2. Les instruments d'action publique
Un instrument d'action publique constitue un dispositif
à la fois technique et social qui organise des rapports sociaux
spécifiques entre la puissance publique et ses destinataires en fonction
des représentations et des significations dont il est
porteur.64
La dimension technique renvoie aux informations
condensées dans les instruments qui permettent le pilotage de la
société. La création d'instruments d'action publique peut
servir de révélateur de transformations parfois invisibles, de
l'action publique, de son sens, de son cadre cognitif et normatif et ses
résultats. La notion d'instrument d'action publique permet d'envisager
l'action publique sous l'angle des instruments qui la structurent. Ces
instruments ne disposent pas d'une totale neutralité axiologique, et ne
sont pas indifféremment disponibles. Ils sont porteurs de valeurs,
nourris d'une interprétation du social et de conceptions précises
du mode de régulation envisagé. Ils sont aussi producteurs d'une
représentation spécifique de l'enjeu qu'ils traitent et induisent
une problématique particulière de l'enjeu dans la mesure
où ils hiérarchisent des variables et peuvent aller jusqu'
à impliquer un système explicatif. L'instrumentation de l'action
publique renvoie à l'ensemble des problèmes posés par le
choix et l'usage des instruments (des techniques, des moyen d'opérer,
des dispositifs) qui permettent de maitriser et d'opérationnaliser
l'action gouvernementale. Il s'agit de comprendre non seulement les raisons qui
poussent à retenir tel instrument par rapport à tel autre, mais
aussi à envisager les effets induits par ces choix.65
L'observation montre qu'il est exceptionnel qu'une politique,
et même qu'un programme d'action au sein d'une politique, soit
mono-instrumentale. On constate le plus souvent une
63Ibid., p. 301.
64Pièrre Lascoumes, et Patrick Le
Galès, « Instruments », in Dictionnaire de politiques
publiques, Boussaget,L., Jacquot, S., Ravinet, P. (dir.),
3ème édition actualisée et augmenté -
Paris : Presses de sciences Po, collection Références, 2010, p.
45.
65 Ibid., p. 326.
21
pluralité d'instruments mobilisés, ce qui pose
alors la question de leur coordination. L'instrumentation de l'action publique
est donc un moyen d'orienter les relations entre la société
politique (via l'exécutif administratif) et la société
civile (via ses sujets administrés).
Dans le champ des politiques publiques, la question du choix
des instruments pour l'action publique et de leur mode opératoire est en
général présentée de manière
fonctionnaliste, comme relevant de simples choix techniques. L'essentiel des
travaux de politique public consacré à la question de
l'instrumentation est marqué d'une forte orientation fonctionnaliste
caractérisée par cinq traits:
- L'action publique est fondamentalement conçue dans un
sens pragmatique, c'est-à-
dire comme une démarche politico-technique de
résolution des problèmes via des instruments;
- On raisonne en terme de naturalité de ces
instruments, considérés comme étant
«à disposition» et qui ne poseraient que des questions de
meilleure adéquation possible aux objectifs retenus;
- La question de l'efficacité des instruments est la
problématique centrale. Les travaux sur la mise en oeuvre des
politiques consacrent une grande part de leurs investigations à
l'analyse de la pertinence des instruments et à l'évaluation des
effets crées;
- Face aux lacunes des outils classiques, et souvent
envisagée, soit pour offrir une alternative aux instruments habituels
(dont les limites ont été démontrées par les
nombreux travaux sur la mise en oeuvre), soit pour concevoir des
«méta-instruments» permettant une coordination des instruments
traditionnels (planification, schéma d'organisation,
convention-cadre);
- Les analyses ont souvent pour point de départ, soit
l'importance de réseaux d'action publique spécifique, soit
l'autonomie de sous-secteurs de la société, mais elles convergent
pour faire du choix et de la combinaison des instruments une question centrale
pour une action publique conçue en termes de management et de
régulation de réseaux qui s'éloigne des questions
classiques de sociologie politique.66
Ces postulats peuvent être dépassés si
l'on rompt avec l'illusion de leur neutralité en adoptant une
démarche de sociologie politique, considérant les instruments
comme des institutions. Les instruments à l'oeuvre ne sont pas pure
technique: ils produisent des effets spécifiques indépendants des
objectifs affichés (des buts qui leur sont assignés) et ils
structurent l'action publique selon leurs logiques propres. Au fur et à
mesure de leur usage, ils tendent à produire des effets originaux et
parfois inattendus. Les instruments ne sont donc pas neutres; ils sont des
institutions au sens sociologique du terme: « Un ensemble plus ou moins
coordonné de règles, de normes et de procédures, qui
gouverne les interactions et les comportements des acteurs et des
organisations. ». Les instruments déterminent en partie la
manière dont les acteurs vont se comporter; ils créent des
incertitudes sur les effets de rapport de force; ils vont conduire à
privilégier certains acteurs et intérêts et à en
écarter d'autres; ils contraignent les acteurs et leur offrent des
possibilités; ils véhiculent une certaine représentation
des problèmes. Les instruments déterminent en partie quelles
ressources peuvent être utilisées et par qui. Comme toute
institution, ils permettent de stabiliser des formes d'action collective, de
rendre plus prévisible et plus visible, le comportement des
66 Ibid., p. 330.
22
acteurs (politiques ou non).67Les instruments sont
donc au coeur de l'analyse du changement dans les politiques publiques et leurs
transferts.
|