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Les passerelles entre économie solidaire et économie collaboratve


par Eugenie Lobe
Conservatoire national des arts et métiers  - Master Sciences humaines et sociales 2017
  

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II.2 Le domaine de l'alimentation

I

II.2.1 Finalité de la production

? Levier de changement sociétal :

L'alimentation représente, pour l'ensemble des initiatives rencontrées, un levier de changement sociétal majeur car les circuits courts sont porteurs d'innovations sociales à travers la redynamisation économique et sociale qu'ils apportent aux territoires qui les accueillent. Les pratiques associées encouragent l'empowerment citoyen, du point de vue du producteur mais aussi du consommateur, qui réorganise à travers le circuit court une rupture avec le traditionnel circuit de distribution, au profit d'une alimentation durable. L'émergence de ces circuits atypiques de distribution n'est pas nouvelle, car il existait déjà dans les années 1980 des formes de circuit court, à travers la vente directe auprès de producteurs locaux.

La véritable innovation repose finalement sur une particularité du modèle collaboratif : la désintermédiation et la ré-intermédiation, rendu possible par la mise en relation de particulier à particulier (Peer to Peer) ou, comme c'est le cas pour les AMAP et La Ruche qui dit oui, par la mise en place de circuits courts à travers un lien direct entre producteurs et consommateurs. Mais l'innovation de cette désintermédiation repose sur le fait qu'elle est suivie d'une réintermédiation : « On voit aussi apparaître une forme de ré- intermédiation qui tend à rassembler une offre atomisée ou jusqu'alors intermédiée par des acteurs de l'économie traditionnelle. La Ruche qui dit oui, plate-forme de mise en relation directe entre les agriculteurs et les consommateurs, participe à la désintermédiation de la distribution des produits

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agricoles, mais s'avère aussi un nouvel intermédiaire qui se rémunère sur la base de commissions sur les transactions de la plate-forme. »65

L'innovation repose donc sur la dynamique locale du pouvoir citoyen, et est tourné vers la recherche d'une alimentation responsable et la volonté de se passer d'un maximum d'intermédiaires afin d'optimiser les gains du producteur. Et d'assurer ainsi une certaine traçabilité des produits auprès des consommateurs. Cette innovation, ne relevant ni du marché ni de l'Etat, mais de la société civile, s'appuie de plus en plus sur des partenariats avec les collectivités territoriales impliquées.

Yuna Chiffoleau, chargée de recherche à l'INRA (Institut national de recherche agricole), évoque de « nouvelles modalités d'actions collectives concernant les relations entre les différentes catégories d'acteurs du développement territorial »66. Cette affirmation trouve tout son sens dans l'initiative portée par le couple mère-fille de la ruche courneuvienne, Régine et Perrine Morêt, quiaffiche clairement la portée sociale de l'initiative, face à un quartier coupé en deux (d'un côté les immeubles, de l'autre la zone pavillonnaire) et manquant de cohésion sociale.

La dimension affective transparaît également à travers la façon dont les porteuses de l'initiative désignent leurs clients : « les abeilles », avec lesquels elles ont créé de forts liens de proximité : « Nous on est les responsables de ruche. Les RR. Et eux, c'est les petites abeilles. Il y en a que ça déstabilise », se présente Régine. « Et quand on les contacte, on les appelle toujours « abeille », poursuit Perrine. La mère et la fille partagent d'ailleurs une anecdote qui reflète leur état d'esprit : « es gens souvent, enfin ça arrive... ils viennent pour prendre leur commande et disent : «Bonjour, je suis le numéro untel.» Et ma mère adore dire, mais vous... », commence Perrine. «... Vous n'êtes pas qu'un numéro quand même », conclut Régine Moret.

A la croisée de thématiques transverses portant sur la santé, l'alimentation, le circuit-court en tant que réseau de distribution solidaire.

? Compétences et pluralité d'acteurs, multitude de champs :

65 « L'économie collaborative, entre utopie et big business » S. Borel, D. Deamilly, D.Massé, 28 juillet 2015, Esprit, Le partage une nouvelle eco.

66Yuna Chiffoleau et Benoît Prevost, « Les circuits courts, des innovations sociales pour une alimentation durable dans les territoires », Norois, 224 | 2012, 7-20.

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Les AMAP, comme les ruches, mobilisent une multitude d'acteurs participant à une chaîne raccourcie, certes, mais nécessitant des compétences diverses dans des champs d'action très différents : comptabilité, logistique, agriculture, communication... Cette obligation de compétences pose la question de la professionnalisation de structures, dont certaines comme les AMAP ou la ruche de La Courneuve reposent sur l'engagement militant et bénévole.

Perrine et Régine Morêt se sont confrontées aux limites du bénévolat lorsqu'elles ont souhaité investir pleinement la dimension du lien social en étendant leurs actions de sensibilisation à une alimentation locale, responsable et biologique, à travers des ateliers de cuisine ayurvédique dans des associations et centres sociaux. « inon, il faut vraiment le faire en travaillant 24 h/24 à plein temps et nous, vu qu'on est une association et qu'on a chacune un travail à temps plein, on n'a pas suffisamment d'énergie pour développer ce truc-là. Mais il y a vraiment cet aspect-là qui est aussi un moteur pour la création, et qu'on a dû mettre de côté », déplore Perrine Moret.

A) Bien commun (propriété/usage)

L'alimentation responsable, ici perçue comme un « ensemble de pratiques, de la production à la consommation de biens alimentaires, économiquement viables, socialement soutenables et écologiquement responsables »67 touche par sa transversalité plusieurs domaines relevant du bien commun. Et ceci, dans une acceptation large des termes « bien partagé » par les membres d'une même communauté, de façon raisonnée et suivant une gouvernance favorisant la soutenabilité de la ressource commune.

Le débat public sur les bienfaits d'une alimentation saine et le lien de plus en plus évident entre santé publique et alimentation responsable ont fait de cette thématique une priorité sanitaire : obésité, maladies cardio-vasculaires, OGM, agriculture raisonnée, lutte contre l'agriculture intensive, débat sur la résistance aux antibiotiques, utilisation des insecticides dans les cultures. « Sur l'aspect sensibilisation, on essaie de prendre conscience de ça puisque, finalement, ce qu'on

67Yuna Chiffoleau et Benoît Prevost, « Les circuits courts, des innovations sociales pour une alimentation durable dans les territoires », Norois, 224 | 2012, 7-20.

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essaie aussi de développer c'est la prise en compte de nos actes, que ce soit dans notre consommation mais aussi dans notre alimentation et dans le respect de la nature », prévient Perrine. « Et puis on mange des aliments remplis d'antibiotiques ; du coup, ça crée des résistances quand on doit soigner. Et les gens s'étonnent : «Oui, ben j'ai pris 4 cachets et ça ne marche pas»... Ben non, ça ne marche pas ! », dénonce Régine.

L'idée de « commun » se retrouve aussi dans la conception que ces entrepreneuses associatives se font de l'économie collaborative, dont elles ne retiennent volontairement que le terme « collaboratif », ou plutôt « collaboration », par un glissement de sens. Le volet marchand est complètement éludé au profit de la mise en relief de rapports de « collaboration », se rapprochant de la dimension réciprocitaire de l'échange par son absence de commutativité. Les producteurs choisis, et c'est particulièrement vrai pour les AMAP, où l'engagement envers un producteur dépasse l'échange marchand, deviennent des collaborateurs privilégiés.

A la question : « Quelle est votre vision de l'économie collaborative et comment la mettez-vous en relation avec votre activité ? » Régine répond sans hésitation : « On collabore à l'économie de notre producteur. » Il s'agit « d'aider, soutenir et faire développer l'activité d'un producteur (...) C'est plus une intention de personne à personne, d'aider au niveau local les producteurs, parce qu'on aime bien manger et on avait envie aussi d'aider, en quelque sorte, les producteurs locaux, d'où l'aspect « collaboratif. »

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"Là où il n'y a pas d'espoir, nous devons l'inventer"   Albert Camus