II.2.d) MODELE DE DEVELOPPEMENT ECONOMIQUE
L'homogénéité de la forme juridique des
AMAP (association) permet d'avoir une vision plus claire de leur modèle
économique. Le consommateur est pro-actif et participe à titre
bénévole à la construction de l'offre et de la demande. La
porosité
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entre la sphère professionnelle, que l'espace des AMAP
représente pour les producteurs, et l'espace public qu'est
l'association, lieu ayant vocation à politiser dans une dynamique de
« voice » les problématiques liés aux circuits
de distribution courts, entraîne un encastrement entre le politique et
l'économique. La dimension économique est, de ce fait,
essentiellement réciprocitaire dans les AMAP, dont le positionnement
à la fois solidaire et citoyen affiche une distance assumée avec
le modèle marchand.
« La différence entre marché et
réciprocité ne peut et ne doit pas être réduite
à la seule gratuité supposée du transfert pensé
comme don. (...) Le principe de réciprocité ne peut pas
être compris sur cette base transactionnelle.(...) La
réciprocité est fondée sur cette
complémentarité d'éléments distincts. Ceux-ci ne
sont pas commutables comme le sont pour l'économie dominante le vendeur
et l'acheteur (...). Le souci de l'autre, de la réciprocité
s'oppose à l'intérêt pour soi du principe de marché.
»70
En revanche, il existe un décalage entre l'antenne
national des ruches MAMA et les structures locales, qui se cristallise à
travers le modèle économique qui dépend de la forme
juridique choisie.
La ruche locale de La Courneuve n'est pas dans une recherche
de rentabilité économique. Régine et Perrine, les
responsables de ruche, souhaitent rester dans une dimension
réciprocitaire et locale, dans laquelle l'échange
économique est prétexte aux liens tissés lors des
distributions. Elles expliquent que les ruches, ayant pour statut
l'auto-entrepreneuriat, gèrent en moyenne 2 à 3 ruches
simultanément, à raison parfois de 150 commandes par
distribution. La recherche de productivité et d'efficacité
précède le lien, pérennité économique
oblige. « Ils ne les connaissent pas les
clients. Là du coup, je parle de clients. Les gens passent, prennent
leur truc et ils s'en vont, parce qu'ils ne peuvent pas se garer, il y a trop
de monde... C'est le bazar. Nous, c'est tout l'inverse, vous avez vu, la place
qu'il y a là, on peut se garer, on ouvre la grille... »
raconte Régine.
70Jean-Michel Servet, « Le principe de
réciprocité chez Karl Polanyi, contribution à une
définition de l'économie solidaire », Revue Tiers Monde
2007/2 (n° 190), p. 255-273. DOI 10.3917/rtm.190.0255
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La ruche MAMA dépend d'un modèle de
développement se calquant sur les traditionnelles start-up, pour
lesquelles la levée de fonds privés est un
accélérateur de croissance, l'objectif étant de
croître le plus rapidement possible. Si les fonds privés
d'investissements sollicités sont tous agréés par
Finansol, et sont donc solidaires, les levées de fonds successives de 1
million d'euros en 2013 et de 9 millions en 2015 ne laissent que peu de place
à l'hybridation des ressources, qui est l'un des traits distinctifs
d'une économie solidaire.
Enfin, il est intéressant de noter comme le
modèle économique influe sur la dimension politique, et
inversement. Au démarrage de l'activité en 2011, à
Toulouse, l'échange marchand s'organisait dans une dimension se situant
entre l'administration domestique et la réciprocité. «
Les distributions se faisaient de façon informelle, dans le garage mis
à disposition par des personnes participant à l'échange.
» (Solenne Mutez)
Aujourd'hui, l'échange a définitivement
quitté la dimension de l'économie domestique (ou de subsistance),
lieu de solidarité naturelle ayant pour vocation première
d'assurer la subsistance d'un cercle restreint d'individus, souvent circonscrit
l'univers familial, pour gagner celui de l'échange
réciprocitaire, pour les ruches locales, et marchand, pour la ruche
MAMA.
La perennité économique d'un grand nombre de
ruches locales repose sur l'équilibre entre les ressources non
monnétaires, relevant de la réciprocité, les ressources
non-marchandes relatives au système redistributif et les ressources
marchandes issus de l'intermédiation entre usagers et producteurs, dont
ils retiennent 8,35% du chiffre d'affaire, pour le travail d'organisation, de
ventes et de gestion de la communauté effectué par le responsable
de ruche.
En revanche, le recours à la levée de fond ,
dans le modèle d'expansion économique de la ruche MAMA aurait
tendance à marginaliser le prélèvement de 8,35% qui
rémunère le service (support technique et commercial) et les
frais bancaires des transactions effectués sur la plateforme
internet.
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