* 111 Le Centre National de la
Cinématographie a lancé ou soutenu de nombreuses
opérations comme «Collèges au Cinéma »,
« Lycéens au cinéma » ou encore
« Un été au ciné ».
* 112 De Voghelaer (2001,
p.41) : « Plusieurs témoignages de proches de Goebbels
confirment que ce dernier était fasciné par le film d'Eisenstein,
Le Cuirassé Potemkine. D'aucuns affirment même qu'il
était le film préféré du Ministre de la propagande.
Selon eux, Goebbels aurait examiné attentivement les effets que les
films révolutionnaires pouvaient avoir sur le peuple soviétique
afin d'en tirer quelques leçons au service de la propagande
allemande. »
* 113 Michel Marie (in Rapp et
Lamy, 1999, p.317-318) : « C'est surtout le choix
privilégié du cadrage en plans de détails et en plans
serrés, leur articulation dans un montage au rythme très rapide,
quasi paroxystique dans les scènes de violence (scènes de la
révolte sur le cuirassé, scène de la répression sur
l'escalier) qui caractérisent à la fois la démarche
radicale du cinéaste et l'impact produit sur le public,
littéralement bouleversé et soulevé par un enthousiasme
communicatif, dans des conditions voisines de celle de l'exécution d'une
partition musicale ».
* 114 Préface de Guy
(2000, p.15)
* 115 Jullier (2002,
p.62) : « Les deux premiers (critères) reflètent
certaines pratiques courantes, spontanées du spectateur ordinaire comme
expert ; les deux suivants ont la faveur de tous les critiques,
professionnels ou pas ; enfin, les deux derniers se rapportent à
certaines pratiques de justification savante ».
* 116 Jullier (2002,
p.13-14) : « Venant d'un milieu où littéralement
il ne va pas de soi qu'Eric Rohmer soit un génie ; les critiques
que j'écrivais pour mon seul plaisir, adolescent, montrent
rétrospectivement que je n'osais pas m'opposer à ceux des choix
qui étaient exprimés par les revues cinéphiliques que je
lisais alors. Et plus tard, à l'université, il s'est passé
bien des années avant que je confesse combien la vision des films de
Rohmer m'était un supplice, seulement parce qu'une fois de plus il
allait de soi, parmi les gens qui m'entouraient alors, que l'on prît un
immense plaisir aux films de ce cinéaste, et parce que la
sûreté de leurs allusions à son oeuvre laissait entendre
quel plouc serait quiconque s'avisât de les
rejeter ».
* 117 IMDB, Internet Movie
DataBase,
www.imdb.com; Site visité par
deux millions d'internautes chaque semaine.
* 118 Jullier (2002, p. 67
) : « Dans la section « Et si les spectateurs
n'étaient pas si bêtes ? » d'un essai
intitulé Le cinéma américain est imbattable parce que
nous l'aimons (in Th. Paris, dir., Peut-on lutter contre
l'hégémonie hollwoodienne ? Paris, CinemAction, 2002),
Fabrice Montebello (estime) que pour savoir ce qu'est un bon film il suffit de
faire un sondage, et de prendre en compte les réponses
majoritaires ; les gens aiment les « grands films ».
(...) Cependant l'expertise du grand nombre souffre d'une limite : elle
n'opère qu'au sein des productions les mieux distribuées, les
blockbusters, et n'implique pas, par contrecoup, que la lanterne rouge
du box-office soit un mauvais film. Je me refuse en outre à prendre
pour seul instrument de mesure de la qualité artistique le
sondage ; mentir est si tentant, on l'a vu, et le contexte d'enquête
si influent... »
* 119 Odin (1982,
p.13) : « Il existe des langages à images multiples et
à signifiant non temporalisé : c'est le cas, par exemple, de
la bande-dessinée ou des triptyques dans lesquels la temporalisation est
introduite par le mouvement de lecture sans que le signifiant soit
lui-même temporalisé ».
* 120 Odin (1990) p.141 :
« Deux grandes différences séparent les langues des
codes :
- Première différence : Si les codes sont des
systèmes substitutifs, les langues sont, elles, des systèmes
directs. Alors que dans les codes on part toujours d'un message
déjà formé pour aboutir à un autre message
exprimé par des symboles différents, dans les langues, c'est au
point d'arrivée seulement qu'on constate la présence d'un
message, sur le point de départ duquel on ne sait à peu
près rien.
- Deuxième différence : Dans les langues, les
relations bi-univoques entre signifiant et signifié sont
l'exception ; il est très rare que l'on ait une correspondance
terme à terme entre la série des unités du signifiant et
celle du signifié : tantôt, il y a plusieurs signifiés
pour un seul signifiant (cf. le phénomène de l'homonymie :
le mot « cousin » peut désigner des parents ou une
variété d'insectes), tantôt il y a plusieurs signifiants
pour un seul signifié : auto, voiture, bagnole, etc. (nous ne
parlons ici que des signifiés de dénotation ; au niveau
connotatif, ces termes ont des signifiés
différents). »
* 121 « A l'une des
extrémités, se retrouveront les codes qui n'ont que peu de
relation avec la matière du signifiant du langage qui leur sert de
support, c'est-à-dire les codes non spécifiques pour ce langage.
...par exemple, le code de la narrativité, les codes
sémantiques : la musique, etc. A l'autre extrémité,
se retrouveront les codes par rapport auxquels tous les traits de la
matière de l'expression propre au langage considéré sont
pertinents - de telle sorte que ces codes n'ont aucune latitude de
manifestation dans d'autres langages - c'est-à-dire les codes à
spécificité maximale » (Odin, 1990, p.154)
* 122 Lendrevie et de Baynast
(2004, pp.8-14)
* 123 Georges
Méliès (1861-1938) tourna près de 500 films entre 1896 et
1913 et construisit les premiers studios de cinéma à Montreuil
(Rey, 1996)
* 124 Mark Sennet, King of
Comedy, 1954 in Chardère (1995, p.370) selon lequel cette phrase fut
longtemps attribuée à tort à Louis Lumière...
* 125 Quelques exemples
cités par Odin (1990) : « Quand on panoramique dans un
sens, de gauche à droite par exemple, l'image qui enchaînera
devra, elle aussi, comprendre le mouvement dans le même sens ».
« On ne doit pas passer directement d'un ensemble à un gros
plan »...
* 126 une catégorie de
cinéastes expérimentaux ou d'avant-garde
* 127 vraisemblablement
grâce à une grille d'interview (guide d'entretien)
prévoyant d'aborder le thème de la grammaire
cinématographique.
* 128 David Wark Griffith
(né dans le Kentucky en 1875, mort à Hollywood, Californie, en
1948) est considéré comme le créateur le plus
fécond du langage cinématographique aux Etats-Unis, avec Thomas
Ince (inventeur du western). « Distinguant dans l'art du
cinéma un mode d'expression différent de celui du
théâtre, il en affirma l'autonomie par la nouveauté et la
diversité des thèmes, une solide direction d'acteurs, et par un
usage magistral de quelques procédés techniques
transformés par lui en éléments d'expression d'une haute
valeur esthétique : échelle des plans, découpage
analytique, montage alterné et parallèle, travellings. Il ouvrait
ainsi la voie aux plus grandes réalisations des cinéastes
soviétiques (Eisenstein), allemands (Murnau), américains (von
Stroheim) et français (Gance) qui devaient plus tard se
reconnaître pour ses disciples » (Rey, dir., 1996, p.880)
* 129 Boorman (in Tirard,
2004, p. 64) : « Quand on regarde un film comme Armagedon,
il est incroyable de voir à quel point plus aucune règle n'est
appliquée. C'est un cinéma que j'ai surnommé
« néo-brutalité » et qui fonctionne en fait
sur une sorte de naïveté, parce qu'il est fait par des
cinéastes qui, par défaut ou par choix, n'ont pas voulu apprendre
les règles de base du langage cinématographique. Leur grammaire
visuelle est celle de MTV, où, en gros, tous les coups sont permis si
l'on peut arriver à un résultat excitant. »
* 130 Sydney Pollack (in
Tirard, 2004, p.42) : « Par exemple, si je veux créer une
certaine tension dans une scène, je vais cadrer le personnage sur le
côté droit de l'image, et je vais justement le faire regarder
à droite, ce qui va à l'inverse du principe de composition
classique et crée un sentiment de déséquilibre et de
malaise. Ou alors, je vais faire parler un personnage hors-champ, et ne le
montrer qu'après qu'il ait fini de parler. A nouveau, les règles
voudraient que l'on montre à l'écran celui qui parle, mais en
filmant comme ça, on peut réussir à augmenter
l'intensité dramatique de ce qui est dit »
* 131 Scorsese (in Tirard,
2004, p.22) : « Je pense principalement à Oliver Stone et au
montage fantasmagorique de films comme Tueurs nés ou
Nixon. Il y a une image de Nixon qui me vient à l'esprit, c'est
cette scène où le président hallucine, et l'on voit un
plan de sa femme qui lui parle, puis un autre plan, puis une image en noir et
blanc, et l'on revient sur sa femme et on continue de l'entendre parler...sauf
qu'à l'image, elle est muette. Et ça, c'est très
intéressant, parce que c'est une façon de créer une
émotion forte à partir d'une image silencieuse, et ce uniquement
grâce à la juxtaposition d'autres images autour de ce
plan. »
* 132 Takeshi Kitano (in
Tirard, 2004, p.186) : « Je sais par exemple que dans les
écoles de cinéma, au Japon en tout cas, on enseigne toujours que
ce que la caméra filme doit représenter le point de vue de
quelqu'un. Or, parfois, je filme certains personnages en plongée,
c'est-à-dire vus d'en haut, et pourtant il n'y a personne en haut. Mais
ça marche. Le public trouve ça normal. »
* 133 Pedro Almodovar (in
Tirard, 2004, p.174) : « La mise en scène est une
expérience purement personnelle, on doit découvrir le langage du
cinéma par soi-même, et on doit se découvrir soi-même
à travers ce langage. Si vous voulez apprendre le cinéma, un psy
vous sera donc peut-être plus utile qu'un
professeur ! »
* 134 Jullier (2002,
p.82) : « même dans une revue comme les Cahiers du
Cinéma : « Proche, tout proche de zéro,
Belphégor l'est selon les critères de l'art (...) Le
réalisateur rate tous ses raccords, même les plus
élémentaires et se montre d'un niveau inférieur au
technicien rapide et efficace » » (Cahiers du
cinéma, N°557, mai 2001)
* 135 Jump cut :
méthode de montage fonctionnant à l'opposé des
règles classiques, selon lesquelles une différence minimum
d'angle ou de taille doit exister entre deux plans pour être
raccordés de façon invisible. Le Jump Cut provoque au contraire
des coupures frappantes, en supprimant quelques images au milieu d'un plan, et
crée souvent de déroutantes ellipses à l'intérieur
même d'une scène. La saute, ou jump cut, est devenue une
pratique discursive, une signature stylistique dans A bout de souffle
de Jean-Luc Godard : les mouvements des personnages y ont un aspect
saccadé, la continuité visuelle n'est plus assurée, le
passage de plan à plan perd de sa fluidité.
* 136 Ce mouvement informel se
méfie du savoir-faire technique et prône la réalisation de
films en utilisant des modèles de l'audiovisuel amateur et du reportage
pris sur le vif.
* 137 Les trois premiers films
Dogma : Festen (Fête de famille), de Thomas Vinterberg
(1998), prix spécial du jury ex æquo, Cannes 1998. - Les
Idiots, de Lars Von Trier - Mifune, de Soren Kragh-Jakobsen
* 138 Bordwell et Thompson
(2000, p.580) : « Les jeunes réalisateurs les plus commerciaux
perpétuèrent la tradition du cinéma hollywoodien
classique. Le montage par continuité restait la norme, comme la
manière de signaler clairement les changements temporels et les nouveaux
développements du récit. »
* 139 Ropars-Wuillermer,
Marie-Claire (1970, p.3) : « Bien loin d'être, comme
tous les arts, une manifestation spontanée et individuelle de
l'activité humaine, il (le cinéma) ne doit son existence
qu'à la convergence d'un certain nombre de techniques, rendues possibles
par des découvertes scientifiques, et dont la complexité ne cesse
de croître ».
* 140 De fait, elle reprend le
langage sartrien, en affirmant que « si la peinture et la musique
sont du côté des choses, et la littérature du
côté des signes, il semble bien que le cinéma ait
penché, dès sa naissance, vers les signes ».
* 141 GAUDREAULT,
André, JOST, François, Le Récit cinématographique,
Nathan, 2ème édition, 2000, p.13 : «C'est
au cours des années soixante, dans la foulée du courant
structuraliste impulsé par Claude Lévi-Strauss, que
l'intérêt pour les questions du récit, pour les
problèmes que pose ce que l'on appelle la narrativité, se
cristallise, notamment avec deux importantes livraisons de la revue
Communications (le numéro 4, Recherches
sémiologiques,1964, et le numéro 8 L'Analyse structurale
du récit, 1966) chez des chercheurs comme Genette, Todorov,
Greimas, Metz, mais aussi Roland Barthes, Claude Bremond et Umberto Eco. C'est
aussi l'époque de la découverte, en France, de l'important
ouvrage du russe Vladimir Propp, Morphologie du conte et des travaux
des formalistes russes Tynianov, Eikhenbaum, Chklovski et
Tomachevski ».
* 142 Propp, Vladimir,
Morphologie du conte, Paris, Le Seuil, 1970 : « Les
éléments constants, permanents, du conte sont les fonctions des
personnages, quels que soient ces personnages et quelle que soit la
manière dont ces fonctions sont remplies ».
* 143 Journot ( (2004,
p.84) : « L'aspect modal de la narratologie concerne aussi la
sphère de la réception, avec la sémio-pragmatique, qui
étudie les relations entre le texte et son récepteur, les
problèmes de croyance, la façon dont se noue le contrat de
lecture ».
* 144 L'analyse, selon Roche
et Taranger, permet en effet : « - en situation de spectateur,
de percevoir de l'intérieur et donc de mieux comprendre les solutions
retenues par tel ou tel film ; - en situation de scénariste, de
connaître et de maîtriser davantage les ressources dont vous
disposez ».
* 145 Certains auteurs dont
Roland Barthes ont fait remonter l'origine de l'analyse structurale des
récits aux travaux en langue russe de Vladimir Propp (1928). C'est,
selon Aumont et Marie (1999, p.96), le prix d'un malentendu :
« Publiée en 1958, la première traduction (en anglais)
arrivait en même temps que les prémices de la vague
structuraliste, et ce n'est pas un hasard si, dès 1960, Claude
Lévi-Strauss faisait état de sa stupéfaction, en
reconnaissant chez Propp des formules proposées dans les années
50 dans le contexte de l'analyse structurale de la littérature orale.
(...) Le malentendu devint vite évident. Lévi-Strauss critiqua
Propp pour être trop formaliste et se préoccuper trop peu des
contenus. »
* 146 Opristecu, Nicolas,
L'analyse filmique : méthode et contenu, PREMIS, CNED, Tome 3,
p.87. et p.91-125 pour une analyse matricielle de Une partie de
campagne, film de Jean Renoir, d'après une nouvelle de Guy de
Maupassant
* 147 Roche et Taranger, op
cit : « cela ne signifie pas qu'il faut le suivre
aveuglément, même si l'on se propose de composer un
success-story ».
* 148 Greimas,
Algirdas-Julien, Sémantique structurale, Paris, Larousse, 1966
* 149 Sidney Field,
Screenplay, The foundations of screenwriter's handbook, A step-by-step guide,
Delta Book, Dell Publishing Co, New York, 1979 in Chion (1985)
* 150 Syd Field, Comment
reconnaître, Identifier et Définir les Problèmes
liés à l'écriture de Scénario, Paris, Dixit, 2000.
* 151 Deleuze classe le
« film policier » dans la petite forme et le
« film criminel » dans la grande forme.
* 152 Linda Seger est
consultante de scénarios depuis 1983. Elle a travaillé avec des
compagnies, des scénaristes et des producteurs tels que Ray Bradbury,
Tony Bill, ITC Productions, Charles Freis Entertainment, TriStar Pictures,
Sundance Institute, etc.
* 153 SEGER, Linda, Faire
d'un bon scénario un scénario formidable, Paris,
Editions Dixit, 2000, 256 pages.
* 154 Le climax
(échelle en grec) correspond, pour les écrivains, au point
culminant ou au dernier événement important d'une oeuvre. Le
climax est le moment à partir duquel la tension peut retomber car les
problèmes sont résolus, les réponses aux questions du
départ sont apportées.
* 155 Michel Chion propose la
traduction d'implant à ce terme sans équivalent
français.
* 156« la
quête du compagnon parfait, le retour chez soi, la recherche d'un
accomplissement, la poursuite d'un idéal, le fait de chercher à
réaliser ses rêves ou de partir à la chasse au
trésor »
* 157 Christopher Vogler, en
tant qu'analyste d'histoires, a évalué plus de 6000
scénarios pour les principaux studios du cinéma dont Walt Disney,
Warner Bros, 20thCentury Fox, United Artists, Orion Pictures, the Ladd company,
Touchstone Pictures et Hollywood Pictures.
* 158 CAMPBELL, Joseph, The
Hero With a Thousand Faces, Princeton University Press, 1968
* 159 VOGLER (2002,
p.20) : « Campbell s'appuie sur les théories du
psychologue suisse Carl G.Jung concernant les archétypes : des
personnages et des énergies se répétant sans cesse,
présents dans les rêves de chacun et les mythes de toutes les
cultures. Jung suggéra que ces archétypes
révélaient différentes facettes de l'esprit humain que
notre personnalité peut adopter pour jouer la pièce de sa propre
existence. Il remarqua une correspondance étroite entre les personnages
rêvés par ses patients et les archétypes de la mythologie.
Jung émit alors l'hypothèse que les rêves de ses patients
et les archétypes de la mythologie provenaient d'une origine plus
profonde : l'inconscient collectif de la race humaine. Les personnages
bien connus de la mythologie mondiale, tels que le jeune héros, le sage
vieillard, l'intrigant et l'antagoniste ténébreux sont identiques
à ceux qui peuplent nos rêves et nos fantasmes. C'est pourquoi les
mythes et la plupart des histoires bâties sur le modèle mythique
ont la résonance de vérités psychologiques ».
* 160 Rappelons, à ce
propos, que les trois éléments nécessaires pour qu'un
film soit un succès commercial sont, selon Linda Seger (2000,
p.146) : la créativité, la structure du scénario et
la possibilité de commercialisation. « Si un seul de ces
éléments manque, il y a de grandes chances pour que ce
scénario ne se vende pas et que même s'il se vend, il n'ait pas de
succès ».
* 161 VOGLER, Christopher,
p.30 : « Les montagnes russes donnent aux passagers l'impression
de mourir puis de survivre. L'émotion ainsi ressentie
génère un grand frisson de plaisir ».
* 162 Des adaptations
cinématographiques des romans de J.K. Rowling : Harry Potter
à l'école des sorciers (Chris Columbus, 2001), Harry
Potter et la chambre des secrets (Chris Columbus, 2002), Harry Potter
et le prisionnier d'Azkaban (Alfonso Cuaron, 2004), Harry Potter et la
coupe de feu (Mike Newell, sortie prévue le 30 novembre 2005) et,
déjà planifié, Harry Potter et l'ordre du Phoenix
(David Yates, sortie prévue 2007).
* 163 Ce terme a
été donné par Jung, en 1919, pour désigner les
images primordiales communes au moins à tout un peuple ou à toute
une époque, ce qu'il appelait auparavant « dominante de
l'inconscient collectif ».
* 164 SOLIE, Pierre,
« Carl Gustav Jung et la psychologie analytique »,
in MOUSSEAU, J., et MOREAU,
P.F. (dir.), L'inconscient de Freud aux techniques de groupe,
1976, p. 312-346
* 165 Du grec
khataros, pur. Ce terme était utilisé dans la
Grèce antique pour désigner une cérémonie de
purification à laquelle devaient se soumettre les candidats à
l'initiation aux mystères, aux cultes secrets. Aristote employa ce mot
pour définir l'effet bienfaisant de la tragédie sur les
spectateurs qui en s'identifiant à l'un des acteurs, en éprouvant
ses émotions, se libéraient de leurs propres craintes,
pitiés, peurs, etc. Les rires, les pleurs, les frissons de terreur
et, plus globalement, toutes les expressions physiques des émotions sont
les déclencheurs les plus efficaces de la catharsis.
* 166 Comme l'écrit
Linda Seger (2000) : « Dans les meilleurs films, l'un des
personnages au moins est transformé (...), il s'agit en
général du héros ». (p.216) ». Elle a,
par ailleurs, constaté que « les critiques aiment massacrer un
film en disant que le personnage n'évolue pas. » (p.217)
* 167 HAMON, Philippe, Pour un
statut sémiotique du personnage. Poétique du récit, Paris,
Le Seuil, 1976
* 168 Jean-Claude
Carrière et Pascal Bonitzer, Exercice du scénario, Paris, Femis,
1990, p.29 in Vanoye (1995)
* 169 Dans son
épilogue, Regard en arrière sur le voyage, Vogler (2002,
p.201-214) analyse en utilisant la structure
du Voyage du Héros, deux films, l'un d'aventures - The
Last of the Mohicans - et l'autre une comédie surnaturelle :
Death Becomes Her. Il met ainsi en évidence les étapes
principales, les archétypes ainsi que d'autres composantes de la
structure tels que l'exposition, les tournants décisifs de l'histoire et
le climax ainsi que ce qu'il considère comme les forces et les
faiblesses de ces deux histoires-scénarios.
* 170 En narratologie, on
appelle cela la focalisation interne (Genette) ou l'ocularisation interne
(Jost)
* 171 Dans ce film, les images
sont vues à travers les yeux du personnage : « Nous ne
connaissons de lui que les mains, les bras, quelques reflets dans des glaces et
sa voix. Quand il reçoit un coup de poing ou qu'il boit un peu trop,
c'est déformée par son regard que la réalité nous
parvient » (Rapp et Lamy, 1999, p.323)
* 172 La narratologie
thématique s'intéresse, nous venons de le voir, à
l'histoire racontée, aux actions, aux rôles des personnages, aux
relations entre eux, etc. et utilise des modèles, des théories,
des principes de l'écriture littéraire. Comme l'écrit
Michel Marie, dans la préface de l'ouvrage de Gaudreault et Jost (1990,
2ème édition), les modèles qui s'appuient sur
les hypothèses de Propp « envisagent la structure d'une
histoire comme relativement indépendantes des techniques qui la prennent
en charge, qu'il s'agisse d'un roman, d'un film ou d'une pièce de
théâtre »
* 173 Gérard Genette,
Figures III, Paris, Seuil, 1972
* 174 Gérard Genette,
Nouveau discours du récit, Paris, Seuil, 1983
* 175 Genette a utilisé
ce terme d'optique pour désigner le foyer narratif du récit,
autrement dit le point de vue cognitif qui le construit : le savoir. A ce
point de vue cognitif, les narratologues du cinéma (Jost,
Ropars-Wuilleumier, etc.) ont ajouté le point de vue physique : le
voir ou ocularisation et l'écouter ou auricularisation.
* 176 METZ, Christian,
L'énonciation filmique ou le site du film,
Méridiens-Klinscksieck, 1991
* 177 Le terme cinéaste
a été utilisé par Louis Delluc pour désigner toutes
les personnes travaillant dans le cinéma. Toutefois, ce terme est
également utilisé comme synonyme de réalisateur ou de
metteur en scène.
* 178 Journot (2004, p.44-45)
cite en plus du regard-caméra : - les cadrages inhabituels, les
effets trop marqués et qui laissent percevoir le style du
réalisateur, - les citations d'autres films qui signalent une relation
particulière du film avec d'autre film, - le générique qui
affiche la fabrication du film.
* 179 Mitry (2003) p.31 :
« Il est évident que le cinéma ne saurait être un
langage si l'on s'en tient à la définition classique qui veut
que le langage n'utilise que des signes abstraits de forme fixe et de
signification constante. » (...) p.331 « Il est temps que
la définition linguistique, trop exclusive le cède à une
définition logique plus générale (...) On peut dire, de la
sorte, qu'un langage est un moyen d'expression dont le caractère
dynamique suppose le développement temporel d'un système
quelconque de signes, d'images ou de sons (de gestes au besoin, tel le langage
des sourds-muets), l'organisation dialectique de ce système ayant pour
objet d'exprimer ou de signifier des idées, des émotions ou des
sentiments. »
* 180 La bande image est la
partie du support pelliculaire sur laquelle sont enregistrées les
images.
* 181 La piste sonore de 3 mm
de large environ est alors située entre les perforations de la pellicule
et la bande image.
* 182 Les photogrammes sont
les unités minimales non significatives du cinéma. Il s'agit en
fait de photographies.
* 183 « Les
psychologues de l'école gestaltique ont identifié cet effet de
perception d'un mouvement apparent (qu'ils nommèrent effet phi)
comme résultant des stimuli visuels produits par les déplacements
des images qui permettent aux cellules du cortex visuel d'interpréter
ces différences comme mouvement » (Journot, 2004, p.42)
* 184 Roland Barthes, La
Chambre claire, p.89-90 cité par Bellour (2002, p.75)
* 185 Bellour (2002,
p.75-76) cite l'exemple suivant : « Prenons Letter from
an Unknown Woman (Max Ophüls, 1948, avec Louis Jourdan et Joan
Fontaine). Le pouvoir du cinéma y est à son comble :
bâti sur un flash-back (le prétexte est une lettre que le
héros reçoit dès la séquence d'ouverture), le film
nous rend ainsi présents des moments du passé. Le flash-back est
constamment relancé : on voit à plusieurs reprises le
héros lire la lettre de la femme inconnue (en réalité
oubliée). (...) Au milieu du film à peu près, le
héros apprend que cette femme qu'il a délaissée
après une nuit d'amour a accouché d'un enfant dont il est le
père : il regarde, en plan rapproché, à la loupe, des
photos jointes à la lettre : trois photos, que l'image tend au
spectateur. D'abord, dans un ovale, un enfant d'environ un an, de face, les
yeux grands ouverts. Puis, l'enfant, plus grand, avec sa mère dans une
nacelle. Enfin, l'enfant seul à nouveau, maintenant presque
adolescent.
A quoi servent ces photos ? A l'histoire, bien
sûr....Les photos font office de charnière entre les deux grandes
parties du récit : elles expriment le passage du temps...Elles
ouvrent en fait un autre temps : un passé du passé. Un temps
second et différent. Ainsi elles fixent un instant le temps du
film : nous arrachant à son déroulement, elles nous situent
par rapport à lui. Il y a, à cela, trois raisons. La
fixité soudaine de l'image d'abord. ...Cette fixité est contraire
au mouvement du film, qui veut que les figures bougent. Ensuite, ces images
nous regardent (la première surtout) du fond du temps perdu de l'enfance
(le temps de la photo par excellence), avec ce regard-caméra qu'on ne
voyait alors (presque) jamais au cinéma. Enfin..., ce que ces photos
attestent le bouleversent (le héros) ; il est, à la
pensée de ce qu'elles éveillent, pétrifié. Moi qui
m'identifie à lui, je suis comme lui
pétrifié. »
* 186 Umberto Eco, La
production des signes, Paris, Poche, 1992
* 187 Mitry (2001, p.70)
« Barthes affirme, un peu imprudemment à mon sens, la
synonymie éventuelle de l'image. Certes, un signifié peut
s'exprimer à travers plusieurs signifiants. Dans le film d'Eisenstein,
par exemple, les bougies cassées (qui éclairent le piano dans le
salon des officiers) et l'assiette brisée par les matelots, au
réfectoire, suggèrent, tout comme le lorgnon, la faillite de la
classe possédante....Cette synonymie toute relative est purement
accidentelle : elle n'existe que dans le film. Hors du Cuirassé
Potemkine il n'y a aucun rapport, aucune analogie signifiante d'aucune
sorte entre un lorgnon qui se balance, une assiette brisée et des
bougies écrasées. Barthes d'ailleurs le reconnaît
implicitement en précisant : « la synonymie n'est
esthétiquement valable que si, pour ainsi dire, on le truque : le
signifié est donné à travers une série de
corrections et de précisions successives, dont aucune ne
répète vraiment l'autre ».
* 188 Mitry (2001,
p.93) : « Cette notion de plan est relative à l'histoire
du cinéma. Lorsqu'après les premières tentatives de D.W.
Griffith, le cinéma commença à prendre conscience de ses
moyens (...) on enregistra les scènes selon des points de vue multiples,
les techniciens durent qualifier ces différentes prises afin de les
distinguer entre elles. Pour cela, on se référa à la
situation des personnages principaux en divisant l'espace selon des plans
perpendiculaires à l'axe de la caméra. D'où le nom de
plans. C'est en quelque sorte la distance privilégiée
d'après laquelle on réglait la mise au point ».
* 189 Opritescu (1997,
p.45-46) : « Au cinéma, le cadre de la caméra et
le cadre de la projection sont rigoureusement identiques. A la
télévision, les limites du cadre à la projection varient,
en fonction des réglages, sur chaque téléviseur qui
« mange » plus ou moins les bords haut-bas et/ou
gauche-droite de l'image. Ce malheureux phénomène amène
une dégradation esthétique à celle causée par
l'important rapetissement de l'image obligeant la composition de l'image
uniquement au centre du cadre avec des larges plages de
« sécurité » (donc neutres) sur les bords du
cadre ».
* 190 Bessière (2000,
p.41) : « Le champ se différencie du cadre dans la
mesure où il résulte de celui-ci. En effet, la prise de vues est
une mise en cadre, l'inclusion d'une portion de la réalité dans
le cadre créé par l'objectif de la caméra. Il s'agit d'un
acte énonciatif. Le champ est le résultat de cette mise en cadre,
son contenu et relève de l'énoncé, de la fiction
racontée par le cinéaste. La prise de vues (ou mise en cadre) ne
forme en rien « une fenêtre sur le monde » ou un
miroir qui le reflèterait plus ou moins fidèlement. Elle
détermine un choix, une fragmentation de la réalité et
cette portion de réalité devient un champ organisé
esthétiquement et appartenant à l'espace/temps de la fiction.
Aussi n'a-t-on pas affaire à la même dimension spatio-temporelle
quand on parle de hors-cadre et de hors-champ. Le hors-cadre relève du
filmage, renvoie à tout ce qui n'a pas été
prélevé par la caméra, autour de son cadre
technique (...) ; tandis que le hors-champ renvoie à ce qui
est censé être contigu au champ et appartient à
l'espace-temps de la fiction. »
* 191 Mais, en
réalité, cela est vrai aussi bien pour les êtres humains
que pour les objets, les animaux, etc.
* 192 Michel Wyn (1972,
p.258-259) constatant qu les appellations ne sont pas standardisées
propose de distinguer deux sortes de plans : 1- les plans dont
l'échelle est rapportée au personnage (plan moyen, plan
américain, plan rapproché, gros plan, très gros
plan) ; 2- les plans dont l'échelle est rapportée au
décor (plan d'ensemble, plan grand ensemble, plan
général).
* 193 D'autres auteurs
distinguent : le gros plan (visage), le plan taille (visage jusqu'à
la taille), le plan épaule (visage jusqu'aux épaules), le plan
poitrine (visage jusqu'à la poitrine), le plan général.
* 194 Ce plan tirerait son
appellation des westerns dans lesquels on cadrait les personnages de la
tête au revolver.
* 195 dans ce cas,
plutôt appelé plan italien, sans doute en
référence aux westerns spaghetti dans lesquels les personnages
étaient souvent habillés de longs manteaux.
* 196 Un gros plan ou un
très gros plan sur un objet est plutôt appelé insert
* 197 Parfois appelé
également plan serré
* 198 Pascal Bonitzer, Le
Champ aveugle, Cahiers du cinéma-Gallimard, 1982, p. 26 cité par
Aumont (1998, p.21)
* 199Aumont (1998, p.22 et
p.46) : « La caméra du cinématographe qu'on
vantait pour son pouvoir d'abstraction et de mécanisation de l'optique
(la théorie du super-oeil) devient aussi, via le concept de vision
haptique (d'un mot grec qui veut dire « toucher », un
prolongement du sens du toucher. Le cinéma s'est souvent servi de la
force haptique du gros ou du très gros plan, mais dans les
dernières décennies, l'usage direct de ce pouvoir, est souvent le
fait de films de genre, où les traits stylistiques sont accentués
(chez Leone ou King Hu, par exemple). (...) Le super-oeil est l'apogée
du savoir humain en matière de rendu des apparences (...) mieux que
l'oeil humain ».
* 200 Bernard Chardère
(1995, p.370)
* 201 Mark Sennet, King of
comedy, 1954,, in Chardère (1995, p. 370)
* 202 Louis Lumière,
Où va le cinéma français ?, 1937, in
Chardère (1995, p.370)
* 203 Cette classification se
rapproche, sans être parfaitement similaire selon Mitry (2001), de la
classification anglosaxone : Close Up, Medium Shot, Long Shot.
* 204 Opritescu (1997,
p.62) : « il n'est pas rare que, dans la
réalité, la fonction du plan change pendant le déroulement
de celui-ci, ou qu'un plan endosse plusieurs fonctions en même temps.
Exemple : un panoramique reliant deux gros plans fait glisser la fonction
analytique en fonction relationnelle.»
* 205 on la définit
aussi comme la portion d'espace située devant l'objectif à
l'intérieur de laquelle la mise au point des objets et personnages
photographiés est possible, autrement dit où ils apparaissent
nets.
* 206 Georges Sadoul, Louis
Lumière, Paris, Seghers, 1964, p.49
* 207 Le terme
« grand angle » s'appliquant plutôt à des
focales inférieures à 18 mm
* 208 Les longues focales sont
comprises entre 75 et 250 mm. A partir de 135 mm, on parle de très
longue focale ou de téléobjectif
* 209 On distingue
habituellement les distances focales moyennes (les objectifs standards),
courtes (les grands-angles) et longues (les téléobjectifs).
* 210 C'est un code
réellement spécifique au cinéma contrairement aux
précédents. Les caractéristiques telles que la
perspective, la relation entre un champ et un hors-champ, la taille du plan se
définissent aussi en peinture, en photographie ou en bande
dessinée.
* 211 Une grue permet de
placer la caméra en hauteur ou dans un endroit difficile d'accès.
Un axe de rotation et un contrepoids soulèvent une plateforme sur
laquelle s'installent une ou plusieurs personnes et une caméra.
Certaines grues sont téléguidées depuis le sol. La
Louma qui fut utilisée pour la première fois par
René Clément, en 1971, est une grue articulée sur un
chariot dont le bras télescopique supporte la caméra dont les
prises de vues sont télécommandées.
* 212 Il s'agit d'un
stabilisateur de caméra porté par un homme. Le caméraman
ou opérateur enfile un système de harnais autour du torse. Le
steady cam, de la marque déposée Steadicam ou non, lui
permet alors de réaliser des mouvements très fluides en
supprimant les vibrations. Lorsque le caméraman marche ou court, la
caméra reste horizontale et donne une impression de fluidité. Ce
système a été utilisé pour la première fois
dans le film Rocky avec Sylvester Stallone, notamment dans le
scène où ce dernier monte un grand escalier. Depuis, il est
utilisé dans de nombreux films et téléfilms.
* 213 Bessière (2000,
p.48) : « Il est convenu que l'image filmique se lit de gauche
à droite comme l'écrit en Occident et que les mouvements de
caméra explorent l'espace avec ou pour les personnages de gauche
à droite, les événements, les protagonistes nouveaux
survenant à droite, lieu de tous les possibles, point d'ancrage de
l'avenir. Cependant les réalisateurs commettent des écarts par
rapport à cette « norme » afin de faire sentir un
malaise chez les personnages, hantés par leur passé ou en
désarroi physique et psychologique ».
* 214 Bächler (2001,
p.336) : « Mitry le constatait dans le tome 2 « Les
formes », 1963 : « un travelling suivant à
distance égale et à vitesse égale des personnages (une
diligence) en mouvement est une autre forme de plan fixe : c'est le
paysage qui a l'air de se déplacer ». Par contre, nous ne
l'assimilons pas comme lui à un « faux travelling »
que nous appelons « transparence » (voiture et
caméra immobile et projection en transparence du paysage et des arbres
qui défilent). Le premier plan y est perçu comme fixe et le
deuxième plan est clairement dissocié du premier et perçu
comme mobile. Dans le travelling accouplé au mobile, sans la
transparence, le mouvement apparent du véhicule est annulé, mais
son mouvement réel imaginé est perçu comme solidaire du
déplacement du paysage. »
* 215 Bernardo Bertolucci (in
Tirard, 2004, p.135) : «Je n'utilise presque jamais le zoom. Je ne
sais pas pourquoi mais je trouve qu'il y a quelque chose de faux dans son
mouvement. Je me souviens d'un jour, sur le tournage du Stratagème
de l'araignée (1970), où j'ai eu envie de mettre le zoom,
pour changer. J'ai passé une heure à jouer avec, et puis
ça m'a rendu malade. Je l'ai enlevé et j'ai dit que je ne voulais
plus jamais voir cet objectif ».
* 216 La distance focale est
l'écart, exprimé en millimètres, entre le plan de la
pellicule et le centre optique (virtuel car un objectif
généralement est composé de plusieurs lentilles). On
distingue habituellement les distances focales moyennes (les objectifs
standards), courtes (les grands-angles) et longues (les
téléobjectifs).
* 217 Bien qu'il ne faille
« ici aussi, se garder de faire des associations automatiques entre
le contenu et la distance focale (...), hors contexte fictionnel, les distances
focales longues connotent les paparazzi traqueurs de princesses, les reporters
en mal d'images-chocs, le safari-photo, les images de sportifs en
compétition - toutes formes, au mieux de capture d'images en milieux
inhospitaliers (guerre) ou interdits (plages privées, stades), au pire,
de voyeurisme distal. Quant aux distances focales courtes, elles
connotent à l'inverse une forme de rapport proximal à l'objet
visé, sinon à l'immersion (reporter plongé dans une foule
de manifestants) - mais elles sont aussi l'apanage des caméras de
surveillance (voyeurisme proximal). » (Jullier, 2002, p.73)
* 218 Les plans longs sont
généralement filmés en plan moyen ou en plan d'ensemble.
Le spectateur a ainsi le temps de découvrir de lui-même les
éléments qui vont l'intéresser.
* 219 Le ralenti est un
trucage du temps qui s'obtient en augmentant la cadence de prises de vues et en
conservant la cadence normale de projection (24 images par seconde).
* 220
L'accéléré est un trucage du temps qui s'obtient en
projetant à vitesse normale des images filmées à une
vitesse inférieure.
* 221 Païni (2002,
p.101-102) : « Jean Epstein est allé le plus loin,
à ce jour, dans la description poétique et plastique du ralenti.
(Selon lui, dans Intelligence d'une machine) la régression
temporelle que le ralenti impose à la représentation du corps en
mouvement, fait dépasser le stade animal. Le ralenti fait retrouver dans
« les déploiements du torse, de la nuque,
l'élasticité active de la tige ; dans les ondulations de la
chevelure, de la crinière agitées par le vent, les balancements
de la forêt ; dans les battements des nageoires et des ailes, les
palpitations des feuilles ; dans les enroulement et les
déroulements des reptiles, le sens spirale de toutes les croissances
végétales » ( Ecrits sur le cinéma).
* 222 Jean Epstein, Ecrits sur
le cinéma, Tome 2, Seghers, 1974
* 223 Jean Vigo (1905-1934),
cinéaste français, réalisateur notamment de A propos
de Nice (1929) : une application de la théorie du
ciné-oeil de Vertov
* 224 Dziga Vertov
(1896-1954), cinéaste soviétique. Il proclamait que le rôle
essentiel du cinéma était de saisir la vie à l'improviste
par l'oeil impartial de la caméra. A l'origine de la théorie du
ciné-oeil, Kinoglaz
* 225 Emmanuel Ray, dit Man
Ray, (1890-1976), peintre et photographe américain, réalisateur
de films courts qui révéla son anti-conformisme.
* 226 Mauriz Stiller,
cinéaste suédois (1883-1928), il révéla Greta Garbo
dans son film intitulé La légende de Gösta Berling,
1924
* 227 Un cinéma venant
de Corée du Sud, des trois Chines - Hong Kong, Taïwan, la Chine
continentale - et du Japon.
* 228 Nosferatu le
vampire, film fantastique allemand réalisé par Friedrich
Wilhelm Murnau en 1922. Une adaptation illégale du roman de Bram
Stocker, Dracula, où le changement de titre.
* 229 Boris Kazanski,
« La nature du cinéma », in Albéra (1996, p.
121-122)
* 230 Boris Eikhenbaum,
« Problèmes de ciné-stylistique », in
Albéra (1996, p. 61)
* 231 Lev Koulechov
écrivit un ouvrage, en 1929, intitulé L'Art du cinéma
dans lequel il présente à la fois toute son
expérience, ses pratiques et procédés (en matière
de montage, d'éclairage, de prise de vues, de mise en cadres, de
scénario, de mise en scène et direction d'acteurs) et les
résultats de ses réflexions théoriques ainsi que ses
travaux en laboratoire dont l'un d'eux conduisit à
l'énoncé de l'effet qui porte son nom : l'effet
Koulechov. L'ouvrage de Koulechov est, avec ceux de Bél
Balàzs et Vsevolod Poudovkine, parus en même temps, à
l'origine de ce que l'on appelle les « grammaires du
cinéma » dont celle de Raymond J. Spottiswoode publiée
en 1935.
* 232 Cité par
Liandrat-Guigues et Leutrat (2001, p.38)
* 233 Certaines rumeurs - mais
est-ce de la jalousie ? - circulent comme quoi Brad Pitt n'ayant pas de
très beaux mollets, on lui aurait
« échangé » avec des mollets plus
musclés dans le film Troie, grâce à un montage
astucieux.
* 234 Interrogé par
Ciment (2003, p.53)
* 235 Egalement
chorégraphe dans Matrix
* 236 Boris Eikhenbaum,
« Littérature et cinéma », 1926, in
Albéra (1996, p. 203-208)
* 237 Boris Eikhenbaum,
« Le mot et le cinéma », 1926, in Albéra
(1996, p.209-211) : « Le spectateur qui regarde l'écran
effectue un travail cérébral complexe en réunissant les
cadres qui défilent devant lui en des sortes de ciné-phrases
(...) Le spectateur doit assembler cette chaîne, sinon il ne comprendra
rien. Ce n'est pas un hasard s'il y a des gens qui « ne comprennent
pas » ; un tel travail cinématographique de l'intellect
leur est inaccessible, inhabituel et désagréable. Le
cinéma a sa propre syntaxe, sa propre grammaire ».
* 238 Un film
expérimental de huit heures qui relate huit heures de la vie de l'Empire
State Building de New York, vu de l'extérieur et filmé en plan
fixe.
* 239 Ce film
expérimental canadien de 3 heures se passe dans une région
désertique du Québec. Une caméra fixée sur un
dispositif à bras mobile balaye l'espace à différentes
vitesses, dans des panoramiques incessants et grisants (Rapp et Lamy, 1999,
p.1038)
* 240
Le film
L'Arche russe a été tourné en une seule
fois le 23 Décembre 2001 dans le musée de l'Hermitage de Saint
Petersbourg. Comme l'a avoué Alexandre Sokurov : « J'ai
eu alors une idée, mais elle était très coûteuse et
extrêmement difficile à réaliser. L'idée
était de tourner le film, disons, sans reprendre son souffle".Relatant
l'histoire russe sur plusieurs générations pendant un long plan
séquence de 96 minutes, ce film a nécessité une
organisation lourde et précise : plusieurs mois de
répétitions, trois orchestres, 22 assistants à la
réalisation et 867 acteurs et figurants. Aucune erreur durant le
tournage n'était permise, aussi bien pour les acteurs que pour les
techniciens. Il n'y eut ni coupure, ni montage.. Selon Samuel Blumenfeld
(Le Monde du 26.03.2003) : « L'Arche russe représente
d'abord un tour de force technique. Réalisé avec une
caméra compacte haute définition, enregistré sur un
système de disque dur portable capable de stocker jusqu'à 100
minutes d'images, chose impossible sur le support 35 mm, le film porte
l'expérimentation à un niveau inédit. ».
* 241 Pour des exemples, voir
Bordwell et Thompson (2000, p.332-381)
* 242
Flashback : modification de la continuité chronologique
d'une histoire par un retour dans le passé. Autrement dit, le
récit revient sur un événement antérieur au
présent de l'action. En narratologie = analepse
* 243
Flash-forward : modification de la continuité
chronologique d'une histoire par une projection dans le futur. Autrement dit,
le récit présente des événements futurs puis
revient au présent de l'action. En narratologie = prolepse
* 244 « On appelle
relation syntagmatique toute relation qui s'établit entre des
éléments co-présents de façon proche à
l'intérieur d'un même message (...) Le langage
cinématographique articule à chaque instant plusieurs
matières de l'expression : des images, des mentions écrites,
des paroles, des bruits et de la musique ; toutes ces matières
sont capables de mobiliser des relations syntagmatiques de succession :
relations entre plans, relations entre textes écrits (dans un
générique par exemple), relations entre phrases de dialogue ou de
commentaire, relations entre bruits, relations entre moments
musicaux » (Odin, 1990, p.103-105)
* 245L'ouvrage de Christian
Metz édité en 2003 est une réédition. Initialement
parus en deux tomes, les Essais furent édités, pour le tome I, la
première fois en 1968. C'est la première étape dans
l'effort de Metz pour fonder une approche sémiologique du
fait-cinéma. Le tome II est paru en 1972, on y voit se dessiner
à travers un jeu d'avancées et de retours autocritiques, les
contours de la « seconde sémiologie » à quoi
l'auteur s'est attaché par la suite et qu'il développera dans Le
Signifiant imaginaire (1977).
* 246 Bessière (2000,
p.52) : « c'est-à-dire de séquences dès
lors qu'elles ne sont pas interrompues par un élément de
ponctuation (fondus enchaînés, au noir, ouverture/fermeture
à l'iris, etc.) »
* 247 Il reprend ce terme de
la linguistique structurale où il désigne un groupe de mots
formant une unité à l'intérieur d'une phrase. En
sémiologie du cinéma, le syntagme, selon Metz, est un ensemble de
plans.
* 248 Selon Jean-Luc Godard
(Ciment, 2003, p.53), le style de Wells dépend largement des
difficultés qu'il a rencontrées lors du
tournage : « S'il commence La Soif du mal (Touch of
Evil) par un plan-séquence, c'est qu'il a une durée de
tournage très réduite et qu'un plan-séquence, s'il est
bien réglé, peut faire gagner cinq à six
jours ».
* 249 Metz (2003,
p.131) : « Dans les milieux cinématographiques, le terme
de séquence s'est fixé pour désigner une construction
proprement filmique, et par opposition à la scène du
théâtre ; mais, par la suite, ce mot en est venu à
désigner n'importe quelle suite de plans formant une unité,
c'est-à-dire n'importe quel segment autonome à l'exception du
plan autonome ; la séquence au sens courant est donc ce que nous
appellerions un syntagme autonome et notre tableau en comporte 7
sortes. »
* 250 Préface de Roger
Odin in Bächler (2001, p.8) : « On sait que Christian
Metz définissait la sémiologie du cinéma comme
« comprendre comment le film est compris » (Langage et
cinéma, Larousse, 1971, p.56), mais on sait aussi qu'il n'entendait
nullement étudier ce qui se passe dans la tête du spectateur et
s'en tenait à l'analyse du travail codique que le film
mobilise »
* 251 Mitry (2001,
p.100) : « On appelle séquence
l'ensemble des images intéressant les
événements situés dans un même lieu ou même
décor quels que soient les changements d'angles ou de champs,
c'est-à-dire des plans qui ont pu intervenir au cours des prises de vues
relatives à cet ensemble ».
* 252 Une ellipse est une
coupure dans le temps du récit qui permet au réalisateur
d'enlever des événements de l'action. Le spectateur compense en
imagination ces omissions.
* 253 Dans le film N ,
Napoléon (de Caunes, 2001) , un fondu enchaîné
interrompt un long dialogue entre les deux personnages principaux, sans
volonté elliptique, donc très probablement pour cacher un
collage de deux prises de vue de la même scène, rendu
nécessaire vraisemblablement par une maladresse de l'un des deux
acteurs.
* 254 Un plan s'assombrit
progressivement jusqu'à ce que l'écran soit noir.
* 255 Un écran noir est
progressivement remplacé par un plan.
* 256 Jullier
(2002,p.54) : « Une figure aujourd'hui tombée en
désuétude, courante dans les films hollywoodiens classiques,
consistait à l'associer à un flou progressif sur la queue de A et
un net progressif sur le début de B, qui passait pour signaler au
spectateur un retour vers le passé, un passage dans un monde mental
alternatif. Un cas particulier de fondu enchaîné combine un plan
à un à-plat couleur (fréquemment un noir). Il permettait
conventionnellement, dans le cinéma classique de marquer des seuils de
début et/ou de fin de séquence (et souvent du film
lui-même) et de signaler les ellipses, surtout grâce à la
combinaison A/N au début - N/B à la fin, où N est le noir
- on parle alors d'ouverture au noir et de fermeture au noir.. Dans des films
modernes, on voit de tels couples simplement utilisés à des fins
plastiques, expressives, sans connexion à des anachronies du
récit ; on voit également des seuils se matérialiser
sans fondus, un noir encadré par deux cuts séparant
brutalement A de B. Des couleurs y remplacent parfois le noir, comme le blanc
ou le rouge (Cris et chuchotements, Ingmar Bergman,
1972) »
* 257 Iouri Tynianov, Les
fondements du cinéma, in Albéra (1996, p.80)
* 258 Le volet est notamment
utilisé dans Les sept Samouraïs (1954), un film
d'aventures d'Akira Kurosawa, Oscar du meilleur film étranger en
1955.
* 259 Tous les plans montrant
le premier personnage de face dans le montage sont considérés
comme des champs. Tous les plans montrant le second personnage de face sont des
contrechamps.
*
260Un truc de
professionnel : Les deux protagonistes figurant dans le cadre, il est
conseillé pour rendre l'image plus harmonieuse que la pointe du nez du
personnage en amorce ne dépasse pas de la bordure du
visage.
* 261
Généralement, dans ce cas, on commence le premier plan (champ)
en externe puis on prend le contrechamp en interne, et on inverse au fur et
à mesure de l'avancée de la discussion. Pour resituer la
scène dans son décor, il peut être nécessaire de
revenir de temps en temps à un plan d'ensemble.
* 262 Dans la majorité
des cas, il faut considérer l'autre côté de la ligne
imaginaire comme une zone interdite. Pour connaître des moyens de
correction lors du montage, voir Gérard Galès, Tout sauver au
montage. Inverser le sens d'un plan, Caméra, N°176, novembre 2003,
p.36
* 263 Le Jump cut est
un raccord elliptique qui donne l'impression d'une simple interruption dans un
même plan. Par exemple, les acteurs changent instantanément de
place et le fond reste le même, ou c'est le fond qui change alors que les
acteurs ne bougent pas.
* 264 Un montage elliptique
élimine une partie d'une action lors du passage entre deux plans, ce
qui produit une ellipse dans le temps du récit.
* 265 Un montage intellectuel
est une juxtaposition d'une série d'images sans lien apparent, ce qui
génère une idée abstraite
* 266 Un insert
extradiégétique est un ou plusieurs plans insérés
dans une séquence montrant des objets ou des personnages ne faisant pas
partie de l'espace du récit.
* 267 Le ralenti (ou
l'accéléré) n'est que le résultat d'une diminution
(ou d'une accélération) du rythme de présentation des
images. Le ralenti est souvent utilisé pour décomposer les
étapes d'un événement, d'une action, d'un mouvement, d'un
geste afin de les mettre en valeur, d'accentuer l'effet dramatique (par
exemple, la mort d'un personnage, une chute, un combat violent, etc.). Le
ralenti peut être également choisi par le réalisateur pour
sa valeur psychologique, pour suggérer le rêve, une
atmosphère onirique, etc.
* 268 L'intertitre est un des
deux types de cartons. Un carton est une incrustation textuelle à
l'écran, soit sur un fond uni (noir, blanc ou de couleur), soit
surimprimée à l'image. Le carton a une fonction informative
(indication du lieu, du jour, de l'heure, par exemple). S'il fournit des
informations pendant le film proprement dit (hors générique), le
carton est appelé intertitre. Les cinéastes soviétiques
des années 20 ont beaucoup utilisé les intertitres pour informer
(exemple : « Le commandant Golikov »), certes pour
compenser l'absence de dialogues, mais aussi pour faire prendre conscience,
interpeller, notamment par des intertitres de questionnement, les spectateurs,
à l'aide de métaphores visuelles. Les intertitres dans le
cinéma soviétique de cette période ironisent, jugent,
formulent des slogans, des maximes, etc.
* 269 Marie-Claire Ropars,
« L'ouverture d'Octobre ou les conditions théoriques
de la révolution », in Octobre,
écriture et idéologie, Paris, Albatros,
1976 cité par Aumont et Marie, 2000, p.131.
* 270 Sergueï Eisenstein,
La Non-indifférente Nature, UGE, collection 10/18, 2 volumes, 1976-1978
cité par Aumont (2002, p.88)
* 271 Paul, Robert,
Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française,
Paris, Le Robert
* 272 du grec antique,
dionusiakos, qui est relatif à Bacchus : propre à
l'enthousiasme et à l'inspiration
* 273 Selon Jean-LucGodard,
« le ralenti n'est pas seulement question de vitesse ou de
musicalité, il est aussi une sorte de prothèse du voir. Ralenti,
c'est voir les moments décisifs, c'est surtout, voir l'ensemble du
processus mieux (et pas seulement les moments que l'on ralentit) ; c'est
donc intervenir sur l'événement montré pour en
délivrer le sens. Le ralenti est là pour guider la perception du
spectateur mais sans la contraindre » (Aumont, 2002, p.45)
* 274 S.M. Eisenstein,
« une approche dialectique de la forme filmique », Film
Form, London, Dennis Dobson, 1929, p.54 cité par Opritescu (1997,
p.76-77)
* 275 Vanoye et
Goliot-Lété (2001, p.22) : « Par rapport au film
classique, le film soviétique des années 20 n'offre pas de
repères spatio-temporels stables permettant de construire un univers
diégétique plein. Les données sont claires, mais
lacunaire, abstraites. (...) Les plans montrent des éléments non
diégétiques (la roulette, la pluie de lait) »
* 276 cité par
Opritescu, 1997, tome 2, p.9
* 277 Pour plus de
détails, voir Ekchajzer (2004, p.50-52)
* 278 Groupe u, Traité
du signe visuel. Pour une rhétorique de l'image, Paris, Seuil, 1992,
cité par Martine Joly (1994)
* 279 Michel Pastoureau,
Dictionnaire des couleurs de notre temps, Symbolique et société,
Ed. Bonneton, 1992, cité par Marrtine Joly (1994)
* 280 Evguéni
Mikhaïlov et Andréi Moskovine, « Le rôle de
l'opérateur de cinéma dans l'élaboration du
film », in Albèra (1996, p.163-174) : « une
lumière fade, plate, pauvre en contrastes dégage une impression
d'ennui et de médiocrité. Une lumière douce, riche et tout
en demi-tons produit une impression de quiétude. Une lumière
contrastée, avec des éclats vifs et des ombres épaisses
provoque un sentiment de trouble, etc. (...) Calculée et
étudiée à l'avance, la lumière,
élément inséparable du film, renforcerait l'action
exercée sur le spectateur ».
* 281 Bordwell et Thompson
(2000, p. 586) définissent la mise en scène comme :
« Tout ce qui concerne les éléments se trouvant devant
la caméra pour être filmés : le décor et les
accessoires, la lumière, les costumes et les maquillages, le jeu des
acteurs. »
* 282 Dans un
scénario : - Le terme INTERIEUR est une indication de lieu toujours
écrit en premier et mis en opposition avec le terme EXTERIEUR. - Le
terme APPARTEMENT est aussi une indication de lieu, plus précise que la
précédente. - Le terme NUIT est une indication de temps
précise qui vient toujours en 3ème position
après les deux indications de lieu. Cette indication (JOUR/NUIT) peut
varier et être plus précise en utilisant des termes comme :
AUBE, SOIREE, MATIN, APRES-MIDI ou encore CREPUSCULE. Toute indication
temporelle précise nécessitera un travail particulier en
matière d'éclairage. Pour plus de détails voir
Parent-Altier (2001, p.18-20)
* 283 Surface brillante qui
renvoie la lumière produite par les projecteurs ou éventuellement
par le soleil vers le champ, pour compenser la déperdition de
lumière.
* 284 Henri Alekan, Des
lumières et des ombres, Paris, La librairie du collectionneur, 1991
* 285 Selon Martine Joly
(1994, p.106), l'éclairage directionnel « sensualise
la représentation dans la mesure où la lumière
réagit aux matériaux qu'elle rencontre :
réfléchie par certains, réfractée par d'autres ou
encore absorbée ou rasante, elle fait vibrer les textures diverses et
sollicite le toucher, au-delà de la vue. »
* 286 Dans ce cas, la
lumière d'appoint n'est pas utilisée ou très faiblement
puisque son but est de rééquilibrer.
* 287 ou de diffuseurs ou de
filtres diffuseurs (comme le spun, un tissu en fibre de verre) qui
servent à renvoyer la lumière dans différentes directions
et permettent ainsi d'obtenir une lumière beaucoup plus douce.
* 288 Boris Eikenbaum,
Problèmes de ciné-stylistique, in Albéra (1996, p.48)
* 289 Les gestes sont des
mouvements du corps, principalement des bras, des mains, de la tête. Les
mimiques sont des gestes expressifs, des jeux de physionomie et concernent
plutôt les traits et l'aspect du visage. Les postures sont des attitudes
du corps, des positions particulières du corps.
* 290 Meunier et Peraya (1993,
p.121) « Dans ses Vingt leçons sur l'image et le sens,
Gauthier (Gauthier G., 20 leçons sur l'image et le sens, Paris,
Edilig, 1982) montre comment les petites variations graphiques de l'oeil de
Linus, petit personnage de bande dessinée, induisent des significations
différentes. »
* 291 Merleau-Ponty M.,
Phénoménologie de la perception, Gallimard, 1945, p.216
* 292 E.T. Hall, La Dimension
cachée, Paris, Seuil, 1969
* 293 Odin (1982,
p.106) : « Un second dénombrement suggère que
les gestes indiciels sont avant tout : - des affects displays (exprimant
la réaction passive à une stimulation très forte :
peur, joie, tristesse..), - des alter-directed adaptors (mouvements actifs de
réponse à une attaque), - des self adaptors : gestes
moteurs, mettant l'individu en relation avec lui-même et traduisant un
effort d'adaptation ou une volonté de défense face à une
quelconque perturbation.(...) Self-adaptors et affects displays ont
essentiellement pour siège, le visage car le visage est dans notre
imaginaire culturel le lieu privilégié de l'expression de la
personnalité, de l'intelligence et de la conscience. »
* 294 Prix de la critique
internationale, Venise, 1968
* 295 Anne Kieffer,
« Une histoire venue d'Afrique », in Rapp et Lamy, 1999,
p.754
* 296 Chion (1990,
p.132) : « Dans le meilleur des cas, le budget ne dépasse
pas cinquante mille francs pour un film français moderne. Aussi beaucoup
préfèrent-ils recourir au shopping, aux stocks de vêtements
et aux loueurs ».
* 297 Louis Delluc, «La
Foule devant l'écran » in Le cinéma et les
cinéastes, Ecrits cinématographiques I, Paris,
Cinémathèque Française, 1985, p.73
* 298 Egalement appelé
cinéma des premiers temps ou, en anglais, early cinema, le
cinéma primitif est le cinéma des années 1895 (invention
du cinéma) à 1914 (début de la première guerre
mondiale).
* 299 Scénariste et
réalisateur français (1861-1938). Illusionniste, il dirigea le
théâtre Robert-Houdin. « Créateur de la mise en
scène cinématographique, inventeur d'ingénieux trucages,
constructeur des premiers studios de cinéma (à
Montreuil) » (Rey, 1996, p.1356)
* 300 Ecran opaque
placé devant la caméra ou la tireuse qui masque une partie du
photogramme et modifie la forme de la partie impressionnée de l'image.
La zone masquée est généralement noire à
l'écran, mais elle peut aussi être blanche ou colorée.
* 301 La transparence ou
rétropojection est une technique permettant de combiner sur une
même image une action se déroulant en fond de plan filmée
antérieurement. Le premier plan est filmé en studio devant un
écran sur lequel est projetée, par derrière, l'image
représentant l'action de l'arrière-plan. La transparence est
l'inverse de la projection frontale qui est un procédé complexe -
avec un miroir concave et un miroir semi-transparent - où les images
censées représenter le décor au fond d'un plan sont
projetées frontalement sur un écran ; les personnages et les
objets situés au premier plan sont devant l'écran filmés
suivant le même axe. La fabrication d'un grand miroir concave
nécessitant un budget énorme, des améliorations techniques
furent réalisées à partir des années quarante,
notamment avec le Scotchlite.
* 302 Matériau
réfléchissant recouvert de milliards de micro-billes,
breveté par la société 3M, qui permet la projection
frontale à moindre coût mais dont la fragilité fut
critiquée
* 303 Ecran composé de
tuiles triangulaires en Scotchlite collées sur une toile de
Dacron et recouverte d'une pellicule de Mylar, donc moins fragile que le grand
écran en bandes de Scotchlite.
* 304 Système qui
permet de synchroniser les mouvements de deux zooms montés sur la
caméra et sur le projecteur d'un équipement de projection
frontale. Il fut utilisé pour le tournage de Superman (Richard
Lester, 1978).
* 305 Double projection
frontale sur un écran géant d'une part et sur un écran de
plus petite taille d'autre part. Ce procédé fut utilisé
notamment dans le film Outland (Peter Hyams, 1981).
* 306Le plan
composite (ou image composite) est un truquage où les
différentes parties d'une image (généralement les acteurs
et le décor) sont filmées séparément et
associées en laboratoire, notamment grâce aux
procédés cache-contrecache, connus des photographes dès
1850.
* 307 On retrouve cette
typologie des effets recherchés dans l'oeuvre de Georges
Méliès. Sur les quelque 500 films qu'il tourna entre 1896 et
1913, trois thèmes généraux se dégagent :
la féerie (Cendrillon, Le Palais des Mille et Une
Nuits, La Fée Libellule), la fiction scientifique
(Le Voyage dans la Lune, Le Voyage à travers l'impossible, 20 000
lieues sous les mers, La Conquête du pôle), l'histoire
(L'Affaire Dreyfus, La Civilisation à travers les
âges). .
* 308 Le Matte painting
consiste à remplacer par une peinture des portions de décor
qui n'existent pas, autrement dit à rallonger un décor par une
peinture réaliste dans un objectif de réduction des coûts.
Avec le numérique, les images de synthèse ou les photographies
des lieux réels complètent les décors
réalisés en petite dimension.
* 309 Le warping
(déformation) consiste à étirer une partie de l'image
afin de donner au sujet (objet ou acteur) un aspect plus ou moins
réaliste.
* 310 Le morphing
revient à déformer, progressivement, une image en une autre de
manière continue pour créer l'illusion d'une transformation, par
exemple pour transformer un être humain en un monstre terrifiant, ou une
2CV en une voiture de sport, etc.
* 311 Norbert Multeau (2001,
p.207) : « Les réalisateurs sont concurrencés,
parfois dépassés, d'un côté par la violence et la
barbarie réelles de notre époque, de l'autre par
l'évolution des sciences et la sophistication des techniques. Il leur
faut donc constamment surenchérir dans la terreur, et dans le
perfectionnement des effets de terreur. Ces infinies possibilités de
trucage et de maquillage, appelées « effets
spéciaux », ont donné naissance à un Grand
Guignol toujours plus réaliste et plus saignant, nommé
Gore ».
* 312 In Chardère
(1995, p.369)
* 313 In Albéra (1996,
p.17)
* 314 Le bonimenteur
commentait le film muet pour faciliter sa compréhension. Le
besnhi, dans le cinéma muet japonais, allait plus loin :
il improvisait les dialogues en imitant les voix des personnages.
* 315 Dès 1928,
Eisenstein imaginait des rapports de non-coïncidence entre l'image et le
son et prônait « la création d'un nouveau
contrepoint orchestral d'images-visions et d'images-sons ».
* 316 Pourtant Chaplin
était plutôt hostile au parlant : « Le
parlant ? On peut dire que je le déteste. Il signe l'arrêt de
mort du plus vieux et du bel art du monde, celui de la pantomine » in
Bordat (1998, p. 266) : « Chaplin, en 1929, dit tout le mal
qu'il pense des talkies. ». Il pensait surtout que son
personnage de Charlot n'en survivrait pas : « Le premier mot
qu'il prononcerait ferait de lui quelqu'un d'autre » (Chaplin, 1964,
p.361). Car, en réalité, il s'est toujours
intéressé au parlant avant de l'utiliser pleinement, pour la
première fois, dans son film Le Dictateur (1940). Comme
l'écrit Deleuze (1983, p.336), Chaplin est de ceux qui « en
ont fait un usage radical, original ».
* 317 Lacombe et Porcile
(1995, p.239-240) : « Il peut être au départ de pure
contradiction : « Il me semble qu'il faudrait avec les mots
dire je vous aime, mettre une musique qui dise je m'en fous » a
déclaré Jean Renoir. (...) De ce type de contradiction
apparemment sommaire, François Truffaut fit une belle utilisation dans
Tirez sur le pianiste (1966) où la voix intérieure de
Charlie annonce exactement le contraire de ce qu'il va faire la seconde qui
suit. Contradiction de sens qui peut s'exprimer aussi par une opposition de
couleur, de timbre.(...). Contrepoint de timbre et d'intensité qui
représente en fait le contre-pied des habitudes courantes en
matière de musique de film. »
* 318 Boris Eikhenbaum (in
Albéra, 1996, p. 44) cite « l'histoire de ces sourds muets
qui, assistant à une projection en Angleterre, avaient protesté
contre la teneur des dialogues prononcés qui ne correspondaient
absolument pas à l'action sur l'écran. Pour eux le cinéma
était un art plus « verbal » que le
théâtre où, en raison des conditions du spectacle (distance
entre la scène et le spectateur), ils ne pouvaient pas voir nettement
les mouvements articulatoires ».
* 319 Certains auteurs
préfèrent parler de paroles
* 320 Dans un film narratif,
la diègèse est, rappelons-le, le pseudo monde de l'histoire
racontée dans le film. Elle comprend tous les événements
qui sont présentés aux spectateurs mais aussi ceux qui sont
supposés avoir été présentés ainsi que ceux
ne sont pas montrés à l'écran mais qui appartiennent
à l'espace-temps du récit.
* 321 Le flashback
sonore consiste à associer une image du présent avec un son du
passé
* 322 Le flashforward
visuel consiste à associer une image du futur avec un son du
présent
* 323 Le pont sonore se situe
soit au début d'une scène, soit à la fin d'une
scène. Au début, il s'agit d'un débordement du son
(musique, bruits, voix, etc.) de la scène précédente. A la
fin d'une scène, le son de la scène suivante débute avant
qu'elle ne soit terminée. Le pont sonore est généralement
utilisé pour créer des transitions plus fluides ou pour
surprendre et désorienter le spectateur.
* 324 Le chevauchement sonore
est un raccord de montage qui consiste à conserver les sons d'un plan A
sur les images d'un plan B qui, bien sûr, n'en montre plus la source.
* 325 Le flash-forward sonore
consiste à prendre un son futur (par exemple du plan 13) pour
accompagner les images d'un plan antérieur (par exemple du plan 2).
Jean-Luc Godard l'utilise dans Bande à part (1964) : le
rugissement d'un tigre est entendu, en hors champ, plusieurs plans avant que le
spectateur ne voit l'animal.
* 326 Le flashback visuel
consiste à montrer des images du passé avec un son du
présent, généralement le son de l'action en cours qui se
prolonge nonobstant le flashback visuel.
* 327 Laurent Jullier (1995,
p.7-8) : « Depuis le début des années
quatre-vingt, la théorie du cinéma s'intéresse de
près à la composante sonore des films. (...) La vague
structuraliste elle-même, et pour être plus précis le
courant sémiologique qui se proposait, dans les années soixante,
d'adapter les méthodes de la linguistique structurale à d'autres
objets que le langage verbal, avait à peine effleuré le sujet.
C'est que la bande-son ne se présente pas comme un objet
découpé, ainsi que peuvent l'être une phrase avec des
blancs entre ses mots, ou même une image dont les quatre bords tranchent
les objets pris dans le cadre et induit une dialectique champ/hors champ.
(...) Jusqu'à une date récente, la parade favorite
des chercheurs consistait à choisir comme objet d'étude des sons
filmiques un peu particuliers (...) En premier lieu, la voix qui sert de
support aux mots et permet à l'analyste de convoquer toute une batterie
d'outils théoriques élaborés par la linguistique et la
narratologie, sans oublier la psychanalyse ; en second lieu la musique, de
manière plus marginale car ces chercheurs étaient plus
fréquemment linguistes que musicologues. »
* 328 interrogé par
Ciment (2003, p.325)
* 329 Belà Balazs,
Theory of the Film, Dover Publication, 1970, p.212, cité par Odin (1990,
p.239-240)
* 330 ajout de sons
après le montage des images : doublage des voix, musique
diégétique et bruits. La postsynchronisation est l'inverse du son
direct qui est un son enregistré en même temps que sa source est
filmée.
* 331 Le mixage consiste
à regrouper divers éléments, sons et images, sur un
même canal : bande magnétique, fichier vidéo type AVI
ou, pour les films cinématographiques, un support celluloïd
* 332 d'Hugues (1999,
p.27-28) : « La Paramount préféra
opérer sur place, en choisissant de s'implanter dans la banlieue
parisienne et en engageant, à grands frais, ce qu'elle pensait
être les meilleures équipes françaises du moment :
scénariste, réalisateurs, comédiens et techniciens....La
Paramount française s'installa à la hâte dès 1930
à Joinville-le-Pont, pour exploiter au plus vite la vogue
immédiate et irrésistible du cinéma parlant. ...
Chaque film était réalisé en deux ou trois
versions, au minimum, et souvent, en une demi-douzaine, les équipes de
chaque nationalité se succédant sur le plateau à un rythme
accéléré. »
* 333 Jean Cocteau, Ce soir,
12 juillet 1938, cité par Lacombe et Porcile (1995, p.235)
* 334 Type de synchronisation
entre d'une part la musique et les voix des personnages de films d'animation ,
d'autre part leurs mouvements, dont le but est d'atteindre une coordination
parfaite, qui fut développé par Walt Disney dans les
années trente.
* 335 Litwin (2002,
p.187) : « Glossaire. Correspondance :
Mise en rapport d'un événement musical et d'un
événement cinématographique pour illustrer ou appuyer
dramatiquement ce dernier. Lorsque les deux passages exigent un suivi à
la seconde près ou qu'ils présentent des événements
ponctuels ou instantanés, la correspondance devient
synchronisme ».
* 336 interrogé par
Ciment (2003, p.30)
* 337 Marcel Pagnol, L'Eau des
sources, tome 1 et tome 2. Marcel Pagnol les mit en scène au
cinéma sous le seul titre de Manon des Sources en 1953.
Cette version originale durait 3H20 et fut interprétée par
Jacqueline Pagnol, Raymond Pellegrin et Rellys.
* 338 Claude Bailblé
(1979, p.53) cité par Jullier (1995)
* 339 La prosodie est la
musique des mots, la quantité et la mélodie des sons.
* 340 Opritescu (1997,
p.131) : « Le commentaire a par contre un rôle de tout
premier plan dans le cinéma documentaire et les sujets de reportage
où il fonctionne comme un squelette logique. »
* 341 Lacombe et Porcile
(1995, p.23-24) : « Les directeurs de salle de prestige ne se
satisfaisaient pas seulement de la présence d'un orchestre. Ils
voulaient offrir aux spectateurs une vraie bande sonore. Charles Vanel
évoque cet aspect : « Le bruitiste, comme le
baptisa la presse de l'époque, était loin d'être un
minus ! (...) Il créait l'illusion parfaite, faisant arriver le
cheval au galop et le train en gare, lever l'ancre du navire, s'écrouler
une maison, tirer des salves d'artillerie (...). Tu comprends, petit, disait
Barat, « ils en ont plein la vue, mais il faut leur en mettre plein
les oreilles ! ». Il y avait là les cloches, les
chaînes, la sphère de tôle avec des plombs à
l'intérieur ...pour les vagues ; une planche à roulettes
tournant sur une plaque de tôle ...pour le train, des cordes à
vilon tendues sur une toile métallique pour la brise
légère ou le vent de tempête selon le doigté. Ce
Barat était un as. »
* 342 Vendus dans le commerce.
Il existe également des sites Internet spécialisés dans
les bruitages libres de droit, tels que
www.findsounds.com et
www.luunerouge.org/sons
.
* 343 Exemples cités
par Lionel Allorge (2003, p.527-528)
* 344 Lacombe et Porcile
(1995, p.15) : « Ce 28 décembre 1895 (...) la lanterne
magique n'était pas sans avoir déjà une dimension sonore.
Elle cliquetait, vrombissait et résonnait du fonctionnement de ses
engrenages mécaniques. Sans oublier le contrepoint sonore que
représentait le public. Non contemplatif, il exprimait par la voix et
des bruits divers ses émotions ou son amusement devant cette nouvelle
attraction). » (...) p.16 : « Pour l'heure, la
musique est en dehors de la salle. Fanfares constituées, bateleurs ou
hommes-orchestres s'efforçaient d'attirer le badaud »
* 345 Selon les genres,
burlesque, dramatique, historique ou documentaire, l'instrumentaliste,
généralement un pianiste, choisissait des
« tempi ». « Inconsciemment, en accumulant les
redites et les pléonasmes, les pianistes des circuits d'exploitation du
XXème siècle créaient une sorte de répertoire.
Mieux ils imposaient et codifiaient des habitudes de mise en
situation musicale.. » (Lacombe et Porcile, 1995, p.26)
* 346 Bordat (1998,
p.301) : « Chaplin composa dans sa vie une centaine de chansons.
Beaucoup sont reprises dans les rééditions sonores de ses films
(...) Le cinéaste a signé toutes les musiques de ses films
à partir des Lumières de la ville, (1931) puis celles
des rééditions sonores de ses oeuvres du muet. »
* 347 Aumont et Marie (2000,
p.151) : « La principale fonction de la musique des films
commerciaux moyens est d'accentuer l'effet d'unité recherché par
ailleurs également au niveau de la narration et de l'image.
D'innombrables films américains de « série
B », dans les années 40 et 50, ont ainsi une bande-musique
quasi ininterrompue, soulignant ici ou là tel
événement ».
* 348 « Il
connaît d'autant mieux les limites de l'image qu'il a été
dessinateur de sous-titres pour films muets entre 1920 et 1922 avant de passer
à la réalisation » (Eugène, 2000, p. 13)
* 349 1929-1938 avec des
films tels que : L'Homme qui en savait trop (1934), Les
Trente-neuf Marches (1935), Quatre de l'espionnage (1935)
* 350 Tony Thomas, Music for
the Movies, New York, A.S. Barnes, 1973, cité par Eugène (2000,
p.15)
* 351 Une musique originale
définit une partition lorsqu'elle est composée
spécialement pour le film. On la distingue de la musique du
répertoire qui est une oeuvre musicale existante que l'on inclut dans le
film et de la musique dite au mètre que certains éditeurs
proposent dans leurs catalogues généralement
spécialisés par genre : musiques pour l'aventure, musiques
romantiques, musiques pour le sport, etc.
* 352 « Ces
impressions marginales ne passent pas l'attention mais elles arrivent pourtant
à son cerveau et imprègnent son esprit. Les automobilistes
connaissent bien cette perception marginale qui leur permet de conduire tout en
pensant à autre chose » (Litwin, 1992, p. 91-92)
* 353 Il appelle registre le
caractère que la musique transmet : joie, plaisir, nostalgie,
tristesse, angoisse, peur, mais aussi amour et exaltation.
* 354 Selon lui, dans une
certaine mesure, la correspondance entre ces émotions et les images
musicales qui les provoquent peut être expliquée par des lois
musicales ou acoustiques.
* 355 Sandrine Mollet, VSD,
n°1458, 3 au 9 août 2005, p.28
* 356 Adrian Piotrovski,
« Vers une théorie des ciné-genres », in
Albèra (1996, p.143- 162)
* 357 Bernard Tavernier et
Jean-Pierre Coursodon, 5O ans de cinéma américain, N,
1991, 2 volumes in LIANDRAT-GUIGUES, Suzanne, LEUTRAT, Jean-Louis, op.cit.,
p.114-115
* 358 La screwball
comedy posséderait un caractère farfelu et absurde alors que
la sophisticated comedy serait fondée sur des
ressorts essentiellement psychologiques.
* 359 Jean-Claude Romer, l'un
des meilleurs spécialistes du genre, distingue six catégories de
films fantastiques : 1- le fantastique proprement dit avec des
phénomènes incompatibles avec les lois naturelles
(fantômes, sorcières, maisons hantées) ; 2- la
science-fiction dans laquelle l'intelligence humaine intervient pour
créer des phénomènes incompatibles avec les lois
naturelles (voyages intergallactiques, etc.) ; 3- l'anticipation (univers
futuriste) ; 4- l'insolite (erreurs de perception) ; 5- le
merveilleux (contes de fées, mythologie, extravagances
poétiques) ; 6- l'épouvante ou l'horreur. « Le
point commun à tous, qui est une composante essentielle du
fantastique : la peur. Le frisson est l'essentiel du plaisir que procure
un film fantastique» (Multeau, 2001, p.206-207)
* 360 Philippe Rouyer
définit « le cinéma gore comme un sous-genre de
l'horreur qui soumet la thématique du film d'horreur à un
traitement formel particulier ; à intervalles plus ou moins
réguliers, la ligne dramatique du film gore est interrompue ou
prolongée par des scènes où le sang et la tripe
s'écoulent des corps meurtris et mis en pièces »
(Rouyer, 1997, p19)
* 361 Certains auteurs
considèrent que suivant les pays, différents styles de
cinéma apparaissent clairement et que les films produits en Europe et
aux États-Unis prétendent, en général, montrer des
scènes vraisemblables ; alors que ce n'est pas le cas dans les
cinémas d'autres cultures, notamment dans les films produits en Inde,
où la vraisemblance de l'action n'est pas primordiale.
http://fr.wikipedia.org/wiki/Cin%C3%A9ma
* 362 800 films sont produits
par an à Bombay (Etat du Maharashtra) surnommé Bollywood. 150
millions d'Indiens fréquentent chaque semaine les salles de
cinéma.
* 363 Citations reprises de la
présentation écrite du film Lagaan de Ashutosh Gowariker
(2001) qui a obtenu sept prix aux Oscars indiens 2002, les Zee Cine
Awards, et qui a connu un très grand succès commercial aux
Etats-Unis et en Grande Bretagne où il fut le premier film indien a
entré dans le Top Ten britannique.
* 364 Bibliothèque du
film, 100 rue du faubourg Saint-Antoine, 75012 Paris
* 365 Jean-Marie Schaeffer,
Qu'est-ce qu'un genre littéraire ?, Paris, Seuil, 1989, p.80-115
cité par Moine (2002)
* 366 En
réalité, les 5 W de Laswell sont : WHO says WHAT through
WHAT CHANNEL to WHOM with WHAT Effect, ce qui se traduit par QUI dit QUOI par
Quel canal à QUI avec Quel effet ?
* 367 Pour un catalogue
détaillé des éléments sémantiques du
western, voir Jean-Louis Leutrat et Suzanne Liandrat-Guigues, Les Cartes de
l'Ouest. Un genre cinématographique : le western, Paris, A. Colin,
1990, p11-73
* 368 Rick Altman, La
Comédie musicale hollywoodienne, Paris, A. Colin, 1992
* 369 Altman définit la
comédie musicale à partir de cinq paramètres
sémantiques et de cinq paramètres syntaxiques, chacun des deux
niveaux renvoyant évidemment à l'autre. (Altman, 1992,
p.117-126).
Les cinq critères sémantiques sont :
- le format : la comédie musicale est un récit
(une histoire) ;
- la longueur : la comédie musicale doit
intégrer plusieurs chansons au récit et seule la forme du long
métrage le permet en général ;
- les personnages : l'intrigue est construite autour d'un
couple d'amoureux dans une société humaine ;
- le jeu de comédiens : il combine le réalisme
(comportement non dicté par la musique) et les mouvements rythmiques
(comportement dicté par la musique) ;
- la bande sonore : la comédie musicale mêle
les sons qui composent la musique et ceux qui sont extérieurs à
l'expression musicale.
Les cinq paramètres syntaxiques sont :
- la stratégie narrative : le film procède par
alternance, confrontation et parallélisme entre personnages de sexe
opposé, chacun d'eux étant porteur d'une valeur culturelle
distinctive.
- Le couple/récit : la comédie musicale
établit une relation de cause à effet entre la formation
réussie du couple et le succès de péripéties.
- La musique/récit : la musique et la danse sont des
agents actifs de la production du sens. Elles expriment la joie individuelle
ou collective.
- L'image/son : la comédie musicale inverse la
hiérarchie du récit classique entre image et son aux
dépens de l'image.
* 370 Altman (1992,
p.132-133)
* 371 Rick Altman, Film/Genre,
Londres, BFI, 1999
* 372 Adrian Piotrovski,
« Vers une théorie des ciné-genres », in
François Albéra(dir.), Les formalistes russes et le
cinéma. Poétique du film, Paris, Nathan, 1996,
p.144 : « On appellera ciné-genre un ensemble de
procédés touchant à la composition, au style et au sujet,
liés à un matériau sémantique et à une
visée émotionnelle spécifiques, mais entrant
entièrement dans un système générique précis
de l'art, celui du cinéma. Pour établir les ciné-genres
(...), nous examinerons donc l'utilisation de l'espace, du temps, des hommes et
des objets, en fonction des différents genres, du point de vue du
montage et de la photogénie ; la disposition des parties du
sujet ; les rapports qui s'instaurent entre les différents
éléments à l'intérieur du
genre »
* 373 Moine (2002,
p.48) : « Une telle approche privilégie les
scénarios des films au détriment de leurs images. Le reproche
inverse pourrait d'ailleurs être formulé à l'encontre des
analyses iconographiques qui définissent les genres par la
récurrence d'images symboliques dotées d'une même
signification d'un film à l'autre : le cheval au galop dans le
désert ou la figure de John Wayne pour le western, le sabre et le kimono
pour les films d'arts martiaux, la gabardine du privé ou du commissaire
pour le film policier, le vaisseau spatial dans l'espace intersidéral
pour le film de science-fiction, etc. »
* 374 Moine (2002,
p.61) : « On affirme souvent que les genres sont au
cinéma un modèle efficace de production industrielle parce qu'ils
offrent aux producteurs une formule qui précède et programme la
production industrielle : en appliquant à un sujet nouveau une
recette éprouvée qui garantirait le succès d'un film, les
producteurs minimiseraient les risques et rationaliseraient la
production. »
* 375 Bordwell et Thompson
(2000, p. 77) : « Le mélange de genres est courant dans
les films populaires. Il y a des westerns musicaux (les films de Roy Rogers,
avec leurs cowboys chanteurs), des mélodrames musicaux (Yentl,
Barbra Streisand, 1983), des films d'horreur musicaux, etc. Alien est une
combinaison de films d'horreur, de film de science-fiction et de thriller
(Alien, Ridley Scott, 1979). »
* 376 Moine (2002, p.83) :
« Il arrive donc que le régime spectatoriel ne rencontre pas le
régime auctoriel. Dans ce cas les attentes génériques,
déçues, rendent impossible l'interprétation du film, si
elles ne sont pas relayées par un autre système
d'interprétation : par exemple, un certain nombre de spectateurs de
La ligne rouge (Terence Mallick, 1998), qui est sorti sur les
écrans peu de temps après le succès du film de guerre
Il faut sauver le soldat Ryan ( Spielberg, 1998), s'attendaient,
à cause de cette proximité temporelle et parce que l'affiche et
le thème du film ne pouvaient le laisser penser, à voir un film
de genre - un film de guerre. Comme j'ai pu moi même en juger par les
réactions mécontentes et impatientes de la salle (l'action
attendue ne venait pas), suivies de nombreux départs, le réglage
des régimes auctorial et spectatoriel, qui était
inadéquat, n'a pu se faire par la suite. »
* 377 Sachant que le
générique peut être sur fond d'image(s) fixe(s) ou
mouvante(s) ; qu'il peut également être
placé quelques instants après le début du
film.
* 378 Vanoye et
Goliot-Lété proposent, dans un encadré, une sorte de
grille d'analyse d'un générique de film.
* 379 Eugène (2000,
p.163-163) : « Pour Hitchcock la musique doit se justifier
(...) Certaines séquences où le silence nous surprend parce qu'un
autre cinéaste et son compositeur auraient mis de la musique, là
où le silence presque total au point devenir ...assourdissant
crée le suspense que le maître recherchait ».
* 380 Même si l'un de
ses rédacteurs, Lars Von Trier, considère que le Dogme est avant
tout une liste écrite de règles : « je pense que tout
cinéaste, consciemment ou non, travaille avec ses propres règles.
Disons que moi j'appelle ça des règles, et que d'autres appellent
ça ...un style. » (Lars Von Trier, in Tirard, 2004, p.155).
* 381 Bordwell et Thompson
proposent une méthodologie d'analyse de style en quatre
étapes principales : voir annexe I.
* 382 Or, « pour le
critique littéraire allemand Hans-Robert Jauss (Hans-Robert Jauss,
Pour une esthétique de la réception, Paris, Gallimard,
1978), le sens d'une oeuvre se construit par un dialogue entre le texte
lui-même et le lecteur. L'oeuvre cesse ainsi d'être
considérée, à l'instar des structuralistes, comme un
système clos, indépendant de sa situation de production.
L'intérêt de cette théorie est que l'analyste prend en
compte la polysémie du texte, chaque lecteur (en fonction de sa position
sociale, culturelle et de son identité sexuée) pouvant
réaliser une lecture différente. La réception d'une oeuvre
est soumise à un double « horizon d'attente » pour
le lecteur (ou le spectateur), en fonction de sa culture (pas seulement
cinématographique) mais également de son expérience de sa
vie quotidienne » (Brassart, 2004, p.20-21)
* 383 En ce qui concerne le
cinéma, l'analyse de la réception d'un film pourrait faire appel
à des outils sociologiques qui nous permettraient de mener à bien
une enquête auprès d'un certain nombre de spectateurs pendant ou
après la projection. Outre les problèmes que peuvent poser cette
méthode (nous connaissons tous la difficulté de donner un avis
clair sur un film juste après la projection...Nous avons
été contraints d'adopter une démarche moins
scientifique. » (Brassart, 2004, p.20-21)
* 384 « Puis
à la libération, des ciné-clubs d'adultes ont
fonctionné (...) Nous avons présenté des films, tous les
mois. Beaucoup de gens venaient : des étudiants, des professeurs,
des avocats, des médecins. Tout le monde parlait : c'était
l'anarchie de joutes verbales subjectives ; la notion de ciné-club
structuré, méthodique et pédagogique, n'avait pas
cours. »
* 385
http://enfa.mip.educagri.fr/agri-culture/Ressources/document/image-mouvement.html
* 386 Ce film, en 35
millimètres, est en noir et blanc et a dans sa distribution
artistique : Jean Réno, Maïté Nhayr et Vernon
Dobdtcheff. Les dialogues sont en volapük : langage
international composé d'éléments de différentes
langues. Selon Bessière (2000, p.4), « ces dialogues en
volapük traduisent chez Didier Flamand un désir bien venu de
travailler la notion de langage en
général ».
* 387 Ce court métrage
fut primé dans de nombreuses manifestations en France et à
l'étranger (Prix SACD en 1998, nominé aux Césars en
1999)
* 388 ARMANDET, Yves,
AUCOUTURIER, Annie, BRISSE, Joël, et al., Apprendre à lire les
images en mouvement, CD Rom et cassette
vidéo du court métrage Les pinces à linge de
Joël Brisse, Clermont-Ferrand, Sauve Qui Peut le Court Métrage,
CRDP d'Auvergne, 2000
* 389 Othnin-Girard (1993,
p.17-32) : « Le scénario est un traitement du sujet dans
sa continuité (...) Le découpage fournit en principe des
indications précises sur le traitement cinématographique des
diverses séquences du film. Il peut revêtir différents
aspects. Le découpage technique précis, comportant pour chaque
séquence, plan par plan, la description des positions de caméra,
des tailles de plans (plan général, plan américain, etc.),
des mouvements de caméra (travelling, panoramique, grue, etc.). Le
découpage sous forme de story board, constitué de
dessins reproduisant les plans et mouvements de caméra souhaités
par le réalisateur », etc.
* 390 Notamment : Cieutat
(1991), Linder (1994), Pinel (1995), Rapp et Lamy (1999), etc.
* 391 Sidney Field,
Screenplay, The foundations of screenwriter's handbook, A step-by-step guide,
Delta Book, Dell Publishing Co, New York, 1979 in Chion (1985)
* 392 Un mariage de Robert
Altman, 1978
* 393 Sauf pour les versions 4
et 5
* 394 et bien d'autres
réalisateurs comme Alfred Hitchcock, etc.
* 395 Le dispositif
cinématographique est composé de la salle de cinéma, de
l'écran et de la cabine de projection située dans le dos des
spectateurs et projetant les images par-dessus leur tête. De cette
organisation matérielle de la projection résultent des effets de
la réception du film sur les spectateurs.
* 396 Le format normal du
récepteur télévisuel est de 1 x 1,35 (1 pour la hauteur et
1,35 pour la largeur). Pour éviter de perdre de la surface visuelle, par
des marges de noir au-dessus et en dessous de l'image, nous avons
décidé de tourner le film en format télévisuel et
de le monter sans réduction de l'image.
* 397 organisées avec
l'aide des membres du Ceric de l'Université Montpellier 3
Paul-Valéry
* 398 Pour plus de
détails, voir sur
http://www.cinenow.com/fr/formatcinefr.php3,
une animation sur les formats cinéma et leur diffusion sur des
écrans de télévision 4/3 et 16/9.
* 399 Des spots publicitaires
utilisent ce format, par exemple le film en faveur de la nouvelle Corolla de
Toyota dont l'idée publicitaire repose sur le fantastique et la
présence de monstres terrifiants mais aussi les spots en faveur de la
307 Peugeot et de plus en plus de marques qui cherchent à
générer une image de star....
* 400
http://www.son-video.com/Conseil/HomeCinema/FormatsCinema2.html
: « Le format 16:9 est conçu pour visionner les films
à la TV. C'est l'écran des cinéphiles. Son Ratio 1,77:1
est très proche du 1,85:1 et permet donc une anamorphose
légère (et quasi imperceptible). Même l'écran 16:9
ne restitue pas entièrement le format cinéma d'origine. On perd
ici le personnage de l'extrême gauche de l'image. Le choix du 16:9 tient
aussi au fait qu'il s'agit d'un multiple de 4:3 (4:3x4:3 = 16:9). Le format 4:3
(soit un ration de 1,33:1) ne peut donc reproduire qu'une partie de l'image
cinéma. Certains producteurs utilisent la technique "pan & scan"
pour conserver toute la hauteur d'image. Il faut alors déplacer le
cadrage pour conserver le personnage principal. La partie grisée de
l'image est perdue pour le téléspectateur ! Pour éviter de
recadrer l'image, on peut aussi insérer des bandes noires en haut et en
bas. C'est ce qu'on appelle le format cinéma du DVD. Notons, cependant,
que l'ajout de bandes noires est beaucoup moins gênant avec un
écran 16:9. »
* 401 Léon,
drame policier de Luc Besson, 1994
* 402 Film politique de
Costa-Gavras (1968) : Oscar du meilleur film étranger et du
meilleur montage 1969, Prix du Jury, Cannes, 1969
* 403 Rappel : vrai
cadre, vrai décor Espiguette, vrai bureau, AGF (tourné dans le
bureau du directeur d'AGF Montpellier, tournage en fin de journée
(19H-20H), Espiguette dans l'après-midi en décembre, tournage
novembre-décembre 2003
* 404 Rappel : il s'agit
de la première version du scénario 4 : le mari
intéressé
* 405 Rappel : il s'agit
de la deuxième version du scénario 4 : le mari
intéressé
* 406 Rappelons que cette
version avait généré le plus grand nombre de fins
possibles : solitude, alcoolisme, maî tresse, retour à la vie
normale, suicide, enquête policière, vengeance, remords, etc.
* 407 notamment les
spécialistes des études de marché et de marketing
* 408 Esquenazi (1994,
p.223-224) : « A chaque état du film correspond un
ensemble d'interprétations et d'attentes du spectateur vis-à-vis
du film. Comme si chacun de ces états définissait un point de vue
sur la « mémoire » du film et impliquait une
compréhension du passé du film et de son futur. Les états
de mémoire ne peuvent pas être séparés de ces
interprétations et attentes successives, qui manifestent le devenir du
sens du film (...) Les événements du film se succèdent,
prennent, plutôt que leur sens, du sens. Car ce sens ne
cesse pas d'être repris, réinterprété, traduit, sa
formation est toujours en cours. Il y a donc deux dimensions du sens : en
même temps que le spectateur interprète et comprend le film selon
les configurations qu'il forme, un mouvement survient qui fait voir cette
interprétation sous une nouvelle lumière ».
* 409 La critique de
cinéma est née pendant la Première Guerre Mondiale avec la
rubrique de Louis Delluc dans Paris-Midi. Certains critiques de talent ont fait
progresser la théorie du cinéma comme, par exemple,
André Bazin, Serge Daney.
* 410 Le film de série
B est apparu, dans les années trente aux Etats-Unis, alors que deux
films étaient successivement projetés à chaque
séance. A ce double programme, le film A à plus fort budget et au
meilleur casting était projeté avant le film B à budget
plus réduit. Cette pratique de programmation, bien que disparue, a
laissé l'expression « film de série B » pour
désigner un film de genre, réalisé avec des moyens
limités, et généralement de qualité
médiocre. Il n'en demeure pas moins vrai que certains films de
série B ont connu un réel succès commercial et sont
devenus de véritables films cultes.
* 411 Alexandre Chirouze a
écrit et réalisé un film de fiction d'une durée de
2 H18, en numérique, intitulé « Premières
Armes ». Ce film fut diffusé à plusieurs reprises sur
Canal Satellite et Free-box
* 412 Bien que cette
expression s'applique également au cinéma allemand, pour la
période entre 1945 et 1962, en RFA, selon Bernard Eisenshitz (2004,
p.78-86).
* 413 Bessières (2000,
p.4) insiste sur le fait qu' « il faut bien distinguer les
analyses de contenus (analyse du récit, bio/filmographie du
réalisateur, genèse d'écriture et de fabrication,
situation du film dans l'histoire du cinéma, dans les mouvements
esthétiques connexes qui l'auraient influencé -
littérature, musique, arts plastiques) de l'analyse stylistique
de l'oeuvre elle-même (l'organisation de l'image y compris dans son
rapport au son, le montage des articulations visuelles-sonores, la mise en
scène et la direction d'acteurs, l'appartenance à un genre avec
éventuellement des écarts de ton ».
* 414 BELLOUR, Raymond,
L'analyse du film, Paris, Editions Albatros, Collection CA Cinéma, 1989,
319 pages
* 415 Bellour, Raymond,
« L'analyse flambée », 1984, in Bellour, Raymond,
L'Entre-images, Editions de la Différence, 2002 : « Cela
ne tient pas seulement au défaut de génie des analystes, mais
surtout à la résistance inusitée du matériel. Cette
résistance a conduit trop souvent l'analyse de film à s'enfermer
sur elle-même. Aux illusions, aux fatalités propres à
l'accumulation et au ressassement du savoir, s'est ainsi ajoutée une
fascination particulière pour le cercle dans lequel depuis ses
débuts l'analyse de film n'a pas pu s'empêcher de tourner. Au
point qu'il lui arrive encore de se prendre pour ce qu'elle n'est pas. A dire
vrai, il n'y a plus, il ne devrait plus y avoir d'analyses de
film ».
* 416 Odin, Roger,
« L'analyse filmique comme exercice pédagogique »,
CinéAction, n°47, Cerf-Corlet, 1988
* 417 ZAMMOUR,
Françoise (dir.) , Les Annales du concours. Années 86/00, Ecole
Nationale Supérieure des Métiers de l'Image et du Son, La Femis,
2000, p. 29-31
* 418 « La limite
des six pages est dans la pratique une contrainte bien moins pesante que la
limite de temps. Avec le passage du temps, la vitesse de réflexion et
d'écriture, même entraînée, suit une courbe
descendante qui situe sa limite maximum approximative autour de six pages
justement ». (Opritescu, p.20)
* 419 Skorecki s'attaque en
réalité à la sémiologie du cinéma de
Christian Metz et à la Revue ça-cinéma, de ligne
structuraliste, marxiste et psychanalytique.
* 420 Gregory Currie,
Image and Min.Film, Philosophy and Cognitive Science, Cambridge
University Press, New York, 1995, p. XVIII ;
Trevor Whittock, Metaphor and Film, Cambridge University
Press, New York, 1990, p. 93 ;
Ian Jarvie, Philosophy of the film. Epistemology, Ontology,
Aesthetics,Routledge, 1987, p. XII et XIII ;
David Bordwell, «Preface», in Noël Carroll,
Theorizing the Moving Image, Cambridge University Press, New York,
1996, p. XII.
* 421 Les cours de
linguistique générale de Ferdinand de Saussure sont
publiés en 1916. Saussure voit la sémiologie (étude des
signes) comme une science générale.
* 422 Gerverau (2004,
p.23-24) : « Les considérations de logique de Peirce
n'auraient pas eu grande conséquence sur l'étude de l'image si,
après la Seconde Guerre Mondiale, Algirdas Julien Greimas et Roland
Barthes, alors enseignants, ne s'étaient rencontrés à
Alexandrie. Greimas fait lire en effet à Barthes Ferdinand de Saussure.
(...) Cette rencontre capitale provoque - avec Claude Levi-Strauss et le
structuralisme qui lie anthropologie et linguistique - une prise de conscience
méthodologique. Par ailleurs, à la suite des travaux du Belge
Eric Buyssens (Les langages et les discours, 1943), Luis-J. Prieto (Messages et
signaux, 1966) développe une sémiologie du signal (enseigne,
logotype, diagramme, code de la route, numérotation de chambre
d'hôtel...). Ainsi, Prieto et Barthes, tous deux héritiers de
Saussure, s'intéressent, l'un à des images codées vecteurs
de communication, l'autre davantage à des phénomènes
sociologiques ».
* 423 Joly, Martine,
« Sémiologie de l'image », in Mucchielli A. (dir.),
Dictionnaire des méthodes qualitatives en, sciences humaines et
sociales, 1996, pp. 208-214
* 424 de Saussure, Ferdinand.,
Cours de linguistique générale, Paris, Payot,
3ème édition, 1969
* 425 Comme Buyssens, Mounin,
Martinet, Prieto, etc.
* 426 Parmi les premiers
représentants de ce courant, citons Roland Barthes et Christian Metz en
ce qui concerne l'image et le cinéma ainsi que l'Ecole de Paris avec
Greimas.
* 427 Prieto Luis.J.,
Messages et signaux, Paris, Presses Universitaires de France, 1969,
p.30
* 428 Eco U., Le signe, Paris,
Le Seuil, 1990, p.47 et sv., in Meunier et Peraya (1993, p.35)
* 429 Liandrat-Guigues et
Leutrat (2001, p.34-35) : « Hitler confie la direction et le
contrôle du cinéma du Troisième Reich à Goebbels,
pour qui « la propagande cesse d'être efficace à
l'instant où sa présence devient visible ». (...)
« Luis Trenker, Hans Steinhoff, Veit Harlan, Leni Riefenstahl ont
été les cinéastes officiels du régime nazi. Le
cinéma américain a été l'un des meilleurs
propagateurs de l'image positive des Etats-Unis et de l'idée de
l'American Way of life était la solution idéale pour le
monde entier. Le cinéma a servi à caricaturer l'adversaire et
à le rendre haïssable (le Japonais, le bolchevik, l'alien,
le juif, l'Allemand, etc.) »
* 430 Préface de
Bertin-Maghit et Fleury-Vilatte (2001)
* 431 in De Voghelaer (2001,
p.37)
* 432 De Voghelaer (2001,
p.117) : « Goebbels, selon Veit Harlan, intervient autant dans
le découpage, le tournage que dans le montage du film. Quoiqu'il en soit
la patte de Veit Harlan est facilement reconnaissable à travers, par
exemple, les scènes de foules avec des figurants innombrables,
trouvés pour la plupart dans les ghettos »
* 433 Ce nom change en 1945
pour devenir la MPAA
* 434 Pecha (2000,
p.23-24) : « Ils en proposent la direction à William Hays
(ancien ministre des Postes du président Harding). Hays raconte dans ses
mémoires qu'il se décide réellement un matin de Noël
lorsqu'il voit son fils et ses neveux se disputer pour savoir qui aura le
rôle du héros William S. Hart quand ils joueront aux
cow-boys : « J'ai réalisé en ce matin de
Noël, que les films avaient une aussi forte influence sur nos enfants et
sur d'innombrables adultes que la presse. Cela a confirmé mes sentiments
et mes peurs que la formidable industrie cinématographique puisse aussi
facilement corrompre nos futures générations que leur donner une
influence bénéfique. ». (...) Le Hays Office
se met alors au travail. »
* 435 Pecha (2000,
p.33) : « Hays et ses adjoints estiment que les metteurs en
scène peuvent mettre par exemple autant de sexe dans leurs films qu'ils
le souhaitent du moment qu'ils prennent la précaution de ne pas le
glorifier ou même de l'excuser. De même le péché peut
être montré du moment que son auteur est puni. Le mal doit
toujours être puni....Ainsi, l'un des principes généraux
issus du code est que quelle que soit l'histoire filmée, à la
fin, le gentil doit gagner et le méchant doit perdre et être
sévèrement puni. On peut faire ici la relation avec les fameuses
happy endings (fins heureuses) du cinéma
hollywoodien. Ce que Hays veut et accepte, c'est que le public puisse voir par
exemple 80 minutes de vices mais alors que lors des dernières minutes
tout cela soit renié et critiqué. »
* 436 Production Code
Administration
* 437 Pecha (2000) cite
plusieurs exemples d'excès et de dérives, notamment des souvenirs
de Raoul Walsh « A mes débuts, on me supprimait
régulièrement presque une bobine par film. Il était
extrêmement difficile de montrer quoi que ce soit pendant une
scène d'amour. On ne pouvait par exemple faire figurer un lit dans le
décor, même s'il se trouvait au fond du plan. Un garçon et
une fille ne pouvaient pas s'embrasser pendant plus de trois
secondes. » Mais aussi, le fait que Le réalisateur Douglas
Sirk se plaint que les décolletés soient mesurés et qu'il
doit utiliser un mètre pour savoir si celui de Lana Turner ne
dépasse pas les deux centimètres autorisés. »
* 438 Valantin (2003,
p.18) : « Les modalités de coopération entre
l'appareil de sécurité et les grands studios sont multiples,
complexes et ne cessent de s'accroître au fil des décennies. Elles
concernent toutes les étapes de la production : la
coopération est logistique, mais implique aussi des réalisateurs,
des scénaristes et des acteurs assez largement spécialisés
dans ce genre particulier. L'armée peut fournir des matériels,
des entraînements, des plates-formes de combat (aussi bien des
régiments de chars que des escadrilles d'avions ou des porte-avions).
Le début des années 80, avec l'offensive
reaganienne idéologique, politique, technologique, financière et
médiatique contre « l'empire du mal » a
renforcé cette tendance. D'importants réalisateurs comme James
Cameron, John Milius, John McTiernan, Richard Donner, Tony Scott, Edward Zwick,
Oliver Stone, Philip Noyce se sont imposés entre 1983 et 1994 en
réalisant certains des films les plus forts de cette catégorie,
comme Rambo II (1985) et Rambo III (1988), Alien, le retour (1986), Top Gun
(1986), Predator (1987), Piège de cristal (1988), Glory (1990), A la
poursuite d' « Octobre rouge » (1990)
... »
* 439 D'Hugues (1999) : « En avril
1948 , Maurice Thorez dénonçait dans un discours le cinéma
américain qui « non content de réduire nos techniciens
au chômage, empoisonne littéralement l'âme de nos enfants,
de nos jeunes gens, de nos jeunes filles, dont on veut faire des esclaves
dociles des milliardaires américains.. »
* 440 La liste des dix
d'Hollywood : Bessie Alvah, Biberman Herbert J., Cole Lester, Dmytryk Edward,
Lardner JR Ring, Lawson John Howard, Maltz Albert, Ornitz Samuel, Scott Adrain,
Trumbo Dalton.
* 441 Valentin (2003,
p.138) : « Le pouvoir cinématographique ne peut se
permettre de s'aliéner le public (en allant contre le consensus
forgé par les attentats, qui s'est établi en faveur des positions
de l'administration Bush).
Cette prudence est à l'origine de la décision de
différer la sortie de deux grosses productions portant sur le
thème du terrorisme, La Somme de toutes les peurs (2001) de
Phil Alden Robinson et Dommage collatéral (2001) d'Andrew
Davis. Ces deux films, produits et réalisés à la fin de
la période Clinton, donc avant les attentats, deviennent des objets
politiques très sensibles en raison de l'incapacité, aussi bien
des spécialistes de l'opinion publique de la Maison-Blanche que des
responsables de marketing des grands studios, à anticiper les
réactions du public. »
* 442 D'Hugues (1999,
p.46) : « En deux ans, redevenu maître chez lui, bien
avant la Libération, le cinéma français avait quasiment
chassé l'envahisseur (américain) de ses écrans. Avec deux
cent quatre-vingts millions de spectateurs en 1942 et plus de trois cents
millions en 1943, il pulvérisait les records de fréquentation
d'avant-guerre. ...C'est dire l'attrait de cette production nationale pour son
public, un public à qui le cinéma américain semblait en
somme n'avoir pas trop manqué. »
* 443 « Il n'y a pas
dans le film un seul passage sans originalité technique »
écrivait Léon Moussinac, en 1927, qui pourtant a également
prétendu, avec d'autres, que le Napoléon était un
film fasciste (Rapp et Lamy, 1999, p.841-842)
* 444 Venus Aveugle,
1943 : un mélodrame avec Viviane Romance.
* 445 Max Ferro,
préface de Bertin-Maghit et Fleury-Vilatte (2001) :
« Jean-Luc Godard notait naguère que la France a produit de
grands cinéastes, mais pas de grand cinéma. Par là, il
voulait dire qu'aux Etats-Unis au contraire, tout en produisant des films
critiquant les travers de la démocratie et de la société,
le film n'avait pas manqué de chanter l'épopée des
Américains ».
* 446 Une
conquête qui selon lui est favorisée par l'attitude même des
professionnels du cinéma européen. « En plus de
l'hégémonie américaine et, parfois, du manque de moyens
suffisants, il n'est pas excessif de dire que le déclin actuel du
cinéma européen et français provient de ce qu'il a trop
cru habile de sacrifier à la vulgarité au misérabilisme,
au « beuroquartiérisme » ambiants, alors que, pour
la majorité de son public, le cinéma souhaité, attendu,
exigé comme une évasion, une échappée vers le
rêve, la beauté, la nostalgie ou la
gaîté. »
* 447 Colin Browne (in
Garel et Pâquet, 1992, p.173-187) : « Dans ses articles
pour L'Ami du peuple et dans son livre Un oeil neuf sur
l'Amérique, Paul Achard (Paul Achard, A New Slant on
America, Chicago, Rand McNally & Company, 1931, p.117) ne tarissait
pas de louanges envers les politiciens étasuniens qui voyaient dans ce
moyen d'expression une industrie lucrative. (...) Il a reproduit plusieurs
pages d'un discours de Will H. Hays, président de la Motion Picture
Producers and Distributors Association et lobbyiste le plus puissant de
l'industrie. La mission internationale de Hays consistait en la promotion du
cinéma hollywoodien pour des « raisons
idéologiques ». (...) « Séduit par les
battements de cils hollywoodiens, Achard s'est fait le porte-parole volontaire
de l'industrie cinématographique U.S. (...) « On a souvent
critiqué les Etatsuniens pour avoir fait du cinéma une
marchandise. Ce serait là un reproche justifiable s'il était
formulé par des gens capables de produire quelque chose à la fois
artistiquement et monétairement valable. Au lieu de nous glorifier de
notre mission qui veut purifier l'art, nous devrions constater l'échec
de notre capacité à en faire un succès rentable. Les
producteurs qui se sont emparés du cinéma en France n'ont pu en
faire ni de l'art et encore moins des profits ». (...) « En
France, nous avons trop souvent tourné des films d'élite
plutôt que de masse. N'y règnent ni art ni gaîté.
C'est par le rire, l'humour et la santé que le cinéma
étasuniens nous a conquis ».
* 448
Les quarante films analysés sont :
1. Compartiments tueurs (Costa-Gravas, 1965)
2. Le Pacha (Lautner, 1968)
3. Le Cercle rouge (Melville, 1970)
4. Dernier domicile connu (Giovanni, 1970)
5. Un Condé (Boisset, 1970)
6. Max et les ferrailleurs (Sautet, 1971)
7. Il était une fois un flic (Lautner, 1972)
8. Un flic (Melville, 1972)
9. Deux hommes dans la ville (Giovanni, 1973)
10. L'horloger de Saint-Paul (Tavernier, 1974)
11. Adieu Poulet (Garnier-Deferre, 1975)
12. Peur sur la ville (Verneuil, 1975)
13. Police Python 357 (Corneau, 1976)
14. Tendre Poulet (de Brocca, 1978)
15. Flic ou voyou (Lautner, 1979)
16. La Guerre des Polices (Davis, 1979)
17. La Femme Flic (Boisset, 1980)
18. Inspecteur La Bavure (Zidi, 1980)
19. Pile ou Face (Enrico, 1980)
20. Une sale affaire (Bonnot, 1981)
21. Garde à vue (Miller, 1981)
22. Une affaire d'hommes ( Ribowski, 1981)
23. La Balance (Swain, 1982)
24. Tir groupé (Missiaen, 1982)
25. Un Dimanche de flics (Vianey, 1983)
26. La crime (Labro, 1983)
27. L'Indic (Leroy, 1983)
28. Le marginal (Deray, 1983)
29. Liste noire (Bonnot, 1984)
30. Pinot, simple flic (Jugnot, 1984)
31. Les Ripoux (Zidi, 1984)
32. On ne meurt que deux fois (Deray, 1985)
33. Police (Pialat, 1985)
34. Spécial Police (Vianey, 1985)
35. Inspecteur Lavardin (Chabrol, 1986)
36. Le Solitaire (Deray, 1987)
37. Flag (Santi, 1987)
38. Les Keufs (Balasko, 1987)
39. Ne réveillez pas un flic qui dort (Pinheiro, 1988)
40. L'Union sacrée (Arcady, 1989)
* 449 Pour faire cette
étude, Philippe a retenu la technique de l'analyse factorielle des
correspondances multiples AFCM qui permet de dégager statistiquement
dans un ensemble quantitativement important d'informations quelques axes
privilégiés de regroupement de données (axes
d'inertie).
* 450 « Il est des
lieux et des personnes qu'il vaut mieux ne pas fréquenter, telle
pourrait être la morale résultant de la mise en scène de
cette classe des endroits troubles. Ce que suggère cette
appellation, c'est l'absence de clarté des lieux concernés. Ce
n'est pas un hasard si la nuit, mais surtout le non-jour, caractérisent
particulièrement ce type d'espace. Les lieux de rencontre : bars,
boîtes de nuit, cabarets, restaurants en sont une part non
négligeable. Plus largement, ce qui se dégage, c'est
l'idée de lieux confinés, sombres, où des individus
viennent se terrer. » (Philippe, 1999, p. 313)
* 451 « Les espaces
de transit : la plupart des moyens de transports comme les automobiles et
les transports collectifs, comme le train par exemple, sont
particulièrement représentés dans cette classe. (...) Le
transitoire se situe dans l'espace de non-ville, dans un
entre-deux-mondes. » (Philippe, 1999, p. 315)
* 452 LENNE ,
Gérard, « Esquisse de sociologie, économie,
psychopathologie et fondements esthétiques du spectacle X »,
in Zimmer Jacques (dir.), Le cinéma X, Paris, La Musardine, 2002,
p27-41.
* 453 Philippe Rouyer (1997,
p.179) : « un bon film gore est un bon film tout court. Il vaut
plus que la somme arithmétique de ses scènes sanglantes
contrairement à la plupart des films pornos qui n'ont
d'intérêt que leurs scènes de sexe ».
* 454 Richard Dyer (1993,
p.205) : « Le concept d'iconographie, tiré de l'oeuvre de
l'historien Erwin Panofsky (L'oeuvre d'art et ses significtaions, Paris,
Gallimard, 1969), s'est avéré particulièrement utile
à l'examen des genres cinématographiques (...) L'iconographie
peut se définir comme l'étude d'un ensemble d'images (objets,
individus, décors), de sons et de musiques communs à une
série de films et qui constituent ceux-ci en genre ».
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